Danse

Bhavya Kumaran à la Music Academy

2023-07-27 14:18+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XXII

Je ressuscite ce blog après une très longue interruption. Bien sûr, il y a eu le COVID, qui a pour un temps réduit significativement les opportunités d'assister à des spectacles. Toutefois, la raison principale de cette interruption est liée à ma prise de conscience de plus en plus affirmée du caractère extrêmement problématique du style de danse bharatanatyam qui est actuellement le résultat d'un processus d'appropriation culturelle qui s'est fait au cours du dernier siècle au détriment de la caste des praticiens et praticiennes originels de cette forme de danse. Une de mes lectures les plus instructives sur ce processus est le livre Celluloid Classicism de Hari Krishnan à propos duquel j'ai écrit ce compte-rendu mis en ligne sur Narthaki, qui est le portait Internet de référence sur le bharatanatyam (et plus généralement les danses “classiques” indiennes) ; cependant, les articles qui y sont publiés sont généralement complètement vides d'un point de vue esthétique et ne font qu'appuyer le discours dominant.

J'ai acquis la conviction que mes aspirations esthétiques en tant que spectateur étaient parfaitement alignées avec la volonté politique que les artistes héréditaires de bharatanatyam soient mieux représentés. En effet, j'ai souvent observé des récitals de grandes interprètes qui, plutôt que de s'associer à des artistes héréditaires compétents pour composer des séquences techniques de danse, ou ne serait-ce que de puiser dans le répertoire traditionnel de jatis qu'elles ont appris auprès de leurs maîtres héréditaires (nattuvanars), préfèrent commander des compositions rythmiques à des percussionnistes. J'ai plusieurs fois été horrifié par le caractère anti-musical de certaines de ces créations. J'ai eu le sentiment que cela participait d'une entreprise de destruction de la musique et de la danse.

Mes seules satisfactions avec ce style viennent de mon apprentissage avec le maître héréditaire Kuttalam M. Selvam, et des très rares occasions d'assister à des récitals, où, sans que les artistes héréditaires soient forcément physiquement présents, leur apport esthétique est un minimum audible ou visible.

Music Academy, Kasturi Srinivasan Hall, Chennai — 2023-07-26 à 18:00

Bhavya Kumaran

Sowmya Kumaran, nattuvangam

Murali Parthasarathy, chant

Vedakrishnaram, mridangam

B. Muthukumar, flûte

?, violon

Alarippu (Mishra Chapu Tala)

Jatiswaram (Raga Saveri, Rupaka Tala)

Varnam “Nadani azhaithtuva...” (Raga Kambhoji, Adi Tala)

Ashtapadi “Yahi Madhava” (Adi Tala, Raga Sindhu Bhairavi)

Javali (Raga Khamas, Rupaka Tala), composition de Patnam Subramaniam Iyer

Tillana (Raga Hindolam, Adi Tala), composition de Dandayudhapani Pillai

J'avais déjà eu l'occasion de voir danser Bhavya Kumaran en août 2022 lors de sa participation au festival Spirit of Youth de la Music Academy auquel j'assiste très régulièrement depuis 2015. Elle avait alors obtenu le deuxième prix (derrière le très méritant Shabin Bright) et a été réinvitée pour un récital de la HCL Series. J'avais beaucoup apprécié ce récital qui m'avait semblé être comme une capsule temporelle donnant une certaine indication de ce que pouvait être la danse bharatanatyam il y a 30 ou 40 ans. En effet, la mère de la danseuse, Sowmya Kumaran, a appris la danse initiallement auprès de l'artiste héréditaire Jayalakshmi Arunachalam, puis a émigré aux États-Unis, y a enseigné à sa fille Bhavya, en maintenant manifestement un grand soin dans la préservation de la forme traditionnelle du récital Margam, du vocabulaire des adavus et des particularités du style de Thanjavur. Cela reste bien sûr problématique, mais il s'agit manifestement de personnes qui comprennent la valeur de la contribution esthétique des artistes héréditaires.

Le récital de ce soir a été de très grande qualité. J'ai été agréablement surpris que le programme commence par deux types de pièces qui tendent à disparaître des programmes : Alarippu et Jatiswaram. Comme dans tout le reste du récital, la complète maîtrise technique de la danseuse est évidente. Les comptes de la danse restent modérément complexes et plutôt en vitesse moyenne, ce qui permet de bien apprécier les moindres mouvements ornementaux de la danseuse. Une des particularités de certains maîtres originaires de Thanjavur (comme Guru Herambanathan Pillai) apparaît dans le Jatiswaram et sera aussi visible dans le Varnam : chaque korvai est précédé d'une ligne complète de mouvements de tête (attami) qui procurent une respiration bienvenue dans les chorégraphies.

Toutefois, ce récital n'est pas exactement ancré dans la même tradition que celui auquel j'avais pu assister en 2022. En effet, la pièce principale du récital, le Varnam “Nadani azhaithtuva...”, ainsi que les deux pièces de pur abhinaya suivantes ont été enseignées par la danseuse Lavanya Ananth, qui fait partie des rares artistes qui respectent très fidèlement la forme du Margam. Tout en gardant certaines spécificités du style originel de la danseuse, la chorégraphie comporte des jatis très jubilatoires de la tradition Vazhuvoor, dont le magnifique jati off-beat “ta ri tatana ta ri tajono...” composé par Vazhuvoor Ramiah Pillai : le décalage volontaire entre les ononatopées récitées et les pas de danse sont très bien mis en valeur par la danseuse. Les motifs de Tattu Muttu sont relativement complexes, notamment par l'utilisation de triolets (tishra-nadai), mais restent très musicaux. Les sections d'abhinaya de la première partie du Varnam développent selon le schéma traditionnel l'évolution du sentiment amoureux de l'héroïne pour le dieu Muruga. Le Pallavi évoque une jeune héroïne qui s'émerveille de la vue de Muruga, et qui souhaite l'épouser. Elle croit sentir sa présence, mais ce n'est qu'une illusion. L'Anupallavi met en scène le sentiment de séparation amoureuse de l'héroïne, qui entretemps a grandi. Il est très appréciable que la chorégraphie se focalise résolument sur les sentiments de l'héroïne, allant ainsi à contre courant de la tendance actuelle qui consiste à narrer de multiples exploits du dieu concerné sans rapport évident avec le texte chanté.

Les deux pièces d'Abhinaya qui ont suivi ont été enseignées par Lavanya Ananth, et s'inscrivent dans le style de Kalanidhi Narayanan. Chacune des deux pièces commence ainsi par un prélude accompagné par le percussionniste et les instruments mélodiques avant que le texte de la composition musicale ne se fasse entendre. J'ai particulièrement apprécié le caractère espiègle du Javali dans lequel l'héroïne, touchée par les flèches de Kama, ne peut retenir son sentiment amoureux pour Venkateshwar.

Le récital s'est conclu par un très beau Tillana dédié à Shiva (composé par le nattuvanar K. N. Dandayudhapani Pillai).

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Anusha Cherer à la Maison de l'Inde

2019-11-02 16:03+0100 (Paris) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Maison de l'Inde, Cité universitaire — 2019-10-08

Anusha Cherer, danse bharatanatyam

Bhavana Pradyumna, chant carnatique, nattuvangam

Venkat Krishnan, mridangam

Charles Parameshwaralingam, violon

Dr M. Balamuralikrishna, compositions

Sivaselvi Sarkar, Rama Vaidyanathan, Vidhya Subramanian, Anusha Cherer, chorégraphies

Pushpanjali (Adi Tala, Raga Arabhi), chorégraphie de Sivaselvi Sarkar

Varnam “Omkara” (Adi Tala, Raga Shanmukhapriya)

Ashtapadi “Yahi Madhava” (Adi Tala, Raga Sindhu Bhairavi)

Thillana (Adi Tala, Raga Kadana Kuthuhalam)

Mangalam

(Full disclosure: Le spectacle dont je rends compte ici a été organisé par la chanteuse Bhavana Pradyumna avec qui j'ai eu plusieurs fois l'occasion de collaborer sur plusieurs spectacles.)

Depuis qu'elle s'est installée à Paris il y a quelques années, la chanteuse carnatique Bhavana Pradyumna organise tous les ans un événement Nritya Naada où des compositions de danses sont présentées. La première édition en 2016 était consacrée au répertoire de M. S. Subbulakshmi, la deuxième en 2017 (à laquelle je n'ai pas assisté) au compositeur-chorégraphe Madurai Muralidharan, la troisième en 2018 au compositeur et violoniste Lalgudi Jayaraman. L'édition 2019 est consacrée aux compositions de Dr. M. Balamuralikrishna que j'eus le privilège d'entendre lors d'un très bref mais néanmoins inoubliable concert en 2013.

Il faut souligner cette initiative, puisque depuis le désengagement du Théâtre de la Ville et du Musée Guimet des danses classiques indiennes, il est devenu très rare d'assister à des récitals complets de danse bharatanatyam qui soient accompagnés de musiciens. Comme lors de l'édition 2018 de Nritya Naada, c'est un Margam relativement fourni qui est interprété par les musiciens et par la chanteuse.

Certaines des compositions de Dr. M. Balamuralikrishna sont devenues des classiques du répertoire dansé. C'est le cas d'un certain nombre de ses Thillanas ainsi que du Pushpanjali en Raga Arabhi qui fait partie de ce programme. J'avais déjà entendu parler de son Varnam Omkara parce qu'une danseuse que je connais très bien avait envisagé de le danser, mais je ne l'avais jamais vu sur scène.

Pour ce programme avec musiciens, la danseuse est Anusha Cherer dont j'avais déjà apprécié le travail lors de précédents récitals en 2015 et 2018. Le programme commence par le Pushpanjali “jhem jhem tanana” chorégraphié par Sivaselvi Sarkar, le guru de la danseuse, qui l'avait déjà interprété lors de son dernier récital au Centre Mandapa. C'est un réel plaisir d'entendre et de voir cette danse interprétée de façon très musicale.

Anusha Cherer ©Laurent Lo
Anusha Cherer ©Laurent Lo

La pièce principale du récital est le Varnam “Omkara” en Raga Shanmukhapriya et Adi Tala. Le programme ayant été préparé en très peu de temps (deux semaines), la danseuse a utilisé des jatis qu'elle avait déjà dansés lors de son précédent récital au Centre Mandapa. J'ai en particulier reconnu le tri-kala sur le thème “Ta di nutadimi ta di nutadimi ta nutadimi ta takundari kitataka” extrait d'un autre Varnam chorégraphié par Rama Vaidyanathan, la composition rythmique étant probablement due au défunt Karaikudi Sivakumar. Ses jatis sont en général très complexes, et j'avoue n'avoir que très rarement réussi à clapper le tala lors que j'ai entendu ses jatis lors de spectacles... Ici, la récitation et les thalams sont assurés par la chanteuse Bhavana Pradyumna dont la récitation m'a semblé très régulière dans ces jatis. Fait rare en France, les arudis sont bien exécutés ! Le texte du poème fait l'éloge de celui qui représente la musique qui est issue du son primordial Om. La ligne d'Anupallavi fait plus spécifiquement référence à celui qui porte la flûte (Krishna), et le Muktayi évoque sans ambiguité Vishnu sous la forme de Padmanabha. Ces lignes de texte ont été très bien interprétées par la danseuse.

Le temps de répétition très court pour ce récital s'est à mon avis un peu fait sentir dans l'exécution de la deuxième moitié du Varnam. La deuxième moitié d'un Varnam est en général exécutée à un tempo supérieur, ce qui rend plus difficile l'exécution des séquences techniques et rend quasiment impossible la parfaite intelligibilité du sens du texte exprimé par la danse. La deuxième moitié de ce Varnam est particulièrement complexe rythmiquement parlant, puisque les Ettugada Swarams (ainsi que les paroles associées) ne commencent pas au début du cycle, mais off-beat, et se reconnectent avec une ligne de Caranam, qui si, elle, démarre bien sur le premier temps, présente quelques petites difficultés rythmiques. En principe, les phrases chorégraphiques de ces Swarams devraient donc commencer off-beat, ce qui n'est pas facile à danser... Je ne saurais dire qu'elle était exactement l'intention, mais j'ai senti une certaine hésitation de la danseuse au démarrage de ces Swarams. Je sais à quel point c'est difficile ! mais il aurait été souhaitable que la chanteuse aux thalams et le percussionniste donnent des indications rythmiques plus claires pour permettre à la chanteuse de démarrer plus facilement au bon moment. J'ai été néanmoins impressionné par le démarrage parfaitement off-beat de la danseuse lors des très-redoutables Tatti Metti de la dernière phrase d'Abhinaya ! Par ailleurs, dans cette deuxième partie de Varnam dans laquelle des parties du corps de Vishnu sont comparées à un lotus, j'ai particulièrement apprécié la poésie de la description de la Nature dans le troisième Ettugada Sahitya. Malgré les imperfections de cette performance, qui sont très excusables en raison des courts délais de répétition, j'ai apprécié de pouvoir voir en France un Varnam dansé avec des musiciens.

La pièce suivante n'est pas une composition de Balamuralikrishna : il s'agit de l'Ashtapadi “Yahi Madhava”, extrait du Gita-Govinda de Jayadeva. J'ai eu de nombreuses occasions de le voir représenter. À chaque fois, c'est une expérience différente. Dans le style odissi, j'avais apprécié l'interprétation de Mahina Khanum en 2015 dans une chorégraphie de Kelucharan Mohapatra transmise par Madhavi Mudgal que j'ai eu l'occasion de voir interpréter cette pièce cet été à Delhi. Anusha Cherer a appris cette pièce lors d'un stage avec la danseuse Vidhya Subramanian. De même que dans la version de Kelucharan Mohapatra, la chorégraphie met en scène non seulement les reproches adressés par Radha à Krishna qui sont contenus dans le texte, mais aussi des réponses quelques peu fantaisistes de Krishna qui tente de donner une explication alternative à la présence de marques sur son corps qui trahissent son infidélité. Par exemple, il prétend que les griffures laissées par les ongles de l'autre résultent d'une chute dans les ronces alors qu'il essayait de cueillir des fleurs pour Radha (qui le met en défaut parce qu'il ne les a pas apportées !). Comme dans son précédent récital, j'ai été impressionné par l'Abhinaya d'Anusha Cherer.

Il se trouve que ce n'est pas la première fois que je vois une danseuse française danser cette pièce transmise par Vidhya Subramanian. Ainsi, j'ai aussi eu deux fois l'occasion de voir Iran Farkhondeh très bien danser cette pièce. Je suis donc très étonné par le contraste radical entre les interprétations de ces deux danseuses. Le scénario est le même dans les deux cas, mais l'incarnation est me semble-t-il complètement différente. Le point de vue d'Iran Farkhondeh était me semble-t-il d'incarner le personnage de Radha pendant toute la durée de la pièce, ce qui extrêmement difficile à interpréter puisque lorsque Krishna fait ses réponses, la danseuse ne peut se transformer en Krishna : elle doit continuer à incarner Radha et ne peut nous faire comprendre le discours de Krishna qu'à travers la réaction de Radha à ces paroles. Le seul sentiment exprimé est celui de la colère froide de Radha. Au contraire, dans l'interprétation d'Anusha Cherer, si le point de vue principal est résolument celui de Radha, la danseuse devient clairement Krishna quand il répond aux reproches de Radha. J'ai apprécié cette interprétation qui permet une réconciliation future entre Radha et Krishna : on sait bien qu'ils vont se réconcilier ! D'ailleurs, dans l'interprétation d'Anusha Cherer, à la fin de la pièce, quand Radha se détourne de Krishna, on sent qu'elle hésite quelque peu.

Le récital s'est conclu par un très joyeux Tillana de Balamuralikrishna. Il faut féliciter la personne qui a présenté les pièces pour avoir réussi à prononcer le nom du Raga Kadana Kuthuhalam sans la moindre hésitation ! J'ai particulièrement apprécié la complicité entre la chanteuse et le violoniste dans l'interprétation de cette composition très connue. J'ai pris beaucoup de plaisir en voyant Anusha Cherer interpréter cette pièce. Le moment le plus irrésistible que je retiens est celui, en début de pièce, où elle a interprété de somptueux Mai Adavus avec le mudra Tripataka.

Anusha Cherer dansera avec ses élèves à Paris le 14 décembre.

Venkat Krishnan, Aniruddha & Bhavana Pradyumna, Charles Parameshwaralingam, Anusha Cherer
Venkat Krishnan, Aniruddha & Bhavana Pradyumna, Charles Parameshwaralingam, Anusha Cherer

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Anuya Rane au Centre Mandapa

2019-10-21 09:15+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Centre Mandapa — 2019-09-27

Anuya Rane, bharatanatyam

Mallari (Raga Gambhira Nattai, Mishra Triputa Tala)

Alarippu (Tishra Ekam Tala)

Jatiswaram (Raga Chakravakam, Tishra Ekam Tala, composition du Thanjavur Quartette)

Varnam “Moham aginen inda velaiyil” (Raga Karaharapriya, Adi Tala, composition de Dandayudhapani Pillai)

Nindastuti (Rupaka Tala)

Thillana (Raga Revati, Adi Tala, composition de Madurai N. Krishnan)

J'avais déjà eu l'occasion de voir Anuya Rane danser lors d'un spectacle avec Vaibhav Arekar au Musée Guimet en 2013. Cette fois-ci, elle a interprété en solo un Margam, un récital de format traditionnel, devant un public malheureusement trop peu fourni dans la salle du Centre Mandapa.

Anuya Rane
Anuya Rane

Le récital a commencé par un Mallari en Mishra Triputa (11 temps), dans un enregistrement chanté par Preethy Mahesh, incluant diverses vitesses y compris le tishra nadai. La danseuse évoque la procession d'une divinité. La danse technique est musicale, mais dans cette pièce, la danseuse est parfois quasiment debout pour exécuter des mouvements que l'on imaginerait davantage exécutés en demi-plié.

Le récital se poursuit avec l'Alarippu à trois temps. La chorégraphie de la danseuse utilise des éléments de la chorégraphie traditionnelle, comme des mouvements d'épaules et des yeux, exécutés en grand, prenant le contre-pied de l'opinion généralement admise actuellement visant à les rendre aussi petits que possibles. L'utilisation de l'espace par la danseuse comporte quelque originalité, comme lorsqu'elle utilise des mouvements en diagonale ou n'utilisant qu'une seule main à la fois. La composition rythmique présente aussi une surprise dans la construction du jati de l'Alarippu qui ne se finit pas ici par l'habituel motif croissant tadinginatom-takatadinginatom-takadikutadinginatom, mais qui l'inclut dans une triple formule en accordéon : la formule croissante habituelle est dite une fois à l'endroit, puis une fois à l'envers (en décroissant), et une dernière fois à l'endroit de façon légèrement différente (tadin-ginatom)(takatadin-ginatom)(takadikutadin-ginatom).

Après cette entrée en matière, la première pièce véritablement substantielle est un Jatiswaram traditionnel composé par le Thanjavur Quartette. Je ne connaissais cette composition en Raga Chakravakam que par un opportun effet Zahir, mon professeur m'en ayant parlé quelques jours auparavant. Dans cette pièce, j'apprécie la simplicité des marches de transition effectuées avec épaulement, la beauté des passages techniques, très bien exécutés, et très clairs rythmiquement.

La pièce principale du récital est le Varnam “Moham aginen inda velaiyil” en Raga Karaharapriya et Adi Tala composé par le Nattuvanar Dandayudhapani Pillai. Avant que la composition proprement dite ne commence, pendant l'Alap, la danseuse incarne l'héroïne qui dans un rêve croit apercevoir Shiva. À son réveil, elle comprend que ce n'était qu'une illusion. Comme dans le Jatiswaram, la partie technique de la danse est très maîtrisée par la danseuse, toujours exacte rythmiquement, y compris dans les motifs rapides des arudis ponctuant la fin des Jatis. Dans cette version du Varnam, il y a une double ration de Jatis. En effet, entre la première et la seconde ligne du Pallavi intervient habituellement le deuxième Jati d'un Varnam, mais ici, au lieu d'un jati, il y en a eu deux à la suite, et de même avant chacune des autres lignes de textes de la première partie du Varnam, comme le font certaines écoles de bharatanatyam. Dans le Pallavi, l'héroïne exprime à quel point elle est intoxiquée, alors qu'elle est touchée par les flèches de Kama. La danseuse a été très musicale pendant tout le récital, et son Abhinaya m'a plu, mais j'ai trouvé dommage que les frappes de pieds aient été aussi violentes quand il s'agissait d'exprimer que l'héroïne était atteinte par les flèches florales de Kama. Dans l'Anupallavi, la chorégraphie met en scène la danse de Shiva-Nataraja dans le temple de Chidambaram et l'héroïne demandant à son amie que le dieu vienne l'enlacer. Plus loin, elle se plaint du mal que lui fait la lumière reflétée par la Lune. Dans la deuxième partie du Varnam, l'héroïne souffre de la séparation. De façon intéressante, une des lignes de texte fait écho au rêve qui avait été mis en scène pendant l'Alap. Il n'y avait pas eu de Tattu Muttu dans la première partie du Varnam. Les lignes de textes de la deuxième moitié ont inclus des Tattu Muttu, qui étaient très en place rythmiquement, mais malheureusement pas suffisamment accentués à mon goût, ce qui est étonnant puisque les frappes étaient très bien appuyées dans les beaux passages techniques de ce Varnam.

La composition suivante est un Nindastuti, dans lequel une dévote semble critiquer de façon ironique le dieu Shiva. Elle prétend ne faire que rapporter les commérages que les gens font à propos de lui. La danseuse avait déjà interprété cette pièce lors du récital avec Vaibhav Arekar. Il ne porte qu'un quart de Lune, et même pas la Lune toute entière. C'est un mendiant, qui mange les restes des repas des autres. Il n'a pas d'endroit où poser son deuxième pied. Sa monture (le buffle) lui donne une démarche ridicule. Comme dans le Varnam, l'Abhinaya de la danseuse est très convaincant !

Le récital s'est conclu par le Tillana en Raga Revati et Adi Tala composé par Madurai N. Krishnan. J'ai apprécié de voir cette composition dansée dans un tempo plus raisonnable que dans la chorégraphie différente que je connais.

Il est devenu rare que l'on voie à Paris un Margam aussi complet et bien exécuté. Merci beaucoup à la danseuse pour ce récital !

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Shreema Upadhyaya à la Music Academy

2019-08-31 17:28+0300 (Helsinki) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XIX

(Full disclosure: le jour de ce récital, j'ai eu le plaisir de déjeuner en tête-à-tête avec le guru de la danseuse, Praveen Kumar, qui souhaitait me rencontrer depuis longtemps. Il ne m'a alors pas donné d'informations à propos de ce récital que je ne connusse déjà, comme le choix du Varnam et du Javali. Après le récital, il m'a demandé de lui envoyer mon feedback. Le billet qui suit est essentiellement une adaptation en français des observations que je lui ai envoyées, et qu'il a beaucoup appréciées !)

Depuis 2015, j'essaye de faire en sorte d'être à Chennai au début du mois d'août afin d'assister au festival Spirit of Youth qui se tient dans la petite salle de la Music Academy. Tous les soirs du 1er au 10 août, de jeunes musiciens et danseurs de moins de 25 ans se produisent. Un jury très discret assiste à toutes les représentations et décerne des prix qui sont formellement remis lors de la soirée d'inauguration du Festival de la Music Academy en janvier. Cette fois-ci, j'ai assisté à sept des dix récitals de danse. Je reviens ici sur le récital qui m'a le plus marqué, celui de Shreema Upadhyaya, disciple de Guru P. Praveen Kumar (Bangalore).

The Music Academy, Kasturi Srinivasan Hall, Chennai — 2019-08-03

Shreema Upadhyaya, bharatanatyam

Sri. P. Praveen Kumar, nattuvangam, chorégraphies

Sri. Karthik Hebbar, chant

Sri. Gurubharadwaj, mridangam

Sri. Aniruddha, violon

Shloka, suivi de “Gajamukha...” (Raga Mayamalavagaula, Adi Tala), composition de Vadiraja Swami

Alarippu (Khanda Chapu)

Navarasa Shloka, poème d'Adi Shankaracharya

Varnam “Rupamu Juchi” (Adi Tala, Raga Todi), composition attribuée à Muthuswami Dikshitar

Javali “Sako Ninna Sneha” (Mishra Chapu Tala, Raga Kapi), composé par Venkatagiri Shastri

Kirtana “Ododi Vandhen Kanna” (Adi Tala, Raga Dharmavati), composé par Ambujan Krishna

Thillana (Adi Tala, Raga Thillang), composé par Lalgudi G. Jayaraman

Après une invocation chantée de Ganesh, le récital a commencé par un Alarippu en Khanda Chapu qui m'a semblé superbement dansé. J'ai aussi particulièrement apprécié la récitation par Praveen Kumar qui dans cet Alarippu comme dans les jatis du Varnam utilise différentes types d'intonation, parfois plus douce, parfois plus forte que la normale.

La danseuse a poursuivi avec un Shloka “Sharada...” dédié à la Déesse, principalement en tant que Saraswati. Le choix d'interprétation consiste à incarner l'émerveillement (adbhuta) suscité par celle qui porte la vina.

Shreema Upadhyaya
Shreema Upadhyaya
(Les photographies ont été prises lors d'un précédent programme.)

La pièce princiale du récital a été le Varnam “Rupamu Juchi” qui est, peut-être faussement, attribué à Muthuswamy Dikshitar, qui n'a jamais rien composé pour la danse. En effet, cette composition n'est pas prévue pour la danse puisque la deuxième partie de ce Chauka Varnam ne comportait initialement que des Ettugada Swarams en plus de la ligne de Caranam. Les paroles (Ettugada Sahitya) ont été composées par le musicien Tiger Varadacharya dans les années 1930 à la demande de Rukmini Devi Arundale. Depuis, ce Varnam fait partie du répertoire de Kalakshetra, et au cours de ce festival Spirit of Youth, j'ai eu l'occasion de voir une autre danseuse interpréter ce Varnam de façon probablement rigoureusement conforme à la volonté de Rukmini Devi, cf. plus bas...

La chorégraphie interprétée par Shreema Upadhyaya est celle de son guru Praveen Kumar. J'ai particulièrement apprécié la musicalité des passages techniques : Jatis et Swarams, tous magnifiquement chorégraphiés et dansés. Dans les Tirmanams, Praveen Kumar utilise des intervalles de silence (karvais) plus longs que ne le font la plupart des chorégraphes. Il est facile d'aider la danseuse en remplissant le vide musical avec des frappes des thalams (cymbales), mais Praveen Kumar ne l'a pour ainsi dire pas fait, son élève étant parfaitement capable de tenir les silences en reprenant exactement là où il le faut. Visuellement, les chorégraphies m'ont semblées très belles, notamment par l'utilisation d'adavus relativement peu utilisés, comme les Nattadavus doublés ou les adavus n'utilisant qu'une main (comme ceux introduits par Muthuswamy Pillai). Mon plus grand plaisir est venu du contraste entre les différentes vitesses dans les mouvements. Par exemple, le troisième Jati était essentiellement en vitesse moyenne, mais depuis cette vitesse, la danseuse pouvait accélérer ou au contraire ralentir les mouvements. Au contraire, le deuxième Jati a commencé à une vitesse exquisement lente, et les mouvements se sont accélérés vers la fin. J'ai apprécié la musicalité de la danseuse, capable de produire de beaux contrastes d'intensité sonore pour les différents pas : c'était particulièrement délectable dans le quatrième Jati dans laquelle la danseuse accentuait la deuxième syllabe des ta-TAI-tai-ta (Vishru/Marditha) adavus. L'architecture rythmique de ce dernier Jati de la première moitié du Varnam était particulièrement intéressante puisque le premier bloc conclusif comportait des séries de "tadiginatom" (précédés de karvais), le deuxième bloc était fait de "dikutadiginatom" et le dernier bloc de "takadikutadiginatom". Aussi, dans toute la danse pure, j'ai apprécié la beauté de l'inattendu (visuel ou rythmique), qui pouvait arriver à tout moment, quoique plus particulièrement à la toute fin des Jatis.

J'ai apprécié l'Abhinaya de la danseuse dans ce récital : très claire et expressive, sans maniérisme ni sur-ornementation. Au début du Varnam, l'héroïne admire Shiva. Il porte le croissant de Lune, la peau de tigre, etc. Elle cherche à se rapprocher de lui. Plus loin, elle craint son indifférence ou sa colère, lui qui a réduit en cendres Kama. Dans la première ligne de l'Anupallavi, la danseuse interprète de façon remarquable deux Sancharis, l'un évoquant le jeune Markandeya et l'autre le rôle de Shiva en tant que Nilakantha lors du barattage de la mer de lait. J'ai apprécié que ces Sancharis ne soient pas excessivement dramatisés. Par exemple, pour le premier Sanchari, elle ne joue que le rôle de Markandeya : elle ne montre pas Yama, le dieu de la Mort, venu mettre un terme à la vie du garçon. Elle suggère seulement brièvement la douleur de Markandeya. Ce n'est pas un combat terrible et très long comme je l'ai déjà vu (et cela m'a parfois très impressionné). Je souscris complètement à ce choix esthétique, qui demande certes une attention soutenue des spectateurs, mais qui permet aussi de ne jamais perdre de vue le sens du texte. C'était magnifiquement fait, mais il va sans dire qu'il y a quelques années je n'aurais rien compris à ce qui se jouait là ! (L'investissement du chanteur Karthik Hebbar est à noter, puisqu'il a chanté les Sancharis, ce qui est assez rare à Chennai, le violoniste ou flûtiste prenant habituellement le relais pour ces développements.)

La deuxième ligne de l'Anupallavi nomme Shiva sous le nom de Tyagaraja, sa forme résidant à Tiruvarur, où je ne suis malheureusement pas encore allé. En voyant l'abhinaya de la danseuse, je me suis demandé s'il n'y avait pas quelque ironie dans la frustration de l'héroïne, puisqu'une toute petite partie du corps de Tyagesha y est visible...

Dans la deuxième moitié du Varnam, s'il y a une chose que je retiendrai, c'est le sublime Arudi que la danseuse a exécuté la toute première fois. Cette ponctuation intervient à la fin des Swarams. Rythmiquement, cela devrait ressembler à quelque chose comme ça :

Arudi

La série de “dit ta -“ rapides était exécutée avec des frappes de pieds en Araimandi, alors que les mains de la danseuse étaient liées au-dessus de sa tête. La conclusion de l'Arudi au milieu du cycle avec les trois dernières syllabes “di di ta” (en vert ci-dessus) se faisait sans mouvements de pieds, uniquement avec un délicat mouvement d'épaule. C'était sublimement exécuté. Pour ponctuer tous les Swarams suivants, la danseuse a refait le même Arudi, mais au lieu de terminer avec uniquement trois mouvements d'épaules, elle a en même temps fait aussi trois frappes de pieds. Cela m'a fait croire que l'intention était de faire à la fois des mouvements d'épaules et de pieds pour conclure l'Arudi de la deuxième moitié du Varnam. J'ai alors cru que la première version dansée (sans les pieds, uniquement les mouvements d'épaule) était une erreur, mais une erreur tellement sublime que cela méritait à mon avis d'être la façon correcte d'exécuter cet Arudi, et Bingo ! quand je m'en suis émerveillé auprès du chorégraphe, il a confirmé que c'était en fait son intention de conclure uniquement avec des mouvements d'épaule...

Dans le Javali dans lequel l'héroïne est en colère avec son amant qu'elle soupçonne d'être infidèle, j'ai apprécié l'aptitude de la danseuse à bien caractériser les différents personnages. Dans toutes les parties d'Abhinaya de ce récital, y compris la composition d'Ambujam Krishna dans laquelle l'héroïne cherche Krishna, qu'elle trouve finalement, j'ai aimé l'aisance avec laquelle la danseuse pouvait suggérer beaucoup sans utiliser le moindre mouvement ou position des mains, mais en utilisant uniquement les yeux ou des micro-mouvements du corps.

Shreema Upadhyaya

Le Thillana a été un pur régal pour moi. J'ai été amusé par le caractère créatif de la seconde série de Mai Adavus dans laquelle la danseuse fait faire un tour et demi à ses bras tenus, comme si une roue tournait. Contrairement à ce que suggère la description, c'était très élégant, comme tout ce qu'a dansé Shreema Upadhyaya. Je me suis particulièrement délecté d'un adavu que j'ai rarement eu l'occasion de voir (auquel je donne le nom de crocodile-mouth-opening ta-tai-tai-ta).

De tous les spectacles que j'ai eu l'occasion de voir cet été en Inde, c'est sans doute celui qui m'a le plus satisfait. Bravo à Shreema Upadhyaya et à son guru Praveen Kumar pour ce merveilleux moment !

Les résultats du concours Spirit of Youth 2019 sont tombés cette semaine. Mes favories étaient Shreema Upadhyaya et Shruthipriya R, mais le jury a préféré Bristy Rani (disciple de Sheejith Krishna) et n'a accordé que le deuxième prix à Shruthipriya R.

Voici très brièvement mes impressions sur les participants que j'ai vus :

  • 2019-08-01, Sneha Mahesh (disciple de Priya Murle) : n'étant pas un grand admirateur du guru, je n'ai pas assisté au récital de cette danseuse, dont je crois me souvenir avoir assisté à l'arangetram ;
  • 2019-08-02, Shruthipriya R. (disciple de Nithyakalyani Vaidhyanathan et Bragha Bessel) : magnifique récital, chorégraphies très musicales, superbe technique d'Abhinaya ;
  • 2019-08-03, Shreema Upadhyaya (disciple de Praveen Kumar) : cf. ci-dessus ;
  • 2019-08-04, Raksha Devanathan (disciple de Indu & Nidheesh) : je n'ai pas assisté à ce récital ;
  • 2019-08-05, Kalaisan Kalaichelvan (disciple de A. Lakshmanaswamy) : j'ai particulièrement apprécié l'Abhinaya très mûr de ce jeune danseur, les chorégraphies très musicales et belles d'A. Lakshmanaswamy, l'utilisation d'une composition d'Alarippu de Muthuswamy Pillai, mais la technique du danseur, qui est pourtant très bonne, présente des faiblesses, notamment au niveau du tala, par rapport à d'autres participants. Très étrangement, le percussionniste Nellai D. Kannan jouait presque systématiquement à contretemps des pas de danse, accentuant par exemple la dernière syllabe “mi” dans les séries de “takadimi” dans les Tattu Muttu ;
  • 2019-08-06, Smrithi Krishnamoorthy (disciple d'Anitha Guha) : je n'ai pas assisté à ce récital ;
  • 2019-08-07, Tanima Bardhan (disciple de Pranab Das) : très bien fait dans le carcan esthétique kalakshetrien, mais rien d'original dans ce que j'ai vu. La danseuse a interprété le même Varnam “Rupamu Juchi”, mais en suivant semble-t-il très-scrupuleusement la vision esthétique de Rukmini Devi Arundale. La technique est impeccable, et les chorégraphies techniques sont musicales, mais sans aucune surprise. Chaque phrase d'Abhinaya est répétée à l'identique deux fois (pas une fois à droite, puis une fois à gauche, ou une fois avec une main, puis une autre fois avec deux mains, non, vraiment tout est identique...). Chaque mot du texte est très clairement exprimé, mais les phrases ne semblent pas faire sens dans leur globalité. Je suis parti après le Varnam ;
  • 2019-08-08, Krishnalaxmi (disciple de Jayanthi Subramanian) : très jeune danseuse, qui montrait des signes de fragilité pendant la représentation. L'Abhinaya n'est pas aussi mûr et nuancé que chez d'autres danseuses, par exemple dans son interprétation de Yaro Ivar Yaro, quand la danseuse incarnant Rama fait les mudras évoquant la beauté de Sita, on ne comprend pas si Rama s'adresse à elle pour lui faire un compliment, s'il le pense seulement en lui-même, ou bien s'il partage son émotion avec ses amis, etc. Dans les Jatis, j'ai beaucoup aimé le style de récitation très nuancé de Jayanthi Subramanian dont les chorégraphies (à l'exception du Thillana) m'ont semblés très musicales. Contrairement au 5 août, le percussioniste Nellai D. Kannan m'a fait beaucoup plaisir, et visiblement son accompagnement a aussi plu au guru de la danseuse ;
  • 2019-08-09, Bristy Rani (disciple de Sheejith Krishna) : Sheejith Krishna est un chorégraphe qui a parfois des idées de génie. Par le passé, j'ai vu quelques unes de ses très belles chorégraphies. Dans le Varnam “Innum en manam...“ (Raga Charukeshi, Adi Tala) composé par Lalgudi G. Jayaraman, dont j'ai appris une autre chorégraphie, je n'ai pas aimé les Jatis qui sont hyper-longs et hyper-compliqués. Le thème du Trikala Jati devrait comporter 4 cycles rythmiques en première vitesse, le dernier étant en tishra-gati (triolets). Après que les trois vitesses ont été exécutées, le Jati bascule résolument vers le tishra-gati. À la toute fin, je soupçonne qu'il y a eu un peu de Sankirna-gati (subdivisions en neuf). La danseuse se sortait relativement bien dans ces chorégraphies techniques, mais c'était à mon avis loin d'être aussi brillant que chez d'autres danseuses... L'Abhinaya ne m'a pas particulièrement marqué : trois semaines après, je n'en ai aucun souvenir. Je suis parti à la fin du Varnam. Je comprends mal comment le jury a pu la classer première, mais le jury est souverain : bravo à la gagnante !
  • 2019-08-10, Akshaya Arunkumar (disciple de Shobana Bhalchandra) : Je n'y suis allé que pour que mon professeur de danse à Paris, qui était de passage à Chennai, puisse voir le style Dhananjayan dont le guru de la danseuse a été l'élève. À mon initiative, nous sommes partis après le Varnam (Raga Anandabhairavi, Adi Tala) composition du Thanjavur Quartette.

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Kalpana au Centre Mandapa

2019-06-22 14:11+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Centre Mandapa — 2019-04-11

Kalpana, bharatanatyam

Emmanuelle Martin, chant carnatique

Venkat Krishnan, mridangam

Offrande de fleurs et Shloka “Mūṣikavāhana” (Raga Natai, chorégraphie de Kalanidhi Narayanan)

Muruga Kautwam (Raga Shanmukhapriya, Chatushra Ekam Tala, chorégraphie de Muthuswamy Pillai)

Jatiswaram (Raga Vasanta, Rupaka Tala, composition du Thanjavur Quartette, chorégraphie de Muthuswamy Pillai)

Kalaitooki (Raga Harikamboji, Adi Tala, composition de Marimuttu Pillai, chorégraphie de Muthuswamy Pillai)

Kṛṣṇakarṇāmṛtam (Shloka) “Rāmo nāma babhūva” (Ragamalika, poème de Bilvamangala, chorégraphie de Kalanidhi Narayanan)

Kriti “Sukhi Evaro” (Raga Kanada, Adi Tala, composition de Tyagaraja)

Tillana (Raga Shankarabharanam, Adi Tala, composition de Pooci Srinivasan Iyengar, chorégraphie de Muthuswamy Pillai)

Annapūrṇāstotram (deux shlokas) (poèmes d'Adi Shankaracharya, chorégraphie de Kalanidhi Narayanan)

J'ai déjà eu plusieurs fois l'occasion de voir danser Kalpana (notamment en 2015, 2017). Je respecte son parcours auprès de ses gurus V. S. Muthuswamy Pillai et Kalanidhi Narayanan, et son travail de professeur qui lors de spectacles de ses élèves m'a permis de voir des chorégraphies de Muthuswamy Pillai et de son fils Kuttalam M. Selvam : j'avais déjà eu l'occasion de voir ce style chez Mallika Thalak, Nancy Boissel, Ofra Hoffman, mais ce fut un récital d'élèves de Kalpana qui en 2015 qui me fit franchir le pas et envisager sérieusement de recevoir l'enseignement de Guru Kuttalam M. Selvam à Chennai, auprès de qui je prends des cours plusieurs semaines par an depuis. Je lui suis donc reconnaissant pour cela ainsi que pour quelques unes de ses initiatives, comme par exemple une Master-class avec Malavika Klein, la doyenne des danseuses et danseurs de bharatanatyam en France, à laquelle j'ai eu le privilège de pouvoir participer.

Je voudrais rappeler que si je suis ici souvent critique sur certains aspects de récitals auxquels j'assiste, il ne s'agit aucunement d'attaques personnelles : je tente de rendre compte de mon expérience esthétique, qui relève de mon ressenti lors d'un spectacle tout en étant indissociable de connaissances progressivement acquises au fil des années sur la forme artistique. Ainsi, certaines de mes remarques sont plutôt objectives puisque l'on peut considérer qu'elles reposent sur des faits (est-ce que les pas de danse sont exécutés de façon musicale ?) et d'autres sont plus subjectives (place d'une pièce comme Eppadi manam dans le répertoire). Sur ce qui est de nature plutôt objective, il peut m'arriver de me tromper (et je revendique le fait d'écrire mes billets avec une clarté suffisante pour qu'il soit au moins possible de pointer une erreur factuelle), et sur ce qui est plus subjectif, il peut exister plusieurs opinions, et je serais ravi de discuter de tels différends esthétiques.

Ce double préambule ayant été fait, venons-en au récital du 11 avril. J'aurais sincèrement aimé apprécier ce récital, mais je n'ai pas pu le regarder sans éprouver un certain malaise.

La première double pièce du récital était accompagnée par la chanteuse Emmanuelle Martin pour qui j'ai la plus grande admiration. Cependant, j'ai peu goûté la première chorégraphie intitulée Offrande de fleurs qui m'a semblé très austère, quasiment funèbre, à l'exact opposé de l'atmosphère pleine de vie habituellement créée par un Pushpanjali. Cette offrande était accompagnée d'un Alap, donc sans pulsation rythmique régulière, et la chorégraphie consistait principalement en une salutation aux points cardinaux entrecoupée de longs moments d'immobilité. La danseuse a ensuite interprété le Shloka Mūṣikavāhana dédié à Ganesh, celui dont le véhicule est une souris.

Les trois pièces suivantes utilisaient des musiques enregistrées dans lesquelles on pouvait entendre le magnifique chanteur Madurai T. Sethuraman. Dans le Muruga Kautwam et encore plus particulièrement dans le Jatiswaram, j'ai été très gêné par le manque de musicalité dans l'interprétation des passages techniques. Pour moi, le bruit des pas fait partie intégrante de la composante musicale de la danse bharatanatyam, et il ne s'agit pas là de frapper tous les pas comme une brute. Au minimum, les mouvements doivent être exécutés en rythme, mais je pense qu'idéalement, on devrait pouvoir entendre la composition rythmique des enchaînements rien qu'en écoutant les pas. Le génie du chorégraphe Muthuswamy Pillai réside à mon avis autant dans sa façon particulière de créer des adavus et d'utiliser l'espace que dans la complexité de ses compositions rythmiques. Je ne peux apprécier ce dernier aspect quand les mouvements de pieds “diditai” sont escamotés ou à peine esquissés, et toujours inaudibles. La plupart du temps, les pas ne sont pas du tout frappés, et pour certains adavus, certains pas qui devraient être accentués sont silencieux et d'autres bizaremment plus frappés. Cela m'aurait peut-être moins perturbé si mon placement m'avait permis de voir les pieds de la danseuse à tout moment, mais cela m'a procuré une sensation vraiment très étrange de dissonance cognitive entre les motifs rythmiques que je percevais dans la musique enregistrée, les mouvements de bras que je voyais et les pas que j'entendais ou non. Pour moi, c'est une frustration énorme : le génie du chorégraphe n'est pas avec nous pendant la représentation. Cela dit, c'est un aspect du bharatanatyam qui pose problème avec beaucoup de praticiens de cette danse en France...

La pièce Kalaitooki a certainement été la pièce la mieux réussie dans ce début de ce récital. La pièce évoque Shiva, qui a le pied levé, lorsqu'il danse au temple de Chidambaram. Il est le père de Muruga. C'est aussi Ardhanarishwara ; il porte la Ganga et la Lune. Sa danse est accompagnée par le tambour de Nandi, Narada, les thalams de Brahma, etc. Le texte et la chorégraphie évoquent aussi l'apparition de Shiva sous la forme d'une colonne de lumière infinie dont Vishnu et Brahma furent mis au défi d'atteindre une extrémité. La chorégraphie représente Vishnu tentant de rejoindre le bas, mais semble-t-il pas la tentative de Brahma d'atteindre le haut.

J'avais déjà eu l'occasion de voir Kalpana danser la pièce suivante “Rāmo nāma babhūva” deux fois à la suite. Il était agréable ici d'entendre Emmanuelle Martin plutôt qu'une musique enregistrée : c'est ce qui m'a procuré le plus de plaisir dans ce récital. Néanmoins, l'accompagnement au mridangam par Venkat Krishnan m'a semblé assez étrange dans cette pièce, puisqu'à certains moments il a introduit une pulsation régulière alors que cela ne servait à mon avis ni le discours musical ni la chorégraphie. Le musicien, très bon rythmicien, a peu d'expérience avec la danse, et le rôle du mridangam dans un Shloka n'a rien à voir avec le rôle habituel d'un percussionniste lors d'un récital de chant, puisqu'il s'agit plus ou moins de créer des effets qui soulignent de façon relativement discrète certains points-clefs de la chorégraphie. L'interprétation de Kalpana m'a paru très convaincante dans ce poème dont la chorégraphie évoque l'histoire de Rama jusqu'à l'enlèvement de Sita. Il y a bien eu quelques maladresses, comme des transitions parfois un peu floues entre les différents chapitres. Aussi, alors que Yashoda raconte l'histoire de Rama à son fils adoptif, j'ai trouvé assez peu claire l'intervention du jeune Krishna qui semble tenter de venir au secours de Rama : je ne vois pas comment on est censé comprendre que c'est Krishna qui intervient. Pour le reste, la pièce m'a semblé très bien interprétée.

La récital s'est poursuivi par l'interprétation d'une composition de Tyagaraja par Emmanuelle Martin, s'enchaînant avec un solo élaboré de Venkat Krishnan au mridangam.

Jusqu'ici, en termes de pièces de danse accompagnées par de la musique interprétée en direct, le récital avait comporté deux Shlokas comme “Mūṣikavāhana” et “Rāmo nāma babhūva”. Les pièces de ce type ne nécessitent pas un travail énorme de mise en place dans la relation entre la danse et la musique : il s'agit surtout pour la chanteuse d'être attentive à préserver le flot de la danse sans le brusquer ni le ralentir. C'est une tâche tout autre de mettre en place une pièce combinant la danse et la musique dans un cadre rythmique précis comme dans un Thillana, ce qui a été le cas ici. Par rapport aux autres pièces de danse pure, Kalpana frappe souvent ses pas de façon beaucoup plus forte et plus nette. Néanmoins, dans les parties conclusives des enchaînements, là où le rythme est le plus intéressant, ses pas se font malheureusement beaucoup plus hésitants, et tombent parfois manifestement à côté. La composition qui est semble-t-il de Pooci Srinivasan Iyengar a un Pallavi qui commence par (nadr) dim dim tana dhirana..., avec les syllabes nadr qui sont prononcées en anacrouse (avant le premier temps). Le manque de clarté des phrases conclusives a fait que je n'ai pas réussi à savoir si l'intention était de finir les enchaînements juste avant le premier temps, ou bien juste avant l'anacrouse. La partie d'Abhinaya du Thillana dédiée à Padmanabha a été omise. À la place, des séquences accompagnées d'onomatopées rythmiques récitées ont été interprétées. Il est très dommage que le percussionniste n'ait pas été en mesure de jouer et réciter ces parties tout en regardant la danseuse : il avait constamment le nez dans ses notes. Bref, le travail de répétition n'a pas été optimal pour cette pièce ; si l'orchestre avait également comporté une personne jouant des thalams (nattuvangam artist), le résultat aurait sans doute été plus convaincant, parce que le rôle de cette personne est entre autres de faire le lien entre la danse et les autres musiciens...

Le récital s'est conclu par deux Shlokas dédiés à la Déesse extraits de l'Annapūrṇāstotram, semble-t-il “Nityānandakarī...” et “Urvī sarvajaneśvarī bhagavatī...” dont j'avais déjà eu le plaisir d'apprécier les interprétations de Shakuntala (en 2011 et à d'autres reprises entretemps).

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Mythili Zatakia au Centre Mandapa

2019-05-15 12:05+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Centre Mandapa — 2019-05-14

Mythili Zatakia, danse bharatanatyam

Sandhya Pureccha, chorégraphies

J'ai assisté au récital de bharatanatyam de Mythili Zatakia (24 ans) un peu par hasard. N'ayant aucune information particulière sur la danseuse, ce qui m'a décidé à venir est sans doute que son Guru Sandhya Pureccha est une disciple d'Acharya Parvati Kumar (1921-2012) de Mumbai qui fut aussi le premier guru de Sucheta Chapekar qui est le guru de mon professeur Jyotika Rao et avec qui j'ai eu la chance d'apprendre aussi directement à Pune. Acharya Parvati Kumar est notamment connu pour avoir réintroduit dans le répertoire du bharatanatyam des compositions en marathi attribuées au roi Serfoji II qui régna à Thanjavur de 1798 à 1832 et qui est contemporain des célèbres membres du Thanjavur Quartette dont les compositions constituent le socle du répertoire de la danse bharatanatyam.

J'allais assister à ce récital en me disant que peut-être Sandhya Pureccha aurait transmis à son élève des compositions extraites des Nirupanas attribués à ce roi Serfoji. Quand la danseuse s'est avancée pour faire son Namaskar, la salutation traditionnelle, j'ai apprécié la force de sa frappe, mais dès l'instant où la première musique enregistrée a retenti, j'ai été affligé par l'esthétique musicale sirupeuse, qui sera constante pendant tout le récital : harmonies saturées des synthétiseurs, kitchissime extrême des chants qui étaient semble-t-il en sanskrit pour la plupart, tendance à une bhajanisation de pacotille de textes d'inspiration dévotionnelle (Vakratunda..., Ekadanta..., Panchakshara stotra sur le mantra Om Namah Shivaya, etc.).

S'il y a de quoi être consterné par l'esthétique musicale de ce récital, je l'ai été encore davantage par l'absence complète d'idée chorégraphique en termes de danse pure. Certains passages expressifs ou narratifs, en particulier dans le Panchakshara stotra “Nagendra Haraya”, étaient tout à fait raisonnables. Pour le reste, je n'ai vu qu'une danseuse pratiquer quelques adavus (enchaînement de base) en première vitesse, sur des multiples de quatre temps. C'était d'un ennui total. Aucune des règles esthétiques que les maîtres de danse se doivent de respecter n'ont été appliquées... Les phrases chorégraphiques doivent suivre une certaine grammaire et comporter certaines ponctuations. Il n'y avait rien de tout cela : aucun polyrythme, aucune séquence conclusive (Tirmanam) digne de ce nom, des Tattu Muttu qui ne sont pas chorégraphiés de façon correcte par rapport à la musique, etc. Toutes les pièces étaient sur le même modèle. Malgré le caractère simpliste des chorégraphies et la faible vitesse d'exécution, la danseuse m'a semblé très peu musicale, de nombreuses frappes de pieds tombant très à côté. Néanmoins, il y avait quelques petits détails intéressants dans la façon d'exécuter certains adavus, comme par exemple une accentuation très particulière de la deuxième frappe dans les Ta-tai-tai-ta (aussi appelés Marditha ou encore Vishru adavus). Cependant, j'ai peu apprécié le port de tête très narcissique et hautain de la danseuse dans l'exécution de ses pas.

Il m'est souvent arrivé d'assister à des récitals de bharatanatyam et de ne pas être satisfait pour diverses raisons plus ou moins subjectives qui pourraient néanmoins faire l'objet d'un débat esthétique, mais jamais je n'ai été à ce point consterné par une telle absence d'idée chorégraphique. La personne qui a mis en espace ce spectacle n'est pas un chorégraphe de bharatanatyam. Il a été annoncé que les chorégraphies avaient été faites par Sandhya Pureccha avec la participation de la danseuse. Si c'est le cas, cela disqualifie complètement ce guru à mes yeux, et la danseuse n'est alors pas vraiment responsable de ces choix esthétiques. Si les chorégraphies sont principalement dues à la danseuse, il faudrait qu'elle prenne conseil auprès de personnes qualifiées... (Après avoir posé la question à la danseuse, celle-ci prend l'entière responsabilité de ces chorégraphies.)

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Chennai, Jour 15/16 : Medha Hari, Rama Vaidyanathan

2019-01-09 09:22+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII

Music Academy, T.T.K. Auditorium, Chennai — 2019-01-05 à 10:00

Medha Hari, danse bharatanatyam

Jayashree Ramanathan, nattuvangam

K. Hariprasad, chant

Ramshankar Babu, mridangam

Easwar Ramakrishnan, violon

J. B. Sruthi Sagar, flûte

Ardanari Stotram (Ragamalika, Adi Tala), mis en musique par K. Hariprasad

Varnam “Intha Kopamelara” (Raga Thodi, Adi Tala), composition de Pandanallur Meenakshisundaram Pillai

Kirtanam “Eppaddi Manam Thunindhadho” (Raga Huseini, Mishra Chapu), composition d'Arunachala Kavirayar

Javali “Merakadu Lechi ra ra” (Raga Thodi, Adi Tala)

Thillana (Raga Purvi, Rupaka Tala), composition de T. Vaidyanatha Bhagavathar

La danseuse Medha Hari a pour l'essentiel présenté des pièces de compétition. Le but semble être de faire un maximum de pas en un minimum de temps. C'est assez impressionnant, mais cela me laisse de marbre. Il me semble que dans le première pièce sur Ardhanarishwara qui s'enchaînait à un Pushpanjali, la danseuse a utilisé une alternance entre Chatushra- et Khanda-nadai Adi Tala. Dans certains mouvements et positions de la danseuse, disciple d'Anita Guha, il me semble reconnaître une influence du kuchipudi.

Dans le Varnam, ce sont aussi des jatis de compétition, commis par le percussionniste. Il y a beaucoup trop de changements de “nadai”. Malgré la présence de la géniale Jayashree Ramanathan au nattuvangam, je n'ai pas réussi à apprécier ces jatis. Dans le Varnam en télugu, je n'ai pas réussi à comprendre qui était l'objet de l'amour de l'héroïne. Il est semble-t-il nommé dans l'Anupallavi : Ṣaṇmukharājeśvara. Il ne s'agissait pourtant pas de Muruga (qui a six têtes). J'ai été rassuré quand la personne qui a enseigné le sens du texte à la danseuse (Jitendra Hirschfeld) m'a expliqué qu'il s'agissait d'un zamindar qui avait commandé ce Varnam au Nattuvanar Pandanallur Meenakshisundaram Pillai pour un spectacle de musique de chambre. J'ai davantage apprécié la deuxième partie du Varnam dans laquelle la danseuse a inséré entre chaque Swaram/Sahitya non pas seulement une ou deux répétitions de la ligne de Caranam pour faire des marches lui permettant de se replacer, mais un nombre plus important de répétitions qui lui donnaient le temps d'élaborer de différentes manières autout des flèches florales lancées par Kamadeva. À chaque fois, c'était une délicieuse respiration avant d'attaquer la section suivante.

La danseuse a ensuite interprété le Padam “(Y)eppaddi manam...” transmis par Bragha Bessell et typique de la tradition de Kalanidhi Narayanan (j'ai vu au moins deux autres de ses disciples l'interpréter : Lavanya Ananth, Kalpana Métayer). Je persiste dans mes réticences à propos de cette pièce dans laquelle Sita reproche à Rama de l'abandonner pour accomplir son exil en forêt. La danseuse l'a montrée en train de pleurer toutes les larmes de son corps. Elle montre aussi Sita en train de rappeler à Rama le serment fait pendant leur mariage. À part les pleurs vraiment excessifs, la danseuse a me semble-t-il bien interprété la chorégraphie en accord avec l'intention du poète, mais pour moi, cette vision est une fiction, puisque la Sita du Ramayana de Valmiki (ou de Tulsidas) est beaucoup plus forte : elle dit immédiatement à Rama qu'elle va le suivre dans la forêt et il n'a pas son mot à dire, ce sera ainsi et puis c'est tout. Il s'agit d'un des rares moments du Ramayana où véritablement Sita exerce sa volonté de façon autonome, je trouve dommage de l'effacer quasi-complètement. Dans la chorégraphie, Sita supplie pour ainsi dire Rama d'accepter qu'elle le suive. Elle retire ses bijoux, salue les aînés et s'en va avec Rama.

La ligne de Pallavi du Thillana conclusif utilise des Swaras au lieu d'onomatopées. L'interprétation musicale et la chorégraphie peut peut-être s'analyser comme une sorte de rubato : le rythme de certaines répétitions est modifié, quelque passage de la phrase étant ralenti et d'autres accélérés. Dans le Caranam, les noms des sept notes de la gamme sont chantés. La danseuse se montre alors très convaincante dans la représentation des dieux et animaux associés à ces notes.

Music Academy, T.T.K. Auditorium, Chennai — 2019-01-05 à 18:00

Rama Vaidyanathan, danse bharatanatyam

S. Vasudevan, nattuvangam

K. Venkateshwaran, chant

Sumod Sreedharan, mridangam

Viju Sivanand, violon

Kirtana “Perum Kovil Konda” (Raga Sri, Mishra Chapu Tala), composition du Thanjavur Quartette

Kirtana “Pannagendra Sayanam” (Ashtaragamalika, Rupaka Tala), composition de Swati Thirunal

Padam “Emakko Chiguruta Dharampal” (Raga Thilang, Mishra Chapu Tala), composition d'Annamacharya

Javali “Ne nethu sahichu ne” (Raga Paras, Adi Tala), composition de Pattabhiramayya

Shloka “Vāgarthāviva saṃpṛktau vāgarthapratipattaye । jagataḥ pitarau vande pārvatīparameśvarau ॥” (Kalidasa) suivi de l'Ardhanarishwara Ashtakam (Adi Shankaracharya, mis en musique par O.S. Arun en Raga Megh et Adi Tala)

En soirée, je suis retourné à la Music Academy pour le rétical de Rama Vaidyanathan, que j'avais déjà vue il y a cinq ans. La voir en 2013 avait été pour moi une expérience très intense. Cinq ans plus tard, j'ai beaucoup évolué en tant que spectateur. Il est évident que Rama-akka a présence scénique hors du commun, et sa technique de danse pure est assez superlative (par exemple, quel araimandi !). Elle fait un certain nombre de choses qui pour des raisons esthétiques évidentes devraient être considérées comme excessives en termes de répétition ou dans l'intensité des mouvements ; et pourtant, cela fonctionne, et uniquement parce que c'est Rama Vaidyanathan.

La première pièce doit être une de ses chorégraphies récentes. Elle présente quelques points communs avec la première pièce qu'elle avait dansée il y a cinq ans. Sur des onomatopées très simples comme Tom-tatom-takita, elle décrit la géométrie très carrée de l'enceinte du temple de Brhadishwara à Thanjavur. Puis, alors que la composition musicale du Thanjavur se faire entendre, la description du temple se poursuit, avec toutes les références artistiques qu'il peut comporter et qui procurent l'émerveillement du personnage féminin. L'interprète s'incarne en danseuse qui effectue une prière pour bénir ses grelots. Elle admire les sculptures sur les piliers, celle de Nandi. En prenant l'atmosphère musicale du temple pour inspiration, elle souhaite aussi acquérir des connaissances musicales lui permettant de maîtriser le rythme et la mélodie : le chanteur (magnifique) chante alors un Swaram ou un Thanam. Si la technique de la danseuse est impressionnante, les passages rythmiques sont un véritable supplice pour moi, parce qu'il y avait vraiment trop de “dissonance rythmique” entre le cycle rythmique Mishra Chapu utilisé par la composition mélodie et la rythmique des pas de danse composée par Dr. Sridhar Vasudevan. Je me suis d'abord demandé s'il y avait une intension de faire quelque chose de rythmiquement affreux et qui deviendrait esthétique à la fin de la pièce, l'héroïne devenant réellement inspirée par le temple, mais le rythme est resté discordant jusqu'à la fin.

J'ai beaucoup aimé la pièce suivante, qui a été la pièce principale du récital : “Pannagendra Sayanam”. Cette pièce fait partie du répertoire de Rama Vaidyanathan depuis un certain temps déjà (j'ai d'ailleurs déjà vu Nehha Bhatnagar la danser en 2015). Il s'agit d'une composition de Swati Tirunal (dont on peut lire une traduction). Les huit parties sont séparées par un Jati ou des Swarams dont j'ai apprécié la construction rythmique relativement musicale (si l'on excepte les pas très off-beat exécutés au début de chacun d'entre eux) : certaines séquences conclusives avaient une construction traditionnelle et une régularité telles que je pouvais anticiper la structure des phrases chorégraphiques et donc apprécier encore davantage leur réalisation. L'héroïne fait l'éloge de Padmanabha et hésite entre l'amour et la dévotion. Parmi les très beaux moments, je retiendrais l'idée chorégraphique utilisée pour suggérer la comparaison entre la beauté de Vishnu et celle de Kama : en faisant face au public dans une position typique de Vishnu (mains en Tripataka), elle fait un lent demi-tour (à moins que ce ne soit un tour complet) et se métamorphose en Kama, puis rembobine le film à l'envers pour redevenir Vishnu. Il s'agit d'un des quelques trésors d'idées chorégraphiques intéressantes que j'ai remarquées dans ce récital.

J'ai trouvé intéressante la pièce suivante. Dans ce Padam “Emakko Chiguruta...”, un groupe de femmes médisent à propos d'une autre. Il y a peut-être une ambiguité sur le sens précis du texte. Le leitmotiv chorégraphique de la pièce consiste à représenter une de ces femmes écrire ostensiblement une lettre en regardant la coupable. Celle-ci a-t-elle écrit une lettre d'amour ? La chorégraphie suggère astucieusement que sa relation charnelle laisse sur elle des traces, comme si une lettre d'amour était écrite sur son propre corps. Les traces de poudre rouge sur son corps suggèrent qu'elle a pris entre ses bras la statue de l'Être aimé. Ou bien la statue était-elle en hauteur et de la poudre est retombée sur elle alors qu'elle essayait de l'atteindre pour lui appliquer la poudre. La rougeur de ses yeux est expliquée par l'action de déraciner ses yeux qu'elle avait plantée sur Lui. La comparaison poétique est magnifiquement faite avec l'action de planter un arbre, puis de le déraciner en le faisant trembler, ce qui tend à en faire tomber les juteux fruits.

Dans le Javali “Ne nethu sahichu ne”, la danseuse représente une héroïne trahie par son amoureux. Son sentiment de jalousie est insurmontable. La rupture semble définitive.

La danseuse a magnifiquement conclu son récital avec une de ses pièces à succès : Ardhanarishwara. L'Ashtakam d'Adi Shankaracharya est précédé d'un Shloka de Kalidasa sur l'union entre Shiva et Parvati. Une séquence de danse pure est insérée dans laquelle la danseuse utilise alternativement uniquement sa main droite pour représenter Shiva sur un accompagnement rythmique d'onomatopées ou uniquement sa main gauche pour représenter Parvati avec un Swaram comme accompagnement mélodique. Sur chaque des lignes du poème, le contraste est très bien mis en valeur entre Shiva et Parvati.

Dans ce récital, j'ai particulièrement aimé les pièces “Pannagendra Sayanam” et “Ardhanarishwara”, qui ne sont pas des chorégraphies récentes de Rama Vaidyanathan. C'est évidemment une très grande artiste, mais j'aurais aimé que les chorégraphies élababorent davantage autour des émotions de personnages humains, ce qui pour moi la condition pour être véritablement touché par cette danse.

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Chennai, Jour 14/16 : Meera Sreenarayanan, Bilwa Rajan, A. Lakshmanaswamy, Methil Devika

2019-01-05 08:58+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII

Music Academy, T.T.K. Auditorium, Chennai — 2019-01-04 à 10:00

Meera Sreenarayanan, danse bharatanatyam

Indira Kadambi, nattuvangam

Bijeesh Krishna, chant

Charudutt, mridangam

Easwar Ramakrishnan, violon

Sujith Naik, flûte

Jitendra Hirschfeld, conseiller artistique pour “Dānikē”

Shloka (d'Adi Shankara) & Narasimha Kavuttuam (Khanda Chapu)

Padavarnam “Dānikē...” (Raga Todi, Rupaka Tala), composition de Sivanandam (Thanjavur Quartette), chorégraphie de la danseuse

Padam “Choodare” (Mishra Chapu Tala, Raha Sahana), composition du Kshetrayya, chorégraphie de Kalanidhi Narayanan

Ashtapadi “Yahi Madhava” (Adi Tala, Ragamalika), chorégraphie d'Indira Kadambi

Thillana (Raga Tillang, Adi Tala), composition de Lalgudi Jayaraman, chorégraphie de Smt. Narmada

Les matinées du festival de la Music Academy sont réservées aux interprètes de la jeune génération. La première à se lancer a été Meera Sreenarayanan, qui avait obtenu le prix Spirit of Youth 2015 ex-aequo avec Sudharma Vaithiyanathan. Après un Shloka et un Kavuttuam consacré à Narasimha dans lequel la danseuse a pour ainsi dire tout le temps gardé les yeux grand ouverts, on est entré dans le vif du sujet...

Dans mon billet précédent à propos du Varnam en Anandabhairavi dansé par Shweta Prachande hier, j'avais mentionné que l'objet du désir de l'héroïne pouvait être un roi et non pas un dieu. C'est ce qui a été très explicitement fait dans l'interprétation de ce Varnam.

Ce Varnam “Dānikē...” a été créé par la danseuse courtisane Mannargudi Meenakshi à la cour du roi marathe Sivaji II de Thanjavur (qui régna entre 1832 et 1855). La grande salle de la Music Academy remplace en quelque sorte la cour du roi Sivaji II et la danseuse Meera Sreenarayanan joue en quelque sorte le rôle de Mannargudi Meenakshi qui jouait plus ou moins son propre rôle en intercédant auprès du roi pour le convaincre de l'amour d'une autre femme. (Note ajoutée le 2019-02-10 suite à un échange avec Nrithya Pillai : les experts ne sont pas tous d'accord sur le fait que la créatrice du Varnam soit Mannargudi Meenakshi. Ceci importe néanmoins peu pour la lecture du reste de ce billet.)

La chorégraphie de ce Varnam tente de reconstruire l'atmosphère détendue qui pouvait régner dans ces récitals de cour. La danseuse gardera pendant toute la pièce une attitude extrêmement séductrice envers le roi (qui n'est autre le public de 2019). Néanmoins elle obéit à l'étiquette de la cour. Ainsi, la danse a commencé par un Salaam. Les interactions de la danseuse avec les musiciens sont très convaincantes, puisque même quand elle semble leur donner des ordres (en indiquant le tempo qu'elle souhaite), on a vraiment l'impression qu'elle est aux commandes. (J'ignore quelle part de liberté la danseuse s'est gardée pour improviser dans certains passages, en particulier, les Arudis étaient absolument délicieuses en termes d'interactions entre la danseuse et les musiciens, comme si ces derniers découvraient en direct son intention.) Dans le Pallavi, Meera/Mannargudi essaye de convaincre le roi de rejoindre l'autre femme, qui cherche à s'unir à lui ; on retrouve l'imagerie habituelle avec des fleurs et des abeilles, mais c'est beaucoup plus intense ici. Dans l'Anupallavi, le roi est décrit comme dévot de Shiva. Un certain nombre de rituel shivaïtes sont exécutés et on reconnaît l'apparition du roi, qui en bon guerrier, vient semble-t-il faire bénir son épée. Et au cours de cette cérémonie, son regard semble attiré par une femme... Il est suggéré que le roi est aussi une adorateur des arts, qui récompense les artistes qui lui plaisent : à un moment donné de la chorégraphie, c'est tout comme si le public avait offert une bague très précieuse à Meera Sreenarayanan. Le sentiment amoureux se développe encore davantage dans la deuxième partie du Varnam.

Cette pièce était un véritable délice en matière d'Abhinaya. La danse pure m'a moins convaincu. Une des raisons est que c'est la danseuse elle-même qui a composé et chorégraphié les jatis. J'ai beaucoup aimé le premier, mais les autres ne m'ont pas semblé très musicaux (beaucoup d'allers-retours en Tishra-nadai et de longs intervalles de silences) ; suivre le tala me semblait quasiment impossible. La danseuse a une très grande netteté dans ses marches rapides debout qui m'ont semblé de nature à impressionner le roi. En araimandi, il y a moins de contraste entre les frappes de pieds : on n'entend pas vraiment la musique de ses pas. Je n'ai pas non plus aimé le style de récitation d'Indira Kadambi dont la voix n'était de toute façon pas suffisamment amplifiée.

L'impression générale est d'avoir assisté à une grande matinée. La standing ovation qu'a reçu la danseuse à la fin du spectacle suggère que le public est peut-être prêt à accepter ce type de danse qui met l'accent sur la séduction et le sentiment amoureux. Espérons que cette danseuse continuera et donnera à d'autres l'idée d'explorer cette magnifique tradition des danseuses de cour (qui connaissaient la musique, la poésie, les langues, la danse...). Si j'avais déjà eu l'occasion d'avoir un aperçu sur cette tradition lors de la journée Temple, Court, Salon, Stage. Crafting Dance Repertoire in South India à Paris en 2015, je suis très heureux d'avoir vu ce Varnam. Pour monter cette pièce, la danseuse a été aidée par Jitendra Hirschfeld avec qui j'ai souvent eu l'occasion de discuter de la danse et de son histoire. Je suis très content du succès de cette performance. Pour en savoir plus sur “Dānikē...”, lisez son blog, et en particulier A Love Affair with Dānikē.

Le récital s'est poursuivi avec un magnifique Padam de Kshetrayya. La danseuse n'a souvent eu besoin que de ses yeux pour exprimer les paroles déplaisantes qu'un groupe de femmes échangent au détriment d'une autre femme qui aurait perdu tout sens de la respectabilité en tombant amoureuse de Krishna.

J'ai joyeusement détesté l'interprétation de la danseuse dans l'Ashtapadi “Yahi Madhava”. Tout m'a semblé terriblement surjoué...

Si la chorégraphie des séquences de danse pure m'a semblé manquer de musicalité dans le Varnam, je me suis réconcilié sur ce point avec la danseuse dans le Thillana qui a été chorégraphié par Smt. Narmada, guru d'Indira Kadambi.

Music Academy, T.T.K. Auditorium, Chennai — 2019-01-04 à 11:30

Bilva Raman, danse bharatanatyam

KP Rakesh, nattuvangam

Vedakrishnaram, mridangam

G. Srikanth, chant

Easwar Ramakrishnan, violon

J. B. Sruthi Sagar, flûte

Alarippu (Tishra Ekam Tala)

Swarajati (Rupaka Tala, Raga Huseini), composition de Merattur Venkatarama Shastri

Viruttam (Ragamalika), chorégraphie de Bragha Bessell

Javali “Marubari” (Raga Kamas, Adi Talam), chorégraphie de Bragha Bessell

Tillana (Raga Dhanashri, Adi Tala, composition de Swati Tirunal et Lalgudi Jayaraman), chorégraphie de Leela Samson

Après un petit café à la cantine de la Music Academy, le spectacle suivant était donné par une disciple de Leela Samson, Bilwa Raman, dont la silhouette longiligne portait un costume rose et vert fluo de très kalakshetrienne facture. Elle a commencé son récital par l'Alarippu traditionnel en trois temps, très bien exécuté. Dans la pièce principale (Swarajati en Huseini), j'ai pris beaucoup de plaisir à écouter les musiciens, en particulier le chanteur G. Srikanth que je n'avais pas entendu depuis longtemps. Pour le reste, c'est de la danse typiquement Kalakshetra, complètement fossilisée, mais néanmoins très bien exécutée. (Le thème du Trikala-jati était Ta - jam - - - ta ka jam - - - ta ka di mi ta kun da ri ki ta ta ka.)

La pièce suivante dans laquelle une mère montrait semble-t-il sa dévotion à la Déesse m'a semblé d'un ennui total. Dans le Javali “Marubari”, la danseuse a montré plus d'émotions que ne le font d'habitude les danseurs Kalakshetra, mais le sentiment amoureux n'était pas assez présent à mon goût. La danseuse a conclu son récital avec le classiquissime Thillana en Dhanashri. La danse pure en était assez agréable, mais les gestes manquaient de finition dans le Caranam, en particulier quand la danseuse représentait Padmanabha.

Music Academy, T.T.K. Auditorium, Chennai — 2019-01-04 à 18:00

A. Lakshmanaswamy, danse bharatanatyam

Sudharma Vaithiyanathan, nattuvangam

K. Hariprasad, chant

Nellai D. Kannan, mridangam

Easwar Ramakrishnan, violon

T. Sashidhar, flûte

Jatiswaram (Ragamalika, Mishra Chapu Tala), composition du Thanjavur Quartette

Varnam “Intha Chala Melane” (Adi Tala, Raga Nalinakanthi), composition de Meera Seshadri

Yaro Ivar Yaro (Raga Bhairavi, Adi Tala), composition d'Arunachala Kavi Iyer

Ashtapadi “Kuru Yadu Nandana” (Raga Behag, Mishra Chapu Tala, poème de Jayadeva mis en musique par K. Hariprasad)

Thillana (Raga Mandari, Adi Tala), composition du Thanjavur Quartette

J'ai adoré ce récital de A. Lakshmanaswamy. Il a magnifiquement bien interprété une chorégraphie très traditionnelle du Jatiswaram en Mishra Chapu et Ragamalika du Thanjavur Quartette. Dans cette chorégraphie très musicale, sa danse pure semble magnifique. Les adavus très classiques sont magnifiquement ornementés. Il y à la fois une netteté dans les mouvements de mains et une délicate douceur dans le regard et les petits mouvements latéraux de la tête. (Au mridangam, Nellai D. Kannan a eu un jeu beaucoup plus extraverti que lors du récital de Sudharma dans lequel il avait été sublimement introspectif. L'accompagnement qu'il a fait ce soir me semble moins correspondre à l'esthétique de la danse.)

La pièce principale du récital a été un Varnam dans lequel ce n'est pas une héroïne qui cherche à s'unir à un homme (que ce soit un dieu ou un roi...), mais c'est un homme (Shiva lui-même) qui cherche à reconquérir Parvati qui s'est détournée de lui. C'est donc le sakha (ami de Shiva) qui va servir d'intermédiaire avec Parvati. Mais celle-ci reste indifférente. Il avait été annoncé que Shiva serait représenté dans sa forme résidant au temple de Mylapore (Kapalishvarar). La légende locale est connue de tous les spectateurs (y compris moi), donc je me suis délecté du magnifique Sanchari de l'Anupallavi dans lequel pour justement s'être détournée de Shiva en regardant des paons, Parvati reçoit une malédiction : elle est transformée en paonne. J'ai aussi beaucoup aimé le dernier Ettugada Sahitya qui raconte l'épisode dans lequel Ravana tente de casser l'arc de Shiva pour pouvoir épouser Sita. Comme elle est effrayée à l'idée de l'épouser s'il réussit l'épreuve, Shiva semble la rassurer en lui faisant comprendre que Ravana ne peut pas réussir. Plutôt que de la jouer en mode comique en tournant le moustachu Ravana en ridicule, le danseur a mis l'accent sur l'interaction en pensée entre Sita et Shiva. (Cette épisode qui est souvent représenté dans la danse n'est en fait pas dans le Ramayana, mais cette épisode a été intégré dans la tradition ultérieure.)

Il est à noter que dans le Varnam, les jatis étaient de Muthuswamy Pillai. J'ai particulièrement aimé le Trikala avec quatre vitesses (y compris une vitesse en Tishra-nadai), sur le thème Ta - dit - ta ka na ka jum - dit - ta ka na ka jum - ta ka na ka jum - ta kun da ri ki ta ta ka .

Les deux pièces de pur Abhinaya qui ont suivi ont été d'une beauté rare. Sans utiliser le moindre artifice, en toute simplicité, il a donné vie à ses personnages. Dans Yaro Ivar Yaro, le poète imagine le premier regard échangé entre Rama et Sita, dans un épisode qui n'est au passage ni dans le Ramayana ni dans le Ramcaritmanas. La balle lancée par Sita ou une de ses amies tombe d'une plate-forme et s'arrête près de Rama, qui relève la tête et tombe immédiatement amoureux de Sita. Le danseur a véritablement su créer une atmosphère dans laquelle plus rien ne semble exister si ce n'est ses personnages, et plus particulièrement Rama.

Le vrai point culminant du récital a en fait été Ashtapadi “Kuru Yadu Nandana” (déjà magnifiquement interprété par Neena Prasad il y a quelques jours de cela). Il l'a dansé en étant assis (ou avec au moins un genou à terre) pendant toute la pièce. Magnifique interprétation !

Le récital s'est conclu par un délicieux Thillana en Raga Mandari du Thanjavur Quartette.

Music Academy, T.T.K. Auditorium, Chennai — 2019-01-04 à 19:45

Methil Devika, mohiniattam

Gayatri, nattuvangam

Jamaneesh Bhagavatar Kottayam, chant

Kallekulangara Unnikrishnan, mridangam

Surya Narayanan, flûte

Baiju Rajeeth, vina

Sajith Pappan, edakka

Cholkettu “Tam Tam Tat Tomga” (Raga Anandabhairavi, Adi Tala), composition de Surya Narayanan

Desi Padam “Ullili Unnikkoru” (Ragamalika, Talamalika), composition de Kavalam Shrikumar

Après un aussi magnifique récital de bharatanatyam, j'ai hésité à rester pour le récital de mohiniattam de Methil Devika. Par rapport aux merveilleux Thomas Vo Van Tao et Neena Prasad vus précédemment dans ce style, toute la danse de Dr. Methil Devika m'a paru anecdotique. Sa danse pure n'a pas la suprême élégance habituelle du style mohiniattam et sa technique d'Abhinaya m'a semblée manquer de subtilité. Je m'en sentais presque mal physiquement, et je me suis enfui le plus discrètement que j'ai pu entre deux pièces.

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Chennai, Jour 13/16 : Padma Srirangan, Samyuktha R., Shweta Prachande

2019-01-04 07:56+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII

The indian fine arts society, Ethiraja Kalyana Nilayam, Chennai — 2019-01-03 à 09:00

Smt. Padma Srirangan, danse bharatanatyam

R. Vijay Madhavan, nattuvangam

Murali Parthasarathy, chant

N. Sriram, mridangam

Ganesan, violon

Mallari (Raga Gambhira Nattai, Rupaka Tala)

Varnam “Manavi...” (Raga Shankarabharanam, Adi Tala)

Padam (Rupaka Tala)

Tillana (Adi Tala)

La indian fine arts society présente de jeunes interprètes en matinée. Il s'agit aussi d'un concours, le jury de trois personnes étant placé sur trois chaises séparées des autres au premier rang. Je suis venu ce jour-ci puisque je connais un tout petit peu le guru, Vijay Madhavan, qui développe sa propre méthode de notation de la danse bharatanatyam (Natyagraphy). Dans la danse de sa disciple, je reconnais certains aspects caractéristiques du style de Chitra Visweswaran et je reconnais même certains phrases chorégraphiques que j'ai apprises avec Arupa Lahiry lors de mon dernier séjour à Delhi. Parmi les adavus typiques, je reconnais le Salute adavu (dans la série des Ta-tai-ta-ha).La danseuse est extrêmement souriante (peut-être un peu trop), mais il y a un certain manque de netteté, en particulier dans les mouvements du haut du corps. (Il est possible qu'avec le temps le style de Chitra Visweswaran ait évolué vers une géométrie plus stricte du corps : comme il est un de ses plus anciens disciples, le style qu'il enseigne ne correspond peut-être plus avec le style de Chitra-akka telle qu'il est représenté par les membres actuels de la Chidambaram Dance Company.) J'apprécie néanmoins le style de récitation de Vijay Madhavan (qui cependant ne regarde pas la danseuse pendant les jatis...). Le premier jati du Varnam était très étonnant parce qu'il y avait très très peu de syllabes et donc de longs silences entre chacune d'entre d'elles. L'Abhinaya de Padma Srirangan m'a paru relativement bien habité dans le Varnam dédié à Shiva. Elle m'a semblé très convaincante dans son premier Sanchari dans lequel en bougeant l'index de la main en Tāmracūḍa, l'héroïne nourissait un oiseau qui pourrait lui servir de messager.

The indian fine arts society, Ethiraja Kalyana Nilayam, Chennai — 2019-01-03 à 10:10

Samyuktha R., danse bharatanatyam

Priya Karthikeyan, nattuvangam

Pushpanjali (Adi Tala, Raga Arabhi), composition de Dr. M. Balamuralikrishna

Varnam “Innam en manam” (Raga Charukeshi, Adi Tala, composition de Lalgudi Jayaraman)

Padam (Raga Bihag, Adi Tala)

Thillana (Raga Khamas, Adi Tala), composition de Patnam Subramanya Iyer

Mangalam

Juste après, j'ai assisté au récital d'une danseuse encore plus jeune et très athlétique. Elle est capable d'une très grande vitesse, mais sa technique de pieds est vraiment défectueuse : beaucoup de pas sont à peine esquissés, elle fléchit beaucoup trop les genoux quand elle fait des marches ; c'est un véritable massacre technique quand elle exécute les marches à reculons en préparation des passages techniques du Varnam. Dans les jatis, elle semble retenir sa respiration. Je n'aime ni les chorégraphies techniques ni le style de récitation de Priya Karthikeyan. L'Abhinaya est très scolaire : c'est particulièrement flagrant quand la danseuse prend des poses. C'était néanmoins un vrai plaisir pour moi d'entendre le Varnam en Raga Charukeshi composé par Lalgudi Jayaraman. (Du coup, comme le Pallavi et l'Anupallavi sont présentés chacun en entier plutôt que découpés en deux comme dans la plupart des autres Padavarnams, la chorégraphie contenait une double ration de Jatis : à peine le premier était terminé qu'elle enchaînait le deuxième après un ou deux cycles d'une transition quelque peu incongrue.)

Kartik fine arts, Bharatiya Vidya Bhavan, Chennai — 2019-01-03 à 16:30

Shweta Prachande, danse bharatanatyam

KP Rakesh, nattuvangam

Sakthivel Murugananthan Subramaniam, mridangam

Preeti Mahesh, chant

M. Srikamani, violon

“Om Sharavanabhava” (Raga Shanmukhapriya, Adi Tala), composition de Ghatam Dr. S. Karthick

Varnam “Sakiye Inda Velaiyil...” (Raga Anandabhairavi, Adi Tala), composition du Thanjavur Quartette

Ashtapadi #19 “Priye Cāruśīle” (Raga Mukhari, Khanda Chapu Tala)

Thillana (Adi Tala, Raga Behag), composition de Dr. M. Balamuralikrishna

Kirtana “Ksheerabdi Kanyakaku Sree Maha Lakshmikini” (Raga Kurinji, Khanda Chapu Tala), composition d'Annamacharya (?)

Dans l'après-midi, j'ai assisté à un très beau récital de Shweta Prachande, que j'avais déjà vue il y a cinq ans (et il y a quelques jours pour une lec-dem).

La première pièce est une composition du percussionniste Ghatam Dr. S. Karthick qui était présent pendant la performance de cette pièce. Dédiée à Muruga, elle alterne chant et passages poétiques récités. La pièce est extrêmement complexe d'un point de vue rythmique (on entend et on voit en particulier beaucoup de pas basés sur le nombre 5). Le texte fait entendre un certain nombre de noms de Muruga, comme Guha ou Kartikeya.

La pièce principale, qui est aussi celle qui m'a procuré le plus grand plaisir a été le Varnam traditionnel “Sakiye Inda Velaiyil...” en Raga Anandabhairavi composé par le Thanjavur Quartette. La chorégraphie est aussi très traditionnelle, puisqu'elle est due à A. Lakshmanaswamy (avec qui travaillait autrefois Priyadarshini Govind, guru de Shweta Prachande). Dans sa danse technique, la danseuse a appliqué les principes dont elle avait fait la démonstration avec Apoova Jayaramana lors de leur lec-dem à la Natya Kala Conference. La chorégraphie de A. Lakshmanaswamy étant fixée, il est néanmoins possible de l'interpréter d'une façon personnelle : un même adavu peut être exécuté avec différentes intentions. Il est possible d'utiliser plus ou moins l'espace, de faire des mouvements staccato ou au contraire avec un phrasé très étendu (comme dans le troisième Jati). Le premier Jati (Trikala) est une variation sur un Tirmanam traditionnel de la Vazhuvoor bani dont le thème est Kun - ta ri ta - - - ku kun ta ri tai - - - ku kun ta ta kun ta ta ka ta kun ta ri ki ta ta ka. La première vitesse a été magnifiquement bien exécutée, avec un sens esthétique certain combinant force et douceur. Dans la composition rythmique de ce Tirmanam, la fin a été légèrement modifiée pour que le Tirmanam se conclue avant que le texte de la première ligne du Pallavi ne démarre. (Dans cette version, le texte reprend sur le et entre le deuxième et le troisième temps.) Dans le deuxième Jati, j'ai aimé une séquence de Khudita Metti Adavus dans lesquels la danseuse explorait les différentes directions de l'espace. Dans les Tattu Muttu, je reconnais les motifs rythmiques qu'utilisent Chitra Visweswaran et A. Lakshmanaswamy (une série de takadimi, puis une série de takadimi off-beat).

Dans ce Varnam chorégraphié par A. Lakshmanaswamy, j'ai retrouvé la même qualité dans la construction du discours chorégraphique que dans le récital de Sudharma Vaidyanathan qui est sa disciple. Il serait vain de chercher à résumer ce discours. Je retiens particulièrement les Sancharis des deux lignes de l'Anupallavi. Dans la première ligne, la danseuse décrit une magnifique ville (qui n'est semble-t-il pas nommée explicitement) où se trouve un temple et où la divinité est portée en procession. La danseuse a montré de façon assez spectaculaire les roues du chariot et s'est montré très convaincante en montrant les hommes qui tirent sur les cordes pour le mettre ne mouvement. Dans la deuxième de l'Anupallavi, le texte évoque la conque et le disque de Rajagopalan (Vishnu) devant lequel l'héroïne s'émerveille. De façon très pertinente, la danseuse développe un Sanchari relatant un épisode dans lequel Vishnu utilise ce disque. Il s'agit de l'histoire de de l'éléphant Gajendra attaqué pendant son bain par un crocodile. J'ai déjà vu des danseurs développer le bain de l'éléphant et l'attaque du crocodile dans des productions déraisonnables, le rôle protecteur de Vishnu devenant anecdotique. L'interprétation de Shweta Prachande m'a semblé très pertinente, efficace et émouvante puisque l'élément important en a été l'intervention de Vishnu. Après avoir montré de façon relativement brève l'attaque du crocodile, elle a représenté Vishnu qui entend l'appel à l'aide de Gajendra, et qui intervient pour le sauver. Grâce à son expression faciale, j'ai beaucoup apprécié la sérénité intérieure qui se dégageait dans sa représentation de Vishnu. La danseuse a représenté de façon intéressante le nom Rajagopalan en montrant un gardien de troupeau de la main gauche et en représentant une couronne avec la main droite. (Ceci me rappelle que lors d'une conférence à Paris, Tiziana Leucci avait expliqué que le nom de Rajagopalan était à double sens, puisqu'à l'époque de la composition de ce Varnam, ce nom pouvait désigner soit Krishna (Vishnu) soit le roi de Mysore ?). Dans la deuxième moitié du Varnam, la ligne de Caranam est représenté à la fois sous forme de Swaram et sous forme de texte “Pangana mayile...” (ce qui n'est pas le cas dans toutes les versions). L'héroïne est touchée par les flèches de Kama...

La danseuse a magnifiquement interprété le dix-neuvième Ashtapadi “Priye Charu”. Radha s'est montrée indifférente, voire hostile envers Krishna, et le poème nous fait entendre les paroles de Krishna pour reconquérir Radha. La danseuse avait indiqué dans sa présentation de la pièce que le poème (et aussi la chorégraphie) se plaçait du point de Krishna. La seule critique que je pourrais faire est que la danseuse n'a pas à mon avis assez caractérisé le personnage de Krishna. Sans forcément le représenter avec ses attributs habituels (flûte, plume de paon, etc.), je pense qu'il aurait été souhaitable d'adopter des postures un peu plus masculines pour bien faire comprendre que c'est un homme qui s'exprime, et qu'ainsi c'est bien Krishna qui souhaite que le doux pied de Radha se pose sur sa tête.

Après avoir interprété un Thillana composé par Dr. M. Balamuralikrishna et dont la chorégraphie était très exigeante, plutôt qu'un traditionnel Mangalam, la danseuse a choisi me semble-t-il une très apaisante composition d'Annamacharya consacrée à la Déesse sous le nom de Mahalakshmi. Un des détails remarquables de la chorégraphie réside dans la façon dont la danseuse a représenté sans la montrer la poitrine de la Déesse évoquée par le texte : elle s'est tout simplement mise de dos, sans doute pour éviter toute référence érotique qui ne siérait point à la représentation de ce Kirtana.

J'espère de pas avoir à attendre cinq ans supplémentaires pour assister à nouveau à un récital de cette danseuse dont le travail me semble admirable.

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Chennai, Jour 12/16 (deuxième partie) : Sruthi Natanakumar & K. Kalyanasundaram

2019-01-03 13:53+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII

The indian fine arts society, Ethiraja Kalyana Nilayam, Chennai — 2019-01-02 à 16:30

Kum. Sruthi Natanakumar, danse bharatanatyam

K. Kalyanasundaram, nattuvangam

Smt Vidya Harikrishna, chant

Vedakrishnaram, mridangam

Kannan, violon

?, flûte

Thorayamangalam “Jaya janaki ramana...”

Padavarnam (Raga Shankarabharanam, Adi Tala)

“Sabaapathikku” (Rupaka Tala, Raga Abogi ?), composition de Gopalakrishna Bharati

Thillana (Raga Atana, Adi Tala), composition de Ponniah Pillai

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Le frissonomètre a atteint d'irrésistibles sommets aujourd'hui lors du récital de Kum. Sruthi Natanakumar, disciple et petite-fille du Nattuvanar Guru K. Kalyanasundaram dont la famille est installée à Mumbai depuis les années 1940. (Sa famille et celle de K. P. Kittappa Pillai sont les représentants les plus éminents du style dit de Thanjavur, mais je ne sais pas très bien ce que cela veut dire puisque les styles de Kittappa et de Kalyanasundaram sont me semble-t-il aussi différents l'un de l'autre qu'ils ne le sont des autres styles..)

Le maître est un personnage très attachant. Juste avant que le récital commence, un (autre) homme très âgé est entré. Je n'ai pas entendu son nom, mais il fait semble-t-il comme lui partie d'une famille traditionnelle. Guruji (Kalyanasundaram) s'est approché de lui, avec ses jambes de 86 ans. Guruji s'était exprimé jusque là en tamoul, et quand il m'a vu au deuxième rang, il m'a demandé sans formalité en anglais “Does my tamil bother you?” et dans quelle mesure je comprenais le tamoul, j'ai répondu en hindi “Thora thora”, dont il a délicieusement donné une traduction tamoule.

La première pièce est Thodayamangalam, un ensemble de cinq compositions dédiées à Vishnu (sous la forme de Rama ou de Krishna) qui sont dans différents talas (Khanda Chapu, Mishra Chapu, Rupaka, Adi, m'a-t-il semblé) et qui sont séparées par des Tirmanams. C'est un plaisir immense pour moi d'entendre la voix de Kalyanasundaram récitant les onomatopées des passages rythmiques. La danseuse est précise rythmiquement et j'apprécie la douceur qu'il y a chez elle dans le haut du corps : ses positions de bras et de mains sont très précises, mais elle les exécute de façon gracieuse, pas du tout militaire.

La pièce principale a été un Padavarnam en Raga Shankarabharanam et Adi Tala. Guruji a pas mal parlé (en tamoul et un tout petit peu en anglais par égard pour moi !) pour présenter les pièces. Pour celle-ci, il a dit dans le langage de la musique plus qu'en tamoul que le texte commençait après “Ta ki ta”, autrement dit que dans la première moitié du Varnam les paroles commencent sur le et après le deuxième des huit temps d'Adi Tala. Il a aussi expliqué qu'il utilisait des combinaisons de syllabes traditionnelles, comme “ta-dit-dit-ta”. En entendant et en voyant ses Tirmanams, il apparaît évident que cet homme est un génie, tout simplement... Bien d'autres mridangistes et chorégraphes utilisent le même type d'ingrédients pour construire leur tirmanams, mais K. Kalyanasundaram est un des très rares à savoir faire de la bonne cuisine... Le troisième Tirmanam a été entièrement en usi (à contretemps). Assez souvent, certaines courtes formules conclusives ont été jouées en tishra-nadai (à l'échelle d'un temps du cycle ou de la moitié d'un temps). La plupart des Nattuvangam artists ralentissent quand ils basculent en tishra-nadai, mais Guruji a une maîtrise absolue de la régularité de la pulsation (Kalapramanam). Bien que la danse soit rythmiquement très complexe, je n'ai eu aucune difficulté à suivre le tala pendant l'ensemble du récital.

L'étroitesse du créneau horaire ne permettait pas de très longs développements dans l'Abhinaya : les lignes d'Ettugada Sahitya n'ont été interprétées qu'une seule fois (en Tattu Muttu). Il y a néanmoins eu un délicieux Sanchari pour la deuxième ligne du Pallavi dans lequel l'amour de l'héroïne pour la divinité lui fait perdre le goût pour la musique, etc. Les chorégraphies ne montrent le plus souvent que l'héroïne. Ici, c'était comme un dialogue entre l'héroïne et son amie (sakhi), qui tente tout pour lui faire retrouver le goût des choses. Celle-ci prépare un verre de lait, mais l'héroïne le refuse. Dans le lit de fleurs, elle tombe sur une épine. Plus loin, dans son sommeil, elle voudrait rêver, mais c'est un cauchemar qu'elle fait.

Pendant l'ensemble du récital, la sonorisation de la chanteuse n'était sans doute pas bien réglée, contrairement à celle du Nattuvanar : je n'arrivais pas à distinguer les consonnes dans le chant de Vidya Harikrishna, ce qui m'a rendu quasiment impossible d'entendre les mots chantés. En particulier, je n'ai pas réussi à bien rentrer dans la pièce suivante sur Shiva, dans sa forme résidant à Chidambaram. Bref, je n'ai pas toujours réussi à bien distinguer l'intention dans certains passages expressifs. La danseuse semblait très convaincante dans son interprétation, mais je n'arrivais pas à distinguer le sens. Cela dit, je préfère me perdre parfois et me sentir subjugué par le spectacle comme cela a été le cas lors de ce récital, plutôt que d'assister un spectacle en ayant le sentiment de voir toutes les ficelles...

(Guruji a fait à un moment une remarque sur sa façon de chorégraphier les Tattu Muttu, ces passages dans lequels la danseuse interprète le texte tout en effectuant des motifs rythmiques précis avec les pieds. Pendant tout le récital, les motifs rythmiques des Tattu Muttu ont été beaucoup plus complexes que ce que l'on voit d'habitude (beaucoup de takadimi, parfois un peu de takita à la fin des phrases, ces motifs étant construits en général indépendamment de la prosodie du texte). Dans le style de Kittappa Pillai (qui était aussi de la Thanjavur bani), la prosodie du texte prime sur le tala : les contours rythmiques des Tattu Muttu épousent les contours des mots, et comme les mots ont des durées musicales différentes, les motifs rythmiques peuvent sembler très complexes, mais comme ils sont extrêmement musicaux, ils sont d'autant plus agréables à danser. Dans la mesure où la sonorisation imparfaite m'empêchait de bien distinguer les consonnes dans le chant, je ne saurais dire si Guruji suit le même principe associant de façon harmonieuse poésie, musique et danse.)

Le récital s'est poursuivi avec un sublime Thillana. Je me suis particulièrement délecté lors des Mai adavus dans lesquels la danseuse a montré une maîtrise complète des contretemps, la plupart des séquences commençant usi (off-beat). Un véritable festin rythmique !

Je me perds un peu dans mes notes, mais la danseuse a dû conclure son récital par une courte pièce dédiée à Muruga.

Pendant ce récital d'après-midi, plusieurs fois j'ai cru mourir de plaisir ! Avec la programmation folle à Chennai, j'aurais bien pu aller à un ou deux autres récitals dans la foulée, mais j'ai préféré rester sur le sentiment de plénitude apporté par Sruthi & K. Kalyanasundaram.

This is a translation of the above review in French.

Today, my goosebumps-meter has reached irresistible heights during the recital by Kum. Sruthi Natanakumar, disciple and grand-daughter of Nattuvanar Guru K. Kalyanasundaram, the family of whom settled in Mumbai in the 1940s. (His family and the family of K. P. Kittappa Pillai are the most eminent representatives of the Thanjavur style (or bani), but I am not sure what it means exactly as I feel that Kittappa's and Kalyanasundaram's styles are as different from each other than they are from the other styles.)

The maestro is a very engaging and charming person. Just before the recital started, another older man entered. I did not understand his name, but it seems he also belongs to a traditional family of artists. Guruji (Kalyanasundaram) approached him, with his 86-year old legs. Guruji had spoken only in tamil until then, but when he saw me sitting in the second row, he casually asked me in English “Does my tamil bother you?” and to what extent I would understand tamil, I answered in hindi “Thora thora”, which he deliciously translated into tamil.

The first item was Thodayamangalam, which is a set of five compositions dedicated to Vishnu (under the form of Rama or Krishna). They are in differents talas (Khanda Chapu, Mishra Chapu, Rupaka, Adi, as it seemed to me) and they are interspersed with Tirmanams. It has been an immense delight for me to listen to Kalyasundaram when he was reciting the shollukattus. The dancer is rhythmically very precise and I like very much the softness in her upper body movements: her positions of arms and hands are very precise, but she performs them in a very gracious manner, not at all in a military style.

The main item was a Padavarnam in Raga Shankarabharanam and Adi Tala. In order to introduce the items, Guruji spoke a lot (in tamil and a little bit in English out of regard for me!). For this item, he said not exactly in tamil but in the language of music that the sahitya would start after “Ta ki ta”, which means that in the first half of the Varnam, the lyrics would start on the "and" after the second of the eight beats of Adi Tala. He also explained that he would use combinations of traditional syllabes like “ta-dit-dit-ta”. By watching and listening to his Tirmanams, it seems obvious to me that this man is a genius. Many other mridangists or choreographers are using the same sort of ingredients in order to construct their tirmanams, but K. Kalyanasundaram is one of the very few who know how to cook good cuisine... The third Tirmanam was entirely in usi (i.e. offbeat). Quite often, it seemed to me that some concluding rhythmic formulas were done in Tishra-nadai (at the small scale of only one beat, or even half a beat!). Many nattuvangam artists slow down a little bit the tempo when they switch to Tishna-nadai, but Guruji has an absolute mastery over the regularity of the pulse (Kalapramanam). Although the dance was rhythmically very complex, I did not feel any difficulty to follow the tala during all the recital.

Unfortunately, the shortness of the dance slot did not allow long elaboration in the Abhinaya: the Ettugada Sahitya lines have been performed only once (in Tattu Muttu). However, the dancer exquisitely performed a Sanchari for the second line of the Pallavi. Because of her love for the God, the Nayika loses her taste for music, etc. Most choreographies would show only the Nayika. Here, it was interestingly staged as a dialogue between the Nayika and the Sakhi who is trying all her best to make the Nayika recover her taste for all the beauty in life. The sakhi would prepare a glass of milk, but the heroin would refuse it. In a bed of flowers, she would find only a thorn. Later, in her sleep, she would like to dream, but she is only doing a nightmare.

During the recital, the tuning of the microphone was good for the Nattuvanar, but not for the singer; then, I was not able to distinguish the consonants in the beautiful singing of Vidya Harikrishna. This prevented me from understanding some words in the sahitya. In particular, I could not enter properly into the following item on Shiva, in his form residing in Chidambaram. In short, I could not fully get the intention in the expressive sections. The dancers seemed very convincing in her interpretation, but I could not follow the meaning. However, I prefer being sometimes lost and overwhelmed by the dance as it has been the case in this item, rather than attending programmes where I would feel I understand everything and that I could pull all the narrative strings myself.

(At some point, Guruji made a remark about his way of choreographying the Tattu Muttu, these segments where the dancer interprets the sahitya while executing specific precise rhythmic footwork.) During all the programme, I have felt that the Tattu Muttu patterns have been much more complex than what we usually see (which is lots of takadimi, sometimes some takita in second half of sahitya lines, i.e. patterns that are usually constructed independently of the prosody of the text). As I have been taught by Sucheta Chapekar (guru of my teacher in Paris), in the style of Kittappa Pillai (also from the Thanjavur bani), the prosody of the text is more important than the tala: the rhythmic contours of the Tattu Muttu follows the contours of the words, and as the words have longer or shorter musical lenghts, the rhythmic patterns of the Tattu Muttu may seem very comlpex, but as they are extremely musical, they are a real pleasure to perform. Because the microphone of the vocalist was not properly tuned, I could not properly distinguish the consonants in the singing. Then, I am not able to say whether the principles following by Guruji are the same as Kittappa's in their way of bringing together in a harmonious manner the poetry, the music and the dance.)

The recital continued with a sublime Thillana. I have particularly enjoyed the Mai adavus during which the dancer proved a full mastery over off-beats: most of these sequences started usi. An authentic rhythmic delight!

I am a little bit lost in my notes, but it seems the dancer ended her recital with a short item on Muruga.

During this afternoon recital, several times it was as if I was about to faint or die from the intense aesthetic pleasure I was feeling! Due the crazy schedule of performances in Chennai, I could have attended one or two other recitals just after this one, but I preferred staying with this sentiment of fullness brought by Sruthi & K. Kalyanasundaram.

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Chennai, Jour 12/16 (première partie) : Rashmi Menon

2019-01-02 22:12+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII

The indian fine arts society, Ethiraja Kalyana Nilayam, Chennai — 2019-01-02 à 15:15

Rashmi Menon, mohiniattam

Shloka “Gajananam...” (Raga Shanmukhapriya)

Kirtana (Raga Shanmukhapriya, Adi Tala), composition de Papanasam Sivan

Dasavatar (Ragamalika, Adi Tala), extrait du Gita-Govinda

Histoire de Kuchela (Raga Shri, Adi Tala)

“Krishna ni en ariyala...” (Ragamalika/Talamalika), poème de Sudatakumar

Je divise en deux le compte-rendu de la journée, parce que même si les deux récitals étaient l'un à la suite de l'autre au même endroit, cela n'aurait aucun sens de les regrouper.

Le premier récital vu cet après-midi était celui de la danseuse de mohiniattam Rashmi Menon (qui pratique aussi le kuchipudi et le bharatanatyam). Ses gurus de Mohiniattam ont été Kalamandalam Kalyanikutti Amma, puis Kalamandalam Kshemavathy. Elle se perfectionne en Abhinaya auprès de Bragha Bessel.

Le costume et le style d'Abhinaya est typique des formes de théâtre dansé du Kerala, mais à part cela, rien ou presque n'indiquait qu'il s'agissait de mohiniattam puisque la jeune danseuse n'a me semble-t-il pas exécuté le moindre adavu : il n'y a eu aucun véritable passage de danse pure dans tout le récital.

L'Abhinaya de la danseuse n'est pas très élaboré. À part dans la toute dernière pièce que je n'ai pas regardée avec beaucoup d'attention, j'ai l'impression d'avoir compris presque de 100% de l'intention narrative, qui me semble globalement manquer de subtilité. La musique enregistrée obéit à une esthétique qui n'est pas vraiment la mienne, puisqu'il y avait d'assez horribles sons de sitar ou de vina au début de chaque pièce. Après le Shloka sur Ganesh et la première pièce dédiée à Shiva, la danseuse a représenté les 10 avatars (canoniques) de Vishnu. Krishna a été montré comme protecteur de Draupadi. Buddha et Kalki ont été représentés, ce qui n'est pas extrêmement courant dans les représentations de Dasavatars.

Dans une pièce relatant la rencontre entre Kuchela et Krishna après de longues années de séparation, le personnage de Kuchela n'apparaît que de façon anecdotique. Il s'agit surtout pour la danseuse de développer un épisode à la gloire de Krishna au travers de son apparition indiscutablement spectaculaire à Arjuna quand il lui enseigne la Bhagavad-Gita. La représentation de Krishna comme cocher d'Arjuna ne m'a pas semblé très convaincante, et globalement les personnages sont insuffisamment caractérisés à mon goût.

La dernière pièce contenait une étrange combinaisons de talas, le motif récurrent étant en Tishra-nadai Adi Tala.

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Chennai, Jour 11/16 : Music Academy

2019-01-02 12:20+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII

Music Academy, Kasturi Srinivasan Hall, Chennai — 2019-01-01 à 08:00

Anugrah Lakshmanam Group

Devotional Music

J'ai assisté à la clôture de la conférence de la Music Academy. Il n'y avait pas grand monde pour ce bilan. Il y a d'abord eu un mini-concert de bhajans par l'Anugrah Lakshmanam Group. Ils ont chanté des compositions dans différents Talas habituels comme Adi, Mishra Chapu, Rupaka, mais aussi dans des Chapu Talas très originaux. Un d'entre eux était à 16 temps découpés en 5+5+2+2+2. Un autre était à 8 temps découpés en 3+2+3.

Le bilan a ensuite été fait par V. Sriram qui avait fait le chairman pendant les lec-dems. Puis, le mridangiste Sangita Kalanidhi Umayalpuram K. Sivaraman a complimenté l'équipe organisatrice. D'autres personnes sont intervenues, y compris dans le public pour poser des questions et formuler des suggestions pour les années futures. La conclusion a été faite par la chanteuse Aruna Sairam, qui n'était alors que Sangita Kalanidhi designate, et qui depuis hier après-midi est officiellement devenue Sangita Kalanidhi, le plus haut titre existant dans le monde de la musique carnatique.

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Chennai, Jour 10/16 : Neena Prasad

2019-01-01 12:12+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII

Kartik fine arts, Bharatiya Vidya Bhavan, Chennai — 2018-12-31 à 19:30

Neena Prasad, mohiniattam

Sharanya, nattuvangam

Madhav Namboodiri, chant et compositions musicales

Ramesh Babu, mridangam

Easwar Ramakrishnan, violon

Solkattu (Khanda Triputa Tala, Raga Hamsadhwani)

Prabandham “Panjajakshana” (Rupaka Tala, Raga Todi)

Padavarnam “Mate Ganga Tarangini” (Mishra Chapu Tala, Raga Kamboji)

Ashtapadi “Kuru Yadu Nandana” (Raga Pantuvarali, Adi Tala, poème de Jayadeva)

Thillana (Adi Tala, Raga Bihag)

Mangalam

Comme la veille, j'ai pu voir la subtile beauté du mohiniattam, avec cette fois-ci le guru de Thomas Vo Van Tao : Dr. Neena Prasad. Les musiciens de la veille ont été rejoints par le violoniste Easwar Ramakrishnan et une élève de la danseuse (Sharanya ?) a joué le nattuvangam. Dans tout ce récital, j'ai apprécié la très grande musicalité de la danseuse et son immense talent dans l'art de l'Abhinaya.

Elle a commencé son récital par un Solkattu dans lequel elle a inséré un Shloka d'une Upanishad sur le guru.

La deuxième pièce représente la procession de la divinité du Temple Padmanabhaswamy de Trivandrum. La chorégraphie représente notamment les porteurs ainsi que la foule des dévots qui cherchent à apercevoir le dieu. Certains se mettent sur la pointe des pieds. D'autres font grimper leur enfant sur leurs épaules. Une dame courbée par le grand âge ne peut semble-t-il que le voir en pensée.

Depuis des années, j'espérais voir un Varnam sur le thème de Ganga. Ce souhait a enfin été exaucé. Cette pièce a initialement été enseignée à la danseuse par Guru Kalamandalam Sugandhi, et elle a été remise en musique par le chanteur Madhav Namboodiri. Je crois que c'est la première fois que je vois un Varnam en Misra Chapu. Un des passages rythmiques (le deuxième il me semble) utilisait beaucoup de contretemps entre les temps forts du cycle et les pas de danse. Les lignes de texte représentent chronologiquement la descente de la rivière Ganga, des cieux jusqu'à la Terre grâce à l'intervention de Bhagiratha pour permettre l'accomplissement des derniers rites pour les 60000 fils du roi Sagara, et enfin pour devenir une rivière sacrée dans laquelle les dévots de baignent rituellement. Après que la rivière a été faite prisonnière de la chevelure de Shiva, le moment le plus délectable a été pour moi la scène de jalousie de Parvati, dont Shiva est tombé amoureux et qu'il ne veut plus relacher.

Le point culminant de récital – et à ce jour le point culminant de ce séjour en Inde en tant que spectateur – a été son interprétation du dernier Ashtapadi “Kuru Yadu Nandana”. Tout simplement sublime !

Le récital s'est conclu par un Thillana dont le Caranam était consacré à Krishna, celui qui porte la flûte (Murali).

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Chennai, Jour 9/16 : Thomas Vo Van Tao

2018-12-31 08:11+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII

Art on the Terrace, Chennai — 2018-12-30 à 18:30

Thomas Vo Van Tao, mohiniattam

Neena Prasad, nattuvangam

Madhav Namboodiri, chant

Ramesh Babu, mridangam

Solkattu (Mishra Triputa Tala, Raga Gambhira Nattai)

Varnam (Adi Tala, Raga Shankarabharanam)

Panchakshara Stotram “Nāgendrahārāya” (Adi Tala, Raga Purvikalyani)

Thillana (Rupaka Tala, Raga Tillang), composition de Madhav Namboodiri

Mangalam

Comme lors de quelques autres très rares spectacles extraordinaires auxquels j'ai eu la chance d'assister, je pourrais résumer mes impressions avec l'unique mot Fantabullissime !, mais je vais développer davantage.

D'abord formé au bharatanatyam, Thomas Vo Van Tao s'est tourné vers le mohiniattam il y a une petite dizaine d'années environ. Il se forme auprès de son Guru Dr. Neena Prasad qui dirigeait le récital de ce soir, donné sur une terasse à Besant Nagar, au Sud de Chennai. L'orchestre a été magnifique. Une des particularités du mohiniattam par rapport au bharatanatyam est que dans la pièce principale (Varnam) les parties techniques de la première moitié ne sont pas accompagnées d'onomatopées rythmiques (Jati) comme dans le contexte du bharatanatyam, mais elles sont accompagnées par le texte (Sahitya) de la composition. En l'absence d'un autre instrument mélodique, c'est forcément au chanteur de répéter les lignes de texte, et il l'a remarquablement fait en changeant l'intention dans chaque répétition du texte, notamment en en modifiant la mélodie. Le percussionniste a bien fait deux ou trois petites acrobaties, mais il était magnifiquement tourné vers l'esthétique de la danse : quand l'art de l'expression l'exigeait, il savait mettre en valeur une pause ou pose dans la chorégraphie. (Note : dans ce récital de mohiniattam, et comme cela devrait aussi plus souvent être le cas en bharatanatyam, les poses ne sont jamais mortellement immobiles, elles sont pleines de vie.)

Après un magnifique Namaskar (commençant par un très beau demi- ou trois-quarts-de-plié à la seconde), la première pièce est un Solkatu. Il s'agit d'onomatopées rythmiques chantées sur un rythme assez complexe à 11 temps, chaque temps comptant en fait pour deux, donc on peut le considérer comme un cycle à 22 temps. La composition et la danse sont faites à différentes vitesses, y compris en utilisant des subdivisions en trois des 22 temps, ce qui demande de répéter trois fois la phrase chantée pour faire un nombre entier de cycles avant de passer à une autre vitesse. La technique de danse de Thomas Vo Van Tao est superbe et très musicale. Il danse magnifiquement bien, en toute simplicité. Les contacts de pieds avec le sol sont moins rapides que dans la danse bharatanatyam, mais ici le corps tout entier est constamment en mouvement, ce qui permet aux spectateurs d'apprécier certes les différentes positions du corps mais aussi et surtout le mouvement entre les positions.

La pièce principale est un Varnam dédié au dieu Rama. Dans le Pallavi, après une introduction et un passage rythmique (accompagné par le chant), le danseur développe un épisode extrait du Mahabharata. Il est heureux que le danseur ait présenté cet épisode avant de danser la pièce. Je ne sais pas s'il figure dans toutes les éditions intégrales du Mahabharata. Lors d'un des voyages d'Arjuna, il serait allé à Rameshwaram et aurait rencontré le singe Hanuman qui le met au défi de constuire un pont tout comme l'armée des singes avait construit un pont pour rejoindre Lanka. Hanuman détruit d'un coup de pied le pont de flèches construit par Arjuna. Un deuxième essai est accordé, mais cette fois-ci, avec un brahmane comme témoin. Alors qu'il grandit pour détruire le pont, Hanuman renonce à le détruire parce qu'il sent que le brahmane le met lui aussi à l'épreuve : le brahmane ne peut être que Rama en personne.

Je n'ai pas bien compris le sens de l'Anupallavi qui n'a pas été développé, si ce n'est qu'il était question de Kama. Il est important de savoir que les mouvements de mains sont assez différents entre le bharatanatyam et le mohiniattam... Dans ce style, l'expression est aussi ornementée de très nombreux micro-mouvements, notamment au niveau du visage (sourcils, petits mouvements latéraux et la tête, etc.). Après un élégant Muktayi Swaram et la section d'Abhinaya associée, le tempo accélère légèrement pour la deuxième moitié du Varnam. La ligne de texte du Caranam contient très distinctement le nom de Gautama, ce qui m'a permis de comprendre immédiatement que c'était l'histoire d'Ahalya qui serait explorée. Alors que son mari Gautama était allé se rafraîchir à la rivière, Indra prend son apparence pour séduire Ahalya. Quand Gautama rentre, il comprend ce qui s'est passé et les maudit. Ahalya est transformée en pierre et retrouve la vie quand bien plus tard Rama la touche du pied. (Si je n'avais pas entendu le mot Gautama dans le texte, je n'aurais compris qu'il s'agissait de l'histoire d'Ahalya qu'à la toute fin de la séquence ! C'est vraiment par chance que j'ai pu apprécier les nuances de cette interprétation.) La structure de la suite du Varnam est comparable à ce qui se fait en bharatanatyam. On trouve ainsi des passages rythmiques accompagnés d'une mélodie solfiée (Ettugada Swaram), puis sur la même mélodie un texte est chanté (Ettugada Sahitya), un petit nombre de fois, la dernière étant en Tattu Muttu. Comme il n'y a pas véritablement de place pour l'élaboration, le sens est beaucoup plus fugitif. Je me souviens simplement que le dernier semblait être sur le thème de l'amour, évoqué notamment par des lèvres de lotus.

Ce Varnam et la pièce qui suit ne font sans doute pas partie du répertoire de mohiniattam le plus traditionnel. Cette forme de danse est quasi-exclusivement pratiquée par des femmes. Quelques interprètes masculins portant le costume féminin interprètent aussi cette danse de l'enchanteresse qui aborde le plus souvent le sentiment amoureux d'un point de vue féminin. D'après ce qu'une de ses condisciples m'a confié, Thomas Vo Van Tao est le premier danseur masculin qui a à son répertoire des pièces de mohiniattam qui se placent résolument du point de vue masculin (comme dans le Varnam) ou qui abordent d'autres thèmes. Il faut vraiment féliciter Thomas Vo Van Tao et son guru Dr. Neena Prasad pour ce travail.

La pièce qui suit est une représentation dansée du Panchakshara Stotram “Nāgendrahārāya” (d'Ādi Śaṅkarācārya) basé sur le mantra (Om) Namah Shivaya. Après un Shloka introductif, les cinq parties de la pièce sont la mise en musique de vers commençant par l'une des cinq syllabes du mantra. Le sens de chacun des cinq vers est montré dans la danse de façon extrêmement claire et surtout très belle. Je ne vais pas développer puisque sinon je serais obligé de citer intégralement le poème.

Ce superbe récital s'est terminé par un Thillana et un Mangalam.

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Chennai, Jour 8/16 : Kalyani Ganesan, Aruna Sairam, Sudharma Vaithiyanathan, TM Krishna

2018-12-30 00:47+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII

Music Academy, Kasturi Srinivasan Hall, Chennai — 2018-12-29 à 08:05

Vidushi Kalyani Ganesan

Chittaswarams composed by Vainikas

J'ai assisté aux deux exposés de la session matinale de conférences à la Music Academy. Le premier discutait des Chittaswarams (séquences de notes solfiées) composées par des Vainikas (c'est-à-dire des musiciens qui jouent de la vina). La viniste Kalyani Ganesan est accompagnée de ses élèves qui chantent les exemples donnés. Un certain nombre d'entre eux viennent de Muthuswamy Dikshitar et des musiciens de sa lignée, parmi lesquels l'auteur du Sangita Sanpradaya Pradarshini. L'exposé était en tamoul, mais les textes projetés sur un écran étaient en anglais. Un exemple amusant était une mélodie en palindrome pour la composition Kamala bajane (Raga Kedaram, Adi Tala) de Muthuswamy Dikshitar.

Music Academy, Kasturi Srinivasan Hall, Chennai — 2018-12-29 à 09:05

Aruna Sairam, chant

Ragavendra Rao, violon

Vaidyanathan, mridangam

The impact of Bhajana Sampradaya on Carnatic Music

La salle était pleine parce que l'exposé suivant était confié à Aruna Sairam, qui va recevoir le premier janvier le titre de Sangeetha Kalanidhi. Elle a discuté de la tradition de chant de bhajans, dans laquelle la communauté d'auditeurs participent en chantant dans un cadre dévotionnel, contexte qui s'oppose a priori au concert, où la musique est jouée dans but purement esthétique. Elle a donné de nombreux exemples de compositions, et aussi d'échanges entre ces deux traditions. Par exemple, elle a suggéré que les Chapu-talas viendraient d'une pratique de compositions jouées à vitesse rapide dans un cadre dévotionnel.

Narada Gana Sabha, Narada Gana Sabha (Main Hall), Chennai — 2018-12-29 à 13:45

Sudharma Vaithiyanathan, danse bharatanatyam

A. Lakshmanaswamy, nattuvangam, chorégraphies

K. Hariprasad, chant

Nellai D. Kannan, mridangam

Kalaiarasan Ramanathan, violon

Pushpanjali (Adi Tala, Raga Arabhi), composition de Dr. M. Balamuralikrishna

Varnam “Samiyai Azhaittu” (Raga Khamas, Adi Tala), composition du Thanjavur Quartette

Shloka “Rāmo nāma babhūva...”

Ashtapadi “Yahi Madhava” (Adi Tala, Raga Sindhu Bhairavi)

Javali (Raga Paras, Adi Tala)

Tillana (Raga Desh, Adi Tala), composition de Lalgudi Jayaraman

Mangalam

Premier grands frissons de la saison pour moi en matière de récital de danse solo. J'avais déjà assisté à un récital de la danseuse Sudharma Vaithiyanathan en 2015 lorsqu'elle avait eu le premier prix ex-aequo du Festival Spirit of Youth. Tous les paramètres sont au plus haut : les chorégraphies de son guru A. Lakshmanaswamy sont magnifiques (et très musicales), le chanteur K. Hariprasad et le violoniste Kalaiarasan sont excellents et le percussionniste Nellai D. Kannan est tout simplement sublime ! La technique de la danseuse est magnifique : il n'y a pas un mouvement qui soit fait à moitié.

Après un Pushpanjali, la danseuse a interprété un des Varnams les plus dansés (celui en Khamas du Thanjavur Quartette) dédié à Sundareswarar, la forme de Shiva résidant à Madurai. Très beau premier Jati avec d'assez longs silences (karvais) avant de reprendre certains mouvements. La danse est très élégamment ornementée, avec un très beau phrasé : rien n'est mécanique, même quand la danseuse doit alterner rapidement entre la position debout et le grand-plié. Dans l'Abhinaya, l'élaboration est magnifique. Par exemple, la première ligne du Pallavi est d'abord jouée uniquement avec les yeux. Puis, la danseuse suit le mot-à-mot du texte tout en donnant vie aux personnages : l'héroïne implore son amie d'aller transmettre son message à Shiva. Cette présentation du texte est répétée à de nombreuses reprises, sans jamais ennuyer puisqu'il y a toujours des variations significatives d'une fois sur l'autre. Et alors seulement, la danseuse développe un Sanchari : touchée par les flèches de Kama, elle perd l'appétit et le sommeil, et supplie son amie d'aller trouver Shiva pour qu'il vienne. Ensuite viennent les Tattu Muttu (partiellement à contretemps), des marches en arrière, une pause, puis des marches en diagonales avant de démarrer le Jati suivant. Je connaissais déjà le deuxième puisque j'ai vu Geoffrey Planque le danser dans un autre Varnam. Plus loin, l'héroïne demande au grand Shiva, beau comme la Lune de ne pas rester indifférent. La grandeur de Shiva est le thème de cette partie puisqu'un Sanchari développe la légende de la colonne de lumière en laquelle Shiva s'était manifesté : il avait défié Vishnu et Brahma d'en trouver les extrémités, mais aucun n'avait réussi. La chorégraphie ne représente que la tentative de Vishnu qui s'en va vers le bas de la colonne, en vain. Le troisième Jati utilise beaucoup l'espace scénique et utilise astucieusement des contretemps. Dans l'Anupallavi, on est dans la ville de Madurai et l'héroïne s'émerveille du temple qui s'y trouve. La chorégraphie représente ses différents gopurams, le bassin de lotus, le Shiva-lingam et celle aux yeux de lotus (Meenakshi). Plus loin, elle cherche l'union avec Shiva. L'héroïne se donne des airs de timide, mais son amour est trahi par ses yeux, et on la voit aussi préparer un lit de fleurs... Le Muktayi Swaram est très élégant. Le texte associé semble évoquer les pieds de lotus de Shiva et le dieu de l'Amour. La deuxième moitié du Varnam tourne autour du sentiment amoureux provoqué par les flèches de Kama, suggéré par le butinement des abeilles et le son des couples d'oiseaux. À la fin du dernier Ettugada Swaram, la danseuse exécute un formidable saut en avant typique de la tradition Vazhuvoor. Souffrant de la séparation, l'héroïne demande finalement à un oiseau de transmettre son message à Shiva.

Ensuite, la danseuse a magnifiquement bien interprété trois pièces de pur Abhinaya. La première était un Shloka “Rāmo nāma babhūva...” extrait du Krishna-katha. Magnifiques doubles cordes du violiniste dans l'introduction de la pièce dans laquelle Yashoda essaie de coucher Krishna, mais il demande qu'elle lui raconte une histoire. Il ne veut pas d'une histoire d'oiseaux ou de lion, mais il est partant pour l'histoire de Rama. La narration va de la naissance de Sita jusqu'à son enlèvement par Ravana. D'une part, la danseuse doit incarner les différents personnages du Ramayana, et d'autre part elle doit souvent revenir au rôle de Yashoda qui est une conteuse pour Krishna. Elle ne peut montrer les réactions de Krishna qu'au travers du regard de Yashoda. Quand Krishna prend peur alors que Sita vient d'être enlevée, Yashoda le rassure en lui disant que cela se finit bien (ce qui, au passage, est un peu discutable..) Finalement, elle le berce et il ferme les yeux.

Le récital s'est poursuivi avec l'Ashtapadi “Yahi Madhava”. Radha prépare un lit de fleurs et une guirlande pour Krishna, mais elle l'attend en vain toute la nuit. Quand il arrive, elle lui fait des reproches. Elle remarque par exemple une marque sur ses lèvres, mais il prétend avoir mangé des baies. Les griffures sur son corps s'expliquent par le frottement des branches de la forêt qu'il a traversée. Qu'il arrête ses paroles mielleuses (je traduis ici littéralement la chorégraphie) ! Elle finit par détruire son lit de fleurs.

Je n'ai pas absolument tout compris au Javali (Raga Paras/Adi Tala) qui a été interprété de façon très sarcastique ! À la fin, l'héroïne qui vient de recevoir une flèche florale de Kama se retourne et renvoie la fleur à l'envoyeur !

Le récital d'une heure et demie s'est terminé par un beau Thillana et un Mangalam.

Sri Mutha Venkatasubbarao Concert Hall, Chennai — 2018-12-29 à 19:00

TM Krishna, chant

Dr. R. Hemalatha, violon

Praveen Kumar, mridangam

Delhi Sairam, mridangam

BS Purushothaman, kanjira

Il s'agit de l'unique concert de TM Krishna pendant la saison des concerts. Ses concerts ne ressemblent pas du tout à ceux des autres musiciens. D'un concert à l'autre, il ne se ressemble pas non plus à lui-même : c'est toujours très différent. Il a élaboré des Alap et chanté des compositions utilisant des tempis très lents. Il ne clappe pas vraiment le Tala, ou s'il le fait, c'est souvent plus confusogène qu'autre chose. Même les connaisseurs avaient beaucoup de mal à suivre, et y compris les autres musiciens : il a semble-t-il un peu chambré les percussionnistes quand ils les a complètement perdus au début d'une des compositions.

Il s'agissait d'un concert caricatif en faveur du chœur d'enfants Nalandaway. Les jeunes musiciens ont rejoint le maître à la fin du concert pour interpréter plusieurs compositions, dont un mix entre deux Thillanas en Adi Tala et Raga Khamas (compositions de Pooci Srinivasan Iyengar et de Lalgudi Jayaraman), et pour conclure, une composition de Rabindranath Tagore.

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Chennai, Jour 7/16 : Jyotsna Jagannathan

2018-12-28 23:24+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII

Kartik fine arts, Bharatiya Vidya Bhavan, Chennai — 2018-12-28 à 19:30

Jyotsna Jagannathan, danse bharatanatyam

S. Srilatha, nattuvangam

Murali Parthasarathy, chant

Ramesh Babu, mridangam

Smt. K. P. Nandhini, violon

Muthu, flûte

Nandichol (Tishra Triputa Tala), composition de Ramesh Babu

Varnam (Adi Tala), composition de K. Hariprasad

Padam (Mishra Chapu Tala), composition d'Aditya Prakash d'après un poème de Surdas

Thillana (Raga Shankarabharanam, Adi Tala), composition de Pooci Srinivasan Iyengar

Récital dans lequel tout est fait pour être joli, mais pour moi sans émotion. C'est une des premières représentations de danse que je vois lors de ce séjour pour laquelle la salle est très bien remplie, le Who's who du bharatanatyam étant aussi très bien représenté.

Ancienne disciple de Guru A. Lakshman Swamy, Jyotsna Jagannathan travaille maintenant avec Malavika Sarukkai et Bragha Bessel. La première pièce est un Nandi-chol. La récitation par S. Srilatha sera magnifique pendant tout le récital. Il y a quelque chose dans sa façon de réciter qui fait que l'on continue à bien sentir la pulsation principale même pendant les passages les plus complexes. Je n'ai ainsi eu aucun problème à suivre le cycle rythmique pendant le passage en Tishra-nadai et le retour en Chatushra. La chorégraphie est délicieuse, mais je ne comprends pas l'intérêt de cette pièce si ce n'est qu'elle remplit un quart d'heure dans le créneau. La fin est toute mignonne puisqu'après avoir joué du mridangam, Nandi la monture de Shiva reçoit de celui-ci le tambour Damaru et commence à jouer avec...

La pièce principale est dédiée à Ranganatha (Vishnu). Il s'agit d'un Varnam composé par le chanteur K. Hariprasad. Le Trikala Jati est très bien chorégraphié, même si je n'apprécie pas la première vitesse qui est beaucoup trop mécanique. Dans la première ligne du Pallavi, l'héroïne cherche le bras protecteur de Vishnu. Cela donne l'occasion à la danseuse de faire pas moins de cinq courts Sancharis autour des bras de Vishnu et de son rôle de protecteur, un autour de la conque et du disque qu'il porte, un autre autour de la montagne Govardhana qu'il avait soulevée, un autre autour de Draupadi, sauvée dans l'épisode de la partie de dés, un dernier autour de l'éléphant Gajendra, et encore un autre que j'allais oublier à propos du Rasalila, Krishna tenant les gopis par la main. Plutôt que d'émouvoir de façon irrésistible, cela fait un peu collection d'images... Très beau deuxième Jati en Tishra nadai. Le quatrième était en Chatushra-nadai, avec parfois de tous petits passages d'un seul temps en Tishra-nadai. Dans la deuxième moitié du Varnam, l'héroïne souffre de la séparation et cherche l'union avec lui. Dans un des passages expressifs, l'héroïne semble demander à un oiseau d'aller transmettre son message à Vishnu dans les trois mondes. Malgré la présence scénique de la danseuse et des lumières très étudiées, je suis resté de marbre pendant la performance. Dans sa technique, elle est parfois légèrement en avance sur la musique et surtout il n'y a pas suffisamment de contrastes dans ses frappes de pieds (il faut regarder ses pieds ou écouter les thalams pour savoir si elle fait des motifs de 4 ou de 3 dans les Tattu Muttu). Son demi-plié est plutôt un quart-de-plié : dans de nombreux gestes techniques, on ne sait pas si elle est censée être debout ou en demi-plié...

Le Padam est très joli, mais il ne donne pas suffisamment à faire ressentir des émotions humaines. On commence par l'image de Rama traversant une forêt inhospitalière (belles doubles cordes dissonantes par la magnifique violoniste KP Nandhini dont le micro était malheureusement mal réglé). Tout dans la Nature rappelle à Rama le souvenir de Sita : ses yeux dans les antilopes, son visage dans la Lune qu'il aperçoit à travers le feuillage des arbres, etc.

Le récital s'est terminé par un Thillana en Adi Tala dédié à Padmanabha qui présentait la particularité de commencer sur le huitième temps, ce qui produit un effet de surprise lorsque les différents enchaînements se terminent...

Pas de Mangalam pour conclure le récital. Cela fait bizarre, une fin aussi abrupte !

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Chennai, Jour 6/16 : Natya Kala Conference (Day #2), Disciples de Swamimalai K. Suresh

2018-12-28 00:50+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII

Natya Kala Conference, Dr. Nalli Gana Vihar, Chennai — 2018-12-27 à 10:20

Aravinth Kumarasamy (Apsara Arts)

The Modern Dance Ensemble

La deuxième journée de la Natya Kala Conference a commencé par une projection d'un film sur Mrinalini Sarabhai, commenté par Sunil Kothari. Je n'y suis pas allé parce qu'il avait déjà présenté ce film à Paris. Le premier exposé a été fait par Aravinth Kumarasamy qui crée des productions de danse avec la compagnie Apsara Arts à Singapour. Il a expliqué son processus de création, les différents types de personnes à réunir en équipe suivant la taille des projets. Il a montré quelques extraits vidéos montrant diverses techniques scénographiques : comme des piliers qui sont déplacés sur scène, l'utilisation de projection vidéo ou de lumières pour créer une certaine esthétique. Il a aussi expliqué comment la forme de danse bharatanatyam pouvait être adaptée pour tenir compte des particularités culturelles de l'Asie du Sud-Est.

Natya Kala Conference, Dr. Nalli Gana Vihar, Chennai — 2018-12-27 à 11:05

Apoorva Jayaraman, danse bharatanatyam

Shweta Prachande, danse bharatanatyam

Millennial Adavus

La présentation était plus intéressante que le titre. Apoorva & Shweta, deux excellentes disciples de Priyadarshini Govind ont présenté leur approche des adavus : comment les rendre contemporains ? Trois ingrédients : Intention, Innovation, Inspiration. Le plus évident dans leur danse est qu'elles mettent une intention particulière quand elles exécutent un adavu dans un contexte donné. Apoorva sourit et utilise beaucoup les yeux. La palette de Shweta est moins immédiatement impressionnante, mais elle paraît plus riche. Parmi les innovations, il ne s'agit pas forcément de créer de nouveaux adavus, mais de les combiner différemment. Ainsi, elles ont montré comment utiliser dans un jati des mouvements habituellement utilisés comme transition après la conclusion d'un Korvai dans un Jatiswaram. Une combinaison particulièrement impressionnante a consisté à effectuer un tour complet tout en exécutant un tarikitatom. Une autre façon d'innover consistait à créer des enchaînements utilisant des positions connues qui habituellement ne se suivent pas.

Natya Kala Conference, Dr. Nalli Gana Vihar, Chennai — 2018-12-27 à 11:55

Mrs Akhila Krishnamurthy

Srinidhi Chidambaram

Ms S. Janaki

Nrithya Pillai

Smt Tulsi Badrinath

Caste, Gender, Privilege and their Roles in the Bharatanatyam landscape: A panel discussion (moderated by Sri V Sriram)

Cette discussion est restée au niveau des généralités, sans véritablement rentrer dans le fond du sujet, beaucoup trop large. La partie la plus intéressante est bien sûr venu de Nrithya Pillai qui a partagé le ressenti de sa famille de praticiens héréditaires de la danse. Quand elle apprenait la danse toute petite, on lui disait “This is not for us.” : nous pouvons enseigner, mais pas danser en public. Je l'avais déjà entendue développer davantage sur ce sujet lors d'une conférence en août dernier, et je me disais alors qu'il serait intéressant qu'elle puisse faire le même exposé dans un lieu tel que la Natya Kala Conference.

Actuellement, le problème principal semble être qu'au moins en début de carrière, les danseurs et danseuses doivent payer pour se produire. Il n'y a pas de procédure transparente pour sélectionner les danseurs.

Vipanchee, R. K. Swamy Auditorium, Chennai — 2018-12-27 à 19:30

Kum. Ananya, Kum. Akshara, Kum. Kirtana, danse bharatanatyam

Swamimalai K. Suresh, nattuvangam, chant

T. Sashidhar, flute

M. Dhanamjayan, mridangam

Invocation “Jayasuda pori...” (Khanda Chapu Tala)

Mallari (Raga Ganapanchaka, Mishra Triputa Tala)

Pada-varna “Deva Munivar...” (Raga Shanmukhapriya, Adi Tala), composition de Lalgudi Jayaraman

Viruttam “Kunitha puruvamum...” / Kirtana Sadanandatandavam (Raga Marudari, Adi Tala)

Thillana (Raga Surutti, Tisra-gati Adi Tala), composition d'Oothukkadu Venkata Kavi

Mangalam

Pour la première fois de ma vie, j'ai vu un Nattuvanar diriger un récital de bharatanatyam. De même que son grand-oncle S. K. Rajarathnam Pillai, Swamimalai K. Suresh dirige et chante. Quel plaisir à écouter !

Toutes les pièces sont exécutées par trois de ses disciples. Les danseuses sont relativement jeunes ; l'exécution n'était pas toujours absolument parfaite, mais elles sont toutes très musicales dans leur danse. Kumari Akshara est particulièrement douée.

Le style de Swamimalai K. Suresh comporte quelques aspects particulièrement Vazhuvoor, mais je vois dans ces chorégraphies dans enchaînements que je n'avais jusqu'à maintenant vus que chez Kuttalam M. Selvam et son père Muthuswamy Pillai.

Dans le Mallari à 11 temps, le rythme des pas est très complexe puisqu'il ne suit ni le tala ni les shollus : on a en quelque sorte une polyrythmie à trois voix.

Le Varnam m'a semblé délicieux. Il s'agit d'une composition de Lalgudi Jayaraman, dont Swamimalai K. Suresh a été un disciple. Le sens du texte est relativement clair dans la gestuelle des danseuses, même si parfois je ne comprends pas tout à fait le sens global de chaque ligne. Les dieux et sages vénèrent le pied de Jagannath. Dans de courts Sancharis, les trois danseuses représentent plusieurs exploits de Vishnu, notamment la libération d'Ahalya (une représentant Ahalya, et les deux autres Rama et Lakshmana). Dans la deuxième ligne, je comprends l'idée que Vishnu protège et que son épouse est Lakshmi. Dans l'Anupallavi, on célèbre les pieds de Vishnu et un Sanchari développe l'histoire de l'avatar du Nain (Vamana). Enfin, il est question de la montagne où il réside (Venkatagiri) et de ses yeux de lotus. Dans cette première moitié de Varnam, les jatis et le Muktayi Swaram sont magnifiquement récités ou chantés, et chorégraphiés avec un grand sens musical et une utilisation intéressante de l'espace. Ainsi, dans le Muktayi Swaram, les danseuses utilisant beaucoup les diagonales, et font des séries de quatre quarts de tour. Dans toute la pièe, les Arudis sont délicieuses de simplicité ; les Tattu Muttu suivent des motifs un peu plus complexes, mais néanmoins très agréables. L'Abhinaya est beaucoup moins développé dans la deuxième moitié du Varnam. À la fin, on trouve une représentation de l'apparition indiscutablement spectaculaire de Krishna à Arjuna.

La pièce suivante est dédiée à Shiva. La partie rythmique commence par un Jati dans lequel les danseuses n'utilisent pas les mudras utilisés normalement dans la danse pure mais elles représentent à la place les divers attributs de Shiva. Cela se fait assez régulièrement, mais il était intéressant d'en voir une version à trois. Plusieurs élégantes séquences rythmiques ont été insérées dans la composition qui exprime l'émerveillement devant la danse de Shiva.

La dernière pièce du récital est un Thillana en Tishra-nadai Adi Tala (avec une séquence en Chatushra-nadai à la fin). La chorégraphie avait à mon goût le niveau de complexité rythmique idéal : ni trop simple, ni trop compliquée, juste ce qu'il faut de polyrythmie pour qu'on sente un peu de frottement entre la danse et la musique sans pour autant être complètement perdu.

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Chennai, Jour 5/16 : Natya Kala Conference (Day #1), Aruna Sairam, Narthaki Nataraj

2018-12-26 23:55+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII

Natya Kala Conference, Dr. Nalli Gana Vihar, Chennai — 2018-12-26 à 10:30

Ms Mahati Kannan

The Karanas Decoded

Après mon cours de bharatanatyam, je file au Krishna Gana Sabha pour assister à une partie de la matinée du premier jour de la Natya Kala Conference. J'arrive vers la fin de la présentation de Mahati Kannan qui a étudié les Karanas dans les sculptures, y compris dans d'autres régions de l'Asie que l'Inde.

À peine me suis-je assis que je l'entends prononcer le nom du peintre Edgar Degas et des termes de ballet : grand jeté, grand battement. Une version indienne de ces mouvements est présentée. À l'invitation de CV Chandrashekar, Mahati Kannan fait la démonstration d'un Swaram utilisant uniquement des tours (de différentes sortes, parmi lesquelles il y avait des sortes de fouettés et aussi des tours avec les genoux à terre.)

Natya Kala Conference, Dr. Nalli Gana Vihar, Chennai — 2018-12-26 à 11:30

Ms Sanjukta Wagh

Manodharma in Kathak and Dance Theatre

La danseuse de kathak Sanjukta Wagh intervient ensuite pour une démonstration sur l'improvisation. Elle explique comment en quelques mois au Trinity Laban Conservatoire de Londres elle a repensé sa pratique de la danse. Elle a cherché à explorer l'improvisation qu'elle pouvait admirer dans d'autres formes d'art, comme la musique dhrupad.

Elle a présenté trois extraits sur le thème de Gandhari accompagnée par un guitariste et par son propre chant. Les deux premiers était de pur Abhinaya. Ses mouvements étaient très simples, mais l'intensité qui s'en dégageait m'a semblé assez sublime. Le troisième était un passage rythmique dans lequel elle incarne Gandhari portant le bandeau qui l'a rend aveugle.

Elle a interprété aussi une composition en Ektal sur un poème soufi penjabi de Shah Hussain “Ghum ghum carakhra”.

Natya Kala Conference, Dr. Nalli Gana Vihar, Chennai — 2018-12-26 à 12:15

Sri V. Balagurunathan

Sri Guru Bharadwaj

Smt Meenakshi Srinivasan

Sri Swamimalai Suresh

Smt Pavithra Srinivasan

Jathis - the long and short of it: A panel discussion (moderated by Priya Murle)

J'étais principalement venu pour cette discussion entre danseurs, percussionnistes et un nattuvanar. L'organisatrice de la conférence Srinidhi Chidambaram a introduit le sujet avec des commentaires assez acides à propos de l'évolution des jathis vers de plus en plus de longueur, de plus en plus de complexité, au détriment de la musicalité. Chacun des intervenants a présenté son opinion sur les Jathis, certains s'exprimant uniquement en tamoul... Le percussionniste Guru Bharadwaj a expliqué dans quelle mesure les shollus variaient entre le mridangam, le tavil et les jathis en bharatanatyam. L'idée la plus importante m'a semble-t-il été énoncée par Swamimalai Suresh qui a dit que ce qui comptait c'était la musicalité... Meenakshi Srinivasan était aussi de cet avis, mais qu'il fallait aussi prendre en compte le contexte (quel Varnam et où ?) dans lequel s'insère le jati pour produire le Bhava adapté ; par ailleurs, autant visuellement qu'en termes d'onomatopées, le jathi doit utiliser un vocabulaire cohérent, comme une sorte de thème et variations.

Une controverse générale s'est répandue à propos de la question de savoir qui est-ce qui dirige la danse, en particulier pendant les silences (karvais) ? Cela faisait suite à une remarque de la danseuse Meenakshi Srinivasan qui pensait que dans ce cas c'était à la danseuse de diriger et aux musiciens de suivre. Beaucoup d'autres, et Guru Bharadwaj en premier pensaient très fortement que ce qui compte c'est que tout le monde soit en même temps en rythme (kalapramanam). (Personne n'a pensé à dire qu'il est possible pour le nattuvangam artist et/ou le mridangiste de remplir un peu les silences pour faciliter la perception des bons intervalles de temps.) Srinidhi Chidambaram a insisté sur le fait qu'il fallait inciter les jeunes danseurs à aller assister à des concerts pour mieux comprendre la musique carnatique...

Parmi les questions du public, Nrithya Pillai a demandé à Swamimalai Suresh de réciter un jati spécifique qui est particulièrement intéressant pour les longs intervalles de silence qu'il contient. L'artiste qui est le petit-neveu de S.K. Rajaratnam Pillai s'est exécuté et en a aussi récité un deuxième. C'étaient de véritables gourmandises auditives !

Music Academy, T.T.K. Auditorium, Chennai — 2018-12-26 à 16:00

Aruna Sairam, chant

Vittal Ramamurthy, violon

J. Vaidyanathan, mridangam

Dr S. Karthik, ghatam

Bien qu'elle ait pas mal toussoté entre les pièces, très beau concert de la grande Aruna Sairam, qui va très bientôt recevoir le titre de Sangeetha Kalanidhi par la Music Academy. Elle a commencé par un Varnam en Khanda Ata Tala (14 temps). Plus loin, alors même que je regardais le portrait de Shyama Shastri accroché à droite dans les hauteurs du T. T. K. Auditorium, elle a annoncé qu'elle allait chanter Brovavamma Tamasa... (Raga Mahnji, Misra Chapu Tala) de ce compositeur. La pièce principale a été un Ragam-Thanam-Pallavi en Khanda Chapu à la fin duquel les deux percussionnistes ont fait un beau Tani Avarthanam.

Narada Gana Sabha (Main Hall), Chennai — 2018-12-26 à 19:00

Narthaki Nataraj, danse bharatanatyam

Kaushik Champakesan, nattuvangam

Nandini Sai Giridhar, chant

Nag Sriram, mridangam

Srilaksmi Ramani, violon

Devraj, flûte

Chidambaram Thiruppugazh (Raga Gambhira Nattai, Chatushra Ekam Tala)

Kirtana “Devi Mina Netri” (Raga Shankarabharanam, Adi Tala), composition de Shyama Shastri

Pada Varnam “Mohamana” (Raga Bhairavi, Rupaka Tala), composé par Ponniah Pillai (Thanjavur Quartet)

Kriti “Kanna vendum” (Raga Surutti, Adi Tala), composition d'Arunachala Kaviraya

Padam “Enako Munako” (Raga Abheri, Tisra-nadai Adi Tala)

Padam (Ragamalika, Khanda Chapu Tala)

Mangalam

C'est un fort beau Margam de deux heures qu'a présenté Narthaki Nataraj (que j'avais déjà vue en 2013).

Le première pièce est un hommage à Muruga aux six visages. La façon d'exécuter les mouvements de danse pure n'est pas la plus raffinée ou stylisée qui soit, et les pieds manquent parfois un peu de précision (on sent aussi que l'orchestre n'a pas beaucoup répété et que le mridangam en fait dix mille fois trop). Comme dans tout le récital, la danse pure sera fait en vitesse moyenne, conformément à ce qu'enseignait K.P. Kittappa Pillai, le guru de la danseuse. Il n'y a aucune volonté de virtuosité. Par contraste avec ce qui se fait habituellement de nos jours, c'est extrêmement agréable à écouter et à regarder. Les mouvements expressifs de la danseuse sont extrêmement beaux et semblent être d'un autre temps.

Après une pièce introductive dédiée à Muruga et un kirtana de Shyama Shastri dédié à la Déesse aux yeux de poisson, Narthaki Nataraj a interprété le Varnam “Mohamana”, un grand classique. Je l'avais vu en août dans une chorégraphie de Rama Vaidyanathan qui avait pour ainsi dire enlevé tout l'aspect amoureux de la pièce. C'est donc avec un grand plaisir que j'ai apprécié cette interprétation (d'une chorégraphie de K.P. Kittappa Pillai). L'héroïne enamourée de Tyagesha (Shiva) perd le sommeil et l'appétit. Elle ne peut supporter les sons de la nature. Plus loin, l'amie de l'héroïne n'en peut plus de devoir transmettre des lettres entre l'héroïne et Tyagesha : au bout de quelques allers-retours, elle est épuisée. Ensuite, la ville de Thiruvarur est évoquée avec un éloge des arts (sculpture, musique) et un court développement d'une légende selon laquelle les roues d'un char avaient tué une vache et pour expier sa faute, le pilote avait sacrifié son fils. Enfin, l'héroïne cherche l'union avec celui qui chevauche le buffle. Plus loin, il y a eu une transition interminable du percussionniste : la danseuse au milieu de la scène s'est mise à clapper le tala pour ne pas se perdre avant de commencer la deuxième partie dans laquelle l'héroïne est touchée par les flèches de l'Amour et souffre de la séparation avec Tyagesha. Le chant des oiseaux la fait souffrir. La nuit, elle est ardente. Elle brûle d'amour à cause de la lumière de la Lune.

Le récital s'est terminé par trois pièces de pur Abhinaya. Le premier mettait en scène Shurpanakha décrivant la belle Sita à Ravana.

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Chennai, Jour 4/16 : Srekala Bharath

2018-12-25 22:30+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII

Narada Gana Sabha (Main Hall), Chennai — 2018-12-25 à 19:00

Srekala Bharath, danse bharatanatyam

Padma Raghavan, nattuvangam

Dhanamjayan, mridangam

Preeti Mahesh, chant

M. Srikamani, violon

Invocation (Rupaka Tala)

Pushpanjali (Adi Tala, Raga Arabhi), composition de Dr. M. Balamuralikrishna

Viruttam

Muruga Kavuttuam

Swarajati (Adi Tala, Raga Kamboji), composition du Thanjavur Quartette

Padam “Jagadhodharana” (Raga Kapi, Adi Tala, composition de Purandaradasa)

Javali (Adi Tala, Raga Kamas)

Thillana (Adi Tala, Raga Paras), composition de Pooci Srinivasan Iyengar

Kriti “Omkara Akarini” (Adi Tala, Raga Lavangi), composition de Dr. M. Balamuralikrishna

Mangalam

Chroniquette express. Le récital de danse auquel j'ai choisi d'assister ce soir était celui de Srikala Bharath (disciple de KJ Sarasa, dont elle enseigne le style Vazhuvoor à Chennai). Elle a interprété un Margam de forme traditionnelle. La danseuse m'a semblé très en difficulté dans sa danse pure au début du récital. On n'entendait pas ses pieds (ce qui lui permettait de ne faire parfois qu'un pas sur deux). Cela s'est un peu amélioré par la suite, notamment dans le Swarajati en Raga Kamboji et Rupaka Tala du Thanjavur Quartette. Elle a très bien représenté les ornements de Shiva (peau de tigre, serpents...) qui au lieu d'effrayer l'héroïne la ravissent. Elle a aussi élégamment montré la jalousie de l'héroïne pour Parvati qui ne fait qu'un avec Shiva dans sa forme Ardhanarishwara. Quelques autres beaux moments dans l'Abhinaya de la danseuse, notamment dans Jagadhodharana, mais pas de grands frissons...

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Chennai, Jour 3/16 : Skaandam par la Chidambaram Dance Company (Chitra Visweswaran)

2018-12-24 23:08+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII

Depuis que je suis arrivé à Chennai, comme lors de mes séjours précédents, je prends des cours avec Master Kuttalam M. Selvam. Après mon deuxième cours de la journée, où il a commencé à m'enseigner l'Abhinaya d'un Shabdam consacré à Muruga, je me suis rendu au Brahma Gana Sabha pour assister à un programme thématique consacré à ce dieu. Les premiers spectacles de danses vus hier et avant-hier ne suivaient pas le modèle traditionnel du Margam (même en version réduite : il faut au minimum un Varnam, un Padam et un Thillana). Je me sentais en manque de Margam, et je n'osais espérer être satisfait avec un programme thématique dont les formats varient beaucoup. Non seulement, j'ai été satisfait sur ce point, mais le frissonomètre a grimpé très haut !

Brahma Gana Sabha, Sivagami Pethachi Hall, Chennai — 2018-12-24 à 19:00

Chidambaram Dance Company

Chitra Visweswaran, Priyadandapani, Vidhya Anand, Jai Queheni... (danse bharatanatyam)

R. Visweswaran, Lalgudi Jayaraman, etc. (musique)

Skaandam (Chitra Visweswaran)

Murali Parthasarathy, chant

Sukanya, nattuvangam

Venkat Subramaniam, mridangam

Tyagaraja, flûte

Sai Ganesh, vina

Dans le style de danse bharatanatyam, rares sont les chorégraphes qui parviennent à mettre en scène de façon intéressante des groupes. La seule exception que je connaisse est Chitra Visweswaran dont j'ai pu apprécier plusieurs productions : Anubhuti vu à Paris en 2013, Meera: The Soul Divine dont j'ai assisté à la création en juillet 2016 à Chennai. Je suis légèrement biaisé puisque lors de mes séjours à Delhi, je prends des cours avec une de ses disciples, mais les chorégraphies solo de Chitra Visweswaran sont excellentes et quand il s'agit de groupes elle est tout simplement géniale.

Le programme présenté ce soir au Brahma Gana Sabha est intitulé Skaandam (dieu aussi connu sous les noms de Kartikeya, Muruga, Guha, Kumara, Shanmukha, Subramanya, etc.). Après la récitation d'un mantra et d'une composition, le programme proprement dit a commencé par un Shloka sanskrit dédié à Muruga et dansé par Chitra Visweswaran. La danseuse développe élégamment la représentation du paon, la monture de Skanda.

Le Shloka s'enchaîne avec un Pushpanjali initialement dansé par huit danseuses de la Chidambaram Dance Company parmi lesquelles je reconnais Vidhya Anand et Jai Queheni. L'utilisation de l'espace par le groupe est magnifiquement bien reglé. Il s'agit alors de mettre en scène le combat entre les dieux et les démons, principalement sous la forme de quatre duels mettant chacun en opposition deux danseuses qui se défient l'une l'autre. La tournure des événements change radicalement quand une neuvième danseuse (Priyadandapani) entre en scène dans le rôle de Skanda. Il lutte, et assez étrangement, tue un éléphant et un tigre. La pièce se termine par un alignement de huit danseuses et à peu près autant de paires de bras représentant Skanda devant lequel se tient une danseuse faisant le paon. Un peu plus loin, en forme de transition, deux dévotes s'émerveillent en rappelant à leur souvenir celui qui est né de façon miraculeuse au bord de la rivière Ganga.

Le spectacle se poursuit avec un magnifique Varnam de Lalgudi Jayaraman (Raga Nilambari, Adi Tala). Il est interprété par neuf danseuses dans différentes configurations. Les passages techniques sont superbes. Les chorégraphies me semblent très musicales et toutes les danseuses savent utiliser les contrastes entre force et douceur dans leurs mouvements. Rarement une première vitesse d'un Trikala Jati ne m'a semblé aussi délectable ! La première ligne du Pallavi comporte le plus long développement sur la naissance de Skanda. Les dieux viennent voir Shiva pour lui demander d'avoir un fils qui pourra vaincre les démons. On voit aussi la rencontre de Shiva et Parvati, cette dernière prenant soin de lui alors qu'il est en méditation ; il réduira en cendres Kama quand celui-ci perturbera son ascèse. Plus loin, six nourrices s'occupent de l'enfant à six têtes et douze bras. Les motifs rythmiques des Tattu Muttu sont délicieux avec la moitié d'entre eux qui sont sur les temps et l'autre moitié qui est décalée, ce qui procure une sensation assez particulière. Le deuxième Tirmanam, dansé à trois, est particulièrement beau puisque la plupart des mouvements sont faits à contretemps par rapport aux syllabes récitées. Plus loin, la chorégraphie évoquera la dévotion à Skanda ainsi que sa monture. Assister à la deuxième moitié du Varnam a été un pur plaisir !

À peine le Varnam terminé, Chitra Visweswaran entre en scène pour une double pièce d'Abhinaya (dans les talas Adi Tala et Mishra Chapu). Le sens général de cette pièce m'a complètement échappé si ce n'est qu'à la fin son personnage s'émerveille en voyant Skanda aux 6 têtes et 12 bras. Par exemple, je n'ai pas compris pourquoi la danseuse avait évoqué très longuement un jeu de balle ? Cela dit, dans sa façon de faire les mouvements, on ne peut qu'admirer la maîtrise absolue de son art par l'interprète.

La programme se conclut par un Thillana très élaboré, commencé par Chitra Visweswaran, et poursuivi par ses disciples.

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Chennai, Jour 2/16 : K. Sadgurucharan, Mythili Prakash, Shijith Nambiar & Parvathy Menon, A Thillana Medley

2018-12-24 00:19+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII

Music Academy, Kasturi Srinivasan Hall, Chennai — 2018-12-23 à 08:05

Vidwan K. Sadgurucharan

Panchamukhi Tala Avadhana

Pendant le festival de la Music Academy, des lecture-demonstrations sont organisées tous les matins dans la petite salle. Un des titres qui avait attiré mon attention était celui du mridangiste Vidwan K. Sadgurucharan.

Il a expliqué le concept de Panchamukhi Tala Avadhana. Il s'agit d'une performance consistant à clapper simultanément différents talas avec différentes parties du corps (cinq s'il s'agit de Panchamukhi et six s'il s'agit de Sanmukhi). Il a expliqué que des traductions télugu de textes sanskrits anciens contenaient des descriptions de telles performances par les dieux Shiva, Vishnu et Brahma. La première performance historiquement attestée date de 1914 par Narayana Dasu. Vidwan K. Sadguducharan a expliqué les différentes façons d'exécuter cela.

Le point culminant de la présentation fut sa démonstration de l'Ishwara Panchamukhi Tala Avadhana. Il a chanté une composition de Tyagaraja qui est originellement en Adi Tala, donc huit temps dont chacun est subdivisé en quatre ce qui fait 32 pulsations (rapides) par cycle rythmique. Dans sa performance, alors qu'il était assis sur une sorte de banc, il a frappé du pied gauche toutes les trois pulsations rapides (Tishra), du pied gauche toutes les neuf pulsations (Sankirna), de la main gauche toutes les sept pulsations (Mishra), de la main droite toutes les quatre pulsations (Chatushra) et toutes les cinq pulsations (Khanda), il faisait un mouvement simultané des deux épaules. Après le mouvement simultané des cinq parties du corps sur la toute première pulsation, il faut attendre 1260=4×5×7×9 pour que les cinq cycles indépendants se rejoignent à nouveau. Tout le monde n'est pas capable de clapper une pulsation de façon régulière. La plupart des gens arrivent à néanmoins à le faire. Je fais partie de ceux qui arrivent à clapper certaines combinaisons de deux pulsations plus ou moins indépendantes comme (3,4), (3,9), (3,6), (5,10), (7,14). Là il s'agissait d'un véritable prodige consistant à le faire pour le quintuplet (3,4,5,7,9) tout en chantant une composition en Adi Tala (sur un cycle de 8×4=32 pulsations, nombre qui ne divise pas 1260, ce qui nécessita une petite manipulation à la toute fin).

Cinq musiciens réputés avaient été conviés pour vérifier que la performance ne comporterait pas d'erreur : chacun devait surveiller une des cinq parties du corps. Quand ils se sont tous levés à la fin de la performance, le public a fait de même et Aruna Sairam, qui commente chacune des lec-dems en tant que Sangeetha Kalanidhi designate, s'est réjouie que l'on trouve encore des génies dans la musique carnatique aujourd'hui.

Voici cette performance en notation Benesh :

Notation Benesh d'Ishwara Panchamukhi

Le musicien a également fait une performance de Sanmukhi Tala Avadhana en clappant Adi Tala en six vitesses différentes (chaque vitesse étant deux fois plus rapide que la précédente). Il l'a fait en chantant un Varnam en Chatushra et Tishra-nadai.

Natya Darshan, Bharatiya Vidya Bhavan, Chennai — 2018-12-23 à 17:00

Mythili Prakash, danse bharatanatyam

D. Punaya, chant

Jayashree Ramanathan, nattuvangam

Easwar Ramakrishnan, violon

Mohan Krishnamurthy, mridangam

The Dichotomy of the Goddess

J'ai assisté aux trois programmes de la soirée conclusive de la conférence Natya Darshan organisée par Priya Murle. La première performance est de Mythili Prakash, disciple de sa mère Viji Prakash et dont la mentor actuelle est Malavika Sarukkai.

La danseuse a présenté un Daru Varnam en Raga Kamas et Adi Tala de Harikesanallur Muthiah Bhagavatar, intitulé Māte malayadhvaja.....

Mythili Prakash a une technique de danse très élégante, tout en étant à la fois précise dans les lignes et le rythme. La pièce joue du contraste entre la douceur féminine et la vigueur de la Déesse en tant que combattante (impression de déjà vu avec le programme d'hier de Malavika Sarukkai...). En effet, le programme s'intitule The Dichotomy of the Goddess, et ce thème avait été introduit par des gestes des deux mains en Pataka dans une introduction présentant différentes images de femmes autour des mantras Ya Devi Sarva Bhuteshu et Ayi Girinandini Nanditamedini, qui eux-mêmes faisaient suite à une prière à celle qui était comparée de nombreuses manières à la fleur de lotus (Kamala). Dans l'unique ligne de Pallavi, la Déesse est la fille de la Montagne et la mère de Ganesh et Guha (Skanda). La danseuse élabore autour du thème de la femme-mère jouant avec ses enfants, les couchant, puis avec celui de la femme-amante. De façon à généraliser le propos à toutes les femmes, la chorégraphie contient peu de références précises à la Déesse en particulier, si ce n'est qu'elle a un fils ayant une tête d'éléphant. Dans l'Anupallavi et dans le Jati correspondant (en Tishra-nadai), la chorégraphie fait contraster d'une part la lenteur, la douceur, la femme séductrice, les beaux cheveux et d'autre part la vitesse, la brutalité des armes, la force guerrière, les cheveux défaits.

La pièce semble s'arrêter une première fois sur une femme en situation de détresse. Dans sa deuxième moitié, la structure du Varnam est quelque peu malmenée, les onomatopées se superposant parfois à la ligne de Caranam, les Swarams n'étant pas toujours dansés, et les arudis ne se finissant pas toujours au point prescrit, mais juste après. La danse va s'arrêter une autre fois, avec un passage accompagné du nattuvangam (bâton) pour le combat entre Mahishasura, le démon en forme de buffle, et la Déesse. De façon étrange, après cette victoire, le Varnam se finit sur une femme dans une situation de désespoir total.

Je ne suis pas vraiment convaincu par le concept autour de cette pièce ; les parallèles et oppositions ne me semblent pas très pertinents dans le cadre de cette composition musicale. La danse est élégante, mais émotionnellement le frissonomètre n'est pas monté très haut. Il est par ailleurs étonnant que la danseuse n'ait utilisé que 45 minutes de son créneau qui faisait plus d'une heure !

(Indépendamment de la danseuse, il m'a été difficile de me concentrer, les ouvreurs n'arrêtant pas de faire la police pour que les gens s'installent à une place qui corresponde au prix de leur billet ; ils faisaient entrer les retardataires auxquels ils montraient le chemin avec une puissante lampe, etc.)

Natya Darshan, Bharatiya Vidya Bhavan, Chennai — 2018-12-23 à 18:15

Shijith Nambiar & Parvathy Menon, danse bharatanatyam

D. Punaya, chant

Parthasarathy, nattvangam

Easwar Ramakrishnan, violon

Karthikeyan Ramanathan, mridangam

J'ai en général peu d'affinités avec le style Kalakshetra, mais après la pause, le couple de danseurs Shijith & Parvathy a présenté un très beau programme. J'avais déjà eu l'occasion de voir une de leur disciple l'année dernière (elle avait eu le deuxième prix du festival Spirit of Youth). J'ai particulièrement apprécié la danse de Shijith Nambiar, dont l'Abhinaya m'a semblé très convaincant, même s'il s'agit davantage de description que d'incarnation, le seul sentiment humain véritablement représenté étant la dévotion.

Le programme a commencé par un magnifique Alarippu en Adi Tala dont la phrase de première vitesse occupait deux cycles, soit seize temps répartis en 16=7+9. Il s'agissait en fait d'un medley entre l'Alarippu et une composition dédiée à Shiva. Sur la phrase introductive ressemblant à Tat tai tai yum... répétée de nombreuses fois, Shijith joue le rôle du dévot de Shiva incarné par Parvathy Menon. Puis, la danse pure intervient. Que l'Alarippu soit en Adi Tala donne la sensation d'assister à un Trikala Tirmanam comme dans un Varnam. La pièce enchaîne avec la composition musicale dédiée à Shiva. Les danseurs se transforment en dévots qui entrent dans le temple de Shiva. C'est typiquement de l'Abhinaya Kalakshetra, mais c'est très bien fait. La phrase initiale de l'Alarippu revient en conclusion alors que les deux danseurs ont repris leurs rôles initiaux.

Les danseurs ont dansé un Jatiswaram en Ragamalika et Misra Chapu. Il est habituellement attribué au Thanjavur Quartette, mais il a été ici annoncé comme étant de Swati Tirunal, avec en outre la présence de paroles dédiées à Padmanabha sur la mélodie des Swarams. Dans l'interprétation, des shollus se sont parfois superposés à la mélodie, ce qui est assez étrange. La technique des deux danseurs est excellente. La chorégraphie comporte de nombreuses trouvailles, que ce soit en termes d'adavus ou en termes de duo (un des Swarams a ainsi été interprété plus ou moins en canon ou sous forme de questions et réponses). J'apprécie beaucoup les passages rythmiquement complexes quand ils sont à vitesse modérée. Leur capacité à exécuter des mouvements très rapides (frappes, tattu muttu) est impressionnante, mais il y a à mon avis, et c'est un travers typiquement kalakshetrien, une utilisation excessive des subdivisions des temps du cycle rythmique Misra Chapu. Ainsi, si certains passages sont impressionnants de virtuosité, il est regrettable qu'une véritable bataille ait lieu entre la mélodie de la composition rythmique et le rythme des pas de danse. Au contraire, plutôt que de se combattre, les deux devraient concourir au plaisir esthétique.

Le récital s'est poursuivi par une interprétation du vingt-troisième Ashtapadi Kṣaṇam Adhunā extrait du Gita-Govinda. La mise en musique par Rajkumar Bharati en Ragamalika et Misra Chapu n'est pas de nature à créer une atmosphère permettant aux émotions les plus subtiles de s'exprimer. Pourquoi donc insérer des Swarams ? et des frappes rythmiques ? S'il n'est pas complètement évité, le caractère érotique est assez largement laissé de côté. Je retiens surtout la préparation des deux amants, Shijith interprétant Krishna nouant son dhoti, mettant une plume de paon dans ses cheveux, se massant avec de la pâte de santal, etc. Plus loin, il lancera des flèches florales.

Le récital s'est conclu sur un Ardhanarishwara en Khanda Chapu et Brindavani Sarang (raga hindustani) également mis en musique par Rajkumar Bharati d'après des vers de Shankaracharya et des textes tantriques. Je ne retiens pas grand'chose de cette pièce plutôt descriptive si ce n'est le leitmotif chorégraphique constitué par l'association d'une main du danseur et de la danseuse pour former le mudra représentant le Shiva-linga.

Natya Darshan, Bharatiya Vidya Bhavan, Chennai — 2018-12-23 à 19:30

Sanatkumar, Athul Balu, Vishnu Bhasi, Sudarshini Iyer, Manaswini Korukkai, Sivasri, Ananthashree, Jai Queheni, Arul, danse bharatanatyam

Destination: The Self, A Thillana Medley

KP Rakesh, chorégraphie

Sri Kasi, nattuvangam

Nandini Anand Sharma, chant

Easwar Ramakrishnan, violon

KP Ramesh Babu, mridangam

La soirée s'est terminée par un medley de Thillanas (en Rupaka Tala, Adi Tala en Chatushra- ou Tishra-nadai et divers ragas) interprété par neuf jeunes danseurs. Il s'agit d'une chorégraphie commandée spécialement à KP Rakesh de Kalakshetra, dont Priya Murle a étrangement annoncé qu'il était un Nattuvanar (terme strictement réservé aux membres des familles héréditaires qui pratiquent l'art du nattuvangam) représentant le style de Balamma (?!??), alors qu'il a été formé à Kalakshetra.

La chorégraphie était agréable à regarder. Les séquences rythmiques sont plutôt musicales et utilisent bien le groupe de danseurs (entre 3 et 9 présents sur scène à un instant donné). Dans le groupe, j'ai particulièrement apprécié la délicieuse danse de Jai Queheni, disciple de Chitra Visweswaran.

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Chennai, Jour 1/16 : Malavika Sarukkai

2018-12-22 22:58+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII

Je suis arrivé cet après-midi à Chennai après une relativement courte correspondance à l'aéroport de Delhi. Au guichet de l'immigration, pour la première fois en dix-huit entrées, on me demande ce que je viens faire en Inde. Vous venez pour un camp de méditation ou de yoga ? Ah non, pas vraiment, je viens pour la saison de musique et danse. Et, vous pouvez le prouver ? Euh, oui, coup de bol, j'ai un billet pour un concert le 29 décembre. Et à part ça ? Par exemple ce soir je vais voir Malavika Sarukkai. Comment vous épelez ce nom ? Comment dire, il y a pleins de spectacles tous les jours, je ne vois pas trop l'intérêt de vous donner toute la liste...

En sortant de l'aéroport à pieds, je mets un peu plus de temps que d'habitude pour trouver la station de train Tirusulam pour rejoindre rapidement le centre de Chennai d'où je prendrais un rickshaw pour rejoindre l'appartement où je vais séjourner à Alwarpet. Arrivé au carrefour de la Music Academy, le pilote de rickshaw s'apprête à tourner dans la direction opposée ! Heureusement, je pourrai faire office de copilote jusqu'à l'arrivée.

L'appartement où je suis est stratégiquement placé à proximité du Narada Gana Sabha, du Brahma Gana Sabha et de la Music Academy. À peine arrivé, je repars pour la salle de spectacle où se déroule le festival du Brahma Gana Sabha.

Brahma Gana Sabha, Sivagami Pethachi Hall, Chennai — 2018-12-22 à 19:00

Malavika Sarukkai, danse bharatanatyam

Murali Parthasarathy, chant

Nellai Balaji, mridangam

Malavika Sarukkai est certainement une des danseuses de bharatanatyam les plus connues. Je ne l'avais jusqu'à maintenant jamais vue en spectacle. Elle a assurément une présence scénique impressionnante. L'art de l'expression (Abhinaya) n'est pas vraiment son point fort. D'un point de vue strictement narratif ou descriptif, ce qu'elle fait est impressionnant (mais un peu exagéré), mais en termes émotionnels, je reste vraiment sur ma faim. Son point fort est son assez extraordinaire travail sur le rythme (pour lequel elle a été aidée par le percussionniste MS Sukhi dans sa pièce principale). Ses frappes sont extrêmement vigoureuses, et on entend ainsi assez bien le jeu rythmique auquel elle se livre. Ces pas sont insérés en permanence dans son Abhinaya, dans des proportions qui malheureusement détournent l'attention vers le rythme au dépens du sens.

Après le mantra Om Namah Shiva et une composition en Khanda Chapu (à moins que ce ne soit Khanda-nadai Adi Tala) commençant par Prabhu... qui évoquait les divers attributs de Shiva (le croissant de Lune, la Ganga, les cheveux défaits, le cercle de feu, son épouse, le lingam, etc.), elle a interprété une pièce principalement rythmique faisant se succéder jatis et swarams. À la fin de chaque séquence, un Arudi est exécuté qui marque le cinquième temps, puis, ô surprise, marque aussi le septième temps après des frappes virtuoses, et deuxième surprise, marque aussi parfois le premier temps du cycle suivant.

La pièce principale aborde le thème de Mahishasuramardini, à savoir du triomphe de la Déesse contre le démon Mahisha. Le texte est extrait du Devi-mahatmya (qui fait partie du Markandeya-Purana), des extraits que j'ai eu l'occasion de lire il y a quelques mois lorsque j'ai réalisé la notation Benesh d'une chorégraphie de Sucheta Chapekar qui aborde aussi ce thème (de façon beaucoup plus brève). La pièce repose sur le contraste entre d'une part la brutalité de ce démon et la fureur de la Déesse combattante et d'autre part la beauté et la délicatesse de la Déesse dans ses formes plus apaisées. Le corps de lotus de la Déesse, ses beaux seins d'une part, et d'autre part elle porte aussi le trident, chevauche le tigre. La représentation de la fureur n'est pas très subtile. Ainsi, par exemple, la danseuse a traversé la scène de l'arrière vers l'avant en mode Déesse chevauchant un tigre qui sautait en mode sauterelle (on est ni dans la stylisation d'une intention ni dans l'imitation naturaliste du tigre ; je ne sais pas très bien où on est...). La Déesse ne sait pas très bien dans quelle main tenir son arc. Parmi les métamorphoses du démon Mahisha, la chorégraphie représente sa transformation en éléphant. Certes il s'agit d'un éléphant surexcité, mais la vitesse des mouvements de la danseuse ne permet pas de croire qu'il s'agit véritablement d'un éléphant. La pièce se conclut par une longue prière adressée à la Déesse. Il y a un gros travail rythmique dans cette pièce et une volonté d'impressionner (qui a manifestement fonctionné sur le public), mais alors que ma vénérable voisine me confiait This was something!, je ne pouvais que répondre It's special....

La danseuse interprète ensuite le classique Krishna Ni Begane. Le très jeune Krishna suscite l'émerveillement de sa mère adoptive Yashoda. Les mouvements expressifs de la danseuse sont très convainquants. C'est du travail bien fait, mais je ne suis nullement ému par l'essentiel de la pièce, qui est bien sûr agrémenté de très nombreuses frappes de pieds, surtout quand Yashoda admire les grelots de Krishna. Le plus beau moment a été à la fin quand, en ouvrant la bouche, Krishna révèle à sa mère qu'il est Vishnu et qu'il ne fait qu'Un avec tout l'Univers.

Suit l'Ashtapadi “ललितलवङ्ग dans lequel l'interprète représente le printemps de nombreuses manières, en agrémentant la description d'un formidable jeu rythmique, mais on passe pour ainsi dire presque complètement à côté des sentiments que ce printemps suscite chez les bouvières. Les sentiments humains ne seront présents que lors de la sortie de scène de la danseuse qui alterne alors entre une femme amoureuse et un homme qui la suit.

J'aurais eu une opinion extrêmement mitigée de ce récital s'il n'y avait pas eu le Thillana de Lalgudi Jayaraman (Raga Mohanakalyani/Adi Tala). Ce fut véritablement une merveille. Cette composition rythmique, que j'ai eu l'occasion d'entendre à Paris il y a quelques semaines de cela, présente une particularité rythmique intéressante : les phrases musicales ne commencent pas sur le premier temps, ce qui n'est en soi pas rare, mais elles commencent une moitié de temps avant le premier temps. Les phrases chorégraphiques doivent alors en principe aussi commencer avant le premier temps et se finir juste avant le même endroit, ce qui procure une sensation assez unique quand la danse est interprétée de façon très musicale quand l'a fait Malavika Sarukkai.

Le récital s'est conclu avec Vande Mataram et une ultime violente frappe de pieds sur le dernier temps de la composition.

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Anusha Cherer au Centre Mandapa

2018-12-02 07:22+0100 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Centre Mandapa — 2018-11-29

Anusha Cherer, danse bharatanatyam

Pushpanjali (Adi Tala, Ragaa Arabhi), chorégraphie de Sivaselvi Sarkar

Krishna Kavuttuam (Adi Tala), chorégraphie de Lavanya Ananth

Varnam (Adi Tala, Raga Reethi Gowla, composition de Vadivelu), chorégraphie de Rama Vaidyanathan

Ashtapadi #12 “नाथ हरे (Mishra Chapu Tala, Raga Vasanthi), chorégraphie de Bragha Bessell

Tillana (Adi Talam, Raga Brindavani, composition de Dr. M. Balamuralikrishna)

J'avais déjà eu l'occasion de voir danser Anusha Cherer en 2015. J'avais alors été particulièrement impressionné par la musicalité de sa danse. Bien que centrées sur le thème de Shiva & Shakti, les pièces de ce récital avaient été extrêmement techniques. Son récital du 29 novembre 2018 au Centre Mandapa se rapproche davantage du format traditionnel du Margam et a permis d'apprécier plus en profondeur son travail.

Anusha Cherer est très certainement une des toutes meilleures danseuses de bharatanatyam en France. Certaines aspects que l'on peut apprécier dans ce style de danse étaient tous réunis au cours du récital : expressivité dans l'Abhinaya, musicalité dans les frappes de pied, araimandi (demi-plié), etc. Parfois, certaines maladresses ou très légères faiblesses pouvaient bien apparaître à un moment donné dans l'un ou l'autre de ces aspects, mais globalement, le récital m'a semblé très satisfaisant. Il est évident que la danseuse a beaucoup travaillé pour préparer un récital et donner le meilleur d'elle-même autant dans les aspects les plus athlétiques, virtuoses et rythmiques, que dans son Abhinaya.

À propos de la présentation des pièces, il est dommage que les noms des compositeurs et chorégraphes et les ragas n'aient pas été annoncés. (Merci à la danseuse de m'avoir communiqué ces informations, qui ont été ajoutées ci-dessus.)

Le Pushpanjali met en valeur la précision rythmique de la danseuse. La première phrase musicale répétée se finissant par un silence, les premières phrases chorégraphiques se terminent par une pose plutôt que par la ponctuation habituelle, ce qui est assez étonnant. La pièce se termine par un éloge du dieu Ganesh.

La deuxième pièce est un Krishna Kavuttuam dont l'orchestration me paraît quelque peu surchargée, surtout au début. En tant que Kavuttuam, cette pièce est étonnamment longue. Elle évoque plusieurs légendes autour de Krishna, principalement sous la forme de passages narratifs combinés à des pas techniques accompagnées d'onomatopées chantées. Celui qui a un visage de lotus et aime manger du beurre a soulevé le mont Govardhana, dompté le serpent Kaliya, vaincu Kamsa. La chorégraphie met aussi en scène la vision extraordinaire de Yashoda quand elle demanda à son fils adoptif d'ouvrir la bouche tandis qu'elle le soupçonnait d'avoir mangé de la terre.

La pièce centrale du récital est un Varnam en Adi Tala dédié à Padmanabha (Vishnu). Quand la danseuse se place au fond de la scène dans une position neutre avant que la pulsation entre dans la musique, elle semble déjà incarner l'héroïne, qui n'a que ses yeux pour exprimer la distance qui la sépare de Padmanabha. Pendant toutes les marches préparatoires aux trois tirmanams présents dans la première partie du Varnam, la danseuse est impressionnante de précision rythmique. Le premier Tirmanam (Tri-kala) est sur le motif “Ta di nutadimi ta di nutadimi ta nutadimi ta dimita kitataka” et comporte un passage en tishra-nadai. Quand la première ligne du Pallavi reprend (et plus tard pour chacune des lignes de la première moitié du Varnam), la danseuse exécute avec une extrême conviction une formule rythmique élaborée qui se finit étrangement non pas sur le cinquième temps ni sur le premier temps du cycle, mais semble-t-il quelque part entre le sixième et le septième temps, ce qui est très inhabituel, mais qui semblerait ici guidé par la présence en un endroit particulier du cycle d'un point d'appui dans le texte chanté. La musicalité de la danseuse était très agréable à entendre dans les Tattu Muttu exécutés de façon très gracieuse avec le haut du corps et avec des contrastes appropriés de nuances dans les frappes de pieds : il n'est pas nécessaire de regarder les pieds pour savoir si les frappes vont par groupes de 4 ou de 3, ce qui est loin d'être le cas avec toutes les danseuses. Les mêmes remarques s'appliquent très largement dans les phrases rythmiques composant les Tirmanams, à l'exception des phrases conclusives dans laquelle la danseuse semblait parfois plus en difficulté. En effet, dans ces formules élaborées, la dernière frappe (diditai) des tarikitatom ou ginatom adavus était systématiquement silencieuse et pas toujours exactement en place rythmiquement ; quand plusieurs de ces adavus se suivaient, la musique des tirmanams en était à mon avis altérée au point d'empêcher à l'euphorie créée par le début de la séquence d'atteindre son climax.

Pour la première ligne du Pallavi, la danseuse est rapidement passée à un Sanchari dans lequel l'héroïne compare Padmanabha à un arbre qui serait pour elle comme un pilier. Je ne sais pas si j'aurais compris la métaphore si elle n'avait pas été expliquée dans la présentation de la pièce. Néanmoins, la danseuse représente de façon très belle et extrêmement développée l'arbre des racines jusqu'aux feuilles les plus hautes. Après le deuxième tirmanam tout en Tishra-nadai, tous les sens de l'héroïne sont submergés par les sensations procurées par Padmanabha : le son de ses pas, son odeur de pâte de santal, le goût de sa bouche. Si chacuns de ces trois sens est traité successivement de façon fort élégante, je trouve dommage que la présence de Padmanabha reste pour ainsi dire implicite. S'agit-il effectivement de Lui dont véritablement l'héroïne entend les pas, sent le parfum ou embrasse la bouche ? Ou bien de façon plus sage, s'agit-il de sensations de sa vie ordinaire qui lui rappellent Sa présence ? Dans l'Anupallavi, le dieu de l'Amour atteint l'héroïne de ses traits floraux. Ardente, elle est submergée par son feu intérieur.

La deuxième partie du Varnam commence par un Tirmanam extrêmement rapide et brillamment exécuté. Les Arudis et Tattu Muttu seront exécutés avec encore plus de conviction que dans la première partie ! La danseuse sera parfois en avance au démarrage de certaines séquences techniques (Swaram), mais c'est sans importance par rapport à la joie que procure l'ensemble de cette deuxième partie. L'héroïne voudrait être l'épouse de Padmanabha (celui dont un lotus émerge du nombril). Sans Vishnu, elle se sent comme un poisson dépérissant dans une mer asséché.

Le programme se poursuit ensuite avec une pièce de pur Abhinaya, le douzième Ashtapadi “नाथ हरे”, qui a été magnifiquement bien interprété. En relisant le poème de Jayadeva, je suis encore davantage critique sur la façon dont la pièce a été présentée. Je pense que dans la présentation des pièces de bharatanatyam, il faudrait faire une distinction claire entre ce que dit le texte qui est chanté et ce qui relève de l'imagination du chorégraphe. Il n'est peut-être pas indispensable de traduire toutes les lignes du texte, au moins celles qui donneront lieu aux plus grands développements. Par ailleurs, pour guider les spectateurs, pour ce qui n'est pas évident à discerner, on peut indiquer comment tel ou tel thème sera traité. Sinon, à mon avis, confondre le texte et son interprétation, c'est tuer la poésie. Par exemple, alors qu'elle trébuche dans la forêt, elle croit que c'est Krishna qui lui attrape la jambe, alors que ce n'était qu'une liane. C'est plus ou moins ainsi qu'a été présentée la deuxième strophe et le refrain “Râdhâ courant vers Toi, en hâte et désespoir, trébuche en ces taillis, titube et tombe. / Hari, Seigneur, vois donc comme elle souffre en sa retraite !” (traduction de Jean Varenne). Peut-être aurais-je apprécié encore davantage l'interprétation dansée si seulement la version poétique du texte avait été présentée ? De même, il n'était peut-être pas nécessaire de présenter d'autres éléments un peu triviaux de la chorégraphie (comme Râdhâ soulevant les jupes de ses amies pour voir si Krishna s'y trouve). Le seul regret que j'ai par rapport à la danse en elle-même est que la pulsation délicieusement irrégulière du cycle rythmique Mishra Chapu a été complètement absente de la danse. La musicalité a aussi son importance dans les pièces de pur Abhinaya : les pas n'ont pas vocation a être fixés à l'avance, mais c'est toujours mieux quand les pas, regards et accents dans la gestuelle s'accordent parfaitement avec la musique. Il est vrai que très peu d'interprètes en sont capables, même en Inde, mais c'est un plaisir de spectateur assez indiscriptible quand c'est le cas.

Ce très beau récital s'est conclu par un joyeux Tillana dédié à Krishna.

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Geoffrey Planque au Gymnase (Lille)

2018-02-12 19:42+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Le Gymnase, Lille — 2017-06-24

Geoffrey Planque, bharatanatyam

A. Lakshman Swamy, chorégraphies

Sabine Pandaredattil, chorégraphie du Padam

Jatiswaram (Raga Saveri, Rupaka Tala)

Purvanga du Varnam “Saami naan undan adimai enruulagamellam ariyume” (Adi Tala, Raga Natakuranji), composé par Papanasam Sivan

Padam (Raga Behag, Adi Tala)

Thillana (Raga Revati, Adi Tala), composé par Madurai N. Krishnan

En juin dernier, j'ai passé une journée à Lille pour assister à un récital de danse bharatanatyam par un danseur masculin, Geoffrey Planque. Élève de Sabine Pandaredattil, il est devenu depuis 2013 le disciple de Guru A. Lakshman Swamy, un des chorégraphes parmi les plus intéressants actuellement dont j'avais déjà pu apprécier le travail lors d'un magnifique récital de son élève Sudharma Vaithiyanathan à Chennai en 2015. Il avait d'ailleurs fait connaissance avec le style d'A. Lakshman Swamy lorsque celui-ci était venu avec ses élèves à Paris pour participer à un spectacle de la danseuse Priya Venkataraman (j'y étais aussi !).

Le récital fait partie du festival sab kuch milega. À l'approche de la salle du Gymnase, un grand drapeau indien me fait comprendre que je suis sur la bonne direction. Le récital de danse est précédé par un solo du sitariste Arnaud Eurin qui a interprété de façon très élaborée et habitée Raga Desh, puis Raga Kalavati.

Geoffrey Planque
Geoffrey Planque ©Baptiste Muzard Photographe

Le récital de Geoffrey Planque commence par un Jatiswaram en Raga Saveri et Rupaka Tala. Pratique assez rare actuellement, le danseur semble tracer des lignes au sol lors des frappes qui précèdent le très court passage accompagné d'onomatopées (Jati). Dès le début de cette pièce de danse pure, je comprends immédiatement que ce récital va me procurer beaucoup de plaisir de spectateur ! La technique du danseur est exceptionnellement bonne. Il n'y a pas un mouvement qui ne soit pas fait à 100%. Son demi-plié est très bon, et quand il frappe le talon sur le côté, sa jambe est impeccablement tendue. Les mouvements de tête et de bras sont très nets. Il fait aussi preuve d'une grande souplesse quand certains mouvements imposent de poser un genou au sol et son phrasé est superbe quand dans un enchaînement il met en valeur la première vitesse, c'est-à-dire la vitesse lente des mouvements chorégraphiques. Dans le Vazhuvoor bani, une des grandes familles stylistiques du bharatanatyam, il est de coutume d'agrémenter d'un ou plusieurs sauts la formule conclusive d'un enchaînement. Il y en eut quelques uns dans ce récital, notamment dans le Jatiswaram. Un autre saut de ce type fut particulièrement jouissif (peut-être était-ce dans la pièce suivante) et il me fait penser au saut légendaire de Nijinski à la fin du Spectre de la Rose à propos duquel le chorégraphe Michel Fokine écrivait : On a écrit tant et plus sur Le Spectre. Beaucoup de choses vraies sur l'interprétation prodigieuse de Karsavina et de Nijinski et sur la poésie de l'ensemble. Mais aussi beaucoup de choses inventées et exagérées à propos du dernier bond de Nijinski. Les applaudissements qui suivirent son « envol » par la fenêtre ne furent pas causés par la hauteur de ce saut, mais parce qu'il était la conclusion d'une danse éthérée, légère et poétique, immensément difficile à interpréter que Nijinski exécuta de façon magnifique.. Ici non plus, ce n'est pas forcément le saut en lui-même qui déclenche l'émotion et l'admiration, mais il vient davantage parachever le sentiment de contentement que la séquence de danse avait installée.

Dans la musique enregistrée des pièces chorégraphiées par A. Lakshman Swamy, on entend le chant de K. Hariprasad, un des musiciens les plus appréciés lors des récitals de bharatanatyam à Chennai. L'entendre chanter le Varnam “Saami naan undan adimai enruulagamellam ariyume” en Raga Natakuranji, Adi Tala, composé par Papanasam Sivan était à elle seule une raison presque suffisante pour faire le déplacement à Lille. D'un point de vue musical, il s'agit d'un des plus beaux Varnam du répertoire. Il est très souvent représenté. J'ai vu de nombreuses chorégraphies de cette pièce. Le texte évoque l'adoration du dieu Shiva. Dans la globalité de la composition, on ne peut ignorer le sentiment amoureux qu'éprouve l'héroïne pour le dieu ; c'est particulièrement clair dans la deuxième partie Uttaranga du Varnam. Certaines interprétations effacent complètement l'aspect amoureux et le transforment en dévotion religieuse : cela m'avait passablement agacé quand j'avais vu Renjith & Vijna dans ce Varnam. D'autres m'ont semblé beaucoup plus intéressantes comme celles de Navia Natarajan au Centre Mandapa le 14 juin 2016, ou entretemps, de la très jeune S. Bhagyalakshmi au Festival Spirit of Youth à la Music Academy à Chennai le 1er août 2017.

À un danseur masculin, je ne ferais pas le reproche de n'avoir pas doué le héros qu'il incarne de sentiments amoureux pour Shiva, et ce d'autant plus que seule la première partie Purvanga du Varnam a été interprétée lors de ce récital. Les passages expressifs de cette danse sont très réussis. Le texte tamoul est rendu parfaitement intelligible par sa gestuelle et son expression qui n'ont rien de scolaire : tout est très habité. La première ligne du Pallavi donne lieu un développement (Sanchari) autour de la dévotion pour Shiva. La deuxième ligne évoque celui qui est mi-homme mi-femme et qui est le maître des cinq éléments, auquel le dévôt dit en suppliant “Ne sois pas indifférent”. Dans l'Anupallavi, la première ligne évoque le contentement procuré par la récitation des noms de Shiva tandis que la deuxième ligne Natanamadum sevadi... évoquant son pied dansant est illustrée par plusieurs très courtes séquences techniques. Le Muktayi Sahitya décrit les divers ornements (cheveux, croissant de Lune, rivière Ganga) de celui qui danse à Chidambaram. Une certaine poésie poésie se dégage de l'ensemble de cette première partie de Varnam.

J'éprouve une certaine admiration pour le chorégraphe. Sa récitation des syllabes dans les jatis n'est pas absolument métronomique (son tempo fluctue sensiblement pendant certaines séquences rythmiques, ce qui est un obstacle pour apprécier en tant que spectateur les aspects rythmiques les plus subtils lors d'un visionnage unique sur une musique enregistrée). Cependant, sa diction et son phrasé sont assez exceptionnels, ce qui rend l'écoute très agréable. Ses chorégraphies techniques à la fois très belles et très ancrées dans la tradition sont superbement interprétées par Geoffrey Planque. (Voir cet extrait sur YouTube, qui doit être le troisième Jati du Varnam. À la fin de la vidéo, les pas de danse basculent en Tishra nadai, c'est-à-dire en subdivisions ternaires.).

Le danseur a ensuite interprété un Padam sur un rythme vif évoquant les exploits du jeune Krishna. Huitième fils de Devaki. Il devait être tué par Kamsa qui voulait se prémunir de la malédiction qui devait causer sa perte, mais son père Vasudeva parvint à sauver le nouveau né. La chorégraphie représente Vasudeva portant Krishna lors de sa traversée de la rivière Yamuna qui s'était séparée en deux par miracle. L'enfant sera ensuite élevé par Nanda et Yashoda, fera quelques bêtises, comme grimper pour voler du beurre, avant de vaincre Kamsa. La chorégraphie de Sabine Pandaredattil est très lisible, mais laisse peu de répit au danseur et aux spectateurs, tant les épisodes s'enchaînent à grande vitesse !

Le récital se conclut par un magnifique Tillana en Raga Revati et Adi Tala composé par Madurai N. Krishnan. Il est dédié à la Déesse Bhuvaneshwari, la Reine de l'Univers, qui est partout et ressemble au souffle vital ; elle offre un raz-de-marée de bénédiction, celle qui est vénérée par le compositeur Krishnadasa. (Il se trouve qu'entretemps, j'ai moi-même appris à Delhi auprès d'Arupa Lahiry une autre chorégraphie de ce Tillana due à Chitra Visweswaran.)

J'espère avoir prochainement de nouvelles occasions de voir ce danseur exceptionnel, qui a très récemment fait ses débuts sur scène à Chennai !

(Voici un lien vers son site aksalab.)

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Armelle et Kalpana au Centre Mandapa

2017-06-19 23:00+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

J'ai pris un certain retard dans la rédaction de comptes-rendus de spectacles. À l'occasion de la rédaction de celui concernant le récital d'Armelle Choquard et Kalpana, je reviens rapidement aussi sur celui donné il y a environ un an au Centre Mandapa par Kalpana et deux de ses élèves (Fanny et Iran).

Centre Mandapa — 2016-06-05

Kalpana, Iran Farkhondeh, Fanny Wiard, bharatanatyam

V. S. Muthuswamy Pillai, chorégraphies

Kalanidhi Narayanan, chorégraphie du Javali

Sangeeta Isvaran, chorégraphie du Padam “Yaare Kaagilum”

Alarippu (Tisra Ekam Tala) dansé par Kalpana

Muruga Kautwam (Raga Shanmukhapriya, Chatushra Ekam Tala) dansé par Fanny

Varnam “Sakiye Inda Velaiyil...” (Raga Anandabhairavi, Adi Tala) dansé par Iran

Padam “Yaare Kaagilum” (Raga Begada, Mishra Chapu Tala) dansé par Fanny

“Kalai Tooki” (Raga Harikamboji, Adi Tala) dansé par Fanny

Javali “Smara Sundaranguni” (Raga Paras, Adi Tala) dansé par Kalpana

Tala Vadyam (Panch-nadai Adi Tala) dansé par Kalpana, Fanny & Iran

Après une prière chantée Mahaganapati Manasa (Muthuswami Dikshitar), Kalpana a interprété l'Alarippu (Tishra Ekam). Muthuswamy Pillai a beaucoup innové en composant de nouveaux Alarippus et surtout en en proposant des chorégraphies extrêmement créatives qui s'écartent radicalement du vocabulaire habituellement utilisé pour ce type de pièces. Cependant, la chorégraphie de cet Alarippu utilisant la composition traditionnelle en Tishra Ekam est on ne peut plus traditionnelle, tout au plus utilise-t-il quelques diagonales et quelque motif rythmique particulier dans la phase de découpage de l'espace en troisième vitesse. Dans l'interprétation de Kalpana, j'apprécie particulièrement le phrasé étiré dans la première vitesse de la séquence utilisant les Kuttadavus.

Fanny a interprété ensuite un Kautwam dédié à Muruga, le fils de Shiva reconnaissable aux mudras Shikhara et Trishula. La danseuse ne paraît pas absolument à l'aise dans ses toutes premières frappes, mais la situation s'arrange très rapidement et j'apprécie particulièrement les adavus à une seule main caractéristiques du style de Muthuswamy Pillai. La monture de Muruga, le paon, est représentée dans ce Kautwam, mais les mouvements sont beaucoup plus martiaux que dans une version que j'ai pu observer dans la salle de danse du fils du chorégraphe, M. Selvam, dans laquelle les mouvements du paon étaient suggérés par une délicieuse ondulation des bras de son élève.

Je reviens maintenant sur la pièce principale de ce récital, le Varnam en Raga Anandabhairavi “Sakiye Inda Velaiyil” dansé par Iran. En dehors de rares spectacles de danseuses indiennes visitant le Centre Mandapa (et autrefois le Musée Guimet), on a rarement l'occasion de voir à Paris un Varnam aussi bien interprété ! La composition est attribuée au Thanjavur Quartet (mais je ne me risquerai pas à préciser lequel des quatre frères l'a composé : les sources divergent). Sans même parler des compositions rythmiques (tirmanams) de Muthuswamy Pillai, ce Varnam présente une particularité rythmique qui en fait une exception parmi les compositions de musique carnatique : le texte de la composition ne commence pas sur le premier temps. (C'est le deuxième Varnam que je vois qui présente cette particularité, après “Manavi Chekonaradha” (Raga Shankarabharanam) dansé par Lavanya Ananth.) Dans certaines versions de ce Varnam en Anandabhairavi, le texte des différentes parties du Pallavi et de l'Anupallavi commencent entre le deuxième et le troisième temps. Dans celle-ci, le texte commence sur le deuxième temps. Ainsi, les quatre premiers passages rythmiques (tirmanams) se finissent juste avant le deuxième temps. Habituellement, les tirmanams sont introduits par une formule rythmique comme “Dhalan-gu takadiku takatadi kitatom-” qui se finit juste avant le premier temps, là où commence le tirmanam. Cette règle, que je croyais absolue, trouve une exception dans ce Varnam, puisque Muthuswamy Pillai fait commencer les quatre premiers tirmanams non pas sur le premier temps, mais sur le deuxième temps. (Ainsi, le “Dhalangu” ne s'étend pas sur les septième et huitième temps, mais sur le huitième et le premier temps.) Je conjecture donc que ces Tirmanams n'ont pas été composés spécialement pour ce Varnam par Muthuswamy Pillai, mais qu'il a plutôt recyclé des Tirmanams composés préalablement en Adi Tala pour des Varnams qui ne présentaient pas la particularité rythmique de ce Varnam en Anandabhairavi. Ces tirmanams, dont j'ai pu étudier en détail la composition rythmique entretemps, sont magnifiquement architecturés. Les deux premiers commencent avec des subdivisions binaires des temps (Chatushra nadai), puis basculent en Tishra-nadai (subdivisions en trois ou six). Le troisième jati “Ta dit ta gadim dim kitataka...” est une véritable merveille : sa formule conclusive commence en Chatushra-nadai et se finit en Tishra-nadai. Comme cette formule est répétée trois fois, on trouve au cours de la récitation de nombreux allers-retours entre Chatushra-nadai et Tishra-nadai, ce qui est un procédé rare à l'intérieur d'un Tirmanam. La construction de ce Tirmanam donne une certaine idée du génie de Muthuswamy Pillai... Je regrette cependant qu'à chaque fois qu'il bascule en Tishra-nadai, il ralentisse aussi légèrement le tempo de la pulsation principale. Ce type d'irrégularité dans le tempo est pour moi un frein pour apprécier dès le premier visionnage l'essentiel de la beauté rythmique des compositions, mais très rares sont les interprètes qui parviennent à conserver une régularité métronomique quand ils passent de subdivisions des temps en quatre à des subdivisions en trois et inversement. Contrairement aux précédents, le quatrième jati est entièrement en Chatushra-nadai, mais cette fois-ci les subdivisions en huit des temps sont par moments regroupés en trois, ce qui est du plus bel effet. Le Charana jati possède aussi une architecture magnifique tout en Tishra-nadai.

L'interprétation de ce Varnam par Iran a été magnifique. Mon expérience de spectateur a cependant été perturbée par ce qui m'a semblé être un problème dans la sonorisation : les parties mélodiques étaient parfaitement écoutables, mais la voix de Muthuswamy Pillai était difficilement audible dans les Tirmanams. En particulier, les formules introductives “Dhalan-gu takadiku takatadi kitatom-” étaient essentiellement inaudibles, ce qui est très problématique pour pouvoir apprécier le rythme des compositions lors de la première écoute. Il est possible que cela ait gêné aussi la danseuse, puisque que parmi les très rares éventuels défauts dans son interprétation, il m'a semblé, mais je peux me tromper, que ses marches en arrière à contretemps précédant les Tirmanams n'étaient pas synchronisées avec la musique.

Dans la première partie du Pallavi, l'héroïne est séparée de son amant. Sa souffrance est notamment illustrée par le fait qu'elle ne supporte plus le parfum des fleurs. Son amie ne l'aide pas. Dans la deuxième partie, elle exhorte son amie à aller lui dire de venir. Ce n'est peut-être pas dans cette section du texte de la composition, mais la chorégraphie décrit la ville céleste de son amant. Dans la première partie de l'Anupallavi, on s'émerveille de la beauté de la ville de Rajanagar où réside Rajagopalan dont la deuxième partie de l'Anupallavi évoque le disque et la conque, attributs de Vishnu. J'ai apprécié l'engagement émotionnel de la danseuse dans les sections expressives. Le plus beau moment du Varnam a sans doute été pour moi le Tattu Muttu du Muktayi Sahitya “Nagarikamighavum...”. Il s'agit d'une partie hybride puisque les pieds exécutent des mouvements rythmiques et le haut du corps exprime les émotions du personnage. Il est fréquent que l'aspect rythmique prenne légèrement le dessus par rapport à l'expression des sentiments dans ce type de séquences, mais dans les autres Tattu Muttu de ce Varnam, et tout particulièrement dans celui-ci, la danseuse était complètement immergée dans le personnage. Tout en exécutant des mouvements de pieds sur place, les gestes de l'héroïne cherchant l'union avec son amant étaient accompagnés de mouvements du torse d'une exceptionnelle intensité émotionnelle. Je ne crois pas avoir jamais vu chez d'autres interprètes quoi que ce soit de comparable. (Le seul point technique que je pourrais éventuellement critiquer est le faible degré d'ouverture des pieds, et ce d'autant plus que l'on avançait dans le Varnam, la fatigue s'accumulant. Je ne suis pas du tout pour un en-dehors parfait (180°) comme ceux des danseurs de ballet, ce qui est à la longue dangereux pour les genoux pour une danse comme le bharatanatyam qui comporte de nombreuses frappes de pieds. Ici, on était souvent très proche d'une ouverture naturelle (90°), ce qui est un excès inverse.)

Dans la deuxième grande partie du Varnam, le tempo s'accélère. Dans l'alternance entre passages expressifs et techniques, j'ai particulièrement apprécié que dans la danse pure, on ne perde jamais complètement de vue les sentiments de l'héroïne. Celle-ci est frappée par les flèches de Kamadeva. Pendant la nuit, alors qu'elle est séparée de son amant, son sommeil est perturbé par le bruit d'un oiseau. Elle supplie encore son amie d'aller le chercher pour qu'ils soient réunis, afin de pouvoir chanter ensemble ?!

Mes souvenirs de deux des pièces suivantes Yaare Kaagilum, Smara Sundaranguni sont trop lointains et imprécis pour que j'en rende compte. En revanche, la pièce “Kalai Tooki” dansée par Fanny m'a semblé absolument sublime. Son interprétation est un magnifique équilibre entre la danse technique et l'intensité émotionnelle dans l'évocation des divinités. On trouve là un juste sens du détail et des micro-mouvements. Il ne s'agit pas exactement d'une pièce narrative. Il y a bien un personnage, qui est un dévot, mais la danse s'arrête un instant sur les émotions qui le traversent. Il exprime l'émerveillement qu'il ressent en pensant à Shiva, dans sa forme qui réside à Chidambaram, dansant le pied gauche levé. La chorégraphie évoque son fils Muruga, son tambour Damaru, la rivière Ganga qui s'écoule de son chignon, sa peau de tigre, sa monture Nandi, etc. La pièce inclut aussi l'épisode mythologique dans lequel Vishnu et Brahma cherchent en vain l'extrémité de la colonne de lumière en laquelle Shiva s'était transformé.

Le récital s'est conclu par une redoutable pièce de danse pure interprétée par les trois danseuses, intitulée Tala Vadyam et dont les différentes sections utilisaient des subdivisions des temps en 4, 3, 7, 5 ou 9.

Ailleurs : Sunil Kothari.

Centre Mandapa — 2017-05-14

Armelle et Kalpana, bharatanatyam

V. S. Muthuswamy Pillai, Kalanidhi Narayanan, Sucheta Chapekar, chorégraphies

Shloka “Gururbrahmā” dansé par Armelle & Kalpana

Ganapati Kautvam (Chatushra Ekam Tala) dansé par Armelle & Kalpana

Sarasvati Kautvam (Rupaka Tala, composition de Sucheta Chapekar) suivi de Māta Sarasvatī (Raga Saraswati, Chautal, composition de Prabha Atre), dansé par Armelle

Jatiswaram (Raga Yedukula Kamboji, Adi Tala) dansé par Kalpana

Varnam (Raga Anandabhairavi, Adi Tala) dansé par Armelle

Krishnakarnamritam “Ramo Namo Bhabhuva” (Ragamalika) dansé par Kalpana

Kirtana (Raga Shanmugapriya, Rupaka Tala) dansé par Kalpana

“Kalai Tooki” (Raga Yedukula Kamboji, Adi Tala) dansé par Armelle

Shloka “Nityanandakari” (Raga Mohana) dansé par Armelle & Kalpana

Les danseuses Armelle Choquard et Kalpana, qui ont toutes les deux été disciples de Muthuswamy Pillai et Kalanidhi Narayanan ont présenté un récital commun. Le programme inclut aussi des pièces de Sucheta Chapekar dont Armelle est depuis devenue la disciple.

Le récital commence par une prière chantée dédiée à Ganesh ; je crois reconnaître la magnifique voix du chanteur du Varnam en Anandabhairavi dont il a été question plus haut. Les deux danseuses entrent ensuite en scène, Armelle en costume rouge et Kalpana en bleu pour le Shloka “Gururbrahmā”. Je n'avais vu Armelle qu'en 2015 lors d'un stage à Paris avec Sucheta Chapekar qui nous avait transmis l'Abhinaya-Pada “Aghaṭita saye śivalīlā”. C'est donc la première fois que je la vois danser lors d'un spectacle. J'apprécie son incarnation sobre dans cet hommage au guru.

Les deux danseuses interprètent ensuite à un tempo modéré Ganapati Kautvam, une chorégraphie de Muthuswamy Pillai, qu'elles récitent toutes les deux dans une sorte de jeu de questions et réponses. J'admire particulièrement la récitation d'Armelle dont l'intonation sonne très indienne.

Armelle interprète ensuite deux pièces enchaînées dédiées à la Déesse Sarasvati. La première est une magnifique chorégraphie de Sucheta Chapekar qui est aussi l'auteure de cette courte composition purement rythmique en Rupaka Tala (6 temps), puisque conformément à la tradition Thanjavur, le Kautvam n'est pas chanté, mais récité. Si ses mouvements du haut du corps sont magnifiques, dans l'exécution des adavus sur les onomatopées et dans l'illustration des attributs de Sarasvati sur le court texte en marathi, on sent malheureusement des hésitations qui rendent la pulsation des frappes de la danseuse quelque peu irrégulière dans cette pièce. À cette pièce dont la musique s'inscrit dans le contexte carnatique habituel à la danse bharatanatyam s'enchaîne une autre pièce dédiée à Sarasvati (et en Raga Sarasvati) venant de la musique du Nord de l'Inde. Cette composition Māta Sarasvatī est l'œuvre de la chanteuse hindustani Prabha Atre. Sucheta Chapekar appréciait cette composition et décida de la chorégraphier. Il existe plusieurs versions de cette chorégraphie. Celle que j'ai apprise avec elle à Pune est un बंदिश की सरगम (Bandish ki sargam), c'est-à-dire une pièce comportant un certain nombre de séquences solfiées (Sargam) insérées dans cette composition (Bandish), ce qui fait de ce type de pièce un homologue du Jatiswaram dans le format de récital développé par Sucheta Chapekar. La version dansée par Armelle n'inclut pas de passage de danse pure et se concentre donc sur l'aspect Bandish, sur un rythme à douze temps (Chautal ou Ektal) ; en plus des Sthayi et Antara, sa version inclut une troisième strophe que je ne connaissais pas et qui commence par “Mayura Vahini”. Les mouvements du haut du corps de la danseuse sont très beaux, j'apprécie particulièrement sa façon de montrer que Sarasvati a une voix aussi douce que le miel sur “Va Devi Madhubashani”. Cependant, je suis assez déçu par les frappes de pieds qui interviennent lorsque le texte est récapitulé en Tattu Muttu s'enchaînant avec une formule rythmique semblable à un Arudi. Je ne saurais dire si les frappes de pieds étaient au bon endroit musical, parce les frappes manquaient de force et étaient toutes sensiblement de la même intensité. En tant que spectateur, je considère que les Tattu Muttu doivent davantage s'entendre que se voir. Quand on fait “Takadimi Takadimi Tai tai didi tai” comme sur la phrase “Mata Sarasvati Devi”, il faut que l'on entende un accent particulier sur la syllabe Ta dans Takadimi. C'est particulièrement important parce que suivant les principes qui lui ont été enseignés par K. P. Kitappa Pillai, Sucheta Chapekar chorégraphie les Tattu Muttu en suivant la prosodie du texte chanté, et c'est particulièrement frappant dans la phrase Sakala Gyani Vidya Dani dont le Tattu Muttu associé est une série de quatre Takita, un pour chaque mot. Je ne dis pas qu'il faille tout frapper comme une brute, mais il me semble important d'accentuer certaines frappes pour préserver une composante esthétique essentielle de ces Tattu Muttu.

Kalpana a dansé un Jatiswaram. Dans les diagonales qui sont tracées dans les séquences de transition, j'ai particulièrement apprécié le jeu sur le regard, consistant parfois à regarder dans la direction indiquée par la main, ou contraire dans la direction opposée à ce qu'on attendrait. La séquence d'introduction de ce Jatiswaram est étonnamment longue, et le Tirmanam (la seule section de la pièce qui n'est pas chantée, mais récitée) intervient assez tardivement par rapport à ce qu'on voit habituellement dans ce type de pièces. Malheureusement, comme dans le Varnam discuté dans la première partie de ce billet, la voix enregistrée de Muthuswamy Pillai était essentiellement inaudible. Je ne pouvais me fier qu'au son des cymbales et je me suis surpris à un moment donné à entendre très distinctement un motif utilisant des groupes de 5 subdivisions qui ne correspondait pas à ce que je voyais au niveau des pieds. Dans certains adavus exécutés à grande vitesse, le regard de la danseuse ne suivait plus la main, ce qui est assez perturbant à regarder, notamment dans le premier Kuttadavu (le remplacer par la version à une seule main de cet adavu règlerait le problème). Cependant, ce type de pièce est très difficile et exige une grande endurance et, Kalpana faisant preuve d'une grande assurance, son interprétation restait très convaincante.

Armelle a ensuite interprété un Varnam en langue marathi en Raga Anandabhairavi et Adi Tala (ce n'est pas le même que dans la première partie de ce billet). Comme Armelle l'expliquera très bien quelques semaines plus tard lors d'une journée d'étude du projet DELI, le texte de la composition fait dire à l'héroïne qu'elle est satisfaite par Krishna, mais dans la chorégraphie de Sucheta Chapekar, le sens dévie progressivement, et il faut comprendre tout le contraire. Dans le plus beau développement du Varnam (sur la même ligne de texte), l'héroïne souhaite que Krishna lui rapporte une fleur, mais il lui rapporte en fait l'arbre tout entier qu'il installe dans son jardin. Elle est ravie, mais au bout d'un moment, elle remarque que quelques fleurs tombent dans le jardin de la voisine... Les passages expressifs de ce Varnam étaient très beaux et la danseuse a fait preuve d'une très élégante technique dans les Tirmanams. Cependant, ses frappes de pieds perdaient en qualité lors de l'exécution de l'Arudi qui sert de transition entre un Tirmanam et la phrase suivante. Malgré la fatigue engendrée par l'exécution de Tirmanams difficiles, il faudrait réussir à garder un peu d'énergie pour exécuter la formule rythmique complexe qu'est l'Arudi avec vigueur et enthousiasme. Là, les frappes étaient tellement peu marquées que je n'ai pas réussi à savoir avec certitude quand est-ce que cet Arudi se finissait. (Cela dit, à part moi, je ne pense pas que la réponse à cette question intéresse grand'monde, donc ce n'est pas bien grave...)

Kalpana a ensuite interprété une pièce dans laquelle Yashoda essaye d'endormir Krishna en lui racontant l'histoire de Rama. Sita est trouvée par Janaka dans un sillon qu'il creuse dans la Terre. Vishvamitra, le guru de Rama, l'emmène à Mithila pour qu'il participe au Svayamvar de Sita : seul celui qui pourra soulever l'arc de Shiva que possède Janaka pourra l'épouser. Plus tard, influencée par la bossue Manthara, Kaikeyi, une des épouses du père de Rama, le force à envoyer Rama en exil pour que son propre fils Bharata soit nommé prince héritier à la place de Rama. L'exil a commencé : Rama, son épouse Sita et son frère Laksmana sont dans la forêt. L'histoire se poursuit jusqu'à l'enlèvement de Sita par Ravana. Kalpana a magnifiquement interprété cette pièce... deux fois. La pièce proprement dite est accompagnée de Shlokas en sanskrit (une forme musicale dans laquelle il n'y a pas de pulsation régulière). Préalablement, Kalpana a présenté la pièce, mais la présentation a probablement été aussi longue que l'interprétation de la pièce elle-même. La première fois, elle a utilisé sa voix (en français) pour raconter l'histoire qu'elle interprétait en même temps avec des mouvements de tout le corps et en utilisant l'espace de la scène. Il s'agissait d'une interprétation en mode Sutradhar, comme un conteur. C'était extrêmement convaincant ! J'ai trouvé dommage que la pièce soit réinterprétée à nouveau, sa voix étant remplacée par la musique enregistrée des Shlokas sanskrits. N'ayant plus à raconter l'histoire par la parole, Kalpana était alors davantage dans l'incarnation des personnages, donc il s'agissait bien d'une interprétation différente de la première. Cependant, en tant que spectateur, je pense qu'il aurait été plus intéressant (et moins répétitif) d'aller jusqu'au bout de la logique et d'interpréter cette pièce en ne donnant que la version avec voix en français.

Kalpana a ensuite interprété un Kirtana dédié à la Déesse. Je n'ai pas été totalement convaincu par l'interprétation des passages expressifs dans cette pièce dévotionnelle. Les poses adoptées par la danseuse étaient vraiment très belles, mais il manquait à mon goût peut-être un tout petit peu de liant pour que cet aspect de la pièce prenne complètement forme. La pièce étant de Muthuswamy Pillai, la chorégraphie a comporté une proportion très importante de danse pure !

Armelle a ensuite dansé “Kalai Tooki”. C'était tout simplement fantabullissime ! Un grand moment d'émotion devant la beauté de cette évocation de Shiva. (Ce n'est qu'en rédigeant la première partie de ce billet que j'ai pris conscience que j'avais déjà vu cette pièce, cf. plus haut.)

Ce beau récital s'est conclu par un Shloka dédié à Annapurna, la forme de la Déesse qui réside à Kashi (Varanasi) et qui enlève la peur chez ses dévots.

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Vidhya Subramanian au Théâtre du Soleil

2017-04-26 10:06+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Salle de répétitions du Théâtre du Soleil — 2017-03-23

Vidhya Subramanian, bharatanatyam

Bhavana Pradyumna, chant

“Jaya Jaya Devi” (Raga Valachi, Adi Tala, composition de Swati Tirunal)

“Jagadhodharana” (Raga Kapi, Adi Tala, composition de Purandaradasa)

“Nagendra Haraya” (Ragamalika, Khanda Chapu Tala, composition d'Adi Shankara)

Javali “Era Ra Ra” (Raga Kamas, Adi Tala, composition de Patnam Subramanya Iyer)

“Chikkavane Ivanu” (Ragamalika, Adi Tala, composition de Purandaradasa)

Javali “Indendu” (Raga Surutti, Mishra Chapu Tala, composition de Subbarama Dikshitar)

Ashtapadi “Kuru Yadu Nandana” (Raga Mishra Khamaz, Mishra Chapu, poème de Jayadeva)

“Rajarajeshwari Ashtaka Tillana” (Ragamalika, Talamalika, composition de Rajkumar Bharati sur un texte d'Adi Shankara)

“Dignified restraint is the hallmark of abhinaya. Even in the best of laughter there is a restraint on the mouth mouvement; even in the height of wonderment there is a limit to the opening of the eyes; even in the white heat of amourous sporting, the dancer has no use for movements of the torso but gestures only through the face and hands. It is this decency, decorum, and dignity that help to impart to bharata natyam its divine character... The divinie is divine only because of its suggestive, subtle quality. In abhinaya, though the artist and the audience have the direct inward experience of the divine, the outward expression which is responsible for creating that experience is only suggestively and subtly so.”

(Guhan, S. (comp. and ed.), Bala on Bharatanatyam, cité p. 101 de Balasaraswati, Her Art & Life de Douglas M. Knight Jr.)

Je n'avais jamais mis les pieds au Théâtre du Soleil avant la fin de l'année dernière. J'y suis retourné plusieurs fois depuis et il convient de noter que parmi toutes les salles de spectacle que j'aie fréquentées en Europe ou en Inde, il s'agit certainement de celle où les spectateurs sont le mieux accueillis. La dernière fois, la personne qui s'occupait de la buvette était un comédien qui avait autrefois participé à un stage avec Kalanidhi Narayanan ; plusieurs décennies plus tard, il en gardait toujours un souvenir émerveillé.

Ce soir, un peu plus d'un an après le décès de Kalanidhi-mami, célèbre enseignante de l'art de l'Abhinaya, sa disciple Vidhya Subramanian présentait un récital en son hommage. Si l'interprétation de Vidhya Subramanian a certainement beaucoup évolué depuis son apprentissage avec elle, il est dommage que le programme et la présentation des pièces n'aient pas précisé clairement quelles étaient les chorégraphies transmises par Kalanidhi.

Lors de ses précédents récitals à Paris, j'avais déjà eu l'occasion de voir danser Vidhya Subramanian au Musée Guimet. J'avais alors été particulièrement impressionné par son interprétation de l'Ashtapadi “Sakhi He”. J'attendais le meilleur de ce récital. Si certains moments ont été très beaux, d'autres m'ont laissé plus perplexe, notamment parce que le spectacle ne se passait pas que sur l'espace scénique, mais un peu aussi dans les gradins...

J'ai particulièrement apprécié les deux premières pièces du récital. La première est une invocation à la Déesse, précédée du Shloka “Saraswati Mahabhage” qui fait plus spécifiquement référence à Sarasvati. Elle est représentée jouant de la vina, apportant la connaissance. Elle a des yeux de lotus. Plus loin, pour évoquer ses grands yeux, la chorégraphie les compare semble-t-il à des yeux de poisson. L'interprétation de la danseuse comporte des pas intéressants comme des ronds de jambe à terre et utilise l'espace de façon assez créative puisque la danseuse est parfois de dos. Le Shloka s'enchaîne avec la composition de Swati Tirunal Jaya Jaya Devi (qui commence en ussi, le texte commençant après le premier temps). La danseuse adopte alors une pose caractéristique de la Déesse. Si la chorégraphie suggère les sept notes de la gamme indienne pour représenter Sarasvati, ce n'est alors qu'un des aspects de la Déesse. Les Dieux lui rendent hommage. Parmi eux, Padmanabha (Vishnu) revêt une importance particulière. Le serpent sur lequel il est couché est montré de façon très impressionnante. Vishnu est aussi représenté avec sa conque et son disque, ainsi qu'en Krishna, le jeune vacher, qui n'est autre que l'Être suprême.

La plus belle pièce du récital a été à mon avis Jagadhodharana, une composition de Purandaradasa. La danseuse interprète tour à tour le jeune Krishna et Yashoda, sa mère adoptive. L'expression de la danseuse se métamorphose de façon saisissante pour passer d'un personnage à l'autre. La première transformation de la danseuse de Krishna en Yashoda m'a semblé particulièrement extraordinaire. Comme la danseuse l'a expliqué en introduisant la pièce, la chorégraphie associe les exploits des différents avatars de Vishnu à des situations anodines entre Yashoda et l'enfant Krishna. L'avatar du poisson (Matsya) suggère une comparaison des yeux de Krishna à ceux d'un poisson. L'avatar de la Tortue (Kurma) porta une montagne pendant le barattage de la Mer de Lait tout comme Yashoda porte Krishna sur son dos. L'Homme-Lion (Narasimha) boit le sang du démon Hiranyakashipu tout comme Krishna se délecte de fromage blanc. La colère de Yashoda (ou de Krishna ?) est comparée à celle de Rama Jamadagnya (Parashurama). Ces séquences sont représentées du point de vue de Yashoda qui s'émerveille innocemment en pensant à Krishna. Plus loin, Krishna est celui que l'on ne peut pas décrire et dont on ne peut mesurer l'étendue. La danseuse développe aussi l'épisode mettant en scène Kaliya. Ce serpent qui infeste les eaux d'un étang ne fait pas peur à Krishna. Yashoda supplie son fils de ne pas y aller, mais Krishna y va quand même et attrape le serpent. Ensuite, pour évoquer sa grandeur, la démarche de Krishna est comparée à celle d'un éléphant. La chorégraphie revient à la situation de jeu entre Yashoda et Krishna. Ils jouent à la balle, ils se tapent les mains. Enfin, Krishna s'allonge sur le flanc de Yashoda qui, amoureusement, le voit fermer les yeux. Dans cette pièce et dans cette toute dernière séquence, l'art de l'Abhinaya de la danseuse m'a semblé magnifique. Ses mains étaient souvent animés de micro-mouvements. Les moindres parties de son corps participaient à l'évocation des sentiments de Yashoda. (Dans la dernière ligne du texte, j'ai été étonné d'entendre Vishnu évoqué sous le nom de Vittala, un nom que je n'ai vu utiliser que dans le Maharashtra, mais il semble que ce mot fasse ici partie de la signature “Purandara Vittala” du compositeur Purandaradasa.)

La pièce suivante est Nāgendra Hārāya. Le texte d'Adi Shankara fait l'éloge de Shiva en s'appuyant sur les cinq syllabes du mantra ॐ नमः शिवाय. Chacune des cinq strophes commence par une des syllabes nā-ma-śi-va-ya et se finit par une référence à cete syllabe. L'entrée en scène de la danseuse se fait sur un rythme à huit temps. La danseuse évoque Shiva qui boit le poison lors du barattage de la Mer de Lait, qui est orné de serpents et porte une peau de tigre. Des offrandes de fleur sont faites à sa forme abstraite du Shivalingam. Le rythme à cinq temps de la composition en Khanda Chapu s'installe ensuite. Chaque strophe est précédée d'une section de danse pure. Divers attributs de Shiva sont représentés comme les cendres sur son corps, son tambour Damaru, sa gorge bleue. Il est vénéré par des sages comme Vaśiṣṭha. Il porte la Lune. Le feu est dans son troisième œil. Ses cheveux sont défaits. Cette pièce est efficace. Dans sa présentation, la danseuse avait indiqué que chaque syllabe du mantra était associé à un des cinq éléments et que par exemple. Je ne suis pas absolument certain que cette référence ésotérique soit particulièrement éclairante pour apprécier la pièce, le lien entre chaque strophe et l'élément correspondant n'ayant rien d'évident...

La danseuse a ensuite interprété trois pièces d'Abhinaya accompagnée par l'excellente chanteuse Bhavana Pradyumna. Il est à mon goût dommage qu'il n'y ait pas eu un accompagnement rythmique, même discret, pendant ces pièces ; cela aurait permis de mettre davantage en valeur la musicalité de la danseuse. Pendant la présentation de ces pièces, j'ai été très étonné que la danseuse dise à propos des Javali : “no deep connotation”. Ces poèmes décrivent l'amour de façon plus explicite, mais il s'agit néanmoins d'un amour avec un dieu, et je lisais dans la biographie de la grande danseuse Balasaraswati qu'elle interprétait les poèmes érotiques avec la même ardente dévotion que dans des pièces purement dévotionnelles. Cette assertion “no deep connotation” de Vidhya Subramanian à propos des pièces qu'elle allait interpréter m'a quelque peu inquiété, mais j'avoue que je ne m'attendais pas au spectacle qui a été donné, en coproduction avec une partie du public.

Dans Era Ra Ra de Patnam Subramanya Iyer, l'héroïne est assise. Elle se pare de boucles d'oreilles, de colliers, bracelets... Quand elle voit l'homme passer, elle l'invite à la rejoindre. Kamadeva l'a transpercée de ses flèches. L'archer s'attaquera plus loin à l'homme (qui n'est autre que Vishnu), lui qui est beau et a des yeux de lotus. Finalement, le souhait de l'héroïne est exaucé.

Dans cette pièce et dans les deux suivantes, la danseuse a peut-être parfois été à la limite du surjeu, mais je ne dirais pas que son interprétation ait été vulgaire. Pourtant, une partie complètement désinhibée du public n'a cessé de rire bruyamment et de glousser bêtement à la moindre allusion érotique. J'ai trouvé cela particulièrement consternant et très irrespectueux envers l'artiste et le reste du public. C'est d'autant plus honteux si on tient compte des transformations sociales qui ont eu lieu au cours du siècle dernier dans le milieu de la danse bharatanatyam. Pour simplifier, le discours dominant a été que les danseuses appartenant à des familles traditionnelles étaient pour ainsi dire des prostituées et que leur danse était vulgaire ; il fallait assainir la danse, pour la rendre respectable et susceptible d'être dansée par des jeunes filles de bonne famille. Cette transformation sociale étant pour ainsi dire achevée (il ne reste aujourd'hui que très peu de gurus appartenant à des familles traditionnelles). Il est bien paradoxal qu'aujourd'hui, des spectateurs et spectatrices se comportent aussi vulgairement en assistant à un récital d'une danseuse indienne de haute caste.

La pièce suivante a donné lieu à de pareils débordements du public, qui cette fois-ci pouffe en assistant à la représentation de ce qui, s'il ne s'agissait du personnage divin de Krishna, serait qualifié d'agressions sexuelles. Dans ces conditions, il m'a été difficile de me concentrer sur l'espace scénique, tant la danse était occultée par le spectacle lamentable venant des gradins. (Je ne sais pas comment l'interprète a ressenti cela. Dans un texte, elle écrit : “The joy of performing sringara in a sensitive, intelligent and aesthetic manner is to be shared and experienced by an equally sensitive, intelligent and aesthetically nurtured spectator.”.)

Dans Chikkavane Ivanu, les gopis assemblées se plaignent des méfaits de Krishna, qui n'est qu'un enfant. L'une raconte qu'il lui a demandé comment on faisait les enfants. Une autre dit qu'alors qu'elle venait chercher de l'eau, il lui a bloqué la route pour l'enlacer et qu'il lui a cassé son pot d'eau. Une autre raconte qu'il lui a touché les seins tandis qu'elle barattait du beurre. La dernière avoue qu'elle a rêvé de lui, et qu'il est réellement venu, puisqu'elle l'a trouvé à ses côtés à son réveil.

La danseuse a ensuite interprété le Javali “Indendu”, qui est une des pièces les plus dansées du répertoire. Elle l'avait déjà dansé au Musée Guimet en 2014, je n'y reviens pas en détail. Je note simplement la belle musicalité de l'interprétation de la danseuse dont les pas marquaient régulièrement les temps forts du cycle rythmique à sept temps Mishra Chapu. Parmi les danseuses qui arrivent à exprimer de façon habitée les sentiments de l'héroïne dans une pièce d'Abhinaya, bien peu arrivent à concilier un abandon nécessaire à l'interprétation et une conscience profonde du cycle rythmique. C'est une qualité que j'ai très rarement observée chez les danseuses. C'était moins évident dans les deux pièces précédentes, mais dans celle-ci, c'était flagrant.

Des récitals de Vidhya Subramanian au Musée Guimet, je retenais surtout son interprétation magnifique de l'Ashtapadi “Sakhi He”. J'aurais aimé être autant ému par son interprétation de “Kuru Yadu Nandana”, le dernier Ashtapadi du Gita-Govinda, mais pour moi, la magie n'a pas opéré. Vu l'état d'esprit dans lequel j'étais, cela ne pouvait de toute façon pas fonctionner sur moi...

Le récital s'est conclu par Rajarajeshwari Ashtaka Tillana, une pièce utilisant une musique nouvelle associant un poème d'Adi Shankara dédié à la Déesse (Shri Rajarajeshwari, la Reine des Reines) et un Tillana. La composition musicale est due à Rajkumar Bharati. La pièce est assez impressionnante, mais elle souffre à mon goût d'une trop grande complexité rythmique. La structure est tellement complexe qu'il y a vraiment de quoi s'y perdre. La pièce est en Ragamalika, c'est-à-dire qu'elle utilise une guirlande de ragas : les différentes sections de la pièce sont dans des ragas différents. Cette pièce est aussi en Talamalika, ce qui en fait une rareté. En général, il existe au moins deux façons différentes d'entendre le mot Talamalika. Si on l'interprète de la même façon que dans Ragamalika, cela pourrait signifier que différentes sections de la pièce seraient dans des cycles rythmiques (talas) différents : je connais ainsi un Alarippu dont la première partie (debout) est en Tishra Ekam, la partie accroupie en Chatushra Ekam et dernière partie en Mishra Chapu. Dans une autre interprétation dont j'avais appris l'existence lors d'une magnifique lecture demonstration de T. S. Sathyavathi, il s'agit de créer un nouveau cycle rythmique de la façon suivante : un cycle rythmique (ou avartana) dans un tel Talamalika est constitué de la juxtaposition de cycles rythmiques appartenant à plusieurs talas. (Par exemple, si on appliquait ce principe en juxtaposent un cycle en Tishra Ekam (3 temps) et un cycle en Chatushra Ekam (4 temps) pour fabriquer un Talamalika, on obtiendrait globalement un cycle à sept temps, qui ressemblerait beaucoup à Tishra Triputa qui est un rythme à 7=3+2+2 temps.) Il me paraît plausible que ce Tillana utilise cette forme-là de Talamalika, mais je ne saurais dire exactement comment il est composé (si ce n'est qu'il y avait un peu de Khanda Chapu). Ce mélange de talas et l'alternance entre la danse pure et les passages évoquant Shri Rajarajeshwari relèvent d'une certaine innovation de la part du compositeur et de la danseuse. Je salue cette créativité, mais au-delà de la satisfaction immédiate apportée par certains instants de la chorégraphie, la complexité structurelle de cette pièce m'a malheureusement davantage tourmenté qu'émerveillé.

Ailleurs : Hiten Mistry.

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Deepa Chakravarthy au Musée Guimet

2016-11-27 13:15+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Auditorium du Musée Guimet — 2016-10-28

Deepa Chakravarthy, mohiniyattam

Murali Parthasarathy, chant

M. S. Sukhi, mridangam

Sunil Kumar, flûte

Isabelle Anna, voix off

Invocation “Pari Pari Ne Padame” (Raga Hamsadhvani, Adi Tala, composition de Balamuralikrishna)

Shloka समुद्रवसने देवि

Solkattu (Adi Tala, Raga Jog, composition de M. S. Sukhi)

Kamakshi Svarajati కామాక్షి అమ్బా అనుదినముమరవకనే (Raga Bhairavi, Mishra Chapu Tala, composition de Shyama Shastri)

Padam അലര്‍ശരപരിതാപം (Raga Surutti, Mishra Chapu Tala, composition de Swati Tirunal)

Tillana (Raga Dhanashri, Adi Tala, composition de Swati Tirunal et Lalgudi Jayaraman)

Après ses deux magnifiques récitals au Centre Mandapa en mai, je n'aurais raté pour rien au monde le récital de mohiniyattam de Deepa Chakravarthy au Musée Guimet le 28 octobre dernier.

Le programme a commencé par un Alap de la flûte suivi de l'invocation de Ganesh Pari Pari Ne Padame composée par Balamuralikrishna (qui est décédé le 22 novembre 2016 à Chennai...). Il est à mon avis dommage que la sonorisation de la flûte se soit accompagnée d'un écho (et même deux échos, puisque j'ai eu l'impression d'entendre trois fois chacune des phrases jouées par le flûtiste). Peut-être s'agit-il là d'une volonté du musicien de reproduire avec un seul instrument ce qui résulte habituellement de l'interaction entre deux musiciens : dans un récital de chant carnatique accompagné par un violon, les phrases improvisées par le chanteur sont répétées immédiatement par le violoniste. Cette sensation peut être simulée par un écho, mais le procédé me paraît artificiel et ne correspond pas à une esthétique que je voudrais valoriser.

Après cette introduction musicale, la danseuse est entrée en scène dans son costume blanc, vert et orange doré pour une invocation de la Déesse Terre. Cette invocation a commencé par l'allumage d'une lampe à l'avant-scène et par une salutation adressée aux quatre coins cardinaux. L'ampleur de la démarche de la danseuse est magnifiée par de majestueux relevés sur demi-pointe. L'invocation proprement dite à la Déesse Terre est interprétée sur le Shloka Samudravasane Devi, la Déesse, épouse de Vishnu, qui est ornée de l'Océan, et auprès de laquelle on veut se faire pardonner des blessures qu'on lui inflige en foulant le sol de ses pieds.

La danseuse interprète ensuite un Sollukattu, qui est un type de danse spécifique au Mohiniyattam. Il s'agit d'une pièce de danse pure accompagnée d'onomatopées comme “Ta dim jonotakadim” qui sont chantées mélodieusement par le chanteur (et non pas seulement récitées). Les mouvements sont relativement lents par rapport au bharatanatyam : chaque mouvement s'étend sur une durée plus longue, mais cela n'est en rien ennuyeux puisqu'à chaque instant, la danseuse est totalement investie dans son action. C'est particulièrement évident pour le haut du corps, mais si les mouvements des jambes prennent aussi un certain temps quand il s'agit de tendre/plier une jambe ou de monter sur demi-pointe, les instants où un pied touche le sol sont très nets, parfaitement en rythme.

La danseuse interprète ensuite la pièce principale de son récital, dédié à Kamakshi. Comme je l'indiquais dans le billet précédent, il s'agit de celui des trois Svarajati composés par Shyama Shastri (1762-1827) qui soit en Raga Bhairavi et Misra Chapu Tala. Dans le répertoire des danses du Sud de l'Inde, les Svarajati les plus connus suivent une structure très proche de celle des Varnam. Shyama Shastri a mis au point un autre type de composition, aussi appelé Svarajati, et qui d'après ce que je lis dans le livre A Southern Music de TM Krishna, pourrait avoir été inspiré par les Nirupanas qui sont des récitals sur un thème unique interprétés par une danseuse soliste à la cour des rois marathes de Thanjavur : dans le livre Korvayanche Sahityache Jinnas édité par la Sarasvati Mahal Library de Thanjavur, on trouve des compositions formant ces Nirupanas, certaines entre elles sont nommées Svarajati. Le Kamakshi Svarajati de Shyama Shastri suit effectivement la même structure. Il est formé d'un Pallavi qui est comme un refrain et de huit Charanams. Dans cette forme musicale, chaque Charanam est d'abord chanté sous forme de Svaras (c'est-à-dire que le chanteur chante en prononçant le nom des notes), puis après une répétition du Pallavi, le texte du Charanam est chanté en utilisant la même mélodie. À la fin d'un Charanam, on répète le Pallavi et on passe au Charanam suivant. Dans ce Svarajati, il y a huit Charanams de longueur croissante et ils ont la particularité de commencer successivement par les huit Svaras de la gamme ascendante : Sa, Ri, Ga, Ma, Pa, Dha, Ni, Sa.

Voici une tentative de traduction du texte de la pièce principale du récital de Deepa Chakravarthy :

(Pallavi) Déesse Kāmākṣi ! Me souvenant à jamais que Ton pied de lotus est mon seul refuge, je place ma foi en Toi, Déesse de Kanchi.

(Charanam 1) Mère, Tes dents sont comme des fleurs de jasmin et Tes yeux comme des lotus. Protège-moi.

(Charanam 2) Ton cou a la forme de la conque et tes tresses sont sombres comme des nuages annonçant la pluie.

(Charanam 3) Ton visage ressemble à la Lune. Tes seins ont une forme harmonieuse et Ta démarche est celle de l'éléphant. Ton pied est vénéré par Brahma, Vishnu et Shiva. Tu es l'auspicieuse Shankari. Veuille résoudre mes problèmes rapidement. Mère, écoute ma prière.

(Charanam 4) Tu es la plante qui exauce les vœux. Tu es un sanctuaire de compassion, Toi qui est bienveillante. Ô fille de la Montagne, protège-moi ! N'ai-je pas pris refuge en toi ? Exauce-mes vœux sans attendre.

(Charanam 5) Efface mes péchés et donne-moi la force de vénérer ton pied de lotus pour toujours. N'es-Tu pas la purificatrice ? N'entends-tu pas ma supplication ? Pourquoi es-Tu indifférente ? Écoute ma prière, Mère.

(Charanam 6) Tu détruis le Mal. Les Veda affirment que Tu exauces les désirs de la multitude de dévots qui se pressent à tes pieds pour Te supplier et que Tu fais preuve de bienveillance envers tous.

(Charanam 7) Entourée d'êtres célestes, Tu résides dans la forêt Kadamba. Tu tiens un lotus dans la main. Les arrogants démons Te craignent comme le lion craint l'éléphant en rut. Tu fais fondre l'affliction de Tes dévots. Tu accordes l'opulence à ceux qui méditent sur ta gloire infinie. Maintenant, donne-moi refuge !

(Charanam 8) Sœur de Shyamakrishna ! Tu enchantes Shiva ! Souveraine suprème ! Vishnu, Shiva et les autres sont-ils seulement capables de mesurer l'étendue infinie de ta gloire ? Je suis ton fils. N'éprouves-Tu pas d'affection pour moi ? Devi, pourquoi es-Tu indifférente ? Protège-moi maintenant, Shri Bhairavi !

(Traduction approximative d'après cette traduction anglaise.)

Le thème de cette pièce est purement dévotionnel. Le dévot implore la divinité, il n'y a pour ainsi dire aucun sous-entendu amoureux, contrairement à beaucoup de Varnam du répertoire. Lors d'autres récitals (par exemple celui-ci), j'ai souvent été gêné par l'absence de l'aspect amoureux dans la danse alors qu'il était présent dans le texte ; ici, il est absent du texte, donc je ne vais pas me plaindre du fait qu'il n'ait pas été ajouté dans la danse !

Fait rare, j'avais eu la possibilité de lire le texte du Svarajati avant d'assister à ce spectacle (Full-disclosure: La danseuse m'avait invité à déjeuner chez elle lors de mon dernier séjour à Chennai et elle m'avait parlé de son projet de danser cette composition à Paris.). Ce texte est très étoffé et est énoncé à une vitesse relativement rapide, ce qui peut poser des difficultés d'interprétation puisqu'il n'est pas possible de montrer dans la gestuelle chacun des mots du texte : dès la première occurrence du texte, il faut parfois interpréter ou synthétiser l'essence du message textuel. Ainsi, plutôt de multiplier les gestes pour respecter à tout prix le mot à mot au risque de paraître confuse à cause de la vitesse, Deepa Chakravarthy a heureusement préféré prendre un certain recul et cherché à illustrer le sens du texte de façon plus simple mais réfléchie.

La composition musicale a été interprétée pour ainsi dire de la même façon qu'elle le serait lors d'un concert vocal. Le Pallavi a été répété plusieurs fois (en raison de l'exploration de l'octave inférieure que le Pallavi contient, il est heureux que la composition ait été chantée par un homme). Le nom de la Déesse Kāmākṣi (dont les yeux inspirent l'amour) a été représenté en utilisant certaines caractéristiques de la gestuelle du style mohiniyattam (et des autres styles du Kerala). L'amour est en effet représenté par deux mains à plat qui se rejoignent l'une au dessus de l'autre devant le corps de la danseuse dans une combinaison qui rappelle celle qui est utilisée dans le bharatanatyam pour représenter un poisson. Ce mot est le seul sur lequel le sentiment amoureux ait été présent dans cette pièce, puisque sinon la pièce est entièrement dévotionnelle. Le seul refuge du dévot réside dans le pied de la Déesse. Le Pallavi alterne ensuite avec les différents Charanams présentés d'abord sous forme de Svara. Une exquise formule rythmique servait d'introduction à chaque Svara pendant lequel la danseuse interprétait de très belles séquences de danse pure de longueur croissante (la sixième séquence, celle qui commençait par la note Dha, m'a semblé particulièrement sublime). Chaque Svara était suivi d'une formule rythmique pendant que le chanteur reprenait le Pallavi. Sur le mot Amba de la composition, la danseuse posait le talon devant et se penchait vers l'avant en montrant ce pied, ce qui me semblait correspondre au souhait du dévot de prendre refuge au pied de la Déesse. La mélodie du Svara était ensuite réutilisée pour l'interprétation du texte du Charanam correspondant. Le texte était illustré une première fois par la danseuse, puis une deuxième fois en utilisant des Tattu Muttu, c'est-à-dire que pendant que le sens du texte est illustré par la gestuelle de l'interprète, les pieds exécutent des motifs rythmiques précis. Cette technique est comparable à celle du bharatanatyam, mais elle diffère dans la mesure où les pieds sont écartés. Ces mouvements de pieds sont moins rapides qu'en bharatanatyam, mais ils sont néanmoins exécutés avec précision et netteté. Chaque Charanam est ainsi chanté deux fois au total avant que le Pallavi soit repris et enchaîné avec le Svara suivant.

Comme je l'ai écrit plus haut, la densité du texte fait que l'interprète doit néanmoins prendre une légère distance avec son côté littéral, mais la structure que je viens de décrite laisse finalement peu de place à l'élaboration au delà du sens littéral du texte. Cependant, cela ne m'a pas gêné puisque c'était tellement bien et justement fait que l'interprétation de Deepa Chakravarthy m'a semblée passionnante à regarder pendant toute la pièce. La danseuse a parfois montré la Déesse, mais elle a aussi représenté des sentiments humains, comme la dévotion, et aussi l'émerveillement du dévot admirant les qualités physiques de la Déesse qui sont décrites dans les trois premiers Charanams. Dans les enregistrements de ce Svarajati que j'ai écoutés, les chanteurs utilisent le dernier Charanam pour montrer leurs qualités d'improvisation. Cela a aussi été le cas dans cette représentation dansée. Ainsi, par rapport au schéma que j'ai décrit précédemment, le dernier Charanam a fait exception puisque sa première ligne a été répétée de nombreuses fois et la danseuse l'a utilisée pour élaborer au delà du sens littéral du texte. Cette ligne contient la signature du compositeur Shyama Shastri. Cela a donné lieu d'une part à une représentation de Krishna (identifié à Vishnu, frère de Kāmākṣi) et d'autre part à celle du compositeur-poète auteur de cette composition. La danseuse a ensuite fait un développement à partir du mot Shivashankari du texte : en faisant preuve de quelque ruse, Parvati parvient à entourer le cou de Shiva d'une guirlande de fleurs. Après ce développement, le huitième Charanam a été chanté en entier et repris en Tattu Muttu avant que la pièce ne se termine avec la reprise du Pallavi mettant en scène le dévot de la Déesse qui est finalement représentée avec les deux mains dans le mudra Pataka.

Il y a un aspect très intéressant qu'il faut mentionner dans l'aspect théâtral de la danse de Deepa Chakravarthy. Chez beaucoup d'interprètes, quand il s'agit par exemple de suggérer l'émerveillement, le danseur regarde loin devant lui, comme si la chose à admirer se trouvait en dehors de l'espace scénique. Par son placement et son regard, Deepa Chakravarthy nous fait au contraire imaginer que l'objet de l'admiration de son personnage est placé en un endroit précis de la scène. Bien qu'il soit invisible, il semble bien davantage présent que lorsqu'il faut l'imaginer en dehors de l'espace scénique.

Lors des récitals parisiens de la danseuse en mai dernier, le sentiment amoureux avait été présent dans la pièce principale. Ici, au contraire, le sentiment amoureux a pour ainsi dire été absent du Svarajati. Il est heureux que Deepa Chakravarthy ait choisi d'interpréter ensuite le Padam “Alarśaraparitāpaṃ” composé par Swati Tirunal (1813-1846) qui aborde le thème amoureux de la séparation. Après un Alap du chanteur, l'entrée en scène se fait sur un rythme à quatre temps. L'héroïne cueille une fleur et est comme transportée par son parfum. Quand la composition sur un rythme à sept temps commence, l'héroïne souffre de la séparation et la chorégraphie développe les moments où Kama lui a lancé ses flèches. Le dieu de l'amour est reconnaissable à la combinaison de mudras qui lui est caractéristique dans le style mohiniyattam. On le voit choisir très méliculeusement les fleurs qui vont orner les flèches qu'il va lancer à l'héroïne alors qu'elle est en train de se rafraîchir le visage et d'arranger ses cheveux. La séquence suivante est une des plus belles de tout le récital. L'héroïne compare sa situation à celle d'une fleur de lotus dont le soleil se détourne parce qu'il s'est couché dans l'Océan. La lumière quoique faible donne quelque espoir à la fleur d'éclore. Les pétales s'ouvrent très lentement, mais la lumière s'avère insuffisante et la fleur fane. Plus loin, l'héroïne souffre de la séparation, elle croit entendre la flûte de son bien aimé (qui est sans doute Krishna), mais il ne s'agit que de chants d'oiseaux amoureux. Le butinement des abeilles lui est aussi insupportable. Dans un développement, la danseuse représente l'héroïne plongée dans un rêve. Elle imagine que son amoureux vient lui toucher le menton (la technique d'acteur utilisée pour suggérer cela est assez stupéfiante), mais quand elle se réveille, il a bien sûr disparu. Dans la dernière séquence, l'héroïne brûle de la seule lumière de la Lune. L'interprète a ensuite suivi le conseil que se refilent entre elles les danseuses indiennes avant de faire un récital en France : During your performance in Paris, you have to write a letter.. En effet, l'héroïne demande à son amie de transmettre une lettre à son amoureux. Le moment de l'écriture de la lettre a été d'une exquise espiéglerie et d'une rare intensité !

Le récital s'est terminé par le célébrissime Tillana en Raga Dhanashri et Adi Tala composé initialement par Swati Tirunal et dont la version connue actuellement est due à Lalgudi Jayaraman. La première partie de la composition semble faite uniquement d'onomatopées, mais il s'agit en réalité d'un texte autoréférentiel évoquant la danse accompagnée d'onomatopées ! La deuxième partie évoque Padmanabha (Vishnu), la divinité à laquelle la plupart des compositions de Swati Tirunal rend hommage. Ce Tillana fait aussi partie du répertoire de bharatanatyam. La composition était chantée ici dans un tempo délicieusement lent, très significativement plus lent qu'il n'est habituellement joué dans le contexte du bharatanatyam. Comme dans tout le récital, cette relative lenteur permet aux spectateurs d'apprécier encore davantage la perfection du mouvement dans l'interprétation très intense de Deepa Chakravarthy.

Deepa Chakravarthy
Deepa Chakravarthy

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Planning de fin octobre 2016

2016-10-27 19:30+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Théâtre — Culture indienne — Planning

Au cours du week-end de la Toussaint, il y aura à Paris (ou pas loin) deux événements exceptionnels liés aux danses classiques de l'Inde, et tout particulièrement du Kerala :

Deepa Chakravarthy (mohiniyattam) au Musée Guimet les 28 et 29 octobre 2016

Deepa Chakravarthy
Deepa Chakravarthy

En juin dernier, j'avais eu l'occasion de voir la danseuse Deepa Chakravarthy pour ses deux récitals au Centre Mandapa. Cela avait été pour moi une expérience de spectateurs absolument extraordinaire notamment grâce à sa capacité d'interpréter les moindres gestes avec une intensité extrême : de minuscules et lents gestes produisaient une impression énorme.

Entretemps, j'ai eu l'occasion de la rencontrer à Thiruvanmiyur (Sud de Chennai) où elle réside. Pour son programme au Musée Guimet les 28 et 29 novembre, elle va réintroduire dans le répertoire du mohiniyattam le Swarajati Kamakshi en Raga Bhairavi et Mishra Chapu Tala composé par Shyama Shastri (1762-1827), un des trois compositeurs de la Trinité carnatique (avec Tyagaraja et Muthuswamy Dikshitar). Neena Prasad, guru de Deepa Chakravarthy, a reconstruit la chorégraphie de Kalamandalam Krishnan Nair qui fut dansée exclusivement par Shanta Rao (1930-2007). Neena Prasad enseigne cette chorégraphie à ses élèves avancés, mais en raison de la complexité extrême de cette pièce, personne n'a encore jamais tenté de l'interpréter sur scène. Deepa Chakravarthy sera la première à essayer ! (Pour écouter cette composition interprétée par le chanteur TM Krishna, suivre ce lien. Une notation est disponible à cette adresse. Une traduction complète du texte vers l'anglais est disponible à cette autre adresse.)

Renseignements pratiques sur le site du Musée Guimet.

La Grande Nuit du Kutiyattam au Théâtre du Soleil du 31 octobre (18h) au 1er novembre (9h)

Kutiyattam

De grands épisodes inspirés des épopées indiennes seront présentés par la troupe d'acteurs-danseurs, chanteurs et musiciens de Kerala Kalamandalam. Je n'ai jamais eu l'occasion d'assister à une représentation de Kutiyattam, et mes expériences avec les formes voisines de théâtre-dansé originaires du Kerala comme le Kathakali sont très limitées. Cela peut intimider vue la durée du spectacle sur toute une nuit (avec un certain nombre d'entr'actes !), de la même façon qu'une représentation d'un opéra grand par sa longueur peut aussi intimider le mélomane.

Une des difficultés pour le spectateur de certaines danses indiennes comme le bharatanatyam est que le texte des compositions et les chorégraphies ne font bien souvent que de très subtiles et brèves allusions à des épisodes mythologiques (certaines pouvant se réduire à un unique geste). De ce que je crois comprendre, du fait de l'étirement dans le temps des représentations, les formes de théâtre du Kerala se donnent au contraire la possibilité de développer à l'extrême les détails des épisodes épiques, et donc de les voir à la loupe plutôt que sous forme d'esquisses. Cette Grande Nuit est une occasion unique de s'immerger dans cet univers théâtral.

Renseignements pratiques sur le site du Théâtre du Soleil.

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Vite-dit de Chennai (été 2016)

2016-08-25 20:14+0530 (दिल्ली) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Je suis maintenant à la fin de mon quinzième séjour en Inde. Après quelques jours à Delhi, je suis allé à Chennai où j'ai pris des cours de bharatanatyam avec Kuthalam M. Selvam (adavus et nattuvangam) et Arupa Lahiry (avec qui j'avais déjà pris des cours à Delhi et qui se trouvait aussi à Chennai pour répéter un spectacle de son guru Chitra Visweswaran). J'ai ensuite passé dix jours à Pune pour prendre des cours avec Sucheta Chapekar, et je finis mon séjour à Delhi pour pratiquer le chant dhrupad avec Nirmalya Dey.

Pendant les trois semaines passées à Chennai, j'ai vu des spectacles de qualité variable. Je vais commencer par rendre compte brièvement de certains d'entre eux, et reviendrai plus en détails sur quelques autres.

The Music Academy, T.T.K. Auditorium, Chennai — 2016-07-16

Sharmila Biswas, concept, chorégraphie, design, danse odissi

Srijan Chatterjee, composition musicale

Lakshmi Parthasarathy Atreya, danse bharatanatyam

Amrita Lahiri, danse kuchipudi

Shashwati Garai Ghosh, danse odissi

Monami Nandy, Tri Paul, Ankita Kulabhi, Rohini Banerjee, danse odissi

Dhaneswar Swain, Bijaya Kumar Barik, Guru Bharadwaj, composition rythmique

Antra-Yatra

Il s'agissait de la création d'une production Antar-Yatra censée évoquer le monde intérieur des danseuses. La production dirigée par Sharmila Biswas (odissi) met en scène trois danseuses solistes (bharatanatyam, kuchipudi, odissi), un corps de ballet de quatre danseuses, et bien sûr Sharmila Biswas. Le spectacle m'a semblé globalement raté. Les costumes (trois pour chacune des solistes !) et la scénographie sont les points forts de la production. Sinon, aucune émotion particulière ne parvient à s'exprimer.

La seule scène de groupe un peu réussie est interprétée par Sharmila Biswas et le corps de ballet : il s'agit du barratage de la mer de lait. L'avatar de la Tortue, le mont Mandara, ainsi que les dieux et démons y apparaissent. Parmi les fruits de ce barratage, on trouve les danseuses célestes (Apsaras), expertes dans tous les arts. Plus loin, il est fait référence aux auspicieuses devadasis (Nityasumangali...).

Les trois solistes se succèdent ensuite. Parmi elles, les danseuses de kuchipudi et de bharanatyam se distinguent particulièrement à mon goût. Amrita Lahiri (kuchipudi) apparaît dans une scène dans laquelle une jeune femme se prépare (bijoux, etc.) et joue avec Krishna au bord de la Yamuna. La séquence la plus intéressante intervient avec Lakshmi Parthasarathy Atreya (bharatanatyam) qui interprète une version déstructurée d'un Tillana. La musique est d'abord extrêmement dissonnante. Les mouvements de la danseuse sont hésitants, et puis la danse prend progressivement forme, évoquant la nature, tandis que la musique devient de plus en plus harmonieuse pour devenir un des Tillana (Adi Tala) du répertoire. La séquence de la soliste d'odissi et du corps de ballet m'a semblée absolument inintéressante, et surtout trop longue. Elle mettait en scène la poursuite de l'antilope dorée par Rama : absolument rien sur ce qui se passe avant (le caprice de Sita), pendant (Lakshmana laissant Sita toute seule, l'arrivée de Ravana) ou après (la colère de Rama quand il voit que Sita a disparu). Rama tient son arc et court après l'antilope dorée (mudra Mrigashirsha), et c'est tout...

Après un fort bel intermède musical par Srijan Chatterjee (dont j'ignore s'il était en playback, le reste de la musique étant enregistrée...), les trois danseuses reviennent pour massacrer l'ashtapadi “Sakhi He” extrait du Gita-Govinda de Jayadeva. La composition musicale n'était pas dans le tala ni le raga habituel, mais ce qui était le plus gênant était que les danseuses n'ont absolument pas suivi le texte du poème. Le pire a été un contre-sens sur le mot Keshi (un démon ennemi de Krishna) qui a été très-ostensiblement représenté comme s'il signifiait Keshava (le Chevelu, un des noms de Vishnu). Il faut imaginer toutes les danseuses et le corps de ballet tourner sur scène en montrant Krishna avec une énorme tignasse de cheveux...

La scénographie, la scène du barratage de la mer de lait et le Tillana mis à part, le seul attrait de la soirée a été son côté mondain, avec quelques remarques et questions très polies posées aux artistes par Anita Ratnam, C. V. Chandrashekhar ou Leela Venkataraman.

Ailleurs : Leela Venkataraman.

Narada Gana Sabha - Mini Hall, Chennai — 2016-07-17

Vidwan T. G. Murugavel, nagaswaram

Mallari

Magnifique lecture-demonstration sur le Mallari, la forme musicale utilisée lors les processions dans les temples ou ailleurs par des joueurs de nagaswarams (hautbois indien). Une impressionnante collection d'anches pendouille de l'instrument. Un des accompagnateurs a le rôle de marquer le tala avec ses talams (cymbales). Les rythmes étaient en effet très complexes. Certains Mallari étaient en Adi Tala (8 temps), mais d'autres étaient en Mishra Chapu (7 temps rapides), Sankirna Triputa (9+4=13 temps), Khanda Triputa (5+4=9 temps). À la demande du public (peu nombreux) de cette démonstration (prononcée en tamoul...), le musicien a interprété avec son instrument une célèbre composition : Bho Shambho (Adi Tala) ; cela avait de la gueule...

Brahma Gana Sabha, Sivagami Petachi Auditorium, Chennai — 2016-07-18 à 19:30

Prarthana Subhalakshmi, danse bharatanatyam

Padmini Krishnamurthy, nattuvangam

Easwar Ramakrishnan, violon

Radha Badri, chant

Devraj, flûte

Rammohan, mridangam

Ce récital par une très jeune danseuse a magnifiquement commencé par un sublime Alap du violoniste Easwar Ramakrishnan (et par le flûtiste). Le guru et la danseuse (style Pandanallur) viennent de Muscut (Oman). La danseuse s'embrouille un peu dans les pas de son Pushpanjali en Hansadhwani Raga et Misra Chapu ; elle a cependant le bon réflexe : elle met ses mains en Anjali devant elle en attendant que la mémoire lui revienne. Après un Shloka Gajanam, elle interprète un Varnam sur Ganesh (“Varanamukhava”, Raga Nattakurunji, composé par Golapakrishna), cela doit être la première fois que j'en vois un. Après un magnifique Alap du violoniste, la danseuse a dansé son Trikala Tirmanam qu'elle a conclu, comme les autres jatis, par une formule rythmique des pieds pendant laquelle, procédé rare, elle illustre le sens du poème évoquant notamment la tête de Ganesh. Parmi les passages narratifs développés dans ce Varnam, la danseuse a fort bien interprété l'épisode qui vaut à Ganesh d'avoir une tête d'éléphant : défendant à quiconque d'entrer chez sa mère Parvati, il a refusé le passage à Shiva, qui lui a coupé la tête, etc. Elle a aussi représenté l'amour maternel d'Uma (Parvati) pour Ganesh en évoquant la conception par la seule Parvati de son enfant. Le Javali (Adi Tala) évoque les espiégleries de Krishna, qui veut aller s'occuper des vaches, mais qui va aussi faire des misères aux gopis... Le récital s'est conclu par un Tillana en Raga Chandrakauns ayant une complexité rythmique inhabituelle puisqu'il utilisait un cycle rythmique en Adi Tala dont les huit temps étaient subdivisés en cinq (Khanda-nadai) ; le poème évoquait Ganesh et Shiva. La jeune danseuse sourit peut-être un peu trop dans les passages expressifs, mais, compte tenu de son âge, son Abhinaya m'a semblé assez bon.

Brahma Gana Sabha, Sivagami Petachi Auditorium, Chennai — 2016-07-20 à 19:30

Varshini Murali, danse bharatanatyam

Padmini Krishnamurthy, nattuvangam

Nandini Anand, chant

Easwar Ramakrishnan, violon

Deux jours plus tard, c'est encore une disciple de Padmini Krishnamurthy (elle-même disciple de Ranganayi Jayaraman). La danseuse est à peine plus âgée que la précédente. Elle semble un peu plus tendue. Après un Shloka dédié à Ganesh, elle commence son récital par un Pushpanjali en Adi Tala : la chorégraphie est magnifique et très inventive. Elle interprète ensuite un peu maladroitement le Vishnu Kavuthwam (Raga Nattai, Chatushra Ekam Tala). Dans cette version, chaque ligne de texte est d'abord récitée une première fois et pour la reprise, le texte est chanté et la danseuse exécute des mouvements rythmiques des pieds (Tattu-Muttu). Le Varnam est Sakhiye Indha Jalam (Adi Tala, Raga Shankarabharanam) de Dandayudhapani Pillai. L'héroïne offre des cadeaux à son amie pour la convaincre d'aller chercher Vishnu ; elle souffre, elle ne peut plus manger, etc. Dans la deuxième grande partie, la danseuse développe l'épisode dans lequel Vishnu vient sauver l'éléphant Gajendra qui était attaqué par un crocodile. La danseuse interprète ensuite un poème de Swati Tirunal (Adi Tala) Chaliye Kunjana mettant en scène Krishna et les gopis au bord de la Yamuna. Le récital s'est conclu par un Tillana dédié à Rama en Raga Desh et Adi Tala.

Brahma Gana Sabha, Sivagami Petachi Auditorium, Chennai — 2016-07-21 à 19:30

Gayathri Rajaji, bharatanatyam

Sri. K. Hariprasad, chant

Sri. R. Narayanan, nattuvangam

Sri. Nellai D. Kannan, mridangam

Easwar Ramakrishnan, violon

J'avais déjà eu l'occasion de voir danser Gayathri Rajaji quand elle avait participé à la tournée de la Chidambaram Dance Company de Chitra Visweswaran au Musée Guimet en 2013. Pour compléter l'effectif constitué par ses disciples, la chorégraphe avait alors fait appel à des danseurs formés dans un autre style. Gayathri Rajaji est en effet une disciple d'Adyar K. Lakshman (style Kalakshetra). Après le décès de celui-ci, elle se forme actuellement auprès de Leela Samson, qui était présente lors de ce récital, tout comme le maître C. V. Chandrasekar.

Le programme commence par une invocation de Ganesh “Bhajamanasa Vighneshwara” (Adi Tala) dans laquelle le chanteur a inséré de nombreux passages en Swaram. Le thème du récital est Krishna. La danseuse commence par le Shloka “Kasturitillakam”. Malgré un accompagnement musical superbe (chant de Hariprasad et Easwar Ramakrishnan au violon), le frissonomètre reste proche du zéro absolu. Le haut du corps de la danseuse est plus expressif que chez le plupart des danseurs Kalakshetra, mais elle se semble pas tout à fait à l'aise dans son corps. Sa position en demi-plié araimandi n'est pas très bien tenue ; lors de certaines frappes, le corps devient un peu instable, presqu'asymétrique. Dans le Jatiswaram du Thanjavur Quartet (Raga Kalyani, Sankirna Chapu), les mouvements de pieds semblent un peu mous ; il y a un manque de netteté.

Le Varnam Sakhiye Inda Velayil (Raga Anandabhairavi, Adi Tala) du Thanjavur Quartet est dédié à Krishna, celui qui porte la conque et le disque. La danseuse a manifestement des possibilités en Abhinaya, qui vont plus loin que ce que font habituellement les danseurs Kalakshetra, mais j'aimerais qu'elle s'y abandonne encore un peu plus. Les passages rythmiques sont correctement exécutés, mais le Varnam suit une structure étrange. Le premier long jati (à trois vitesses) mis à part, les jatis viennent par paires dans cette chorégraphie : le troisième jati vient immédiatement après le deuxième, le cinquième juste après le quatrième, etc. Je n'ai vu cette structure que chez quelques danseurs Kalakshetra. Une particularité de cette composition du Thanjavur Quartet est que le texte de la composition ne commence pas sur le premier temps ; ainsi, les jatis ne se finissent pas juste avant le premier temps comme c'est en général le cas, mais juste avant le deuxième temps du cycle rythmique. Le manque de développement dans l'Abhinaya est contrebalancé par une exégération du temps consacré à la danse pure, ce qui rend l'ensemble du Varnam complètement déséquilibré à mon goût. L'héroïne est impressionnée par la ville et le temple de Krishna, qui est représenté comme Vishnu-Padmanabha, en bouvier, ou avec la conque et le disque. La danseuse développe l'épisode dans lequel Vishnu sauve l'éléphant Gajendra d'un crocodile. Elle évoque aussi celui dans lequel Krishna soulève le mont Govardhana, mais c'est beaucoup trop bref pour être intéressant.

Le point culminant du récital a été l'interprétation du très classique Padam “Indendu” (Raga Suruti, Mishra Chapu) que la danseuse a travaillé avec Bragha Bessel. L'interprète m'y a semblé beaucoup à l'aise et convaincante. L'héroïne demande à Krishna de s'en aller : “Aurais-tu des yeux de poisson ? Tu ne vois pas que ma rue est bien plus étroite que celle de ma rivale ?”. Elle referme sa porte et se retire, en hésitant un peu, se retenant de changer d'avis. Si seulement Bragha Bessel pouvait étendre son influence pour que les danseurs Kalakshetra développent davantage l'Abhinaya tout au long du récital, et pas seulement dans les Padam...

Le récital s'est terminé par un Tillana en Adi Tala chorégraphié par Adyar K. Lakshman et se concluant par une évocation de Krishna et des gopis.

Dharma Paripalana Sabha, Sri Kanchi Mahaswamy Anantha Mandapam, Adyar — 2016-07-22 à 19:15

Gopika Varma, mohiniattam

Il y a quelques semaines à Paris, j'avais été émerveillé par les récitals de mohiniattam de Deepa Chakravarthy. J'ai eu le privilège de déjeuner chez elle lors de mon séjour à Chennai ; je lui disais que si je pouvais sans problème assister à un récital de bharatanatyam tous les jours, ce ne serait pas possible pour le mohiniattam : certains interprètes de ce style parviennent à atteindre une telle excellence et à procurer de telles émotions, qu'il me paraissait absolument nécessaire que les expériences de spectateur soient plus espacées dans le temps, d'une part pour pouvoir prendre à chaque fois pleinement conscience de ce caractère exceptionnel, et d'autre part pour que ne pas être totalement blasé en regardant après des spectacles d'autres styles...

Sachant que Gopika Varma a été un des gourous de Deepa Chakravarthy, je me suis rendu à Adyar pour assister à son récital dans une salle voisine d'un fort beau temple de Padmanabha. La salle était assez peu remplie ; pour expliquer cela, la danseuse a invoqué le Kabali effect, du nom du film tamoul qui envahissait alors les écrans de Chennai. L'orchestre est composé d'un chanteur, d'un flûtiste et de trois percussions : nattuvangam (cymbales), mridangam et un tambour joué par un homme debout et qui donnait une teinte particulière à la musique.

Je n'ai pas grand'chose à dire sur le récital, si ce n'est que le style mohiniattam, par sa lenteur, explore le mouvement comme aucune autre danse classique indienne ne le fait. La première pièce était en Rupaka Tala, une invocation de Ganesh dont la monture est la souris. Elle a interprété ensuite un Kirtana de Swati Tirunal (probablement Shri Kumara Nagaralaye en Adi Tala et Raga Atana) en relation avec l'histoire du temple de Kumaranaloor, qui devait être initialement un temple de Kumara, mais qui est un temple de la Déesse (cf. cette page Wikipedia). Le Dasa Varnam est dédié à Vishnu et évoque différents épisodes épiques dans lesquels le Bienheureux est devenu un serviteur (Dasa). Je ne les ai pas tous compris (et si je les ai compris, je n'ai pas forcément vu le lien avec le thème). Un épisode évoquait Shabari, qui avant de donner des baies à Rama, les avaient goûtées... Un autre évoquait l'avatar du Nain. Dans un autre, Krishna portait Radha et ainsi les marques de pieds qu'il laissait étaient plus profondes, attirant la suspicion des autres gopis... Le récital s'est terminé par un prière en Rupaka Tala.

Narada Gana Sabha - Mini Hall, Chennai — 2016-07-23

Namrata Venkatesan, bharatanatyam

Parvathi Ravi Ghantasala, nattuvangam

Smt. Nandini, chant

Sri. Hari Babu, mridangam

Sri. Srinivasan, flûte

Sri. Dorai, violon

Ce récital interprété par une danseuse au costume rose flashy est dédié à Vishnu. Il commence par une invocation chantée Balakrishna Padamala. Après un mini-Pushpanjali, la danseuse interprète une composition de Swati Tirunal “Gopala pahima” dédié au Maître des sept collines (Venkateshwar). La pièce comporte des passages de danse pure rythmiquement complexes. La danseuse évoque très brièvemenet l'épisode dans lequel Yashoda demande à Krishna d'ouvrir la bouche, parce qu'elle le soupçonne d'avoir mangé de la boue : l'Univers entier lui apparaît. Le programme se poursuit avec le même Varnam que celui que j'ai vu trois jours plus tôt : Sakhiye Indha Jalam (Adi Tala, Raga Shankarabharanam). Un des jatis utilise l'espace d'une façon qui me rappelle le style de M. Selvam. Vers la fin du Varnam, la danseuse développe magnifiquement bien l'épisode de l'éléphant Gajendra sauvé par Vishnu. Le texte mentionne l'intervention de Krishna pour protéger Draupadi et la défaite de Ravana par Rama, aidé de Hanuman, mais l'évocation dansée, bien réalisée, est malheureusement trop courte. La danseuse interprète ensuite une pièce sur le jeune Krishna Bhavayami Gopalabulam (Raga Yamuna Kalyani, Khanda Chapu). La pièce la plus intéressante du programme est peut-être “Kandai kandai Sitai” (Raga Bageshri, Tisra-nadai Adi Tala). Elle raconte le voyage en éclaireur de Hanuman à Lanka. Sita déprime dans le bois d'aśoka, elle pense même à se suicider. Hanuman l'en dissuade et lui montre l'anneau que Rama lui a donné. L'interprétation pose à mon avis quelques problèmes : les personnages ne sont pas suffisamment caractérisés, par exemple, quand la danseuse joue le rôle de Hanuman, seules ses mains indiquent qu'elle joue un singe ; si on se fiait uniquement à son expression, on pourrait penser qu'elle est toujours en train d'interpréter Sita. Le récit en flash-back a une structure un peu étrange ; on ne sait pas très bien à quel niveau du récit on se situe. Hanuman est-il en train de raconter son voyage à Rama ? Le climax est atteint quand Hanuman se grandit avant de s'élancer au-dessus de l'Océan (le chant se transforme alors en une répétition du nom Rām). Le programme se conclut avec “Bhaja Govinda” composé par Adi Shankara.

Sri Krishna Gana Sabha, Kamakoti Gana Mandir Hall, Chennai — 2016-07-27 à 19:00

Smrithi Chanjeevaram, danse bharatanatyam

Ce récital est sans doute le moins intéressant de ceux que j'ai vus pendant mon séjour à Chennai, la technique de la danseuse étant assez moyenne. Les musiques étaient enregistrées. Après un Pushpanjali en Adi Tala dans laquelle la danseuse explore les quatre directions (elle est parfois de dos), elle évoque l'histoire de Ganesh, le fils de la Déesse Gauri, dont Shiva coupera la tête, etc. Vient ensuite un poème sur la Déesse Lalita Bhubaneshwari..., dont la monture est le tigre. Le Varnam en Adi Tala et Raga Nilambari est dédié à Muruga, dont le paon est la monture. L'héroïne lui dit en substance : Viens, je suis comme une fleur sans soleil.. Le Javali en Adi Tala qui suit met en scène les espiègleries du jeune Krishna et le récital se conclut par un Tillana (Adi Tala, Raga Madhuvanti) qui est dédié à Krishna.

The Music Academy, Kasturi Srinivasan Hall, Chennai — 2016-08-02

Subashri Sashidharan, danse bharatanatyam

Smt. S. Divyasena, nattuvangam

Smt. K. P. Nandini Sai Giridhar, chant

Sri. G. Ram Shankar Babu, mridangam

Sri. K. Ganeshan, violon

Sri. J. B. Sruthi Sagar, flûte

Mallari (Raga Gambhira Nattai, Khanda Triputa, composé par B. P. Hari Babu)

Virutham (Ragamalika, texte de Kumaraguru Swami)

Pada Varnam “Mohamana” (Raga Bhairavi, Rupaka Tala), composé par Ponniah Pillai (Thanjavur Quartet)

Javali “Indendu” (Raga Suruti, Mishra Chapu)

Ododi Vanden (Raga Dharmavati, Adi Tala, composé par AMbujam Krishna)

Shankara Shrigiri Nathaprabhu (Raga Hamsanandi, Adi Tala, composé par Swati Tirunal)

Thillana (Raga Behag, Adi Tala, composé par Dr. Balamurali Krishna)

Entre le 1er et le 10 août se tenait à la Music Academy de Chennai le festival-concours Spirit of Youth (réservé à des interprètes de moins de 25 ans). L'an dernier, j'y avais vu l'extraordinaire Sudharma Vaithiyanathan. Cette année, je n'ai vu que trois récitals, qui sans être absolument époustouflants étaient tous de très bonne qualité.

La technique de la danseuse Subashri Sashidharan au costume rouge et blanc est assez impressionnante : son demi-plié est très bas, ses ginatoms sont magnifiques dans le Mallari, son travail sur le regard aussi. Son Abhinaya n'est pas tout-à-fait aussi convaincant ; ses gestes sont parfois un peu brusques. Le Viruttam (forme musique du Shloka, mais en langue tamoule) évoque diverses idées sans que je comprenne le sens global : Padmanabha, le protecteur de l'Univers, Brahma, les quatre Veda, le son, Saraswati à la vîna, etc. Au cours du récital, l'accompagnement musical est quelque peu déséquilibré. La chanteuse Nandini est magnifique, mais le mridanguiste attire beaucoup trop l'attention à lui. Le bien-nommé flûtiste Sruthi Sagar produit des sons qui parfois me paraissent sublimes et parfois me semblent affreux ; c'est vraiment étonnant. La progression thématique du Varnam composé par le Thanjavur Quartet et dédié à Brihadishwara est on ne peut plus traditionnelle. Un jati accompagné du seul mridangam (sans onomatopées rythmiques) développe un peu trop longuement l'intervention de Kama. Dans le Padam composé par Ambujam Krishna, l'héroïne est tout à son adoration de Krishna, mais le Shrinraga (Amour) est malheureusement complètement absent de l'interprétation de la danseuse. Le programme se poursuit avec le classique Indendu et une vive évocation de Shiva comme dieu dansant dans un poème de Swati Tirunal : chose rare, pour évoquer sa danse, l'interprète utilise des sauts avec réception en cinquième position (pieds croisés). Le récital s'est conclu par un Tillana composé par Balamurali Krishna magnifiquement introduit par un Alap du flûtiste.

The Music Academy, Kasturi Srinivasan Hall, Chennai — 2016-08-03

Sivasri Skandaprasad, danse bharatanatyam

Smt. Roja Kannan, nattuvangam

Sri. K. Hariprasad, chant

Sri. Nellai D. Kannan, mridangam

Easwar Ramakrishnan, violon

Bhajamanasa Vighneshwara Manisham (Adi Tala)

Shloka “Gajanam”

Alarippu (Tishra Dhruvam, composé par Adyar K. Lakshman)

Jatiswaram (Raga Hemavati, Misra Chapu, composition du Thanjavur Quartet)

Varnam “Manavi” (Raga Shankarabharanam, Adi Tala), composé par Ponniah Pillai (Thanjavur Quartet)

Azhaga Azhaga (Raga Suddha Dhanyasi, Khanda Chapu, composé par Ambujam Krishna)

Sogasu (Misra Chapu)

Thillana (Raga Behag, Tisra-nadai Adi Tala, composé par Lalgudi G. Jayaraman)

La guru de la danseuse a eu pour maîtres Adyar K. Lakshman et Kalanidhi Narayanan. Sivasri Skandaprasad avait 10 ans quand elle a fait son arangetram en 2007. Je n'ai pour ainsi dire pas pris de notes pendant ce récital. La danseuse a un Abhinaya plus mûr que celui de la danseuse du récital de la veille. L'accompagnement musical est parmi ce qui se fait de mieux (chant, violon, mridangam). Le chanteur K. Hariprasad est dans un bon jour (magnifiques Alap avant le Varnam et le premier Padam). L'accompagnement du mridangam est merveilleux de délicatesse. Il est heureux que je me sois souvenu de la structure du Tala Dhruvam pour comprendre que Tishra Dhruvam était le nom d'un cycle en 3+2+3+3=11 temps ; sinon, j'aurais moins apprécié l'Alarippu ! Le chorégraphie du Jatiswaram m'a semblé peu musicale. Dans le Varnam (le même que Lavanya Ananth avait dansé en août 2015), l'héroïne est tout à son émerveillement (adbhuta). Un épisode est particulièrement développé : alors qu'il était en route pour les noces de sa sœur Meenakshi à Madurai, Vishnu sauve l'éléphant Gajendra de la morsure d'un crocodile. Les Tattu Muttu de la danseuse sont particulièrement intéressants et virtuoses.

The Music Academy, Kasturi Srinivasan Hall, Chennai — 2016-08-04

Vidhun Kumar, danse bharatanatyam

Smt. V. Mythili, nattuvangam

Sri. K. Hariprasad, chant

Sri. Nellai D. Kannan, mridangam

Sri. T. Sasidhar, flûte

Shri Maha Ganapathe Surapathe (Raga Nattai, Adi Tala, composé par Mayooram Vishwanatha Shastri)

Alarippu avec Thiruppugazh (Misra)

Varnam “Konchum Sadangai” (Raga Latangi, Adi Tala, composé par Madurai R. Muralidharan)

Dhyaname Taruve (Raga Amritavarshini, Adi Tala, composé par Ambujam Krishna)

Kana Vendamo (Raga Sriranjani, Rupaka Tala, composé par Papanasam Sivan)

Thillana (Raga Valaji, Adi Tala, composé par Madurai R. Muralidharan)

Le danseur porte un dhoti jaune, et un affreux collier (je ne remercie pas ma voisine d'avoir attiré mon attention sur ce fait !). Dans sa pièce introductive, il impressionne par son regard porté au loin (peut-être un peu trop haut) et par les fentes qu'il exécute. Ce danseur ne cherche pas à imiter les danseuses ! Sa technique de pied est parfois un peu brouillone : certains pas rapides passent à la trappe. Son corps est quelque peu asymétrique : dans les positions qui devraient être symétriques, son bras gauche est souvent un peu plus bas que le bras droit. J'apprécie néanmoins beaucoup son Alarippu. Au cours de ce séjour, je me suis rendu compte qu'il y avait en réalité souvent bien plus de différences entre danseurs d'un même style (ou bani) qu'entre danseurs de styles différents. Ce danseur a été formé dans le style Thanjavur, et pourtant, j'ai eu l'impression de distinguer des détails caractéristiques du style Vazhuvoor, comme le fait de sauter avant le dernier tarikitatom d'une série.

La danse pure de ce danseur est très agréable à regarder, mais son Abhinaya ne parvient pas à me convaincre. Le danseur illustre très littéralement le sens du texte du Varnam dédié à la forme de Shiva résidant à Chidambaram. La seule émotion qu'il utilise est celle de l'émerveillement. Il évoque assez clairement certains des cinq éléments (Panchabhuta) associés à Shiva : l'air, l'eau, le feu... Rythmiquement parlant, la chorégraphie est étrange parce que l'arudi, la formule conclusive suivant les jatis qui se termine usuellement sur le cinquième ou le premier temps (dans le cas d'Adi Tala) se finisait ici sur le septième temps !? La fin du Varnam est quelque peu répétitive et je me surprends à remarquer des détails stylistiques, comme les marches en arrière à la Kalakshetra (sans épaulement, en laissant traîner le talon devant).

La composition d'Ambujam Krishna qui est jouée est Rama Stuti “Dhyaname Taruve”. Tous les sages et musiciens méditent sur Rama. La chorégraphie évoque brièvement le voyage de Hanuman à Lanka. Tout d'abord, il saute par dessus l'Océan. Fait prisonnier de Ravana, sa très longue queue s'enroule pour former un siège depuis lequel il est plus haut que Ravana. Plus loin, il met le feu à Lanka avec sa queue enflammée. Un autre épisode en rapport à Rama est évoqué, peut-être s'agit-il d'une référence au batelier Guha, considéré comme le premier dévot de Rama.

Le Padam “Kana Vendamo” est la seule pièce dans laquelle le danseur a tenté d'exprimer d'autres émotions que la dévotion et l'émerveillement. On comprend qu'il veut exprimer des choses, mais le sens global reste tout à fait mystérieux.

Le récital se conclut par un Tillana dédié à la Déesse sous le nom de Matangi.

Le spectacle était en partie gâché par l'attitude de la guru V. Mythili qui semblait se fichtre royalement de ce que faisait le danseur. Elle était complètement en mode automatique : à aucun moment elle ne le regardait, elle paraissait ne s'intéresser qu'aux onomatopées rythmiques qu'il fallait bien qu'elle récite.

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Mavin Khoo au Musée Guimet

2016-07-14 18:00+0530 (दिल्ली) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XV

Auditorium du Musée Guimet — 2016-05-20

Mavin Khoo, bharatanatyam

Bhavana Pradyumna, chant

Prathap Ramachandra, mridangam

Jyotsna Srikant, violon

Songs of the Blue Lord

Fin mai, Mavin Khoo, qui est aussi chorégraphe de danse contemporaine, s'est produit au Musée Guimet pour un programme de bharatanatyam. J'y suis allé par curiosité, n'appréciant guère le style de danse pure de son guru Adyar K. Lakshman (dont les chorégraphies me paraissent excessivement virtuoses). Comme il appartient à une lignée issue de l'école Kalakshetra dont je déteste joyeusement l'Abhinaya (art de l'expression), je me méfiais encore davantage.

J'avoue avoir été agréablement surpris. Mavin Khoo est assurément un grand artiste. Il a tenté beaucoup de choses au cours de son programme ; certaines audaces m'ont semblées un peu folles, certaines tentatives ont à mon avis échoué, mais il est agréable de voir un artiste essayer de se dépasser ainsi. Sa danse pure est euphorisante, son Abhinaya est très bon (un des meilleurs que j'aie eu l'occasion de voir chez des danseurs masculins), mais il ne parvient cependant pas à m'émouvoir.

J'étais également venu au Musée Guimet pour la musique. Après avoir chanté les notes Sa-Pa-Sa, la chanteuse Bhavana Pradyumna a débuté le programme en interprétant magnifiquement trois shlokas : वक्रतुण्ड (Vakratuṇḍa) en hommage à Ganesh, या देवी सर्वभुतेषु (Yā Devī Sarvabhuteṣu) dédié à la Déesse et कस्तूरीतिलकं ललाटपटले (Kastūritilakaṃ Lalāṭapaṭale) à Krishna. L'accompagnement du violon était aussi remarquable.

Le programme de danse proprement dit a commencé ensuite. Il ne suivait pas la forme habituelle. Il s'agissait en gros d'un Varnam (en Adi Tala) dans lequel étaient insérées diverses compositions dédiées à Krishna. Le cycle rythmique s'interrompait au début de chaque séquence pour permettre à la chanteuse de prononcer une traduction du texte poétique qui allait suivre. (Il s'agissait peut-être du Varnam “Vanajalakshi” en Raga Kalyani ?) Le danseur a les mains complètement peintes en rouge. Il commence par le Trikala Jati, le premier passage rythmique qui utilise les trois vitesses (et un passage en triolets), qu'il conclut avec une longue formule rythmique. Dans la première séquence, le texte évoque les yeux de lotus (de Krishna, d'après la présentation). Dès le début, je comprends que Mavin Khoo n'a pas les défauts de beaucoup de danseurs Kalakshetra qui répètent exactement les mêmes gestes à de nombreuses reprises sans même changer de placement. Ici, la première ligne du texte a été montrée trois fois, de face, vers la droite puis vers la gauche, avec des gestes différents à chaque fois. L'héroïne ne peut souffrir la séparation. Coquette, elle se prépare à le recevoir, mais elle s'endort. Dans son rêve, elle l'entend frapper, Krishna l'enlace. Quand elle se réveille, elle comprend sa déception. La séquence se termine par d'assez complexes Tattu Muttu (combinaison de frappes de pieds et d'expression par le haut du corps).

Après un passage rythmique très virtuose, le danseur évoque celui qui est le fils de Vasudeva et de Devaki. Il suscite l'émerveillement en soulevant le mont Govardhana afin de protéger les bouviers des pluies déclenchées par Indra.

La danse pure de Mavin Khoo est particulièrement euphorisante dans le passage technique suivant. La formule conclusive utilise de façon intéressante des séries de tarikitatom (mouvement ressemblant un peu au style de nage crawl...) ; ils étaient en effet interprétés en accelerando, une fois en vitesse lente, une fois en vitesse moyenne et une fois en vitesse rapide.

La première partie du Varnam se conclut avec l'émerveillement de l'héroïne et ses prières devant Krishna qui est porté en procession en palanquin, avec tambours, tampura, nagaswaram, lancers de fleurs, danseuses... Si Mavin Khoo n'a globalement pas eu de difficulté particulière à évoquer des personnages féminins au cours du récital, sa représentation des danseuses accompagnant la procession m'a semblé très sommaire, un peu prosaïque.

L'Ashtapadi Sakhi He est inséré ensuite dans le programme. J'ai été content d'y reconnaître le Raga Shuddha Sarang (et Tala Mishra Chapu) dans le chant de Bhavana Pradyumna. Mavin Khoo a choisi de rester assis pendant toute la durée de cette composition. C'est un choix très audacieux, agréable à voir parce que relativement rare, mais je pense que c'était trop audacieux de sa part. Je sais à quel point cette pièce peut être extraordinaire (cf. le récital de Vidhya Subramanian). Je sais aussi l'émotion intense que peuvent susciter certaines interprètes quand elles font de l'Abhinaya assises (je garde un souvenir émerveillé de Yashoda Thakore dans un tel “exercice”). Je dis que c'était bien tenté de la part de Mavin Khoo qui bénéficiait pourtant d'un grand soutien musical dans cet essai, mais il a malheureusement échoué à m'émouvoir.

On revient ensuite semble-t-il au Varnam, avec en tout cas un passage rythmique très compliqué en Adi Tala. La danse évoque la souffrance de l'héroïne. La lumière diffusée par la Lune la brûle comme si elle était directement touchée par les rayons du Soleil. Ses pleurs sont comme une rivière. Les flèches florales de Kamadeva la font souffrir. Mavin Khoo évoque très bien l'archer Kamadeva, qui prépare les fleurs qu'il va lancer. Cependant, l'épisode m'a semblé démesurément long et répétitif. Avec son arc, il fait des dizaines de fois le tour de la scène avec des formules rythmiques diverses (sans doute très largement improvisées : il n'y avait d'ailleurs pas de nattuvanar dans ce programme !). Au bout d'un temps qui m'a semblé interminable (et malheureusement accompagné uniquement par le violon : j'aurais globalement préféré que le chant soit un peu plus présent), comme c'est souvent le cas, Kamadeva ne tire pas de flèche avec son arc, mais il lance tout simplement la fleur sur sa victime. C'est magnifique quand c'est bien fait, mais il m'a semblé que c'était raté (entre autres parce que le danseur était à ce moment-là dans un coin mal éclairé de la scène...).

Ensuite, l'héroïne veut écrire une lettre à Krishna, mais son amie ne veut pas la lui porter.

Bhavana Pradyumna interprète ensuite une composition de son guru Chitravina Ravikiran en Misra Jhampa Tala (7+1+2=10 temps) dédié à celui qui est le maître des trois mondes dont le dévot demande la bénédiction. Cette composition est interprétée par Mavin Khoo qui reste cette fois-ci debout pendant toute son interprétation. Ce choix provoque en moi les mêmes réticences que plus haut : à mon avis, en utilisant tout son corps, l'interprète parviendrait à émouvoir bien davantage.

Deux autres compositions en Adi Tala et en Chatushra Ekam concluent le récital. Que peut-on bien Lui offrir ? Des fleurs, de l'eau, des gâteaux ? Non, ce n'est pas assez bon pour Lui ! La dernière composition représente Krishna comme bouvier, fils de Vasudeva et Devaki. Le récital s'achève par un accelerando, le danseur finissant à plat ventre.

Après avoir été beaucoup applaudi, le danseur explique qu'il a oublié une danse. Il interprète alors un passage rythmique utilisant progressivement les trois vitesses et qui est uniquement composé de Mandi Adavus (dans lesquels on fait des fentes ou pose un genou par terre). C'est impeccablement exécuté, à une vitesse frénétique. À l'image de tout le programme : c'est impressionnant, un tout petit peu show-off, mais cela ne m'émeut absolument pas.

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Deepa Chakravarthy au Centre Mandapa

2016-06-15 14:23+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Centre Mandapa — 2016-05-05

Deepa Chakravarthy, mohiniattam

Invocation au Dieu Vishnu

Jatiswaram (Adi Tala)

Varnam (Raga Charukeshi, Adi Tala)

Ashtapadi “ललितलवङ्ग

Thillana (Tishra Adi Tala)

Je n'ai eu qu'une poignée d'occasions de voir de la danse mohiniattam, mais il ne fait nul doute que Deepa Chakravarthy est une très grande interprète. Son art de l'expression est absolument extraordinaire. Je ne suis pas certain qu'une seule autre danseuse indienne (tous style confondus) m'ait fait éprouver de telles émotions pendant toute la durée d'un récital.

Le jeudi 5 mai, elle a commencé son récital par une invocation au dieu Vishnu, tel qu'il est représenté au temple de Trivandrum, un temple dont l'entrée est défendue aux non-hindous. Cette invocation prenait la forme musicale du Shloka, c'est-à-dire que texte est chanté sans qu'il y ait de pulsation rythmique régulière : le texte remplace les onomatopées utilisées habituellement dans l'Alap. Au cours de ce Shloka de quelques minutes (et dans lequel la vînâ se fait entendre, un instrument que l'on entend rarement dans les autres styles de danses classiques indiennes), la danseuse m'a semblé faire preuve de qualités expressives très intenses et en tous points comparables à ce que les danseuses les plus expérimentées (de bharatanatyam) tentent d'exprimer, sans toujours y parvenir, dans le Varnam qui est la pièce la plus élaborée du répertoire. Le thème était en effet comparable à ceux des Varnam les plus traditionnels : il s'agit du parcours spirituel d'une héroïne jusqu'à la vision de la divinité dans son sanctuaire. La danseuse disciple de Gopika Varma et Neena Prasad a commencé par représenter l'arrivée de l'héroïne près du temple dont elle admire les sculptures. Quand la porte du temple s'ouvre, c'est l'émerveillement. J'attendais le moment où la divinité lui apparaîtrait. Sachant que la divinité est adorée dans le temple de Trivandrum sous le nom de Padmanabha, je me préparais bien sûr à voir une représentation de Vishnu allongé sur le serpent Shesha. J'en ai déjà vu de très nombreuses représentations dans la danse, mais celle qui a été proposée ici était nouvelle pour moi. En demi-plié, les pieds écartés, la danseuse a commencé à montrer le serpent Adi Shesha avec ses deux mains, puis le haut de son corps, du torse à la tête, s'est mis à tourner délicatement, tandis que l'expression de la danseuse se métamorphosait pour faire apparaitre Vishnu couché sur le serpent. Cette transformation est une des choses les plus extraordinaires qu'il m'ait été donné de voir. La suite de la chorégraphie exprime que Vishnu règne sur l'Univers et a pour épouse Lakshmi.

La suite du récital suit un format semblable à ce qui se fait dans le bharatanatyam (Margam). En effet, après la mort du roi Serfoji, certains des membres du Thanjavur Quartet qui ont mis au point le format du Margam ont rejoint d'autres cours royales. L'aîné Chinnayya est allé à Mysore à la cour de Krishnaraja III, Vadivelu a rejoint celle de Swati Tirunal (Travancore) où il a participé à réforme du style mohiniattam. La pièce suivante a ainsi été un Jatiswaram en Adi Tala. Les mouvements suivent une structure habituelle utilisant les trois vitesses : des séquences de mouvements sont d'abord exécutées en vitesse lente, en vitesse moyenne puis en vitesse rapide. Les mouvements ne sont jamais aussi rapides que dans le bharatanatyam, mais ce n'est en aucun cas un problème pour moi. Quelle que soit la vitesse, les mouvements de pieds sont extrêmement précis. Les pieds touchent toujours le sol à un instant précis du cycle rythmique (la danseuse n'a d'ailleurs pas peur de faire du bruit avec ses frappes) tandis que la posture générale du corps évolue de façon très continue. Il serait parfois difficile de dire précisément quand le mouvement des bras commence ou finit précisément : très lents mais très intenses, ils semblent ne jamais devoir se terminer. Bref, la technique de la danseuse est aussi sublime que son Abhinaya.

La structure formelle du Varnam est très voisine de son équivalent dans la danse bharatanatyam. On y trouve aussi une alternance entre passages narratifs ou expressifs et passages de danse pure (qui sont ici accompagnés d'un chant et non pas de la récitation de syllabes rythmiques). Le thème est tiré du Bhagavata-Purana.

Le Varnam commence par l'émerveillement d'Usha, la fille de Banasura, alors que lui apparaît en rêve Aniruddha, fils de Pradyumna et donc petit-fils de Krishna. Après le premier passage rythmique, l'interprète évoque la beauté d'Aniruddha, qui a l'éclat de la Lune, une démarche noble et qui est orné de bijoux et d'une ceinture. L'Abhinaya de la danseuse est très fin. Pour représenter l'émerveillement de l'héroïne, la danseuse exécute avec une sublime lenteur certains mouvements minuscules : les mouvements des yeux qui montent légèrement, tout comme le buste, alors que les talons montent d'un ou deux centimètres. L'interprétation est tellement intense que l'impression produite par ces petits mouvements est gigantesque.

Usha's Dream (Raja Ravi Varma)
Usha's Dream (Raja Ravi Varma)

Après un passage rythmique, la séquence suivante met magnifiquement en scène en flash-back l'apparition d'Aniruddha dans le rêve d'Usha. Il apparaît entouré de fleurs de lotus et s'approche d'elle. Elle est allongée. Il l'ensorcelle alors qu'elle dort. Elle se réveille enivrée avec le parfum du lotus qu'il a laissé en l'embrassant. L'interprétation de cette scène a été sans doute le point culminant du récital. S'ensuit un passage technique dont le chant est composé de notes solfiées.

Pour retrouver les sensations de son rêve, Usha demande à son amie Chitralekha de faire un portrait du jeune homme qui lui est apparu. Chitralekha commence par dessiner Vasudeva (le père de Krishna), mais Usha n'en veut pas (la danseuse utilisant intelligemment des pirouettes pour passer d'un personnage à l'autre). Alors, Chitralekha revient à son ouvrage et dessine cette fois-ci Krishna. La plume de paon qu'elle dessine nous fait comprendre qu'il s'agit de Krishna, mais le texte chanté faisait aussi ressortir assez clairement les noms des héros représentés par Chitralekha. Usha ne veut pas non plus de Krishna. Chitralekha efface la plume de paon moquée par Usha et dessine Aniruddha, ce qui rend enfin Usha heureuse.

Le Varnam bascule ensuite dans sa deuxième grande partie (plus courte que la première) dont les parties dansées sont plus vives et accompagnées de notes solfiées. Comme en bharatanatyam, ces séquences sont ponctuées rythmiquement par une formule Ardi. Plus loin, une phrase reprise en Tattu Muttu (mouvements rythmiques des pieds) exprime le désir d'union de l'héroïne avec Aniruddha, celui dont le visage a l'éclat de la Lune. À la fin, plus personne, pas même Chitralekha, ne la retient d'aller le rejoindre.

La danseuse a ensuite interprété un Ashtapadi extrait du Gîta-Govinda de Jayadeva. Il s'agissait du troisième qui est intitulé Lalita Lavanga. L'interprétation de la danseuse m'a semblé être une traduction plus claire du texte sanskrit que ne l'est la traduction française (confuse) de Gaston Courtillier. Voici la première ligne du texte dans la bien meilleure traduction de Jean Varenne :

Souffle le vent du Malaya,
caressant tendrement les feuilles
et les fleurs de girofle ;
et l'on entend, dans les taillis,
la note basse des abeilles
et l'appel du coucou.
(Traduction de Jean Varenne, éditions du Rocher/Unesco)

Cette phrase a été reprise plusieurs fois par la danseuse en Tattu Muttu. L'interprétation était telle que j'avais l'impression de comprendre le texte sanskrit de façon aussi claire que dans la traduction ci-dessus. La pièce exhale la beauté de la nature propice aux émois amoureux. Il y est question de couples d'oiseaux, de biches, de paons, du parfum des fleurs, de jeux d'eau, des flèches florales que lance Kamadeva. Submergée par ses sentiments, l'héroïne supplie le dieu de l'Amour de ne pas la frapper davantage. La danse pure était intelligemment associée à cette pièce expressive.

Ce superbe récital se conclut par un Tillana très bien architecturé dans le cycle rythmique Tishra Adi Tala utilisant des subdivisions ternaires. La plupart des Thillanas utilisant des subdivisions binaires, cette composition permettait de mettre en valeur des variations rythmiques différentes. Le texte final de la composition est un hommage au dieu Muruga, fils de Shiva.

Centre Mandapa — 2016-05-06

Deepa Chakravarthy, mohiniattam

Invocation au Dieu Shiva (Adi Tala)

Solkattu (Adi Tala, composition de M. S. Sukhi)

Varnam (Raga Charukeshi, Adi Tala)

Padam (composition de Swati Tirunal)

Thillana (Raga Revati, Adi Tala)

Le lendemain, la danseuse a proposé un programme dont toutes les pièces, à l'exception du Varnam, étaient différentes. Elle a commencé par une invocation à Shiva, de nature plus technique que celle de Vishnu proposée la veille. La composition utilise un texte d'Adi Shankara (Shiva Panchakshara Stotram ?). De son troisième œil, il a réduit en cendres Kamadeva. C'est un yogi. Les serpents et le feu sont ses ornements. La chorégraphie représente aussi la rivière Ganga, le buffle Nandi et le lingam. Des fleurs semblent tomber du ciel. Le texte fait aussi référence aux sages Vasishta et Gautama. La composition rythmique a comporté une section de Swaram (utilisant des notes solfiées).

La pièce suivante a été une pièce de danse pure Solkattu dont la musique est constituée d'onomatopées rythmiques. Un étrange écho était présent dans l'Alap introductif (au lieu qu'un violon réponde à la voix comme cela se fait habituellement en musique carnatique, la voix se répondait à elle-même...).

Après le Varnam tout aussi magnifiquement interprété que la veille, la danseuse a poursuivi son récital avec un Padam sur un thème peu original. L'héroïne y est séparée de Padmanabha. Elle en souffre ; la nourriture ne lui inspire que le dégoût. Elle se prépare pour le recevoir, mais elle doute qu'il reviendra.

La danseuse a conclu son deuxième récital par un Tillana en Adi Tala qui présentait une certaine complexité rythmique et qui rendait hommage à la Déesse Sarasvati.

Ce deuxième récital m'a semblé à peu près aussi remarquable que le premier ; j'ai particulièrement aimé revoir le Varnam. J'ai toutefois préféré le premier programme qui mettait à mon avis mieux en valeur les qualités de la danseuse dans l'art de l'expression.

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K. P. Yeshoda au Centre Mandapa

2016-05-27 11:15+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Centre Mandapa — 2016-05-03

K. P. Yeshoda, bharatanatyam

Nataranjali (chorégraphie de VP Dhananjayan)

Shri Cakraraja (Ragamalika)

Varnam “Svami ni manam irangi” (Adi Tala, Ranjani Raga, composition de Papanasam Siva, chorégraphie de Rukmini Devi Arundale)

Jagan Mohanane Krishna (Ragamalika, Adi Tala, composition de Purandaradasa, chorégraphie de Krishnaveni Lakshmanan)

Padam (Raga Ahari, Mishra Chapu)

Javali “Yera Rara...” (Adi Tala)

Thillana (Adi Tala)

La danseuse K. P. Yeshoda est pour ainsi dire inconnue du Grand Oracle Omniscient. Avant la date de son récital, je n'avais trouvé que cette vidéo qui ne m'incitait pas particulièrement à fuir. N'escomptant pas de très grandes émotions de la part de danseurs formés dans le style Kalakshetra (une école située près de Chennai), à part la curiosité, je n'avais aucune raison particulière de venir, mais si même moi, je ne venais pas, qui donc viendrait au Centre Mandapa ? Effectivement, très peu de spectateurs sont venus assister au récital de bharatanatyam de K. P. Yeshoda au Centre Mandapa. Sa tante Katherine Kunhiraman, veuve du danseur de kathakali K. P. Kunhiraman, était présente.

J'ai écrit ici beaucoup de mal (et pensé encore plus) à propos de Kalakshetra, de l'institution, de son discours, et dans une certaine mesure du style de cette école (dans la danse pure et surtout dans l'Abhinaya). Pour ce qui est des aspects purement artistiques, mon opinion négative résulte de mon expérience de spectateur avec un certain nombre d'interprètes de ce style. Mon opinion serait sans doute un peu différente si je n'avais vu que des interprètes ayant les qualités de K. P. Yeshoda. Elle fait preuve d'une très belle technique Kalakshetra. Tout est propre dans ses mouvements. Rien ne semble exagéré. Cela reste néanmoins de la technique Kalakshetra. Ainsi, je continue à être perturbé par la façon peu naturelle dont les yeux se dirigent vers la main tendue sur le côté sans vraiment la regarder (mettez-vous debout, tendez vos bras sur les côtés à la hauteur des épaules, essayez de regarder votre main droite en gardant la tête parfaitement droite, fermez l'œil droit : en principe vous ne voyez plus la main droite, n'est-ce pas ?). Ce récital ne m'a pas fait devenir un admirateur du style Kalakshetra, mais au moins, au cours de ce récital, quand il m'a semblé observer des choses étranges ou perturbantes dans la danse pure, je n'ai eu aucun doute : il s'agissait de caractéristiques du style Kalakshetra et non d'erreurs techniques de la part de la danseuse. Tout au plus, la danseuse restait parfois en demi-plié là où la chorégraphie demandait vraisemblablement de descendre en grand plié. Toutefois, en matière d'Abhinaya, si l'interprétation est plus qu'honnête et très sincère, on reste toujours dans le carcan émotionnel du style Kalakshetra : il n'y a rien qui puisse véritablement m'émouvoir et dans toutes les pièces, de nombreuses phrases seront répétées à l'identique par la danseuse.

Après un Shloka et une composition musicale dédiés à Ganesh, la danseuse a commencé son récital par une offrande dansée intitulée Nataranjali. La chorégraphie évoque Shiva. Elle met particulièrement en valeur la Lune et la rivière Ganga s'écoulant de ses cheveux. Il s'agit cependant principalement d'une pièce de danse pure dans laquelle la danseuse utilise de très beaux phrasés dans ses mouvements lents, une capacité rarement observée dans le style Kalakshetra. Dans ses Tattu Muttu (frappes de pieds accompagnant le texte chanté), elle utilise la technique de son école selon laquelle le genou droit est devant (pied parallèle) tandis que le genou gauche est sur le côté (en dehors).

La danseuse a chorégraphié elle-même la pièce suivante Shri Cakraraja qui rend hommage à la Déesse, qui porte le disque, et qui est aussi la Déesse de la connaissance et des arts. La chorégraphie évoque ainsi les quatre Vedas, la musique et la danse, en représentant la Déesse comme épouse de Nataraja. L'hommage à la Déesse est suggéré par le rituel de l'offrande de feu associée au jeu des tambours et des hautbois. Sur son nom de Kameshwari, la chorégraphie évoque le dieu de l'Amour Kamadeva. Après une expression du dégoût (je n'ai pas saisi le contexte), la pièce se termine dans l'apaisement.

La pièce principale du récital est un Varnam chorégraphié par Rukmini Devi. Le premier jati intervient sans aucune introduction. La chorégraphie (qui se répète encore à l'identique) évoque ensuite Muruga en utilisant les mudras caractéristiques de ce fils de Shiva (Shikhara et Trishula). Les sections expressives suivantes montreront l'héroïne souffrant de la séparation de celui dont la monture est le paon. À la toute fin, l'héroïne dit simplement à Muruga : Viens !.

La pièce suivante Jagan Mohanane Krishna était déjà au programmme de Hiruthiga Vigithan en octobre dernier. La chorégraphie évoque les avatars de Vishnu. Deux épisodes sont particulièrement développés. Le premier montre Vamana, le Nain (cinquième avatar de Vishnu), qui parvient à vaincre Bali par la ruse. Il est en effet venu demander au roi démonique un terrain qu'il pourrait délimiter en trois pas, ce que Bali accepte, puisque Vamana est un nain... Ce nombre de pas était suffisant à Vishnu pour parcourir les trois mondes et enfoncer Bali dans le monde souterrain en lui marchant sur la tête lors du troisième pas. La chorégraphie ne représente me semble-t-il que les deux premiers pas de Vishnu. Ce qui est très dommageable à la présentation est que la séquence dans laquelle la danseuse représente ces deux pas est répétée à l'identique... L'autre épisode est celui du barattage de la mer de lait dont je me souviens particulièrement du rôle du serpent Vasuki.

La danseuse interprète ensuite un Padam en langue malayalam de Maharaja Swati Tirunal, chorégraphié par la danseuse. L'héroïne attend son bien aimé. Elle se remémore un passé heureux. Touchée par les flèches de Kamadeva, elle brûle d'amour pour Padmanabha (Vishnu) : la lumière la fait souffrir. Elle se prépare pour lui : elle prend un bain, choisit les meilleurs vêtements, etc, pour finalement aller au temple.

Le programme se poursuit avec le même Javali qu'avait dansé Hiruthiga Vigithan. La pièce me semble encore une fois très répétitive, et l'atmosphère caractéristique de ce type de danse est malheureusement absente. Le contenu érotique des Javali et le contexte de leur composition (qui fait l'objet d'un beau chapitre dans le livre Unfinished gestures de Davesh Soneji) va tellement contre les principes moraux promus par l'idéologie Kalakshetra que je ne parviens pas à comprendre pourquoi les Javali figurent au répertoire transmis par cette institution...

Le récital s'est conclu par un Tillana utilisant de façon très progressive les trois vitesses d'exécution des mouvements. La partie linguistique de la composition est un hommage à Rukmini Devi, fondatrice de Kalakshetra. La partie expressive correspondante était assez peu lisible : je n'ai compris qu'il était question d'elle que parce que son nom était prononcé à la fin du poème.

Ce billet s'est transformé en cours de rédaction en une critique du style Kalakshetra. Je voudrais cependant réaffirmer la sincérité et la qualité du travail de K. P. Yeshoda. Bien davantage que d'autres élèves de Kalakshetra que j'ai vues, c'est une excellente ambassadrice du style de cette école. Son récital met ainsi en lumière de façon éclatante les caractéristiques de ce style, qu'elles soient positives ou négatives à mes yeux...

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Le festival de danses indiennes “Mouvements émouvants” 2016

2016-05-22 19:20+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Au cours de la semaine du 18 au 24 avril s'est tenue la deuxième édition du festival de danses classiques indiennes “Mouvements émouvants” organisé par la danseuse odissi Mahina Khanum. L'événement a pris des proportions plus importantes que lors de la première édition. On a retrouvé les stages d'initiation aux différentes danses classiques indiennes. J'ai participé à ceux de mohiniattam, sattriya et odissi. La durée de chaque stage a été rallongée à 1h30, ce qui permet d'entrer un peu plus en détail dans les particularités de chaque style. J'ai aussi participé au stage d'initiation à la musique carnatique avec la magnifique chanteuse Bhavana Pradyumna que j'avais déjà eu le plaisir d'entendre lors du récital de Renjith & Vijna au Musée Guimet (et entretemps, j'ai eu le privilège d'être accompagné par son chant pour danser une pièce de bharatanatyam lors d'un récital d'élèves de ma professeur Jyotika Rao).

Au programme, il y eut aussi une visite commentée du Musée Guimet et une projection du film L'œil au-dessus du puits de Johan Van Der Keuken, auxquelles je n'ai pu assister. La plus grande nouveauté de cette édition a été la journée d'études à l'auditorium de l'Inalco le 18 avril. Il s'agissait de retracer l'histoire de la pratique des danses indiennes en France. Il a été fait mention à plusieurs reprises des servantes des dieux ou devadasis — une troupe de bayadères fit une tournée en Europe dans les années 1830, provoquant parfois la déception des spectateurs européens qui préféraient voir les imitations orientalisantes de quelque danseuse classique comme Fanny Elssler ou Marie Taglioni plutôt que les authentiques danseuses indiennes — mais ce n'était pas le sujet de cette journée qui mettait résolûment l'accent sur les pratiques des danses indiennes par des Françaises (ou plus généralement des Européennes), la pionnière étant Simkie (Simone Barbier). Avant Simkie, mais bien après les nombreux ballets romantiques sur les thèmes indiens (le plus célèbre étant La Bayadère de Marius Petipa), d'autres danseuses avaient tenté de construire leur propre style de danse à partir de diverses sources, comme des sculptures. Certaines d'entre elles n'ont apparemment pas été sans influence sur le développement de la danse moderne en Europe dans la première moitié du XXe siècle. Plusieurs figures furent évoquées par Tiziana Leucci, Irene López Arnáiz et Ananda Ceballos : Nyota Inyoka, Djemil Anik, Mata-Hari, Tórtola Valencia, etc.

Simkie a été la première Française à aller en Inde apprendre la danse indienne et à danser avec Uday Shankar (voir le film Simkie Paris-Delhi qui a été projeté à la fin de la journée), mais elle accepta de prendre Amala Devi comme élève et celle-ci enseigna par la suite le bharatanatyam à Paris pendant longtemps.

Les moments les plus intéressants et émouvants de la journée ont été à mon avis ceux pendant lesquels se sont exprimées plusieurs générations d'artistes non universitaires ayant fait de longs séjours en Inde pour y apprendre la danse classique auprès de maîtres de danse. Si le style kathakali a été évoqué par Milena Salvini qui était représentée par sa fille Isabelle Anna, il a surtout été question du bharatanatyam. Lors d'une session de la conférence, Malavika, Maïtreyi et Kalpana ont évoqué leurs parcours. Il était particulièrement émouvant d'entendre la doyenne Malavika raconter le sien, notamment auprès de son premier maître Kanchipuram Elappa Mudaliyar, et ses premières rencontres avec Padma Subrahmanyam. Beaucoup de membres de l'assistance, moi y compris, ont découvert Maïtreyi, délicieusement pince-sans-rire.

Kalpana et Maïtreyi, ainsi que Tiziana Leucci, ont eu pour guru Muthuswamy Pillai. La génération suivante a été représentée par Ofra Hoffman qui est disciple de son fils Selvam. Dans les interventions de Tiziana Leucci, Maïtreyi et Ofra Hoffman, il fut particulièrement question de la douloureuse transformation sociologique de la pratique et de la transmission du bharatanatyam au cours du XXe siècle, bref de l'appropriation culturelle de cette danse autrefois réservée aux devadasis par les respectables Indiens de bonne famille et du rôle particulier qu'a joué l'institution Kalakshetra de Chennai dans ce processus et dans la falsification de l'histoire qui y est associée ; on pourra par exemple visionner le film de propagande Kalakshetra: where dance is worship. Pour plus de détails, lire notamment les livres Bharatanatyam: a reader et surtout Unfinished gestures de Davesh Soneji (dont le registre de langue très soutenu en anglais est charmant).

Mouvements émouvants
Tarikavalli (bharatanatyam), Isabelle Anna (kathak), Mahina Khanum (odissi), Karunakaran (kathakali), Meena Kanakabati (sattriya), Lila (mohiniattam)

Salle Adyar — 2016-04-22

Meena Kanakabati, sattriya

Karunakaran, kathakali

Isabelle Anna, kathak

Tarikavalli, bharatanatyam

Mahina Khanum, odissi

Lila, mohiniattam

Tarikavalli (bharatanatyam)
Tarikavalli (bharatanatyam)

Le spectacle du festival “Mouvements émouvants” s'est tenu dans la belle salle Adyar que je découvrais. La première danseuse à monter sur scène a été Tarikavalli, qui a peut-être été choisie cette année parce qu'en tant que disciple d'Amala Devi, elle-même élève de Simkie, elle faisait le lien avec cette pionnère de la pratique des danses indiennes en France. Lors de la première édition du festival, la performance de Kalpana en bharatanatyam avait été irréprochable et l'art de l'expression y avait été très fin et habité : sa conception du personnage féminin y était cependant trop différente de la mienne pour que j'y souscrivisse entièrement. Cette année, la prestation de Tarikavalli m'a malheureusement semblé un cran en dessous, et pas au même niveau d'excellence que ce qu'ont proposé les autres interprètes. Elle a commencé par danser un Alarippu. Quand cela a été annoncé, j'ai espéré un instant qu'il s'agisse de celui à 9+4=13 temps (Sankirna-jâtî Triputa Tala) chorégraphié par son dernier maître US Krishna Rao (une chorégraphie que le montage de cette vidéo ne permet pas vraiment d'apprécier). En fait, il s'est agi du classiquissime Alarippu à trois temps que tous les apprentis danseurs de bharatanatyam rencontrent à un moment ou à un autre. Il y avait des choses intéressantes dans cette version, notamment l'utilisation de l'espace, les proportions des mouvements par rapport au sol étant plus grandes qu'il n'est donné à voir habituellement. Le travail sur les mouvements d'épaules et du regard étaient également très précis, quoique le port de tête paraisse souvent un peu crispé à cause de mouvements du cou un peu trop vers l'arrière. En revanche, j'ai été gêné par le fait que la danse ne collait pas toujours très bien à la musique : il m'a semblé que la danseuse était souvent en avance sur le rythme. Par ailleurs, mais c'est beaucoup plus subjectif, il est des styles à l'intérieur du bharatanatyam que j'apprécie davantage que d'autres. Dans l'Alarippu particulièrement, je n'aime pas la façon de faire des danseurs formés au style Kalakshetra : certains de leurs mouvements me semblent exagérés. Le style Pandanallur que pratique Tarikavalli est celui à partir duquel le style Kalakshetra s'est développé. Dans la danse de Tarikavalli, certains mouvements que je trouve déjà exagérés dans le style Kalakshetra sont amplifiés encore davantage. Ainsi, à plusieurs reprises, la danseuse se penche énormément vers l'avant, ce qui fait que dans la troisième grande partie de l'Alarippu, elle se retrouve littéralement à balayer le sol avec sa main. Plus l'amplitude des mouvements est grande, plus la difficulté de la danse augmente, mais dans le cas présent, cela n'ajoute aucun agrément supplémentaire à mes yeux, bien au contraire.

La deuxième pièce interprétée par Tarikavalli alternait séquences de danse pure et passages évoquant les divinités (que ces passages soient accompagnés d'un Shloka ou d'un texte chanté ou prononcé en rythme). La présentation enregistrée de cette pièce était malheureusement inaudible, et donc incompréhensible. Le Shloka évoquait semble-t-il les arts et la connaissance, en représentant l'écriture, la musique (avec la vînâ), la sculpture et la danse. Sur le mot Keshava (le Chevelu), la danseuse représentait la flûte de Krishna. Les parties expressives étaient plutôt convaincantes, mais ce type de pièce et cette interprétation en reste malheureusement au niveau de l'évocation des dieux. La danse pure ne m'a pas convaincu, la danseuse y semblant en difficulté. Le rythme marqué par les pieds ne m'a pas paru très net pendant les séquences de Tattu Muttu qui récapitulent le texte chanté en combinant des mouvements signifiants du haut du corps et des frappes de pieds.

Mahina Khanum (odissi)
Mahina Khanum (odissi)

Les deux pièces dansées par Mahina Khanum ont été à mon goût le point culminant du spectacle. La première pièce de danse odissi qu'elle a interprétée a été le quatrième Ashtapadi Candanacarcita (चन्दनचर्चित) extrait du Gîta-Govinda de Jayadeva. Le thème est plus léger que celui de Yahi Madhava qu'elle avait magnifiquement bien interprété l'année dernière. Les gopis, amoureuses de Krishna, se souviennent des bons moments passés avec lui. Elles décrivent amoureusement le bouvier joueur de flûte dont le corps est enduit de pâte de santal et agrémenté de bracelets, d'une ceinture, etc. L'atmosphère joyeuse est rehaussée par de nombreux mouvements de danse s'appuyant sur le rythme et utilisant des frappes de pieds. Les postures de la danseuse mettent en valeur ses qualités techniques ; par exemple, sa façon de poser le pied en demi-pointe (et pas à moitié, si j'ose dire) est remarquable. L'interprétation est subtile et raffinée ; il n'y avait ainsi aucune vulgarité dans la description d'une gopi à la généreuse poitrine.

La deuxième pièce qu'elle a interprétée est un Shankara Pallavi, une pièce de danse pure dont la musique est dans le Raga Shankara. Cette composition est très développée et me semble utiliser une très large palette d'enchaînements techniques alliant une précision dans les mouvements de pieds à l'élégance du haut du corps. Dans certaines positions utilisant la posture courbe Tribhang, je retiens notamment l'alternance entre l'en-dehors et l'en-dedans dans l'ouverture de la jambe. Certains mouvements étaient aussi exécutés dans la position plus carrée Chowk, qui était parfois utilisée pour des pirouettes. D'un point de vue rythmique, la composition a comporté des passages utilisant des subdivisions du temps en trois plutôt que deux ou quatre. Une superbe pièce de danse pure !

Bravo à Mahina Khanum pour avoir fait preuve d'autant de qualités, autant dans ses interprétations impeccables de ces deux pièces de danses que dans l'organisation de tout ce festival !

Isabelle Anna (kathak)
Isabelle Anna (kathak)

J'apprécie beaucoup le travail d'Isabelle Anna que j'avais déjà eu l'occasion de voir danser au Musée Guimet il y a quatre ans. La première composition (semble-t-il en Tintal), un poème d'amour dans lequel on pouvait effectivement entendre le mot Mohabat : Un mot d'amour est peu de choses si tu le gardes secret.. Elle alterne séquences expressives et passages de danse pure. La première séquence expressive représente des jeux amoureux secrets. Dans la deuxième, l'héroïne est frappée par des flèches d'amour. Dans la troisième, elle prononce ces mots d'amour. Cette pièce met aussi beaucoup en valeur les aspects techniques de la danse kathak, notamment des frappes de pieds extrêmement rapides.

Sa deuxième pièce, dans le style moghol, est présentée comme un triple hommage au sultan qui pourrait être dansé par trois interprètes différentes, mais qui est ici évidemment représenté par une interprète unique, assimilée à la favorite du sultan qui comparerait notamment la beauté du sultan à celle de la Nature. Les passages de danse expressive sont malheureusement trop brefs pour pouvoir être véritablement appréciés. J'avoue même n'avoir pas complètement compris le chapitrage de la pièce, l'aspect triple de l'hommage au sultan n'étant pas tout à fait évident. J'ai bien distingué parfois le Salam adressé par la favorite au sultan, mais ce n'est pas l'Abhinaya que je retiendrai de cette performance, la pièce utilisant la danse pure dans de bien plus grandes proportions.

Si je reste un peu sur ma faim du point de vue du côté expressif de la danse, dont Isabelle Anna est une des très rares interprètes de kathak ayant réussi à m'émouvoir par ce moyen, je retiendrai surtout la qualité de sa performance dans la technique du kathak.

Meena Kanakabati (sattriya)
Meena Kanakabati (sattriya)

Lors de la première édition du festival, ma plus grande découverte avait été celle du style sattriya pendant la performance de Soazic Lelan. L'été dernier, à Delhi, au IGNCA, j'ai pu assister à une projection du film d'Emmanuelle Petit Dans les brumes de Majuli commentée par Sunil Kothari et suivi d'une démonstration par Bhabananda Barbayan et sa disciple Gargi Goswami (dont on peut voir des extraits dans cette vidéo). Ce style est pour moi d'une beauté quasiment insoutenable. J'étais donc très heureux que ce style soit à nouveau représenté par Meena Kanakabati, qui est une disciple de Bhabananda Barbayan.

J'ai été très ému par la première pièce qu'elle a dansée, puisque je retrouvais l'émerveillement que me procure ce style de danse, malgré les légères difficultés qu'éprouvait la danseuse pour rester en rythme. En effet, Meena Kanakabati est sourde. Elle ne perçoit que certaines vibrations. Cette première chorégraphie évoquait les mouvements du paon. Le caractère délicat et aérien de cette pièce fait qu'elle y avait de moins bons repères rythmiques. Je me suis donc davantage concentré sur les mouvements élégants du haut du corps. Il m'a semblé que dans cette chorégraphie, le regard précédait les mouvements de mains qui alternaient entre les mudras Hamsasya et Alapadma. La façon dont la main s'ouvre progressivement, doigt après doigt, est très délectable !

La deuxième pièce Sri Krishna Namah est semble-t-il la même que celle qu'avait déjà présentée Soazic Lelan l'an dernier. Le rythme y étant plus marqué, Meena Kanakabati y est plus à l'aise. Pour cette pièce, elle est passé d'un costume masculin au costume féminin qu'elle porte sur la photographie ci-dessus. Comme la première, cette pièce comporte beaucoup de mouvements stylisés extrêmement élégants (dont une séquence assez longue a étonnamment été interprétée dos au public), mais c'est surtout un éloge du dieu Krishna, celui qui a des yeux de lotus (cf. photo ci-dessus), qui est le fils de Vasudeva et qui a tué Kaṃsa.

S'il n'y avait eu les petits décalages dans la première pièce, à aucun moment je n'aurais pu soupçonner que l'interprète était sourde. J'espère avoir d'autres occasions de revoir cette interprète dans un programme complet. Elle organise un festival dans la région de Montpellier du 1er au 19 juin 2016, suivre ce lien pour plus de détails. Au cours de ce festival, elle créera le spectacle Citrāṅgadā, inspiré d'une pièce de Tagore (qui tirait lui-même son sujet du premier livre du Mahābhārata).

(Une interview de Meena Kanakabati sera mise en ligne prochainement sur le site Dansomanie.)

Karunakaran (kathakali)
Karunakaran (kathakali)

Mon expérience de spectateur est assez limitée en matière de kathakali. J'en ai vu à Kochi en 2006, puis l'an dernier à Chennai lors lors du festival Svanubhava à Kalakshetra. Les acteurs de kathakali suscitent évidemment mon admiration, mais il ne s'agit pas du style de danse classique indienne que j'apprécie le plus. Ayant lu un certain nombre de textes mythologiques de l'Inde, j'arrive souvent à apprécier la narration d'un épisode tiré des épopées ou des Puranas, y compris quand c'est la première fois que je le vois représenté sur scène et que cela n'a pas été annoncé lors de la présentation du spectacle (il m'arrive aussi parfois d'être complètement perdu !). Dans les styles très dansés comme le bharatanatyam, un épisode est parfois évoqué par un unique mot dans le texte chanté. Les interprètes se contentent souvent d'y faire référence en faisant un unique geste. J'apprécie davantage quand ces épisodes sont développés (voir par exemple les billets suivants à propos de bharatanatyam : Srithika Kasturi Rangan, Gayatri Sriram, Valérie Kanti Fernando, etc.). Le niveau de détail que l'on peut observer dans les représentations de kathakali est beaucoup plus poussé, ce qui peut poser d'autres difficultés. Quelques réticences me retiennent donc d'apprécier cet forme d'art autant que d'autres. Une difficulté est que la rareté de cet art est un frein à l'apprentissage approfondi des codes permettant de l'apprécier véritablement. En bref, je ne me sens pas prêt à faire le même effort que je ne l'ai fait avec le style bharatanatyam : la tâche me semble beaucoup plus ardue avec le kathakali. L'effort intellectuel que cela me demanderait serait sans doute disproportionné par rapport aux émotions que je pourrais en tirer ensuite lors de représentations de kathakali. En effet, s'il est vrai, qu'en apparence, l'acteur de kathakali est recouvert de la tête aux pieds de divers ornements (costume, maquillage, bijoux...) et s'il fait preuve de qualités exceptionnelles dans l'utilisation des moindres parties du visage dans l'art de l'expression, il n'est pas là pour faire beau ou pour séduire : il n'y a semble-t-il aucune volonté particulière de styliser ou esthétiser les mouvements pour les rendre plus agréables aux yeux des spectateurs (de ce point de vue-là, on est à l'extrême inverse du mohiniattam qui est aussi originaire du Kerala !). L'acteur de kathakali joue et exprime des émotions, mais il raconte aussi beaucoup (à un niveau de détails dans lequel on peut parfois s'égarer). Le risque est grand de se retrouver perdu dans un tunnel de perplexité, comme d'autres formes d'art peuvent en produire. Ainsi, les récits dans les opéras de Wagner pourraient paraître ennuyeux, mais ils sont sublimés par la musique (quand elle est bien jouée !). De grands efforts m'ont été nécessaires pour apprécier la musique de Wagner, le bharatanatyam ou la musique dhrupad, mais ces efforts ont été pour moi un moyen de déclencher un très grand plaisir de spectateur ; je ne vois pas comment à court ou moyen terme, je pourrais arriver à des résultats comparables avec le kathakali...

L'épisode représenté par Karunakaran est un des exploits du tout jeune Krishna qui fait face aux diverses épreuves qu'il doit accomplir avant de tuer le démon Kaṃsa : celui de la Délivrance de Pūtanā, qui est raconté notamment dans le dixième livre du Bhāgavata Purāṇa (dont je ne dispose que d'une mauvaise traduction anglaise). Il est raconté aussi dans le Harivaṃśa (où la démonique Pūtanā ne se transforme pas en une belle jeune femme, mais a l'apparence d'un oiseau, tandis que le tout jeune Krishna dort, abrité par un chariot) :

20. Et voici que la nourrice du Bhoja Kaṃsa, bien connue sous le nom de Pūtanā, se montra au parc à l'heure de minuit sous la forme d'un gros oiseau.
21. Elle se percha sur l'essieu du chariot en poussant sans arrêt de profonds rugissements de tigre, et en laissant couler un lait trop abondant.
22. Alors que tout le monde était endormi au parc, en pleine nuit, elle présenta à Kṛṣṇa son sein : Kṛṣṇa y téta, aspira en même temps ses souffles vitaux et se mit à crier. La démone ailée s'était effondrée sur le sol amputée d'un sein.
(Chapitre 50 de L'enfance de Krishna, André Couture, Presses de l'Université Laval, traduction du chapitre 5 du Viṣṇu Parva du Harivaṃśapurāṇam)

La performance obéit à certains codes du kathakali. Ainsi, le personnage de Pūtanā est initialement caché derrière un rideau avant d'apparaître.

L'ogresse Pūtanā s'est métamorphosée en une attrayante femme. Elle éprouve un émerveillement quand elle arrive au village où se trouve Krishna, qui n'est alors qu'un bébé. L'endroit est tellement magnifique que même le serpent Śeṣa serait incapable de le décrire. Elle admire aussi l'étincelant palais de sept étages qui s'y trouve (ce qui a de quoi étonner dans ce contexte pastoral). Les différents détails de la gestuelle et de la danse correspondant à cette situation étaient individuellement très clairs, mais sans la présentation qui avait été faite de la scène, j'aurais été incapable de donner un sens à ce que je voyais.

Après cette description, l'acteur incarne résolûment le personnage de Pūtanā et exprime son dilemme. Elle hésite entre l'amour maternel sincère qu'elle éprouve en voyant Krishna et la tentative de meurtre qu'elle s'apprête à commettre. Va-t'elle l'allaiter pour le nourrir ou pour l'empoisonner ? Du point de vue des conventions théâtrales, j'ai eu du mal à décider avec certitude si le personnage accomplissait véritablement les actions qui étaient montrées ou s'il s'agissait d'une projection imaginaire dans un futur qui serait conditionné à l'un ou l'autre des choix que ferait finalement Pūtanā. En effet, la scène dans laquelle elle tente d'empoisonner Krishna est rejouée, et cela ne se passe pas exactement comme prévu. Elle entre, referme la porte, prend ostensiblement le poison dans un pan de son sari et allaite Krishna. Elle se met à transpirer, se sent mal, ses membres sont engourdis. Elle ne peut plus lâcher Krishna. Pūtanā reprend son apparence démonique et est libérée alors que Vishnu lui apparaît.

Cette performance m'a semblée très intéressante, et ce d'autant plus que le fait que les styles kathakali et mohiniattam originaires du Kerala soient présentés au cours d'un même spectacle permettait d'en apprécier les points communs et les différences. Je ne me suis ennuyé à aucun moment et j'ai eu le sentiment que le public autour de moi était scotché par le jeu de Karunakaran.

Lila (mohiniattam)
Lila (mohiniattam)

Après l'entr'acte, est venu le tour de Lila d'interpréter une pièce dans le mohiniattam. La danseuse a remplacé Brigitte Chataignier qui s'était blessée. La pièce qu'elle a dansée est à la gloire de Shiva. Elle suggère l'émerveillement devant la danse de Shiva, qui tient le tambour Damaru (ou Dundubhi) dans la main. La chorégraphie m'a semblée quelque peu répétitive, le très lent mouvement de rotation du haut du corps associé au mouvement de la main tenant le tambour revenant un peu trop souvent à mon goût. Le regard de la danseuse me semblait manquer parfois d'une intensité qui lui aurait permis de maintenir davantage l'attention des spectateurs. L'interprète faisait parfois du lip sync avec le texte de la composition musicale, ce qui ne fait à ma connaissance pas partie du style. La prestation est toutefois d'assez bonne qualité, et c'est un vrai plaisir de pouvoir apprécier le caractère gracieux de ce style si rarement dansé à Paris. Parmi les thèmes en rapport avec Shiva qui sont évoqués dans la chorégraphie se trouvent notamment la rivière Ganga, les instruments de musique comme la vina, la flûte de Vishnu ou encore l'ektara du sage Narada (?), à moins qu'il ne s'agisse du tampura. Elle représente aussi les claps du cycle rythmique ou encore l'écriture (de façon générale à moins qu'il ne s'agisse de rendre hommage au compositeur de la pièce). La pièce a aussi comporté quelques passages de danse pure délicieusement lents. Parmi les particularités rythmiques, la pièce a comporté quelques séquences utilisant des subdivisions en trois (triolets) et vers la fin, je me suis étonné à reconnaître les cinq types de décomposition du temps, puisque les dernières séquences (parfois très brèves) m'ont semblé utiliser successivement et de façon très nette les nombres 4, 3, 5, 7 et 9.

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Renjith & Vijna au Musée Guimet

2015-10-21 10:32+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Auditorium du Musée Guimet — 2015-10-10

Renjith Babu & Vijna Vasudevan, bharatanatyam

C. V. Chandrasekar, chorégraphie du Varnam

Indira Kadambi, chorégraphie de l'Ashtapadi et du Javali

Mavin Khoo, nattuvangam

Bhavana Pradyumna, chant

Prasanth Pranavanathan, mridangam

Jyotsna Srikant, violon

Anusha Cherer, voix off

Shloka

Pushpanjali (Adi Tala), composé par K. S. Balakrishna

Varnam “Saami naan undan adimai enruulagamellam ariyume” (Adi Tala, Raga Natakuranji), composé par Papanasam Shiva

Ashtapadi “Yahi Madhava” (Adi Tala, Raga Sindhu Bhairavi)

Javali (Adi Tala, Raga Kamas)

Bhajan (Adi Tala), composé par C. V. Chandrasekar

Avant leur récital au Musée Guimet, j'avais déjà vu danser Renjith et Vijna, mais séparément : Vijna lors d'un workshop avec C. V. Chandrasekar à Kalakshetra et Renjith lors d'un récital solo à Delhi au cours d'un festival consacré aux danseurs masculins.

Renjith & Vijna
Renjith & Vijna

Mes impressions sur ce récital en duo sont assez semblables à celles que j'avais eues en voyant Renjith en solo. Bien que les chorégraphies ne m'aient pas paru géniales, ils sont tous les deux très solides en danse pure, mais les aspects expressifs de leur danse ne m'ont absolument pas ému (comme j'en ai malheureusement l'habitude avec les danseurs ayant appris à Kalakshetra ou avec des maîtres associés à ce style). Mes plus grandes satisfactions sont venues des musiciens, et tout particulièrement de la chanteuse Bhavana Pradyumna et de la violoniste Jyotsna Srikant. Cette dernière est une formidable accompagnatrice, toujours attentive à ce que font les danseurs. La chanteuse a bien commis quelques couacs (notamment un départ raté à la fin d'un des jatis du Varnam), mais je les lui pardonne très volontiers tant elle a su créer une atmosphère musicale pendant tout le récital, notamment par ses majestueuses improvisations au début des pièces dansées.

Le récital a commencé par une invocation de Shiva ayant la forme musicale d'un Shloka. S'ensuit un Pushpanjali dans lequel la danse pure est exécutée par le couple de danseurs de façon synchronisée ou avec quelques variations. Ils enchaînent avec le Shloka “Angikam Bhuvanam Yasya” sur Shiva. La chorégraphie évoque les étoiles, le feu, la Lune, le tambour Damaru, les cheveux, l'antilope, Parvati, etc.

Le Varnam est le même que celui que j'avais vu dansé par Renjith à Delhi. La musique était alors enregistrée. Cette fois-ci, j'ai apprécié énormément l'Alap de la chanteuse. Que la pièce soit interprétée par un couple de danseurs la rend à mon avis plus intéressante. Il est par exemple possible d'observer des différences de posture dans certains passages de transition : Vijna tient ses mains au niveau des hanches à l'arrière du corps tandis que Renjith adopte une posture plus masculine, les deux mains sur les côtés en Ardhachandra. Dans les passages de danse pure, les deux exécutent des mouvements synchronisés, avec quelques variations de placement. Dans les passages expressifs, ils ont parfois tous les deux un rôle de dévôt : l'une prépare des guirlandes de fleurs tandis que l'autre trace trois lignes horizontales sur le lingam. Juste après, ils sont semble-t-il tous les deux associés dans la forme androgyne Ardhanarishwara de la divinité. Les deux dévôts implorent celui qui a la gorge bleue (Nilakantha) d'entendre leurs prières ; ils lui écrivent une lettre... Plus loin, le rôle de Shiva-Nataraja sera assuré par Renjith tandis que Vijna prendra celui de la dévôte ; la chorégraphie met en scène l'adoration du pied du dieu dansant. Plus loin, les deux danseurs montrent la chevelure de Shiva, le serpent, la Lune, la rivière Ganga. Au cours de la première grande partie du Varnam, les mouvements de danse ont comporté quelques ronds de jambe à terre et même des mouvements de jambe en l'air dans l'évocation du Seigneur de la Danse. Dans les séquences de danse pure, on a pu voir les redoutables Sharakkau Adavus et de façon très intéressante, un passage comportait un jeu de questions et réponses entre les deux danseurs.

Dans la deuxième partie Charanam du Varnam, le tempo s'accélère et le mot Satchidananda du texte revient souvent. La ligne de texte suivante évoque le temple de Chidambaram où réside Shiva-Nataraja. La dévôte poursuivant son chemin spirituel, il s'ensuit une évocation de la beauté de Shiva. À la fin du Varnam, la prière de la dévôte (Vijna) est exaucée et Renjith prend la pose de Shiva-Nataraja.

Les aspects narratifs ou évocateurs du Varnam ne m'ont pas toujours semblés très clairs. L'émotion amoureuse était étrangement absente dans la représentation dansée de ce Varnam. Il était davantage question d'une pure dévotion (bhakti), qui est restée trop sobre à mon goût. À défaut de voir l'expression du sentiment amoureux, j'aurais au moins apprécié que l'émerveillement soit représenté de façon plus convaincante. De ce point de vue-là, les Varnam sur Shiva interprétés par Lavanya Ananth et la jeune Sudharma Vaithiyanathan à Chennai récemment m'ont semblé beaucoup plus passionnants !

Les deux pièces qui suivent sont des pièces d'Abhinaya que les danseurs ont appris auprès d'Indira Kadambi. Bien que celle-ci soit une disciple de Kalanidhi Narayanan, je n'avais pas été particulièrement enthousiasmé par le récital de ce guru d'Abhinaya au Centre Mandapa. La première des deux pièces est l'Ashtapadi “Yahi Madhava”, interprété par Vijna. La seule image que je retiens est celle de Radha qui repousse Krishna en remarquant la présence de quelque cheveu trahissant son infidélité. La danseuse a certainement un certain talent pour l'Abhinaya, mais malgré le magnifique accompagnement musical de la violoniste et de la chanteuse, je n'ai pas été très ému par cette interprétation, beaucoup moins passionnante que ne l'avait été Mahina Khanum quand je l'avais vue interpréter le même Ashtapadi. L'autre pièce d'Abhinaya a été un Javali interprété par Renjith. Il joue le rôle d'une jeune femme à qui quelque médisante prête une relation amoureuse. Dans ce Javali, la narration m'a semblé beaucoup manquer de clarté. Par exemple, quand un personnage joue aux osselets au début (puis renverse tout à la fin sous l'effet de la colère), on ne sait pas très bien de qui il s'agit. Néanmoins, on comprend que la jeune femme avoue s'être bien rendue une fois chez l'homme à propos duquel on jase, mais elle se défend d'être allée plus loin. Cette pièce m'a semblée beaucoup moins satisfaisante que la précedente.

Les deux danseurs ont ensuite interprété un Bhajan en hindi. Il s'agit d'un dialogue amoureux entre Radha et Krishna. Cela a été à mon avis la pièce la plus satisfaisante du programme, mais elle ne m'a pas non plus excessivement enthousiasmé : sympa, sans plus. Krishna joue à la balle avec ses amis (quoique j'aie cru un instant qu'il était en train d'essayer d'attraper un pot de beurre). Radha porte une cruche d'eau et subjugue Krishna. Celui-ci lui tourne autour, mais elle est méfiante. Ne serais-tu pas ce jeune voleur de beurre fils du bouvier Nandagopala ? Mais, écoute-moi, enfin ! Caramba, yé souis démasqué... Ne serais-tu pas celui qui utilise un lance-pierres pour faire tomber des pots de beurre accrochés en hauteur ? Le sentiment amoureux s'empare progressivement de Radha qui demande à Krishna de lui donner sa plume de paon. Elle la lui rend. Plus loin, elle demande aussi sa flûte. Dans une scène digne de l'opéra Siegfried de Wagner, elle tente de jouer de l'instrument, mais elle s'avère très maladroite. C'est drôle, mais pas autant que dans la tétralogie de Wagner lorsque je la vis à Budapest. Krishna est obligé de lui montrer comment faire, et il en profite pour la toucher... Elle lui dit de ne pas prendre sa main, parce que tout le monde pourraient les voir. Ils s'en vont alors dans les champs et voient des antilopes et des paons. Krishna orne de fleurs la chevelure de Radha. Le récital n'a pas comporté de Tillana, mais une des dernières sections de cette composition de C. V. Chandrasekar a une forme (et des paroles) proches de celle des Tillana. Le récital se conclut par un Shloka s'achevant sur les paroles Om Shanti.

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Lavanya Ananth au Narada Gana Sabha

2015-09-15 16:25+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XIV

Narada Gana Sabha, Narada Gana Sabha - Mini Hall, Chennai — 2015-08-15

Lavanya Ananth, bharatanatyam

K. S. Sarasa chorégraphies

Sri. K. Hariprasad, chant

Smt. Nila Sukanya, nattuvangam

Sri. Nellai D. Kannan, mridangam

Sri. Kalaiarasan Ramanathan, violon

Pushpanjali

Alarippu (Misra Chapu Tala)

Jatiswaram (Raga Vasanta, Tishra Ekam), composition du Tanjore Quartet)

Śabdam (Ragamalika, Misra Chapu Tala), composé par Adi Cinnaya Pillai (Tanjore Quartet)

Varnam “Manavi Chekonaradha” (Adi Tala, Raga Shankarabharanam), composé par Ponniah Pillai (Tanjore Quartet)

Padam (Rupaka Tala, Raga Saveri)

Javali (Rupaka Tala, Raga Kamas), composé par Patnam Subramania Iyer

Shloka

Thillana (Adi Tala, Raga Kedaram)

Avant ce récital, j'avais déjà eu l'occasion de voir danser Lavanya Ananth. La première fois avait été au Centre Mandapa en 2011, puis au Musée Guimet en 2012 et enfin au Bharatiya Vidya Bhavan à Chennai en 2013. J'avais été émerveillé les deux premières fois, mais je n'avais pas été complètement convaincu par son récital à Chennai en 2013 : je m'attendais à de l'inoubliable, c'était seulement très bien. Cette fois-ci, je m'attendais à ce que ce soit très bien, et ce fut inoubliable ! Une de mes toutes meilleurs expériences de spectateur de danse bharatanatyam.

Je connaissais la date de ce récital depuis plusieurs mois quand la danseuse était passée à Paris pour un workshop dans lequel elle enseigna le Chidambaram Natesha Kavuthwam. Son récital du 15 août tombait opportunément le dernier soir de mon séjour à Chennai : j'avais déjà prévu de partir le lendemain matin pour Pune. Lors de ce séjour à Chennai pendant les deux premières semaines d'août, j'eus l'occasion de rencontrer diverses personnes liées à la danse bharatanatyam. J'eus notamment le privilège de retravailler avec Lavanya Ananth la chorégraphie qu'elle avait enseignée à Paris. Quand je lui demandai qui seraient les musiciens qui l'accompagneraient, elle me répondit que j'en aurais la surprise le soir du récital...

Quand le rideau s'est levé, je m'attendais évidemment à voir Kalaiarasan Ramanathan (mon violoniste préféré dans le monde du bharatanatyam), mais j'ai été très agréablement surpris de voir le chanteur K. Hariprasad et le percussionniste Nellai D. Kannan. On ne peux guère trouver mieux pour accompagner un récital de bharatanatyam. Nila Sukanya, que je ne connaissais pas, sera au nattuvangam.

Le récital fait partie de la série Poorna Margam organisée par Natyarangam. L'organisatrice Janaki Srinivasan explique que rares sont les récitals respectant le format Margam traditionnel (ce n'est en effet pas possible quand la durée du récital est réduite à moins d'une heure et demie). Cela ne se voit guère que lors des Arangetram (le premier récital public solo d'une danseuse). Pour cette série de récitals, ils ont demandé à des danseuses accomplies de présenter de tels programmes pour que l'expérience de l'interprète permette au public d'éprouver pleinement la beauté de ce chemin dans le répertoire. Je remercie vivement Natyarangam pour cette magnifique expérience !

Avant l'entrée en scène de la danseuse, le chanteur avait interprété deux courtes compositions (en Khanda Chapu puis Rupaka Tala). Le récital proprement dit a commencé par un Pushpanjali, une offrande de fleurs en l'honneur de Ganesh, le texte du Shloka commençant par Mushika..., et plus loin j'ai cru entendre Maheshwara putra.

La danseuse interprète ensuite un Alarippu en Misra Chapu. La chorégraphie est tout à fait traditionnelle. Pourtant, cette version extrêmement élégante présente de nombreux détails exquis. Je retiens notamment la présence de délicats mouvements de tête sur le côté (Attami) en des endroits et à des vitesses inhabituelles, ce qui crée de jolis effets de surprise.

Le répertoire du bharatanatyam comporte me semble-t-il trois types de pièces centrées sur la danse pure : Alarippu, Jatiswaram et Tillana. Après avoir vu de nombreux récitals, je crois que le type de pièce de danse pure que j'affectionne le plus est le Jatiswaram. La chorégraphie de la pièce interprétée par Lavanya Ananth semble constituée d'adavus à 100% ou presque. Les adavus sont de petits enchaînements qui sont les briques de base de la danse pure. J'avais l'impression de les connaître, mais la magnifique interprétation de Lavanya Ananth révèle un nombre invraisemblable de détails insoupçonnés ! Certains enchaînements semblent dérivés d'adavus connus, mais avec des variations. Dans certains d'entre eux, il me semblait que c'était comme si les pas étaient exécutés à une vitesse double par rapport au haut du corps, ce qui permet à la danseuse de maintenir une certaine rapidité rythmique tout en accordant une grande importance à l'élégance des mouvements du haut du corps. Ce Jatiswaram qui utilise l'espace scénique de façon intéressante tout en présentant un harmonieux catalogue d'adavus m'a procuré beaucoup de plaisir !

J'avais déjà eu l'occasion quelques jours plus tôt de voir un Shabdam, mais ce type de pièce est extrêmement rare. Je ne comprends pas pourquoi ces pièces ont pour ainsi dire disparu du répertoire. Rien que pour le plaisir d'entendre K. Hariprasad chanter Dhalang-gutum---tadiginatom-, cela mériterait d'être représenté plus souvent ! Les sections de danse pure (superbes comme dans tout le récital) sont en effet accompagnées d'onomatopées chantées. Les parties expressives font l'éloge de Krishna. C'est un bouvier entouré de gopis (bouvières). Il tue un démon (que je n'ai pas identifié). Il soulève le mont Govardhana avec le petit doigt pour abriter les villageois déstabilisés par les pluies déclenchées par le dieu Indra. Il est semble-t-il également fait référence aux exploits d'autres avatars de Vishnu : la tortue (Kurma) et le sanglier (Varaha). La chorégraphie évoque aussi la parole, la musique et plus généralement les arts. Enfin, la chorégraphie représente celui qui a le visage et les yeux de lotus et qui porte une plume de paon.

La pièce principale du récital est un Varnam dû à Adi Ponniah Pillai (Tanjore Quartet). Il est dédié à Brihadishwarar, la divinité résidant au Grand Temple de Tanjore. Ce Varnam présente une particularité : les passages rytmiques (jatis) se terminent juste avant le deuxième temps et non pas juste avant le premier temps du cycle comme dans la plupart des Varnam. Cette curiosité rythmique mise à part, le Varnam suit une forme très traditionnelle. Il représente une héroïne dans son parcours amoureux et spirituel. L'émotion principale est celle de l'amour (Shringara) de l'héroïne pour Shiva. Dans son interprétation, il m'a semblé que Lavanya Ananth mettait en valeur l'émerveillement (Adbhuta) de l'héroïne. Dès le début du Varnam, après le premier jati, elle est émue en pensant à celui qui porte une antilope et le tambour Damaru. Après un délicieux deuxième jati, la joie s'empare de l'héroïne. Elle ouvre sa fenêtre. Les rayons du Soleil font éclore les fleurs, mais aussi le cœur de l'héroïne. Elle est atteinte par les flèches du Dieu de l'Amour.

Dans la section suivante, le texte fait référence à la ville de Thanjavur. L'héroïne qui pense à celui qui porte le feu et l'antilope et dont le lingam est orné de trois lignes horizontales s'émerveille devant le beauté et la grandeur du temple. La scène est accompagnée d'un solo du violoniste Kalaiarasan au style inimitable utilisant de nombreuses doubles cordes. L'héroïne cueille des fleurs avant d'aller au temple. La chorégraphie évoque ensuite les arts et la connaissance, peut-être en référence aux activités rituelles du temple. Il est ainsi fait référence aux percussions (mridangam et nattuvangam), ainsi qu'à la vina, un instrument à cordes pincées, un détail qui est souligné par des pizzicati du violoniste. L'héroïne entend-elle la voix des brâhmanes ? Elle entre dans l'enceinte du temple, voit le buffle Nandi qui veille sur le sanctuaire. Elle veut voir le monumental lingam de Shiva, mais c'est fermé. La porte s'entr'ouvre et l'héroïne (et le spectateur que je suis) s'émerveille devant la vision qui s'offre à elle ! Elle se met des cendres sur le front.

Dans la conclusion de la première grande partie du Varnam, l'héroïne souffre de la séparation : Shiva ne répond pas à son amour. Ensuite, dans le Caranam, on trouve notamment une référence aux cinq flèches lancées par Manmatha. Dans un des passages solfiés (Swaram) de cette section, j'ai trouvée la chorégraphie sublime et particulièrement poétique, la mélodie étant génialement chantée par K. Hariprasad. Le Varnam se conclut de façon apaisée dans le silence. Au tout dernier moment, l'héroïne sent la présence du Dieu, comme s'il venait de lui toucher l'épaule.

La pièce suivante est un Padam. Il me semble que c'était Idaivida innum vera vendumo saatchi. L'héroïne prépare des guirlandes de fleurs pendant qu'elle attend son mari. Soudain, que voit-elle ? Qu'entend-elle ? Le violon se met à émettre des sonorités très dissonantes. Quelque chose ne va pas. L'homme rentre. Elle le dispute. (Cette introduction dansée a été interprétée avant que la composition proprement dite ne commence effectivement.) L'héroïne fait des reproches à l'homme qui lui inspire le dégoût. Elle semble lui dire : Tu n'étais pas au temple ! À qui appartient donc ce cheveu ?. Dans la section suivante, la chorégraphie montre l'homme portant un trident, mais le sens ne m'a pas paru évident. L'héroïne poursuit : Je te quitte, je ne veux plus entendre tes paroles. Je ne sais si ce sens ironique est exactement celui que voulait donner la danseuse, mais l'héroïne semble dire, en voyant des griffures sur le corps de l'homme : Aurais-tu réchappé d'une attaque de crocodile ?. Elle le chasse et referme la porte. Quand elle regarde au dehors par une petite ouverture, elle le voit s'en aller chez sa rivale.

La pièce suivante est un délicieux Javali. Pendant l'introduction musicale du violoniste, une jeune femme rencontre un séduisant jeune homme qui s'amuse avec elle, lui tirant la main, etc. Il paraît perdu, alors elle lui indique le chemin. Il semble avoir le don d'ubiquité parce qu'à peine est-il parti d'un côté que l'héroïne sent sa présence de l'autre. Quand la composition musicale commence, la jeune femme semble dire à ses amies : Mes amies, que faire ? Il a un beau collier, une belle démarche. Touchée par les flèches de Kama, je suis submergée d'émotions. Puis-je résister à celui qui est peut-être Venkateshwar ?. Le thème du vertige émotionnel de l'héroïne est traité d'une façon humoristique conforme à l'atmosphère joyeuse des Javali et l'interprétation de la danseuse m'a semblée particulièrement musicale. L'héroïne semble renoncer, ses amies la traînant par la main dans une ronde, mais son regard finit par inviter le jeune homme à la rejoindre.

Le récital se conclut par un Shloka enchaîné à un Thillana. Le Shloka décrit majestueusement Vishnu-Narayana de la tête aux pieds. Il est difficile de rendre compte des moindres détails de cette description. Je crois me souvenir que le texte le présente comme Suryaspati (maître du Soleil ?). Quand ses yeux sont décrits, ceux-ci sont comparés au Soleil (Surya) et à la Lune (Chandra). (Cette comparaison est plus courante pour les yeux de Shiva, mais cette association se trouve aussi dans l'iconographie vishnouïste quand Vishnu apparaît sous sa forme suprême Vishvarupa.)

Ce magnifique Shloka s'enchaîne avec un Thillana évoquant également Vishnu qui apparaît couché sur l'Océan cosmique. Comme toutes les autres pièces du récital, ce Thillana a été chorégraphié par K. J. Sarasa, le guru de Lavanya Ananth (style Vazhuvoor). Précédemment, la danseuse n'avait dansé ce Thillana qu'une seule fois : lors de son Arangetram !

Il n'y a rien dans ce récital que je n'aie adoré. Le raffinement de la danse dans ses moindres détails m'a procuré un grand plaisir. Une part significative de mon contentement est venu des musiciens, et tout particulièrement du chanteur K. Hariprasad et du violoniste Kalaiarasan : quand ils interprétaient les compositions dansées bien sûr, mais aussi quand ils prenaient le temps d'élaborer de longs développements mélodiques entre les différentes pièces. Il y avait là à mon goût davantage d'émotion ou de bhava que dans bien des récitals de musique carnatique...

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Sudharma Vaithiyanathan à la Music Academy

2015-08-24 22:50+0530 (पुणे) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XIV

The Music Academy, Kasturi Srinivasan Hall, Chennai — 2015-08-10

Sudharma Vaithiyanathan, bharatanatyam

Sri. A. Lakshmanaswamy, nattuvangam, chorégraphies

Sri. K. Hariprasad, chant

Sri. Nellai D. Kannan, mridangam

Sri. Easwar Ramakrishnan, violon

Sri. ?, flûte

Invocation de Ganesh

Alarippu (Tisra Triputa), composé par Muthuswami Pillai

Sangeetha Devathe (Adi Tala, Raga Malavagowla), composé par Ambujam Krishna

Sabdam (Misra Chapu Tala, Raga Kambhoji), Tanjore Quartet

Varnam “Sami Ninnekori” (Rupaka Tala, Ragamalika), composé par Ponniah Pillai (Tanjore Quartet)

Padam “Yedukittanai Modi” (Rupaka Tala, Raga Suruti), composé par Marimutha Pillai

Javali “Itu Sahasamulu” (Adi Tala, Raga Saindhavi), composé par Swathi Tirunal

Thillana (Adi Tala, Raga Kamas), composé par Patnam Subramanya Iyer

Pendant mon séjour à Chennai, j'ai assisté presque tous les soirs à des récitals de bharatanatyam, notamment six représentations du festival Spirit of Youth organisé dans la petite salle de la Music Academy. De jeunes danseuses (20-25 ans environ) s'y sont produites. Les danseuses ont toutes un bon niveau, mais parmi les six que j'ai vues, trois danseuses se sont particulièrement distinguées à mon avis : Sneha Narayan, Radhe Jaggi et Sudharma Vaithiyanathan. Le récital de cette dernière m'a semblé absolument exceptionnel à tous points de vue. On atteint des sommets rarement observés lors de récitals de danseuses plus expérimentées.

Dans la série de représentations à laquelle j'ai assisté à la Music Academy, ce récital est le seul qui ait commencé par la traditionnelle invocation chantée de Ganesh, le fils d'Uma, magnifiquement chanté sous la forme d'un Shloka par K. Hariprasad (qui par la suite n'a malheureusement pas chanté d'Alap comme il l'avait fait en octobre dernier au Musée Guimet). L'accompagnement musical sera d'excellente qualité lors de ce récital.

Après son Namaskar, la danseuse a interprété un Alarippu composé par Muthuswami Pillai. Cette composition est en Tishra Triputa Tala (j'en ai demandé la confirmation à son fils Selvam), mais la façon dont les bols sont prononcés entretiennent une ambiguité. En l'entendant, on a du mal à savoir si c'est Tishra Triputa ou Misra Chapu (les deux talas ayant la même structure en 7=3+2+2, mais à des vitesses différentes), la composition étant ainsi faite que l'on peut clapper l'un ou l'autre des deux talas sans éprouver de sentiment d'instabilité rythmique. Lors de ce récital, les chorégraphies seront toutes du Guru A. Lakshmanaswamy. Je les ai trouvées particulièrement musicales, sans la complexité rythmique excessive que l'on observe parfois. Cet Alarippu reprend essentiellement la chorégraphie traditionnelle des Alarippu, avec quelques petits ajouts, dont un m'a semblé être un emprunt ou une référence au style de Muthuswami Pillai et de son fils Selvam : une façon de découper l'espace en utilisant le mudra Tripataka.

L'Alarippu s'enchaîne avec Sangeetha Devathe, une composition de la défunte Ambujam Krishna à laquelle le festival est dédié : tous les récitals comportent une de ses compositions. La danseuse fait preuve d'une suprême élégance dans son évocation de Sarasvati, qui porte la vîna et dont le son est exquis. La chorégraphie évoque aussi Brahma et Vishnu-Narayana couché sur l'océan cosmique.

La pièce suivante est un Shabdam, ce qui est tout à fait exceptionnel. J'ai assisté à une centaine de récitals de bharatanatyam, mais ce n'est semble-t-il que la deuxième fois que je vois un Shabdam dans ce style. Ce type de pièces a pour ainsi dire disparu du répertoire et c'est bien malheureux... La pièce comporte une alternance entre passages expressifs et passages de danse pure qui sont accompagnées par des onomatopées chantées. La chorégraphie est extrêmement musicale : elle suit fidèlement la structure du cycle rythmique Misra Chapu. Atteinte par les flèches florales de Kama, l'héroïne cherche l'union avec celui qui a des yeux de lotus, mais dès qu'elle a l'impression de s'en approcher, celui dont je n'ai pas deviné l'identité disparaît...

La pièce principale du programme m'a semblée merveilleuse. Ce Varnam est dû à Adi Ponniah Pillai (Thanjavur Quartet). De forme extrêmement traditionnelle, il est quasi-intégralement conçu autour du parcours de l'héroïne jusqu'au sanctuaire de Brihadishwarar (temple de Thanjavur). Il est très rare que je sois ému par ce type de Varnam (cf. cet autre billet), mais l'interprétation de la danseuse m'a paru tout simplement extraordinaire. L'héroïne s'émerveille en pensant au lingam de Shiva, celui qui porte le feu et une antilope. Il porte aussi le tambour Damaru. La Lune et le Soleil sont ses yeux. Elle cherche l'union avec lui. L'attend-elle toute la nuit ? La lumière du Soleil semble faire éclore les fleurs. Plus loin, dans la forêt ou au bord de la rivière, la nature s'épanouit. L'héroïne fait ses prières et se dirige vers Thanjavur, la ville où réside Brihadishwarar. Elle est émue en envoyant le grand temple. Elle entre dans son enceinte, voit le buffle Nandi qui se tient près de la porte. Arrivée devant la porte, elle l'ouvre prudemment et s'émerveille irrésistiblement devant la grandeur du lingam de Shiva auquel elle offre des fleurs. Toute cette scène m'a semblée d'une intensité émotionelle rare. La danseuse n'effectue pas de grands gestes, mais elle semble à 100% dans son rôle qu'elle incarne avec finesse mais sans affectation. On oublie complètement qu'elle est une scène de spectacle. C'est comme si on se trouvait à Thanjavur... L'héroine veut ensuite séduire ce Brihadishwarar, elle semble dire : Toi qui monte Nandi, vient à moi.. Dans cette première grande partie du Varnam, les passages narratifs ont alterné avec des passages de danse pure (jatis) magnifiquement chorégraphiés et superbement interprétés. Avant chaque jati, la danseuse semble tracer un losange au sol, ce que je n'avais vu faire jusqu'à présent que par des disciples de Master Selvam, fils de Muthuswamy Pillai. Le style de danse pure présente des points communs avec le style de ce dernier, notamment l'usage d'adavus n'utilisant qu'une seule main. J'ai aussi apprécié le fait d'exécuter une pirouette à la toute fin des jatis. La danseuse décale sa tête sur les côtés (attamis) de la plus élégante des façons qu'il m'ait été donné de voir (l'exact contraire de ce que j'ai vu à Delhi récemment). La seconde partie Caranam du Varnam comporte une évocation de la musique, mais elle exalte surtout le sentiment amoureux de l'héroïne, très émue. Atteinte par les flèches de Kama, elle brûle d'amour pour lui, elle l'admire, il est entré dans son cœur.

La danseuse interprète ensuite un Padam. L'héroïne semble éprouver des sentiments mitigés pour un homme. Viens me parler ? Non, ne viens pas ; tu parles déjà à tellement d'autres que moi. Elle cherche l'union avec celui qui fait le fier avec son arc (?), puis elle hésite et le rejette. Elle s'en va d'un pas décidé respectant la structure du cycle Misra Chapu à trois temps de durées inégales.

Dès l'entrée en scène de la danseuse dans la pièce suivante, on comprend immédiatement qu'il s'agit d'un Javali. L'atmosphère espiègle de ce type de pièce apparaît en effet dès les premiers mouvements de l'interprète. Krishna tente de séduire l'héroïne. Il l'empêche même de passer, mais elle fait semblant de ne pas l'aimer. Va voir mes amies. Moi, je ne veux pas. Certes, tu as des yeux de lotus et tu es Narayana, couché sur l'Océan cosmique, mais je te ferme la porte au nez. Ah, ah, je t'ai bien eu., semble-t-elle lui dire !

Le récital s'est conclu par un Thillana utilisant de façon très intéressante l'espace scénique. Après la première partie (de danse pure) de la pièce, l'héroïne implore Venkatesh : S'il Te plaît, paraît devant moi !.

Un immense bravo à la danseuse pour ce merveilleux récital !

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Nehha Bhatnagar au India Habitat Centre

2015-08-03 08:20+0530 (जळगांव) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XIV

India Habitat Centre, Delhi — 2015-07-24

Nehha Bhatnagar, bharatanatyam

Amrit Sinha, Himanshu Srivastava, bharatanatyam

Saroja Vaidyanathan, nattuvangam, chorégraphies

Rama Vaidyanathan, chorégraphies

Satish Venkatesh, chant

Rajat Prasanna, flûte

Thanjavur R. Kesavan, mridangam

Devi Stuti (Adi Tala)

Pannagendra Shayana (Rupaka Tala)

Ta Tai En Aadvar (Adi Tala)

Mira Bhajan (Adi Tala)

Thillana (Adi Tala)

Vande Mataram

Après le récital calamiteux de Bala Devi Chandrashekar, celui de Nehha Bhatnagar ne pouvait être que meilleur. Si la jeune danseuse a indiscutablement une certaine présence scénique, je ne suis pas sorti très enthousiaste de son récital.

Le programme a commencé par un Alap à la flûte, immédiatement suivi de la projection d'un message publicitaire de Hindustan Computers Limited (HCL) qui sponsorise la série de spectacles dont fait partie le récital de Nehha Bhatnagar. Vient ensuite la cérémonie d'allumage de la lampe à laquelle est conviée quelque haut dignitaire du BJP, le parti au pouvoir ; peut-être s'agissait-il de Muralidhar Rao ?

La danseuse est une disciple de Saroja Vaidyanathan et de sa belle-fille Rama Vaidyanathan (qui est une des personnes que j'estime le plus dans la danse bharatanatyam). La musique ne sera pas de qualité exceptionnelle au cours de ce récital. La faute la plus lourde en revient au joueur de mridangam Thanjavur R. Kesavan, qui faisait son truc dans son coin sans tenir aucun compte de ce que faisait la danseuse, qu'il ne regardait pour ainsi dire jamais. La sonorisation de son instrument était de surcroît atroce. Les cymbales de Saroja Vaidyanathan étaient inaudibles, ce qui rendait les passages rythmiques de la danse particulièrement étranges. Un autre problème est venu des difficultés de Saroja Vaidyanathan à fixer clairement un tempo. Le tempo a été changé plusieurs fois et de façon très brutale au cours de certaines pièces. Dans une des pièces, je l'ai vue donner un tempo au début et puis quelques dizaines de secondes plus tard, elle a changé d'avis et fait adopter un tempo beaucoup plus rapide au chanteur : la transition a été affreuse, comme une piste audio sur laquelle on ferait une avance rapide... Ce récital a-t-il fait l'objet d'un minimum de répétitions ? Il y a vraiment de quoi se poser la question...

Quelques aspects de la technique de la danseuse me posent problème. Le plus gênant pour moi réside dans le fait qu'elle utilise très peu son torse et son cou. En particulier, elle ne regarde pas suffisamment ses mains. Seuls ses yeux se déplacent (et son cou dans les mouvements sur le côté : Attami) : le haut du corps est comme figé. Cela crée en moi un sentiment d'étrangeté, un manque de naturel. En tournant le cou, elle pourrait donner un bien meilleur impact à sa danse. Ces observations se révèlent particulièrement perturbantes quand la danseuse exécute des ginatom. Sa main ne va pas chercher derrière : elle va juste en diagonale sur le côté. En l'absence de mouvement du torse et du cou pour accompagner le mouvement, l'impression visuelle est désastreuse, surtout si l'observateur que j'étais est assis parfaitement de face. Une autre étrangeté technique dans le style de la danseuse réside dans sa façon de faire des pas sur le côté, comme si la force venait de la jambe opposée à la direction du mouvement.

Venons-en maintenant au détail du programme intitulé Passionate devotees. La première pièce est intitulée Devi Stuti. Cette pièce est très impressionnante, mais j'ai eu le sentiment que la danseuse en faisait un peu trop pour imposer la terrifiante présence de la Déesse dont la monture est le tigre. Sa danse est à mon avis un peu trop carrée, ses mouvements de cou Attami manquent de subtilité dans l'exécution. D'après ce que j'ai cru comprendre du texte, il est question de l'épisode de la Déesse tuant les démons Shumbha et Nishumbha. Quand l'interprète a représenté la Déesse jouant de la vînâ et l'exaltation du plaisir acoustique, cela ne me faisait pas vraiment envie. Plus loin, elle montre Kali avec son trident. La fin de la pièce est plus réussie : il s'agit d'une très vive et développée chevauchée.

La pièce suivante, tout comme la première, a été chorégraphiée par Rama Vaidyanathan. Il n'est pas faire injure à l'interprète de ce récital d'écrire qu'il m'est plusieurs fois arrivé de penser à quel point ces chorégraphies seraient merveilleuses si c'était Rama elle-même qui les dansait. La pièce principale du récital est attribuée au Maharaja Swathi Thirunal. Elle est donc bien évidemment consacrée à Padmanabha (Vishnu). Je n'ai pas eu l'impression que la pièce avait formellement la structure d'un Varnam, mais elle était aussi développée, les passages narratifs et évocateurs alternant avec des passages de danse pure (dont plusieurs incorporent les redoutables Sharakkau Adavus). La plupart de ces passages de danse pure, y compris au début, étaient accompagnés de Swaram (notes solfiées) plutôt que d'onomatopées, ce qui constitue une différence structurelle par rapport aux Varnam tels qu'ils sont habituellement représentés dans la danse.

Nehha Bhatnagar
Nehha Bhatnagar ©Inni Singh

La pièce est dédiée à Vishnu sous le nom de Padmanabha. Vishnu est couché sur le serpent Shesha et un lotus (Padma) émerge de son nombril (Nabha) ; c'est sur ce lotus qu'est assis Brahma. La chorégraphie présente d'intéressantes variations sur la façon de représenter Vishnu sous cette forme. Cependant, la façon qu'a parfois eu la danseuse d'adopter ces poses m'a semblé parfois quelque peu brutale, comme si elle voulait absolument s'y trouver sur le premier temps du cycle rythmique ; cette impatience me semble incompatible avec l'idée de représenter Padmanabha dans son immuable immensité. L'héroïne de la pièce souffre de la séparation avec la divinité. Il ne semble pas la regarder. Elle brûle de sa passion que lui rappellent tous ses sens. Elle est tourmentée par le parfum des fleurs. Elle se désespère quand elle observe la nature et ses couples d'oiseaux, de paons, de perruches, de perroquets, tandis que les abeilles butinent les fleurs. La danse met en scène ensuite des discussions entre les amies de l'héroïne. Après l'intervention de Kama, l'héroïne s'émerveille de Padmanabha dont elle admire la beauté, le collier, les vêtements et la démarche (qui sera plus loin comparée à celle d'un éléphant). Ses lèvres sont comparées à un fruit. L'héroïne cherche l'union avec la divinité à laquelle elle offre des fleurs et à qui elle adresse des prières.

Les trois chorégraphies qui vont suivre sont de Saroja Vaidyanathan, qui me semblera plus à son aise au nattuvangam. La première de ces trois pièces est interprétée par deux condisciples de Nehha Bhatnagar : les deux danseurs Amrit Sinha et Himanshu Srivastava. Ta Tai En Aadvar est une pièce très vigoureuse en l'honneur de Nataraja, le Seigneur de la Danse, qui fait trembler l'univers au point que même le serpent Adi Shesha est bousculé. Les danseurs interprètent certaines sections en duo de façon synchronisée (en miroir). D'autres sont interprétées par l'un ou l'autre. L'évocation met en valeur certains attributs de Shiva comme le tambour Damaru, les cheveux en chignon, la rivière Ganga ou le buffle Nandi qu'il chevauche. La chorégraphie inclut quelques sauts et de façon intéressante des ronds de jambe comportant des mouvements de hanches. Étrangement, ce dont je me souviens le mieux dans cette pièce est la clarté avec laquelle la chorégraphie exprime que le compositeur s'appelle Gopalakrishna. Beaucoup de compositions de musique carnatique se terminent par une ligne qui constitue la signature du compositeur. Quand j'ai entendu les mots Gopala et Krishna dans le texte chanté, et que j'ai vu les danseurs montrer un bouvier, j'ai eu un instant de doute parce que cela ne correspondant pas au contexte shivaïte, mais ma perplexité s'est immédiatement dissipée quand un des danseurs a représenté un joueur de tampura (et lors de la répétition de la ligne, quand l'autre danseur a montré un écrivain). C'est que le compositeur de la pièce devait s'appeler Gopalakrishna, ce que j'ai pu vérifier ensuite dans le programme qui avait été distribué.

La pièce suivante est interprétée par Nehha Bhatnagar. Il s'agit d'un Bhajan composé par Mirabaï. J'avais déjà vu une autre chorégraphie sur ce poème. Mon regard sur cette interprétation souffre donc quelque peu de la comparaison avec celle de Meenakshi Srinivasan. L'héroïne (dont il n'est pas particulièrement mis en valeur à ce stade qu'il s'agit de Mirabaï) cherche Krishna partout. Fait intéressant, la danseuse tourne beaucoup le dos au public à ce moment-là. Elle s'approche d'un étang de lotus. Dans la plus belle scène de la pièce (et de tout le récital), elle imagine qu'elle est un poisson et que Krishna va prendre son bain. Elle pourrait alors venir lui toucher les pieds. Les deux autres comparaisons m'ont semblées beaucoup moins claires. Ainsi, quand la chorégraphie représente Krishna conduisant son troupeau de bovins, il ne m'a pas du tout paru clair que Mirabaï imagine qu'elle est un coucou qui peut chanter pour Lui. Dans la dernière comparaison, elle est censée être une perle qui pourrait faire partie d'un collier. J'ai bien vu une dévôte offrir un collier à Krishna, qui apprécie le cadeau, mais je n'ai pas saisi dans l'Abhinaya de la danseuse que Mirabaï rêvait qu'elle était transformée en perle. Dans la fin de la pièce, l'héroïne cherche l'union mystique avec la divinité (qui porte une très longue flûte) et entame une danse d'extase digne des derviches tourneurs.

Le récital s'est conclu par un très beau Thillana composé par Saroja Vaidyanathan elle-même (ce qui n'a pourtant pas empêché qu'adviennent des changements de tempo intempestifs). La pièce est interprétée par la danseuse et les deux danseurs. Une section de la pièce évoque la musique. La vînâ est représentée par Amrit, la flûte par Himanshu et le mridangam par Nehha. À la fin de la pièce, les onomatopées laissent la place à un texte en l'honneur de Shanmukha, c'est-à-dire Muruga. Les trois interprètes s'organisent délicieusement pour représenter cette divinité. Amrit représente Muruga, tandis que Nehha se tient à ses côtés, figurant son épouse (ou plutôt une de ses épouses). Pour sa part, l'excellent Himanshu interprète le rôle du paon qui est la monture de Muruga. (N'en connaissant pas assez bien le texte, je ne commenterai pas la chorégraphie de l'hymne Vande Mataram qui s'est enchaîné à ce Thillana.)

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“Nrityaganga” par Sucheta Chapekar

2015-07-25 08:49+0530 (दिल्ली) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Sucheta Chapekar, le guru de ma prof de bharatanatyam a passé plusieurs semaines en France aux mois de mai et juin. J'avais déjà eu l'occasion de la rencontrer à Pune l'année dernière. Je n'oublierai pas les nombreux moments partagés avec elle au cours de son séjour. J'ai déjà évoqué dans un billet précédent le stage dans lequel elle nous enseigna un Abhinaya-Pada sur la destruction de Tripura par Shiva sur le cycle rythmique Khanda-jâtî Ata Tala. Je n'oublierai pas non plus les cours particuliers ou semi-particuliers, qui donneront lieu à quelques perplexités : Ah, this is Tishra-jati. ― No, this is Tishra-jâtî. — Tishra-jati ? — No, jati is a different word.. Trois événements publics ont rythmé son séjour à Paris au début du mois de juin : une conférence-dansée sur le Nrityaganga à l'École normale supérieure, une autre sur des fables du Panchatantra à l'Université Paris 8 et un récital de bharatanatyam au Centre Mandapa. Je ne commenterai pas en détail son interprétation de quelques fables animalières à Paris 8, mais je reviendrai dans un futur billet sur son récital au Centre Mandapa. Je vais me concentrer ici sur sa conférence-dansée sur le Nrityaganga.

Sucheta Chapekar
Sucheta Chapekar

Le premier juin avait donc lieu une conférence-dansée dans la salle d'expression artistique du Nouvel Immeuble Rataud (NIR) de l'École normale supérieure. Cette conférence était organisée par un groupe d'élèves et anciens élèves, Indias, l'Initiative Normalienne pour le Développement des études sur l'Inde et l'Asie du Sud.

Le thème de l'exposé de Sucheta Chapekar était “Nrityaganga”. Il s'agit du style de danse qu'elle a développé, associant la danse bharatanatyam (originaire du Sud de l'Inde) et la musique hindustani (la musique classique du Nord de l'Inde). Elle en a expliqué la genèse. Elle a ainsi commencé par raconter son travail avec son premier guru, Acharya Parvati Kumar. La musique carnatique est chantée habituellement dans des langues du Sud de l'Inde comme le télougou ou le tamoul, mais elle a expliqué, tout comme l'avait fait le chercheur Davesh Soneji dans une conférence récente à l'EHESS, que la langue marathi (parlée dans la région de Sucheta Chapekar) avait une place importante dans l'histoire de la musique carnatique. En effet, au XVIIe siècle au XIXe siècle, ce sont des rois marathes qui ont régné à Thanjavur et pendant cette période, les arts se sont développés, toutes les formes et langues entrant en confluence à Thanjavur (y compris la musique classique européenne dont on trouve des traces dans les compositions Nottuswaram du grand compositeur carnatique Muthuswamy Dikshitar). Selon Davesh Soneji, les formes musicales originaires de la région Marathe auraient beaucoup influencé la musique carnatique à cette époque. Sucheta Chapekar et son guru ont utilisé des compositions de danse bharatanatyam en langue marathi dans le style carnatique datant de cette époque et conservées à la Saraswati Mahal Library à Thanjavur. Les livres et les manuscrits ne contenaient a priori que le texte et le nom des talas et ragas. En utilisant ces sources, ils ont pu rendre vie à des compositions attribuées au roi Serfoji II (ou Sharabhoji) qui régna de 1798 à 1832.

Par la suite, en travaillant avec Kitappa Pillai, Sucheta Chapekar s'est intéressée au répertoire plus ancien du roi Shahaji (1684-1712) et l'idée lui est venue de créer de nouvelles de pièces de danse bharatanatyam utilisant les formes de musique du Nord de l'Inde et des textes en marathi, hindi ou sanskrit. Elle a commencé par chorégraphier des pièces d'Abhinaya parce qu'elles posaient moins de problèmes. D'autres interprètes avaient déjà commencé à intégrer des compositions du Nord comme des Bhajan de Mirabaï, mais elle a voulu constituer un format parallèle et alternatif au format habituel Margam des récitals de danse bharatanatyam. Par exemple, l'Alarippu est remplacé par Prastar, une pièce de danse pure dont la musique s'inspire de formes de musique rythmiques pratiquées par des joueurs de pakhawaj, l'instrument à percussion qui n'est pour ainsi dire plus utilisé que dans la musique dhrupad. Parmi les principes du bharatanatyam qu'elle a voulu conserver, il y a l'idée d'utiliser les diverses formes musicales existantes, mais dans le contexte de la musique classique du Nord. Parmi les autres principes du bharatanatyam qu'elle a retenus, elle compte aussi la position assise, l'équilibre entre la danse pure et la danse expressive, le fait que les mouvements de danse utilisent autant le haut que le bas du corps. Enfin, les compositions expressives doivent mettre en scène l'amour érotique, l'amour maternel et l'amour dévotionnel. Mises ensemble de façon cohérente, de telles pièces de danses constituent une alternative au Margam. Le nom qu'elle a retenu est Nrityaganga, en référence à la rivière Ganga, qui est considérée comme sacrée dans toute l'Inde.

Lors de sa démonstration, elle a interprété cinq pièces de Nrityaganga. La première a été Māta Sarasvatī, un hommage à Sarasvatī : elle est la déesse de la parole, de la connaissance, et joue de la vînâ. Cette pièce comporte quelques courtes sections de danse pure. Les deux pièces suivantes ont été des pièces d'Abhinaya. Dans Nāhī mī bolata nāthā, une jeune femme pudique du Maharashtra se prépare à accueillir son amoureux. Quand il arrive, il la flatte par ses mots doux, mais elle fait semblant de le repousser... Dans la pièce suivante Ao Pyare, une gopi s'émerveille des qualités du jeune Krishna. Elle tente de l'attirer maternellement à elle. Elle décrit sa belle allure. Quand elle vaque à ses tâches quotidiennes, que se soit la lessive ou la traite des vaches, elle est charmée par le son de sa flûte. Cependant, quand elle essaye de s'en approcher, il s'échappe. Elle ne parviendra à l'arrêter qu'en lui donnant à manger du beurre.

En voyant ces trois premières pièces, il m'a semblé que Sucheta Chapekar utilisait davantage de frappes de pieds dans ses chorégraphies de pièces d'Abhinaya qu'on ne l'observe habituellement. En outre, j'ai eu le sentiment qu'en général elle s'appuyait de façon quelque peu différente sur le rythme qu'on ne le fait dans le bharatanatyam quand il est dansé sur de la musique carnatique. Dans la musique carnatique, le premier temps du cycle est me semble-t-il vraiment vu comme un point de départ. Dans la danse, on verra souvent des formules conclusives comme didi-tai—didi-tai—didi-tai, mais le dernier tai n'est pas sur le premier temps, il est juste à la fin du cycle précédent, ce qui permet d'enchaîner immédiatement avec une autre série de mouvements au début du cycle qui suit. Dans les pièces de Nrityaganga que j'ai vues au cours de cette démonstration, le premier temps du cycle rythmique semble être conçu comme une conclusion de ce qui a précédé. On trouve souvent une frappe très appuyée sur ce premier temps et la pose est maintenue, comme une respiration. Il me semble qu'il y a là un point commun avec ce que l'on peut observer dans le style kathak (qui utilise aussi la musique hindustani). (Il ne s'agit pour l'instant que de conjectures de ma part, cela mériterait d'être approfondi à l'avenir...)

Avant d'interpréter la pièce suivante, Sucheta Chapekar a expliqué que la partie la plus difficile de son travail a été la chorégraphie de pièces de danse pure. Une idée lui est venue en lisant un passage du Natyashastra dans lequel le narrateur fait hommage aux gardiens des huit directions (les quatre points cardinaux et les directions intermédiaires). Elle a ainsi conçu une pièce Aṣṭamaṅgala qui rend hommage à ces huit divinités représentées dans beaucoup de temples hindous. Il s'agit d'une des plus belles merveilles de chorégraphie que j'aie eu le privilège d'observer. Au cours de cette pièce d'un peu moins d'une dizaine de minutes, la danseuse part du centre de la scène et se tourne successivement dans les huit directions en commençant par l'Est (de face). Pour chacun de ces huit gardiens (Ashtadikpala), elle exécute une section de danse pure et conclut cette partie en évoquant brièvement la divinité correspondante. Les divinités ne sont pas faciles à reconnaître puisqu'elles appartiennent peut-être davantage à la religion védique qu'à la religion hindoue qui en a émergé, mais la dernière divinité évoquée est le gardien du nord-est, Īśāna (Shiva), qui est représenté comme danseur.

La démonstration s'est conclue par un magnifique Bhajan du roi Shahaji en Raga Bhairavi. Le dévôt se demande ce qu'il peut offrir à la divinité. Une guirlande de fleurs ? Non, Tu portes déjà des serpents et une guirlande de crânes. Dois-je Te faire une offrande de feu ? Non, car Tu portes le feu dans Ta main. Dois-je danser pour toi ? Non, parce que Tu es le Seigneur de la danse.

De larges extraits de la conférence sont visibles sur la vidéo ci-dessus (je vous conseille de la lire depuis cette adresse puisque le chapitrage y est visible.)

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Praveen Kumar, Renjith Babu, Bala Devi Chandrashekar

2015-07-23 12:00+0530 (दिल्ली) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XIV

La danse est très présente sur les scènes à Delhi, mais je ne suis pas allé voir beaucoup de spectacles. J'ai vu le meilleur avec Praveen Kumar et le pire avec Bala Devi Chandrashekar.

India International Centre, Delhi — 2015-07-16

Praveen Kumar, bharatanatyam

Je n'ai malheureusement pas pu assister à l'intégralité de ce récital. Arupa Lahiry, avec qui je prends des cours ici à Delhi, m'avait dit qu'il fallait absolument que je voie ce danseur. Le cours que nous avions en fin d'après-midi ne nous a permis que d'assister à la fin de son récital. Nous sommes arrivés à la fin de son Varnam, apparemment centré sur la Déesse ; je n'ai pu véritablement apprécier que son travail sur la danse pure dans la fin de cette pièce principale.

Pour conclure son récital, Praveen Kumar a interprété ensuite deux pièces d'Abhinaya. Ces deux Padam m'ont semblé très intéressants dans la mesure où les thèmes narratifs ont été abordé du point de vue d'un héros, et non pas d'une héroïne. Dans le premier des deux Padam, il incarnait un homme marié qui était amoureux d'une autre femme, laquelle le rejetait. Il lui disait qu'elle avait un cœur de pierre et qu'il allait se rendre à Kashi (Varanasi) pour expier ses péchés. Dans le deuxième, le thème classique de l'amour maternel de Yashoda pour le jeune Krishna est traité de façon alternative : c'est son père adoptif (Nanda) qui lui dit : Ne va pas jouer en dehors de la maison.... Le talent de Praveen Kumar pour l'expression des sentiments des personnages qu'il incarne est exceptionnel. Ses mouvements ont une certaine lenteur, mais qu'est-ce qu'ils sont habités !

India International Centre, Delhi — 2015-07-16

Renjith Babu, bharatanatyam

Les 16 et 17 juillet se tenait au India International Centre un festival consacré à des danseurs masculins. Après Praveen Kumar, c'est Renjith Babu qui est entré en scène (accompagné d'une bande-son, contrairement à Praveen Kumar qui disposait d'un orchestre comportant notamment Subbulakshmi au nattuvangam). Il se produira en octobre au Musée Guimet en duo avec son épouse Vijna. Son programme est entièrement consacré à Shiva. Bien sûr, c'est un grand athlète, plus exactement un yogi (il enseigne le yoga). En vrai, je n'ai pas eu l'impression de voir un robot danser comme j'avais pu en avoir le sentiment sur certaines vidéos. Le haut du corps n'est pas aussi raide que sa formation dans le style Kalakshetra pouvait le laisser augurer. Cependant, les lignes du corps sont loin d'être idéales. Dans ses Tirmanam (mouvements ressemblant un peu à ceux de la nage crawl), la main suit un chemin étrange, comme s'il attrapait une balle sur le côté avant d'aller droit devant. Ce mouvement sur le côté, vraiment choquant vu de face quand le danseur le faisait en vitesse lente, disparaissait heureusement quand la vitesse accélérait.

Ce qui me gêne dans ce spectacle qui a comporté plusieurs pièces, c'est que j'ai eu l'impression de voir toujours la même chose du début à la fin. Il est possible de représenter de très diverses manières Shiva, mais tout m'a semblé monotone. N'ayant pas pris de notes, il m'est absolument impossible d'isoler après coup quelque passage qui se distingue. Les passages de danse pure m'ont certes semblé bien exécutés (le danseur intégrant les redoutables Sharakkau Adavus, ce qui est relativement rare) ; les rythmes m'ont semblés très compliqués, mais je n'ai pas trouvé très passionnant l'agencement des mouvements. Dans la deuxième partie (rapide) du Varnam, la vitesse des mouvements faisait que j'avais davantage l'impression d'assister à une démonstration sportive qu'à de la danse. Ce qui m'a le plus gêné, c'est que je n'ai nullement été ému par les aspects expressifs de sa danse. Que ce soit dans la danse pure ou dans l'expression, j'ai eu le sentiment de voir une juxtaposition un peu forcée d'éléments peu susceptible de m'émouvoir. Ce spectacle n'a pas été particulièrement désagréable à regarder, mais le frissonomètre est désespérément resté à zéro.

Ailleurs : Leela Venkataraman

India Habitat Centre, Delhi — 2015-07-22

Bala Devi Chandrashekar, bharatanrityam

Tripura: The Divine Feminine

Ce récital est sans doute le plus mauvais récital de danse bharatanatyam auquel j'aie assisté. Je n'y serai pas allé si une autre passionnée de danse indienne de passage à Delhi ne m'y avait invité ; je retiendrai davantage les personnes rencontrées ce soir-là et le restaurant parsi qui suivit plutôt que le récital de Bala Devi Chandrashekar...

Son récital est annoncé comme étant un récital de bharatanrityam. Il s'agit en effet du style introduit par Padma Subramanyam dont elle est une disciple. Le texte des compositions est tiré du Tripura Rahasya. Le thème du programme est celui de Balatripurasundari, la forme suprême de la Déesse. De trop longs discours ont précédé les différentes pièces du programme. Ces annonces étaient assez prétentieuses, l'oratrice ayant dit plusieurs fois que le travail pour chacune des pièces présentées correspondait à celui d'une thèse... La Déesse est sans doute un des thèmes les plus subtils de toute la mythologie hindoue, mais si l'on se fie au résultat observé, affirmer cela revient à déconsidérer très fortement les diplômes de doctorat ou de master.

La musique enregistrée de récitation d'un Shloka qui a retenti était beaucoup trop forte. Le son a heureusement été un peu baissé.

La danseuse a interprété une premièce pièce qui comportait semble-t-il trois parties, une sur Tripura dont elle a représenté le bindu en forme de Om, le trident (de façon peu convaincante). Plus loin, elle a représenté Amba en tant que mère. Après un Swaram (section accompagnée de notes solfiées), quelques autres noms de la Déesse ont été prononcés, comme Kali, Bhubaneshwari, etc. La Déesse a été représentée portant la conque et le disque.

Dans la pièce suivante Todaya Mangalam accompagnée du son des hautbois indiens et entrecoupée de passages de danse pure, elle continue à évoquer la Déesse qui apporte la connaissance, qui porte le trident et dont la monture est le tigre. S'ensuit un Shloka et un Alarippu hétéroclite en Tala Mallika (j'ai identifié des sections à 3, 5 et 7 temps).

Est intervenu ensuite un Javali en Adi Tala censé représenter les neuf rasas ou émotions classifiées dans l'esthétique indienne.

Une pièce essentiellement de danse pure étrangement présentée comme un dhrupad a suivi. De même que j'ai déjà eu l'occasion de le signaler, je trouve très déplorable que l'on utilise le nom dhrupad pour un type de composition qui n'a rien à voir avec la façon dont le chant dhrupad est représenté sur scène. Le récital s'est conclu avec un Mangalam un peu long...

Ce récital a bien comporté quelques moments plutôt agréables. Les seuls que je retiens sont ceux qui mettent en valeur les mouvements de hanches spécifiques du style de Padma Subramanyam. Pour le reste, cela me semble être le summum de tout ce qu'il ne faut pas faire :

  • Du point de vue conceptuel, je suis tout-à-fait pour que l'on présente les pièces au public avant de les interpréter, mais il faut trouver un juste milieu. Les explications étaient beaucoup trop longues et complètement incompréhensibles ! (Par exemple, dans le drôle d'Alarippu qui a été présenté, je n'ai pas bien vu le lien annoncé avec les signes du zodiaque et quelques autres éléments, notamment les chakras, qui avaient été péniblement énumérés avant.)
  • Les positions des mains dans les passages signifiants m'ont semblé extrêmement disgracieuses, soit qu'elles furent trop flottantes soit qu'elles furent au contraire trop forcées. La posture caractéristique de la Déesse avec deux mains en Pataka (la droite tournée vers le haut et la gauche vers le bas) semblait contrainte. Quand elle représentait semble-t-il le tigre comme sa monture, son bras était complètement tendu vers l'avant à la hauteur des épaules, ce qui est très étrange. La danseuse a souvent utilisé une pose dans laquelle une des mains était en Alapadma au-dessus de la tête. Le placement de cette main était manifestement très approximatif, puisque lorsque cette pose revenait, la main était loin de revenir à la même place. Il en allait de même pour de nombreuses autres poses...
  • La danse m'a semblé très paresseuse. Dans ses Ginatom, la main ne fait même pas semblant d'aller chercher derrière. Quand elle parvient à esquisser le mouvement, au mieux, elle va dans une des diagonales. Ce n'est pas le plus vilain reproche que l'on puisse faire (je fais largement pire !), mais toute la danse était ainsi molle. De même que dans les aspects évocateurs, il n'y a dans la danse pure aucune précision dans le placement des mains. Si ses Khuditta Metti sont plutôt gracieux au niveau des mains, ils manquent complètement de vigueur au niveau des pieds. Ce qui m'a semblé le plus choquant dans ce récital, c'est l'absence totale de tenue dans les pas marchés. Ses pas manquent totalement d'articulation : elle lève à peine les talons pour marcher. Elle ne marche pas du tout comme une danseuse...
  • Son visage est toujours souriant, le regard quelque peu crispé. Aucune émotion ne vient troubler son visage (ni le spectateur que je suis). Le seul bref moment d'Abhinaya dans ce récital n'a duré que quelques secondes lorsqu'elle a évoqué la Déesse comme une mère. Je n'ai rien contre les programmes thématiques, mais pour rendre un récital de bharatanatyam intéressant, il faut condescendre à laisser s'exprimer davantage des sentiments humains par les personnages que l'on montre. Il ne fait nul doute à mes yeux que le thème de la Déesse le permettait. Il est dommage qu'il n'y en ait pas eu davantage, et que le peu qu'il y a eu ait manqué de subtilité.

Je trouve très étonnant d'avoir eu à constater dans ce programme des défauts qui seraient immédiatement signalés à des danseurs débutants par tout professeur de bharatanatyam qui se respecte.

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Première semaine à Delhi

2015-07-21 14:00+0530 (दिल्ली) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Dhrupad — Voyage en Inde XIV — Photographies

Je suis arrivé à Delhi il y a un peu plus d'une semaine. Pendant le vol Air India 142, j'ai regardé le film Chennai Express, qui n'est pas trop mauvais. L'aventure commence au moment de monter dans un taxi prépayé pour rejoindre l'appartement où je vais résider dans le quartier de Jangpura. Le chauffeur de taxi ne sait manifestement pas du tout où cela se trouve. Il n'a pas de GPS, mais il passe un certain nombre de coups de fils pour se diriger. Je suis le trajet sur mon téléphone grâce à la carte OpenStreetMap de l'Inde que j'ai téléchargée. Une fois arrivé dans le quartier de Jangpura (qui n'est pas couvert de façon détaillée par OpenStreetMap), j'ai dû utiliser une carte Google Maps que j'avais préalablement téléchargée pour jouer au co-pilote :

Photo 001

Même quand on est arrivé, il n'est pas forcément évident pour tout le monde de savoir qu'on y est :

Photo 002

Quelqu'édile du quartier, Madame Darshana Jatav a en effet fait installer des panneaux indicateurs qui ne sont rédigés qu'en hindi. Dans d'autres rues, la fonction utilitaire a été délaissée au profit de la seule fonction promotionnelle de ces panneaux :

Photo 005

En bas de la partie bleue du panneau, à côté de रोड का नाम (c'est-à-dire : Nom de la rue), il n'y a rien écrit du tout...

Voici la vue depuis le balcon de l'appartement où je loue une chambre et dont je peux aussi profiter du grand salon :

Photo 003

Les deux premières journées ont été très pluvieuses. La rue était inondée. L'année dernière, j'avais dû acheter en urgence des chaussures au retour de Champaner où les précédentes avaient été englouties par la boue. Les lanières de ces sandales que j'avais alors achetées n'ont pas tenu à cause d'une sorte d'effet ventouse qui s'est produit alors que je marchais dans les 10 centimètres d'eau qui recouvraient la rue.

Le lendemain de mon arrivée, je suis retourné à C.R. Park, non loin du temple du Lotus, pour prendre un premier cours avec Arupa Lahiry, une disciple de Chitra Visweswaran que j'avais eu l'occasion de voir à Paris et avec qui j'avais déjà pris des cours il y a un an. Elle me donne cours dans une petite salle à l'étage de l'association des femmes de l'Est (il s'agit d'un quartier bengali : la zone entière de C. R. Park a été donnée après la Partition de l'Inde à des réfugiés venant du Bengale oriental).

Chaque cours dure environ deux heures. Le cours commence par la pratique des adavus, les mouvements de base de la danse bharatanatyam. Ils sont classés par familles. J'avais déjà appris quatre séries complètes l'année dernière (Tatta, Natta, Marditha, Khudita Metti). Je peux maintenant les exécuter à peu près correctement à une plus grande vitesse. Comme je peux prendre un cours quotidiennement avec elle, j'ai déjà pu voir quelques autres séries entières : Ta tai ta ha (aussi appelés Tatta Kudicchi Metta), Tat tai tam (Shikhara), Tirmanam, Sharakau (à ne pas confondre avec les Sharakal que j'ai vus aussi), Panch Nadai (Tatti Metti), etc. Il y a des différences plus ou moins subtiles avec le style de Sucheta Chapekar que j'apprends. La plus confusogène réside dans l'orientation des mains dans les Tatta Kudicchi Metta : il n'est déjà pas évident de savoir comment les tourner quand on n'en pratique qu'une seule version, mais c'est encore plus perturbant quand il faut en apprendre une deuxième. Parmi les éléments subtilement originaux dans le style de Chitra Visweswaran, j'apprécie les petits mouvements courbes du haut du corps parfois couplés à des accents très marqués sur certaines frappes de pieds.

Je continue à noter ces exercices dans le système de notation du mouvement Benesh que je continue à apprendre (à distance) au Benesh Institute (je me suis inscrit dans le premier module du Certificate in Benesh Movement Notation).

Photo 004

Je souhaitais apprendre une pièce de danse pure, mais Arupa m'a proposé d'apprendre Vishnu Kavuthwam, une pièce qui ne contient que très peu de danse pure. La pose initiale est celle de Vishnu couché sur l'Océan cosmique et s'ensuit une évocation des dix avatars de Vishnu (ou plutôt neuf : Matsya, Kurma, Varaha, Narasimha, Vamana, Parashurama, Rama, Balarama, Krishna). Quelques exploits sont évoqués de façon un tout petit peu plus détaillée dans cette pièce de 4-5 minutes.

La fin du cours est agrémentée de la présence de Ganesh, un percussionniste (mridangam) qui accompagne très régulièrement Arupa. Après la pause-thé suivant mon cours, ils répètent des pièces ou en élaborent d'autres selon l'envie du moment. Je suis parfois resté plusieurs heures pour assister à ce travail et cela m'a procuré beaucoup de plaisir.

Un jour sur deux environ, je me rends à Mayur Vihar pour prendre un cours de dhrupad avec Pandit Nirmalya Dey. Je continue à travailler le raga qu'il m'avait enseigné l'année dernière (Todi), mais il s'agit maintenant de rentrer plus profondément dans l'Alap, la première partie d'un râga dans laquelle on présente progressivement les notes de la gamme. Il ne me demande pas seulement d'essayer de répéter les phrases qu'il fait (et dans lesquels je perçois davantage de détails qu'il y a un an), mais aussi d'essayer de faire mes propres phrases...

Dans l'appartement, il arrive qu'il y ait des coupures d'eau à certaines heures, ce qui peut être problématique si cela tombe quand la femme de ménage passe...

La plus grande rue du quartier (Central Road) est celle où la circulation est la moins fluide. Un grand marché y a lieu le mardi. On y trouve les choses les plus inattendues. Parmi les autres visions étonnantes, en rentrant en rickshaw de la station de métro alors qu'il faisait nuit, je me suis rendu compte que l'homme portait un polo sur lequel était inscrit Dracula...

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Valérie Kanti Fernando au Centre Mandapa

2015-06-19 12:23+0100 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Centre Mandapa — 2015-05-29

Valérie Kanti Fernando, danse bharatanatyam

Harikrishna Kalyanasundaram, chorégraphies

Alarippu (Ragamalika, Khandachapu Tala)

Varnam (Ashtaragamalika, Adi Tala)

Devi Stuthi “Jai Durge” (Raga Kirwani, Tishra-nadai Adi Tala)

Javali “Saramaina Matalanta” (Raga Behag, Rupaka Tala)

Thillana (Raga Sindhu Bhairavi, Adi Tala)

Une amie m'avait fait l'éloge de Valérie Kanti Fernando lorsque je me préparais à passer quelques jours à Chennai fin 2013/début 2014. Disciple de Guru Harikrishna Kalyanasundaram qui enseigne le style de Thanjavur à Mumbai, elle allait passer son arangetram quelques mois plus tard. Je ne l'avais pas rencontrée lors de ce séjour, mais j'avais retenu son nom. Quand j'ai vu qu'elle était programmée au Centre Mandapa, j'ai regardé quelques extraits d'une de ses vidéos et quand je suis arrivé au premier extrait d'Abhinaya, j'ai été transporté en une fraction de secondes dans son univers narratif. J'ai immédiatement arrêté le visionnage en me disant qu'il serait plus intéressant de la voir danser en vrai : je préfère mille fois le spectacle vivant aux vidéos ! En me dirigeant vers le Centre Mandapa, j'avais les plus hautes attentes ; je m'attendais à un récital exceptionnel. Je n'ai pas regretté le voyage ! Cela faisait longtemps que je n'avais pas été autant ému par un récital solo ! Comme je vais tenter de la décrire plus bas, la conception de la danse proposée dans ce récital est parfaitement en phase avec mes attentes en tant que spectateur. J'ai apprécié aussi l'humilité et la sincérité de la danseuse dans sa démarche.

Valérie Kanti Fernando
Valérie Kanti Fernando ©Jihane Habachi

La première pièce du récital est un Alarippu. Avant de l'interpréter, la danseuse s'est prosternée devant la statue de Shiva située sur le côté de la scène et a salué certaines directions. Sur le délicieux rythme à cinq temps (Khanda Chapu), la danseuse exécute une chorégraphie très géométrique. Les types d'expressions qu'utilisera la danseuse au cours du récital seront très variés. J'apprécie que l'on ne voie jamais la danseuse, mais toujours le personnage qu'elle incarne ; quand il n'y a pas de personnage à incarner ou d'émotion à suggérer, j'aime la façon qu'ont certaines danseuses de proposer un visage neutre, comme un masque. Dans cet Alarippu, le mot masque s'applique pour ainsi dire littéralement. Les yeux étaient les seules parties mobiles du visage. L'absence de mouvement du reste du visage, comme si la danseuse portait un masque, mettait davantage en valeur les mouvements d'yeux, qui m'ont semblé d'une précision et d'une netteté rarement observées ! Au fur et à mesure que la pièce progresse, le caractère gracieux de la danse se fait davantage sentir. (Dans sa danse pure, j'apprécie tout particulièrement son sens du legato : les frappes de pieds sont précises et acérées, mais quand la musique le permet, les mouvements de mains remplissent les silences du temps musical.)

Intervient ensuite la pièce principale du récital, le Varnam. Selon certains maîtres de danse (je pense très fortement à Padma Bhushan C. V. Chandrasekhar), la seule chose qu'il devrait être permis de faire dans un Varnam serait d'exalter les sentiments d'une héroïne dans sa relation amoureuse et dévotionnelle avec une divinité. Nonobstant le respect dû aux aînés, je ne suis pas exactement de cet avis. J'ai certes appris à apprécier ces Varnam, mais très peu de danseuses parviennent à maintenir mon attention pendant toute la durée de ces pièces très développées quand elles sont uniquement centrées sur les sentiments de l'héroïne. La plupart des chorégraphies de Varnam intègrent néanmoins quelques digressions narratives (qu'il n'est pas toujours aisé de comprendre...). Certaines s'écartent radicalement de ce schéma. Mon premier grand émerveillement en la matière était venu d'un Varnam de la danseuse Srithika Kasturi Rangan qui mettait en scène des épisodes du Ramayana.

Le Shiva Varnam interprété par la danseuse Valérie Kanti Fernando est résolument narratif. Chacune des quatre sections de la première partie du Varnam représente un épisode mythologique en lien avec Shiva. Ils sont séparés par des passages rythmiques (jati). Le premier de ces jatis est très long et très complexe, mais me semble-t-il de très bon goût ! Les jatis se terminent par une formule rythmique très élaborée, toujours la même, d'une redoutable complexité !

Le premier épisode narratif est tiré du Shiva-Purana. Il s'agit de montrer que Shiva est le Dieu suprême. Shiva se présente sous la forme d'une colonne de lumière. Brahma et Vishnu sont mis au défi : pourront-ils atteindre les extrémités de cette colonne. Ils s'en vont chacun de leur côté (Brahma prenant l'apparence d'un cygne), mais ils n'y parviennent évidemment pas.

Le deuxième épisode est plus abstrait. Il évoque la présence de Shiva sous la forme d'un yogi ou d'un érudit. C'est celui qui apporte la connaissance.

Les troisième et quatrième épisodes m'ont semblé être des merveilles de chorégraphie, de mise en scène et d'interprétation. Le troisième épisode met en scène la vie de Markandeya, un épisode que j'avais déjà vu dansé par Janaki Rangarajan. L'épisode évoque sa naissance et le destin fatal qui est prévu pour lui. Mais l'enfant est un grand dévôt de Shiva et le jour où il est prévu que le dieu de la Mort vienne le prendre, Shiva intervient pour le sauver du lacet qui allait l'étouffer. Le lacet (une sorte de lasso) est l'arme qu'utilise Yama, le dieu de la mort, pour cueillir les vies arrivées à leur terme. Ce passage m'a semblé particulièrement bien interprété. Ceci demande à la danseuse de grandes qualités expressives et une faculté de passer d'un personnage à un autre, des qualités qui doivent être couplées à une subtile mise en espace. Il faut que les spectateurs puissent saisir plus ou moins consciemment quand la danseuse interprète tel ou tel personnage, mais il faut que ce soit fait de façon suffisamment subtile pour que le lorsque la danseuse incarne Markandeya, on ait l'illusion de continuer à voir le terrifiant Yama, et inversement, quand la danseuse incarne Yama, la souffrance de Markandeya doit rester présente dans notre esprit. Quand elles sont interprétées de façon aussi remarquable, ces scènes constituent certainement ce que je préfère voir dans toute la danse bharatanatyam.

Les qualités d'interprète précédemment évoqués ont été encore davantage mises à contribution dans la représentation du quatrième épisode qui est celui du barattage de la mer de lait, un des plus beaux mythes hindous. Dans l'iconographie, il est tellement caractéristique que l'usure du temps ne peut pas l'effacer complètement, comme sur ce temple situé à quelques centaines de mètres au Sud du temple Hoysaleshwara à Halebid :

Photo 459
Barattage de la mer de lait, Temple de Shiva, Halebid

La danseuse a magnifiquement bien interprété cette scène grandiose de la mythologie. Le serpent Vasuki est enroulé autour du mont Mandara. Les dieux et les démons se sont mis de part et d'autre du serpent et tirent pendant de longues années afin d'extraire de la mer de lait l'amrita, la liqueur d'immortalité. Dans un premier temps, c'est un terrible poison qui se répand dans l'univers. Pour éviter la destruction de toute vie, Shiva doit intervenir. Il absorde tout le poison, mais le poison s'arrête au niveau de son cou en lui laissant une marque bleue. C'est ce qui vaut à Shiva le nom de Nilakantha, celui qui a la gorge bleue. (Quand le texte de certains compositions de danse utilisent ce nom, certaines chorégraphies font de très brèves références à l'absorption du poison par Shiva. J'aime ce type de références en général, et à cet épisode en particulier, mais plutôt que de le voir évoqué en un ou deux gestes, je préfère de très loin en voir des représentations très élaborées comme c'était le cas dans ce Shiva Varnam !) Dans la version présentée par la danseuse, il y avait un détail que je ne connaissais pas par mes lectures et que j'ai trouvé intéressant : quand Shiva boit le poison, son épouse Parvati intervient pour bloquer le poison au niveau de son cou.

La transition s'opère ensuite pour la deuxième grande partie du Varnam. Cela faisait un moment que j'avais intégré par mon expérience de spectateur la structure en deux grandes parties des Varnam, mais avant ce récital, je ne l'avais jamais perçue de façon aussi nette et consciente. Dans cette deuxième partie Charanam, la musique et la danse se font plus enjouées. Les jatis ou passages rythmiques ne sont plus accompagnés de syllabes rythmiques, mais par un véritable chant (n'utilisant pas de texte poétique, mais le nom des notes chantées). Ces séquences rythmiques s'insèrent d'autant plus harmonieusement dans la structure mélodique de la musique qu'ils ne sont plus délimités par les austères formules rythmiques Dhalang... ginatom comme dans la première grande partie.

Dans ce flot de musique et de danse, on perçoit l'évocation de Shiva comme Tripurantaka, celui qui a détruit la triple-ville de Tripura. La version du mythe présentée est quelque peu différente de celle que je connais par mes lectures et que par le hasard du calendrier, j'aurai l'occasion d'essayer de pratiquer avec d'autres le week-end suivant lors d'un stage avec la danseuse Sucheta Chapekar qui nous transmettra l'Abhinaya-Pada “Aghatita, Saye, Shivalila” du roi Serfoji II de Thanjavur (1799-1832), lequel met aussi en scène la grandiose scène dans laquelle Shiva détruit le triple-démon Tripurasura. Le texte de cette composition et la chorégraphie montrée par Sucheta Chapekar sont très conformes à l'iconographie :

Shiva Tripurantaka
Shiva Tripurantaka ©Clinton Steeds

Par leur ascèse, les trois démons avaient obtenu les faveurs de Brahma. Comme tant d'autres démons, ils lui ont demandé l'invincibilité. Ils ont ensuite conquis les trois mondes et se sont crus invulnérables, mais en leur accordant ce don, Brahma avait ajouté des clauses en petits caractères : ils ne pourraient être détruits que dans des circonstances invraisemblables ; en particulier, pour pouvoir être détruits, il faudrait qu'une flèche les atteigne tous les trois en une seule fois ! C'est évidemment ce qui se produira, et si Shiva aura le premier rôle dans cet exploit, tous les divinités seront de la partie. Les roues du char de Shiva sont la Lune et le Soleil. Le cocher est Brahma et les chevaux sont les quatre Veda, etc. D'une seule flèche, Shiva détruit simultanément la triple-ville de Tripura.

La version du mythe présentée dans ce Varnam chorégraphié par Guru Harikrishna Kalyanasundaram est plus métaphorique. Si j'ai bien suivi, Shiva annihile l'arrogance sans utiliser la moindre arme. Il ne s'agit pas seulement de l'arrogance des trois démons Tripurasura, mais aussi de celle de tous les dévôts. Peut-être s'agit-il là d'une influence de Patanjali auquel la chorégraphie fait allusion un peu plus loin, ainsi qu'à Vyaghrapada. Ils assistent à la danse Tandava de Shiva. Certains passages sont particulièrement impressionnants ; sauf erreur de ma part, c'est dans cette section que l'on verra la danseuse adopter quelques postures typiques de Shiva exigeant une certaine souplesse (et qu'Anusha Cherer avait aussi représentées quelques jours plus tôt). Elle exécute aussi des rotations sur les genoux, ce que je n'avais que très rarement vu.

La pièce suivante Jai Durge représente la dévotion à la Déesse sous la nom de Durga sur un rythme utilisant des subdivisions ternaires du cycle à huit temps Adi Tala. La danseuse montre Durga dans certaines postures caractéristiques et il m'a semblé reconnaître une évocation de la mort du démon Shumbha.

Le Varnam et la pièce précédente mettaient en scène des divinités ou des démons dans des scènes grandioses de la mythologie indienne. Cela reposait sur une très solide mise en scène et exigeait un certain travail d'expression du visage. Bien que ces scènes fussent très élaborées, elles n'exigeaient cependant peut-être pas tout-à-fait le même travail d'expression, du visage notamment, que celui que l'on peut observer dans des pièces de pur Abhinaya, comme certains Padams, Javalis ou Ashtapadis qui prêtent aux personnages des sentiments bien plus humains... C'est de cela qu'il s'agira principalement dans le Javali “Saramaina Matalanta” dû à Swati Tirunal que la danseuse a interprété ensuite. Comme dans beaucoup de pièces composées par ce poète, il sera question de Krishna. Près de trois semaines après ce récital, je ne me souviens pas de beaucoup de détails précis, mais je garde l'impression d'un émerveillement devant le talent d'interprétation de Valérie Kanti Fernando dans cette pièce très expressive. Une jeune femme attend son bien-aimé Krishna. Elle veille, elle allume une bougie. Elle attend toute la nuit et ne sait trop comment agir quand il arrive enfin... Peut-être lui reproche-t-elle son inconstance quand la danseuse évoque le son de sa flûte qui enchante le cœur des bergères (le texte de la composition utilise le nom Kamakoti qui prend tout son nom quand on sait que Kama signifie Amour et koti 1,00,00,000, c'est-à-dire dix millions, en tout cas beaucoup !). La chorégraphie identifie aussi très clairement Krishna à Vishnu, puisque seront notamment représentés la conque et le disque, l'aigle Garuda qui est sa monture, et le serpent Shesha.

Le récital se termine par un Tillana dont la chorégraphie comportait si je me souviens bien ce qui constitue à mon goût la plus belle image de toute l'iconographie indienne : Vishnu couché sur le serpent Shesha.

Un immense bravo et un grand merci à la danseuse pour ce récital !

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Anusha Cherer au Centre Mandapa

2015-06-12 13:45+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Centre Mandapa — 2015-05-19

Anusha Cherer, danse bharatanatyam

Shambhu Natanam (Khandachapu Tala)

Ananda Nadamitan Pada (Adi Tala)

Ardhanarishwara Ashtakam (Raga Megh, Adi Tala)

Jaya Durge (Adi Tala)

Shringara Lahari (Adi Tala)

Tillana (Raga Amritavarshini, Adi Tala)

Ce récital de bharatanatyam d'Anusha Cherer que je voyais danser pour la première fois n'avait pas la forme traditionnelle Margam : cela a été un récital thématique sur le thème de Shiva & Shakti. Toutes les pièces du récital ont été consacrées à ces divinités. Aucune des pièces n'était de danse pure, mais pourtant la technique a joué un rôle très important dans la plupart des pièces du récital ; les gestes signifiants évoquent divers aspects ou attributs des divinités, mais ne racontent pas véritablement d'histoire. On est davantage dans l'évocation que dans la narration. Je n'avais malheureusement pas pu assister à un autre de ses récitals il y a quelques mois qui était centré sur le thème de Krishna, pour lequel le répertoire de pièces d'Abhinaya est vaste : dans la mythologie hindoue, le personnage de Krishna apparaît bien plus terreste ou humain que Shiva... Il existe cependant dans le répertoire quelques pièces élaborées de pur Abhinaya mettant en scène Shiva ; il est par exemple possible de raconter sa rencontre avec Parvati. Il n'y a pas eu de pièce de ce type dans le récital d'Anusha Cherer. C'est a priori dommage, mais au final, cela ne m'a pas tant gêné puisque l'avant-dernière pièce du récital sera émotionnellement aussi passionnante que bien des pièces élaborées d'Abhinaya. La technique de la danseuse mise en valeur dans les pièces les plus vives révèle une exquise association entre un haut du corps élégant et une échelle d'intensité rarement observée dans les frappes de pieds. J'ai déjà eu l'occasion d'être presque horrifié par des frappes de pieds uniformément violentes (cf. le récital d'odissi de Lingaraj Pradhan et Sanjukta Dutta). Dans son récital, Anusha Cherer a fait au contraire un usage intéressant de la dynamique, certaines frappes de pieds étant davantage marquées que d'autres, et ce de façon intéressante dans le contexte de la pièce interprétée. Le fait de centrer un récital sur un thème donné fait courir le risque de présenter un propos qui se répète quelque peu au cours du récital. Malgré le thème commun de Shiva et Shakti pour toutes les pièces, le récital d'Anusha Cherer a été ainsi construit que je n'ai pas éprouvé de sentiment de déjà vu pendant le spectacle.

La première pièce du récital est Shambhu Natanam chorégraphié par Vidhya Subramanian ; celle-ci l'avait d'ailleurs interprétée lors de ses récitals aux Musée Guimet. Le rythme à cinq temps est très marqué dans cette pièce, les pieds répétant souvent les pas correspondant aux syllabes ta-ka-ta-ki-ta. J'ai été étonné par une partie du texte de présentation décrivant Shiva comme destructeur des trois mondes : la chorégraphie et le texte le décrivent semble-t-il davantage en destructeur de la triple ville de Tripura.

La pièce suivante évoque joyeusement Shiva. Comme dans la pièce précédente, les mouvements du haut du corps sont très souvent accompagnées de frappes de pieds Tattu Muttu utilisant cette fois-ci quatre subdivisions plutôt que cinq. Shiva est représenté en yogi, avec sa chevelure et sa peau de tigre. On le voit aussi écraser le démon de l'ignorance Apasmara. Le chant de son épouse Parvati est comparé à celui d'un oiseau. Dans le détail de la chorégraphie, j'ai particulièrement apprécié un très élégant rond de jambe à terre se terminant en pirouette. La pièce s'est terminée sur une pose exigeant une certaine souplesse. Dans une des pièces du récital, je ne sais plus si c'est celle-ci ou une autre, la danseuse a adopté une autre pose caractéristique de Shiva qui est rarement représentée : la danseuse se tient droite, la jambe gauche est tendue vers le côté (opposé) et elle attrape son pied avec sa main. Je n'avais vu cette prouesse que deux fois avant ce récital. (Les circonstances ont fait que j'ai eu dans les jours qui suivirent ce récital d'autres occasions d'observer, voir de tenter d'adopter cette position...)

Anusha Cherer
Anusha Cherer ©Gaëlle Devulder

La pièce suivante Ardhanarishwara Ashtakam a été chorégraphiée par Rama Vaidyanathan. L'introduction de l'enregistrement musical de cette pièce est une des plus belles musiques qu'il m'ait été donné d'entendre lors d'un récital de danse. Il s'agit d'un duo de flûtes. La pièce dansée met ensuite en scène un duo de personnages, Shiva et Parvati, et la danseuse passe élégamment d'un personnage à l'autre. La danse de Shiva est accompagnées d'onomatopées tandis que les sons les plus mélodieux accompagnent celle de Parvati. Ils sont unis, mais différents. Parvati porte de la poudre rouge sur le front tandis que celui de Shiva est recouvert de cendres. Le sourire de Parvati contraste avec le regard foudroyant de Shiva. L'un est le lingam, l'autre est le yoni. La pièce comporte des moments de danse extrêmement vifs !

Vient ensuite Jaya Durge (chorégraphie de Vidhya Subramanian), une pièce en Adi Tala (8 temps) mais ayant comporté une introduction rythmique en Khanda Chapu (5 temps). La pièce représente Durga comme victorieuse de Mahishasura et de Shumbha. Elle identifiée à la connaissance symbolisée par les quatre Veda. La chorégraphie évoque les armes qu'elle porte à ses huit bras. Le caractère dévotionnel de cette composition est représenté par de joyeux rites d'adoration. La pièce se termine sur une pose caractéristique de la Déesse portant le trident, un des pieds montant à la hauteur de l'autre genou (retiré).

Dans les pièces précédentes, la danseuse a fait preuve de très belles qualités d'interprétation dans des chorégraphies aux rythmes très vifs. Cependant, en général, ce ne sont pas ces pièces-là qui m'impressionnent le plus. La pièce qui va suivre et chorégraphiée par U. S. Krishna Rao n'est pas exactement une pièce de pur Abhinaya comme le sont la plupart des Padam et les Ashtapadi. Le rythme est en effet très important dans cette pièce Shringara Lahari (Adi Tala). Néanmoins, le tempo est lent et la musique méditative créée une atmosphère propice à l'exaltation des sentiments qui lient Parvati à Shiva. Cette magnifique pièce a été à mon goût la plus émouvante du récital. Parmi les détails de la chorégraphie, je retiens le chant de Parvati qui a séduit Shiva, son visage en forme de Lune et la comparaison entre ses cheveux et un essaim d'abeilles.

Le récital s'est conclut par un Tillana en Adi Tala et Raga Amritavarshini, celui-là même qu'avait interprété Vidhya Subramanian au Musée Guimet. Le texte et la chorégraphie évoquent Muruga, le fils au beau visage de Shiva et Shakti. En me relisant, je constate que je ne l'avais déjà pas trop mal compris au premier visionnage :-) mais cette fois-ci cela m'a semblé absolument limpide. La monture de Muruga est le paon, et ainsi la danse d'Anusha Cherer se métamorphose en celle d'un paon dans la fin de la pièce. Ce passage-là était absolument irrésistible !

Anusha Cherer
Anusha Cherer ©Gaëlle Devulder

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Sreyashi Dey et ses filles au Centre Mandapa

2015-06-10 15:35+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Centre Mandapa — 2015-05-16

Sreyashi Dey, Ishika & Kritika Rajan, danse odissi

Navadurga

Gitagovinda

Bilahari Pallavi

Mokshya

Il me semble que tous les interprètes d'odissi ou presque que j'avais vu jusqu'à ce récital appartenaient à la lignée du guru Kelucharan Mohapatra. La diversité de styles ou d'écoles qui existent dans d'autres danses classiques de l'Inde est beaucoup moins visible dans la danse odissi. Il était donc particulièrement intéressant pour moi de voir ce récital de Sreyashi Dey qui est une disciple de Guru Gangadhar Pradhan. Elle était accompagnée pour ce spectacle par ses deux filles jumelles Ishika & Kritika Rajan.

La première pièce est Navadurga : il s'agit de présenter neuf aspects de la Déesse. Je retiens surtout la forme guerrière de la Déesse soulignée par la mise en scène. La Déesse est interprétée par la mère tandis que les deux filles jumelles de Sreyashi Dey interprètent les deux démons Shumbha et Nishumbha qui sont vaincus par la Déesse. Plus loin, quand elle est présentée sous le nom de Mahishasuramardini, une des jumelles représente le tigre qui sert de monture à Durga quand elle tue Mahishasura.

Sreyashi Dey interprète ensuite une longue séquence d'Abhinaya intitulée tout simplement Gita-Govinda. Il ne s'agira pas de représenter un seul Ashtapadi de cette œuvre qui en compte vingt-quatre, mais d'en interpréter huit extraits ! C'est la première fois que je vois ça ! Il y a là une énorme différence de conception de l'Abhinaya entre l'école de cette interprète et toutes les autres que j'ai pu voir, que ce soit en odissi ou en bharatanatyam. Habituellement, une seule (ou éventuellement deux) chansons extraites du Gita-Govinda peuvent être interprétées et chacune est très élaborée, s'étendant sur une bonne dizaine de minutes, et les répétitions du texte permettent à l'interprète d'élaborer et d'exalter les sentiments de Radha. Dans ce récital, à part le refrain, chaque ligne du texte des chansons n'a été me semble-t-il été prononcée qu'une seule fois. Si je n'ai pas été autant ému que par d'autres interprétations, notamment quand la danseuse a dansé Sakhi He, j'ai apprécié son style gracieux et élégant. L'interprétation, forcément plus littérale du fait de l'absence de répétitions, m'a semblé très lisible. Cependant, j'ai davantage eu le sentiment que l'interprète racontait une histoire plus qu'elle ne l'incarnait.

Les deux filles Ishika & Kritika interprètent ensuite en duo un Pallavi en Raga Bilahari dont je me surprends à reconnaître la gamme ascendante ressemble beaucoup à celle du Raga Bhupali (hindustani). Il s'agit d'une pièce de danse pure dont la difficulté technique augmente progressivement jusqu'à devenir un déluge de virtuosité !

Ce beau récital se conclut par Mokshya, une pièce dans laquelle, si j'ai bien entendu le texte, Sreyashi Dey invoque successivement Agni (le Feu), Vayu (le vent), Surya (le Soleil), Chandra (la Lune) et Prithivi (la Terre) avant de retourner au son primordial Om.

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Jyotika Rao au Centre Mandapa

2015-05-18 15:48+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Centre Mandapa — 2015-05-07

Jyotika Rao, danse bharatanatyam, chorégraphie du Jatiswaram et du Tarana

Sucheta Chapekar, chorégraphies

Isabelle Bayard, mise en scène

Mallari (Raga Hamsadhwani, Mishra Tala)

Vinayak Dharu (Raga Hamsadhwani, Rupaka Tala)

Jatiswaram (Raga Bhairavi, Rupaka Tala)

Shiva Kautukam (Chatushra Ekam Tala)

Jakkini Dharu (Shankara Bharanam, Adi Tala)

Kone Kavada (Raga Kafi, Adi Tala)

Tarana (Raga Kedar, 8 temps)

Bhajan “Vishweswara Dharashana Kara” (Raga Sindhu Bhairavi, Rupaka Tala)

Hasard du calendier, il y avait en ce soir du 7 mai deux récitals intéressants de bharatanatyam programmés à Paris : Lavanya Ananth et Jyotika Rao. J'avais déjà eu de nombreuses occasions de voir Lavanya Ananth en récital (au Centre Mandapa, au Musée Guimet et au Bharatiya Vidya Bhavan) et lors du week-end du 8 mai j'ai participé à son stage de bharatanatyam dans lequel elle nous a transmis sa chorégraphie du Chidambaram Natesha Kavuthvam ; j'ai donc préféré aller voir ma prof Jyotika Rao au Centre Mandapa et je ne l'ai pas regretté. Ce récital n'a pas comporté de Varnam et je trouve dommage qu'il n'y ait eu qu'une seule pièce d'Abhinaya, mais ce récital a constitué une belle plongée dans le style de son guru Sucheta Chapekar et la mise en scène a été particulièrement originale ! Il faut signaler aussi que par rapport au récital précédent qu'elle avait donné au Centre Mandapa, le programme a été pour ainsi dire entièrement renouvelé. (Il va sans dire que je serai sans doute moins objectif dans ce billet que je ne pourrais l'être habituellement.)

L'aspect le plus étonnant de ce récital se trouve dans la mise en scène du spectacle. Au lieu de l'alternance habituelle entre l'introduction des pièces et les danses elles-mêmes, les pièces s'enchaînent ici continuellement. La danseuse reste en permanence en scène et les brèves présentations des pièces ne sont pas des parenthèses mais font partie du spectacle. Cette atmosphère s'est instaurée dès son entrée en scène dans le silence, suivie d'une salutation aux quatre directions diagonales avant l'interprétation de la première pièce Mallari. Comme pour un certain nombre d'autres pièces dansées au cours de ce récital, je connais la musique pour ainsi dire par cœur, soit parce que j'ai appris ces pièces, soit parce que j'ai vu d'autres élèves les danser ou les répéter. C'est le cas dans la pièce Vinayak Dharu, dont la première ligne de texte est Santosh Nritya Kari. Cette pièce développée comportant quatre séquences rythmiques utilisant des onomatopées évoque la danse de Ganesh. La première partie de la chorégraphie que j'ai apprise évoque notamment sa trompe, ses oreilles et sa défense cassée. Dans la suite, je découvre semble-t-il le miel qui s'écoule de ses tempes au clair de Lune et sur lequel les abeilles se ruent. Plus loin, on verra aussi sa ceinture en forme de serpent et la souris, sa délicieuse monture.

Après le Jatiswaram qui est une pièce de danse pure, le récital s'est poursuivi avec un ensemble de pièces dédiées à Shiva. Tout d'abord un Shloka enchaîné avec un Shiva Kautukam en marathi qui a été magnifiquement interprété ; la composition musicale porte la signature d'un des rois marathes de Thanjavur. Le Shloka évoque le contexte de la danse de Shiva pour laquelle les divinités et diverses créatures célestes se sont rassemblées et qu'elles accompagnent de leurs instruments de musique. Dans la pièce vive qu'est le Shiva Kautukam proprement dit, les quelques lignes de textes mettent en scène un dialogue dans lequel un dévôt de Shiva tente de convaincre son interlocuteur de la grandeur de Shiva. Cette pièce s'enchaîne avec Jakkini Dharu qui est un poème comportant quelques séquences rythmiques et qui évoque certains attributs de Shiva, comme son collier de crânes, son tambour Damaru, les cendres, la rivière Ganga, etc. Il m'a aussi semblé reconnaître une référence à son nom de Nilakantha lié à son rôle dans le barattage de la mer de lait.

Après cet enchaînement de pièces assez rythmées, l'unique pièce d'Abhinaya proprement dit est intervenue. Elle représente un malentendu entre deux personnages. La mise en scène joue de ce malentendu et la description des détails des situations montrées dans la chorégraphie ne sera donnée espièglement qu'à la fin de la pièce, et non pas au début ! N'ayant pas eu le temps de lire préalablement la feuille de programme, j'ai dû regarder le début de la pièce sans même savoir de quels personnages il allait s'agir. Certains mots dans le texte que j'entendais dans le texte me faisaient penser à Krishna. L'atmosphère joyeuse et résolument humaine de la situation allaient aussi dans ce sens. Une combinaison de gestes de mains suggérant que le personnage conduisait un bovin pouvait continuer à me le laisser croire, mais je me disais que cela pouvait aussi être Shiva. J'ai donc regardé le début de cette pièce sans trop savoir s'il était question d'un malentendu entre Krishna et une des gopis ou si c'étaient Shiva et Parvati qui étaient représentés. Assez rapidement, le doute ne fut plus permis et je compris que l'héroïne était Parvati, laquelle avait enfermé Shiva hors de sa maison pour plaisanter. Celui-ci venait plaider sa cause en lui rappelant ses divers exploits, mais en déformant ses propos elle faisant semblant de ne pas le reconnaître. J'ai rarement été aussi ravi de ne pas très bien saisir le sens d'une pièce d'Abhinaya...

Les deux pièces proposées en conclusion du récital sont une alternative au Tillana qui conclut habituellement les récitals de bharatanatyam. Le style Nrityaganga qu'a développé Sucheta Chapekar utilise la musique hindustani. L'équivalent du Tillana de la musique carnatique est le Tarana, mais ce dernier n'est constitué que d'onomatopées (comme l'est en général la première partie d'un Tillana). Le Tarana est donc une pièce de danse pure évocant la joie. La seconde partie (textuelle) du Tillana est ici remplacée par une autre composition musicale. Lors de ce récital, ce fut un Bhajan en l'honneur de Shiva. J'ai été ravi de voir des allusions à Vishnu dans la chorégraphie et dans le texte, sous le nom de Padmanabha.

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Alessandra, Fanny, Iran, Morgane et Kalpana au Centre Jemmapes

2015-04-22 23:25+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

J'assiste à des récitals de danses indiennes depuis presque dix ans, et ce qui m'a toujours intéressé principalement, ce sont les pièces narratives ou évocatrices d'une divinité : ces pièces-là sont d'un abord difficile pour les spectateurs (y compris en Inde), mais elles peuvent être bouleversantes, et c'est cela avant tout que je cherche en tant que spectateur de danse (ou rasika). Cependant, le travail sur l'incarnation de personnages et l'expression d'émotions ou de sentiments (Abhinaya), s'il est le plus important pour moi, n'est qu'un des aspects des danses indiennes. Une grande partie du répertoire est en effet constituée de pièces ou de passages dits de danse pure (nritta), lesquels ne visent essentiellement qu'à une certaine beauté du geste. Si ces pièces peuvent m'être agréables, elles me passionnent en général moins...

Cependant, parmi les chorégraphes dont j'ai eu l'occasion de voir le travail, les pièces chorégraphiées par Muthuswamy Pillai et son fils Kuthalam M. Selvam sont pour moi une exception. Ils ont développé un style propre extrêmement original et inventif à l'intérieur du bharatanatyam. J'ai déjà eu l'occasion de m'en émerveiller ici lors que j'ai vu Mallika Thalak ou Nancy Boissel, mais ce n'est que plus récemment, avec le recul permis par la confrontation en tant que spectateur avec des styles très variés, que j'ai pu véritablement mesurer à quel point ce style de danse pure était exceptionnel, lors d'un récital d'Ofra Hoffman, qui tout comme Mallika Thalak et Nancy Boissel est une disciple de Selvam.

La plupart des chorégraphies de danse pure que j'ai pu observer ou pratiquer s'appuyent sur une grammaire donnée par des petits enchaînements (adavus). Découpés, altérés et convenablement agencés, ils forment en quelque sorte la grammaire des pièces de danse pure. Si chaque école de bharatanatyam dispose de sa propre grammaire, une certaine façon d'exécuter tel ou tel type de mouvement, de nombreux points communs peuvent être observés. J'ignore dans quelle mesure leur style s'appuie également sur un système d'adavus, mais Muthuswamy Pillai et son fils Selvam ont intégré à leur style de danse des éléments qui, s'ils font indubitablement partie du bharatanatyam, ne sont pas autant développés dans les autres écoles.

Ainsi, dans leur style, j'apprécie particulèrement la présence de dégagés. En général, la jambe est tendue sur le côté, et contrairement à ce que l'on voit le plus souvent dans le bharatanatyam, ce n'est pas le talon qui touche le sol mais la pointe du pied (comme dans la danse classique européenne). Les dégagés sont exécutés en fondu, c'est-à-dire que la jambe d'appui est fléchie. Le mouvement est élégamment agrémenté d'une courbure du torse, ce qui donne au corps, vu de face, une sorte de forme en spirale. Un autre élément caractéristique est la présence de retirés. Contrairement, à la danse classique où cela est fait debout, l'interprète est ici en demi-plié sur une jambe où l'autre pied vient se poser au niveau du genou.

Dans leur style, certains adavus sont exécutés en mettant l'accent sur le mouvement d'une seule main. J'ai parfois senti une certaine parenté avec des adavus standards qui en principe utilisent les deux mains : les mouvements d'une main sont repris tandis que l'autre main reste immobile, sur le côté. Ceci donne peut-être un côté rustique ou rugueux à ces chorégraphies, mais pour compenser ce fait-là, il y a un remarquable travail chorégraphique pour que les enchaînements se suivent harmonieusement, et surtout, ces chorégraphes n'ont pas peur de la lenteur pour mettre en valeur le caractère gracieux des mouvements de bras, pour entrer dans le mouvement de la même façon que le style de musique dhrupad permet de rentrer dans le son... J'avais été particulièrement ému par cette magnifique lenteur en voyant le Jatiswaram en Ragamallika et Misra Chapu Tala dansé par Revanta Sarabhai dont la professeure avait appris cette chorégraphie auprès de Muthuswamy Pillai. Cette relative lenteur permet aussi de se concentrer sur le mouvement d'une seule main pendant d'assez longues séquences : ceci produit quelques moments de poésie (comme vers 2'15" sur cette vidéo de Mallika Thalak dans un Alarippu à sept temps).

Espace Jemmapes — 2015-04-15

Kalpana Métayer et ses élèves Alessandra, Fanny, Iran, Morgane, bharatanatyam

Mallari (Raga Gambheera Natai, Tala Tisra Triputa)

Shloka “Guru Brahma”

Natesha Kautwam (Raga Hamsadwani, Eka Talam)

Jatiswaram (Raga Vasanta, Rupaka Talam)

Natanam Adinar (Raga Vasanta, Ata Talam)

Padam “Sogasu” (Raga Sahana, Misra Chapu Talam)

Kirtana (Raga Karaharapriya, Adi Talam)

Javali “Marubari” (Raga Kamas, Adi Talam)

Padam “Eppadi manam” (Raga Huseni, Misra Chapu Talam/Raga Ananda Bhairavi et Sahana)

Tillana ‟Dhrupad” (Raga Purvi, Rupaka Talam)

Venons-en au spectacle de Kalpana (disciple de Muthuswamy Pillai) et de ses élèves les plus avancées (certaines ont aussi pratiqué directement auprès de Kuthalam M. Selvam). J'ai déjà fait ci-dessus l'éloge des chorégraphes. Les interprètes méritent aussi quelqu'éloge, puisque comme je le détaillerai ci-dessous, certaines pièces ont été exceptionnellement bien dansées. L'ensemble du spectacle a été à mon avis d'un niveau que l'on ne voit pas toujours dans certains récitals de danseuses très connues, y compris parmi celles qui sont réputées pour leur Abhinaya. Il faut bien sûr également louer le travail de leur professeur Kalpana qui a su les porter à ce niveau et qui, il faut le signaler aussi, a réalisé un important travail de mise en espace. Beaucoup des pièces présentées au cours du programme mettaient ainsi en scène plusieurs danseuses. Plutôt que les interprètes fassent de la danse synchronisée en rang d'Oignon comme on le voit malheureusement parfois, il est plus intéressant de travailler sur le placement, insérer des silences : une danseuse reste immobile pendant que l'autre se déplace. Par rapport à la quantité de travail fournie pour apprendre une chorégraphie, le surcoût est relativement marginal, et au-delà de la beauté esthétique des configurations qui en peuvent résulter pour les spectateurs, il y a plein de bonnes raisons de procéder ainsi. D'une part, c'est amusant à faire et crée une complicité entre les interprètes ; d'autre part, cela permet de développer le travail sur le rythme (si on doit rester immobile pendant un cycle rythmique et demi, il faut savoir être attentif à la musique et aux autres, comme dans un orchestre).

Le programme très étoffé a commencé par Mallari (chorégraphie de Kalpana). Elle avait déjà utilisé cette introduction (ou au moins une introduction semblable) au début de son programme lors du Festival “Mouvements émouvants”. Je retrouve d'étonnants ronds de jambes associés à une offrande de fleurs tandis que dans une délicieuse lenteur, la danseuse évoque Shiva en tant que danseur cosmique. Il porte une peau nouée à la taille, le tambour Damaru et se tient sur le buffle Nandi. De façon intéressante, la musique comporte des passages dans lesquels les temps ne sont plus subdivisés en deux ou quatre, mais en trois.

Guru Brahma ©Pierre Fabris
Iran, Morgane, Kalpana, Fanny et Alessandra dans Guru Brahma ©Pierre Fabris

Kalpana et ses quatre élèves interprètent ensuite Guru Brahma, un shloka très connu qui compare le guru aux trois dieux de la trinité hindoue (Brahma, Vishnu, Shiva) et même au Brahman (l'absolu). La présence de plusieurs danseuses permet d'évoquer simultanément plusieurs aspects des divinités. Ainsi, ci-dessus, il est représenté au premier plan, de gauche à droite, comme le danseur cosmique Nataraja, en Yogi et en guerrier. La pièce se conclut par la représentation de rites dévotionnels, comme l'offrande de fleurs.

La pièce suivante Natesha Kautwam est une pièce vive interprétée par Morgane et Fanny qui exécutent les mouvements de deux chorégraphies différentes dues respectivement à Muthuswamy Pillai et Selvam, et réorchestrées par Kalpana. Cette pièce contient un certain nombre d'éléments stylistiques parmi ceux décrits ci-dessus. Dans la chorégraphie interprétée par Fanny, on voit aussi d'impressionnants grands battements comme je n'en avais vu jusqu'à présent que dans la danse classique européenne, le pied se levant parfois jusqu'à la hauteur des épaules. Sur le fond, la pièce évoque Shiva armé du trident qui détruit les démons. Sa monture est Nandi, il porte le croissant de Lune, le tambour Damaru, le cordon sacré. C'est aussi un yogi au regard foudroyant...

Jatiswaram ©Pierre Fabris
Iran et Fanny dans Jatiswaram ©Pierre Fabris

Un des deux très grands moments de la soirée (et plus généralement de mon expérience de spectateur de bharatanatyam) est intervenu lorsque Fanny et Iran ont interprété un Jatiswaram, une pièce de danse pure dans laquelle le texte de la musique est constitué du nom des notes chantées. Les chorégraphies de Muthuswamy Pillai et Selvam sont génialissimes pour toutes les raisons que j'ai esquissées en préambule et elles sont magnifiquement interprétées par les deux superbes danseuses ! Dans la partie de Fanny, j'ai parfois remarqué une posture très proche de la position Tribhang du style odissi : le fait qu'un des pieds soit sur en demi-pointe sur le cou-de-pied crée une dissymétrie qui se propage vers le haut du corps, ainsi les hanches se penchent d'un côté, tandis que le torse se courbe dans l'autre sens.

La pièce suivante Natanam Adinar (chorégraphiée par Muthuswamy Pillai) fait quelque peu double emploi avec le Natesha Kautwam dansé précédemment. Il s'agit aussi d'une pièce sur Shiva comportant des passages de danse extrêmement vive accompagnée d'onomatopées qui me font penser à la forme du Kautwam. Cette pièce dansée par Morgane est précédée d'un Shloka (ou plutôt d'un Viruttam puisqu'il était semble-t-il chanté en tamoul et non pas en sanskrit). Il m'a semblé distinguer ce qui aurait pu être une élaboration autour du thème du regard de Shiva qui réduit en cendres un archer (Kama), mais en lisant après coup le texte du poème, il m'apparaît que cela illustrait plutôt la phrase Tes sourcils sont dessinés comme des arcs.... (C'était bien une histoire entre un œil et un arc, mais pas tout à fait la même...) D'autres détails sont évoquées dans la chorégraphie, comme sa bouche, sa chevelure ou les cendres qu'il s'est appliqué sur le corps et le front. Quand la musique s'est faite rythmique et que la composition Natanam Adinar proprement dire a commencé, la danseuse a évoqué des prières adressées à Shiva. Son tambour Damaru est représenté, mais l'image la plus marquante est celle de Shiva dans sa pose de danseur cosmique qui revenait comme un refrain. Cette pose apparaît très fréquemment dans la danse bharatanatyam, mais il est beaucoup plus rare que soient représentées en même temps quelques frappes du pied droit qui font trembler l'Univers (et qui écrasent la tête d'Apasmara, le démon de l'ignorance). Rien que pour cela, je suis content d'être venu. Le reste de la pièce évoquait le temple de Chidambaram (ou réside précisément Shiva dans cette forme appelée Nataraja). Je n'ai pas (encore) visité ce temple, mais il m'a semblé que la danse faisait référence à des sculptures d'Apsaras, des danseuses célestes. Plus loin, Shiva est représenté avec sa chevelure d'où s'écoule la rivière Ganga et il est aussi associé à des serpents.

La pièce suivante a été des deux grands points culminants de ce récital. Le superbe Jatiswaram était un sommet de danse pure ; le Padam Sogasu (chorégraphié par Sangeeta Isvaran) dansé par Fanny Wiard m'a semblé une merveille dans l'art de l'Abhinaya. L'héroïne est mariée. Son mari l'appelle, mais elle veut s'unir avec Krishna, le bouvier à la flûte (Venugopala comme il est dit dans le texte du poème), celui avec lequel, malgré son mariage avec un autre, elle se considère comme unie depuis son enfance (laquelle est évoquée par le nombre des années qu'elle avait à l'époque et aussi par un jeu de balle avec ses amies). Peut-être avait-elle secrètement noué ce lien alors qu'elle regardait fixement une image de Krishna ? Cet amour peut être assimilé à une forme de dévotion et comme souvent dans la danse bharatanatyam, les amants sont séparés. L'héroïne compare la situation à celle du Soleil et d'une fleur de lotus. Ils sont très distants l'un de l'autre, mais ils sont inséparables : bien que lointaine, c'est la lumière du Soleil qui permet à la fleur de s'épanouir. Elle le cherche. Elle entend le son de sa flûte. Elle croit le voir dans les pluies de la mousson. Elle veut s'unir à Lui, mais il n'est pas là. Rappelée à son triste sort par son mari, elle ne sait quel parti choisir, mais elle se tourne espièglement vers Krishna dont elle dérobe la plume de paon ! Bravo et merci à la danseuse pour toutes ces émotions !

La chorégraphie suivante (de Muthuswamy Pillai) dansée par Iran et Morgane est un Kirtana évoquant délicieusement Murugan. Choréographiquement, il s'agit d'une forme intermédiaire entre la danse pure (du Jatiswaram par exemple) et le pur Abhinaya du Padam précédent. Des pas complexes sont associés à des mouvements expressifs du haut du corps. Dans sa conférence lors du Festival “Mouvements émouvants”, Tiziana Leucci évoquait la notion de danseuse orchestre, le côté rythmique étant assuré par la moitié basse du corps tandis que la moitié haute est associée à la mélodie. Certaines pièces mettent en valeur l'un ou l'autre de ces aspects, ou les deux alternativement dans des sections bien délimitées, mais dans cette pièce-ci, si ces deux aspects ont parfois été présentés séparément, ils ont souvent paru simultanément. C'est particulièrement difficile à faire, mais les deux interprètes étaient très convaincantes, y compris dans la situation la plus extrême des Tattu Muttu dans lesquels les pieds répètent inlassablement la même suite de frappes très rapides tandis que le haut du corps exprime le sens du poème, souvent en forme de récapitulation avant d'enchaîner sur une autre section. Il était donc question de Murugan, de sa naissance extraordinaire à sa vieillesse. La tonalité de la pièce est résolument la dérision. Le poème moque joyeusement le folâtre Murugan ainsi que d'autres divinités. Murugan est le fils de la coquette Parvati qui l'a conçu en serrant dans ses bras six lotus. Le résultat est qu'il a six têtes. Je ne sais plus très bien quel sens cela avait dans le contexte, mais la chorégraphie a fait référence à Vishnu (portant la conque et le disque, et reconnaissable au mudra Tripataka) ; sous la forme de Krishna, il est représenté en bouvier qui conduit le troupeau. Le poème se moque aussi de Shiva, le père de Murugan, qui apparaissait en mendiant. La chorégraphie fait référence également à Ganesh, le frère de Murugan qui est non seulement le dieu de la guerre, mais aussi un sage dans sa vieillesse (délicieusement représentée par Iran). Après une très belle section de danse pure dont le texte est constituée du nom des notes (Swaram), cette pièce de danse se conclut dans la joie.

La pièce suivante est le Javali Marubari chorégraphié par Kalanidhi Narayanan et dansé par Iran. J'avais déjà vu cette magnifique danseuse interpréter cette pièce un an auparavant, et c'est un réel de la plaisir de la (re)voir dans une aussi belle pièce d'Abhinaya. L'interprétation est peut-être un peu moins polissonne qu'il y a un an, mais le ton reste résolument espiègle. C'est le printemps, suggéré par le butinement des abeilles, qui invite aux amours toutes les créatures, les oiseaux notamment. Une jeune femme est frappée par les cinq flèches de l'archer Kama, le dieu de l'Amour qui attaque ses sens. Elle ne peut boire le lait qui lui brûle les lèvres. Sa peau est ardente. Elle est prise d'une joyeuse ivresse. Elle dit en substance à son amoureux : Cesse de te jouer de moi. Viens, beau jeune homme. Faut-il que je te supplie ?. La pièce se conclut par un échange de regards passionné.

Kalpana a ensuite interprété le Padam Eppadi manam qu'elle avait déjà dansé lors du Festival “Mouvements émouvants”. Certains détails d'interprétation qui m'avaient semblé légèrement confus m'ont paru cette fois-ci plus clairs, cependant, bien qu'il s'agisse d'une pièce chorégraphiée par la très respectée Kalanidhi Narayanan, je n'aime pas la façon dont cette scène du Ramayana est évoquée dans ce poème et dans la danse. Même si l'interprétation était très convaincante dans l'esprit de ce poème, je n'y reconnais pas le personnage de Sita. Pour moi, ce n'est pas une pleurnicharde : elle réagit de façon bien plus forte à l'annonce de l'exil de Rama en forêt. Je ne l'ai reconnue qu'à la toute fin de la pièce quand on comprend qu'elle décide de suivre Rama dans la forêt. Ce détail apparaissant dans les toutes dernières secondes m'avait échappé la première fois ; j'y ai été très sensible cette fois-ci.

Ce magnifique récital s'est conclu par un Tillana que Kalpana a chorégraphié et fait répéter à ses élèves les plus avancées au cours des derniers mois. La structure musicale est tout à fait inhabituelle pour un Tillana. La pièce commence en effet par des notes solfiées, c'est-à-dire que la chanteuse prononce le nom des notes de la mélodie (que l'on peut entendre sur cette vidéo). Cette mélodie est très sommaire, puisqu'elle est quasiment entièrement basée sur les gammes ascendantes et descendantes du Raga Purvi : sur le moment, cela m'a fait penser à des exercices de Sargam que je pratique dans le style dhrupad, qui servent à se familiariser avec un Raga et qui comme les enchaînements ou adavus de la danse bharatanatyam peuvent être pratiqués à diverses vitesses. On entendra plus loin un texte ayant un sens, et me semble-t-il aussi des onomatopées. Le titre Dhrupad n'était pas présent sur la feuille de programme et il n'a pas été non plus prononcé lors des annonces. Cependant, Kalpana l'a indiqué en légende lorsqu'elle en a partagé une photographie, ce qui m'a intrigué. Elle aurait sans doute produit ce texte même si je n'avais pas posé la question, mais il est intéressant de lire sa réponse qui donne par ailleurs des indications sur le processus de création. Si je souscris pleinement à l'idée que le style de musique dhrupad est une recherche du son (dans la pratique matinale du Kharaj ou dans l'introduction mélodique improvisée appelée Alap) et si les exercices de Sargam basés sur la gamme font partie de l'apprentissage du chant ou de l'instrument, ils n'ont absolument pas vocation à être présentés en concert ! Les auditeurs qui auraient apprécié cette musique doivent savoir que ce n'est pas cela du tout ce qu'ils entendront s'ils vont assister à un concert de dhrupad...

Le Tillana de la musique carnatique a des cousins dans la musique hindustani sous le nom de Tarana. Ces derniers ont d'ailleurs été utilisés par Sucheta Chapekar dans le style bharatanatyam. J'ignore de quelle tradition musicale vient la composition utilisée dans le Tillana de Kalpana, mais comme elle le souligne dans son texte, il est effectivement intéressant qu'il ne soit pas dédié à une divinité, mais tout simplement à la musique. (Dans le style dhrupad, outre des compositions en l'honneur de divinités, je connais au moins deux compositions qui sont dédiées à la musique, un Tivratal en Raga Jog et un Chautal en Raga Todi ; j'en connais aussi une faisant l'éloge du vin...) Cela dit, ce n'est pas non plus unique, puisque j'ai déjà eu l'occasion d'apprécier un Tillana dansé dans le style bharatanatyam qui était dédié à la musique (cf. mon billet sur la Chidambaram Dance Company et cette vidéo dans laquelle on entend le chanteur prononcer le nom complet des notes de la gamme indienne : Shadja, Rishabh, Gandhar, Madhyam, Pancham, Dhaivat, Nishad).

Je n'ai pas grand'chose de plus à dire sur ce Tillana si ce n'est qu'il était réussi et comportait un important travail sur le placement des cinq danseuses qui partagaient une complicité évidente. Des animaux étaient évoqués dans la chorégraphie, j'ai au moins reconnu un éléphant, un buffle et des oiseaux. La chorégraphe s'est aussi inspirée des magnifiques sculptures du temple Hoysaleshwara de Halebid que j'ai eu l'occasion de visiter en 2011 et qui, s'il est consacré à Shiva, comporte des sculptures sur des thèmes mythologiques et épiques très variés, ainsi que des représentations de scènes de danse...

Photo 410
Shiva, Temple Hoysaleswara, Halebid

(Pour ma série complète de photos de ce temple à Halebid, suivez ce lien.)

Dans le texte de Kalpana signalé plus haut, elle fait aussi référence au contrepoint. Ce n'est sans doute pas un hasard si la pièce de danse contemporaine la plus bouleversante à laquelle j'aie assisté est The Fugue de Twyla Tharp...

Je ne pourrai malheureusement pas assister au spectacle de fin d'année de Kalpana et de ses élèves le 29 mai, mais n'hésitez pas à y aller. Les détails pratiques devraient apparaître sur le site de l'association Hamsasya.

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Le festival de danses indiennes “Mouvements émouvants”

2015-04-03 09:26+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Espace Jemmapes — 2015-03-28

Madolika, kuchipudi

Soazic Lelan, sattriya

Angela Sterzer, manipuri

Kali Chandrasegaram, kathak

Kalpana Métayer, bharatanatyam

Mahina Khanum, odissi

Kakoli Sengupta, chant

Denis Teste, sitar

Alexis Weisgerber, pakhawaj

La première édition du festival “Mouvements émouvants” s'est tenue ce week-end. Il faut saluer cette magnifique initiative de Mahina Khanum qui est parvenue à réunir à Paris des interprètes de six styles de danses classiques indiennes et à susciter un intérêt au-delà du public quelque peu cloisonné de chacun de ces différents styles. J'ai ainsi été très agréablement surpris qu'une participante des stages d'initiation du dimanche m'ait parlé du site Danses avec la plume ou des Balletonautes.

Le festival a commencé par une conférence malheureusement trop courte de Tiziana Leucci qui a présenté les danses indiennes classiques et leur histoire. J'ai eu le privilège d'être assis à côté d'elle pour lui poser des questions et former des problématiques qui invitaient à la comparaison avec la danse classique européenne (eh oui, je suis aussi balletomane...). Si l'écouter est toujours un plaisir pour moi, sur le fond, j'ai été très sensible à ses réponses, notamment sur les enjeux de transmission du répertoire comme processus vivant et dynamique dans lequel à chaque génération les maîtres de danse peuvent apporter des innovations et adapter les pièces au corps des interprètes comme le ferait un tailleur. Bref, on est à l'opposé d'autres conceptions fossilisées ou muséales...

Prière à Shiva
Prière à Shiva ©Gaëlle Devulder

(Merci à Gaëlle Devulder pour les photographies ! Cliquez sur les photos pour les voir dans une meilleure résolution.)

Le spectacle a commencé par une petite prière à Shiva réunissant les six interprètes et les trois musiciens. Il s'agit en quelque sorte d'une introduction sans chichis aux six styles qui se succéderont ensuite sous la forme de solos. Les six interprètes sont regroupés par paires. Au premier plan, Kalpana (bharatanatyam) et Madolika (kuchipudi) représentent notamment Shiva en ascète sous le nom de Yogeshwara ou soulignent la présence du croissant de Lune dans son chignon. Au deuxième plan apparaissent les danses plus sinueuses des états du Nord-Est avec Soazic Lelan (sattriya) et Angela Sterzer (manipuri). Chacune illustre avec son propre langage dansé des caractéristiques de Shiva comme le flot de la rivière Ganga. Au dernier plan, Kali Chandrasegaram (kathak) et Mahina Khanum (odissi) représentent le couple Shiva-Parvati. Elle évoque aussi très élégamment la peau enroulée autour des hanches de Shiva tandis qu'il représente Shiva en danseur cosmique avec quelques frappes de pieds et l'évocation du tambour Damaru.

Madolika (kuchipudi)
Madolika (kuchipudi) ©Gaëlle Devulder

La première à se présenter sur scène pour un solo est Madolika qui est une représentante du style kuchipudi de Vempati Chinna Satyam. (Presque toutes les autres interprètes de kuchipudi que j'ai vues appartiennent à cette lignée : Deepika Potarazu, Radha Prasanna, Shantala Shivalingappa (2007/2008, 2010, 2013) et Sandhya Raju.) Elle a interprété une des chorégraphies les plus connues de son maître : Krishna Shabdam. Dans la première partie (que je connaissais déjà pour avoir vu cette vidéo de Sandhya Raju), une jeune femme appelle son bien-aimé Krishna et se prépare à l'accueillir avec une guirlande de fleurs : Mon Cher, Viens, Toi qui est à la dynastie de Yadu ce que la Lune est à l'océan de nectar !. La structure rythmique est très particulière puisque ce vers qui passe en boucle pendant les premières minutes (Raa ra yadu vamsa sudha budhi chandra swami) n'apparaît pas à une position fixe dans le cycle rythmique Adi Tala (8 temps). La syllabe vam dans yadu vamsa est très marquée et suivant les répétitions, on l'entend sur le premier, le troisième, le cinquième ou le septième temps du cycle. Dans cette pièce très enjouée et espiègle comme doit l'être toute représentation de kuchipudi, une autre spécificité rythmique apparaît : si les temps sont le plus souvent subdivisés de façon binaire, des bouts de cycles contiennent parfois des subdivisions en trois (Tishra Nadai) marquées par des frappes de pieds, ce qui peut présenter une difficulté pour les danseurs comme me le dira le lendemain Madolika. Je n'ai pas pris de notes en assistant à cette pièce qui m'a ému. Parmi les détails que je retiens dans la deuxième partie, le combat de Krishna contre le roi Kamsa, un de ses exploits de jeunesse. La pièce se termine en accelerando et sur un passage de danse pure.

La danseuse a interprété ensuite Vande Mataram. L'enregistrement utilisé étant instrumental et dans une orchestration harmonisée à la façon européenne, je n'ai pas reconnu l'hymne patriotique indien, mais la chorégraphie ne laissait aucun doute, il s'agissait bien d'un hommage à la Déesse sous la forme de la Mère Patrie, à l'Inde en général. On y voit des lotus s'épanouir depuis la racine et il m'a semblé aussi voir une dévôte s'immerger rituellement dans le flot d'une rivière.

Soazic Lelan (sattriya)
Soazic Lelan (sattriya) ©Gaëlle Devulder

Le sattriya était le seul des huit styles de danses classiques de l'Inde que je n'avais jamais vu. Que cette danse est d'une suprême élégance ! Cela a été pour moi un des deux grands points culminants émotionnels au cours de la soirée. La pièce interprétée par Soazic Lelan a été chorégraphiée par son maître qui enseigne à Delhi.

Sur un texte contenant les mots Shri Krishna Namah la danseuse se déplace délicatement sur la scène ; les pieds étant très souvent en demi-pointe, elle pose à peine le talon, ce qui contribue sans doute à rendre encore plus harmonieuses ses majestueuses rotations. Elle évoque les fleurs de lotus et plus généralement la Nature. Parfois, on aperçoit des oiseaux s'envoler. Dans ce cadre pastoral, une prière à Krishna s'élabore. Le texte et la chorégraphie évoquent les parents biologiques et adoptifs de Krishna. On entend ainsi les noms de Vasudeva et Devaki, et plus loin celui de Nanda (et peut-être aussi celui de Yashoda). De Krishna dont la flûte est suggérée ici par les mains en mudra Simhamukha (plutôt que Mrigashirsha que j'ai vu plus souvent) sera représenté la victoire contre le roi démonique Kamsa.

S'ensuit un passage de danse pure utilisant principalement les mudras Hamsasya et Alapadma. La danse est alors un peu plus rythmée et ancrée dans le sol, mais elle conserve toute son élégance.

Paradoxalement, ce style de danse qui m'a semblé extrêmement féminin a longtemps été transmis uniquement entre moines vishnouïstes dans l'Assam.

Angela Sterzer (manipuri)
Angela Sterzer (manipuri) ©Gaëlle Devulder

La danseuse suivante a été Angela Sterzer qui a appris la danse manipuri à Imphal. Ma première expérience avec ce style avait été assez perturbante lors d'un double récital au NCPA Mumbai. La performance d'Angela Sterzer me réconcilie quelque peu avec ce style, mais il continue néanmoins de susciter ma perplexité.

La danseuse a commencé son intervention en chantant a capella une chanson sur l'état du Manipur. Ce chant aux notes légèrement ornementées m'a semblé très mélodieux.

La danse pure du manipuri est très élégante, très raffinée. Différentes parties du corps (mains, buste, yeux, etc.) ondulent harmonieusement dans des figures que certains décrivent comme serpentines ; la danseuse me les décrira le lendemain plutôt comme tournant autour de la figure du 8. Les mouvements de cous et d'yeux sont très élaborés et sans doute très difficiles à exécuter, mais ils ne sont pas très visibles, surtout à quelques mètres de distance ; le reste du visage m'a semblé moins mobile. Si du point de vue narratif ou expressif, la pièce de danse qui a été interprétée par Angela Sterzer m'a toutefois semblée plus convaincante que ce que j'avais vu à Mumbai, j'éprouve des difficultés à être ému par cet aspect de la danse qui me semblé moins développé par rapport à d'autres styles (ne serait-ce qu'en termes de la proportion du temps de la pièce qui y est consacrée par rapport à la danse pure).

Par rapport à d'autres styles de danses indiennes dans lesquels on voit immédiatement quand il y a quelque chose à comprendre, les gestes du manipuri paraissent tellement délicats qu'avant même de pouvoir comprendre l'intention, il n'est même pas tout à fait évident de saisir quels sont les moments qui vont posséder un contenu narratif. J'ai cependant réussi à en repérer quelques uns. Dans cette pièce sur l'enfance de Krishna, sa flûte est représentée par des positions de mains encore différentes de celle utilisée dans le sattriya. Les mains sont dans un mudra voisin de Hamsasya, mais dans lesquels les doigts seraient plus rapprochés. Quelques mouvements de bras suggèrent Yashoda en train de baratter le lait. Plus loin, une femme entend le son harmonieux de la flûte et son désir d'union avec Krishna sera représenté par les deux mains en Ardhapataka.

J'apprécie que cette danse ne soit pas excessivement démonstrative, puisque ce n'est pas du tout cet aspect qui m'intéresse en tant que spectateur. Si la danse a comporté des passages rapides, la relative lenteur permet d'apprécier le détail des mouvements, qui ont été extrêmement bien tenus du début à la fin. Cela dit, le contenu narratif et expressif n'est peut-être pas assez développé à mon goût pour que je puisse vraiment me passionner pour ce style, que je retournerai cependant voir volontiers.

Kali Chandrasegaram (kathak)
Kali Chandrasegaram (kathak) ©Gaëlle Devulder

S'il y a un style de danses indiennes que je n'apprécie pas, c'est le kathak. Ce style a certes une certaine élégance et très souvent une virtuosité qui affole le cœur de beaucoup de spectateurs, mais les aspects narratifs et expressifs que je privilégie m'ont toujours semblé insuffisamment élaborés pour pouvoir me bouleverser.

J'ai pourtant été sensible à la première chorégraphie utilisant un poème de Mirabai présentée par le danseur Kali Chandrasegaram. Nous sommes au printemps. Alors que la nature s'épanouit, Mirabai entend au loin le son de la flûte de Krishna. On entre alors dans une atmosphère de joyeuse dévotion religieuse (bhakti) à tous permise. Les pirouettes et les ports de bras associés, s'ils m'ennuyent en général, étaient ici on ne peut plus appropriés ! J'ai apprécié sa technique de spotting (le mouvement de cou consistant à fixer un point le plus longtemps possible pendant la pirouette).

Le danseur a enchaîné avec une pièce de danse pure chorégraphiée par Pandit Birju Maharaj, semble-t-il sur le cycle rythmique Jhaptal (10 temps). Beaucoup de frappes de pieds très rapides et de pirouettes. C'est plutôt agréable à regarder, cela ne me passionne pas particulièrement, mais pour beaucoup de spectateurs, il semble que cela ait été un des moments les plus exaltants de la soirée : il en faut pour tous les goûts !

Kalpana (bharatanatyam)
Kalpana (bharatanatyam) ©Gaëlle Devulder

Le style bharatanatyam est celui que je connais le mieux. C'est donc forcément celui pour lequel mes attentes sont les plus élevées. Si les danses de Kalpana m'ont semblé très bien et si j'eusse aimé en être bouleversé, il a manqué un petit quelque chose pour que je sois complètement convaincu.

La danseuse a commencé par une salutation et une élégante offrande de fleurs. Elle a ensuite enchaîné avec une pièce élaborée d'Abhinaya. Le poème en tamoul s'inspire du Ramayana. Rama vient d'être contraint à un exil dans la forêt et il se rend auprès de son épouse Sita pour lui annoncer la nouvelle. Du fait de ma lecture des épopées et d'autres textes mythologiques, je me suis fait une certaine image des personnages. Même si je suis quelque peu en train de revoir ma position sur la question de la fidélité aux épopées suite à des questions soulevées lors d'un exposé de Katia Légeret au Musée Guimet il y a quelques mois, je n'aime pas que l'on me représente les personnages d'une façon irréconciliable avec la conception que j'en ai : je ne reconnais plus le personnage, c'est un autre. Le personnage de Sita est souvent injustement rabaissé à celui d'une bonne épouse (dont un caprice sera à l'origine de son enlèvement et d'une guerre), mais s'il est vrai qu'elle n'est pas Draupadi, elle prouve à quelques reprises au cours de l'épopée qu'elle est capable d'une certaine détermination. Sa réaction à l'annonce de Rama est un de ses hauts faits : elle décide d'accompagner Rama dans son exil en forêt et reproche à Rama d'avoir pu ne serait-ce qu'imaginer qu'elle puisse rester sagement dans son palais à Ayodhya. Dans la version tamoule qui a été présentée, la réaction qu'a Sita en fait une femme futile, inconsciente des enjeux, capricieuse, reprochant à Rama le peu d'égards qu'il a pour elle. Bref, si j'ignore qu'elle est l'histoire de cette pièce dans le répertoire, la façon d'aborder le thème me déplaît assez franchement, et ce d'autant plus qu'elle va à rebours des approches féministes (cf. un précédent compte-tendu d'un récital de Meenakshi Srinivasan).

Ceci étant dit, la danse expressive de Kalpana est très convaincante. On voit le roi Dasharatha ordonner à Rama de s'en aller (avec son frère Lakshmana). La réaction de Sita à ces propos rapportés est de dire à Rama qu'il a un cœur de pierre et de faire référence à leur mariage (symbolisé semble-t-il par son collier). Elle lui dit en substance : À quoi bon avoir brisé l'arc de Shiva pour obtenir ma main si c'est pour que nous soyons maintenant séparés ?. La danse expressive était vraiment très bien, mais certains détails ont présenté à mon avis quelques imperfections qui sont de nature à brouiller légèrement le propos. Par exemple, le port de tête de Rama n'était peut-être pas tout à fait assez majestueux pour qu'il soit parfaitement reconnaissable quand la danse revient sur l'épisode de l'arc de Shiva. Certaines chorégraphies mettent en scène d'autres prétendants que Rama qui tous échouent. Ils sont tous très nettement caractérisés et on voit immédiatement de qui il s'agit. Dans cette pièce, un seul prétendant a semble-t-il été représenté, mais je n'ai eu la certitude que c'était Rama que lorsqu'il a réussi l'épreuve, alors qu'en principe cela aurait dû être évident, comme quand Gayatri Sriram avait développé cette scène. De même, le nom de Lakshmana est prononcé dans le texte de la composition, mais les personnages de Rama et Lakshmana n'étaient pas suffisamment caractérisés pour que je fusse certain que c'était Lakshmana ou Rama qui était représenté dans la danse à ce moment-là, alors que par exemple quand j'ai eu le privilège d'assister à des répétitions d'une pièce de groupe de disciples de Sucheta Chapekar à Pune, je voyais bien au premier coup d'œil que Yashoda incarnait Rama (merveilleusement bien !) et que c'était Mugdha qui interprétait le rôle de Lakshmana.

Ensuite, j'ai beaucoup aimé l'extrait de Tillana qui a été présenté. Il s'agissait de la partie de danse pure de cette pièce dont je ne crois pas avoir entendu précédemment la composition musicale. Le temps imparti ne permettait malheureusement pas de poursuivre avec la deuxième partie textuelle qui en principe conclut un Tillana.

(En suivant ce lien, vous trouverez des informations sur un récital qui aura lieu le 11 avril et dans lequel se produiront quatre des élèves les plus avancées de Kalpana.)

Mahina Khanum (odissi)
Mahina Khanum (odissi) ©Gaëlle Devulder

Le spectacle s'est conclu magnifiquement par une pièce d'odissi dansée par Mahina Khanum. Cela a été pour moi le point culminant émotionnel de ce festival. Comme elle l'explique dans l'interview qu'elle m'a accordée pour le site-forum Dansomanie, il s'agit d'une chorégraphie de Kelucharan Mohapatra que lui a transmise Madhavi Mudgal à Delhi. La pièce est le dix-septième Ashtapadi Yahi Madhava (करिहरि याहि माधव याहि केशव) extrait du Gîta-Govinda de Jayadeva. Mahina Khanum discute en détail de cette pièce dans la deuxième partie de l'interview citée ci-dessus. Il est extrêmement rare pour moi de connaître autant de détails sur une pièce avant de la voir représentée. J'ai pris beaucoup de plaisir à relire diverses traductions et versions. Dans mon empressement à réserver des livres lors d'une visite à la BnF, je me suis rendu compte en ouvrant l'édition de Henri Quellet que j'avais réservée qu'elle ne contenait que le texte sanskrit (et aussi une précieuse correspondance entre les diverses éditions). Le texte est tellement souple qu'il peut se prêter à de nombreuses interprétations suivant les vers qui sont inclus ou non.

La pièce commence par un long développement mélodique sans paroles. Radha se prépare à accueillir Krishna. Elle se regarde dans un miroir. Son corps est brûlant, elle cherche l'union. Elle dégage ses cheveux pour accrocher des boucles d'oreilles. Cependant, il n'est pas arrivé et quand le texte, Rajani janita... se fait entendre, elle s'endort. Quand elle se réveille, Krishna est là et elle le repousse : Va-t-en, Hari ! Va-t-en ! / Toi dont les yeux sont des lotus, / cours rejoindre la jouvencelle / qui sait si bien guérir / le mal qui Te consume ! (je cite ici la merveilleuse traduction de Jean Varenne aux éditions du Rocher/Unesco ; le texte correspondant à Toi dont les yeux sont des lotus est traduit par Ne me dis plus de paroles friponnes (resp. des mensonges) dans d'autres traductions, et c'est semble-t-il cette idée-là qui était exprimée dans la danse). Dans sa chorégraphie Kelucharan Mohapatra a ajouté une réponse de Krishna aux reproches de Radha. Quand elle observe qu'il a la bouche recouverte de khôl, il répond qu'il a mangé des baies. Quand elle remarque des griffures sur son corps, il prétend s'être écorché en tentant de cueillir une fleur pour orner le chignon de Radha. Tous ces détails étaient magnifiquement représentés dans la danse de Mahina Khanum.

J'ai beaucoup aimé le chant de Kakoli Sengupta et l'accompagnement au sitar par Denis Teste. Cela m'était d'autant plus agréable que le Raga Bhairavi est semble-t-il bien celui que je connais sous le même nom dans la musique dhrupad que je pratique ; il m'a semblé reconnaître des phrases caractéristiques dans le jeu du sitariste. J'ai particulièrement apprécié les moments dans lesquels la pulsation ne s'était pas encore insinuée. J'ai perçu le cycle rythmique utilisé (Yati ou Jati Tala) comme étant à sept temps (équivalent de Tivratal en musique hindustani ou Misra Chapu en musique musique carnatique), mais le percussionniste Alexis Weisgerber m'expliquera ensuite qu'il le concevait plutôt comme un cycle à quatorze temps parce que les phrases de la composition s'étendaient sur 14=7+7 temps.

J'avais déjà eu quelques bonnes expériences avec la danse odissi, notamment avec Arushi Mudgal au Musée Guimet, mais je n'avais jamais été autant ému par une pièce d'odissi avant de voir Mahina Khanum. (D'après mes notes, il semblerait qu'Arushi Mudgal avait alors interprété le même Ashtapadi... Dans le style bharatanatyam, Janaki Rangarajan l'avait aussi interprété il y a quelques mois au Centre Mandapa.)

Après les louanges que j'avais entendues à propos de Mahina Khanum avant de la rencontrer, et après avoir beaucoup apprécié ses réponses à mon interview, la seule chose que je redoutais était l'éventualité d'être déçu par sa danse, mais c'est tout le contraire qui s'est produit ! Ce très beau moment fait remonter singulièrement plus haut le style odissi dans mon estime.

Le lendemain étaient organisés des stages d'initiation d'une heure animés par chacun des interprètes du spectacle de la veille. Si je m'étais réveillé plus tôt, je serais volontiers allé au stage de sattriya, mais je me suis contenté des stages de kuchipudi et d'odissi. Si d'autres hommes étaient présents parmi les stagiaires, ils devaient être bien cachés, puisqu'il m'a semblé qu'il n'y avait que des femmes autour de moi. Certaines ont été très courageuses puisqu'elles ont enchaîné tous les stages (six heures avec une pause d'une heure).

Dans les deux stages auxquels j'ai participé, le cours n'avait sans doute pas la forme qu'aurait un tout premier cours débutant. Il s'est plutôt agi de montrer quelques exercices typiques dans leur diversité et de conclure par une petite esquisse de chorégraphie. Je suis étonné de l'ampleur de tout ce que l'on a pu voir pendant une heure ! Je vais essayer de rendre compte de quelques particularités stylistiques qui m'ont marqué.

Le premier stage auquel j'ai assisté a été celui de Madolika (kuchipudi). Comme un stage de bharatanatyam avait eu lieu précédemment (et dont le professeur Kalpana a fait une excellente impression sur les stagiaires avec qui j'ai discuté), elle a mis l'accent sur les pas qui sont différents de ce style voisin. La position de base est la même que dans le bharatanatyam. En demi-plié, contrairement à ce qu'il m'avait semblé observer chez certains interprètes de kuchipudi, les pieds se touchent presque. La façon de marcher n'est pas exactement celle du bharatanatyam : la manière de transférer le poids du corps vers l'avant est semble-t-il un peu différente.

Surtout, j'ai beaucoup apprécié que parmi les exercices montrés, il y en ait qui mettent en valeur les dégagés. En classique, le dégagé peut être devant, derrière ou à la seconde (sur le côté) ; en kuchipudi, la jambe tendue peut même s'en aller sur le côté opposé ! Pour m'exercer avec la notation Benesh, j'ai essayé de noter quelques uns des exercices montrés. Voici un exercice de dégagé en fondu à la seconde :

Kuchipudi
Exercice de kuchipudi en notation Benesh : dégagé en fondu à la seconde.

En araimandi (demi-plié), on commence par poser le pied droit en demi-pointe derrière l'autre pied, en cinquième (en gros, la pointe du pied droit n'est pas au centre derrière le talon gauche, mais proche du petit orteil gauche...). Sans changer de position, on fait ensuite un petit transfert du poids du corps pour frapper le pied gauche. On frappe de nouveau le pied droit derrière, mais cette fois-ci, le pied droit est derrière le talon gauche (en troisième). Enfin, et c'est là que cela devient intéressant, on effectue une frappe du pied droit en dégageant la jambe gauche sur le côté gauche (à la seconde donc). (Et on recommence la séquence de l'autre côté.)

Après quelques exercices, nous avons esquissé une petite chorégraphie comportant quelques pas, une petite offrande de fleurs et de feu.

J'ai assisté au dernier stage animé par Mahina Khanum qui m'a semblé être une formidable professeure. En tant que spectateur, je pouvais avoir l'impression que la danse odissi, utilisant des mouvements plus lents, était peut-être moins physique que le bharatanatyam, mais c'est peut-être tout le contraire !

Ce qui est particulièrement remarquable, c'est que toutes les positions sont dans une sorte d'entre deux. Mahina Khanum nous a enseigné les deux positions de base. Dans la position Chowk, la plus anguleuse des deux, les pieds sont dans une position intermédiaire entre la première et la seconde position : on est en demi-plié, et les pieds sont écartés, mais pas trop ! La jambe est rarement tendue. Quand on fait une frappe du talon, la jambe reste pliée contrairement à ce qui se pratique dans le bharatanatyam. Les bras sont aussi pliés à angles droits à la hauteur des épaules dans cette position Chowk. Un certain effort est nécessaire aussi pour rentrer les épaules. Cela n'a l'air de rien, mais rester en équilibre dans un demi-plié assez ouvert tout en gardant les bras horizontaux et en faisant travailler les épaules, cela fait dépenser de l'énergie...

L'autre position que nous avons vu est le Tribhang. Les pieds ne sont ni en troisième position ni en quatrième, mais entre les deux. Ils ne se touchent pas, mais ils ne sont pas autant éloignés qu'ils le seraient en quatrième position. Le poids du corps est sur le pied de derrière, l'autre pied étant dix-quinze centimètres devant, les deux talons étant alignés. On est toujours en demi-plié, mais le bassin est penché de façon à relever la hanche de la jambe d'appui. La courbure de la moitié haute du corps compense quelque peu celle du bassin. Partant de cette position, nous avons fait quelques exercices. Un d'entre eux se décrit très bien dans le langage de la danse classique. Supposons que le jambe d'appui soit la gauche. Le pied droit vient frapper derrière en cinquième position, puis monte en retiré tandis que le torse se tourne vers la gauche. Rond de jambe en l'air en dehors (avec la jambe en attitude : décidément, les membres sont toujours pliés !). Développé devant. Retour à la position de retiré et on pose le talon devant avant de recommencer de l'autre côté. (Le fait que le sol du studio de danse fût un peu mou et irrégulier n'aidait pas à rester en équilibre !)

(J'aime vraiment beaucoup la notation Benesh qui est très adaptée pour noter le ballet et le bharatanatyam, mais noter de l'odissi dans ce système me paraît mission impossible ! Je comprends maintenant pourquoi une doctorante sur la danse odissi à qui j'avais posé la question de la notation m'avait dit qu'il y avait eu au moins une tentative, non pas en notation Benesh, mais en notation Laban.)

Nous avons également vu une petite chorégraphie dans laquelle s'insérait certains mouvements techniques que nous avions vu.

Un grand bravo à Mahina Khanum et toutes les personnes qui ont permis à ce festival de voir le jour. J'ai trouvé ce week-end passionnant et très riche en discussions intéressantes !

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Revanta Sarabhai et Pooja Purohit au Centre Mandapa

2015-03-16 13:20+0100 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Centre Mandapa — 2015-03-15

Revanta Sarabhai, Pooja Purohit, bharatanatyam

Ganesh/Kartikeya/Devi/Nataraj Kautwam

Jatiswaram (Raga Mallika, Misra Chapu Tala)

Ashtapadi “संचरदधर

Padam “Maanvizhi Kannavale”

Tillana (Adi Tala)

Out of Bounds

Ce dimanche après-midi, je n'avais a priori prévu que d'aller assister à un concert de musique de chambre de l'Orchestre Colonne, mais l'absence d'entr'acte et de bis a fait que j'ai pu sortir de la Salle Colonne suffisamment tôt pour rejoindre le Cendre Mandapa tout proche afin d'assister à un récital de bharatanatyam de Revanta Sarabhai et de Pooja Purohit.

Revanta Sarabhai est le fils de Mallika Sarabhai et donc aussi petit-fils de Mrinalini Sarabhai, légende vivante du bharatanatyam, qui à 96 ans tient toujours Ask Mrinalini le plus adorable des courriers des lecteurs.

Le danseur est relativement jeune (30 ans). Il présente en compagnie de Pooja Purohit un programme en deux parties. La première est un récital de bharatanatyam relativement étoffé, mais pas un Margam complet puisqu'il manque le Varnam. Après une courte pause, ils présenteront ensuite tous les deux Out of Bounds, une pièce de danse contemporaine très ancrée dans le langage du bharatanatyam.

Les deux interprètes sont très musicaux, mais leur technique n'est pas absolument parfaite ; il leur manque peut-être un tout petit peu de tenue dans les ports de bras pour que je sois complètement convaincu qu'ils sont à 100% dans leur danse. Ce récital m'a néanmoins semblé très intéressant par les innovations qu'il comporte, notamment dans la construction chorégraphique des duos.

Un point technique m'a frappé. Il s'agit peut-être d'une différence d'écoles, mais il m'a semblé que dans la position de base (araimandi, ou demi-plié en première position dans la terminologie du ballet), leurs deux pieds étaient très écartés (plus d'une dizaine de centimètres d'écart) alors qu'en principe, les deux pieds doivent presque se toucher. Je n'avais jusqu'à maintenant vu un tel écartement que chez des interprètes de kuchipudi.

Venons-en maintenant au détail du programme. Pooja Purohit a exécuté un Namaskar présentant des variations intéressantes par rapport aux versions les plus standard de la salutation traditionnelle. Les deux danseurs ont interprété ensuite un quadruple Kautwam. Utilisant une musique vocale mélangeant onomatopées et lignes de texte, ces pièces associent sur un rythme vigoureux la danse pure et l'évocation d'une divinité. Les deux danseurs étaient parfois présents simultanément sur scène, mais ils ont toutefois plus ou moins alterné les rôles. La première divinité représentée a été Ganesh. Est ensuite venu Kartikeya (c'est-à-dire Skanda, Kumara ou encore Murugan, le deuxième fils de Shiva). Il était représenté sur sa monture (le paon délicieusement représenté par le mudra Mayura) ou en dieu de la guerre. Le texte faisait référence à son nom Shanmukha signifiant qu'il a six têtes, mais je n'ai pas identifié ce détail dans la chorégraphie. Dans la troisième partie, il était question de Devi, la Déesse. Elle était représentée sur le tigre, avec le trident et en déesse des arts et de la connaissance (évocation de la parole, du tambour, du tampura). Dans la dernière partie, Revanta Sarabhai représentait Shiva-Nataraja. On y voyait notamment sa monture (le buffle Nandi), son tambour Damaru et le croissant de Lune.

De façon très étonnante, la pièce qui m'a le plus ému a été le Jatiswaram en Raga Mallika et Misra Chapu Tala (chorégraphié par Muthuswamy Pillai). La musique appartient très fortement au répertoire puisqu'il s'agit d'une composition du Tanjore Quartet (cf. cette vidéo d'une autre chorégraphie ; voir aussi cette notation). Décidément, j'aime vraiment beaucoup la danse pure de Muthuswamy Pillai (et de son fils Selvam) ! Quand on exécute des enchaînements rythmiques, on parle souvent de première, deuxième ou troisième vitesse, chacune allant deux fois plus vite que la précédente. Les moments les plus émouvants pour moi dans ce récital et dans cette pièce en particulier ont été ceux dans lesquels on n'était même pas en première vitesse, mais à vitesse zéro ou moins un, si on prolonge convenablement l'échelle logarithmique... Ces mouvements continus des deux danseurs étaient d'une très délectable lenteur !

La chorégraphie la plus innovante du récital est pour moi indiscutablement celle de l'Ashtapadi (extrait du Gita-Govinda). Sauf erreur de ma part, il s'agit du cinquième, intitulé संचरदधर (Sancaradadhara). Radha est jalouse des autres gopis qui batifolent avec Krishna. Radha est interprétée par Pooja Purohit. Alors qu'elle se souvient, Krishna (Revanta Sarabhai) apparaît dans ses pensées. Les jeux amoureux qui suivent sont probablement ceux de Krishna avec quelque rivale de Radha plutôt qu'avec Radha elle-même. Ces espiègles jeux sont tout-à-fait délicieux : Krishna retire le voile de la gopi qu'il l'enroule autour de sa propre tête en imitant une posture féminine, puis la gopi s'empare des ornements de Krishna, notamment sa plume de paon, et même sa flûte ! Ce n'était ni un pas de deux de ballet classique européen ni un duo de tango, mais il y avait néanmoins, chose incroyable, des contacts entre les deux interprètes. Globalement, cet Ashtapadi ne m'a pas semblé bouleversant d'un point de vue émotionnel, mais le travail sur la façon de représenter ces scènes sous la forme d'un duo me semble très intéressant. (Il est à noter que la bande son musicale utilisée possédait ici une saveur d'Inde du Nord. En effet, l'Ashtapadi était interprété comme un Bhajan ou chant dévotionnel, comme on pourrait l'entendre dans un temple, un chanteur accompagné à l'harmonium chantant les strophes qui sont ensuite répétées par un chœur.)

Poursuivant le travail de sa grand-mère Mrinalini Sarabhai qui avait introduit des thèmes contemporains dans ses chorégraphies, la pièce suivante est un Padam autobiographique conçu par Revanta Sarabhai (il est sur YouTube). Il est à Londres séparé de sa bien-aimée. Seul, il travaille sur son ordinateur. Il se souvient d'elle et de sa rencontre au cours d'une soirée arrosée. Il essaye de clavarder avec elle. Il tente de l'appeler par téléphone. Il reçoit une notification d'un email et puis, coup de théâtre, les sonneries se concrétisent en dehors du monde virtuel par le son d'une personne frappant à la porte et la danseuse Pooja Purohit entre par la porte utilisée par les spectateurs du Centre Mandapa pour monter sur la scène afin de conclure ce Padam qui, très logiquement, s'enchaîne joyeusement sur un Tillana (Adi Tala) faisant référence à Krishna. La présence de deux interprètes était utilisée de façon intéressante dans des jeux rythmiques au cours de ce Tillana (qui est peut-être le Tillana en Raga Dhanashri dont on peut voir une autre chorégraphie intéressante sur cette vidéo).

Après une pause, les danseurs interprètent Out of Bounds, chorégraphié par Revanta Sarabhai. Les deux danseurs ont abandonné le costume de bharatanatyam pour un pantalon et un haut. Ils sont pieds nus et ne portent pas de grelots de chevilles. La musique de cette pièce (qui doit comporter à peu près cinq parties enchaînées) est strictement rythmique. Les mouvements de base sont ceux de la danse bharatanatyam ; il y avait aussi de l'art martial kalarippayatt, mais j'y ai moins fait attention : j'ai plutôt vu ces mouvements-là comme des exercices d'assouplissement dans le prolongement de la danse. Dans la première section, des métronomes battent une mesure à six temps. Dans chacune des mesures, les danseurs exécutent des adavus ou d'autres unités chorégraphiques. J'y vois comme une déconstruction d'un Alarippu. La deuxième section est centrée sur les Tirmanams : on entend sans cesse les bols Tarikitatom. La troisième section (à quatre temps) est pour moi la plus saisissante. La danseuse Pooja Purohit est allongée par terre et exécute les gestes de bras correspondant aux Tatta Kudichi Metta Adavus (aussi appelés Kuttadavus dans certaines écoles). Sa tête est du côté des spectateurs, ce qui devient d'autant plus intéressant lorsque Revanta Sarabhai vient la retourner à des moments appropriés pour ne pas gêner ses mouvements de bras. Sauf erreur dans mes succintes notes, la quatrième section utilisait des onomatopées rythmiques complexes (comme dans un jati) et la cinquième utilisait une pulsation à quatre temps.

Dans son genre, cette pièce Out of Bounds m'a semblée très convaincante. Puisqu'il s'agit essentiellement de danse pure, ce n'est pas ce qui m'attire le plus dans la danse, mais il y a là une recherche chorégraphique très intéressante. J'ai eu l'occasion de voir d'autres tentatives de rapprocher le bharatanatyam et la danse contemporaine. J'ai trouvé Out of Bounds infiniment plus passionnant que la tentative d'Anita Ratnam (Neelam : mon billet d'alors n'est pas très glorieux, mais ce spectacle m'avait vraiment beaucoup agacé !). Je ne sais pas si Out of Bounds passerait à l'échelle dans une salle plus grande ou sur un format plus long, mais cela se compare aussi assez favorablement à mon goût avec les expérimentations intéressantes de Leela Samson et de sa troupe Spanda dans Disha.

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Sandhya Raju au Musée Guimet

2015-02-22 15:39+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Auditorium du Musée Guimet — 2015-02-20

Sandhya Raju, kuchipudi

Padma Bhushan Vempati Chinna Satyam, chorégraphies

Jaikishore Mosalikanti, nattuvangam, chant, chorégraphie du Saraswathi Stuthi

Muthukumar Balakrishnan, flûte

Guru Bharadwaaj Gongala Venkata, mridangam

Sylvie Le Secq, voix off

Prière chantée à Balatripurasundari

Saraswati Stuthi

Ramayana Shabdam (Adi Tala)

Kulukaga Nadavaru (Adi Tala), kirtan composé par Annamacharya

Govardhana Giridhara (Adi Tala), Tarangam composé par Narayana Tirtha

Le style de danse kuchipudi est très peu présent en France. La dernière fois que j'en avais vu à Paris remonte à 2010. J'étais donc particulièrement intéressé par le récital de Sandhya Raju programmé à l'auditorium du Musée Guimet. Le texte de présentation du Musée Guimet en fait étrangement une disciple de Vempati Pedda Satyam, lequel était déjà décédé quand elle est née. Comme toutes les autres grandes interprètes de kuchipudi que j'ai vues (Deepika Potarazu, Radha Prasanna et bien sûr Shantala Shivalingappa que j'ai vue danser du kuchipudi en 2007/2008, 2010, 2013), Sandhya Raju est une représentante du style de Vempati Chinna Satyam (1929-2012) dont elle a été la disciple directe avant de poursuivre son apprentissage auprès de Jaikishore Mosalikanti, un disciple plus avancé de Vempati Chinna Satyam.

Le récital qui a duré un peu moins d'une heure et demie m'a semblé excellent. L'atmosphère résolument joyeuse du style kuchipudi peut surprendre par rapport au bharatanatyam qui est plus introspectif, mais la danseuse me semble avoir de grandes qualités en danse pure et en mime.

Contrairement à ce qui était annoncé, le récital n'est pas centré sur Shiva. Plutôt que de présenter ses propres chorégraphies comme elle l'a fait cette année au festival de la Music Academy (cf. ce compte-rendu dans The Hindu), elle a interprété des chorégraphies de ses maîtres. Ainsi, toutes les pièces sauf la première étaient de Vempati Chinna Satyam.

Avant d'aborder le détail du programme, je voudrais décrire quelques aspects stylistiques observés dans le récital de Sandhya Raju qui me semblent distinguer le kuchipudi du style bharatanatyam ; n'ayant vu pour ainsi dire que des interprètes de la lignée de Vempati Chinna Satyam, ces remarques ne vallent peut-être pas pour les autres écoles. Les entrées en scène ne se font pas par le côté cour, mais par le côté jardin (le côté où s'installent les musiciens). À de nombreuses reprises, la danseuse fait du lip sync, bougeant ses lèvres comme si elle articulait le texte. Dans la position assise (demi-plié, ou araimandi), les pieds sont semble-t-il plus écartés que dans le bharatanatyam, mais en fait, dans les chorégraphies présentées dans ce récital, cette position (plus ou moins l'équivalent de la première position du ballet) est très fugitive : la danse ne s'appuie pas sur cette position puisqu'elle n'apparaît pour ainsi dire que comme un état transitoire dans des enchaînements.

Un élément plus visible est la présence de dégagés (ou tendus) : il s'agit de tendre une jambe vers l'avant, l'arrière ou le côté, la pointe du pied venant toucher le sol. Ces mouvements me semblent assez peu présents dans le bharatanatyam (à l'exception notable des chorégraphies de Selvam, fils de Muthuswamy Pillai, qui insère très élégamment ce type de mouvements dans la danse pure). De façon étonnamment intéressante, dans les chorégraphies de kuchipudi qu'elle a interprétées, Sandhya Raju a très souvent fait des tendus sur le côté opposé : si c'est la jambe droite qui est tendue, la pointe du pied droit ne s'en va pas du côté droit, mais à gauche, et pas qu'à moitié ! (Si ma description n'est pas claire, regardez le début de cette vidéo Krishna Shabdam.)

Aucune des pièces présentées n'était de danse pure. Toutes les pièces avaient un contenu mythologique ou épique et la danse pure alternait avec les passages narratifs ou évocateurs. La façon de traiter les thèmes était plus légère, moins introspective qu'on ne peut le voir dans certains récitals de bharatanatyam. Toutes les pièces étaient présentées avec une certaine fraîcheur et une joie évidente de danser. Certains aspects rythmiques soulignaient le côté espiègle de la danse pure. Ainsi, si dans le bharatanatyam, il est courant de voir des séquences semblables exécutées à différentes vitesses à l'échelle d'une pièce toute entière, certains passages de danse pure présentées par la danseuse ont comporté des séquences dans lesquelles les mêmes mouvements étaient répétés immédiatement en vitesse double ou quadruple, le tout tenant dans un seul cycle rythmique, l'unité chorégraphique ainsi constituée pouvant être répétée ensuite de l'autre côté. La façon de découper en petits morceaux des enchaînements (adavus) et de les réagencer pour constituer une chorégraphie me semble donc assez différente de ce que l'on peut observer dans le bharatanatyam. Par ailleurs, peut-être n'ai-je pas suffisamment fait attention à ce détail en assistant à ce récital, mais il m'a semblé que les chorégraphies ont comporté moins de sauts que d'ordinaire dans le kuchipudi.

Enfin, une des magnifiques caractéristiques du kuchipudi réside dans les majestueuses pirouettes accompagnées d'élégants ronds de jambe.

Venons-en maintenant au détail des pièces du récital qui a commencé par une prière chantée à Balatripurasundari par Jaikishore Mosalikanti. Le maître de danse est un excellent chanteur. Chacune des pièces a été précédée d'un Alap du flûtiste.

Le première pièce dansée est un Saraswathi Stuthi, en l'honneur de la déesse de la connaissance. Elle est me semble-t-il nommée Vani dans le texte de la composition (qui a comporté des jatis et un Swaram). La Déesse est représentée jouant de la vînâ et portant très gracieusement le sari. La chorégraphie représente également la connaissance et l'écriture ; la présence d'un paon à ses côtés est mise en valeur. Quand le texte évoque Brahma, Vishnu et Shiva, la danseuse représente Vishnu-Padmanabha (couché sur le serpent Shesha) ainsi que Shiva ; les répétitions du texte lui ont permis de proposer diverses variations.

La première pièce dansée était de Jaikishore Mosalikanti. Les trois autres seront de Vempati Chinna Satyam. Le première de ces trois autres pièces est le délicieux Ramayana Shabdam racontant l'épopée du Ramayana en moins d'une dizaine de minutes ! La première strophe du texte Dasharatha Vara Kumara (?)... évoque Rama comme étant le fils de Dasharatha. La chorégraphie s'attarde assez longuement sur cette première ligne, et puis tout s'accélère. Il est question de sa mère Kausalya, et puis très vite, on est dans la forêt, et on voit l'antilope magique à cause de qui Sita sera enlevée, puis le vautour Jatayu qui racontera ce qui s'est passé à Rama. Rama rencontre ensuite Hanuman, puis on le voit semble-t-il tuer le frère de Sugriva avec qui il vient de faire alliance, et puis les singes jettent des pierres pour construire un pont vers Lanka où la guerre s'annonce avec Ravana, le démon à dix têtes. (J'ai sans doute raté quelques épisodes tant ils défilent vite.) La fin de cette pièce très vive comporte un petit jeu de questions et réponses rythmiques entre les cymbales et la danseuse, qui vers la fin semble tenir entre ses doigts de pieds un plateau en laiton imaginaire...

La pièce suivante me semble représenter la quintessence du côté espiègle du kuchipudi. La pièce utilise une musique très ancienne d'Annamacharya (qui au XVe aurait été un des premiers compositeurs de kirtans, la forme musicale privilégiée dans la musique carnatique). La danseuse commence par faire plusieurs allers-retours d'un côté de la scène à l'autre en imitant la course des hommes portant en palanquin la déesse Padmavati. Ils font preuve de trop de zèle et leur course effrénée secoue quelque peu la déesse à bord du palanquin et ses parures se mettent à tomber. Une dévôte intervient en les suppliant de ralentir leur démarche.

La pièce se poursuit par l'évocation de la déesse Padmavati et des offrandes de fleurs qui lui sont adressées. (Point technique : la déesse est représentée ici avec les combinaisons suivantes de mudras : Alapadma-Kapitta.). Le nom Padmavati renvoie peut-être à l'épithète Padmanabha de Vishnu dont elle est l'épouse. Vishnu est en effet représenté couché sur le serpent Shesha et on voit Lakshmi lui masser les pieds. Le texte utilise le nom de Venkateshwar pour désigner Vishnu (c'est le nom de la divinité résidant à Tirupati) et la chorégraphie le représente aussi portant la conque et le disque. La pièce se finit délicieusement comme elle a commencé par la course du palanquin.

La pièce principale du récital à été un Tarangam intitulé Govardhana Giridhara composé par Narayana Tirtha (fin XVIIe-début XVIIIe). Les trois thèmes narratifs tirés du Bhagavata-Purana apparaissant dans ce Tarangam sont récurrents dans les danses classiques indiennes, mais ils ont pris dans cette pièce une forme très élaborée qui a comporté des détails que je n'avais jamais vus. Les thèmes illustrent tous l'espièglerie du jeune Krishna et beaucoup des détails d'interprétation renforcent encore davantage l'atmosphère délicieusement joyeuse et légère de ce récital de kuchipudi.

La toute première image de la pièce est celle du jeune Krishna devant sauter pour attraper le pot de beurre que sa mère adoptive Yashoda avait accroché en hauteur. La pièce développe ensuite ce thème narratif. Krishna accompagne Yashoda alors qu'elle va traire ses vaches. Elle lui dit de surveiller le récipient dans lequel elle verse le lait, mais évidemment, Krishna (qui est caractérisé par sa flûte) salive et boit tout le lait. Sa mère est colère, mais elle finit par pardonner l'enfant. Parmi les détails que je n'avais encore jamais vus, j'ai apprécié la façon de mettre en scène la traite des vaches par Yashoda. Ses gestes de haut en bas des deux mains utilisant la forme féminine du mudra Katakamukha imitaient les gestes de la traite, et ces gestes étaient délicieusement synchronisés avec le rythme de la musique.

Dans le deuxième épisode, des villageoises parties remplir des cruches d'eau ne résistent pas à l'idée de se baigner dans la rivière. La danseuse incarne alors une de ces villageoises qui enlève ses boucles d'oreilles, son collier, son bijou de nez, les bracelets qu'elle porte aux poignets et aux chevilles. Elle défait son sari, puis ses cheveux, s'enduit d'onguents, s'asperge prudemment d'eau avant de se jouer joyeusement dans l'eau avec ses amies. Krishna aperçoit la scène de loin et s'empare de leurs vêtements qu'il accroche à un arbre. Après son bain, la jeune femme se sèche les cheveux et entend le son de la flûte de Krishna. Humiliée, elle ne peut qu'accéder à la demande de Krishna et elle sort honteusement de l'eau en levant les bras au-dessus de sa tête. Enfin, elle peut remettre rapidement ses habits, ses bijoux, placer sa cruche d'eau sur sa tête et s'en aller.

La chorégraphie avait déjà fait des allusions au titre Govardhana Giridhara de la composition quand ce texte avait été prononcé, mais ce thème n'est développé que dans la troisième partie de ce Tarangam. Les dimensions de la narration de cet exploit de Krishna sont pour moi inédites. La chorégraphie commence par représenter Nanda, le père adoptif de Krishna, qui s'inquiète de la sécheresse qui fait des ravages dans les troupeaux et les cultures. Il est décidé que le village de Vrindavan adressera des prières ou sacrifices à Indra, le dieu responsable de la pluie. Krishna (toujours représenté en flûtiste) intervient et dit aux villageois qu'au lieu d'adresser leurs prières à Indra, ils devraient honorer le mont Govardhana. Indra arrive sur son char céleste (tiré semble-t-il par le cheval Uccaihshravas). Il observe les villageois et se met en colère quand il comprend que ce n'est pas à lui qu'ils rendent hommage. Le dieu des nuées déclenche un terrible orage qui plonge les villageois dans le désespoir. Ceux-ci semblent comprendre que Krishna est Vishnu (mudra Tripataka). Krishna enfonce ses deux mains sous le mont Govardhana qu'il soulève et qu'il dépose sur son petit doigt (la main représentant le mont est en Alapadma et la main soulevant le mont est dans un mudra dont j'ignore le nom, s'il en a un, mais qui semble dérivé de Katakamukha, l'annulaire venant rejoindre l'index et le majeur en face du pouce, le doigt restant, l'auriculaire, étant dressé). Cet exploit de Krishna provoque la joie des villageois qui peuvent s'abriter des pluies diluviennes. La chorégraphie met encore en valeur le fait que Krishna est Vishnu (à la conque et au disque), celui qui est couché sur le serpent Shesha.

À la fin du Tarangam, la danseuse a exécuté un numéro de danse pure sur un plateau en laiton. Il s'agit d'une des caractéristiques du kuchipudi. (Je n'en ai jamais été témoin directement, mais son côté rustique est parfois augmenté par l'ajout d'un pot rempli d'eau placé sur la tête de la danseuse !) La danseuse pince les bords du plateau avec ses doigts de pieds et en faisant des mouvements de pieds appropriés, elle peut se déplacer sur scène ou tourner sur elle-même. Un jeu de questions et réponses s'instaure entre le nattuvangam et la danseuse. (Il serait intéressant de savoir si cette section est 100% répétée ou s'il y a une part d'improvisation.) Le nattuvanar dicte une séquence que la danseuse exécute immédiatement ensuite avec des mouvements de pieds et des bras. Les premières séquences s'étendent sur deux cycles rythmiques. La danse se fait de plus en plus exaltée au fur et à mesure que la durée des séquences est réduite progressivement, et après un certain nombre de divisions par deux, cela ne dure plus qu'un seul temps d'Adi Tala. (J'apprécie particulièrement ce type de questions et réponses que l'on trouve aussi entre percusionnistes à la fin de récitals de musique carnatique.)

Il est à signaler que les annonces faites en voix off avant chacune des pièces étaient très pertinentes et à mon avis de nature à faire apprécier le récital au plus large public. Par son côté résolument joyeux, la forme du kuchipudi me semble plus facile d'accès que le bharatanatyam (pour lequel je garde personnellement une préférence). Il est dommage que ce style ne soit pas davantage représenté à Paris : sans introduire de rivalités entre les différents styles, cela pourrait peut-être contribuer au contraire à élargir l'audience des autres styles classiques du Sud de l'Inde.

(Pour découvrir quelques repères historiques à propos de la danse kuchipudi, je recommande vivement cet article de la critique de danse Marina Harss fait à l'occasion d'un portrait de Shantala Shivalingappa.)

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Hiruthiga Vigithan au Centre Mandapa

2015-10-17 22:08+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Centre Mandapa — 2015-09-22

Hiruthiga Vigithan, bharatanatyam

Pushpanjali

Arbhuda Nartanam

Odiva

Jagan Mohanane Krishna (Adi Tala)

Baranam Ayeram

Javali “Yera Rara...” (Adi Tala)

Thillana

Dans la danse bharatanatyam, le style de l'école Kalakshetra (Chennai) n'est certainement pas celui que je préfère. Quelques aspects de la danse pure de ce style me gênent, mais ce n'est pas le plus grand reproche que je ferais à cette école : le problème principal que j'ai avec les danseurs qui y ont été formés réside dans l'absence d'émotions et le profond ennui que m'inspire souvent leur interprétation des poèmes dansés. Je n'en suis pas arrivé au point de boycotter les danseurs issus de cette école, mais je dois avouer que c'est toujours avec une curiosité quelque peu malsaine que je me confronte en tant que spectateur à ce style ; ce fut le cas pour le premier récital au Centre Mandapa de Hiruthiga Vigithan. Je n'aurai malheureusement pas beaucoup de choses positives à dire à propos de ce spectacle...

La structure du récital est particulière puisqu'à l'exception du Tillana il n'a pour ainsi dire pas comporté de danse pure. J'aurais aimé qu'il y eût une autre pièce de danse pure, que ce soit un Jatiswaram ou un Alarippu. J'aurais particulièrement apprécié de voir un Alarippu dans le style Kalakshetra pour voir dans quelle mesure sont répandus certains détails qui m'ont étonné chez d'autres interprètes... Il n'y aura pas non plus de Varnam.

La technique de la danseuse souffre d'un certain nombre de problèmes. Il faut certes féliciter la danseuse pour sa capacité à proposer un programme complet d'un peu plus d'une heure qui tienne à peu près la route. Ceci étant dit, je ne pense pas que le stress soit l'unique responsable de certaines faiblesses dans sa danse pure. Le plus choquant m'a semblé résider dans ses Ta-tai-tai-ta/Dhit-tai-tai-ta. Cet enchaînement de pas apparaissait souvent dans les poèmes dansés. La façon de l'exécuter varie beaucoup d'une école de bharatanatyam à une autre, mais ce sujet ayant été traité lors d'un workshop de C. V. Chandrasekar auquel j'ai participé récemment, je crois pouvoir dire que la façon de faire de la danseuse est très problématique. Cet enchaînement commence par une frappe sur place suivi d'un pas sur le côté. De façon systématique, la danseuse frappait sur le côté, puis faisait la deuxième frappe à peu près au même endroit avant de continuer l'enchaînement. À ce niveau, il me semble insensé qu'aucun professeur n'ait réussi à corriger ce défaut.

Le récital commence par un Pushpanjali suivi d'une évocation de Shiva qui porte le feu et une antilope, possède une chevelure hirsute, est couvert de cendres et chevauche le buffle Nandi. Il avait été annoncé qu'il y aurait aussi une évocation de la forme androgyne Ardhanarishwara, mais je ne l'ai pas remarquée, ce qui est très étonnant...

La pièce suivante évoque Ganesh et fait référence aux trois dieux Brahma, Vishnu et Shiva. Les positions de mains manquent à mon goût de fluidité. La main qui suggère la trompe du dieu à tête d'éléphant est un peu trop raide pour que l'on puisse vraiment y croire.

Le poème suivant Odiva est censé représenter l'amour maternal de Yashoda pour son fils adoptif Krishna. Dans l'Anupallavi, la chorégraphie le représente en bouvier. Dans la suite du poème, il me semble qu'un épisode fameux est représenté dans lequel Krishna mange de la terre : Yashoda le gronde, mais quand Krishna ouvre la bouche, elle s'émerveille en voyant apparaître le monde entier entre les lèvres de cet enfant. Certains détails me donnent la quasi-certitude que c'est bien l'épisode que voulait représenter la danseuse, mais le problème est que je n'en suis pas certain tant le personnage de Yashoda m'a semblé effacé dans son interprétation. Le moment où elle s'émerveille de sa vision m'a paru d'une telle froideur que je doute encore de l'intention de l'interprète. Si je n'avais pas déjà vu cet épisode dans d'autres interprétations, je n'aurais tout simplement rien compris... À la fin de la pièce, la chorégraphie évoque un autre exploit de Krishna : il souleva le mont Govardhana pour abriter les villageois des pluies torrentielles déclenchées par Indra.

Le poème suivant Jagan Mohanane Krishna (de Purandaradasa) évoque encore Krishna qui est représenté en flûtiste portant une plume de paon sur la tête (l'orientation de la main en Mayura représentant cette plume m'a semblé étrange). La pièce rend hommage à Krishna en évoquant les divers avatars de Vishnu. Il m'a semblé reconnaître Matsya (le Poisson), Kurma (la Tortue qui soulève le mont Mandara pendant le barratage de la Mer de lait), Vamana (le Nain), Parashurama (Rama à la Hache, destructeur des Kshatriyas), Rama et Kalki. Le moment où le Nain Vamana parcourt l'Univers tout entier en trois pas m'a semblé totalement non spectaculaire, au point que je doutais de ce que je voyais, tout comme dans la pièce précédente.

De manière générale, certains mouvements de la danseuse manquent de fluidité et de naturel : ils paraissent obligés. Tel pied monte au niveau de l'autre genou (en retiré), parce que c'est dans la chorégraphie, mais cela semble être la seule raison. La danseuse semble trop souvent exécuter la chorégraphie bien davantage qu'elle ne l'interprète. Elle semble trop préoccupée par les rendez-vous rythmiques à ne pas rater, au point de ne pas finir convenablement ses mouvements du haut du corps. Par exemple, quand elle évoque Vishnu, on a à peine le temps de voir ses deux mains se mettre devant au centre et elles ne sont pas encore en Tripataka que la danseuse est déjà passée à autre chose. Si les frappes de pieds se doivent d'être rythmiquement précises, une telle rigidité ne me semble pas exigée dans les mouvements expressifs du haut du corps. En l'état, le message était brouillé.

La pièce suivante Baranam Ayeram évoque Andal, une poétesse tamoule qui s'imagine fiancée à Vishnu.

L'avant-dernière pièce du récital est un Javali dans lequel l'héroïne demande à son amoureux de venir et de panser les blessures provoquées par les flèches du dieu Kama. Cette pièce n'avait pas à mon avis l'atmosphère joyeusement espiègle que se doivent d'avoir les Javali. Les caractéristiques que je n'apprécie pas dans le style Kalakshetra se retrouvent dans cette pièce. La première ligne de la composition est répétée de nombreuses fois, mais la chorégraphie ne comporte pas assez d'élaboration à mon goût : tout reste extrêmement littéral et répétitif. Par exemple, la chorégraphie a été répétée à l'identique lors des trois premières répétitions de la première ligne. La danseuse propose ensuite une variation, qui est répétée elle-même plusieurs fois, etc. Au minimum, il serait intéressant de varier un peu le placement ou de changer de côté. Quand une même séquence est répétée trois fois de suite avec une utilisation rigoureusement identique de l'espace scénique, forcément, je m'ennuye un peu... Vers la fin de la chorégraphie, la danseuse semblait consacrer quelques efforts pour que certains pas tombent en des endroits précis du cycle (sans que la composition chantée n'offre de repère évident), mais ces efforts étaient mal récompensés puisque l'exécution de ces pas allait à mon avis contre la musique, et une posture qui aurait dû paraître espiègle et décontractée paraissait au contraire crispée.

Le récital s'est conclu sur un Tillana que j'ai déjà entendu de nombreuses fois, mais je ne saurais dire dans quel raga il était. La chorégraphie évoque des instruments de musique comme le tampura, la vînâ ou la flûte. La danseuse n'avait jusque là pour ainsi dire pas exécuté de tarikitatom, ce mouvement complexe des bras (qui rappellent les mouvements de la nage crawl). La trajectoire de la main de la danseuse m'a semblée très étrange, plus curieuse encore que pour d'autres danseurs formés à Kalakshetra. Alors que je me suis lamenté du caractère littéral des chorégraphies présentées dans ce récital, dans celle-ci, j'ai été déçu par le fait que le mot Padmanabha du texte n'ait pas été accompagnée de la posture caractéristique correspondante : à chaque fois, c'était d'une autre manière qu'était évoqué Vishnu... Contrastant avec l'ensemble du récital, la salutation finale m'a semblée très élégamment exécutée.

On l'aura compris, ce n'est pas le récital de bharatanatyam le plus satisfaisant auquel j'aie eu l'occasion d'assister au Centre Mandapa.

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Vidhya Subramanian au Musée Guimet

2014-12-14 15:40+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Auditorium du Musée Guimet — 2014-12-06

Vidhya Subramanian, bharatanatyam

Arun Gopinath, chant

Venkatakrishnan Mahalingam, nattuvangam

Karthikeyan Ramanathan, mridangam

Easwar Ramakrishnan, violon

Kalpana Métayer, voix off

Invocation de Ganesh “Giriraja Suta” (Adi Tala), composé par Tyagaraja

Pushpanjali (Adi Tala), composé par Madurai Muralidharan

Shambhu Natanam (Khanda Chapu Tala)

Varnam (Raga Karaharapriya, Adi Tala)

Ashtapadi (Raga Shuddha Sarang, Misra Chapu Tala)

Surdas Bhajan “मैया मोरी मैं नहिं माखन खायो (Adi Tala)

Tillana (Raga Amritavarshini, Adi Tala)

Shloka (Khanda Chapu Tala)

Pendant mon dernier voyage en Inde, j'ai beaucoup pratiqué le bharatanatyam à Kolkata, Delhi et enfin à Pune chez Sucheta Chapekar. La concentration du calendrier des spectacles de danses indiennes à Paris en cette saison a fait que depuis mon retour, j'ai assisté à une belle série de spectacles de danses indiennes (Camille, Janaki Rangarajan, Lingaraj & Sunjakta Pradhan, Meenakshi Srinivasan, Indira Kadambi, Ofra Hoffman, Gayatri Sriram), mais il n'y en aura sans doute plus beaucoup avant un certain temps. Cette série vient en effet de se terminer en feu d'artifice avec les deux récitals de Vidhya Subramanian au Musée Guimet. Si j'ai eu quelques réserves sur la représentation du vendredi, celle du samedi m'a transporté comme rarement : on était tout près des cimes que seule Rama Vaidyanathan m'avait fait connaître.

Musiciens lors du récital de Vidhya Subramanian
Karthikeyan Ramanathan (mridangam), Venkatakrishnan Mahalingam (nattuvangam), Arun Gopinath (chant), Easwar Ramakrishnan (violon)
(Merci à Morgane pour les photos et à Kalpana pour l'autorisation de les utiliser ici.)

Après être arrivés sur scène, les musiciens effectuent quelques rituels. Un d'entre eux semble prier intérieurement. Le chanteur se tourne vers ses voisins et touche les cymbales et le bois du violon. Les deux récitals ont commencé par un solo méditatif de l'excellent violoniste Easwar Ramakrishnan et après quelques vocalises dans les graves, Arun Gopinath a chanté une invocation de Ganesh, le fils de Parvati, intitulée Giriraja Suta et qui porte la signature du compositeur Tyagaraja. J'apprécie immédiatemnet la manière dont ce chanteur clappe très régulièrement le Tala (Adi). Plus loin dans le récital, dès que j'aurai un doute, il me suffira d'un coup d'œil dans sa direction pour savoir où l'on en est dans le cycle rythmique.

Il est à noter que pendant cette prière à Ganesh, il était possible d'entendre tinter les grelots de chevilles de la danseuse qui finissait de s'échauffer en coulisses ; cet accompagnement musical inattendu était d'autant plus délicieux que les frappes de pieds tombaient sur les temps du cycle rythmique.

La première pièce dansée Pushpanjali commence par une magnifique introduction mélodique du violoniste. Il gardera ce rôle lors des pièces suivantes du récital alors que cette fonction est en général partagée entre le chanteur et le violoniste. Si j'ai apprécié le chant d'Arun Gopinath, il n'a pas gratifié les auditeurs d'Alap méditatifs comme l'avait fait récemment K. Hariprasad. Toutefois, les musiciens m'ont semblé particulièrement inspirés lors de la deuxième représentation et ils manifestaient alors un plaisir évident à jouer ensemble pour accompagner la danseuse.

Venons-en maintenant à la danse interprétée par Vidhya Subramanian dans son costume orange. La première pièce Pushpanjali n'est à mon avis pas la plus intéressante du programme. La chorégraphie intègre quelques jeux de questions et réponses avec les percussions à l'échelle d'un cycle rythmique, ce qui à tout pour me plaire. Elle comporte aussi des enchaînements (adavus) très standards et on voit aussi de façon intéressante la danseuse délimiter l'espace scénique. La danseuse insère parfois des séquences de frappes de pieds extrêmement rapides. S'il s'agit essentiellement d'une pièce de danse pure, l'émotion exprimée est celle de la joie procurée par la prière.

Le Pushpanjali s'enchaîne avec une prière dédiée à Shiva utilisant très logiquement un cycle à cinq temps (Khanda Chapu). Le texte et la chorégraphie évoquent divers noms de Shiva : Rudra, Nilakantha, Mahadeva. J'apprécie tout particulièrement l'évocation du nom de Nilakantha, Shiva étant représenté en train de boire le poison. Il est aussi représenté avec la Lune dans les cheveux, les cendres, le tambour Damaru, le troisième œil, Ganga, le lingam, etc. Il est aussi semble-t-il montré en destructeur de Tripura, ce qui est plus rare. Le tempo de la pièce a été apparemment doublé subitement au cours de la pièce. Le rythme à cinq temps dont les premier, troisième et quatrième temps étaient marqués était lancé à un tempo raisonnable (×‒××‒) et puis on est passé en vitesse double avec seulement les premier et troisième temps marqués (×‒×‒‒). Vers la fin de la pièce, la danseuse prendra la pose Shiva-Nataraja tandis que le texte nomme la ville de Chidambaram où il réside.

On entre ensuite dans le vif du sujet avec un Varnam dédié à Shiva. La forme du Varnam suit très fidèlement la tradition. La danseuse s'est en effet concentrée sur les sentiments de l'héroïne contrairement à Gayatri Sriram et Meenakshi Srinivasan qui avaient récemment élaboré de longs passages narratifs dans leurs Varnam.

Lorsque les lumières éclairent la scène au début de ce Varnam, l'héroïne reconnaissable à sa posture féminine apparaît au fond de la scène. Alors que les transitions avec les passages rythmiques (jatis) me paraissent toujours incongrues, surtout au début des Varnam, je n'ai nullement été gêné ici puisque pendant les jatis de Vidhya Subramanian, la danse se fait certes plus libre, mais on ne perd jamais de vue les personnages et les sentiments de l'héroïne. Celle-ci désire s'unir au seigneur de la montagne, celui dont les cheveux sont emmêlés et qui porte une peau de tigre et une peau d'antilope. Le feu de l'amour brûle déjà en elle quand, après un premier jati un peu compliqué rythmiquement, le dieu de l'Amour, Kama intervient. Curieusement, il semble que Kama conduise un char tiré par un cheval alors que l'iconographie le représente habituellement sur un perroquet. La première flèche attaque le goût de l'héroïne qui ne peut plus apprécier la moindre nourriture. Kama ne semble pas utiliser son arc pour la deuxième flèche : il la jette avec la main et elle attaque les yeux de l'héroïne qui dormait et dont le sommeil sera troublé. La troisième attaque son sens du toucher et sa peau se met à brûler d'amour. Elle est sonnée, comme intoxiquée, par la quatrième. La cinquième flèche l'achève. Après une récapitulation de la scène qui vient d'être représentée, un nouveau passage rythmique intervient et celui-ci comporte des variations dans les subdivisions du cycle rythmique : une section avec trois subdivisions plutôt que quatre. Dans ce jati, l'héroïne est représentée heureuse de son amour pour Shiva et même un peu fière d'éprouver ce sentiment.

Cet amour prend ensuite une forme religieuse, l'héroïne se prosternant et effectuant une offrande de feu (aarti) devant la divinité. Le plateau utilisé dans ce rituel n'est pas représenté avec la main à plat (Pataka), mais en Alapadma (fleur de lotus épanouie). Une autre subtile variation avec les codes habituels apparaîtra plus loin quand sera semble-t-il représenté le lingam de Shiva : la main droite pouce tendu (Shikhara) étant posée sur une main gauche qui n'est pas à plat mais en Alapadma. (Pardon pour ces détails techniques, mais je rédige ces billets d'abord pour moi afin de garder une mémoire de ce que j'ai vu...)

Shiva paraît alors et se met à danser superbement en agitant le tambour Damaru. L'héroïne est très émue par cette vision. On arrive au point culminant de ce Varnam. Le sublime Jati qui suit représente alternativement les deux personnages : Shiva et l'héroïne.

L'héroïne veut s'unir à lui. Elle l'implore, elle veut qu'il lui parle. Alors qu'elle se maquille, elle pense à lui. Quand elle pose son tillaka sur le front, elle pense à son troisième œil. Quand elle passe ses bracelets qui tintent, elle pense aux serpents qui ornent le corps de Shiva et qui sont aussi susceptibles de les entourer tous les deux quand leurs corps sont enlacés.

La musique se fait alors plus légère et la joyeuse héroïne presque coquine. La frontière entre les passages narratifs et les passages rythmiques devient plus mince dans la mesure où les jatis sont désormais accompagnés par des notes solfiées (Swara) plutôt que par des onomatopées rythmiques. L'héroïne demande à son amie si elle doit craindre les commérages à propos de son aventure avec le Seigneur de la danse. Après une récapitulation des épisodes précédents, le Varnam se terminera espièglement par la décision de l'héroïne de ne pas avoir honte et d'enlever son voile.

Après le Varnam, la danseuse a interprété le Sixième Ashtapadi extrait du Gita-Govinda de Jayadeva exaltant l'amour entre Radha et Krishna. Il s'agit d'une pièce tout simplement extraordinaire, de celles que l'on oublie pas. Je ne pourrais la comparer à aucune autre que j'aie vue. Jamais au cours d'une pièce de bharatanatyam je n'avais eu un tel sentiment d'être plongé dans une rêverie, un temps suspendu. Radha est représentée alors qu'elle médite, revoyant en flash-back sa première rencontre amoureuse avec Krishna qu'elle raconte à son amie :

Vidhya SubramanianNotation Benesh
Vidhya Subramanian dans le Sixième Ashtapadi “Sakhi He”

(Comme je viens tout juste de commencer le cours à distance du Benesh Institute de la Royal Academy of Dance, je n'ai pas résisté à la tentation d'essayer de noter cette position en notation Benesh.)

Pour maintenir l'atmosphère poétique de rêverie, la danseuse a très judicieusement choisi de n'illustrer que les trois ou quatre premiers vers de l'Ashtapadi et plutôt que d'autres versions existantes qui auraient sans doute cassé l'atmosphère, le choix s'est porté sur une composition méditative utilisant le raga hindustani Shuddha Sarang et le cycle rythmique à sept temps Misra Chapu Tala (équivalent du Tivratal de la musique hindustani). Il n'est pas tout à fait évident de suivre les détails des gestes expressifs de la danseuse, le temps étant étiré à l'extrême et la pièce incitant à la contemplation plutôt qu'à l'analyse, mais la danseuse suit très fidèlement le texte. Par exemple, le nom utilisé pour désigner Krishna est le Meurtrier de Keśī. Dans le contexte, il aurait été envisageable d'occulter cet aspect de Krishna, mais la danseuse ne s'y soustrait pas, et si elle ne montre pas le démon en forme de cheval Keśī, elle représente néanmoins celui qui l'a envoyé, Kamsa. Il est difficile de décrire l'intensité de l'expression de la danseuse quand elle incarne le dernier vers Sur une couche de jeunes rameaux, je m'allonge et longtemps sur ma poitrine il demeure couché. Je le prends dans mes bras et le baise, et lui m'embrasse et boit mes lèves ; ô mon amie, obtiens du Meurtrier de Keçi qu'il s'ébatte avec moi ! (traduction de Gaston Courtillier). (Cet Ashtapadi peut être vu sur YouTube.)

Elle ne l'a pas interprété lors du récital de samedi, mais la veille Vidhya Subramanian a dansé après l'Ashtapadi le délicieux Javali “Indendu”. Une jeune femme amoureuse de Krishna est jalouse d'une autre. Elle vaque à ses occupations : on dirait qu'elle roule des feuilles de bétel pour mâcher du pân. Quand Krishna vient la voir, elle lui dit qu'il s'est trompé de rue et de maison. Sa rivale vit dans une plus grande rue. Comment a-t-il pu se tromper et aussi mal voir alors que c'est la pleine Lune ? La jeune femme est consciente du fait que Krishna est une incarnation de Vishnu et un de ses exploits est rappelé : celui qui lui vaut le nom de Giridhar. J'ai toutefois été étonné que Krishna soit montré en train de porter le mont Govardhan sur son dos (tel Obélix portant un menhir) plutôt qu'avec un doigt.

Une autre magnifique pièce d'Abhinaya a suivi. Le Bhajan de Surdas est intitulé Maiya mori ; il s'agit encore d'une pièce consacrée à Krishna. Cette fois-ci, il s'agit de représenter l'espiègle Krishna dans sa jeunesse. Bien que petit, il parvient avec quelqu'astuce à attraper un pot de beurre accroché en hauteur et il s'en régale avant de casser le pot. Quand sa mère Yashoda constate les dégâts, elle l'accuse. Lui, bien sûr, nie et bredouille des explications. Comme il ne parvient pas à la convaincre, il fait mine de s'en aller définitivement en emportant ses maigres possessions, mais Yashoda l'en empêche et donne l'impression de croire ses paroles. Finalement, Krishna avoue malicieusement qu'il était bien le coupable.

Le récital s'est conclu par un Tillana comportant de la très belle danse pure et une évocation des divinités sous les noms Shiva et Shakti. Il est apparemment question de la naissance d'un enfant, peut-être Muruga dans la mesure où vers la fin de la pièce la danseuse semble se métamorphoser en paon. Le Tillana s'enchaîne avec un majestueux Shloka en l'honneur de Shiva. Quelques uns de ses attributs sont évoqués, comme ses cheveux, le Croissant de Lune, son trident, etc. Après que la danseuse lui a adressé un Namaste, le récital s'est achevé dans l'apaisement. (Et quelques minutes plus tard, devant l'enthousiasme des spectateurs, les artistes se mettront à applaudir le public !)

Ailleurs : Bladsurb.

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Gayatri Sriram à la Maison de l'Inde

2014-12-01 19:36+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Maison de l'Inde, Cité universitaire — 2014-11-21

Gayatri Sriram, danse bharatanatyam

Minal Prabhu, nattuvangam

Balasubramanya Sharma, chant

G. Gurumurthy, mridangam

Jayaram Kikkeri, flûte

Invocation de Ganesh “Vakratunda”

Shiva Kautwam (Khandanadai Rupaka Tala)

Ardhanarishwara (Rupaka Tala)

Varnam (Adi Tala)

Padam (Adi Tala)

Mira Bhajan (Adi Tala)

Tillana (Khandachapu Triputa Tala/Adi Tala)

J'avais déjà vu la danseuse de bharatanatyam Gayatri Sriram à Mumbai en 2011 et plus récemment au Musée Guimet. Quand elle m'a dit qu'elle allait danser à la Maison de l'Inde à l'invitation de l'Ambassade de l'Inde à Paris, je n'ai pas hésité, mais je suis arrivé très en avance pour pouvoir m'installer au deuxième rang ; la salle n'étant pas en pente et la scène pas très haute, il y avait peu de bonnes places...

Le programme commence par une invocation de Ganesh (“Vakratunda...”). La scène étant exiguë, les musiciens ne sont pas sur le côté, mais entre la scène et les spectateurs. La main droite du chanteur n'étant pas dans mon champ de vision, ce n'est pas ce soir que j'améliorerai ma compréhension des cycles rythmiques (Tala) de la musique carnatique.

Le programme est intitulé Dwitiyam (Dualité). Diverses interprétations en seront proposées dans les différentes pièces. La première est un Shiva Kautwam dont le cycle rythmique utilise des subdivisions en 5 (autrement dit, des quintolets de doubles croches). La dualité explorée ici est celle entre les fonctions créatrice et destructrice de Shiva. (Dans la Trinité hindoue, Shiva est responsable de la destruction, Brahma de la création tandis que Vishnu est le protecteur. Dans le shivaïsme, toutes ces fonctions (et deux autres) sont assurées par Shiva.) Une intéressante image récurrence de ce Kautwam associe création et destruction, Shiva tenant le tambour Damaru dans sa main droite et le feu dans sa main gauche. La pièce avait commencé par une pose représentant Shiva en ascète. Il apparaîtra aussi sous la forme d'une colonne de lumière, ce que je n'avais encore jamais vu dans la danse bharatanatyam. D'autres éléments plus courants sont montrés comme le Trident, le troisième œil (exquisement mis en valeur par la danseuse), les cendres, la Lune, Ganga et peut-être sa marque au niveau du cou.

La pièce suivante Ardhanarishwara sur une musique de M. Dikshitar avait déjà été interprétée par la danseuse au Musée Guimet. Dans mon billet d'alors, j'avais surtout évoqué les trouvailles rythmiques remarquables de cette pièce. Le thème permet aux interprètes de mettre en valeur les contrastes entre la partie droite (Shiva) et la partie gauche (Parvati) de cette forme de la divinité. Dans l'interprétation de Gayatri Sriram, on voit ainsi s'opposer les serpents qui ornent le corps de Shiva aux bijoux de Parvati, la peau de tigre au sari, les cheveux hirsutes de Shiva à ceux bien lisses de Parvati, l'attitude masculine de l'un (mudra Shikhara) à la posture féminine de l'autre (mudra Katakamukha). La fin de la chorégraphie représente aussi des instruments de musique : vînâ, tampura.

La pièce du programme que j'attendais avec le plus grand intérêt était le Varnam centré sur le personnage de Sita. Ce Varnam est très différent de celui qu'a dansé récemment Meenakshi Srinivasan au Musée Guimet. En termes de la dualité énoncée dans le titre du programme, il s'agit ici d'opposer la séparation et la convivialité. Alors qu'elle est séquestrée à Lanka par Ravana, Sita se souvient des bons moments passés avec son époux Rama. Ce Varnam est sans doute un des Varnam les plus narratifs auxquels j'aie assisté, et sans doute un de ceux que j'aie le mieux compris et appréciés. Le seul autre Varnam avec lequel je le puisse comparer est celui de Srithika Kasturi Rangan en février 2010, aussi centré sur le Rāmāyaṇa, et qui avait constitué un tournant dans mon expérience de spectateur (j'ai eu le plaisir de prendre un cours avec cette danseuse en décembre 2013). Je me suis donc délecté sans retenue des épisodes narratifs de ce Varnam : il ne s'agit pas seulement de montrer des actions, mais aussi d'exprimer les sentiments des personnages, qu'ils soient actifs ou passifs, ce que la danseuse a fait avec une certaine subtilité.

Comme le veut la forme, ces épisodes alternent avec des passages rythmiques. Le premier d'entre eux est intervenu après la mise en place de la situation dramatique et a comporté quelques éléments expressifs et narratifs. S'ils ont été impeccablemnet exécutés, je les ai globalement trouvés trop compliqués rythmiquement, avec notamment beaucoup de changements dans le Tala Adi (à 8 temps) dont les temps le plus couramment subdivisés en quatre (Chatushra-nadai) passaient fréquemment en Tishra-nadai (subdivisions en trois). C'est indubitablement impressionnant et spectaculaire, mais contrairement à d'autres ce n'est pas du tout ce que je cherche en tant que spectateur. Cela dit, cette danse comportait d'amusants clins d'œils qui ont failli me faire glousser, comme certains déhanchements de tête placés en des endroits inattendus.

Passons maintenant aux aspects narratifs de ce Varnam. Avoir été enlevée par Ravana, qui comme les autres rakshasas est évoqué par le mudra Shakata (dérivé de Brahmara) qui représente ses dents, Sita est dans le bois d'aśoka à Lanka et se souvient de Rama qui comme dans l'iconographie est reconnaissable à son arc.

Le premier souvenir qui revient à la mémoire de Sita est celui de sa rencontre avec Rama. Elle joue à la balle avec ses amies et la balle s'en va un peu trop loin, près de Rama qui ne peut l'ignorer. Il rend très humblement la balle, mais un intense échange de regards s'opère entre Rama et Sita. Immédiatement Sita se met à brûler d'amour pour lui. Gayatri Sriram a magnifiquement bien interprété ce passage. Cette scène est totalement absente du Rāmāyaṇa de Vālmīki, mais comme j'en ai ensuite discuté avec la danseuse, la tradition du bharatanatyam est telle que tout le monde considère comme allant de soi que c'est ainsi que la rencontre s'est produite. Parmi les détails remarquables de la chorégraphie, j'ai apprécié l'humilité de Rama, ainsi que la comparaison poétique de celui-ci avec la brise fraîche qui apparaît au clair de Lune.

La grande scène de ce Varnam a été le svayamvar de Sita, la cérémonie pendant laquelle un époux lui sera donné. Si, en théorie, la future mariée choisit son époux au cours de cette cérémonie, les exemples épiques la présentent comme une épreuve pour les prétendants (Arjuna, qui doit faire preuve de son habileté à l'arc pour épouser Draupadi) ou pour la mariée (Damayanti qui doit déjouer les ruses des dieux pour reconnaître Nala). L'épreuve que doivent réussir les prétendants est de tendre l'arc de Shiva qui se trouve être en possession de Janaka, le père de Sita. Le concours est annoncé au son du tambour et Sita s'inquiète en voyant les prétendants d'avoir peut-être à épouser un autre que Rama. Le premier prétendant est un démon. Le second un roi. Le troisième est Ravana que la danseuse représente avec ses dix têtes. Surestimant ses capacités, il tente de lever l'arc avec le petit doigt, puis avec deux mains, avant d'échouer lamentablement en mettant à profit les multiples paires de bras qu'il semble posséder. Rama enfin se présente, salue respectueusement l'arc, adresse une prière à Shiva et non seulement tend l'arc, mais il le brise. Heureuse de ce dénouement, Sita entoure son cou d'une guirlande de fleurs. Dans son programme Panchakanya à Mumbai, Gayatri Sriram avait déjà représenté cette scène, mais j'avais alors été quelque peu frustré que seule la réussite de Rama fût représentée. En voyant cette si délicieuse scène prendre de telles proportions dans ce Varnam, mes vœux ont été exaucés !

Vient ensuite la scène dans laquelle Sita demande à Rama de lui rapporter l'antilope dorée. Plus loin, à Lanka, elle reçoit la visite du singe Hanuman (reconnaissable au mudra Mukula) qui avait été envoyé en éclaireur avec comme signe de reconnaissance auprès de Sita un bijou donné par Rama. Sita prie pour que Rama vienne la chercher. Je n'ai pas bien compris la scène suivante dans laquelle l'héroïne exprime une sentiment de rejet ; je n'ai pas saisi où cela s'insérait au juste dans l'épopée. Sita se souvient enfin d'un combat passé de Rama contre des démons avant que le Varnam se conclue sur une lamentation de Sita dans le bois d'aśoka.

Le Padam qui intervient ensuite évoque la dualité entre l'union physique et l'union spirituelle. Radha est nostalgique de son passé amoureux avec Krishna. Ce n'était alors qu'un bouvier qui ensorcelait les filles avec sa flûte et leur faisait quelques friponneries, comme d'accrocher à un arbre leurs vêtements alors qu'elles prenaient leur bain. Cette union physique est suggérée par l'éclosion des lotus et le butinement des abeilles. Maintenant que Krishna est devenu le roi et le cocher d'Arjuna dans la guerre du Kurukshetra, Radha se sent délaissée. La scène du Padam qui représente de la meilleure façon ce basculement vers l'union spirituelle met en scène Radha assise alors qu'elle semble maquiller un jeune homme devant elle. Ce n'est qu'à la fin de la scène qu'elle semble se rendre compte, ainsi que les spectateurs, qu'il ne s'agit que d'une image de Krishna.

La pièce suivante est une merveille. Il s'agit du Mira Bhajan que Gayatri Sriram avait déjà interprété en bis lors de son récital au Musée Guimet. La version présentée alors avait été un peu raccourcie ; cette fois-ci, ce Bhajan en l'honneur de Krishna a pris des proportions plus importantes. La pièce a une forme cyclique. Elle s'ouvre et se termine avec Mirabai assise, jouant d'un instrument à corde pour accompagner son chant faisant l'éloge de Krishna. Le nom de Krishna qui est utilisé ici est Giridhar, celui qui porte la montagne. La gestuelle de la danseuse suggère donc très logiquement cet exploit du jeune Krishna : détournant les bouviers du culte d'Indra, celui-ci s'était vengé en faisant tomber des pluies diluviennes et Krishna avait riposté en procurant un abri aux villageois en soulevant le mont Govardhana d'un seul doigt ! La chorégraphie représente Mirabai tout à son adoration de la petite statuette de Krishna qu'elle possède. Après cette adorable introduction, la danseuse a enchaîné avec la scène du jeu de dés du Mahābhārata que j'avais déjà racontée dans mon compte-rendu de son récital au Musée Guimet. Le moment le plus magique reste la représentation du moment-clef où Krishna intervient pour rallonger par enchantement le sari de Draupadi que Dushasana tente d'enlever. Le plus remarquable est que la danseuse ne représente Krishna qu'une seule fois, mais l'image de la radieuse tranquilité avec laquelle il allonge le sari persiste tellement longtemps que l'on a l'impression qu'il est toujours là !

Le récital s'est conclu par le même Tillana qu'au Musée Guimet. La dualité unit cette fois-ci deux cycles rythmiques. Le Khandachapu Triputa Tala (à 5+4=9 temps) utilisé dans la danse pure alternant avec le Chatushrachapu Triputa Tala (à 4+4=8 temps, autrement dit Adi Tala) utilisé dans les lignes de Sahitya. Je n'ai toujours pas bien saisi les détails évocateurs de ce Tillana, mais il devait aussi opposer Guerre et Paix, et c'est effectivement sur le sentiment de Paix (Shanta) que la pièce s'est terminée.

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Ofra Hoffman au Centre Mandapa

2014-11-26 13:35+0100 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Centre Mandapa — 2014-11-18

Kuttalam M. Selvam, chorégraphies

Bragha Bessell, chorégraphie du Javali

Ofra Hoffman, bharatanatyam

Hommage au Seigneur de Kashi

Namaskar

Kali Kautwam

Alarippu (Tishra Ekam Tala)

Varnam “Sami yei vara sholadi” (Raga Vachaspati, Adi Tala)

Javali (Raga Kamas, Adi Tala)

Tillana

J'avais déjà assisté il y a deux ans à un récital de bharatanatyam d'Ofra Hoffman au Centre Mandapa. En retournant la voir mardi dernier, je m'attendais à être le témon d'un bon récital, mais je n'imaginais pas prendre un tel plaisir de spectateur !

Ce récital intitulé நாட்டிய மாலை a débuté par trois pièces enchaînées (et même plutôt quatre). Sur une musique chantée par la légendaire M. S. Subbulakshmi, la danseuse commence par évoquer Shiva, le Seigneur de Kashi (Varanasi) où coule la Ganga. Je n'ai pas bien identifié les salutations des planètes qui étaient annoncées, mais je crois avoir bien repéré les prières de diverses créatures demandant à Shiva de leur accorder un bon réveil (nagas, sages, démons). L'évocation d'un étang de lotus et l'apparition de la Déesse ont donné lieu à de très belles images.

Avant de passer au Kali Kautwam, la danseuse a exécuté un remarquable Namaskar. Il s'agit de la salutation qu'un danseur exécute traditionnellement avant de danser et après avoir terminé. Si le canevas est toujours le même, il est intéressant d'en observer des variations d'une école à une autre. Ce Namaskar très élaboré s'insérait dans un hommage au guru et semble-t-il aussi aux trois divinités de la trinité indienne. Du Kali Kautwam, je retiens surtout les poses représentant Kali avec son trident. Il ne faut pas s'imaginer ces poses comme figées : il faut qu'elles soient habitées, ce qui était le cas ici.

La pièce qui m'a procuré le plus de plaisir a été l'Alarippu à trois temps (Tishra Ekam Tala). Il s'agit d'une pièce du répertoire immémorial : il en existe de nombreuses versions sur YouTube (voir notamment celles interprétées par Leela Samson et Dominique Delorme ; la première est très standard et la seconde est extrêmement originale). Il se trouve que je suis en train d'apprendre cet Alarippu ! Le Tala n'ayant pas été annoncé préalablement, il m'a fallu quelques secondes pour être certain que c'était le même et à partir de là, j'ai pu apprécier dans quelle mesure Ofra Hoffman revisitait cette pièce. Le nom Alarippu signifie floraison. Il s'agit traditionnellement de la première pièce qui est dansée lors d'un récital et le nom doit s'entendre métaphoriquement comme signifiant que le corps de la danseuse se met progressivement en mouvement pour s'ouvrir à la danse. L'interprétation a inclus ce sens figuré, mais aussi le sens littéral : par sa gestuelle, elle évoquait l'éclosion des fleurs et le butinement des abeilles. C'était magnifique !

En relisant mes gribouillis, il semblerait que la pièce principale ait été annoncée comme étant en Raga Vachaspati, mais à l'écoute, je crois avoir reconnu le Varnam Sami yei vara sholadi en Raga Purvi Kalyani (Adi Tala) dont on pourra lire une traduction anglaise ici. (PS: La danseuse me confirme que c'était bien le Raga Vachaspati. Il y a donc dans le répertoire des Varnams ayant des textes proches mais utilisant différents Ragas...) Je connais assez bien ce Varnam parce que ma prof Jyotika Rao l'avait interprété (dans une chorégraphie de Sucheta Chapekar) au Centre Mandapa. Deux de ses élèves (Laure et Camille) l'ont appris l'année dernière et l'ont interprété en duo en juin et plus récemment Camille l'a interprété en solo. Il m'est donc difficile de faire abstraction de certaines images que j'associe à ce Varnam comme le merveilleux lancer par Kama de cinq flèches florales différentes qui atteignent chacune un des sens de l'héroïne. Dans la chorégraphie interprétée par Ofra Hoffman, j'ai retrouvé certains de ces éléments (comme semble-t-il l'utilisation d'un oiseau comme messager auprès de Muruga). Si les émotions exprimées étaient toujours très convaincantes et si j'ai apprécié la manière de la danseuse de caractériser Muruga et l'héroïne (Muruga étant souvent représenté avec les mudras Mayura et Mushti pour suggérer qu'il monte un paon), j'aurais aimé que les aspects évocateurs et narratifs de ce Varnam soient peut-être un peu plus développés. La danse pure a en effet pris une proportion semble-t-il plus importante que d'ordinaire dans ce Varnam. Si en tant que spectateur, j'accorde en général une plus grande importance à la danse narrative ou expressive qu'à la danse pure, la beauté de la danse pure d'Ofra Hoffman est telle que je ne m'en suis nullement lassé. Les Jathis composés par Kuttalam M. Selvam sont d'une étonnante inventivité chorégraphique et ils ont été interprétés avec une très grande musicalité. Je n'ai malheureusement pas toujours réussi à suivre le Tala puisque Selvam utilise des formules introductives assez inhabituelles : je me suis habitué à Dhalan—guTakadhikuTakatadiGinatom—, Dhalan—guTakadadiGinatom— ou encore à Dhalan—guTum—tadiGinatom— (les deux derniers étants utilisés pour des rythmes à 3 ou 6 temps), mais les formules qu'il utilise dans ce Varnam me sont inconnues et j'ai parfois eu du mal à entendre où tombait le premier temps... En revanche, je me suis délecté sans aucune réserve de la figure géométrique que la danseuse traçait au sol avec ses mouvements de pieds lors des séquences préparatoires aux Jathis exécutées en fond de scène. Il s'agit là d'une originalité de Selvam. Nancy Boissel, une autre de ses disciples que j'ai interrogée à ce sujet, m'a dit que chacune de ses disciples traçait une figure géométrique qui lui était personnelle.

La danseuse a interprété ensuite un Javali chorégraphié par Bragha Bessell. Je pensais pouvoir faire l'économie de la description de cette pièce que j'ai l'impression d'avoir déjà vue, mais je n'en retrouve pas la trace... Une jeune femme fait l'éloge de son amoureux. Ses qualités sont tellement hors du commun qu'il paraît extravagant qu'il puisse exister. La chorégraphie exalte délicieusement tous ses mérites. Il est très beau, courageux, intelligent. Le roi écoute attentivement ses conseils. Quand on l'appelle, il vient immédiatement. Il est riche, et il fait tourner la tête des filles.

Le récital s'est terminé par un beau Tillana chorégraphié par Selvam sur une musique de Dr. M. Balamuralikrishna. Sauf erreur de ma part (parce que rien ne ressemble plus à un Tillana qu'un autre Tillana...), ce serait son Tillana en Raga Kathanakutuhala et Adi Tala. La pièce évoque les flèches d'amour pour Krishna que lance Kama. Krishna est représenté avec sa plume de paon. La chorégraphie comporte quelques étonnants mouvements de hanches. J'apprécie aussi l'élégance de certains mouvements de la danseuse qui étaient déjà présents dans les pièces précédentes, comme certaines de ses postures dans lesquelles une jambe est tendue, le pied posé au sol en demi-pointe.

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Indira Kadambi au Centre Mandapa

2014-11-21 10:17+0100 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Centre Mandapa — 2014-10-28

Indira Kadambi, danse bharatanatyam

Muruga Kautwam

Padam (dédié au Nataraja de Chidambaram)

Padam

Devanamah (composé par Purandara Dasa)

Ashtapadi

J'ai assisté au récital de bharatanatyam d'Indira Kadambi, disciple de Kalanidhi Narayanan, laquelle est réputée pour son enseignement de l'Abhinaya, l'art de l'expression. Ce récital était d'ailleurs centré sur l'Abhinaya, la seule pièce comportant de la danse pure ayant été le Muruga Kautwam interprété au début du récital.

Si la danseuse a indubitablement des qualités expressives, je suis quelque peu resté sur ma faim. J'ai en effet eu l'occasion d'être très ému par d'autres danseuses traitant de sujets narratifs similaires, mais cette fois-ci, je n'ai pas été bouleversé.

La danseuse introduit les différentes pièces en adoptant une posture de pieds confortable (typiquement krishnaësque), un des pieds étant à plat et l'autre étant posé en demi-pointe sur le côté opposé (ce serait plus facile à décrire en notation Benesh...). La traduction en français de ses propos par la danseuse Anusha Cherer n'était peut-être pas nécessaire : je ne peux que soutenir l'initiative de présenter en détails les pièces, mais peut-être serait-il préférable de préparer en amont un texte fixé à l'avance qui ne serait dit qu'en français. (Je suis bien évidemment très-conscient des difficultés pratiques d'organisation que cela peut poser...)

La première pièce a été un vif Muruga Kautwam. La chorégraphie évoque certains des exploits de Muruga et le représente délicieusement sur sa monture, le paon.

La pièce suivante est un Padam en l'honneur de Nataraja, le Seigneur de la danse résidant à Chidambaram. La chorégraphie nous fait visiter ce temple (où je n'ai pas encore mis les pieds, donc cela reste encore un peu abstrait pour moi). Les mouvements de la danseuse évoquent les drapeaux, les sculptures, la musique rituelle (percussions et hautbois) et cinq marches que la dévôte doit franchir, chacune étant associée aux cinq syllabes du mantra sanskrit ॐ नमः शिवाय ((Oṃ) Namaḥ Śivāya), le chiffre cinq ayant une symbolique particulière dans le Shivaïsme. La dévôte souhaiterait n'être qu'une poussière aux pieds de Shiva, ou encore une fleur ou une lampe placée près de la divinité.

Le Padam suivant raconte la trahison dont est victime l'héroïne qui a envoyé son amie en messagère auprès de Murugan. Quand, au petit matin, l'héroïne aperçoit son amie rentrer toute penaude, la stupeur apparaît sur son visage. C'est la troisième fois que je vois ce thème traité dans un Padam ; j'avais été beaucoup plus impressionné par l'interprétation de Janaki Rangarajan à Chennai.

La pièce suivante Devanamah composée par Purandara Dasa m'a semblée délicieuse. Elle évoque le jeune Krishna qui promet à sa mère adoptive Yashoda de ne plus faire de bêtises, mais bien évidemment, dès qu'elle a le dos tourné, c'est plus fort que lui, il recommence. L'interprétation de l'espiègle Krishna m'a semblée très juste, mais la danseuse m'a semblée moins convaincante quand elle incarnait Yashoda. Dans l'expression des sentiments maternels de Yashoda, j'avais été beaucoup plus ému par l'interprétation de Mallika Thalak.

La dernière pièce est un Ashtapadi dans lequel Radha souffre de la séparation avec Krishna. Le texte qui a été prononcé dans la présentation et qui a été illustré dans la chorégraphie ne me semble correspondre de façon précise à aucun des poèmes du Gîta-Govinda. Celui qui me paraît être le plus proche thématiquement est le treizième Ashtapadi. Si c'est bien le cas, je trouve dommage que la présentation orale n'ait pas suivi de façon plus exacte le texte d'origine ; je n'ai rien contre l'idée que la danse développe des idées qui ne sont pas strictement contenues dans le texte, mais il faudrait à mon avis éviter de présenter le texte préalablement en faisant comme si ces idées ajoutées s'y trouvaient déjà.

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Meenakshi Srinivasan au Musée Guimet

2014-10-30 13:00+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes

Auditorium du Musée Guimet — 2014-10-24

Meenakshi Srinivasan, bharatanatyam

Jayashree Ramanathan, nattuvangam

K. Hariprasad, chant

V. Vedakrishnaram, mridangam

Kodampalli Gopakumar, violon

Invocation “Mahedeva Suta” (Adi Tala)

Composition de Muthuswami Dikshitar (Mishra Chapu Tala)

Varnam (Raga Mallika, Adi Tala, composé par K. Hariprasad)

Padam “Kodi Koose” (Raga Saurashtram, Adi Tala, composé par Kshetrayya)

Padam (Rupaka Tala, composé par Swati Tirunal, chorégraphie de Bragha Bessell)

Tillana (Raga Sindhu Bhairavi)

Le programme présenté par Meenakshi Srinivasan au Musée Guimet le week-end dernier a été largement renouvelé par rapport au programme centré sur Krishna qu'elle y avait présenté en février 2012. Ce programme a cependant été essentiellement le même que celui qu'elle avait dansé à Bharat Kalachar (YGP Auditorium) à Chennai en décembre 2013. Je l'ai néanmoins revu avec un grand plaisir. Elle est accompagnée par la même nattuvanar (la formidable Jayashree Ramanathan) et le même chanteur K. Hariprasad qui a fait preuve de son grand talent, et ce tout particulièrement dans les Alap très élaborés qu'il a chantés entre les différentes pièces du programme. L'orchestre comprenait aussi un violoniste et un percussionniste qui recevaient souvent des instructions de la nattuvanar, qui semblait se délecter de la danse tout autant que le public tout en étant très concentrée quand il fallait l'être.

Meenakshi Srinivasan est sans doute la danseuse de bharatanatyam la plus gracieuse parmi toutes celles que j'ai vues ! Sa danse est extrêmement féminine, elle met davantage en avant la douceur que la force. Je ne saurais dire si elle dansait déjà comme cela en 2012 ou en 2013 ou s'il s'agit d'un apport récent à son style personnel, mais dans sa danse pure, elle prolonge souvent certains mouvements latéraux par une courbure du torse sur le côté qui est d'une suprême élégance ! À vrai dire, dans les enchaînements (adavus), les courbures ne sont pas seulement des ornementations : elles paraissent faire partie intégrante de l'ensemble, comme si elles constituaient une étape à part entière dans l'adavu. Ainsi, le dernier temps de tel ou tel adavu n'est pas vide : il est rempli par une courbure du torse. Il est à noter que sa danse comporte un nombre inhabituellement élevé de sauts, mais les réceptions en sont d'une grande légèreté.

Avant de revenir sur le détail de ce superbe programme, je voudrais toutefois signaler un petit grief contre le style de la danseuse. Quand j'ai appris la série des Marditha Adavus cet été à Delhi avec Arupa Lahiry, elle m'expliquait que pour un certain adavu dans lequel les mains alternent rapidement entre les mudras Katakamukha et Alapadma quand on exécute l'adavu aux deux premières vitesses, il convenait de garder les mains en Alapadma pour la troisième vitesse : la rapidité du tempo empêche de montrer une alternance de mudras bien nets et il est préférable de mettre en valeur le caractère gracieux du mouvement global de la main. Il m'a semblé que lors du récital de Meenakshi Srinivasan, on dépassait parfois le seuil de vitesse au-delà duquel quand bien même les mudras seraient proprement exécutés, ils défileraint trop vite pour ne pas paraître un peu flous au spectateur. Je trouve cela particulièrement perturbant dans les moments où la danseuse est face au public et exécute des mouvements synchronisés des deux bras tendus vers les côtés. Plutôt que de regarder alternativement à droite puis à gauche, la danseuse regarde droit devant, ce qui amoindrit sensiblement à mon goût l'exceptionnelle impression de grâce qu'elle inspire.

Venons-en au programme proprement dit. La première représentation (vendredi) a commencé par un Alap suivi d'une invocation de Ganesh (Mahadeva Suta) ; le texte sera différent le lendemain (Pariparime Padane ?).

La première pièce dansée est une composition de Muthuswami Dikshitar évoquant Shiva et plus spécifiquement le Seigneur de la danse qui réside à Chidambaram (je le précise parce que Chidambaram apparaît dans le texte de la composition). La danse est très gracieuse. Comme je l'avais remarqué à Chennai, la danseuse s'écarte de la pratique la plus courante consistant à souligner la virilité de Shiva : elle montre Shiva sous un jour extrêmement bienveillant. Il n'inspire aucun effroi quand la danseuse représente sa chevelure, son troisième œil ou sa peau de tigre. Dans sa danse pure, je me délecte des courbures du torse et du cou que j'ai signalées plus haut ; rien que pour cela, je retournerai voir cette danseuse avec un grand plaisir ! J'apprécie de nombreux détails de son évocation de Shiva : le flot de Ganga, la marque qu'il porte à son cou et qui lui vaut le nom de Nilakantha, l'évocation de la danse associée à la connaissance, au chant et au rythme. Le passage le plus délicieux de cette pièce a sans doute été celui dans lequel la danseuse mime le jeu d'un percussionniste en actionnant un mridangam invisible.

Vient ensuite la pièce principale du programme, le Varnam consacré à Sita que la danseuse a créé en 2013 et que j'avais déjà vu à Chennai (où je n'avais pas véritablement pu l'apprécier en raison d'une grande fatigue...). La musique en Raga Mallika est du chanteur K. Hariprasad sur un texte inspiré par le Rāmāyaṇa. Les épisodes ne sont pas tous tirés du Rāmāyaṇa de Vālmīki : certains d'entre eux sont issus de l'imagination d'un poète dont je n'ai pas retenu le nom, mais vu le message féministe de ce Varnam, il s'agit probablement d'un texte contemporain.

Le Varnam s'ouvre par un magnifique lever de Soleil en forêt. Après avoir été rejetée une première fois par Rama à la fin de la guerre contre Ravana, Sita s'était infligée l'épreuve du feu pour prouver sa chasteté, mais après leur retour à Ayodhya, Rama avait davantage fait confiance à la rumeur publique qu'à son propre jugement et l'avait très lâchement abandonnée en forêt alors qu'elle était enceinte de deux jumeaux. La critique féministe que fait ce Varnam porte non seulement sur l'attitude de Rama qui abandonne Sita comme un vieux chiffon, mais en mettant en valeur les exceptionnelles qualités de Sita, le Varnam ridiculise aussi l'héroïsme viril et la divinité de Rama. La chorégraphie a semble-t-il représenté furtivement la rencontre entre le singe Hanuman venu en éclaireur et Sita qui se lamentait dans le bois d'aśoka. Celui-ci aurait pu ramener directement Sita en la portant sur son dos, mais elle avait refusé pour que Rama puisse faire preuve de ses qualités de guerrier en venant la récupérer lui-même. Le poème et la chorégraphie du Varnam vont bien plus loin puisqu'ils suggèrent que Sita (la déesse née de la Terre) aurait pu tuer elle-même le démon Ravana, mais qu'elle ne l'avait pas fait par égard pour son mari. Parmi ces épisodes dont Sita se souvient, le plus marquant se passe pendant son enfance. Elle n'était pas encore mariée à Rama qui obtiendra sa main en cassant l'arc de Shiva qu'aucun autre homme ne pouvait soulever. L'épisode se passe alors que Sita joue à la balle avec ses amies. La balle s'en va au loin et semble se coincer entre l'arc de Shiva et son support. La seule façon de récupérer la balle est de soulever l'arc... Alors qu'elle n'est qu'une toute jeune fille, elle y parvient sans difficulté avant de repartir de plus belle avec sa balle. Cette espiègle scène a été pour moi le plus irrésistible moment de ce Varnam. Parmi les autres épisodes narratifs, je crois avoir aussi reconnu, sans certitude, la scène où Sita demande à Rama de lui rapporter l'antilope dorée (qui fait partie de la ruse de Ravana pour enlever Sita). Le Varnam comporte aussi des séquences plus poétiques, comme quand Sita compare son amour pour Rama au fait qu'une fleur est inséparable de son parfum, qu'une rivière est indissociable de ses rives et que les rayons du Soleil ne peuvent exister sans l'étoile. Les passages narratifs ou évocateurs alternaient avec des passages rythmiques. Ceux-ci m'ont semblés très variés, notamment en termes de vitesse, et ne pouvaient susciter que l'admiration quand la nattuvanar prononçait rapidement trois fois de suite les syllabes Tadim-Ginatom !

Comme la forme le veut (à ce qu'il me semble), le Varnam se concluait dans la joie, ce qui s'expliquait ici par le fait que Sita, qui en tant que fille de la Terre et ayant pour cette raison un rapport particulier à la nature, avait trouvé dans la forêt un refuge qui lui plût.

(Il est à noter que la pièce avait été introduite par Meenakshi Srinivasan elle-même en français, en utilisant un vocabulaire très raffiné. Lors de la représentation de vendredi, un incident s'est produit pendant ce Varnam : la fixation des grelots de chevilles attachés à sa cheville gauche s'est rompue alors qu'elle était en fond de scène. Il est courant qu'un ou deux grelots ou boucles d'oreilles tombent, mais je n'avais jamais vu ce cas-là. De même qu'il serait impensable d'interrompre un acte d'opéra de Wagner, plutôt que d'insérer une pause pour rattacher ses grelots, la danseuse a décidé de continuer en ne portant des grelots qu'à la cheville droite jusqu'à la fin du Varnam.)

La pièce suivante, la seule que je n'avais pas déjà vue, est un Padam de Kshetrayya. En termes d'expression, il s'agit sans doute de la pièce la plus convaincante du récital. Une jeune femme se plaint à son amie : alors qu'elle se préparait à accueillir au mieux son amant, un satané coq prétentieux s'est mis à chanter au plus mauvais moment, un vrai tue-l'amour. Cela a été un vrai plaisir de voir la danseuse alterner ses expressions entre la joie de l'attente et la déception, voire la colère d'entendre le coq intervenir. Elle aura tout tenté pour l'amadouer, mais il sera un casse-pieds jusqu'au bout, la danseuse suggérant ses apparitions délicieusement avec le mudra Tamracuda.

L'avant-dernière pièce du récital ne m'a pas complètement convaincu. J'en ai cependant apprécié davantage de détails que la dernière fois. Il s'agit d'une chorégraphie de Bragha Bessell sur un poème de Swati Tirunal. Deux femmes préparent des guirlandes de fleurs, mais elles sont perturbées par le bruit d'une procession. Elles se demandent de quel dieu il peut bien s'agir. Ce n'est pas Indra puisqu'il n'a pas le corps recouvert de mille yeux, ni la Lune (Chandra) parce qu'aucune imperfection ne gâche son visage. N'ayant pas de troisième œil, ce n'est pas non plus Shiva. Le sentiment de paix qu'il inspire exclut que ce soit le Soleil (Surya). Il ne s'agit pas non plus de Kubera, le difforme dieu des richesses (c'est le seul des cinq que je n'aie pas reconnu cette fois-ci dans la chorégraphie). Quand la divinité apparaît enfin, il est vraiment dommage que le dieu (Padmanabha-Vishnu) ne soit pas plus facilement identifiable. La première fois que j'avais vu cette pièce dansée par Meenakshi Srinivasan, j'avais pensé que c'était Ganesh : les tout premiers mouvements de la danseuse au début de la pièce suggèrent les oreilles d'un éléphant et sa démarche de pachyderme. Peut-être fallait-il simplement comprendre que le cortège comportait quelques éléphants ? Un peu plus loin, le chanteur semble dire très distinctement Ganapati. Vers la fin de la pièce, quand la divinité associée à la fleur de lotus Kamala et ornée de bijoux apparaît, debout et tranquille, deux de ses attributs sont suggérés, mais les mouvements de mains sont trop rapides pour que je sois certain qu'il s'agisse bien de la conque et du disque de Vishnu. Pour ne pas laisser un sentiment de frustration chez les spectateurs, peut-être faudrait faire comme Uma B. Ramesh que j'ai aussi vue interpréter cette pièce et qui la concluait par une pose caractéristique de Padmanabha. Parmi les détails que j'ai appréciés dans cette pièce décidément très riche, je me souviens de l'évocation joyeuse des hautbois indiens (nadaswaram) qui accompagnent la procession.

Lors du récital de samedi, ce Padam a été remplacé un Meera Bhajan que la danseuse avait déjà interprété au Musée Guimet en 2012. La pose initiale et finale représente Mirabaï jouant du tampura (mais elle n'en actionne pas les cordes, c'est dommage). Elle cherche l'union avec la divinité (Krishna). Elle imagine comment elle pourrait lui être agréable si elle était un poisson, un coucou ou une perle. Elle souhaiterait par exemple n'être qu'une des perles de son collier. (Je rappelle ici que l'histoire de Mirabaï est liée à la citadelle de Chittorgarh au Rajasthan, un des lieux que j'ai préférés en Inde.)

Le récital s'est conclu par le merveilleux Tillana en Raga Sindhu Bhairavi évoquant de façon élaborée l'amour entre une héroïne et Krishna. La fin en a toutefois été légèrement différente qu'à Chennai. Il s'était alors conclu par une extraordinairissime transformation continue du personnage masculin en le personnage féminin (à moins que ce ne soit le contraire). En n'ayant pas revu de transformation d'une telle intensité émotionnelle, je mesure le privilège que j'avais eu de la voir en Inde...

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Lingaraj Pradhan et Sanjukta Dutta Pradhan au Centre Mandapa

2014-10-26 19:47+0100 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Centre Mandapa — 2014-10-23

Lingaraj Pradhan, danse odissi

Sanjukta Dutta Pradhan, danse odissi

Shiva Panchak

Pallavi (chorégraphie de Kelucharan Mohapatra)

Abhinaya (chorégraphie de Kelucharan Mohapatra)

Mahakalistuti (chorégraphie de Bichitrananda)

Je me suis rendu au Centre Mandapa pour assister à un récital de Lingaraj Pradhan et de son épouse Sanjukta Dutta Pradhan. Ils représentent tous les deux le style odissi transmis par leur guru Bichitrananda. Ce style étant moins courant à Paris et à Chennai que ne l'est le bharatanatyam, mes expériences de spectateur avec la danse odissi sont plutôt rares. Je n'ai pour le moment été véritablement convaincu que par la jeune danseuse Arushi Mudgal (cf. son récital au Musée Guimet et Orfeo, par-delà le Gange), mais ce style odissi ne m'a pour ainsi dire jamais procuré les mêmes émotions que m'apportent presque toutes les représentations de bharatanatyam auxquelles j'assiste. Si la narration et l'expression des émotions me semblent en général plus élaborées que dans le style kathak, on n'atteint pas à mon avis les mêmes sommets que dans le bharatanatyam. Le style est sorti des temples depuis moins longtemps aussi et, vu de loin, il semble moins vivant d'un point de vue chorégraphique, la plupart des programmes comportant des pièces chorégraphiées par les figures tutélaires (notamment Kelucharan Mohapatra) plutôt que par les danseurs des générations suivantes. Je garde néanmoins un a priori positif sur le style odissi et ne demande qu'à être détrompé à l'avenir.

Le récital de Lingaraj Pradhan et Sanjukta Dutta Pradhan m'a semblé très spectaculaire. Alors que le style odissi est réputé plus lasya que tandava, ce récital m'a semblé au contraire beaucoup plus viril que gracieux. Les interprètes ont davantage fait preuve de leur capacité à éblouir par leur virtuosité (quelque peu brutale) que par leur faculté à émouvoir par la narration et l'expression. La virtuosité n'étant pas ce que je cherche dans la danse, ce récital m'a plutôt déplu.

La première pièce Shiva Panchak est un duo (semble-t-il sur le cycle rythmique Tivratal à sept temps). Les passages lents permettent d'apprécier les courbures de la position typique de la danse odissi. Les deux danseurs interprètent de façon synchronisée les sections de danse pure, mais leurs rôles se dissocient quand ils racontent la rencontre entre Shiva et Parvati, laquelle est aidée par l'archer Kama (qui est interprété par Sanjukta). Kama est foudroyé par le feu du troisième œil de Shiva. Cette scène a été extrêmement impressionnante, mais je ne peux m'empêcher de penser qu'elle a été quelque peu surjouée, le spectaculaire primant sur l'émotion.

La pièce suivante Pallavi a été interprétée par Sanjukta. Il s'agissait de danse pure en accelerando utilisant beaucoup les mudras Mayura et Hamsasya.

La pièce la plus élaborée a été interprétée ensuite par Lingaraj. Il s'agissait d'un Abhinaya en trois parties utilisant semble-t-il le cycle à sept temps Tivratal. Le thème était donné par un prière adressée à Jagannath par le poète Salabeg (né musulman). Le poème évoquait trois épisodes liés à la divinité que l'on peut identifier à Krishna ou Vishnu. Le premier épisode était celui du l'attaque d'un éléphant attaqué par un crocodile et qui est sauvé par l'intervention de Vishnu qui tue le crocodile avec son disque. Le deuxième racontait la première partie de dés du Mahabharata, Yudishthira perdant tout, y compris lui-même et son épouse Draupadi, laquelle est traînée par les cheveux par Dushasana. Elle est la cible de gestes obscènes de la part Duryodhana et Dushasana tente de la dévêtir, mais il n'y parvient pas du fait de l'intervention de Krishna qui parvient à rallonger le sari de Draupadi au fur et à mesure que Dushasana tire dessus. Le dernier épisode évoque Prahlada, dévôt de Vishnu et fils du démonique Hiranya qui sera tué par le quatrième avatar de Vishnu, Narasimha, l'homme-lion surgi d'un pilier de son palais. Je n'ai pas été ému par l'épisode de la scène du jeu de dés qui m'arrache habituellement un abondant flot de larmes (cf. le récital de Gayatri Sriram au Musée Guimet). L'épisode lié à Hiranya était brutal, notamment parce que son éventrement par Narasimha n'était pas occulté. Le premier épisode représentait de façon intéressante l'éléphant allant s'abreuver au lac, mais la danse s'est fait très violente à partir de l'apparition du crocodile. C'était très impressionnant, mais globalement, je n'ai pas été plus convaincu par cette pièce que par les autres, les moments devant être interprétés de façon plus subtile n'étant pas aussi convaincants que les moments les plus violents.

Le récital (d'à peine plus d'une heure, ce qui est court, surtout pour un duo) s'est terminé par un duo Mahakalistuti évoquant Mahakali. Qu'il s'agisse de Mahakali plutôt que de Kali permet aux danseurs d'évoquer divers aspects de la Déesse : Kali, Durga, Narayani, Kalaratri. Je pense que cela a été la pièce la plus intéressante du récital. Représentant la déesse, Sanjukta y avait le premier rôle et était secondée par Lingaraj qui apportait des détails intéressants aux poses évoquant chacun des aspects de la Déesse. J'ignore si cette pièce a été conçue initialement pour un duo ou s'il s'agit d'un enrichissement pour duo d'une pièce antérieure pour danseur solo, mais c'est un des rares exemples de duo ou d'ensembles qui m'aient convaincu en danses indiennes.

Bref, beaucoup de technique, une volonté d'impressionner, mais un manque d'émotions à mon goût.

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Janaki Rangarajan au Centre Mandapa

2014-10-01 16:10+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Centre Mandapa — 2014-09-26

Janaki Rangarajan, danse bharatanatyam, chorégraphies

Kriti (composé par Muthuswami Dikshitar, Rupaka Tala)

Varnam (composé par Ponnayya Pillai, Adi Tala)

Ashtapadi

Tillana (composé par Padma Subramanyam, Adi Tala)

Après avoir assisté à plus d'une centaine de récitals de danses indiennes (presque tous de bharatanatyam), je suis encore loin d'être blasé, mais je pensais avoir une idée assez précise des types de pièces les plus à même de m'émouvoir. Je pensais n'être véritablement sensible qu'aux pièces résolument narratives, et encore faudrait-il pour cela que la narration soit suffisamment claire pour que je puisse la comprendre ! Le récital qu'a donné Janaki Rangarajan vendredi dernier au Centre Mandapa m'a démontré le contraire. Janaki Rangarajan est une artiste que j'admire (cf. mes billets sur ses récitals au Musée Guimet et au Bharatiya Vidya Bhavan) et, full disclosure, avec qui j'ai eu le plaisir de déjeuner le jour de son récital. J'ai donc été plus que ravi d'être très agréablement surpris par un récital de bharatanatyam laissant peu de place à la narration.

Les chaises en gradins de la petite salle du Centre Mandapa sont pour ainsi dire toutes occupées. Quelques uns, dont moi, se sont assis sur des coussins.

La première pièce du récital est un Kriti de Muthuswami Dikshitar dédié à Shiva dans sa forme Ardhanari : mi-homme mi-femme. La chorégraphie comporte passages de danse pure et passages évoquant la divinité. La danseuse montre alternativement ses côtés masculin et féminin. La chevelure de Shiva et son regard suscitent un peu moins l'effroi qu'ils ne le font souvent dans ce type de pièces ; les attitudes féminines de Parvati sont moins marquées aussi. L'interprète semble avoir fait le choix de ne pas exacerber à l'excès le contraste entre les deux moitiés. Les deux moitiés fusionnent harmonieusement plutôt qu'elles ne s'opposent. Parmi les détails mis en valeur, on retrouve les parures de Parvati et les cendres dont s'enduit Shiva. Je me suis cette fois-ci délecté de détails nouveaux, comme la représentation dans la gestuelle codifiée de l'épithète de Gardien des troupeaux (Pashupati) que porte Shiva. La chorégraphie renvoie aussi à plusieurs reprises à sa sagesse ascétique. Ce Kriti met aussi en scène de façon délicieuse une dévôte qui exécute des rites d'adoration du lingam.

La pièce principale est un Varnam de Ponnayya Pillai, un des membres du Tanjore Quartet (début du XIXe siècle). Comme le veut la forme, on assiste à une alternance entre passages de danse pure (jatis) et passages expressifs. Les enchaînements de mouvements constituant les Jatis semblent s'appuyer assez fermement sur les temps forts du cycle à 8 temps (Adi Tala), ce qui n'était pas le cas du Jati que j'ai noté en notation Benesh dans le billet précédent ! S'il est intéressant d'être parfois bousculé ou dérouté par des rythmes tordus, il est aussi agréable de se sentir en confiance en assistant à une pièce dans laquelle le rythme ne contribue pas à créer une tension. Les Jatis de ce Varnam ont comporté des passages exécutés à grande vitesse, mais j'ai apprécié le fait qu'il ne s'agisse pas d'une démonstration de virtuosité.

Si les Jatis étaient remarquables, c'est surtout en raison du style personnel de la danseuse. Ils comportent parfois un ou deux éléments liés au thème du Varnam, comme une référence à l'archer Kama dans le tout premier Jati ; comme j'ai toujours eu mal à ne pas trouver incongru que les Varnam commencent par un Jati, que le tout premier de ces Jatis comporte des éléments expressifs a tout pour me plaire ! Cependant, ce qui distingue véritablement Janaki Rangarajan de toutes les autres danseuses de bharatanatyam que j'ai vues réside dans sa manière de faire cohabiter dans ses enchaînements des lignes droites et des lignes courbes. Les mouvements qu'elle utilise pour cela doivent sans doute beaucoup à Padma Subramanyam, mais elle les incorpore à sa danse d'une façon très différente de son guru. J'ai particulièrement aimé sa manière de passer d'une position droite à une position courbe en utilisant un mouvement de hanches, et de revenir parfois, comme tirée par un ressort, à sa position droite initiale, créant chez moi une surprise ou un suspense du meilleur effet.

Pour l'avoir déjà vu danser, Le style de Janaki Rangarajan ne m'était toutefois pas inconnu ; ce qui a constitué ma plus grande surprise et mon plus grand émerveillement, cela a été son approche dans ce Varnam. Évitant d'introduire des digressions narratives renvoyant aux mythes liés à la divinité, elle s'est concentrée sur ce qui constitue traditionnellement le cœur d'un Varnam : le parcours émotionnel et spirituel d'une héroïne amoureuse d'une divinité. Je suis a priori plus friand des Varnam comportant des passages narratifs élaborés. Ceux qui se concentrent sur les sentiments de l'héroïne (nayika) ont tendance à m'ennuyer. Dans ce type de Varnam, très peu d'interprètes parviennent à maintenir mon attention tout du long. Cela a été le cas de Janaki Rangarajan qui a merveilleusement bien exprimé les sentiments de l'héroïne ! Ces sentiments étaient souvent soulignés par de très beaux mouvements d'yeux et de sourcils. Dans les moments les plus intenses, notamment pendant un solo de violon, la bande son exaltait encore davantage les sentiments de l'héroïne. J'y ai reconnu le style inimitable, tout en doubles cordes, du violoniste Kalaiarasan que j'ai eu le plaisir d'entendre à de nombreuses reprises lors de mon séjour à Chennai en décembre 2013/janvier 2014. Ce musicien est un accompagnateur de génie ! (Les Parisiens ont eu le privilège de l'entendre lors des récitals de Lavanya Ananth au Musée Guimet en 2012.)

Photo 013
Porte du temple Brihadeshvara, Tanjore

Mon frissonomètre est montré très haut pendant ce Varnam. Le point culminant émotionnel a été pour moi la séquence pendant laquelle l'héroïne entre dans le temple de Brihadeshvara (Tanjore). La danseuse a magnifiquement figuré les portes que l'héroïne doit franchir. Avant de s'approcher de la divinité, comme dans tout temple de Shiva (ou presque), elle doit passer devant le buffle Nandi qui veille sur le temple. Le Nandi du temple Brihadeshvara est tellement grand qu'il aurait été dommage d'écarter ce détail :

Photo 026
Nandi, Temple Brihadeshvara, Tanjore

Je me suis délecté de nombreux autres détails de la chorégraphie. Vers la fin, il m'a semblé que l'archer Kama faisait une apparition. S'il lançait bien quelques flèches florales avec son arc, la danseuse s'est permis semble-t-il quelque fantaisie en lui faisant lancer une fleur avec la main, comme s'il lançait une balle !

La pièce suivante a été un Ashtapadi extrait du Gîta-Govinda de Jayadeva. Sauf erreur de ma part, il s'agissait du 17e Ashtapadi. Dans le texte chanté, je ne parviens à reconnaître que des noms de Vishnu aussi attribués à Krishna : Keshava, Madhava. Je n'ai donc pas pu apprécier tous les détails des plaintes que Radha adresse à Krishna qu'elle soupçonne d'avoir passé la nuit avec une autre. Si le sens de certains vers était transparent en suivant la chorégraphie, comme Une trace de morsure, à ta lèvre restée, fait éclore en mon cœur la souffrance. Elle me dit, — n'est-ce pas ? — que maintenant même, uni à moi, ton corps ne se laisse pas partager. Fi, fi, va-t-en, Mādhava ; ne me dis plus, Keçava, de paroles friponnes ; poursuis celle-ci, Œil-de-Nymphéa, qui dissipe ton abattement. (traduction de Gaston Courtillier), un vers que le public a manifesté beaucoup apprécié ! d'autres plus poétiques n'ont pris sens pour moi que lorsque j'ai relu le texte, comme Du lotus de ses pieds suinte la laque qui baigne ton noble cœur ; le voici, il se montre au dehors comme enveloppé des bourgeons de l'arbre de volupté. Fi, fi, va-t-en, Mādhava.... Si j'ai beaucoup aimé le travail d'expression de la danseuse dans cette pièce, ma méconnaissance du texte a été un frein pour l'apprécier pleinement. Peut-être eût-il été judicieux de faire précéder cette pièce d'une lecture d'une traduction du poème ?

Le récital s'est conclu par un Tillana composé par Padma Subramanyam. La pose finale étant apparemment identique, peut-être s'agit-il du même que celui qu'elle avait déjà dansé au Bharatiya Vidya Bhavan ? Utilisant le cycle rythmique Adi Tala, ce Tillana utilise dans sa deuxième partie un mantra évoquant le sentiment de Paix. Il m'a semblé voir plusieurs références à Shiva dans la chorégraphie. L'attitude qu'il adoptait inspirait tranquillité et bienveillance. Dans cette pièce, comme dans les précédentes, la souplesse de la danseuse était mise à contribution. Ses pliés sont très ouverts et très stables. En grand plié, sans perdre de stabilité, elle peut se pencher vers l'avant : elle pourrait presque toucher le sol avec son front ! Le Tillana s'est conclu sur une pose extrêmement géométrique évoquant la Paix.

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La notation Benesh de la danse bharatanatyam

2014-09-23 17:40+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

(Billet mis à jour le 2 mai 2015.)

Introduite par Rudolf Benesh (1916-1975) dans les années 1950, la notation du mouvement Benesh est surtout utilisée dans la danse classique européenne, et tout particulièrement au Royaume-Uni (on pourra d'ailleurs lire à ce sujet les billets du blog Impressions danse portant sur la notation Benesh, parfois aussi appelée choréologie). Cette technique de notation n'est aucunement spécialisée dans ce style : il est possible de l'utiliser pour toutes sortes de danses. La notation ne remplace en aucun cas l'apprentissage du style et la transmission de pièces par un professeur, mais je voudrais néanmoins encourager son utilisation. La notation est évidemment un support utile pour se remémorer une pièce dont on aurait oublié certains détails, mais elle permet aussi de mieux comprendre la chorégraphie et dans le cas de la notation d'enchaînements (adavus), elle facilite également la comparaisons entre différentes écoles.

Dans ce billet, je voudrais montrer que la notation Benesh est adaptée à la notation de pièces de danses indiennes de style bharatanatyam, et tout particulièrement aux passages de danse pure. Pour cela, j'ai sélectionné un extrait de chorégraphie disponible sur Youtube :

Il s'agit d'un extrait d'un Varnam (ou plus exactement un Svarajati) apparaissant dans le DVD Rasaanubhavam de Janaki Rangarajan (qui est une de mes danseuses préférées, cf. mes billets sur ses récitals au Musée Guimet, au Bharatiya Vidya Bhavan à Chennai et au Centre Mandapa ; je la remercie de m'avoir permis d'utiliser sa chorégraphie dans ce billet). Sur la vidéo ci-dessus, à la fin d'une séquence narrative, on la voit reculer vers l'arrière de la scène et exécuter des pas préparatoires à un Jati tandis que la nattuvanar (Jayashree Ramanathan, que j'apprécie beaucoup !) prononce la suite de syllabes Dhalan–guTakadhikuTakatadhinGinatom–. Le Jati dure une trentaine de secondes sur la vidéo, de 4'42" à 5'14". Voici cette séquence écrite en notation Benesh :

Jati en notation Benesh
Jati en notation Benesh
Jati en notation Benesh (version PDF)

Je tiens à préciser que je suis débutant en notation Benesh et qu'il est donc fort probable que ce texte contienne des approximations, et peut-être même des erreurs !

Quelques signes de la notation Benesh

Le but de ce billet est d'expliquer le sens de la plupart des signes apparaissant sur la première page de cette partition. (La deuxième page comporte des signes plus complexes sortant du cache de ce tutoriel, notamment en raison des sauts que la danseuse exécute à la fin de la séquence.) De même que la musique occidentale, la notation Benesh s'inscrit sur une portée de cinq lignes (usuellement tracées en rouge). Ceci laisse la possibilité de combiner sur une même partition la chorégraphie et tout ou partie de la musique utilisée pour la danse. Même si la notation de la choréographie se suffit a priori à elle-même, j'ai préféré adjoindre ici une ligne rythmique permettant de situer dans le temps les frappes de pieds. J'ai également indiqué sur une troisième portée les syllabes prononcées par la nattuvanar Jayashree Ramanathan.

Venons-en maintenant au sujet, à savoir la portée de cinq lignes rouges ci-dessus. L'idée fondamentale de la notation Benesh est de représenter la position de la danseuse (ou du danseur) à certains instants-clefs et d'indiquer par des lignes de mouvement la façon de passer d'une position à une autre. On utilise pour cela une représentation schématique du corps de la danseuse vue de derrière. Les cinq lignes de la portée représentent successivement, en partant du bas, le sol, les genoux, la taille, les épaules et le haut de la tête comme sur la figure ci-dessous :

Représentation du corps sur une portée
Représentation du corps sur une portée, p. 19 de Reading dance de Rudolf & Joan Benesh

Commençons par voir comment sont représentées deux positions importantes du bharatanatyam. Sur la figure suivante, je n'ai représenté que les pieds et genoux :

Position assise, position debout

Les pieds sont représentés par des tirets horizontaux. Quand ils sont côte-à-côte, on obtient un tiret long comme sur les deux positions ci-dessus. La position assise (araimandi) correspond au demi-plié de la danse classique européenne, les croix (plus larges que hautes) qui représentent les genoux sont donc un peu écartées et placées plus bas que la ligne des genoux. Comme on ne représente un genou en notation Benesh que si la jambe n'est pas tendue, ils ne sont donc pas notés pour la position debout.

Approfondissons maintenant le tiret utilisé pour représenter les pieds. Voici une façon de noter un pas chassé vers la droite :

Pas chassé

Trois instants-clefs sont représentés de gauche à droite. Sur le premier, les pieds sont joints. Sur le deuxième, on voit deux tirets écartés. Pour indiquer que c'est le pied droit qui se déplace (vers la droite), on ajoute une ligne de mouvement représentant le mouvement effectué par le pied depuis la position précédente. (Ces principes s'appliqueront de la même façon aux mouvements des mains, qui sont représentées par les mêmes symboles que les pieds.) Sur le troisième instant-clef, on veut indiquer que le pied gauche vient rejoindre le pied droit. Ceci pourrait se noter comme sur le deuxième instant-clef en utilisant une ligne de mouvement, mais il est plus économique d'adjoindre au tiret correspondant au pied gauche un petit trait oblique (qui est dérivé de ce qu'on appelle le symbole de contact). (Exercice : Si le trait oblique était placé au niveau du pied droit plutôt qu'au niveau du pied gauche, à quel enchaînement de mouvements correspondrait la notation ?)

(Sur la figure précédente, j'ai utilisé une ligne de mouvement. En toute rigueur, il est plus idiomatique de représenter les pas en notation Benesh par ce qu'on appelle des lignes de locomotion. Comme leur lecture est plus difficile, j'ai préféré éviter de les utiliser ici.)

Pour le moment, les pieds sont posés à plat sur le sol. Dans l'exemple suivant, j'ai utilisé un signe spécifique (un tiret auquel un petit rond est adjoint) indiquant que c'est le talon qui touche le sol :

“di-di-tai”

Partant de la position assise, on pose le talon droit sur le côté droit (deuxième instant-clef), puis on exécute une frappe du pied gauche (notez la petite ligne de mouvement sur le troisième instant-clef) et on exécute une frappe du pied droit qui revient à côté du pied gauche (quatrième instant-clef). Cette suite de mouvements de pieds est très courante dans le bharatanatyam et est accompagnée lors de la pratique par les onomatopées rythmiques ou bols di-di-tai.

Le symbole utilisé dans le dernier instant-clef des deux exemples précédents est un symbole de fermeture indiquant le mouvement vers une position fermée, en l'occurrence pieds joints. On peut utiliser plusieurs de ces symboles à la suite pour noter des frappes de pieds, comme dans l'exemple suivant qui est le troisième Tatta Adavu :

Tatta Adavu nº3

Cet exemple permet d'introduire d'autres symboles. Pour la position assise initiale, j'ai indiqué la position des mains au niveau de la taille avec le symbole de contact (un trait oblique pour chaque main). J'ai également indiqué la métrique utilisée dans cet adavu se dansant sur quatre temps : trois frappes de pieds et un temps vide. Le dernier temps vide est indiqué par un signe au-dessus de la portée. Enfin, j'ai utilisé une barre de répétition comportant une ligne oblique et une ligne droite, ce qui signifie que la répétition se fait en miroir, en alternant les côtés : à droite, puis à gauche. (Dans certaines écoles de bharatanatyam, comme celle de Sucheta Chapekar, guru de ma prof, le troisième Tatta Adavu se danse sur trois temps au lieu de quatre, sans gap.)

Le signe indiquant les pieds peut être placé verticalement à différents endroits par rapport à la ligne du bas de la portée. Ceci permet de distinguer un pied à plat (ou sur le talon) d'un pied en demi-pointe :

Tai Hat Tai hi

Sur le premier instant-clef, les tirets se confondent avec la ligne de la portée : les pieds sont en demi-pointe (et dans cet exemple le signe courbe en-dessous des pieds indique en outre que l'on exécute un petit saut). Au deuxième instant-clef, les tirets sont placés sous la ligne : les pieds sont posés à plat. Sur cet exemple, on a ainsi une alternance entre pieds en demi-pointe et pieds à plats. Cette alternance est typique des Khudita Metti Adavus accompagnés des bols tai-hat-tai-hi. La chorégraphie de Janaki Rangarajan commence d'ailleurs par un des adavus de cette série. (On pourra noter que sur les deuxième et quatrième instants-clefs, un signe nouveau apparaît au dessus de la portée : il est utilisé pour indiquer que l'instant-clef ne tombe pas sur un temps, mais sur une subdivision d'un temps en deux. D'autres signes sont utilisés pour des subdivisions en 3 ou 4.)

Pour le moment, tout se passe dans le plan du corps. Deux nouveaux signes sont nécessaires pour indiquer un pied (ou une main) placé à l'avant du plan du corps (un trait vertical) ou à l'arrière du plan du corps (un point) :

Symboles représentant les pieds

De ces symboles sont dérivés les symboles utilisés pour les genoux (et les coudes). Les tirets se transforment en croix et le rond en une croix tournée de 45°.

Symboles représentant les genoux

La chorégraphie de Janaki Rangarajan

Il est maintenant possible d'analyser le début de la chorégraphie du Jati de Janaki Rangarajan. Tout d'abord, il me semble important de bien comprendre ce qui se passe d'un point de vue rythmique. Pour cela, il peut être utile de s'imprégner de la pulsation de la mesure à six temps dans les dizaines de secondes précédant le Jati sur la vidéo ci-dessus. Il s'agit de Rupaka Tala qui suivant les théories ou les pratiques diverses comporte au choix six temps ou trois temps. Du point de vue du solfège occidental, on peut dire que le cycle est composé de six croches ou de trois noires. On considérera ici que ce cycle a six temps. (Les personnes qui essaieront de déchiffrer les lignes rythmiques indiquées en bas observeront que je les ai notées en 3/4, c'est-à-dire avec trois noires par mesure. La noter en 6/8 aurait été une mauvaise idée parce que la convention en musique occidentale aurait impliqué que les six croches se répartissent par groupes de trois (6=3+3) plutôt que par deux (6=2+2+2).)

Normalement, si vous avez saisi la bonne pulsation (autour de 104 temps par minute), quand la nattuvanar a fini de dire Ginatom–, comptez de 1 jusqu'à 8, puis comptez de nouveau de 1 à 8. Normalement, quand vous arrivez à 5, vous voyez la danseuse passer de la position assise à la position debout. (Si ce n'est pas le cas, recommencez en comptant deux fois plus vite ou deux fois plus lentement...) Une fois ceci acquis, vous pouvez essayer d'observer le découpage du Jati en 8+8+(3+3+6)+(3+3+6)+5+5+4=54, i.e. comptez de 1 à 8, recomptez de 1 à 8, puis de 1 à 3, etc. Après le dernier compte de 1 à 4, le chanteur intervient et la musique redevient mélodique. Le nombre total de temps est 54=9×6, c'est-à-dire qu'après Ginatom–, le Jati s'étend sur 9 cycles de Rupaka Tala. Toutefois, le découpage que j'ai donné plus haut est très différent du découpage régulier qui serait donné par le Tala : 6+6+6+6+6+6+6+6+6=54. Il s'agit là d'une des difficultés rythmiques du bharatanatyam : les motifs qui se répètent ne commencent pas toujours au début d'un cycle et ils peuvent enjamber plusieurs cycles. Sans la musique qui précède, il serait pour ainsi dire impossible de deviner que le cycle rythmique est Rupaka Tala...

Pendant la phrase initiale Dhalan–guTakadhikuTakatadhinGinatom–, la danseuse se met en position assise, les mains au centre près du corps dans le mudra Katakamukha. Dans l'article Notating Indian Dance de Rudolf & Joan Benesh et Marianne Balchin, Sangeet Natak nº9 (1968) que j'ai pu consulter à la médiathèque du Centre national de la danse, les auteurs ont l'ambition de noter les positions des mains par un système de notation qu'ils esquissent (par exemple P6 avec un point au-dessus du 6 pour le mudra Shikhara) ; cela me paraît un peu trop optimiste de leur part. Il me semble préférable de procéder comme dans le chapitre X consacré aux danses indiennes de Reading Dance, The Birth of Choreology de Rudolf & Joan Benesh : utiliser une abréviation des noms des mudras, comme Km pour Katakamukha, Ap pour Alapadma, Pt pour Pataka, Tp pour Tripataka. (Pour certains mudras comme Pataka ou Tripataka, il convient de préciser aussi la façon dont la main est tournée, ce que j'ai indiqué à partir de la quatrième mesure sur la partition.)

La position initiale du Jati se note ainsi :

Position de départ du Jati

Les coudes sont écartés et les mains légèrement vers l'avant du corps. (L'écartement des coudes dicte la distance entre les mains et le corps : si les mains étaient davantage vers l'avant, les coudes seraient moins écartés.)

La position précédente est la position de départ d'un des Khudita Metti Adavus que la danseuse exécute pour commencer. Cet adavu consiste en deux répétitions de la séquence suivante :

Début du Jati

Les mouvements des pieds correspondants (tai-hat-tai-hi) ont déjà été décrits plus haut. Au niveau des mains, la seule variation par rapport à la position initiale réside dans le symbole utilisé pour la main droite sur le premier instant-clef. C'est un rond et non un tiret, ce qui signifie que la main est à l'arrière du corps. Comme le coude n'est pas noté, il faut comprendre que le bras droit est tendu. La main droite est en Alapadma, mais la main gauche reste en Katakamukha, c'est pourquoi j'ai précisé entre parenthèse l'initiale de droite pour indiquer que le changement de mudra ne concerne que la main droite. Sur le troisième instant-clef, la main droite revient à la position initiale, en Katakamukha. Comme il existe des symboles pour représenter les positions de la tête, en toute rigueur, on pourrait indiquer sur le premier instant-clef que la tête se tourne vers la droite (puis se remet de face au troisième instant-clef), mais ce n'est pas nécessaire dans le style bharatanatyam puisqu'il est implicite que l'on doit ici regarder la direction indiquée par la main qui se déplace. (Pour simplifier, j'ai utilisé ici l'écriture visuelle. Le fait que le bras droit soit tendu derrière le corps à la hauteur des épaules va impliquer une rotation du torse la droite. Une autre façon d'analyser ce mouvement correspondant à ce que l'on appelle l'écriture de base serait d'indiquer d'une part que le bras se tend sur le côté droit et que le torse se tourne de 90 degrés, mais cela nécessiterait d'introduire un nouveau signe.

La chorégraphie se poursuit avec une variante debout de la suite de pas di-di-tai vue précédemment :

“di-di-tai”

La bras droit se déplie pour se tendre vers le côté droit, la main s'ouvrant en Alapadma. Une ligne courbe s'étend au-dessus de la portée : c'est le symbole de legato indiquant ici que le mouvement du bras commence en même temps que la danseuse se lève. Sans ce signe, le mouvement du bras commencerait plus tard, juste après la frappe du pied gauche. (D'un point de vue rythmique, on pourra observer qu'au-dessus de la portée, on voit apparaître pour la première fois un trait oblique superposé à un point, il indique une subdivision des temps en 4 : l'instant-clef intervient un quart de temps après le début du temps en cours. Si le signe était tourné de l'autre côté, on serait un quart de temps avant le temps suivant.)

La partition peut en principe être déchiffrée en utilisant les indications déjà données jusque vers le milieu de la mesure 4. On peut observer que la portée servant à noter la chorégraphie comporte des blancs. Cela provient des répétitions (en miroir) dans la chorégraphie. Contrairement aux partitions musicales, en notation Benesh on laisse un espace en blanc pour les parties de la chorégraphie qui sont des répétitions. Par exemple, après la première séquence de 8 temps, j'ai laissé de la place (s'étendant sur 8 temps).

Pour aller plus loin...

Pour reprendre de façon plus détaillée ce que j'ai esquissé dans ce billet, je recommande de regarder les six petites vidéos d'introduction à la notation Benesh qui sont listées sur cette page. Ces vidéos utilisent le langage de la danse classique européenne et certaines spécificités du style de la Royal Academy of Dance, mais si on laisse de côté la courbure spécifique des bras dans le ballet et quelques autres particularités, la notation reste la même. Il ne faut pas trop s'inquiéter d'être un peu perdu quand Anuschka Roes prononce des expressions ésotériques comme closing in fifth position : il s'agit de positions des pieds qui ne sont pas immédiatement utiles pour noter le bharatanatyam.

Rudolf & Joan Benesh ont publié plusieurs livres sur la notation Benesh. Je ne les ai pas tous consultés, mais je peux dire que Reading Dance: The Birth of Choreology (Condor Book, 139 pages) est une lecture très agréable. (Il est assez facile de se procurer ce livre, neuf ou d'occasion.) Joan Benesh ayant pratiqué un peu le bharatanatyam, on pourra lire avec intérêt le court chapitre X qui lui est consacré. (L'article Notating Indian Dance, Sangeet Natak nº9 (1968) auquel j'ai fait référence plus haut est une lecture moins indispensable dans la mesure où cet article se place à un niveau très général qui ne permet pas d'approfondir la question : il n'est pas seulement question du bharatanatyam, mais aussi d'autres styles classiques ainsi que des danses folkloriques d'Inde.)

Un aide-mémoire sur la notation Benesh est disponible sur le site de l'Institut Benesh dépendant de la Royal Academy of Dance.

En français, Grammaire de la notation Benesh : manuel élémentaire d'Éliane Mirzabekiantz permet d'aller plus loin dans la notation Benesh, mais sa lecture me semble un peu plus difficile de prime abord. Le Centre Benesh est une association française promouvant la notation du mouvement. Le BeneshBlog vient d'être lancé.

Outre l'exemple que je traite dans ce billet, vous pouvez télécharger ce fichier PDF contenant une notation des quatre séries d'adavus (Tatta, Natta, Marditha, Khudita Metti) que j'ai apprises avec Arupa Lahiry (disciple de Chitra Visweswaran) à Kolkata et Delhi au cours de mon dernier voyage en Inde. Vous pouvez essayer de les déchiffrer (et constater qu'elles sont peut-être différentes de celles de votre école).

Ensuite, il convient d'avoir un crayon gris, une gomme et du papier à musique (PDF)...

Mes débuts avec la notation Benesh

En ce qui me concerne, je ne m'intéresse à la notation Benesh que depuis le printemps 2014. Pour m'entraîner, j'ai commencé par essayer de noter Shri Gana Natha, la première chorégraphie que j'ai apprise avec ma prof Jyotika Rao. Lors des cours que j'ai pris avec la danseuse Arupa Lahiry à Kolkata puis à Delhi cet été, j'ai surtout appris des adavus (par séries complètes). Une fois rentré à l'appartement que je louais, ou sur le chemin du retour, je pouvais essayer de noter les adavus qui me revenaient en mémoire, dans le désordre. Le fait de les noter m'aidait à mieux les comprendre et lors des cours suivants, je pouvais m'assurer que je ne m'étais pas trop trompé dans ma notation. À la fin de la série de cours, j'avais noté les quatre séries d'adavus qu'elle m'avait montrées : Tatta Adavus, Natta Adavus, Marditha Adavus, Khudita Metti Adavus (PDF).

Plus tard, à Pune, après chacune des quatre heures de cours que j'ai eues avec deux disciples de Sucheta Chapekar qui me montraient les mouvements de son Shiva Kautukam, je notais la chorégraphie en notation Benesh, ce qui m'aidait à la comprendre et à la mémoriser, de façon à ne pas être trop ridicule pour le dernier cours quand il s'est agi de montrer à Sucheta Chapekar où j'en étais arrivé et qu'elle me donne des conseils et corrections. Le temps passé à noter les morceaux de chorégraphie était assez réduit en comparaison de la durée des cours et de ma pratique personnelle entre les cours. La chorégraphie d'un peu plus de deux minutes tenait sur trois pages (ce qui est ni plus ni moins le nombre de pages qu'occupait la notation rythmique du texte de la musique, à l'indienne, sous forme de tableau), donc on peut considérer que la notation Benesh est relativement compacte. Par la suite, j'ai noté au fur et à mesure les autres pièces de bharatanatyam que j'ai apprises.

À partir de décembre 2014, j'ai suivi pendant cinq mois le Distance Learning Course 1 du Benesh Institute. Ce cours à distance est très bien fait. Il suppose une certaine connaissance de la terminologie du ballet. Étant aussi balletomane, ce cours m'a aussi permis d'approfondir ma connaissance du vocabulaire du ballet en même temps que la notation Benesh.

Remarques sur d'autres méthodes de notation de la danse

Deux grands systèmes de notation de la danse sont utilisés en danse classique ou en danse contemporaine. Outre la notation Benesh, il existe aussi le système de notation Laban, que je n'ai pas regardé en détail, mais il est à noter que la danseuse de bharatanatyam Rukmini Vijayakumar, en plus de son initiation à d'autres styles de danses comme le ballet, a également reçu une formation en notation Laban.

Dans le livre Bharatanatyam édité par Sunil Kothari se trouve un chapitre intitulé Dance Notation of Adavus rédigé par Padma Subrahmanyam. Cent quatorze adavus appartenant à treize familles y sont décrits. Elle y utilise son propre système de notation utilisant de façon très différente que ci-dessus les lignes d'une portée musicale. Ce système de notation n'est pas aussi complet que la notation Benesh puisque seules les positions des pieds y sont notées. Sans les compléments d'information apportés par les lignes de texte et photographies qui les accompagnent, les séquences notées ne peuvent donc pas être comprises.

Une alternative est de représenter la danse comme une suite de petits dessins schématiques, comme cela apparaît par exemple dans le Manuel traditionnel du Bharata-Nâtyam, Le Danseur Cosmographe de Katia Légeret. Un des intérêts de la notation Benesh est de dispenser le notateur de la nécessité de posséder quelque talent que ce soit en dessin !

Je serais particulièrement intéressé par d'éventuels retours sur ce billet ou par des informations à propos d'autres personnes ayant utilisé la notation Benesh (ou un autre système de notation) pour le bharatanatyam ou d'autres styles de danses classiques indiennes. (Vous pouvez utiliser les commentaires ci-dessous ou mon adresse email joel.riou@normalesup.org.)

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Camille au Mas Flores de Llum à Los Masos

2014-09-21 12:21+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Mas Flores de Llum, Los Masos — 2014-09-13

Camille, danse bharatanatyam

Sucheta Chapekar, chorégraphies

Jyotika Rao, reconstitution de la chorégraphie du Varnam

Arundhati Chapekar, chorégraphie du Ranga Dwara

Namaskar

Alarippu (Rupaka Tala)

Prastar (9 temps)

Shiva Kautukam (Chatushra Eka Tala)

Mate Sarasvati (6 temps)

Varnam “Sami yei vara sholadi” (Raga Purvi Kalyani, Adi Tala)

Ranga Dwara (Adi Tala)

Nritya Mangalam (Mishra Tala)

Cela faisait un moment que j'attendais que se présente une occasion de voir un récital solo de Camille, l'élève la plus avancée de ma prof de bharatanatyam Jyotika Rao. La première fois que je l'ai vue danser, il y a deux ans, c'était dans un Shiva Kautukam. Les trois minutes de sa performance m'avaient semblées tout à fait extraordinaires. Depuis, j'ai eu de nombreuses occasions de la voir danser d'autres pièces de danse pure ou comportant une composante pas exactement narrative, mais au moins évocatrice : il s'agit alors de rendre hommage aux dieux en évoquant leurs qualités et hauts faits. La consision des poèmes utilisés dans ce type de pièces, aussi belles soient-elles, ne permet pas d'élaborer une véritable narration. C'est donc avec un intérêt particulier que je l'avais vue pour la première fois danser un Varnam, en duo avec Laure, une autre élève avancée. Pour la première fois, ses qualités de mime étaient utilisées pour représenter des personnages humains.

Revoir ce Varnam interprété en solo au sein d'un récital complet ayant à peu de choses près la forme du Margam serait assurément une tout autre expérience. Je me suis donc dirigé vers le Sud de la France, à quelques dizaines de kilomètres de Perpignan, à Prades, en contrebas du mont Canigou :

Photo canigou
Mont Canigou

Après avoir visité la magnifique église datant de 1610, j'ai entrepris de marcher vers le Mas Flores de Llum situé dans le village voisin de Los Masos. À mi-chemin, j'entends un Namaste provenant d'une voiture avec à son bord deux femmes, dont l'Indienne en sari ayant préparé de délicieuses spécialités indiennes pour les spectateurs du récital. J'ai donc pu m'épargner les quelques kilomètres de marche restants.

Quand l'heure du récital sera venue, la salle sera pleine, la soixantaine de spectateurs ayant pris place sur les chaises ou coussins placés sur le parquet à quelques centimètres des pétales de fleurs délimitant l'espace scénique.

Le récital a commencé par un magnifique Namaskar. Dans cette salutation silencieuse aux maîtres et au public, la danseuse s'excuse auprès de la Terre de la souffrance qui lui sera infligée du fait des frappes de pieds. Cela n'a duré que quelques secondes, mais l'exécutation a été tellement pleine de grâce et de majesté que j'ai presqu'eu du mal à contenir mon émotion.

La première pièce du récital proprement dit a été un délicieux Alarippu à trois temps. Si je reconnais quelques enchaînements (adavus) exécutés, ce que je vois est néanmoins à l'opposé de la froideur géométrique de certaines écoles. De quasi-imperceptibles petits mouvements ajoutent une saveur particulière à ces enchaînements qui paraissent plus courbes et harmonieux. Bref, je crois reconnaître des adavus, mais je me rends compte que je ne les connaissais pas vraiment.

Le récital se poursuit avec Prastar, un hommage à la Déesse que j'ai déjà vu de nombreuses fois. Utilisant un rythme à 9=5+4 temps de musique hindustani, cette pièce évoque Saraswati, la Déesse des Arts représentée avec sa vînâ, la bienveillante Lakshmi, qui apporte la prospérité, et la féroce Durga dont la monture est un tigre.

Vient ensuite Shiva Kautukam. Il s'agit de la pièce que j'ai apprise à Pune avec Sucheta Chapekar et deux de ses disciples. Si la version que je connais est censée être plus masculine, la danse de Camille ne manque aucunement de vigueur ! Si du point de vue rythmique, les deux versions sont identiques, les mouvements de bras et de mains me donnent, comme dans l'Alarippu, le sentiment de voir un tableau harmonieux et raffiné alors que la version que je pratique ne semble n'en être qu'au stade de l'esquisse grossière. Ce que j'ai préféré plus que tout dans cette pièce, plus encore que le Kautukam proprement dit, c'est le Shloka en l'honneur de Shiva qui a précédé. Il évoque l'assemblée de dieux et musiciens célestes qui se sont réunis pour assister à la très impressionnante danse cosmique de Shiva (Tandava).

La pièce suivante sur un poème de Tagore s'intitule Mate Sarasvati. Du strict point de vue musical, il s'agit à mon goût de la pièce la moins intéressante du récital, la même mélodie étant inlassablement répétée en arrière-plan. Ceci permet certainement de se repérer dans le cycle rythmique à 6 temps, mais c'est à peu près tout. Les quelques courts moments évocateurs de la chorégraphie représentent Sarasvati comme Déesse des Arts et de la parole. Elle joue de la vînâ et le son de la musique déclenche le plaisir esthétique de ceux qui l'entendent. Les passages de danse pure sont extrêmement développés, très vifs et très complexes d'un point de vue rythmique ! Ceci fait que cette pièce est sans doute la plus spectaculaire du programme.

La pièce centrale du récital est un Varnam dans lequel l'héroïne se languit de Muruga. Avant ce récital, j'avais déjà vu ce Varnam interprété par Jyotika Rao au Cendre Mandapa, et plus récemment en duo par Camille et Laure. Au troisième visionnage, je découvre toujours de nombreux détails, comme les nombreuses références au paon, la monture de Muruga. Un épisode complet du Varnam que je n'avais pas compris a commencé à prendre sens pour moi : la chorégraphie raconte en effet les raisons de la naissance de Muruga, né pour tuer le démon Taraka qui ne pouvait être vaincu que par un fils de Shiva. Je me délecte des nombreux détails de la chorégraphie, comme l'utilisation de fleurs florales différentes par l'archer Kama, ou par l'intervention d'un oiseau servant de messager à l'héroïne pour le mot qu'elle vient d'écrire. Le passage le plus délicieux du Varnam a été pour moi l'insistance désespérée de l'héroïne auprès de son amie (sakhi) pour qu'elle aille rapporter ses paroles à Muruga : Vas-y ! Maintenant, tout de suite ! Mais... vas-y !.

L'avant-dernière pièce est le très vif Ranga Dwara évoquant Krishna. Il est représenté avec sa flûte et sa plume de paon. Dans cette chorégraphie d'Arundhati, la fille de Sucheta Chapekar, les mouvements de pieds sont particulièrement originaux, et coordonnés avec les mouvements de bras, ils induisaient souvent une courbure particulière du corps.

J'e n'ai pas de souvenir précis de la dernière pièce Nritya Mangalam. Je me serais à vrai dire presque contenté de la présentation des mouvements qui avait précédé et qui était accompagnée de la récitation de vers sanskrits et de leur traduction. J'ai failli applaudir à la fin de cette présentation, mais la pièce proprement dite a ensuite été dansée sur un rythme à 7 temps pour s'achever sur le sentiment de paix (Shanta).

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Danses Manipuri au NCPA Mumbai

2014-09-19 14:02+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XIII — Photographies

De retour à Mumbai, j'ai déposé ma valise dans un hôtel (pas excessivement cher, mais chambres minuscules) situé non loin de la gare Chhatrapati Shivaji Terminus :

Photo 664

J'avais déjà fait une très courte étape à Mumbai entre mes séjours au Gujarat et à Pune. Comme c'était le 15 août, fête de l'indépendance de l'Inde, ce monument était illuminé aux couleurs de l'Inde. Je n'avais alors pu photographier que le bâtiment administratif situé en face :

Photo 658

Au cours de l'après-midi, je me suis dirigé vers la cuisine centrale de la Pâtisserie Le15 et ai dégusté quelques fort bons macarons (bien meilleurs que ceux que j'avais mangés à Delhi) :

Photo 665

L'intérieur est beaucoup plus propre que l'extérieur !

Photo 666

Photo 667

Experimental Theatre, National Centre for the Performing Arts, Mumbai — 2014-07-23

Darshana Jhaveri, danse manipuri

Bimbavati Devi, danse manipuri

Danseurs et musiciens de Mumbai, Kolkata et du Manipur

Hommage à Guru Bipin Singh pour le 96e anniversaire de sa naissance

Le soir, j'ai assisté à un spectacle de danses Manipuri au NCPA Mumbai. Alors que je suis assis dans le hall, le critique de danse Dr. Sunil Kothari (qui était présent à Chennai pendant mon séjour lors la dernière saison de danse) me donne du Namaste !

Ce programme célèbre le 96e anniversaire du maître de danse Guru Bipin Singh décédé en 2000. Après une prière dansée par Bimbavati Devi, fille et disciple du maître, Sunil Kothari prononce un bref discours sur la danse Manipuri, qui est reconnue comme une des danses classiques de l'Inde. Le conférencier a souligné que Guru Bipin Singh avait initié une sanskritisation de cette danse. S'appuyant sur les traités sanskrits sur lesquels reposent d'autres styles classiques, il avait introduit dans ce style des éléments (des gestes de mains notamment) qui rendent plus classique le style Manipuri que certains pourraient ne considérer que comme une danse folklorique de l'état du Manipur, voisin de la Birmanie. Cela a été me semble-t-il tout l'enjeu de ce spectacle, en réalité un double spectacle.

Si l'orchestre a été le même pendant toute la représentation, deux troupes ont dansé successivement. La première est formée de danseurs originaires de Mumbai sous la direction de Darshana Jhaveri, elle aussi originaire de cette région, et qui était venue avec ses sœurs apprendre le style Manipuri auprès de Guru Bipin Singh. Si on laisse de côté les costumes spécifiques, ce qui me frappe le plus dans la danse de Darshana Jhaveri (74 ans !) et de ses disciples, ce sont les mouvements de mains, qui tournent en permanence, formant des sortes de spirales. La danse est dénuée de toute utilisation de position de mains (mudras) communes avec les autres styles de danses classiques ! J'ai l'impression de voir quelque chose de tout à fait nouveau pour moi. La danse me paraît complètement indéchiffrable. Les passages censés être plus ou moins narratifs (sur des thèmes liés à Krishna) me sont incompréhensibles, notamment parce que les danseurs n'utilisent pour ainsi dire pas l'expression faciale pour suggérer des sentiments : à un instant donné, je ne sais même pas si c'est Krishna ou Radha que Darshana Jhaveri représente ! Une des pièces est une compétition de virtuosité (sur le cycle rythmique Tivratal) entre les deux interprètes respectifs de Krishna et Radha, Krishna étant reconnaissable à la plume de paon agrémentant son costume. Une partie de la danse est constituée de spectaculaires pirouettes utilisant les genoux comme centre de rotation en contact avec le sol. D'autres mouvements de rotation autour de la scène rappellent les manèges qu'exécutent les danseurs de ballet ! Si avec cette première moitié de représentation, j'ai l'impression d'avoir assisté à un spectacle authentique issu d'une culture très différente, je reste perplexe parce que les codes me sont inconnus, et les aspects qui retiennent le plus l'attention du public (la virtuosité) ne sont pas ceux que je cherche en tant que spectateur de danse ; à certains moments, je n'ai donc pas pu m'empêcher d'éprouver quelqu'ennui.

Les danses de la première partie étaient toutes, ou presque toutes, des pièces chorégraphiées par Guru Bipin Singh que Darshana Jhaveri a remontées. Dans la deuxième partie, Bimbavati Devi, la fille du maître va présenter ses propres chorégraphies. Elle a manifestement poussé beaucoup plus loin que son père la sanskritisation du style Manipuri. Cette deuxième partie de spectacle m'a été beaucoup plus agréable parce que j'ai pu suivre davantage ce que les danseurs voulaient exprimer, mais cette classicisation fait aussi que ce spectacle est sans doute moins fidèle à la tradition et il est paradoxal que ceci vienne de la fille-même du maître dansant avec des disciples de Kolkata et du Manipur plutôt que de la première troupe dirigée par Darshana Jhavari qui est basée à Mumbai !

Ainsi la première pièce Mathura Nartan dansée par Bimbavati Devi évoque les bijoux de Krishna. La deuxième Dashavatar évoque de façon élaborée les avatars de Vishnu. Elle est interprétée par deux hommes. L'essentiel du temps, ils exécutent étrangement les mêmes mouvements narratifs de façon synchronisée. Je n'ai pas reconnu avec certitude tous les avatars, mais j'ai été particulièrement frappé par l'évocation de l'avatar de la tortue (Kurma) qui donne aux deux danseurs l'occasion de représenter le mythe du Barratage de la Mer de lait, les dieux et démons tirant chacun de leur côté sur le serpent Vasuki pour faire tourner le mont Mandara qui repose sur la carapace de la tortue. Depuis le passage du Ballet Royal du Cambodge à la Salle Pleyel en 2010, je n'avais pas revu cette partie du mythe représentée sur une scène de danse.

La pièce suivante est shivaïte : un groupe plus important de trois danseurs et trois danseuses interprète Shiva Bandhana. Elle est particulièrement saisissante par l'utilisation de poses renvoyant à l'iconographie que la multiplicité des danseurs permet de représenter simultanément. On voit ainsi notamment le danseur cosmique Nataraja et celui qui a la gorge bleue (Nilakantha). Shiva porte des cendres sur son front, la rivière Ganga s'écoule de son chignon, il joue du tambour Damaru, il monte Nandi et porte le trident.

L'avant-dernière pièce évoque la terrible Durga au trident et dont la monture est le tigre. Dans cette chorégraphie très classique, Bimbavati Devi représente semble-t-il aussi sa rencontre avec Shiva : l'archer Kama est réduit en cendres. La dernière pièce dansée par deux couples évoque le printemps Basanta, avec d'heureux couples d'oiseaux d'une espèce indéterminée et de perroquets. Cette pièce s'enchaîne avec une représentation de la célébration de la fête de Holi avec tous les danseurs, le percussionniste venant exécuter des figures acrobatiques tout en jouant de son instrument...

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Bharatanatyam à Pune avec Sucheta Chapekar et ses disciples

2014-09-18 12:38+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XIII

Je suis arrivé à Pune un samedi après-midi. Une voiture m'attendait pour me conduire à l'IISER, un institut de recherche où je passerai la semaine et dont le bâtiment principal a été inauguré il y a quelques mois par le Président de l'Inde. J'y retrouve avec plaisir mes amis Supriya et Amit qui y travaillent depuis quelques mois et j'y donnerai au cours de la semaine plusieurs exposés de mathématiques. Les petits-déjeuners et dîners de la Guest House étaient excellents. Croyant bien faire les deux cuisiniers avaient initialement réduit la quantité d'épices ; je leur ai demandé d'utiliser la quantité normale. Progressivement, les plats devenaient de plus en plus épicés de jour en jour jusqu'à atteindre le parfait dosage.

Le dimanche après-midi, j'ai rendu visite à Sucheta Chapekar (guru de ma prof) et après discussion, il a été convenu qu'au cours de mon séjour j'apprendrais avec deux de ses disciples le Shiva Kautukam qui m'avait tant plu. Elle m'a aussi suggéré d'assister au spectacle qui allait se tenir quelques heures plus tard :

Jyotsna Bhole Sabhagruha, Pune — 2014-08-17

Priya Nimkar Joshi, bharatanatyam, chorégraphies

Sucheta Chapekar, chorégraphie du Tillana

Uttakaad Kavi, compositions

Dr. Sau Kalyani Namjoshi, discours

Manasi, Neha, Ambari, Saniya, Jai, bharatanatyam

Hommage à Ganesh

Offrande de fleurs

Solo

Padam

Tillana “Kalinga Narthana” (Raga Gambhira Nattai)

Une des disciples de Sucheta Chapekar a proposé un programme autour des compositions sur Krishna d'Uttakaad Kavi. Le 17 août était en effet le jour de Krishna Janmashtami, l'anniversaire de la naissance de Krishna.

Après quelques mots d'introduction, Dr. Sau Kalyani Namjoshi et Sucheta Chapekar ont inauguré le programme en exécutant quelque bref rituel propitiatoire sur l'espace scénique. Dr. Sau Kalyani Namjoshi a ensuite prononcé un long discours sur les différents aspects de Krishna. Après avoir salué le public de rasikas et récité un shloka sanskrit, elle a commencé sa conférence en marathi. Je n'ai strictement rien entendu à ce qu'elle disait, mais je pouvais au moins comprendre à quelles épisodes des épopées elle faisait référence en faisant attention aux noms propres qu'elles prononçait, comme Draupadi ou Ashwattaman.

Plus de trois semaines après le récital, les détails se sont quelque peu effacés de ma mémoire, mais je me souviens de la délicieuse première pièce exécutée par quatre jeunes disciples de Priya Joshi. Alternant passages expressifs et passages rythmiques (les césures étant adoucies par les interprètes de la musique enregistrée), elles ont évoqué Ganesh, fils de Parvati, puis de Shiva. Elles ont mis en valeur ses oreilles, sa monture, sa trompe. Priya Joshi a ensuite dansé en solo une offrande de fleurs souhaitant la bienvenue à Krishna si j'en crois le texte que j'entendais (Swagatam Krishna). Une des disciples a ensuite interprété une pièce décrivant à quel point Radha est intoxiquée par les ondes sonores produites par la flûte de Krishna qui parviennent à ses oreilles, tandis qu'autour d'elle abeilles et oiseaux semblent heureux. L'avant-dernière pièce du programme a été interprétée par Priya Joshi, il s'agit d'un Padam évoquant certains sentiments maternels de Yashoda s'en allant chercher de l'eau tandis que Krishna fait le fier avec ses bracelets et colliers.

Si toutes les pièces précédentes m'ont beaucoup plu, le frissonnomètre est monté beaucoup plus haut, à un niveau rarement atteint, pendant la dernière pièce dansée par quatre jeunes disciples. J'ai cru mourir de plaisir en voyant ce Tillana, la seule pièce du programme à avoir été chorégraphiée non pas par Priya Joshi mais par Sucheta Chapekar. J'ai immédiatement reconnu le fameux Tillana “Kalinga Narthanam” (Raga Gambhira Nattai). La chorégraphie est absolument magnifique. Krishna joue à la balle avec ses amis et la balle retombe dans la Yamuna. Krishna se dévoue pour aller la chercher, mais le serpent Kalinga y règne. La chorégraphie montre Krishna en train de dompter le serpent, représenté par trois danseuses représentant chacune une de ses têtes ondulantes. Cette scène est particulièrement impressionnante ! Il s'agit là d'un des plus grands moments de bharatanatyam auxquels j'aie assisté. Il est particulièrement plaisant que ce thème lié à l'enfance de Krishna soit interprété par de jeunes danseuses.

Les jours suivants, je suis retourné chez Sucheta Chapekar prendre un cours avec deux de ses disciples Mugdha et Prajaksha (qui devaient par ailleurs répéter une chorégraphie de groupe sur le Ramayana, Mugdha interprétant Lakshman et une autre disciple, Yashoda, interprétant (magnifiquement) Rama). Prajaksha me montrait les mouvements tandis que Mugdha marquait le rythme avec un bâton et rectifiait la chorégraphie en cas d'hésitation ou de doute (notamment sur des questions de rythme, quand je constatais des différences avec la partition rythmique que j'avais photocopiée). Chaque soir, je notais en notation Benesh les sections de la chorégraphie que j'avais apprises lors du cours (je reviendrai dans un prochain billet sur cette notation de la danse), ce qui m'aidait à comprendre la chorégraphie et à la mémoriser. Au bord de quatre heures de cours et pas mal de pratique, à quelques hésitations près, je pouvais plus ou moins danser la pièce, ce que mes deux professeures ont constaté lors du dernier cours. Le temps était donc venu de le faire voir à Sucheta Chapekar. Alors que nous n'avions travaillé jusque là qu'avec les bols, je me suis retrouvé à devoir le danser pour la première fois avec un enregistrement de la véritable musique devant la chorégraphe... Étonnamment, je suis arrivé à rester synchro avec la musique jusqu'au bout. Elle a fait quelques corrections à la chorégraphie et m'a donné des conseils et pour finir, elle m'a fait faire le Namaskar.

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Planning de septembre 2014

2014-09-06 13:32+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Planning

Après mon séjour en Inde, reprise des activités normales. Voici mon planning de septembre 2014 :

  • 2 septembre 2014 (Opéra Garnier) : Le Tanztheater Wuppertal a interprété Two Cigarettes in the Dark, plus Theater que Tanz.
  • 13 septembre 2014 (Mas Flores de Llum, Los Masos) : Avant de s'en aller très loin de la France pendant un an, l'élève la plus avancée de ma prof de bharatanatyam donne un récital dans le Sud de la France. Si je l'ai probablement déjà vu danser la plupart de ces pièces isolément lors de récitals collectifs, j'ai très hâte de les voir rassemblées dans un récital solo complet !
  • 17 septembre 2014 (Théâtre de l'ENS) : L'École normale supérieure organise une semaine indienne. Je recommande fortement aux cinéphiles d'assister à la projection de Charulata de Satyajit Ray qui aura lieu le 16 septembre. J'irai pour ma part à la soirée consacrée aux danses classiques indiennes le 17 septembre au Théâtre de l'ENS.
  • 18 septembre 2014 (Salle Pleyel) : Mon premier concert à Pleyel de la saison sera un concert de l'orchestre de Paris dirigé par Paavo Järvi, avec en soliste le magnifique violoncelliste Xavier Phillips.
  • 20 septembre 2014 (Opéra Garnier) : Défilé du Ballet de l'Opéra de Paris, suivi d'un programme Harald Lander/William Forsythe. J'ai déjà vu les pièces de Forsythe qui sont programmées, mais je découvrirai avec curiosité Études de Lander.
  • 23 septembre 2014 (Salle Gaveau) : Les trois jeunes chefs des Talents Adami dirigeront l'orchestre Colonne dans un programme assez enthousiasmant a priori (Prokofiev/Chostakovitch/Stavinsky).
  • 26 septembre 2014 (Centre Mandapa) : La superbe danseuse de bharatanatyam Janaki Rangarajan dansera son programme Antaryatra: The Journey Within.

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Gati Summer Dance Residency : six créations de danse contemporaine au Max Muller Bhavan

2014-08-04 15:19+0530 (ग्रेटर नोएडा) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XIII — Photographies

Mardi dernier, je me suis rendu à l'autre bout de Delhi, dans le quartier de Malviya Nagar pour retirer une entrée (gratuite) pour la première représentation du spectacle All Warmed Up en clôture de la Gati Summer Dance Residency.

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Six danseurs-chorégraphes (cinq indiens, une sri-lankaise) ont travaillé pendant dix semaines avec d'autres artistes (comme Padmini Chettur) pour mettre au point une pièce de danse contemporaine. Pour me rendre sur place, j'ai suivi les indications précises de leur site, mais elles oubliaient de préciser que de quelque côté que l'on marche sur la Press Enclave Road, il faudrait souffrir la puanteur de tas d'ordures :

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Le chemin du retour m'a fait passer devant le mall Select CityWalk. Je déteste ces lieux où l'on chercherait en vain toute trace de civilisation :

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Aucun des restaurants ne m'a paru intéressant, agréable et à des prix raisonnables. Alors que j'allais sortir, je suis tombé sur une pâtisserie appelée L'Opéra. Il en existe plusieurs à Delhi. Les tarifs sont à peu près les mêmes qu'en France. Une expatriée m'a dit plus tard qu'ils faisaient du très bon pain. Le mille-feuilles et le macaron que j'y ai mangés m'ont rendu beaucoup moins enthousiaste...

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Siddharta Hall, Max Mueller Bhavan, Goethe-Institut, Delhi — 2014-07-31

Ghostape, son

Govind Singh Yadav, lumières

Riya Mandal, chorégraphie, danse, costume

unfold @ 70bpm (création)

Rajan Rathore, chorégraphie, danse, costume

Sasha Shetty, danse

parallel (création)

Venuri Perera, chorégraphie, danse, costume

traitriot (création)

Rachnika Gopal, chorégraphie, danse, costume

looking within without (création)

Avantika Bahl, chorégraphie, danse, costume

110048, M81 (création)

Mirra, chorégraphie, danse, costume

according to official sources... (création)

Je suis arrivé très en avance au Max Mueller Bhavan jeudi soir. Il pleuvait assez fort. Pas grand monde sachant me dire où se trouvait le Siddharta Hall, que j'aurais trouvé plus facilement si j'avais ignoré son nom. De toute façon, il n'ouvrira pas avant 19h. En attendant, je tourne en rond, je vois pour la première fois ici des toilettes messieurs signalées par Herren. Le petit monde de la danse contemporaine à Delhi arrive progressivement, se fait la bise, etc. Quand la porte ouvre enfin, je profite de la fraîcheur de l'air conditionné et m'installe dans la salle qui sera pleine à craquer avec 90 spectateurs environ. (La deuxième des trois représentations prévues était déjà complète au moment de cette première.)

La première pièce est interprétée par Riya Mandal. La musique est une pulsation régulière (70bpm) dans laquelle s'insinueront des subdivisions. La danseuse est d'abord assise et réalise des mouvements du visage plus ou moins grimaçants à 70 bpm. Le mouvement s'empare progressivement de tout son corps (comme dans un Alarippu) et elle abandonne aussi sa chaise. Les mouvements de mains plus ou moins indépendants sont particulièrement fascinants. Cette entrée en matière est à mon avis une réussite.

La deuxième pièce est le sommet de la soirée. Il s'agit d'un duo entre Rajan Rathore (hip-hop) et la danseuse de ballet Sasha Shetty (qui me dira ensuite qu'elle apprend cette danse avec une prof russe, mais que leurs spectacles annuels n'ont lieu qu'en avril...). La pièce commence par une course-poursuite en rond dans l'espace scénique, chacun maintenant en permanence son regard dirigé vers l'autre. Les mouvements des deux conserveront un parallélisme jusqu'au bout. Si leurs mouvements ne sont pas toujours symétriques, ils sont toutefois réglés sur la même rythmique. On verra ainsi parfois Sasha Shetty utiliser des postures de danse classique tandis que Rajan Rathore exécute des mouvements de hip-hop. Un des moments forts de la pièce a été celui où les deux danseurs se tenaient debouts, penchés, épaule contre épaule, ce contact rendant l'équilibre possible. Il résume aussi le sujet de la pièce allant d'une opposition à union harmonieuse entre les deux danseurs.

Les trois pièces suivantes m'ont moins passionné. Toutes ont eu un côté hypnotique, mais je n'ai pas très bien saisi le message. Dans Traitriot, Venuri Perera (Sri Lanka) utilise la répétition de suites de mouvements de façon assez dérangeante, mais le contenu politique revendiqué de la pièce ne me paraît pas très clair (quelle est cette musique qui retentit à la fin ? est-ce un hymne ?)

Après l'entr'acte, Rachnika Goyal interprète looking within without. Il s'agit d'une méditation, ou d'une introspection en surplace. Le poids de la danseuse est bien passé d'un pied à l'autre une ou deux fois au cours de la pièce, mais pour ainsi dire seul le haut du corps a bougé, et très lentement, au cours de la pièce. Le fil de pensée du personnage m'est resté assez mystérieux, comme si un mur empêchait toute communication... Je n'ai rien contre ce type de danse, qui doit constituer une expérience très intéressante et éprouvante pour la danseuse, mais la présence du public n'est-elle pas superflue ?

Je suis aussi passé à côté de 110048, M81 d'Avantila Bahl. Elle a commencé par marquer l'espace en traçant une diagonale avec un rouleau adhésif. Plus loin, elle représentera semble-t-il des jeux d'enfants, notamment des jeux avec un arc ? La pièce devait évoquer la notion de Home, mais comme elle l'a expliqué à la fin, ce n'est pas tellement un chez soi qu'elle cherchait, mais un en soi.

Le programme s'est terminé en feu d'artifice avec la jubilatoire performance de Mirra (Arun). Elle a tourné en dérision les médias dans cette pièce according to official sources.... L'interprète est apparue avec une multiprise enroulée autour du cou ! On se croirait dans un ballet de Mats Ek. Je ne suis pas certain d'avoir saisi toutes les paroles prononcées par Mirra dans cette pièce en raison de son accent prononcé, mais il était semble-t-il question d'une annonce journalistique d'un drame mettant en scène des moustiques. Selon les sources officielles, certains d'entre eux étaient indiens et d'autres étrangers. La phrase But where is the plane  (ou quelque chose d'approchant phonétiquement parlant) revenait comme leitmotiv entre deux développements de charabia et avant que What a wonderful world apparaisse dans la bande-son. On pourrait penser que cette pièce n'était que drôle (cet aspect culminant avec l'utilisation par l'artiste d'un spray anti-moustiques), mais Mirra est aussi une remarquable danseuse. Elle utilise certes son corps de façon peu orthodoxe, mais sa technique m'a beaucoup impressionné et cela a contribué à faire de cette pièce celle que j'aie préférée avec le duo parallel de Rajan Rathore.

À l'issue de la représentation, les danseurs se sont prêtés à une agréable discussion avec la partie du public qui voulait bien rester. Je suis plutôt très content d'avoir assisté à ce programme !

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Geeta Chandran et la Natya Vriksha Dance Company au Chinmaya Mission Auditorium

2014-07-28 15:15+0530 (ग्रेटर नोएडा) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XIII

Chinmaya Mission Auditorium, Delhi — 2014-07-26

Geeta Chandran, bharatanatyam

Natya Vriksha Dance Company, bharatanatyam

Rasānanda

Rarement un récital de bharatanatyam m'aura autant déçu... Ce programme a eu lieu à l'auditorium de la Chinmaya Mission près des jardins de Lodi (j'en ai profité pour visiter ces jardins, mais aussi les tombeaux de Najaf Khan et de Safdarjung et rencontrer le journaliste freelance Ankit Agrawal qui m'a fait goûter des Dahi Puri à l'India Habitat Centre). J'avais déjà eu l'occasion en 2009 d'aller à la Chinmaya Mission pour un récital de bharatanatyam de Sharanya Chandran. J'avais oublié son nom, mais je gardais le souvenir d'un récital de bonne qualité. Il se trouve que cette danseuse sera encore sur scène, mais elle ne sera qu'une des sept danseuses de la Natya Vriksha Dance Company de sa mère Geeta Chandran.

Les pièces sont annoncées de façon quelque peu prétentieuse par un speaker qui parle beaucoup pour ne rien dire. L'ensemble du récital m'a beaucoup ennuyé. J'ai pourtant eu l'impression de comprendre ce que voulaient exprimer les danseuses. Seules une ou deux scènes m'ont vraiment intéressé, ainsi que certains jeux de placement du corps de ballet dans des passages de danse pure.

La première pièce Mallari met en scène les sept danseuses et est plutôt réussie. Elle évoque un temple (de Shiva ?) et plus spécifiquement les cérémonies du soir au cours desquelles on promène la divinité autour du sanctuaire, les danseuses s'organisant pour former le cortège. Dans les passages de danse pure, je reconnais de plus en plus d'adavus, mais je constate aussi que les danseuses ne sont pas vraiment en position assise et que certaines font à peine semblant d'aller regarder leur main dans le dos... Jusque là, ce programme est plutôt honnête.

Les choses se gâtent sérieusement avec la pièce suivante Govindanandana que j'ai détestée. Dans ce solo, Geeta Chandran évoque divers aspects de Krishna. Elle commence par représenter l'Univers, puis après un jati peu convainquant, elle représente l'Océan cosmique, Vishnu sur le serpent Shesha et Lakshmi lui massant les pieds. Il s'agit à mon avis de la plus belle image de l'iconographie hindoue. Pourtant, j'ai trouvé affreuse l'interprétation de Geeta Chandran. Sa façon de faire apparaître le lotus du nombril de Vishnu-Padmanabha était particulièrement disgracieuse... Dans le chapitre suivant, elle évoque l'épisode de la Bhagavad Gita tandis que dans la musique enregistrée se fait entendre en boucle Parthasarathy ; sans le texte il n'est pas certain que j'aurais compris de quoi il s'agissait. La pièce se conclut par une évocation littérale mot à mot de l'Océan des réincarnations (Samsara Sagara).

La pièce suivante est un Varnam intitulé Vanajaksha interprété par les sept danseuses de Natya Vriksha. Elle évoque la vie du jeune Krishna dans une alternance entre passages rythmiques et passages narratifs, pas toujours très clairs. Les entrées et sorties des danseuses ne semblent obéir à aucune logique. Sharanya Chandran est semble-t-il une des danseuses les plus douées de la compagnie, elle incarne souvent le rôle de Krishna. Le seul passage vraiment remarquable de cette pièce (et de tout le récital) représente le jeune Krishna en train de jouer à la balle avec ses amis. La balle est lancée un peu trop loin et tombe dans un étang où règne l'effrayant serpent Kaliya. On voit alors Krishna retrousser ses vêtements, attacher ses cheveux et dompter le serpent. La scène était particulièrement impressionnante dans la mesure où les têtes multiples du serpent étaient figurées par trois danseuses. Dans une autre scène, Krishna vole les vêtements des pudiques bouvières qui étaient allées se baigner dans la Yamuna.

Le Tillana exécuté par le corps de ballet et évoquant très brièvement Krishna/Murali m'a semblé long et ennuyeux, mais pas autant que la pièce finale Bhuvaneshwara sur un poème de Tagore interprétée par Geeta Chandran.

Je n'ai pas osé demander à la critique Leela Venkataraman assise à quelques sièges de moi ce qu'elle avait pensé de ce programme...

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Kolkata, Srirampur, Chandernagor

2014-07-27 12:20+0530 (ग्रेटर नोएडा) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XIII — Photographies

Je n'ai pour ainsi dire pas eu le temps de visiter Kolkata lors de ce séjour. Je me suis contenté d'explorer la Ganesh Chandra Avenue pour dénicher un bon stand de lassi ainsi que Chowringhee pour trouver un cyber-café. Près d'un marché, je me suis fait aborder par un photographe d'un journal local qui voulait semble-t-il me prendre en photo en train de photographier un drapeau allemand qui flottait à proximité.

Samedi (12), j'ai passé la fin de l'après-midi avec Abhishek (cf. Parasnath) à Srirampur où il tient l'unique boutique de livres de la gare. Assis à côté de lui jusqu'à la fermeture, j'ai pu voir à quel point il était charmant avec ses clients.

Monsieur Rabin Chattapadhyay nous a rejoint et il nous a fait voir quelques endroits de Serampur comme le collège, l'usine de jute au bord de la Ganga (comme tout le monde l'appelle, même si le nom Hooghly serait plus correct), des temples hindous de Radha-Krishna ainsi que de Jagannath. Une particularité de Srirampur est de disposer d'un tel temple ainsi que de la deuxième plus ancienne fête de Rath Yatra après celle de Puri (Odisha). S'il est défendu aux non-hindous d'entrer dans le temple de Puri, je peux maintenant m'enorgueillir d'avoir visité un temple de Jagannath... Comme la fête de Rath Yatra est proche, aux alentours du grand char s'organise une fête foraine. Outre une dégustation de jalebis, je me suis laissé entraîner par Abhishek dans une de ces attractions infernales où le chaos surgit de la superposition de trois mouvements de rotation...

Le lendemain matin, après un nouvel arrêt à Srirampur, je suis descendu à Chandernagor pour passer la journée (et une nuit) dans la maison d'Arijit (cf. 2008, 2010, 2012) qui était en construction lors de ma précédente visite il y a deux ans. J'ai encore une fois divinement bien mangé... Adrija a maintenant sept ans et est inscrite à une école où les cours se font en anglais ; elle est très à l'aise dans cette langue.

Le temps ne nous a pas permis de nous promener, juste de nous faire arroser, malgré la réparation de mon parapluie par un des des artisans dont c'est la spécialité. Avec Arijit, nous avons regardé le film Oh my God avec Akshay Kumar, une comédie plutôt honnête.

J'ai repris le train le lundi matin avec Arijit qui m'a présenté à ses amis du train direct Chandernagor-Howrah et puis nous avons traversé le fleuve. Nous nous sommes quittés peu après qu'il m'a fait voir le bâtiment de l'Assemblée législative où il travaille.

L'après-midi, je suis allé rendre visite à la danseuse de bharatanatyam Arupa Lahiry de la Chidambaram Dance Company de Chitra Visweswaram. Malgré ses indications précises, j'ai eu quelques difficultés à trouver l'endroit. C'est pourtant simple, après être descendu à Rabindra Sarovar, il suffit de prendre un premier rickshaw (tous collectifs dans ce quartier) en direction d'un poste de police, traverser un carrefour, marcher une centaine de mètres, monter dans un deuxième rickshaw jusqu'à une certaine intersection, tourner à gauche, prendre la petite ruelle à gauche jusqu'à une maison isolée... Nonobstant le jeune âge de cette danseuse, j'ai été agréablement surpris par ses qualités pédagogiques et sa connaissance des subtilités du sanskrit dans son explication du poème d'un kriti Sri Rajarajeshwari qu'elle a commencé à m'enseigner quelques jours plus tard. Après le premier cours, nous sommes allés dans un restaurant bengali avec Ganesh, un de ses amis percussionnistes ; ce n'est pas encore cette fois-ci que j'arriverai à payer ne serait-ce que ma part lors d'une sortie avec des Indiens... Le lendemain matin, j'ai repris un nouveau cours avec elle et fait connaissance avec son mari bassiste de jazz avant de prendre le Kolkata Rajdhani en direction de Delhi. Ayant exceptionnellement opté pour la première classe, j'ai profité de la très bonne nourriture servie à bord :

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Howrah Bridge

Photo 044
Thé à bord du Kolkata Rajdhani

Photo 046
Dîner à bord du Kolkata Rajdhani

Par le plus grand des hasards, il se trouve qu'Arupa était dans le même train que moi ! puisqu'elle va désormais habiter à Delhi. J'ai donc pu continuer à prendre des cours (6 en tout) avec elle près de la maison familiale non loin de ce temple de Kali (qui comporte deux sanctuaires secondaires de Krishna-Radha et de Shiva).

Photo 064
C. R. Park, Kali Mandir

Nous pouvions louer une petite salle dans une institution (école, clinique, etc) non loin de là. J'ai ainsi appris ou revu une trentaine d'adavus (les séries complètes des Tatta, Natta, Marditha et Khuditta Metti) que j'ai notés en notation Benesh (j'aurai l'occasion d'y revenir dans un prochain billet). J'ai aussi appris des extraits d'un kriti Sri Rajarajeshwari dont voici une notation des 20 secondes que durent le Swaram, assez tordu d'un point de vue rythmique...

Photo 094
Swaram en notation Benesh

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Le vite dit de juin 2014

2014-07-09 14:00+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Opéra — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Photographies

Salle Pleyel — 2014-06-02

Les Talens Lyriques

Christophe Rousset, direction musicale

Gyula Orendt, Orfeo

Emöke Barath, Euridice

Carol Garcia, La Musica, La Messagiera, Speranza

Elena Galitskaya, Proserpina, Ninfa

Cyril Auvity, Pastore

Alexander Sprague, Pastore

Nicholas Spanos, Pastore

Daniel Grice, Pastore

Gianluca Buratto, Caronte, Plutone

Damian Thantrey, Apollo

Chœur de l'Opéra de Lorraine

Merion Powell, chef de chœur

Ludovic Lagarde, Sébastien Michaud, création lumières

Orfeo (Monteverdi)

Je regrette presque d'avoir assisté à cette version de concert d'Orfeo qui n'a pas atteint les sommets de la version scénique donnée à la Cité de la musique à l'automne. Il devrait être interdit de modifier les réglages des lumières de la Salle Pleyel pendant qu'un orchestre joue : il est lamentable que le bruit de la motorisation des luminaires gâche ainsi un concert. Du point de vue vocal, les plus grandes sensations sont venues d'Elena Galitskaya.

Barbican Hall — 2014-06-05

Bernard Haitink, direction

Chamber Orchestra of Europe

Manfred, ouverture (Schumann)

Isabelle Faust, violon

Concerto pour violon (Berg)

Symphonie nº6 Pastorale (Beethoven)

La complexité topologique du Barbican Hall me donne une préfiguration de ce que sera peut-être la future Philharmonie de Paris. Je doute cependant que la nourriture y sera aussi appétissante...

Je n'ai pas accroché au Schumann, j'ai apprécié le concerto pour violon de Berg (plus tonal que je ne l'aurais imaginé) et j'ai évidemment adoré la Symphonie Pastorale qui était la raison de mon déplacement à Londres pour le week-end. C'était tout autant exaltant que la première fois que j'avais entendu le Chamber Orchestra of Europe et Bernard Haitink interpréter cette œuvre.

Royal Academy of Music — 2014-06-06

Maria Włoszczowska, violon

Schubert, Elgar, Ysaÿe

Le lendemain matin, suivant la suggestion de la meilleure directrice marketing du Chamber Orchestra of Europe, je suis allé à la Royal Academy of Music. Des récitals ou plutôt examens de fin d'année d'étudiants très avancés avaient lieu. La matinée a commencé par un récital de violon de Maria Włoszczowska, magnifique dans Schubert, Elgar et surtout Ysaÿe ! (Il est possible d'écouter certaines de ses interprétations à cette adresse.)

Royal Academy of Music — 2014-06-06

Tahirah Osborne, soprano

Pawel Siwczak, clavecin

Alexander Rolton, violoncelle

Yi-Ru Hung, piano

Allor ch'io dissi addio (Händel)

An die Laute, An die Sonne, Du liebst mich nicht, An mein Herz (Schubert)

Trois poèmes de Louise de Vilmorin (Poulenc)

Quatre chansons pour enfants (nº1 et 3) (Poulenc)

There's none to soothe, Sweet Polly Oliver (Britten)

Music, when soft voices die, Love's Philosophy (Quilter)

Vient ensuite le récital de la soprano Tahirah Osborne. Je ne sais pas s'il s'agit d'une contrainte de ce type d'examen, mais elle a chanté dans quatre langues : italien, allemand, français, anglais. Certains passages des Lieder de Schubert étaient très émouvants. Sa diction du français, sans être parfaite, était plus que correcte ; il ne m'était ainsi pas nécessaire de lire le texte fourni pour comprendre les Chansons pour enfants de Poulenc.

Barbican Hall — 2014-06-06

Leonidas Kavakos, violon et direction

London Symphony Orchestra

The Creatures of Prometheus, overture (Beethoven)

Tim Hugh, violoncelle

Enrico Pace, piano

Triple concerto (Beethoven)

Symphonie nº3 en mi bémol majeur Héroïque (Beethoven)

Délicieux concert du London Symphony Orchestra dirigé par le violoniste Leonidas Kavakos. Je ne dirais pas que c'était un concert extraordinaire, mais j'ai pris beaucoup de plaisir à écouter ces œuvres de Beethoven. L'entente entre les trois solistes dans le Triple Concerto de Beethoven faisait plaisir à voir. Lors de ce concert, j'étais au tout premier rang du Barbican Hall ; certains premiers violons n'arrêtaient pas de me faire des sourires !

Royal Opera House — 2014-06-07

Robert Carsen, mise en scène

Michael Levine, décors

Falk Bauer, costumes

Jean Kalman, lumières

Philippe Giraudeau, mouvements

Royal Opera Chorus

Renato Balsadonna, chef de chœur

Stephen Westrop, chef de chœur (pour cette production)

Orchestra of the Royal Opera House

Vasko Vassilev, premier violon

Simon Rattle, direction musicale

Yann Beuron, Chevalier de la Force

Thomas Allen, Marquis de la Force, son père

Sally Matthews, Blanche de la Force, fille du marquis

Neil Gillespie, Thierry, Leur valet

Deborah Polaski, Madame de Croissy, prieure

Anna Prohaska, Sœur Constance de Saint Denis

Sophie Koch, Mère Marie de l'Incarnation, sous-prieure

John Bernays, Monsieur Javelinot, Médecin

Emma Bell, Madame Lidoine, La nouvelle prieure

Yvonne Barclay, Sœur Antoine

Katy Batho, Sœur Valentine

Tamsin Coombs, Sœur Gertrude

Eileen Hamilton, Sœur Martha

Anne Osborne, Sœur Anne de la Croix

Deborah Peake Jones, Sœur Saint Charles

Dialogues des Carmélites, Poulenc

Les places debout du Royal Opera House sont d'un rare rapport qualité-prix. On voit toute la scène, pour ainsi dire de face ! J'ai même eu la chance de me tenir au même endroit qu'une certaine Julie Jones, comme le montre cette plaque commémorative :

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In Memory of Julie Jones Who Stood Here

J'assistais pour la première fois à une représentation de Dialogues des Carmélites. Je pense que ce n'est pas la dernière ! La mise en scène m'a semblée très réussie. Les lumières étaient remarquables. Du point de vue vocal, je retiens tout particulièrement la performance d'Anna Prohaska dans le joyeux rôle de Constance. Une faute de goût m'a un peu gêné dans l'émouvante scène finale : le son enregistré de la guillotine était un peu cracra...

Photo 109
Dialogues des Carmélites

Wigmore Hall — 2014-06-08

Atos Trio

Annette von Hehn, violon

Stephan Heinemeyer, violoncelle

Thomas Hoppe, piano

Trio pour piano en ré (Hob. XV:24), Haydn

Trio pour piano en mi mineur op. 90 “Dumky”, Dvořák

Allegro du Trio pour piano en la majeur (Hob. XV:18), Haydn

J'allais pour la première fois au Wigmore Hall pour un concert de musique de chambre. Je n'ai pas été particulièrement ému par ce concert. Le premier trio de Haydn que l'Atos Trio a interprété manquait un peu de mordant. S'ils l'avaient interprété comme ils ont joué le bis (de Haydn aussi), je pense que j'aurais passé un meilleur moment...

Le jour de mon départ, je me suis promené dans Londres, et je me suis retrouvé à proximité d'une manifestation de Sikhs pour l'indépendance du Khalistan... Trafalgar Square était orange de monde :

Photo 141

Photo 142

Je pense que la National Gallery voisine a rarement vu passer autant de visiteurs sikhs en une journée !

Les autres photographies que j'ai prises à Londres sont visibles là.

Mairie du troisième arrondissement — 2014-06-12

Jyotika Rao, nattuvangam, chant, danse

Matthias Labbe, mridangam

Joël Riou, tampura

Anjeli, Camille, Laure, bharatanatyam

Allaripu

Prastar (Camille/Anjeli)

Dashavatar (Anjeli)

Shiva Kautukam (Camille)

Jatisvaram (Jyotika/Anjeli)

Ranga Dwara (Camille)

Tillana (Jyotika/Laure)

Nritya Mangalam (Camille)

Je ne suis pas tout à fait objectif pour parler de ce spectacle puisque pendant la première moitié, je jouais du tampura pour accompagner ma professeure Jyotika Rao qui chantait et Matthias Labbe qui jouait du mridangam pour ce récital d'élèves avancées de bharatanatyam organisé à la mairie du troisième arrondissement. Les quatre cordes à vide du tampura sont censées être actionnées de façon indépendante du rythme de la musique, il n'est pas si facile d'en jouer pour accompagner la musique au rythme vif de la danse bharatanatyam, mais je ne m'en suis pas trop mal tiré. Bien que je n'aie vu le récital que de profil, le plus grand moment a été pour moi l'interprétation du Shiva Kautukam par celle-là même qui m'avait tant impressionné il y a un an et demi. J'ai vu cette danseuse interpréter beaucoup d'autres pièces depuis, mais il était particulièrement émouvant pour moi de la revoir tout en participant, très modestement, à la représentation de cette pièce. Je retiens aussi le très beau Dashavatar (avec une mention spéciale pour le nain Vamana) et le magnifique Tillana.

Salle Pleyel — 2014-06-16

Guy Braunstein, violon

Zvi Plesser, violoncelle

Sunwook Kim, piano

Sonate pour violon et piano en la majeur (Franck)

Trio pour violon, violoncelle et piano en la mineur (Ravel)

Trio pour violon, violoncelle et piano n°1 en si bémol majeur, op. 99 (Schubert)

Andante con moto du Trio pour violon, violoncelle et piano n°2 en mi bémol majeur, op. 100 (Schubert)

Merveilleux concert de musique de chambre ! Que l'on décide d'écouter ce qui paraît au premier plan ou que l'on tente de percevoir l'arrière-plan, tout semble magnifique... Les phrasés du violoncelliste Zvi Plesser étaient particulièrement beaux.

Opéra Garnier — 2014-06-23

Felix Krieger, direction musicale

Orchestre de l'Opéra National de Paris

Ballet de l'Opéra

Frédéric Chopin, musique (Mazurkas op. 6 nº2 et nº4, op. 7 nº4 et nº5, op. 24 nº2, op. 33 nº3, op. 56 nº2, op. 63 nº3 ; Valse op. 34 nº2, op. 69 nº2 ; Grandes valses brillantes op. 34 nº1 et op. 42 ; Études op. 25 nº4, nº5 et op. 10 nº2 ; Scherzo nº1 op. 20 ; Nocturne op. 15 nº1)

Jerome Robbins, chorégraphie (1969) réglée par Jean-Pierre Frohlich

Joe Eula, costumes

Jennifer Tipton, lumières

Vessela Pelovska, piano

Mathieu Ganio, en brun

Nolwenn Daniel, en jaune

Josua Hoffalt, en vert

Ludmila Pagliero, en rose

Karl Paquette, en violet

Charline Giezendanner, en bleu

Christophe Duquenne, en bleu

Amandine Albisson, en mauve

Aurélie Dupont, en vert

Emmanuel Thibault, en rogue brique

Dances at a gathering

César Franck, musique (1890)

Alexei Ratmansky, chorégraphie

Karen Kilimnik, décors

Adeline André, costumes

Madjid Hakimi, lumières

Accentus

Christophe Grapperon, chef du chœur

Laëtitia Pujol, Psyché

Marc Moreau, Eros

Alice Renavand, Vénus

Christelle Granier, Caroline Robert, Les deux Sœurs

Daniel Stokes, Simon Valastro, Adrien Couvez, Alexandre Labrot, Quatre Zéphirs

Psyché

Pas grand'chose à dire sur ce programme de danse du ballet de l'Opéra. S'il a comporté quelques beaux moments (dont le lancé de Nolwenn Daniel dans les airs magnifiquement rattrapée par Christophe Duquenne, une manœuvre spontanément applaudie par le public), j'ai trouvé Dances at a gathering de Robbins long, très long... Sinon, même avec de nouveaux costumes et la magnifique Laëtitia Pujol, Psyché de Ratmansky ne m'a pas convaincu. Par exemple, la chorégraphie du lancer de flèches par Eros est d'une très grande faiblesse par rapport à ce que je vois régulièrement dans la danse bharatanatyam quand Kama est représenté. Il reste néanmoins quelques photographies des saluts :

Photo 06
Charline Giezendanner, Christophe Duquenne

Photo 13
Psyché

Photo 16
Alice Renavand (Vénus)

Centre Jean Bosco — 2014-06-28

Élèves de Jyotika Rao, bharatanatyam

Alarippu

Shri Gana Natha

Jatiswaram

Varnam

Tillana

Récital de fin d'année des élèves de Jyotika Rao dont je fais partie. Diverses combinaisons d'élèves (duo, trio, quatuor) ont été présentées (la liste des pièces ci-dessus n'est pas exhaustive). Je dansais avec une autre élève Shri Gana Natha qui comporte une partie rythmique de danse pure et une partie évoquant Ganesh (Shloka) ; cela a dû durer à peine trois minutes en tout. Nous avons dansé tous les deux la partie rythmique, mais c'est moi qui ai dansé le Shloka et avais présenté les mouvements pour expliquer ce dont il allait s'agir au public. Cette explication était vraiment nécessaire parce que je pense que si j'avais vu cette pièce sans l'avoir travaillée, je n'y aurais pas compris grand'chose !

Si tout le programme s'est bien passé, deux pièces ont sans doute été plus remarquables que d'autres : le Varnam évoquant Muruga et dans lequel apparaît Kama, et le fabuleux Tillana qui a conclu le récital, deux pièces déjà dansées par Jyotika Rao au Centre Mandapa.

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Le vite dit de mai 2014

2014-07-08 22:00+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Opéra — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Pour le mois de mai, je ne suis pour le moment revenu que sur le récital de bharatanatyam de Jyotika Rao au Centre Mandapa. Voici mes brèves impressions sur les autres spectacles vus au cours de ce mois :

Salle Pleyel — 2014-05-03

Ballet royal du Cambodge

Son Altesse Royale la Princesse Norodom Buppha Devi, chorégraphie

Ombres et lumières

J'ai été moins enthousiasmé par ce spectacle du Ballet Royal du Cambodge que par celui que j'avais vu en 2010. Pourtant, il s'est agi d'une adaptation du Ramayana, un texte que j'apprécie beaucoup. Ce spectacle-ci m'a semblé beaucoup moins dansé que le précédent. Il associait pantomime et théâtre d'ombre. Pas de corps de ballet. Je suis resté sur ma faim. Je suis néanmoins fasciné par l'extrême concavité que peuvent adopter les mains des interprètes.

Théâtre du Châtelet — 2014-05-05

Jean-Yves Ossonce, direction musicale

Vishal Bhardwaj, mise en scène

Sudesh Adhana, scénographie et chorégraphie

Gunjan Arora & Rahul Jain, costumes

Dadi Pudumjee et The Ishara Puppet Theatre Trust, création des marionnettes

Renaud Corler, lumières

Orchestre Symphonique Région Centre-Tours

Chœur du Châtelet

Stephen Betteridge, chef de chœur et assistant du directeur musical

Paulina Pfeiffer, Kumudha

David Curry, Le Prince

Franco Pomponi, Le Narrateur

Ella Fiskum, danseuse soliste alter ego de Kumudha

Sudesh Adhana, danseur soliste alter ego du Prince

Dadi Pudumjee, Vivek Kumar, Simon T Rann, marionnettistes

A Flowering Tree, John Adams.

Il n'y a pas grand'chose à sauver de cette triste production de A Flowering Tree de John Adams, un opéra inspiré d'un conte indien : Kumudha, une jeune femme, possède le pouvoir de se métamorphoser en arbre en fleurs, ce qui la conduit à épouser un prince ; la sœur de celui-ci lui demande de se métamorphoser, mais ne se soucie pas de la faire reprendre son apparence initiale ; Kumudha devient difforme, et après une longue séparation, elle finit par retrouver son mari et son apparence. Le livret contient les rôles de Kumudha, du prince et un narrateur. Les personnages secondaires sont représentés par des marionnettes. C'est triste à dire, mais les passages les plus émouvants sont venus de ces marionnettes, ainsi que de la danseuse Ella Fiskum qui par ses mouvements suggérait la transformation en arbre. Il est manifeste qu'elle a intégré certains codes des danses indiennes dans son interprétation. Le chorégraphe Sudesh Adhana, qui dansait aussi, m'a semblé beaucoup moins convaincant...

Si certains (comme le critique Renaud Machart) ont trouvé le chœur remarquable d'un point de vue vocal, pour ce qui est des positions des mains empruntées aux danses indiennes, je trouve que cela manquait de travail. Il y avait essentiellement une seule position à retenir, Alapadma, qui évoque l'éclosion d'une fleur. Le moins que je puisse dire est que la plupart des fleurs évoquées par les choristes avaient triste mine, tout comme les affreux costumes...

Salle Pleyel — 2014-05-06

Orchestre Colonne

Laurent Petitgirard, direction

Mémoire du vent (Florent Motsch)

Juliana Steinbach, piano

Concerto pour piano et orchestre (Schumann)

Concerto pour orchestre (Bartók)

J'ai adoré l'œuvre contemporaine de Florent Motsch qui m'a fait penser au style spectral de Gérard Grisey. J'ai joyeusement détesté le concerto pour piano de Schumann ; bien qu'abhorrant ce compositeur, j'arrive en général à apprécier ce concerto espiègle, mais cette fois-ci je n'ai pas du tout aimé le jeu de la pianiste. En revanche, le concerto de Bartók était phénoménal !

Amphithéâtre de la Cité de la musique — 2014-05-07

Ensemble De Caelis

Laurence Brisset, direction, chant

Alia Sellami, chant arabe traditionnel

Estelle Nadau, chant

Florence Limon, chant

Caroline Tarrit, chant

Marie-George Monet, chant

Monodies, conduits et motets des XIIIe et XIVe siècles

Déserts (Jonathan Bell)

J'ai passé un plutôt bon moment pendant ce concert de musique a capella. Je me suis quelque peu inquiété à l'écoute de la première pièce, une monodie. Les œuvres polyphoniques qui ont suivi m'ont davantage plu. Bien qu'elles soient semble-t-il assez peu variées, j'ai aimé les ornementations présentes dans cette musique ancienne. Les plus beaux moments du concert sont toutefois venus des improvisations de chant arabe traditionnel d'Alia Sellami qui se greffait tout d'abord au chœur puis prenait parfois son indépendance. La deuxième partie du concert constituée de la pièce Déserts de Jonathan Bell était moins exaltante que la première.

Opéra Bastille — 2014-05-10

Chœur et Orchestre de l'Opéra national de Paris

Ballet de l'Opéra

Philippe Jordan, direction musicale

Alessandro Di Stefano, chef du chœur

Georges Bizet, musique (Symphonie en ut majeur)

George Balanchine, chorégraphie

Christian Lacroix, costumes

Madjid Hakimi, réalisation des lumières

Colleen Heary, répétitions

Amandine Albisson, Mathieu Ganio

Marie-Agnès Gillot, Karl Paquette

Ludmila Pagliero, Emmanuel Thibault

Nolwenn Daniel, Pierre-Arthur Raveau

Le Palais de cristal

Maurice Ravel, musique (version intégrale, 1912)

Benjamin Millepied, chorégraphie

Daniel Buren, scénographie

Holly Hynes, costumes

Madjid Hakimi, lumières

Sébastien Marcovici, assistant du chorégraphe

Aurélie Dupont, Chloé

Hervé Moreau, Daphnis

Eleonora Abbagnato, Lycénion

Alessio Carbone, Dorcon

François Alu, Bryaxis

Daphnis et Chloé (création)

J'allais assister à cette représentation un peu à reculons, mais je dois avouer que ce programme m'a semblé être une grande réussite. Le corps de ballet et de nombreux solistes ont brillé dans Le Palais de cristal de Balanchine. Mention spéciale à Amandine Albisson et les élégants entrechats qu'elle a interprétés portée par son partenaire. Je me suis néanmoins ennuyé pendant le mouvement lent de la Symphonie de Bizet interprété par Karl Paquette et Marie-Agnès Gillot (laquelle était complètement à côté de sa ligne lors du finale quand les solistes sont tous rassemblés et en principe alignés...).

Si les aspects narratifs et expressifs étaient assez peu développés dans Daphnis et Chloé de Millepied au point de rendre presqu'anecdotiques les deux rôles principaux (pourtant interprétés par Aurélie Dupont et Hervé Moreau), le public s'est enthousiasmé lors de l'incroyable solo de François Alu (Bryaxis). On ne voyait que lui, ainsi que Léonore Baulac ! Je ne suis habituellement pas un grand admirateur de Philippe Jordan, mais je dois admettre que l'œuvre de Ravel m'a semblé magnifiquement interprétée. Sinon, je n'ai aucun commentaire à faire sur la scénographie de Daniel Buren parce que manifestement les personnes assises au parterre n'ont pas du tout vu la même chose que moi depuis un des coins du deuxième balcon.

Salle Pleyel — 2014-05-17

Philippe Aïche, violon solo

Orchestre de Paris

Andris Poga, direction

Jean Manifacier, mise en scène

Patrick Pleutin, décor

Vincent Malone, présentation

Sept danses d'après Les Malheurs de Sophie (Jean Françaix)

Métamorphoses symphoniques sur des thèmes de Carl Maria von Weber (Scherzo), Hindemith

Sérénade pour cordes op. 48 (Pezzo in forma di sonatina), Tchaikovski

Carmen Suite (Boléro), Rodion Shchedrin

The Young Person's Guide to the Orchestra op. 34, Variations et fugue sur un thème de Purcell (Britten)

Candide, ouverture (Bernstein)

Sympathique concert pour jeune public de l'Orchestre de Paris auquel se sont joints des moins jeunes qui étaient venus écouter l'œuvre de Britten qui était programmée, très agréable à écouter, mais sans doute pas la plus géniale du compositeur.

Opéra de Massy — 2014-05-18

Orchestre de l'Opéra de Massy

Chœurs Les Cris de Paris

Compagnie Julien Lestel

Les Enfants de la Comédie

Dominique Rouits, direction musicale

Nadine Duffaut, mise en scène

Emmanuelle Favre, décors

Danièle Barraud, costumes

Jacques Benyeta, éclairages

Julien Lestel et Mallika Thalak, chorégraphies

Constantin Rouits, chef assistant

Mathieu Pordoy, chef de chant

Geoffroy Jourdain, chef de chœur

Vennina Santoni, Leïla

Julien Dran, Nadir

Alexandre Duhamel, Zurga

Jérôme Varnier, Nourabad

Mallika Thalak, danseuse soliste

Les Pêcheurs de perles

J'ai assisté à cette représentation des Pêcheurs de perles pour voir Mallika Thalak, une de mes danseuses de bharanatyam préférées. Le livret de l'opéra n'est pas très informé sur la culture hindoue : on y vénère très étrangement Brahma et la blanche Shiva... Une particularité de la musique est d'utiliser un leitmotif mélodique qui revient régulièrement dans la pièce, ce qui est d'autant plus agréable pour l'auditeur que cette mélodie est tirée du très beau C'est elle, c'est la déesse. Bref, cet opéra n'est pas un chef d'œuvre absolu, mais ce n'est pas si mal, pour un opéra français. La production est assez traditionnelle. Si on laisse de côté quelques affreux décors peints, c'est plutôt bien fait. J'ai particulièrement aimé les costumes, qui s'inspirent des costumes royaux moghols pour Zurga et qui utilisent toute la palette de couleurs pour les villageois, ce qui était du meilleur effet dans le dernier acte. Pour ce qui est des chanteurs, la seule réserve que j'ai eue, pendant le premier acte, concernait l'interprète de Leïla, qui ne m'a pas convaincu pendant les passages vocaux les plus acrobatiques ; une fois cette séquence passée, mes réserves se sont évanouies.

J'étais donc venu pour voir Mallika Thalak, et je ne l'ai pas regretté ! Le spectacle comportait des passages dansés. Il y avait du spectaculaire avec les danseurs et danseuses de la compagnie Julien Lestel, mais il y avait aussi des passages plus émouvants du fait de la présence de Mallika Thalak. C'est d'ailleurs elle qui ouvrait le spectacle en suggérant l'éclosion d'un lotus. Elle accompagnait les mouvements d'ensemble du chœur dont elle a supervisé la chorégraphie. Le moins que je puisse dire est que les choristes de cette production faisait beaucoup mieux le mudra Alapadma que ceux du Théâtre du Châtelet dans l'opéra A Flowering Tree mentionné plus haut ! (Il faut aussi mentionner les mouvements empruntés aux danses indiennes réalisés par les solistes : c'était très convaincant, et quand la prêtresse Leïla présentait symboliquement le feu à la divinité, ses mouvements étaient d'une justesse rare.) Dans certaines séquences, la danseuse Mallika Thalak apparaissait pour accompagner des passages chantés. Le plus beau de ces moments est intervenu avec l'air du ténor vers la fin du premier acte. Alors que le chanteur interprétait son air (en adoptant une posture assez statique), le sens des paroles était traduit en mouvement par la danseuse. C'était extrêmement émouvant ! et la vitesse modérée des mouvements permettait d'en apprécier encore davantage la beauté. L'Inde (ou plutôt le Sri Lanka) qui est représentée dans l'opéra est évidemment l'Inde phantasmée de l'époque de la composition, mais la danse présentée par Mallika Thalak m'a remarquablement semblée tout à fait respectueuse de la tradition.

(La moyenne d'âge des spectateurs de la représentation de ce dimanche après-midi devait être voisine ou supérieure à 60 ans. Avec la politique tarifaire de l'Opéra de Massy, ce n'est pas très étonnant. Certes, le modèle économique de l'opéra est fragile, mais que la griffe tarifaire se réduise à deux catégories (78€ en première catégorie, 72€ en deuxième) me semble relever d'une scandaleuse injustice sociale. Certes, c'est un tout petit peu moins hors de prix pour les habitants de Massy, mais sur le chemin du retour, je me suis dit qu'il ne devait pas y avoir beaucoup de lyricomanes parmi les personnes habitants entre la gare et l'opéra, puisqu'ils ont le malheur d'habiter la commune voisine d'Antony...)

Temple de Pentemont — 2014-05-23

Orchestre des Concerts Gais

Alexandre Korovitch, direction

Yannick Henri, piano

Concerto pour piano nº3 (Beethoven)

Marc Korovitch, direction

Symphonie nº35 (Mozart)

Pour ce concert gai, le temple de Pentemont avait une acoustique déplorable. J'ai beaucoup aimé le jeu du pianiste Yannick Henri dans le Concerto nº3 de Beethoven et j'ai adoré la Symphonie nº35 de Mozart dirigée par Marc Korovitch (qui reviendra une dernière fois diriger cet orchestre amateur fin novembre dans la Cinquième symphonie de Beethoven !).

Amphithéâtre de la Cité de la musique — 2014-05-24

Isabelle Druet, mezzo-soprano

Vanessa Wagner, piano

Chansons de Bilitis (Debussy)

La Mort d'Ophélie (Berlioz)

Préludes pour piano (Dutilleux)

Chanson de la déportée (Dutilleux)

La Geôle (Dutilleux)

Gibet (Ravel)

Clair de lune (Fauré)

Plutôt un bon moment sur l'instant, ce concert ne me laisse pour ainsi dire aucun souvenir un mois et demi après.

Cité de la musique — 2014-05-24

Chamber Orchestra of Europe

Semyon Bychkov, direction musicale

Symphonie nº8 “Inachevée” (Schubert)

Renaud Capuçon, violon

Concerto pour violon nº2 (Mendelssohn)

Mélodie (Gluck)

Symphonie nº7 (Beethoven)

Je n'aime pas beaucoup le chef Semyon Bychkov. La symphonie nº7 de Beethoven qu'il a dirigée ne pouvait évidemment pas rivaliser avec celle que Yannick Nézet-Séguin avait obtenu avec ce même orchestre à Édimbourg, mais elle a toutefois comporté de très beaux moments (en particulier dans les deux derniers mouvements).

Cité de la musique — 2014-05-25

Quatuor Les Dissonances

David Grimal, Hans Peter Hofmann, violons

David Gaillard, alto

Xavier Phillips, violoncelle

Ainsi la nuit... (Dutilleux)

Les Dissonances

Mystère de l'instant (Dutilleux)

Symphonie nº1 (Brahms)

De ce week-end Dutilleux, je me souviens surtout avoir apprécié Mystère de l'instant, qui présente l'originalité d'associer aux instruments à cordes de l'orchestre un cymbalum, cet instrument que l'on n'entend plus guère que dans le métro.

Cité de la musique — 2014-05-26

Les Siècles

François-Xavier Roth, direction musicale

Symphonie nº5 (Beethoven)

Muss es sein? (Dutilleux)

Métaboles (Dutilleux)

Gautier Capuçon, violoncelle

Tout un monde lointain (Dutilleux)

L'Apprenti sorcier (Dukas)

Je n'ai aucun souvenir des œuvres de Dutilleux programmées ce soir-là, mais je retiens bien sûr L'Apprenti sorcier de Dukas que j'entendais pour la première fois en concert, et surtout la Symphonie nº5 de Beethoven phénoménale qu'ont interprété les musiciens des Siècles.

Espace Jemmapes — 2014-05-31

Élèves de Kalpana

Mallari

Kautwam (Ganapati)

Kautwam (Murugan)

Jatiswaram

Kautwam (Shiva)

Jatiswaram

Dashavatar

Javali

Kirtana

Javali

Ashtapadi

Récital de fin d'année des élèves de bharatanatyam de Kalpana. Je retiens quelques pièces spectaculaires (les Kautwams) et surtout quelques délicieux pièces et parmi elles tout particulièrement le Javali dédié à Kama.

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Le vite dit d'avril 2014

2014-07-07 14:56+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Théâtre

Salle Pleyel — 2014-04-01

Mariss Jansons, direction

Royal Concertgebouw Orchestra

Frank Peter Zimmermann, violon

Concerto pour violon et orchestre nº3 en sol majeur, KV 216 (Mozart)

Symphonie nº7 en mi majeur (Bruckner)

Trois mois après, je n'ai aucun souvenir de la septième de Bruckner, mais je retiens l'extraordinaire talent du violoniste Frank Peter Zimmermann !

Opéra Garnier — 2014-04-05

Élèves de l'école de danse de l'Opéra

Orchestre des Lauréats du Conservatoire

Marius Stieghorst, direction musicale

Johann Sebastian Bach, musique (Concerto pour clavier et orchestre en ré mineur, BWV 1052)

Claude Bessy, chorégraphie

Ellina Akimova, piano

Concerto en ré

Holger Simon Paulli, musique

August Bournonville, chorégraphie (1858) réglée par Jacques Namont et Francesca Zumbo

Barbara Creutz-Pachiaudi, décors

Anaïs Kovacsik, Chun Wing Lam

La Fête des fleurs à Genzano

Edvard Helsted, Holger Simon Paulli, musique

August Bournonville, chorégraphie (1842) réglée par Élisabeth Platel

Barbara Creutz-Pachiaudi, décors

Napoli (Pas de six et Tarentelle)

Darius Milhaud, musique (1937)

Camille Saint-Saëns, Piotr Ilyitch Tchaikovski, Ludwig Minkus, rythmes de Bulerías, musiques additionnelles

José Martinez, scénario, chorégraphie et scénographie

Agnès Letestu, costumes

Gaëlle Sadaune, Tristan Lofficial, pianos

Andrea Sarri, Scaramouche

Scaramouche

Stephen Collins Foster, musiques (Chansons populaires de l'Ouest américain (1844-1864) interprétées par Thomas Hampson)

John Neumeier, chorégraphie, costumes et lumières (1996) réglée par Marianne Kruuse et Yohan Stegli

Yondering

Comme chaque année, j'ai assisté au spectacle de l'école de danse de l'Opéra, un des plus délicieux moments de la saison de danse. De Scaramouche, je retiens le bref moment où la musique et la chorégraphie se sont mis à évoquer la descente des ombres de La Bayadère. À ma grande surprise, l'œuvre la plus passionnante a peut-être été pour moi Yondering de Neumeier. Je me suis aussi délecté des œuvres de Bournonville et de la première pièce Concerto en ré de Claude Bessy qui pourrait aussi bien s'appeler Alarippu tant la similitude formelle est grande entre cette chorégraphie et le type de pièces de bharatanatyam portant ce nom : elles évoquent l'éclosion de la danse par la mise en mouvement progressive des différentes parties du corps des danseurs.

Salle Pleyel — 2014-04-07

Le Concert des Nations

Manfredo Kraemer, premier violon

Jordi Savall, direction

Music for The Tempest (Matthew Locke)

Concerto en fa majeur La Tempesta di mare pour flûte solo et cordes RV 433 op. 10 nº1 (Vivaldi)

Les Élémens (Jean-Féry Rebel)

Alcione : Airs pour les Matelots et les Tritons (Marin Marais)

Le Quattro Stagione : Concerto pour nº4 en fa majeur pour violon solo et cordes L'Inverno RV 297 op. 8 nº4 (Vivaldi)

Orages, tonnerres et tremblemetns de terre : Les Indes Galantes, Les Boréades, Hippolyte et Aricie, Zoroastre (Rameau)

J'écoute toujours avec un très grand plaisir Le Concert des Nations. Cette fois-ci, j'ai particulièrement aimé le style de direction de Jordi Savall, très souple dans ses mouvements mais néanmoins très précis dans sa battue. Le programme présentait diverses scènes de tempête (ce qui était assez raccord avec la météo de ce jour-là si je me souviens bien). Si j'ai été admiratif de l'audace du violoniste Manfredo Kraemer dont j'ai trouvé l'interprétation très intéressante dans L'Hiver de Vivaldi, il m'a parfois semblé que la virtuosité de l'œuvre le poussait parfois un peu trop près de ses limites.

Théâtre des Champs-Élysées — 2014-04-08

Jonas Kaufmann, ténor

Helmut Deutsch, piano

Winterreise (Schubert)

Si j'avais été bouleversé par l'interprétation de Jonas Kaufmann de La Belle Meunière en 2010, j'ai été moins enthousiaste par ce Voyage d'hiver. C'était vraiment très bien, mais je n'ai pas subi le raz de marée émotionnel escompté. Mon placement à l'un des côté du deuxième balcon du TCE n'a sans doute pas aidé...

Salle Pleyel — 2014-04-10

Roland Daugareil, violon solo

Orchestre de Paris

Cornelius Meister, direction

Hans Heiling, ouverture (Marschner)

David Bismuth, Adam Laloum, Emmanuel Christien, pianos

Concerto nº7 pour trois pianos, en fa majeur, KV 242 (Mozart)

Symphonie nº3 Écossaise (Mendelssohn)

Je me souviens avoir pris beaucoup de plaisir à l'écoute de la Symphonie écossaise. A posteriori, la programmation du concerto nº7 pour trois pianos de Mozart ne paraissait pas indispensable.

Salle Pleyel — 2014-04-13

Quatuor Artemis

Vineta Sareika, Gregor Sigl, violons

Friedemann Weigle, alto

Eckart Runge, violoncelle

Quatuor nº14 en ré mineur D. 810 “La Jeune Fille et la Mort” (Schubert)

Officium breve In memoriam Andreae Szervánszky, op. 28 (György Kurtág)

Elisabeth Leonskaja, piano

Quintette pour piano et cordes en fa mineur op. 34 (Brahms)

Au cours de ce programme du quatuor Artemis, j'ai vécu un des plus beaux moments de musique de chambre de toute la saison avec le merveilleux Officium breve In memoriam Andreae Szervánszky de Kurtág.

Salle Pleyel — 2014-04-14

Russian National Orchestra

Mikhaïl Pletnev, direction

Roméo et Juliette, extraits (Prokofiev)

Nikolaï Lugansky, piano

Concerto pour piano nº3 (Prokofiev)

La Belle au bois dormant, suite, arranement de Mikhaïl Pletnev (Tchaikovski)

On est rarement décu par le Russian National Orchestra... surtout avec un programme pareil !

Théâtre des Champs-Élysées — 2014-04-26

Orchestre de chambre de Paris

Thomas Zehetmair, direction

Strange Ritual (Manoury)

François Leleux, hautbois

Concerto pour hautbois (Strauss)

Symphonie nº3 Rhénane (Schumann)

L'extraordinaire François Leleux a joué le concerto pour hautbois de Strauss avec l'Orchestre de Chambre de Paris. Je suis parti juste après pour être sûr de rentrer de très bonne humeur chez moi.

Théâtre des Bouffes du Nord — 2014-04-29

Kathryn Hunter, Marcello Magni, Jared McNeill

Raphaël Chambouvet, Toshi Tsuchitori, musiciens

Philippe Vialatte, lumières

Arthur Franc, réalisation des éléments scéniques et régie plateau

Alice François, assistante costumes

Pierre-Heli Monot, surtitrage

Peter Brook, Marie-Hélène Estienne, recherche théâtrale

The Valley of Astonishment (création)

J'apprécie énormément le travail de Peter Brook. Avec Marie-Hélène Estienne, il présentait ce jour-là la première d'une recherche théâtrale intitulée The Valley of Astonishment. Avec très peu de moyens (quelques chaises, une ou deux tables), trois comédiens et deux musiciens, ce spectacle a évoqué divers aspects étonnants du cerveau humain. Un personnage ne pouvait bouger ses membres normalement : il devait les voir pour les animer d'un mouvement. Un autre associait des couleurs à des émotions. Une autre enfin, le personnage le plus émouvant du spectacle interprété par Kathryn Hunter, disposait d'une mémoire colossale. Elle n'oubliait rien, pas le moindre détail : une telle faculté peut paraître intéressante dans certains contextes, mais elle peut aussi s'avérer envahissante...

Cité de la musique — 2014-04-30

Roland Daugareil, violon solo

Orchestre de Paris

Paavo Järvi, direction

Une nuit sur le mont Chauve (Moussorgsky)

Tatjana Vassiljeva, violoncelle

Concerto pour violoncelle nº1 (Chostakovitch)

Valses nobles et sentimentales, version pour orchestre (Ravel)

Métamorphoses symphoniques sur des thèmes de Carl Maria von Weber (Hindemith)

Enthousiasmant concert de l'Orchestre de Paris dirigé par Paavo Järvi et de la violoncelliste Tatjana Vassiljeva. Les Valses nobles et sentimentales de Ravel m'ont paru quelque peu incrongrues entre Moussorgsky, Chostakovitch et Hindemith (lequel a inclus un délicieux mouvement utilisant une gamme chinoise dans ses Métamorphoses symphoniques sur des thèmes de Carl Maria von Weber).

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Le vite dit de mars 2014

2014-07-07 10:00+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Opéra — Danse — Culture indienne — Dhrupad

Pour le mois de mars, j'ai déjà eu l'occasion de revenir sur le récital de Gayatri Sriram au Musée Guimet et sur le Dhrupad Festival à Utrecht. Voici de brefs souvenirs des autres spectacles que j'ai vus au cours de ce mois :

Cité de la musique — 2014-03-01

Les Dissonances

David Grimal, violon

Concerto pour violon et orchestre nº4 en ré majeur, KV 218 (Mozart)

Vicent Alberola, clarinette

Concerto pour clarinette en la majeur, KV 622 (Mozart)

Concerto pour violon et orchestre nº5 en la majeur, KV 219 (Mozart)

Très beau concert des Dissonances. L'orchestre et le soliste David Grimal m'ont semblé particulièrement magnifiques dans le Cinquième concerto pour violon de Mozart. J'ai apprécié aussi le clarinettiste Vicent Alberola aux très subtils pianissimi dans le concerto pour clarinette en la majeur. (Cela n'efface cependant pas tout à fait de ma mémoire l'interprétation de Romain Guyot avec le Chamber Orchestra of Europe.)

Opéra Garnier — 2014-03-03

Ballet de l'Opéra

Orchestre Colonne

Horton Gould, musique

Agnès De Mille, chorégraphie (1948), réglée par Paul Sutherland

Oliver Smith, décors

Miles White, costumes

Pascal Mérat, lumières

Alice Renavand, L'Accusée

Vincent Chaillet, Le Pasteur

Laurence Laffon, La Mère de l'Accusée

Stéphanie Romberg, La Belle-mère de l'Accusée

Christophe Duquenne, Le Père de l'Accusée

Léonore Baulac, L'Accusée enfant

Sébastien Bertaud, Le Porte-parole du jury

Juliette Gernez, Hugo Marchand, Nocturne

Fall River Legend, ballet en un prologue et huit scènes

Ture Rangstrom, musique

Hans Grossman, arrangements musicaux et orchestration

Birgit Cullberg, chorégraphie (1948), réglée par Ana Laguna

Sven X:et Erikson, décors et costumes

Erik Berglund, lumières

Katrin Brannstrom, responsable technique pour les décors et costumes

Monika Mengarelli, Agneta Valcu, répétitions

Aurélie Dupont, Mademoiselle Julie

Nicolas Le Riche, Jean

Amélie Lamoureux, Kristin

Michaël Denard, Le Père de Julie

Alessio Carbone, Le Fiancé de Julie

Charlotte Ranson, Clara, La Fille du garde-forestier

Aurélien Houette, Anders

Takeru Coste, L'Ivrogne

Jean-Christophe Guerri, Andrey Klemm, Richard Wilk, Les trois vieilles Femmes

Mademoiselle Julie, ballet en quatre tableaux d'après la tragédie naturaliste en un acte d'August Strindberg

Pour ce programme de ballet, malgré un placement exceptionnel au parterre dû à des ventes promotionnelles, j'ai été globalement plus enthousiasmé par la musique que par la danse. Si je me souviens bien ma préférence allait à Fall River Legend, surtout pour la musique : j'avais ainsi été un peu déçu par l'expression d'Alice Renavand que j'ai connue plus bouleversante dans d'autres rôles. Je mesure cependant le privilège que cela a été de voir d'aussi près Nicolas Le Riche et Aurélie Dupont dans Mademoiselle Julie !

Salle Pleyel — 2014-03-07

Hélène Collerette, violon solo

Orchestre philharmonique de Radio France

Ádám Fischer, direction

Symphonie nº88 en sol majeur (Haydn)

Tedi Papavrami, violon

Concerto pour violon et orchestre nº1 (Bartók)

Symphonie nº5 en fa majeur op. 76 (Dvořák)

Ce fut un délicieux concert du Philharmonique de Radio France. Je garde en particulier un très bon souvenir de la Symphonie nº88 de Haydn dirigée par Ádám Fischer. Encore une fois, je me demande comment il est possible que les symphonies de Haydn ne soient pas remboursées par la sécu'.

Cité de la musique — 2014-03-15

Chamber Orchestra of Europe

Vladimir Jurowski, direction

Danses allemandes (Schubert, arrangement de Webern)

Christian Tetzlaff, violon

Concerto pour violon et orchestre en ré majeur op. 61 (Beethoven)

Cinq Mouvements, op. 5, Anton Webern

Symphonie nº4 “Tragique” en ut mineur (Schubert)

Magnifique programme du Chamber Orchestra of Europe ! Le moment le plus exaltant pour moi a sans doute été l'interprération des Cinq Mouvements de Webern.

Amphithéâtre de la Cité de la musique — 2014-03-18

Pierre Hantaï, clavecin

Suite anglaise nº4 en fa majeur, BWV 809

Suite anglaise nº5 en mi mineur, BWV 810

Suite anglaise nº6 en ré mineur, BWV 811

Le clavecin que jouait Pierre Hantaï était assez affreux d'un point de vue strictement visuel, mais j'ai pris beaucoup de plaisir à entendre dans de bonnes conditions ces Suites anglaises de Bach.

Ivry-sur-Seine — 2014-03-19

Céline Wadier, chant dhrupad

Gérard Hababou, pakhawaj

Raga Puriya (Alap, Jor, Jhala & Chautal)

Raga Jog (Alap & Tivratal)

Raga Bhinna Shadja (Alap & Sultal)

Avant de commencer son concert, Céline Wadier a demandé aux quelques débutants en dhrupad qui se trouvaient là quels ragas nous étudions. Une des élèves a opportunément dit Puriya. Ce fut manifestement une bonne idée parce que non seulement l'interprétation de ce raga m'a paru superbe, mais ayant pratiqué moi-même ce raga (c'est celui que je connais le mieux), c'est la première fois qu'en écoutant un concert de dhrupad, je sentais à chaque instant de l'Alap où on est était dans la gamme de ce Raga. Je peux ainsi dire en étant à peu près certain de ne pas me tromper que la chanteuse est descendue jusqu'au Ga de l'octave inférieure et est allé jusqu'au Ga de l'octave supérieure (soit deux octaves plus haut). Après ce Raga très développé, elle a chanté Raga Jog et Raga Bhinna Shadja. Seul regret, il y a eu moins d'interactions au cours de ce concert entre la chanteuse et le percussionniste que lors de leur concert d'octobre.

Salle Pleyel — 2014-03-21

Svetlin Roussev, violon solo

Orchestre philharmonique de Radio France

Myung-Whun Chung, direction

Antoine Tamestit, alto

Till l'Espiègle (Strauss)

Concerto pour alto (Bartók)

Une Vie de héros (Strauss)

La corde de do d'Antoine Tamestit ! Quelle sonorité incroyable ! Je suis extrêmement admiratif de l'interprétation qu'il a donné du concerto pour alto de Bartók, même si je dois avouer en toute subjectivité que j'avais été plus ému par l'interprétation de Daniel Vagner (qui se trouvait ce soir-là dans le Philharmonique de Radio France).

Salle Pleyel — 2014-03-27

Orchestre de Paris

Giovanni Antonini, direction

Chœur de l'Orchestre de Paris

Lionel Sow, chef de chœur

Olympia, ouverture (Joseph Martin Kraus)

Giorgio Mandolesi, basson

Concerto pour basson, KV 191, Mozart

Sol Gabetta, violoncelle

Concerto pour violoncelle nº2 (Haydn)

Messe de l'orphelinat, KV 139, Mozart

Camilla Tilling, soprano

Kate Lindsey, mezzo-soprano

Rainer Trost, ténor

Havard Stensvold, basse

Délicieux concert de l'Orchestre de Paris. Les habitués, et ils ont eu mille fois raison, étaient venus pour entendre Giorgio Mandolesi dans le concerto pour basson de Mozart et trinquer avec lui au café d'à côté :-) : je suis reparti avec un autographe en forme de basson. La déception de la soirée est cependant venue pour moi de l'interprétation du concerto pour violoncelle nº2 de Haydn par Sol Gabetta. De la place très proche de la scène où je me trouvais, j'entendais le bruit de ses doigts frappant violemment la touche comme des petits marteaux. Cela accentuait ma sensation de percevoir des suites de notes dont je ne pouvais saisir l'organisation en phrases. Son bis en revanche a été magnifique.

Opéra Comédie, Montpellier — 2014-03-29

Orchestre national Montpellier Languedoc-Roussillon

Jérôme Pillement, direction musicale

Benoît Bénichou, mise en scène et adaptation du livret

Amélie Kiritzé-Topor, scénographie

Bruno Fatalot, costumes

Thomas Costerg, lumières

Anne Lopez, chorégraphie

Vincent Recolin, chef des chœurs

Valérie Blanvillain, Marie Arnaud, chefs de chant

Samy Camps, Le Roi Ouf 1er

Héloïse Mas, Lazuli

Solistes du Jeune Opéra

Chœurs du Jeune Opéra

L'Étoile (Chabrier)

Dans la salle presque vide (à part au parterre) de l'Opéra Comédie de Montpellier, j'ai assisté à une représentation de L'Étoile de Chabrier. Ce spectacle n'est pas particulièrement bouleversant, mais assurément agréable à regarder et écouter. Les chanteurs étaient tous jeunes. Parmi eux, je retiens l'excellente Héloïse Mas dans le rôle de Lazuli.

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Le vite dit de février 2014

2014-05-26 10:55+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Opéra — Danse

Avec trois mois de retard, voici le vite dit de février 2014...

Salle Pleyel — 2014-01-31

Orchestre philharmonique de Radio France

Svetlin Roussev, violon solo

Leonidas Kavakos, direction musicale et violon

Concerto pour violon et orchestre nº3 en sol majeur, KV 216 (Mozart)

Symphonie nº1 en ré majeur op. 25 dite Classique (Prokofiev)

Symphonie nº9 La Grande (Schubert)

Superbe concert du Philharmonique de Radio France dirigé par Leonidas Kavakos. Le programme est très semblable à celui qu'il avait dirigé avec le Chamber Orchestra of Europe. La Symphonie Classique de Prokofiev a été magnifiquement interprétée, tout comme la Symphonie La Grande de Schubert, que très exceptionnellement je n'ai pas trouvée longue ; j'ai particulièrement aimé la façon dont il a maintenu l'orchestre (et une partie du public) en suspension lors d'un point d'orgue dans le deuxième mouvement.

Cité de la musique — 2014-02-01

Patrick Davin, direction

Orchestre du Conservatoire de Paris

Bandar-log, poème symphonique op. 176 (Koechlin)

Nicholas Angelich, piano

Concerto pour la main gauche (Ravel)

Symphonie nº1 “Le Poème de la forêt” (Roussel)

J'ai été plutôt content d'entendre la symphonie nº1 de Roussel qui m'avait décidé d'assister à ce programme, mais j'avoue que ce programme de musique française m'a laissé indifférent. J'ai beaucoup de mal à comprendre l'enthousiasme que peut susciter le Concerto pour la main gauche de Ravel, que j'entendais pour la première (et sans doute dernière) fois...

Salle Pleyel — 2014-02-02

Wayang Wong, le Ramayana balinais, théâtre rituel de Bali

Troupe d'acteurs, danseurs et gamelan de Telepud (Bali)

I Wayan Gde Adhi Wijaya, direction artistique et musicale

Jacques Brunet et Jean-Luc Larguier, conception

Dewa Putra, conseiller scientifique

L'Enlèvement de Sita

J'ai beaucoup apprécié ce spectacle de théâtre de Bali racontant le Ramayana. Ce qui se passait sur scène était magnifique, mais la représentation a été à mon avis lamentablement gâchée par le surtitrage défaillant. C'est une chose qu'une phrase sur dix soit traduite, c'en est une autre que le texte affiché ne corresponde pas à la scène qui est représentée, mais à la précédente ou à la suivante... et quand le texte correspondait à la bonne scène, il ne fallait pas forcément l'entendre comme ayant été prononcé par le personnage qui s'exprimait sur scène. L'histoire suivant très fidèlement l'épopée indienne (cf. mon résumé), je n'ai eu aucune difficulté à suivre, mais comme cela a dû paraître hermétique à bien des spectateurs !

L'orchestre de percussions et les chanteurs-récitants ont pris place au fond de la scène. Entre deux interventions, les interprètes sont assis de part et d'autre de l'orchestre, à gauche le camp de Rama et à droite celui de Ravana. La seule véritable différence avec l'épopée sanskrite réside dans l'ajout de quatre personnages burlesques : deux serviteurs pour Rama et deux pour Ravana. Les interprètes sont vêtus de costumes richement ornés et de masques. Les seules parties du corps restant visibles étant les mains, on ne découvre que lors des saluts que les rôles de Rama et de son frère Lakshmana sont interprétés par des femmes. Leur gestuelle ainsi que celle de l'interprète de Sita n'est pas sans rappeler celle des danses indiennes. Les positions des mains ressemblent à certains mudras, mais les doigts sont très souvent animés d'une sorte d'oscillation qui me fait étrangement penser à des tentacules de poulpe. Si ces personnages à la démarche majestueuse ne sont pas très loin de danser, le spectacle est bien davantage du théâtre que de la danse. Les divers types de personnages (humains, démons, singes) se distinguent par leurs attitudes et les costumes recèlent de belles trouvailles, par exemple dans la représentation de l'antilope dorée dont un démon a pris l'apparence pour tromper Sita.

Le spectacle peut être visionné sur Cité de la musique live.

Salle Pleyel — 2014-02-05

Orchestre National du Capitole de Toulouse

José Antonio Sainz Alfaro, chef de choeur

Choeur Orfeón Donostiarra

Tugan Sokhiev, direction

Ferruccio Furlanetto, Boris Godounov

Anastasia Kalagina, Xénia

Ain Anger, Pimène

Vasily Efimov, Missaïl

Stanislav Mostovoi, L'Innocent

John Graham-Hall, Le Prince Chouïski

Garry Magee, Andrei Tchelkalov

Pavel Chervinsky, Nikitch, Mityukha

Alexander Teliga, Varlaam

Marian Talaba, Grigori

Svetlana Lifar, Fiodor

Sarah Jouffroy, La Nourrice de Xénia

Hélène Delalande, L'Aubergiste

Vladimir Kapshuk, Un Boyard

Magnifique représentation de Boris Godounov, un opéra que j'ai déjà vu à Munich. Je retiens la très belle prestation de l'Orchestre National du Capitole de Toulouse (dirigé par Tugan Sokiev) que j'entendais pour la première fois. Du point de vue vocal, les plus grandes émotions sont venues de la basse Ain Anger dans le rôle de Pimène.

Salle Pleyel — 2014-02-07

Orchestre philharmonique de Radio France

Sergej Krylov, violon

Vasily Petrenko, direction

Concerto pour violon nº2 (Bartók)

Symphonie nº1 (Sibelius)

Je n'ai pas accroché à la virtuosité de Sergej Krylov qui m'a semblé un peu trop démonstrative dans Toccata et Fugue en ré mineur (BWV 565) de Bach qu'il a joué en bis ; autant j'ai pris plaisir à écouter la Toccata, autant il m'a semblé présomptueux de jouer cette fugue au violon. Cela ressemblait bien à une fugue, mais les limites de l'instrument étaient un peu trop souvent dépassées pour que je puisse réellement apprécier cette performance.

Le style de direction du chef Vasily Petrenko que j'avais moyennement apprécié dans Bartók s'est métamorphosé pour la deuxième partie du concert et j'ai beaucoup aimé l'interprétation de la Première Symphonie de Sibelius.

Salle Pleyel — 2014-02-13

Philippe Aïche, violon solo

Orchestre de Paris

Christoph Eschenbach, direction

Carnaval, ouverture, Dvorák

Tabea Zimmermann, alto

Concerto pour alto (Bartók)

Symphonie nº4 (Brahms)

Quelques mois après, je ne retiens de ce concert de l'Orchestre de Paris que le concerto pour alto de Bartók interprété par Tabea Zimmermann. Elle a été magnifique, et plus encore dans le troisième mouvement !

Salle Pleyel — 2014-02-19

Roland Daugareil, violon solo

Orchestre de Paris

James Gaffigan, direction

Kleine Dreigroschenmusik, suite pour orchestre de vents d'après l'Opéra de Quat'sous (Weill)

Gil Shaham, violon

Concerto pour violon en ré majeur, op. 35 (Korngold)

Gavotte en rondeau de la Partita nº3 en mi majeur, BWV 1006, Bach

Cendrillon, extraits (Prokofiev)

Très beau concert de l'Orchestre de Paris. J'ai apprécié la Fugue que l'on entend dans la musique de l'Opéra de Quat'sous. Gil Shaham et l'orchestre ont été excellents dans le concerto pour violon de Korngold, mais j'ai surtout adoré écouter la musique de Cendrillon de Prokofiev. Vus et entendus depuis l'arrière-scène, l'orchestre et le chef James Gaffigan semblaient particulièrement grandioses, notamment lors des coups de minuit.

Cité de la musique — 2014-02-21

MusicAeterna

Teodor Currentzis, direction

Dixit Dominus, HWV 232, Händel.

Anna Prohaska, Didon

Tobias Berndt, Énée

Nuria Rial, Belinda

Maria Forsström, Magicienne

Valeria Safonova, L'Esprit

Victor Shapovalov, Marin

Didon et Énée, Purcell

Merveilleux concert ! Si certains ensembles baroques ont tendance à procurer l'ennui (chez moi, en tout cas), cela ne saurait survenir lors d'un concert de MusicAeterna, l'ensemble le plus enthousiasmant que j'aie entendu en concert ! Les musiciens de MusicAeterna jouent debout et sont dirigés par l'extravagant chef Teodor Currentzis. Son seul défaut : quand il demande à ses musiciens de jouer moins fort, le bruit de son pied frappant l'estrade s'entend presque davantage que le reste de l'orchestre. Parmi les voix entendues lors de ce concert, je retiens la merveilleuse Nuria Rial dans le rôle de Belinda dans le génial Didon & Énée de Purcell. Des amis-spectateurs se moquaient de moi quand je soulignais le caractère indianisant d'un certain passage que nous avions entendus, juste avant que Didon se lamente Your counsel..., mais je maintiens que le solo improvisé de viole de gambe (accompagné d'un ersatz de tampura obtenu par une pédale des violoncelles) est ce qui ressemble le plus à un Alap de musique classique indienne dans tout ce qu'il m'a été donné d'entendre lors d'un concert de musique classique européenne... Si vous ne me croyez pas, allez écouter les 90 premières secondes de leur enregistrement sur CD. Lors du concert, ce moment magique à l'atmosphère irréelle, lumières éteintes, avait été plus développé. (Le concert s'est terminé par de superbes bis, dont un magnifiquement mis en scène.)

Cité de la musique — 2014-02-25

Orchestre philharmonique de Radio France

Svetlin Roussev, violon solo

Pascal Rophé, direction

Christa Schoenfeldinger, harmonica de verre

Armonica (Jörg Widmann)

Change pour orchestre (Johannes Boris Borowski)

Chœur de femmes de Radio France

Catherine Simonpietri, chef de chœur

Le Visage nuptial pour soprano, mezzo-soprano, chœur de femmes et orchestre (version définitive), Pierre Boulez

La première œuvre joué dans ce programme du festival Présences est Armonica de Jörg Widmann (que je ne connaissais que comme clarinettiste). J'ai trouvé véritablement magnifique cette œuvre orchestrale utilisant un harmonica de verre (et aussi un accordéon). J'ai rarement été autant émerveillé par une œuvre de musique contemporaine !

Change de Borowski m'a paru au contraire atroce (et sans doute véritablement dangereuse pour les oreilles de spectateurs en raison du volume sonore élévé demandé aux musiciens et en particulier des percussionnistes).

L'œuvre de Boulez jouée après l'entr'acte m'a indifféré. Le texte de René Char, qui n'est pas des plus aisés à entendre, était rendu tout à fait incompréhensible par le compositeur.

Cité de la musique — 2014-02-27

La Chambre Philharmonique

Andreas Staier, piano et direction

Symphonie nº1 en mi bémol majeur, KV 16 (Mozart)

Concerto pour piano nº1 en fa majeur, KV 37 (Mozart)

Symphonie nº49 en fa mineur (Haydn)

Concerto pour piano nº9 en mi bémol majeur, KV 271 “Jeunehomme” (Mozart)

Si j'ai apprécié l'orchestre La Chambre Philharmonique dans les Symphonies de Mozart et de Haydn qui ont été jouées, je n'ai pris aucun plaisir à l'écoute du concerto pour piano nº1 de Mozart. Le piano que jouait Andreas Staier était assez ancien (début XIXe ?) et devenait pour presque totalement inaudible quand l'orchestre jouait... Je suis parti à l'entr'acte pour m'épargner de souffrir pareillement pour le deuxième concerto programmé.

Opéra Garnier — 2014-02-28

John Cranko, chorégraphie, mise en scène (1965)

Piotr Ilyitch Tchaikovski, musique

Kurt-Heinz Stolze, arrangements et orchestration

Jürgen Rose, décors et costumes

Steen Bjarke, lumières

Reid Anderson, Jane Bourne, répétitions

James Tuggle, direction musicale

Hervé Moreau, Onéguine

Isabelle Ciaravola, Tatiana

Mathias Heymann, Lenski

Charline Giezendanner, Olga

Karl Paquette, Le Prince Grémine

Ballet de l'Opéra

Orchestre de l'Opéra national de Paris

Onéguine, ballet en trois actes de John Cranko d'après Eugène Onéguine d'Alexandre Pouchkine

Je n'ai jamais été un grand fan d'Isabelle Ciaravola. La seule fois où elle m'avait vraiment ému, c'était dans le rôle de Nouredda lors de la création de La Source. Quelques jours avant ses adieux, lors d'une autre représentation d'Onéguine, alors qu'elle interprétait le rôle Tatiana avec Evan McKie (Onéguine), j'avais trouvé que ce couple ne fonctionnait pas (alors que beaucoup de balletomanes se souviennent avec émotions du couple Dupont/McKie dans ce rôle). J'allais donc un peu à réculons à cette soirée d'adieux et je dois dire que je ne l'ai pas regretté. Isabelle Ciaravola était alors associée à Hervé Moreau, et cela fonctionnait beaucoup mieux ! Dans le rôle d'Olga, j'ai également été ravi de voir Charline Giezendanner, associée à Mathias Heymann (Lenski).

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Jyotika Rao au Centre Mandapa

2014-05-16 13:30+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Centre Mandapa — 2014-05-15

Jyotika Rao, danse bharatanatyam, chorégraphie (Jatisvaram, Varnam, Tillana, Abhanga)

Sucheta Chapekar, chorégraphie (Trois shlokas, Jatisvaram, Varnam, Padam, Abhanga)

Josiane Sarrazin, chorégraphie (Abhanga)

Trois shlokas : Vakratunda ; Guru Brahma, Guru Vishnu, Guru Devo ; Angikam (musique hindoustani).

Jatisvaram (Raga Bhairavi, Rupaka Tala)

Varnam “Sami yei vara sholadi” (Raga Purvi Kalyani, Adi Tala)

Padam “Ke chatura”

Tillana (Raga Hindolam, Adi Tala)

Abhanga “Saguni Nirguna Nirguni Saguna” (Raga Sindhu Bhairavi, hindoustani)

Je n'étais plus retourné au Centre Mandapa depuis janvier et le spectacle Kâmala de Pauline Reibell (qui y repassera d'ailleurs les 16 et 17 juin). Hier soir, je suis allé voir une autre disciple de Sucheta Chapekar : Jyotika Rao. La salle est très bien remplie. Un certain nombre de ses élèves (dont moi) sont venus. La plus avancée, Camille, fait les annonces précédant chacune des pièces constituant ce récital de bharatanatyam. Il n'est pas évident d'écrire sur le travail de son professeur, mais en toute subjectivité, je dirais que c'était un très bon récital !

Les récitals de bharatanatyam utilisent traditionnellement de la musique carnatique, mais une des originalités du style de Sucheta Chapekar est d'utiliser aussi de la musique hindoustanie (du Nord de l'Inde). C'est ce que l'on peut entendre dans la première pièce de ce programme. Le premier des Trois Shlokas, intitulé Vakratunda est manifestement dédié à Ganesh. La danseuse apparaît en adoptant la démarche du dieu à tête d'éléphant en soulignant les amples mouvements de ses oreilles. Dans le deuxième shloka, la chorégraphie évoque les trois divinités de la trinité hindoue, Brahma, Vishnu, et enfin Shiva, qui semble particulièrement mis en valeur. Je n'ai pas compris le sens du dernier des shlokas.

Dans la première pièce de nature invocatoire, l'accent était mis sur le texte et la gestuelle correspondante. Il n'y avait pas ou pour ainsi dire pas de frappes de pieds. Au contraire, dans la deuxième pièce Jatisvaram, l'aspect rythmique de la musique prend le dessus et le texte se réduit au nom des notes (Swara) chantées dans le Raga Bhairavi (carnatique). Les mouvements réglés sur le majestueux Rupaka Tala sont élégants, inspirent la joie et se font de plus en plus rapides au fur et à mesure que la pièce progresse. Dans certains passages, comme dans la pièce précédente, je reconnais des éléments de chorégraphie que j'ai moi-même appris, mais qui se retrouvent ici exécutés 2, 4 ou peut-être 8 fois plus vite ! Je perçois aussi un peu la structure plus globale de certaines parties, comme par exemple une suite d'enchaînements suivie d'une reprise de la même chose exécutée en miroir.

La pièce principale du récital est le Varnam Sami ye vara sholadi en Raga Purvi Kalyani (carnatique). La suite du texte Sakiye Kumara... permet de deviner que la divinité dont se languit l'héroïne est Kumara, le fils de Shiva, aussi appelé Murugan, Skanda, Kartikeya ou encore Subramaniam. Ce fait est confirmé quand la chorégraphie représente sa monture, qui est un paon. L'héroïne est séparée de Kumara auquel elle écrit un mot. Elle demande de l'aide à son amie. Autour d'elle, la nature (les oiseaux, les biches, les abeilles, etc) lui rappellent son amour pour lui. Il s'agit là d'un des plus beaux moments de ce Varnam avec l'intervention du dieu de l'Amour, Kama, qui vient lancer cinq flèches sur elle. Chacune de ces flèches est ornée d'une fleur spécifique et produit un effet particulier sur les différents sens de l'héroïne. Une d'entre elles atteint sa vision, ce qui produit en elle un émerveillement. Une autre atteint son odorat. Une autre encore semble atteindre son sens du goût : elle brûle tellement d'amour pour lui qu'elle éprouve de la répulsion pour la nourriture. Dans le Varnam s'insèrent de très beaux passages rythmiques (jatis) et la fin de la pièce revient en détail sur un épisode mythologique que je ne suis pas certain d'avoir bien compris. Kumara se serait semble-t-il déguisé pour séduire Valli qui allait devenir une de ses deux épouses.

La pièce qui a suivi est un délicieux Padam. Une jeune femme se moque du dieu Kama (appelé ici Manmatha dans le texte de la composition). Un épisode bien connu de la mythologie indienne raconte l'intervention de Kama, qui en lançant ses flèches a fait naître en Shiva un amour pour Parvati. Dans cette pièce, la jeune femme dit à Kama qu'en lui lançant des flèches, il se trompe de cible : il la confond avec Shiva. Elle énumère divers attributs de Shiva (son chignon tressé, le croissant de Lune, etc.) et en montrant à Kama la partie correspondante de son apparence elle lui explique la méprise qu'il commet. Elle n'est pas Shiva, elle n'est qu'une pauvre femme. Je me suis particulièment délecté du moment où la jeune femme évoque la trace que Shiva porte au cou (qui lui vaut le nom de Nilakantha, celui qui a la gorge bleue, un nom qui n'est semble-t-il pas mentionné dans le texte chanté). La chorégraphie rappelle même brièvement d'où vient cette marque ! Lors du barratage de la Mer de lait, un poison s'est répandu dans les airs et Shiva l'a bu. Le poison n'étant pas descendu plus bas que sa gorge, il y a laissé une marque. Plus loin, la chorégraphie évoquait les oreilles d'un éléphant et la dénégation de la jeune femme expliquant à Kama qu'il ne s'agissait que de pans de son sari. Dans l'instant, je n'ai pas compris ce que cela signifiait (ayant eu l'impression d'entendre Vinayaka dans le texte chanté, j'ai cru qu'il s'agissait d'une référence à Ganesh). En réalité, Kama confondait le vêtement de la jeune femme avec la peau de bête portée par Shiva. Je connaissais la peau de tigre sur laquelle l'iconographie la plus standard représente Shiva assis en méditation, mais j'ignorais que Shiva portait sur ses membres supérieurs une peau d'éléphant...

La plus belle pièce du récital m'a semblé être le magnifique Tillana que la danseuse a chorégraphiée elle-même. Les mouvements utilisent davantage les diagonales de la scène que des cercles, mais l'ensemble est néanmoins très réjouissant. J'ai particulièrement apprécié la référence à Vishnu dans la deuxième partie du Tillana. Le texte chanté comporte le nom Padmanabha et la chorégraphie représente effectivement Vishnu dans sa position de méditation sur l'Océan cosmique, un lotus émergeant de son nombril. Ce thème iconographique est pour moi le plus beau de toute l'iconographie hindoue. J'apprécie tout particulièrement qu'il soit illustré dans la danse bharatanatyam et ce d'autant plus que cette image permet de nombreuses interprétations ou variantes chorégraphiques. Dans cette interprétation, on peut reconnaître la présence de Lakshmi, mais je retiens surtout la façon de représenter le lotus sur lequel se tient Brahma. L'iconographie traditionnelle est évidemment statique et il y a lieu de se demander si véritablement la tige du lotus sort du nombril de Vishnu ou si animée d'un mouvement contraire elle s'enfonce dans l'eau avec ses ramifications... En voyant cette chorégraphie, j'ai eu comme l'impression que c'était cette deuxième hypothèse qui était envisagée.

Le récital s'est conclu par un Abhanga, un chant marathi en l'honneur de Vishnu (sous le nom de Vittala). Le texte et la chorégraphie mettant en valeur la recherche d'Unité ou d'Union (avec la divinité). Ceci était illustré notamment avec une goutte d'eau qui rejoignait d'océan ou avec une maison qui bien après sa construction s'effondrait pour s'unir de nouveau à la terre. La conclusion de la pièce mettait en scène une des voies que le dévôt peut suivre pour tenter de s'unir avec la divinité : une adoration joyeuse s'exprimant par une danse exaltée. Un extrait de cette chorégraphie par d'autres interprètes est visible ici.

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Planning de mai 2014

2014-05-01 14:37+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Opéra — Danse — Danses indiennes — Planning

Des billets rendant compte de concerts reviendront bientôt... En attendant, voici mon programme de spectacles pour le mois de mai :

  • 3 mai 2014 (Salle Pleyel) : Le Ballet Royal du Cambodge que j'ai déjà eu l'occasion de voir en 2010 dansera une pièce basée sur le Rāmāyaṇa.
  • 5 mai 2014 (Théâtre du Châtelet) : Même si j'apprécie son style, la façon qu'a John Adams de se répéter d'une œuvre à l'autre m'énerve un peu, mais je ne vais quand même pas rater une occasion de voir son opéra A Flowering Tree inspiré d'un conte indien.
  • 6 mai 2014 (Salle Pleyel) : L'Orchestre Colonne jouera notamment le Concerto pour orchestre de Bartók.
  • 7 mai 2014 (Cité de la musique) : J'irai écouter l'ensemble de chant a cappella De Caelis dans un programme comportant de la musique du XIVe siècle.
  • 10 mai 2014 (Opéra Bastille) : Le Palais de Cristal de Balanchine et création de Daphnis et Chloé par Benjamin Millepied, le futur nouveau directeur du ballet de l'Opéra.
  • 15 mai 2014 (Centre Mandapa) : Jyotika Rao, ma prof de bharatanatyam donnera un récital au Centre Mandapa. Les extraits du Varnam sur Muruga que j'ai pu voir font assez envie...
  • 16 mai 2014 (Salle Pleyel) : Reprise d'Orpheus und Euridike de Pina Bausch par le ballet de l'Opéra.
  • 17 mai 2014 (Salle Pleyel) : Top-chef : initiation à la cuisine orchestrale, voici le titre incongru de ce programme de concert matinal de l'Orchestre de Paris. J'y vais surtout pour The Young Person's Guide to the Orchestra de Benjamin Britten.
  • 18 mai 2014 (Opéra de Massy) : Les tarifs de l'Opéra de Massy sont prohibitifs, mais j'irai quand même voir Les Pêcheurs de perles de Bizet dans une production à laquelle participe la danseuse de bharatanatyam Mallika Thalak.
  • 23 mai 2014 (Espace de Pentemont) : Marc Korovitch dirigera l'Orchestre des concerts gais dans un programme Beethoven/Mozart.
  • 24 mai 2014 (Cité de la musique) : Récital de la mezzo-soprano Isabelle Druet.
  • 24 mai 2014 (Cité de la musique) : Programme Schubert/Mendelssohn/Beethoven pour le Chamber Orchestra of Europe.
  • 25 mai 2014 (Cité de la musique) : Ce qui m'attire le plus dans ce programme de l'ensemble Les Dissonances, c'est le quatuor à cordes Ainsi la nuit de Dutilleux par les quatre musiciens que j'avais entendus dans Janáček.
  • 26 mai 2014 (Cité de la musique) : Programme Dutilleux/Beethoven/Dukas pour l'orchestre Les Siècles (que je n'ai entendu pour le moment qu'une seule fois).
  • 31 mai 2014 (Espace Jemmapes) : Récital de fin d'année des élèves de bharatanatyam de Kalpana.

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Planning d'avril 2014

2014-04-04 16:22+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Planning

Voici mon programme de spectacles pour le mois d'avril :

  • 1er avril 2014 (Salle Pleyel) : Programme Mozart/Bruckner pour le Royal Concertgebouw Orchestra dirigé par Mariss Jansons avec le violoniste Frank Peter Zimmermann.
  • 5 avril 2014 (Opéra Garnier) : L'incontournable spectacle de l'école de danse de l'Opéra, qui est en général un des plus réjouissants moments de la saison de l'Opéra.
  • 7 avril 2014 (Salle Pleyel) : Je me souviens avec émotion d'un concert Rameau du Concert des Nations dirigé par Jordi Savall, je me réjouis donc d'aller réécouter cet ensemble.
  • 8 avril 2014 (Théâtre des Champs-Élysées) : J'avais été très ému quand Jonas Kaufmann avait interprété Die schöne Müllerin en 2010. Cette fois-ci, il va chanter Winterreise. C'est bien sûr un des concerts les plus attendus de l'année...
  • 10 avril 2014 (Salle Pleyel) : Un des tout premiers concerts que j'aie entendu à la Salle Pleyel quand j'ai commencé à y aller en octobre 2007 était dirigé par le jeune chef Cornelius Meister. Cette semaine, il dirigera l'Orchestre de Paris dans un programme comportant notamment la Symphonie nº3 “Écossaise” de Mendelssohn et le concerto pour trois pianos de Mozart.
  • 13 avril 2014 (Salle Pleyel) : Lors de ce concert, je découvrirai le Quatuor Artemis qui sera accompagné de la superbe pianiste Elisabeth Leonskaja dans le quintette de Brahms. Le quatuor jouera également le quatuor “La jeune fille et la mort” de Schubert ainsi que Officium breve In memoriam Andreae Szervánszky de Kurtág (une œuvre exceptionnellement longue de ce compositeur : 12 minutes).
  • 14 avril 2014 (Salle Pleyel) : Je me réjouis de réentendre le Russian National Orchestra que j'avais beaucoup apprécié en octobre.
  • 26 avril 2014 (Théâtre des Champs-Élysées) : Le Concerto pour hautbois de Richard Strauss par François Leleux !
  • 30 avril 2014 (Cité de la musique) : J'ai sélectionné ce concert de l'Orchestre de Paris pour pouvoir enfin entendre en concert Une nuit sur le mont Chauve de Moussorgsky.

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Gayatri Sriram au Musée Guimet

2014-03-27 10:42+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes

Auditorium du Musée Guimet — 2014-03-14

Gayatri Sriram, danse bharatanatyam

Minal Prabhu, nattuvangam

Balasubramanya Sharma, chant

G. Gurumurthy, mridangam

Jayaram Kikkeri, flûte

Prasanna, ganjira, percussions

Murugan Krishnan, lumières

Isabelle Anna, voix off

Surya Kautwam

Ardhanarishwara

Varnam

Ashtapadi

Tillana

Mira Bhajan

Le vendredi 14 mars, j'ai renoncé à aller écouter les Gurre-Lieder de Schönberg joués à la Salle Pleyel par un effectif pléthorique de musiciens pour me diriger vers le Musée Guimet où allait se tenir le récital de bharatanatyam de Gayatri Sriram dont j'avais pu apprécier les qualités dans la danse narrative au NCPA de Mumbai en juillet 2011. Je ne l'ai pas regretté !

(Full disclosure: La danseuse m'ayant contacté quelques semaines avant le récital pour me suggérer de venir, je lui avais demandé de m'indiquer les thèmes qui seraient évoqués dans les différentes pièces de ce programme. La danseuse m'ayant fait une réponse très détaillée, j'ai pu assister à ce programme dans de meilleures conditions que d'ordinaire ; habituellement, je ne découvre les pièces qu'au fur et à mesure qu'elles sont exécutées par les danseuses et je n'arrive pas toujours à bien déchiffrer la pantomime...)

Le programme est intitulé Mukti Marga ; il s'agit d'un ensemble de pièces explorant le thème de l'adoration de la divinité. La première pièce est un Surya Kautwam, un type de pièces dans lequel le rythme domine la musique dont le tempo est plutôt rapide. Cette pièce évoquant le Soleil (Surya) comporte des passages de danse pure exécutés à des vitesses variables. J'apprécie d'y reconnaître quelques enchaînements (adavus) que j'ai appris et je me délecte de voir la danseuse présenter des figures géométriques non seulement dans sa gestuelle, mais aussi dans son placement et par les quarts de tour qu'elle effectue sur elle-même. Dans cette pièce, les différentes heures du jour sont associées aux différents dieux de la Trinité hindoue. Si je n'ai pas reconnu Vishnu, il m'a bien semblé reconnaître Brahma et Shiva (dont était représenté le Lingam). L'image la plus marquante était celle de Surya représenté comme cocher d'un attelage de sept chevaux.

La pièce suivante Ardhanarishwara m'a paru particulièrement réussie. La danseuse évoque Shiva avec la moitié droite de son corps et son épouse Parvati avec sa moitié gauche. J'ai particulièrement apprécié le cycle rythmique utilisé dans cette pièce, Rupaka Tala. Ce cycle à trois temps était interprété de façon délicieusement lente, ce qui sied bien à une pièce comme Ardhanarishwara dans laquelle la danseuse se métamorphose continûment de Shiva à Parvati et réciproquement. L'alternance entre la voix du chanteur et les onomatopées rythmiques peuvent se jouer à diverses échelles dans le cadre d'un récital de bharatanatyam : à l'échelle du récital dans son ensemble par l'alternance entre pièces narratives et pièces de danses pure, à l'échelle d'une pièce par l'alternance entre passages narratifs et passages de danse pure. Cette alternance a pris dans cet Ardhanarishwara une forme qui m'a semblé inédite : vers la fin de la pièce, cette alternance pouvait s'entendre à l'échelle du cycle rythmique, deux des trois temps étant utilisés par le chanteur solfiant des notes tandis que le dernier temps l'était par les onomatopées rythmiques (à moins que ce ne soit le contraire).

Le Varnam, pièce principale du récital, est dédié à Krishna. Il est composé d'une alternance entre passages narratifs et passages de danse pure (jatis). Le premier de ces jatis m'a semblé particulièrement original dans la mesure où malgré la dominante rythmique et le tempo plutôt rapide de la musique, la danse était narrative : elle évoquait l'enfance de Krishna. Ce procédé est assez rare, je ne me souviens distinctement avoir vu que deux danseuses l'utiliser : Shantala Shivalingappa (kuchipudi) et Rukmini Vijayakumar. Les jatis qui suivront seront moins originaux dans leur forme que celui-ci, mais certains détails distinctifs me plairont particulièrement. Par exemple, dans l'un d'entre eux, j'apprécierai la façon de la guru Minal Prabhu d'utiliser un tempo très variable au cours des cycles rythmiques (Adi Tala) et dans un autre j'apprécierai le caractère étonnamment mélodique de la musique.

Je n'ai pas saisi absolument tous les aspects narratifs de ce très riche Varnam. Les premiers chapitres de cette pièce racontent l'enfance de Krishna et la séduction qu'il exerce sur les bouvières (gopis). Il danse avec elles après les avoir attirées avec sa flûte. La danseuse utilise ses capacités d'expression pour évoquer les sentiments éprouvés par une de ces femmes : alors qu'elle est séparée de la divinité avec laquelle elle cherche à s'unir, elle se désole et ne parvient même plus à manger. Certains exploits du jeune Krishna sont évoqués. Sauf erreur de ma part, on le voit tuer le démon Kamsa, soulever le mont Govardhana sur son petit doigt ou encore danser sur le serpent Kaliya. Cependant, le passage qui m'a fait la plus forte impression est celui qui raconte très en détail la naissance de Krishna. Celui-ci a été adopté par Yashoda qui est souvent mise en scène dans les chorégraphies de bharatanatyam, mais ce Varnam représente ses parents biologiques Vasudeva et Devaki. Le démonique roi Kamsa avait été frappé d'une malédiction : le huitième enfant de Vasudeva et Devaki le tuerait. À la naissance de Krishna, Vasudeva s'en va secrètement échanger Krishna avec la fille à laquelle Yashoda vient de donner naissance. En illustrant délicieusement l'amour filial, la danseuse représente le trajet de Vasudeva. Partant de sa demeure, il porte le bébé Krishna sur sa tête et se dirige vers la campagne où il vient déposer Krishna dans son nouveau berceau.

La fin du Varnam représente Krishna tel qu'il se manifeste dans le Mahabharata. La scène du jeu de dés dans laquelle il vient au secours de Draupadi est représentée très brièvement, ce qui m'a quelque peu frustré, temporairement... Je n'ai pas très bien compris sur le moment les dernières minutes du Varnam qui illustraient la Bhagavad-Gita, ce dialogue entre Arjuna et Krishna dans lequel Krishna parvient à convraincre à Arjuna de prendre les armes. À un moment, Arjuna demande à Krishna de se montrer dans sa forme universelle. Je présume que cela devait être le sens du passage le plus impressionnant (et assez indescriptible !) de ce Varnam, lequel se conclut par la majestueuse mise en mouvement du char d'Arjuna dont Krishna est le cocher (une des images classiques associées au Mahabharata dans l'iconographie hindoue). J'aurais aimé apprécier davantage ce passage, mais j'étais perturbé par la musique. À force de voir et d'entendre des Varnam, il me semble distinguer une règle générale énonçant que les dernières minutes de musique se doivent d'être joyeuses. Ce Varnam n'échappait pas à cette règle et je trouvais cela curieux dans le contexte de la Bhagavad-Gita qui est certes une révélation spirituelle mais aussi une harangue belliqueuse. Ainsi, quand une musique joyeuse accompagnait les mouvements d'un archer, je me suis réellement demandé s'il s'agissait d'Arjuna ou bien du dieu de l'Amour (Kama, qui lance des flèches florales), et ce d'autant plus qu'avant le début du Varnam la voix off avait comparé Krishna à Kama — je ne tiendrai pas rigueur à Isabelle Anna d'avoir ainsi contribué à ma confusion puisqu'il y a quelques mois une autre de ses très pertinentes interventions m'avait fait permis d'apprécier une magnifique scène d'un récital de Janaki Rangarajan que je n'aurais pas comprise sans cette explication préalable...

Il convient de signaler que pendant ce récital, l'orchestre incluait un musicien qui utilisait des percussions électroniques (et d'autres instruments, y compris le morsing, la guimbarde indienne). J'avoue avoir une certaine méfiance pour cette pratique, puisque j'estime que le mridangam et les instruments mélodiques (violon, flûte, vînâ, etc.) offrent déjà une large palette d'effets spéciaux pour accentuer certains moments dramatiques. En utilisant des effets électroniques ou des bruitages, le risque est à mon avis grand de polluer l'atmosphère pour virer au kitsch ridicule, ce que j'ai eu l'occasion de subir lors d'un récital du danseur Zakir Hussain. Heureusement, lors du récital de Gayatri Sriram, cet accompagnement a été sobre et de bon goût.

Le récital s'est poursuivi avec deux Ashtapadi extraits du Gita-Govinda. Il s'agissait des deux derniers de ces Ashtapadi (ou cantilènes), les vingt-trois- et vingt-quatrièmes cantilènes qui se trouvent dans le douzième (et dernier) chant de ce texte poétique de Jayadeva (dont j'ai particulièrement apprécié la traduction de Jean Varenne ; les extraits ci-dessous viennent de la traduction de Gaston Courtillier que j'ai sous la main). Ils exaltent l'amour entre Radha et Krishna. Dans ce type de pièce, la musique est extrêmement mélodique et la danseuse passe l'essentiel du temps assise dans une attitude lascive en exprimant par le regard et des gestes les sentiments des personnages. Dans le 23e Ashtapadi, Krishna invite Radha : Un temps, à présent, suis Nārāyaṇa, suis-moi, qui t'aie suivie, ma petite Rādhā.. Celle-ci n'a pas fait que le rejoindre quand on arrive au 24e Ashtapadi où Radha lui répond en lui demandant d'arranger ses divers ornements : “Mortification des essaims d'abeilles, le fard effacé par le baiser de tes lèvres, avive-le sur les yeux bien-aimés, qui décochent les flèches d'Amour.” Elle dit, et le fils de Yadu folâtrait, joie du cœur. Il est difficile de résumer l'impression visuelle faite par ces deux pièces, tant la tentation fut grande de se laisser emporter dans le flux continu de la danse. Je retiens cependant l'application de Krishna pour parer Radha à son réveil et lui jeter des fleurs.

Le récital admet une première fin avec un Tillana particulièrement technique. Je dois avouer l'avoir davantage écouté que regardé : j'étais très perturbé par le cycle rythmique particulièrement compliqué sur lequel il était composé... Cela fait un certain temps que j'arrive à clapper Adi Tala ou Rupaka Tala, mais d'autres types de cycles sont parfois utilisés et certains n'ont pas de petits noms, comme Adi Tala, qui est un diminutif de Chatusra-nadai Chatusra-jati Triputa Tala, qui signifie que ce cycle à huit temps (subdivisés en quatre) se clappe comme ceci ×‒‒‒×o×o (clap-rien-rien-rien-clap-ondulation-clap-ondulation), ondulation correspondant à un mouvement de rotation de la main vers le côté et rien indiquant des temps pendant lesquels on compte avec les doigts pour s'y retrouver. Je n'ai pas retenu le détail du nom technique du Tala utilisé pendant ce Tillana, mais cela ressemblait à un gigantesque nom à rallonge. J'ai eu l'impression que c'était un cycle à neuf temps (j'ai griffonné ×‒‒‒‒×o×o sur mon carnet), mais singulièrement plus compliqué qu'Adi Tala parce que les cinq premiers temps n'étaient semble-t-il pas subdivisés de la même manière que les quatre derniers. Que l'on puisse danser sur un tel rythme, cela semble relever du prodige...

Après une brève salutation traditionnelle, le public a beaucoup applaudi la danseuse qui est revenu danser sur un Mira Bhajan. Du fait des échanges que j'avais eus avec la danseuse, je savais qu'une pièce de ce nom figurait au programme, mais j'ignorais le thème précis. Bien sûr, le nom Mira Bhajan renvoie à la poétesse du XVIe siècle Mirabaï (qui est le personnage principal du roman La Princesse mendiante). Un temple a même été érigé en l'honneur de cette dévôte de Krishna à Chittorgarh (un endroit que j'ai beaucoup apprécié).

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Sortie du temple de Mirabai, Chittorgarh

Le thème général du poème était bien entendu Krishna, mais quand la pièce a commencé j'ignorais complètement quel aspect de cette divinité serait mis en valeur, et puis l'incroyable est arrivé : je reconnais Yudhishthira, l'aîné des Pandavas dans le Mahabharata, en train de perdre au jeu de dés contre Shakuni. Il perd sa couronne, se perd lui-même, puis son épouse Draupadi, laquelle est forcée, alors qu'elle a ses règles, tremblante comme un bananier dans la tempête, de rejoindre les hommes dans la salle où se tient la partie de dés. Dushasana la tire par les cheveux. Plus loin, Duryodhana se découvrira obscènement la cuisse en la regardant. Entretemps, après un débat sollicité par Draupadi pour savoir si Yudhishthira avait le droit de faire de Draupadi l'enjeu d'un pari après s'être perdu lui-même, Dushasana tente d'humilier davantage Draupadi en tirant sur son sari. Celle-ci ayant adressé une prière à Krishna, son sari se rallonge miraculeusement au fur et à mesure que Dushasana tire dessus. Cette scène est sans doute une des plus bouleversantes de l'épopée indienne... Si j'avais été un peu frustré par l'évocation très brève de cette scène dans le Varnam, j'ai été émerveillé par la forme développée qu'elle a prise dans cette dernière pièce. Le moment le plus extraordinaire de cette pièce a été celui pendant lequel la danseuse a représenté presque simultanément trois personnages : Draupadi, Dushasana tirant sur son sari et Krishna faisant apparaître d'un geste ondulatoire de nouvelles longueurs de tissu tout en arborant un visage d'une sereine tranquilité. C'était véritablement magnifique !

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Planning de mars 2014

2014-03-07 10:40+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Opéra — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Dhrupad — Planning

  • 1er mars 2014 (Cité de la musique) : Programme 100% Mozart de l'ensemble Les Dissonances.
  • 3 mars 2014 (Opéra Garnier) : Les ballets Fall River Legend d'Agnes de Mille et Mademoiselle Julie de Birgit Cullberg.
  • 7 mars 2014 (Salle Pleyel) : Ádám Fischer dirige le Philharmonique de Radio France pour un programme Haydn/Bartók/Dvořák.
  • 8 & 9 mars 2014 (RASA, Utrecht) : Week-end à Utrecht pour le festival de dhrupad. Trois concerts et un cours avec Uday Bhawalkar !
  • 13 mars 2014 (Salle Pleyel) : Programme 100% Strauss pour l'Orchestre de Paris dirigé par Marek Janowski. Ce concert me donnera l'occasion d'entendre la chanteuse Anja Harteros pour la première fois.
  • 14 mars 2014 (Musée Guimet) : Récital de bharatanatyam de Gayatri Sriram, que j'ai déjà eu l'occasion de voir à Mumbai en 2011.
  • 15 mars 2014 (Cité de la musique) : Je ne sais pas ce qui me fait le plus envie dans le programme de ce concert du Chamber Orchestra of Europe. Les Cinq mouvements de Webern me semblent aussi prometteurs que le Concerto pour violon de Beethoven et que les œuvres de Schubert programmées (Danses allemandes et Symphonie nº4).
  • 18 mars 2014 (Cité de la musique) : Je n'ai prévu d'aller qu'à un seul des nombreux concerts d'œuvres de Bach pour le clavecin programmés à la Cité de la musique et ce sera pour écouter Pierre Hantaï.
  • 19 mars 2014 (Salle Pleyel) : Le lendemain, La Passion selon Saint Jean dirigée par Masaaki Suzuki dont j'avais adoré La Messe en si mineur...
  • 21 mars 2014 (Salle Pleyel) : Avant la saison 2013-2014, je n'avais jamais eu l'occasion d'entendre le concerto pour alto de Bartók. Après les superbes interprétations de Daniel Vagner et Tabea Zimmermann, j'aurai cette fois-ci l'occasion d'entendre celle d'Antoine Tamestit.
  • 27 mars 2014 (Salle Pleyel) : Giorgio Mandolesi dans le concerto pour basson de Mozart !
  • 29 mars 2014 (Opéra Comédie, Montpellier) : L'Étoile de Chabrier à l'Opéra Comédie de Montpellier.

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Bilan 2013

2014-01-24 14:06+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Opéra — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

J'ai vu singulièrement plus de spectacles en 2013 qu'en 2012, à savoir plus de deux cents... Un certain nombre d'entre eux m'ont fait passer des moments exceptionnels. Si je ne devais retenir que l'exceptionnel parmi l'exceptionnel, je garderais les spectacles suivants (dans l'ordre chronologique) :

Voici quelques autres spectacles qui m'ont procuré beaucoup de plaisir. La sélection est évidemment très subjective. Je me suis limité à 10, mais beaucoup d'autres spectacles auraient pu figurer dans cette liste !

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Planning/Vite dit de janvier 2014

2014-01-19 14:00+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Planning

Il est un peu tard pour présenter un planning de spectacles de janvier, et un peu tôt pour faire le bilan du mois, mais ce billet tentera de faire les deux.

  • 1er janvier 2014 (Mylapore Fine Arts Club, Sri Krishna Gana Sabha, Chennai) : J'ai vu quatre spectacles lors de cette journée, le plus remarquable étant le récital de Sweta Prachande, disciple de Sucheta Chapekar et Priyadarshini Govind.
  • 2 janvier 2014 (Vidya Bharathi Kalyana Mandapam, Bharatiya Vidya Bhava, Chennai) : Cinq spectacles au cours de cette longue journée. Parmi eux, une remarquable lecture-demonstration sur le chant carnatique par T. S. Sathyavathi, un concert moyen et trois beaux récitals de danse bharatanatyam par M. Thamayanthi, Vaijayanthi Narendran et Janaki Rangarajan.
  • 3 janvier 2014 (Balamandir German Hall, The Music Academy, Chennai) : Pour conclure mon séjour à Chennai, un émouvant mini-concert matinal, un très beau récital de bharatanatyam d'Aishwarya Nityananda et un décevant ballet de danse odissi par la Sutra Dance Company de Ramli Ibrahim.

Opéra Garnier — 2014-01-08

Ballet du Théâtre du Bolchoï

Orchestre Colonne

Igor Dronov, direction musicale

Leonid Desyatnikov, musique

Alexeï Ratmansky, chorégraphie

Jérôme Kaplan, décors et costumes

Vincent Millet, lumières

Guillaume Gallienne, consultant dramaturgique

Lukas Geniusas, piano

Svetlana Shilova, Catherine Trottman, chant

Diana Vishneva, Coralie

Vladislav Lantratov, Lucien

Ekaterina Shipulina, Florine

Artem Ovcharenko, Premier danseur

Yegor Simachev, Camusot

Alexandr Fadeechev, Le Duc

Yan Godovsky, Le Maître de ballet

Illusions perdues, ballet en trois actes d'après le livret de Vladimir Dmitriev inspiré du roman éponyme d'Honoré de Balzac

J'ai apprécié certains aspects de la musique de ce ballet interprété par le Ballet du Théâtre Bolchoï. J'ai toutefois été étonné que la musique soit bien souvent une superposition entre une musique assez sérieuse et une musique moqueuse, comme si une partie de l'orchestre se mettait à caqueter. (Ceci n'est pas une critique de l'orchestre que j'ai trouvé excellent, mais de la curieuse composition de Leonid Desyatnikov.)

J'ai aimé voir les magnifiques danseurs Vladislav Lantratov et Diana Vishneva dans les rôles principaux (et revoir Ekaterina Shipulina exécuter une vingtaine de fouttés), mais je n'ai été aucunement ému par l'histoire.

Maison de l'Inde, Cité universitaire — 2014-01-11

Jérôme Cormier, chant dhrupad

Gérard Hababou, pakhawaj

Joël, chant dhrupad

Raga Gunkali

Le pakhawaj imposait d'accorder le tampura en la, ce qui me permit de chanter bien que ma gorge ne fût pas tout à fait remise de mon utilisation d'un encens anti-moustiques à la fin de mon séjour à Chennai... La dernière fois, nous étions quatre à accompagner notre professeur de chant dhrupad. Cette fois-ci, j'étais tout seul, et cela fait drôle de savoir que c'est sans filet...

Chez Malavika — 2014-01-11

Pauline Reibell, bharatanatyam

Kâmala

J'ai apprécié ce spectacle de danse bharatanatyam de Pauline Reibell (qui est comme ma prof disciple de Sucheta Chapekar). Le spectacle s'intitule Kâmala, qui est le nom de la fleur de lotus, dont l'éclosion sera évoquée de diverses manières au cours du spectacle. Celui-ci commence par le son originel Om, suivi de la note de référence Sa du solfège indien, bientôt rejointe par les autres notes de la gamme que la danseuse chante dos au public. Elle prononce ensuite en joignant le geste à la parole un vers essentiel de l'Abhinaya Darpanam sur les danses indiennes :

यतो हस्तस्ततो दृष्टिर्यतो दृष्टिस्ततो मनः ।
यतो मनस्ततो भावो यतो भावस्ततो रसः ॥

Ce qui se transcrit ainsi :

yato hastastato dṛṣṭiryato dṛṣṭistato manaḥ
yato manastato bhāvo yato bhāvastato rasaḥa

Là où va la main va le regard, etc. Après l'avoir prononcé en sanskrit, la danseuse en a proposé une traduction. La fin du vers est étonnamment traduite par Jaillit la joie. Le geste effectué par la danseuse évoque effectivement la joie, mais il me semble qu'il s'agit plus généralement de l'émotion esthétique (Rasa).

La bande-son alterne entre musique plutôt mélodique, silences, passages rythmiques et bruits urbains dans lesquels s'insèrent des réflexions sur divers sujets. La partie la plus développée du spectacle évoque Ardhanarishwara, la forme androgyne mi-Shiva mi-Parvati. Les deux divinités sont surtout représentées l'une par son attitude féminine et l'autre par l'action du tambour Damaru. Cette représentation se prolongeait peut-être dans deux passages rythmiques dans lesquels une seule de ses mains était animée d'un mouvement, le passage utilisant la main droite étant semble-t-il plus viril que celui utilisant la main gauche.

Dans la séquence suivante, la fleur de lotus semble éclore, attirée par le Soleil. La danseuse représente ensuite trois divinités associées au lotus : Lakshmi, Sarasvati, Govinda. Je suis alors ravi de la voir représenter Padmanabha. Plus loin, adoptant une pose demandant un certain sens de l'équilibre, la danseuse représente semble-t-il un poisson ; l'interprétation de cette pose par la danseuse est plus courbe que ce que j'ai pu voir récemment à Chennai.

Le récital est quelque peu austère, mais j'ai apprécié la beauté de certains mouvements convergeant vers des postures signifiantes et je me suis aussi délecté de la pièce narrative évoquant l'espiègle Krishna qui est intervenue avant le Tillana concluant le récital.

Salle Pleyel — 2014-01-16

Roland Daugareil, violon solo

Orchestre de Paris

Christoph von Dohnányi, direction

Le songe d'une nuit d'été (Ouverture), Mendelssohn

Martin Helmchen, piano

Concerto pour piano nº3 et ut mineur op 37 (Beethoven)

Symphonie nº9 La Grande (Schubert)

Superbe concert de l'Orchestre de Paris ! tout comme la dernière fois que j'avais vu Christoph von Dohnányi diriger cet orchestre, dans Le Château de Barbe-Bleue. Placé cette fois-ci à l'arrière-scène, je le vois diriger des épaules l'Ouverture du Songe d'une nuit d'été. Le grand moment du concert a été pour moi l'interprétation du Troisième concerto pour piano de Beethoven par le pianiste Martin Helmchen que j'avais déjà trouvé formidable comme accompagnateur de Juliane Banse lors d'un récital de Lieder. Comme beaucoup d'autres spectateurs, j'ai été captivé par son interprétation de ce concerto ! Beaucoup de rubato dans son jeu et dans celui de l'orchestre... Certains passages sont très virtuoses, mais je n'ai jamais l'impression d'être noyé dans un déluge de notes. Tout semble très clair !

Après l'entr'acte, j'ai beaucoup aimé l'interprétation de la symphonie “La Grande” de Schubert, notamment le deuxième mouvement, mais à chaque écoute, je trouve toujours cette symphonie un petit peu longue...

  • 18, 21, 23, 24, 25 & 26 janvier 2014 (Cité de la musique) : Voilà la sixième biennale de quatuors à cordes ! Si tout se passe bien, je devrais pouvoir assister à 14 des 16 concerts programmés lors de cet événement. Le compositeur classique mis en valeur est Mozart, et de nombreux autres compositeurs vivants ou morts seront représentés (Bartók, Beethoven, Britten, Haydn, Janáček, etc.).
  • 31 janvier 2014 (Salle Pleyel) : Après avoir joué et dirigé un programme similaire avec le Chamber Orchestra of Europa, Leonidas Kavakos revient avec un programme Mozart/Prokofiev/Schubert avec l'Orchestre philharmonique de Radio France. (J'ai vraiment l'impression d'écouter trop souvent la Symphonie nº9 “La Grande” de Schubert...)

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Bilan de la Saison de Décembre 2013 à Chennai

2014-01-12 17:40+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XII

Je reviens ravi de mon court à Chennai pour la Saison de décembre. Je ne saurais trop recommander à quiconque aime la danse bharatanatyam d'y aller (les autres styles indiens n'étant que très modestement représentés). Je n'y retournerai pas tous les ans, d'une part parce qu'un séjour aussi bref en Inde est quelque peu dispendieux et d'autre part parce que l'ensemble des artistes présents ne doit pas beaucoup changer d'une année sur l'autre. Cependant, je retenterai l'expérience dans quelques années, c'est certain.

La plupart de mes journées commençaient très tôt. Pendant les premiers jours, je n'avais aucun mal à m'endormir, mais une fois réveillé sans raison vers 5h du matin, je n'arrivais plus à me rendormir. Les jours suivants, j'ai été réveillé tous les matins vers 5h par le son des nadaswarams du temple jouxtant l'hôtel moins onéreux que j'avais préféré au premier. Je n'avais dès lors plus qu'à attendre 7h que le restaurant Saravana Bhavan le plus proche ouvre afin d'y déguster des Appams servis avec du lait de coco.

Les spectacles de danse n'ayant lieu que l'après-midi, il a bien fallu que j'assiste le matin à quelques concerts de musique carnatique (et à des conférences-démonstrations à la Music Academy ou au Sri Krishna Gana Sabha). Il m'est apparu au cours de ce voyage que je n'aimais pas véritablement la musique carnatique. Les raisons m'ont été révélées lors de l'intéressante conférence-démonstration des violonistes Ganesh & Kumaresh. J'apprécie que le chant soit ornementé, c'est ce qui m'a attiré vers le dhrupad, mais le chant carnatique est beaucoup trop ornementé à mon goût. Les Alap sont trop courts et ne font pas entendre les notes de la gamme de façon progressive, puisqu'au bout d'un quart de seconde, le chanteur aura eu le temps de les jouer toutes avec déjà d'infinies combinaisons d'ornementations. Certains interprètes arrivent néanmoins à donner un caractère méditatif à leur chant. Ce fut le cas de T. M. Krishna et plus encore de Dr M. Balamuralikrishna. Me donner une petite chance d'entendre Dr M. Balamuralikrishna en concert faisait partie des raisons principales de mon séjour. Je suis heureux de l'avoir entendu, même si cela n'a duré que 10 minutes. En dehors de ce moment exceptionnel, je retiendrai surtout le concert matinal de Padmavathy Ananthagopalan & Jayanthi Kumaresh qui ont interprété avec leurs Vînâs un Ragam Thanam Pallavi, la forme musicale la plus élaborée dans la musique carnatique et la plus proche de la forme que prennent les Ragas dans la musique dhrupad.

La raison principale de mon séjour à Chennai était bien sûr la danse. En tout, j'aurai assisté à plus d'une trentaine de spectacles de danse (sur 52 spectacles vus en 12 jours). Cela commençait souvent par un récital au Narada Gana Sabha à 14h après lequel je filais au Sri Krishna Gana Sabha pour les récitals de 16h et 17h30 dans la petite salle, après lesquels j'enchaînais avec le spectacle du soir dans la grande salle du Sri Krishna Gana Sabha, ou dans une autre salle. À l'issue du festival du Sri Krishna Gana Sabha, je me suis tourné vers le Bharatiya Vidya Bhavan.

Pour ce qui est de la danse, j'ai été heureux de prendre un cours avec Srithika Kasturirangan qui porte une lourde responsabilité dans mon intérêt pour le bharatanatyam. En assistant à des récitals, j'ai découvert des styles de bharatanatyam extrêmement variés, du plus austère (C. V. Chandrashekhar) au plus exubérant (Nivedita Gopinath) en passant par l'art de la narration la plus lisible qui soit de Bhavya Balasubramanian, la grâce de Meenakshi Srinivasan, le style tout à fait unique de Padma Subramanyam (dont le travail sur les karanas peut néanmoins être admiré chez Janaki Rangarajan). Parmi les expériences allant vers la danse contemporaine, si j'ai été sensible aux tentatives de Rukmini Vijayakumar, j'ai un peu moins accroché à celles de Leela Samson et je suis resté complètement réfractaire à la démarche d'Anita Ratnam. Ce spectacle d'Anita Ratnam est la seule véritable déconvenue subie au cours de ce séjour, et ce d'autant plus qu'en assistant à ce mauvais spectacle, j'ai perdu une occasion de revoir Alarmel Valli. Mon grand autre regret est de n'avoir pas vu Bragha Bessel dont tout le monde loue les qualités exceptionnelles en Abhinaya, mais ce n'est, je l'espère, que partie remise.

La trentaine de récitals de danse auxquels j'ai assisté m'ont donc à peu près tous apporté des satisfactions ; je ne peux pas toutes les citer ici. Les plus grandes émotions ne sont pas toujours venues des danseuses les plus connues : la qualité d'un spectacle ne se mesure pas au prix des places (qui est souvent de zéro roupie !). Cependant, s'il y avait un seul spectacle en lequel je fondais de grandes espérances, c'était bien celui de Rama Vaidyanathan. Jusque là, je ne l'avais vue qu'en vidéo. Je m'attendais à ce que soit extraordinaire et assister à son récital au Bharat Kalachar m'a comblé au delà de toutes mes espérances !

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Chennai, Jour 12/12 : Amirtha Vahini, M. V. Narasimhachari, Aishwarya Nityananda, Sutra Dance Company

2014-01-10 17:08+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XII

The Indian Fine Arts Society, Balamandir German Hall, Chennai — 2014-01-03 à 08:30

Ensemble Amirtha Vahini, chant

Il n'y avait pas beaucoup de spectacles programmés pendant cette matinée. La seule possibilité que j'aie trouvée était d'aller au Balamandir German Hall à 8h30. On était moins nombreux dans le public que sur scène où avaient pris place sept femmes et un homme qui chantaient sans accompagnement instrumental. Elles chantaient déjà avant que je fusse arrivé. Leurs chants sont semble-t-il en l'honneur de Krishna et sont pour la plupart en Adi Tala (les chanteuses ne le clappant pas toutes de façon synchronisées avec la leader). J'apprécie que les chants soient ornementés de façon beaucoup plus raisonnable que ne l'est le chant carnatique. Quelques délicieux glissandis exécutés entre certaines notes interprétées sur un tempo plutôt lent, cela me plaît davantage que les ornementations fractales de certains chanteurs ! Malgré leurs imperfections et leur absence totale de prétention, ces chants interprétés par un chœur m'ont beaucoup ému.

The Indian Fine Arts Society, Balamandir German Hall, Chennai — 2014-01-03 à 09:00

M.V. Narasimhachari, chant

Jayanthi Keshav, violon

Thiruvidaimarudur Radhakrishnan, mridangam

Quelques minutes après la fin du premier concert, le public n'est pas beaucoup plus nombreux pour le concert de M. V. Narasimhachari. La voix du chanteur âgé ne s'est pas tout à fait enfuie, lui permettant tout juste d'assurer le concert, ce qui me met assez mal à l'aise. La brièveté ou l'absence totale d'Alap dans l'interprétation des premières compositions m'a décidé à partir après un petit quart d'heure.

Pour la soirée, j'avais deux possibilités. La première était d'assister à un dance drama de Kalakshetra au Narada Gana Sabha. Après avoir vu une autre chorégraphie de Rukmini Devi dans le récital de C. V. Chandrashekhar, je me suis dit que je risquais de m'y ennuyer et ce d'autant plus que je ne connais pas bien le thème mythologique du dance drama Rukmini Kalyanam qui était programmé (pour cette raison, j'aurais bien aimé voir Sabari Moksham, mais c'était complet).

L'autre possibilité, c'était d'aller à l'ouverture du festival de danse de la Music Academy. Après avoir fui le concert mentionné ci-dessus, je suis passé vers 9h30 à la Music Academy pour acheter une bonne place. La vente commençait à 10h. J'étais le premier dans la file, bientôt rejoint par une japonaise, Naoko. Un agent de sécurité nous a dit de passer outre et d'aller sans attendre au bureau de la Music Academy où on nous a dit de rebrousser chemin parce qu'ils étaient débordés. J'ai finalement acheté mon billet et Naoko son abonnement (season ticket), comme quoi, c'est possible.

Le soir venu, je suis arrivé bien en avance à la Music Academy. Ayant payé ma place 850 roupies, je suis passé par l'entrée VIP et ai découvert que tout le petit monde ou presque du bharatanatyam à Chennai était déjà là ou en train d'arriver : Padma Subramanyam, Sudharani Raghupathy, les Dhananjayan, Shobana, les critiques Sunil Kothari et Leela Venkataraman, et bien d'autres non identifiés. J'aperçois aussi des membres de la Chidambaram Dance Company de Chitra Visweswaran. Si le public était invité à venir plus tôt, c'est parce que la Music Academy avait attribué à cette danseuse le prix Natya Kala Acharya qu'allait lui remettre C. V. Chandrashekhar après la cérémonie de l'allumage de la lampe. Parmi les discours faits à cette occasions, trois ont été remarqués. Tout d'abord, l'entrepreneur Sreedhar Potarazu, époux et père de danseuses, a expliqué qu'il finançait le festival de la Music Academy non pas par mécénat, mais par dévotion aux Arts. C. V. Chandrashekhar a de son côté exprimé son inquiétude sur la forme du récital de bharatanatyam Margam (structuré en Alarippu, Varnam, Padam, etc). Selon lui, de trop nombreuses danseuses utilisent leurs récitals pour raconter des histoires. Il veut bien que l'on raconte des histoires, mais il faudrait laisser cela aux chorégraphies de groupes (Dance Dramas). Si je me fie aux spectacles vus pendant la saison, ses inquiétudes me semblent assez largement infondées ; et ce n'est de toute façon pas moi qui reprocherait à une danseuse de raconter une histoire dans son récital... Les arguments qu'il a produits incluaient la défense de la poésie tamoule qui est utilisée dans certains types de pièces et il a aussi défendu l'importance de l'expression des sentiments de la nayika dans les Varnam alors que celle-ci suit un chemin spirituel vers la divinité.

Le discours d'acceptation de Chitra Visweswaran a été très émouvant. Elle a rendu hommage aux personnes grâce auxquelles elle est devenue ce qu'elle est. Elle a aussi exhorté à une prise de conscience des difficultés auxquelles sont confrontés les danseurs (pas de protection sociale, pas de retraite). Elle a appelé à une réflexion sur le rôle que l'État, les entreprises et la Music Academy pourraient jouer pour améliorer la situation.

La cérémonie s'est éternisée et la demi-heure prévue a été très vite dépassée. Le récital prévu ensuite a commencé avec 40 minutes de retard !

Ailleurs : The Hindu.

The Music Academy, T.T.K. Auditorium, Chennai — 2014-01-03 à 18:00

Aishwarya Nityananda, danse bharatanatyam

Pushpanjali

Varnam

Devanama

Padam

Tillana

Le récital d'Aishwarya Nityananda donné en ouverture du festival m'a semblé remarquable. Après une prière à Ganesh dont la danseuse a mis en valeur le gros ventre, elle a interprété un Varnam (Rupaka Tala) du Tanjore Quartet en l'honneur de Brihadeshwarar, la forme de Shiva qui réside à Tanjore.

La danse d'Aishwarya Nityananda semble appartenir à la plus pure tradition. Le thème de son Varnam (Rupaka Tala) a certainement fait plaisir à C. V. Chandrashekhar. Si les qualités expressives de la danseuse sont indéniables, son interprétation me paraît exceptionnelle pour une autre raison. Dans le bharatanatyam, il faut bien admettre que certains éléments de narration très courants finissent par devenir des lieux communs, mais dans ce Varnam la danseuse a repris certains de ces éléments pour les développer davantage que cela se fait habituellement, et élaborant des gestes nouveaux pour ces situations connues, elle renforce l'esthétisme et la poésie de ces scènes. Par exemple, après un premier jati ressemblant fortement à un Alarippu, l'héroïne adresse une prière à Shiva-Nataraja qui se laisse entrevoir et puis elle décide de confectionner une guirlande de fleurs. Au lieu de gestes vus et revus, la danseuse élabore sur ce thème. On la voit ainsi aller remplir des seaux d'eau au puits, puis arroser des fleurs et enfin seulement préparer les guirlandes de fleurs. Plus loin, entrant dans le temple, elle entend le son des tambours et des nadaswarams. Après son offrande de fleurs, Shiva lui apparaît sous une forme qui lui fait peur : certes Ganga coule de son chignon et il arbore le croissant de Lune, mais elle est effrayée par sa chevelure, les cendres et la peau de tigre. Quand il semble qu'il veuille lui prendre la main, elle s'enfuit. On retrouve ensuite l'héroïne dans une scène bucolique. Allongée au bord de l'eau, elle regarde une abeille butiner un lotus. Cette scène est extrêmement stylisée et la musique se fait presqu'impressionniste grâce au son de la flûte. L'héroïne voit aussi des couples d'oiseaux et d'antilopes. Elle refuse de continuer à voir ce qui la dégoûte. Elle cherche ensuite à s'unir à celui qui porte le tambour Damaru et dont la virilité quelque peu hautaine semble comporter une part de vantardise. L'héroïne est montrée en train de se faire belle. La scène est extrêmement riche en détails. Elle se regarde dans le miroir, se met un collier, des boucles d'oreilles, des bracelets. La danseuse portait évidemment des bracelets depuis le début de son récital, mais c'est tout comme s'ils n'avaient paru qu'au moment où l'héroïne qu'elle incarne les a mis ! L'héroïne enfile ensuite très soigneusement un sari, mais elle ne semble pas satisfaite. Elle jette tous ses ornements et supplie la divinité. Dans le dernier chapitre joyeux du Varnam, on voit l'héroïne s'émerveiller devant la vision de Shiva ascète réduisant Kama en cendres et semble-t-il aussi devant celle de l'épisode mythologique qui vaut à Shiva le nom de Nilakantha. Il me semble ainsi voir la danseuse évoquer le barattage de la Mer de Lait et montrer Shiva en train de boire le poison qui en a résulté, mais je n'en suis pas tout à fait certain, la chorégraphie n'incluant pas de geste spécifique pour signifier que Shiva en a conservé une marque à la gorge.

La danseuse a fait preuve d'une grande musicalité dans son interprétation et ses jatis étaient souvent assez complexes. Le Varnam a même comporté une scène assez vive dansée sur les genoux. La pièce suivante Devanama (composée par Purandara Dasa) évoquait Vishnu. La divinité est apparue plusieurs fois sous le nom de Rama dans le texte, et dans la chorégraphie, mais la pièce est surtout centrée sur l'avatar Krishna, et plus particulièrement sur l'épisode que constitue la Bhagavadgita. On voit ainsi Krishna en cocher. L'archer Arjuna refuse de combattre ceux avec qui il partage des liens familiaux. Krishna se montre à lui dans sa forme universelle. L'Univers tout entier apparaît. Arjuna en est émerveillé et repart au combat. La fin de la pièce comporte une très belle pose de Vishnu-Padmanabha sur le serpent Shesha.

Les deux dernières pièces m'ont paru bien moins passionnantes que les précédentes. L'avant-dernière était un Padam sur le même thème que celui présenté la veille par Janaki Rangarajan. L'interprétation d'Aishwarya Nityananda souffre beaucoup de la comparaison. Si elle n'avait pas annoncé préalablement le thème du Padam, je n'aurais sans doute rien compris à la pièce. Le Tillana n'était pas très enthousiasmant non plus. Il se réduisait à de la danse pure. Fait étonnant, le récital ne s'est pas terminé par la salutation traditionnelle.

The Music Academy, T.T.K. Auditorium, Chennai — 2014-01-03 à 19:45

Sutra Dance Company de Ramli Ibrahim, danse odissi

Krishna: Love Re-invented

À la lecture du programme du festival de danse de la Music Academy, il apparaît que les spectacles programmés en soirée sont des ensembles plutôt que des récitals solos. Le premier de ces spectacles est Krishna: Love re-invented dansé par la Sutra Dance Company de Ramli Ibrahim (Malaysie). Si les cinq premières minutes du spectacle m'ont paru réellement enthousiasmantes, l'ensemble me paraît consternant et je suis étonné qu'un aussi prestigieux festival programme un tel spectacle certes bien dansé mais dénué de substance. (Cela dit, j'ai déjà vu pire à l'Opéra de Paris !) La troupe est composée de quatre danseurs solistes : Ramli Ibrahim, un jeune homme interprétant Krishna et deux danseuses que les costumes ne distinguent pas des cinq autres danseuses du corps de ballet.

Le costume des danseuses comporte moins de tissu que le costume traditionnel de la danse odissi : elles n'ont que le corsage et le pantalon. Le sujet du ballet est on ne peut plus érotique. Pendant plus d'une heure, on nous montre Krishna en train de danser avec les gopis. Ce serait superbe si le ballet s'arrêtait à la fin du premier des cinq ou six tableaux, mais à force de revoir toujours la même chose tableau après tableau mon émerveillement a laissé la place à la lassitude.

Le premier tableau mettait en scène deux dévôts de Krishna : un homme (Ramli Ibrahim) et une femme (la prima ballerina). Les danseurs et danseuses de la compagnie dansent un style que l'on ne peut pas confondre avec un autre style que l'odissi. La cambrure des corps est tout à fait caractéristique. La lascivité des poses et des mouvements de transition met résolument en valeur l'aspect Lasya de la danse. Ce qui me plaît le plus, c'est le travail sur le placement du corps de ballet, très homogène : en danses indiennes, c'est la première fois que je vois ça (les danseuses de la Chidambaram Dance Company vues récemment développant davantage leur singularité).

Si le premier tableau était superbement travaillé, les suivants étaient très décevants, le sujet ayant été épuisé dès le premier tableau. Pour rendre le ballet plus substantiel, il aurait fallu par exemple explorer le Gita-Govinda ou narrer des exploits du jeune Krishna... Il faut néanmoins reconnaître une certaine audace dans les portés intégrés à la chorégraphie, sans doute à l'extrême limite de ce qui doit être acceptable en termes de pudeur sur une scène indienne.

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Chennai, Jour 11/12 : T. S. Sathyavathi, Kunnakudy M. Balamuralikrishna, M. Thamayanthi, Vaijayanthi Narendran, Janaki Rangarajan

2014-01-06 22:26+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XII

Sri Parthasarathy Swami Sabha, Vidya Bharathi Kalyana Mandapam, Chennai — 2014-01-02 à 08:30

Dr. T.S. Sathyavathi

Lecture Demonstration: An aesthetic approach to pallavi and its facets

Mon avant-dernière journée à Chennai a commencé par une remarquable lecture-demonstration au Vidya Bharati Kalyana Mandapam que les rickshaws qui le connaissent appellent simplement Vidya Bharatai et qu'il ne faut donc pas confondre avec Bharatiya Vidya Bhavan qui se trouve aussi à Mylapore. La conférence est intitulée An aesthetic approach to pallavi and its facets. Après avoir chanté une courte et intense prière à Bhagavata, T. S. Sathyavathi a illustré ce qu'il fallait faire (ou ne pas faire) selon elle dans la partie Pallavi d'un Ragam Thanam Pallavi. Parmi ses idées, celle d'apporter du plaisir (pleasure) à l'auditeur plutôt que de créer une tension (pressure). Tous les efforts de l'interprète doivent aller dans cette direction, mais il ne faut pas que ces efforts soient apparents. Elle a présenté de nombreux exemples d'une grande difficulté technique, mais a insisté pour que l'interprète ne soit pas trop démonstratif et que le battements du tala et de ses subdivisions ne soient pas trop forcés : allier souplesse et précision. Par exemple, la chanteuse est passée tout naturellement de temps divisés en quatre doubles croches à des quintolets et puis plus loin, elle rendra très naturel un redoutable Talamalika, une guirlande de talas dans lequel chaque cycle rythmique était obtenu en mettant bout à bout plusieurs talas (en l'occurrence quatre : 3+???+4+5).

Sri Parthasarathy Swami Sabha, Vidya Bharathi Kalyana Mandapam, Chennai — 2014-01-02 à 10:00

Kunnakudy M. Balamuralikrishna, chant

M.A. Sundareswaran, violon

Thiruvarur Bakthavathsalam, mridangam

K.V. Gopalakrishnan, kanjira

La matinée se poursuit dans la même salle avec un concert de Kunnakudy M. Balamuralikrishna. Alors que j'arrivais à clapper immédiatement des talas pas tout à fait évidents avec l'oratrice de la lecture-demonstration précédente, je suis perdu quand je regarde Kunnakudy M. Balamuralikrishna, même quand il chante une composition dans le tala le plus courant (Adi). Le chanteur ne suit manifestement pas la même recherche esthétique que T. S. Sathyavathi. C'est très divertissant, je ne regrette pas d'être resté jusqu'au Tillana conclusif, mais je n'ai pas trouvé très transcendant ce concert.

Le temps est venu de parler d'un sujet important : la nourriture. J'ai pris la plupart de mes repas dans des restaurants comme Saravana Bhavan et d'autres du même type. Je ne suis allé qu'une fois dans un restaurant de luxe (Benjarong, un restaurant thaïlandais qui me permet de me remémorer à chaque passage à Chennai ce que signifie véritablement l'adjectif piquant appliqué à la cuisine). En cas de petit creux, je prenais des petits cakes nature vendus à tous les coins de rue pour 5 roupies.

La plupart des salles de spectacle disposent d'une cafétéria. Il ne m'a pas semblé qu'il y en ait une à la Music Academy et celle du Narada Gana Sabha n'étant ouverte qu'en soirée, je ne l'ai pas testée. J'ai souvent pris des cafés au Sri Krishna Gana Sabha, mais leurs plats ne sont pas terribles. Parmi les meilleurs cuisines que j'ai testées, celle du Brahma Gana Sabha (Sivagami Petachi Auditorium) est très bonne, tout comme celle du Mylapore Fine Arts Club, dont je n'ai malheureusement pas eu le temps de goûter au thali. La meilleure cantine a été pour moi indiscutablement celle du Vidya Bharati Kalyana Mandapam. La salle est grande et les murs sont recouverts de portraits de chanteurs de musique carnatique comme M. S. Subbulakshmi, Dr. M. Balamuralikrishna ou Aruna Sairam. J'y ai pris des vadas en arrivant le matin et je n'ai eu alors aucune hésitation sur l'endroit où je prendrais mon déjeuner. Après le concert de Kunnakudy M. Balamuralikrishna, je me suis installé dans cette cantine où des feuilles bananier étaient alignées pour servir le thali à volonté (un peu plus de 200 roupies). Un des meilleurs que j'aie goûtés !

Kartik Fine Arts, Bharatiya Vidya Bhavan - Main Hall, Chennai — 2014-01-02 à 16:30

M. Thamayanthi, danse bharatanatyam

À 16h30, je suis allé au Bharatiya Vidya Bhavan. L'entrée étant gratuité ce jour-là, j'ai assisté aux trois récitals de danse qui y étaient programmés afin d'être sûr d'avoir une très bonne place pour le dernier récital (de Janaki Rangarajan). La première danseuse est M. Thamayanthi, disciple d'Urmila Satyanarayanan. J'ai aimé son style très esthétique comportant des équilibres et une gracieuse utilisation de positions assises ou allongées.

Les deux premières pièces (un Pushpanjali en l'honneur de Shiva et un Alarippu rythmiquement compliqué dont la musique utilisait un tala à sept temps). S'ensuit un Varnam en Adi Tala dont je n'ai pas saisi la cohérence globale. Le premier jati ressemble à un Alarippu. Les mouvements semblent complexes, les bras et les jambes allant souvent dans des directions opposées. La jeune femme brûle d'amour. Elle va à la rivière se laver les cheveux et les arranger en chignon. Elle brûle toujours et cherche l'union. Des épisodes mythologiques sont ensuite évoqués. Il me semble discerner que quelqu'un est réduit en cendres (Kama par Shiva ?) et plus loin j'ai l'impression de voir une évocation de certains ou peut-être de tous les avatars de Vishnu, ce qui me paraît étrange, mais les apparitions de Krishna en flûtiste et du mot Gopala dans le texte lèvent mes doutes. Après un jati très rapide, on voit les abeilles butiner des fleurs et alors que l'héroïne se réveille après son sommeil, le Varnam se termine de façon joyeuse.

Le récital se conclut par deux délicieuses pièces en Adi Tala. La première décrit l'émerveillement d'une mère en voyant son enfant ; elle ne peut faire aucune tâche ménagère, puisqu'elle revient toujours auprès de l'enfant, pour lui donner des fruits, par exemple. Le récital se conclut sur un Tillana composé par Dr M. Balamuralikrishna, pas celui en Behag entendu déjà plusieurs fois, mais plutôt semble-t-il celui en Kadanakuthoohalam. La pièce évoquait Krishna et comportait un très bel équilibre.

En allant me dégourdir les jambes, je salue une dernière fois le violoniste Kalaiarasan qui filait jouer dans une autre salle et qui m'a demandé mon numéro de téléphone !

Kartik Fine Arts, Bharatiya Vidya Bhavan - Main Hall, Chennai — 2014-01-02 à 18:00

Vaijayanthi Narendran, danse bharatanatyam

Comme l'avant-veille, j'ai assisté à un récital d'une disciple de Krishnakumari Narendran. Le récital de Nivedita Gopinath était centré sur Vishnu (via son avatar Rama). Celui de Vaijayanthi Narendran est consacré à Shiva. Les discours en tamoul de Krishnakumari Narendran sont toujours aussi interminables. Les chorégraphies présentées par Vaijayanthi Narendran sont un peu moins hors normes que celles dansées par Nivedita Narendran. La première pièce commence par un jati très long mettant en scène le tambour Damaru de Shiva. Après une évocation du tambour, de la vînâ, de la flûte et de l'écriture, la suite de la pièce montre de nombreux attributs de Shiva (chignon, troisième œil, trident, Ganga, Nataraja, Damaru).

La deuxième pièce commence par le mantra Om Namah Shivaya dans laquelle la danseuse évoque la danse de Shiva en montrant plus ou moins les mêmes attributs que dans la pièce précédente. La vélocité de la danseuse est impressionnante. Presque trop, on n'en a pour ainsi plus le temps de distinguer les éléments évocateurs ou narratifs de la chorégraphie... Comme dans le récital de Nivedita Gopinath, les conventions du bharatanatyam semblent exploser avec l'insertion d'un passage de divertissement champêtre sans paroles dans lequel le son de la vînâ prend le dessus.

La pièce suivante utilise une musique de Papanasam Sivan et évoque semble-t-il l'amour filial de Yashoda pour Krishna.

La dernière pièce avait un titre ressemblant à Pandheri-yatra et m'a semblé évoquer un voyage en bateau et exprimer une dévotion (bhakti) vishnouïste.

Malgré la vitesse extrême des mouvements qu'elle a exécutés, la danseuse n'a trahi aucun signe de fatigue.

Kartik Fine Arts, Bharatiya Vidya Bhavan - Main Hall, Chennai — 2014-01-02 à 19:30

Janaki Rangarajan, danse bharatanatyam

Margam

Un des récitals que j'attendais le plus en venant à Chennai était celui de Janaki Rangarajan, que j'avais déjà eu l'occasion de voir au Musée Guimet il y a quelques mois. Le chanteur est K. Hariprasad et le nattuvangam sera joué par Jaishri, ce qui à tout pour me plaire. L'orchestre ne comporte pas de violon, seulement une flûte (et bien sûr aussi un mridangam).

Après une prière au Tout Puissant, la danseuse qui porte un élégant costume associant blanc, vert et rose a interprété un Alarippu suivi d'une prière et d'une offrande de fleurs à Shiva. Le dieu était représenté avec son chignon, des cendres et la peau de tigre. Étrangement, pour représenter Shiva-Nataraja, après avoir fait prendre à ses deux mains leur position habituelle, elle a dirigé vers le côté opposé non pas sa jambe gauche mais sa jambe droite. La pièce de cette disciple de Padma Subramanyam s'est terminée par une superbe pose, qui est probablement un karana (le centième ?), qui ressemble un peu à la représentation iconographique d'un des pas du nain Vamana (incarnation de Vishnu). La danseuse se tient sur la jambe droite qui est tendue, tandis que la jambe gauche est parfaitement horizontale, pointée vers le côté et tenue par la main gauche, la main droite restant décontractée.

La pièce principale du récital est un Varnam. L'héroïne est éprise de Padmanabha (Vishnu). Les jatis comportent quelques mouvements très courbes et incorporent peut-être quelque(s) karanas. Au cours des trente-deux spectacles de danse que j'ai vus à Chennai, j'ai eu de très nombreuses occasions de voir Kama lancer ses flèches florales. La représentation qu'en a fait Janaki Rangarajan est sans doute la plus belle que j'aie vue. L'héroïne exécute des rites d'adoration d'une statue. Elle brûle de la séparation avec son bien-aimé. Par ses magnifiques mouvements d'yeux, la danseuse exprime la détresse de l'héroïne. Celle-ci se pare. Elle se coiffe les cheveux, se maquille, souligne le contour de ses paupières. Des couples d'oiseaux paraissent, des abeilles butinent, l'héroïne pense à celui aux yeux de lotus (Krishna flûtiste), ce qui donne à la danseuse l'opportunité d'exécuter des délicats mouvements de sourcils. Elle brûle toujours de cette détresse et puis Padmanabha apparaît enfin. L'héroïne le supplie, mais elle ne pourra semble-t-il adorer que son image.

Plus que par sa structure classique assez peu narrative, si j'ai trouvé remarquable ce Varnam (en Rupaka Tala), c'est par le travail exceptionnel de la danseuse dans l'expression de son visage et dans la beauté de sa gestuelle, que ce soit dans les passages rythmiques (jatis) ou dans les parties exprimant les sentiments de l'héroïne.

La pièce suivante est un Padam. Si je verrai par hasard une autre danseuse interpréter une pièce sur le même thème le lendemain, je pense que Janaki Rangarajan est la première danseuse que je voie à présenter le thème d'une héroïne (nayika) trahie par son amie (sakhi). L'amie sert d'intermédiaire entre l'héroïne et son amoureux (une divinité, qui était ici Muruga). On voit l'héroïne rédiger une lettre que la sakhi est censée transmettre à l'amoureux. Dans ce Padam, quand l'amie revient, l'héroïne remarque que son maquillage est ruiné, son rouge à lèvres dégouline de partout. Alors que la sakhi avait toujours été pour moi un personnage assez abstrait que je n'arrivais jamais à distinguer dans la chorégraphie, je l'ai vu pour la première fois dans ce Padam. Elle fallait voir la sakhi ayant perdu toute contenance, pleine de honte, peu fière d'avoir trahi la nayika. Cela n'a duré que deux ou trois secondes, mais c'était magnifique. La pièce se termine avec l'expression des regrets de la sakhi.

Le récital s'est terminé par un Tillana composé par Padma Subramanyam louant la beauté des créatures de Dieu. Les mouvements d'yeux de la danseuse sont encore éblouissants dans cette pièce qui se termine par un bel équilibre.

Alors que je m'apprête à aller féliciter la danseuse, je suis ravi de me retrouver nez à nez avec Jaishri à qui j'ai déjà eu l'occasion quelques jours plus tôt d'exprimer toute mon estime pour sa façon de jouer du nattuvangam. Arrivé à la loge, je suis accueilli par un Are you Joël?. Je ne suis pas sûr de m'en être complètement remis...

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Chennai, Jour 10/12 : Lalgudi G. J. R. Krishnan & Lalgudi Vijayalakshmi, M. S. Ananthashree, Sweta Prachande, Zakir Hussain

2014-01-03 16:10+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XII

The Mylapore Fine Arts Club, Chennai — 2014-01-01 à 09:30

Lalgudi G.J.R. Krishnan, violon

Lalgudi Vijayalakshmi, violon

Trichy B. Harikumar, mridangam

V. Suresh, ghatam

Pour ce premier concert de l'année, j'ai probablement entendu ce qui se fait de mieux en violon carnatique : les frère et sœur Lalgudi G. J. R. Krishnan et Lalgudi Vijayalakshmi, disciples de leur père Lalgudi Jayaraman. Le concert a été agréable, mais n'a pas atteint les sommets de celui des joueuses de vînâ Padmavathy Ananthagopalan & Jayanthi Kumaresh. Ils ont interprété de nombreuses compositions en Adi Tala (et Rupaka Tala) de grands compositeurs (Tyagaraja, Muthuswami Dikshitar et leur père). Leur concert a aussi comporté un Ragam Thanam Pallavi en Raga Desh sur un cycle rythmique à neuf temps (XxxxxXoXo). La première ligne du Pallavi a été chantée par Vijayalakshmi avant que les deux musiciens l'interprètent avec leurs violons. J'ai nettement préféré ses improvisations à celles de son frère, moins émouvantes. Le concert s'est conclu par un Tillana composé par leur guru.

Sri Krishna Gana Sabha, Kamakoti Gana Mandir Hall, Chennai — 2014-01-01 à 16:00

M.S. Ananthashree, danse bharatanatyam

J'ai passé l'après-midi et la soirée au Sri Krishna Gana Sabha. J'y ai d'abord vu M. S. Ananthashree qui si elle n'est pas la plus élégante des danseuses que j'aie vues a cependant une très bonne technique. Après une prière chantée à Ganesh, elle a interprété Sabai Anjali/Tirupavai (?) avec son costume qui ressemble davantage à une robe qu'aux costumes les plus courants qui comportent un pantalon. Elle y fait une offrande de fleurs à la sculpture de Nataraja présente sur scène puis en tant que jeune femme éprise de Krishna, elle adresse une prière à Narayana.

Son Varnam est en Rupaka Tala. Il met en scène l'héroïne et Thyagaraja Swamy (la forme de Shiva résidant à Tiruvottiyur, près de Chennai). Frappée par les flèches de Kama, elle brûle de la séparation alors qu'autour de la rivière, elle voit des couples d'oiseaux et d'antilopes, ainsi que des abeilles butinant des fleurs. Elle prépare soigneusement un collier de fleurs pour son bien aimé. La danseuse évoque ensuite les Arts en mentionnant le Dieu aux quatre visages, les quatre Vedas, le tambour, la parole, la beauté du son, le rythme (qu'elle bat avec les doigts). Les jatis de ce Varnam sont très complexes d'un point de vue rythmique.

La pièce suivante est un Padam (Rupaka tala) dans lequel une mère tente de détourner sa fille de Shiva dont elle est éprise. La raison est semble-t-il qu'elle veuille garder Shiva pour elle-même... Le récital s'est conclu avec un Tillana (Adi tala).

Sri Krishna Gana Sabha, Kamakoti Gana Mandir Hall, Chennai — 2014-01-01 à 17:30

Sweta Prachande, danse bharatanatyam

Le récital suivant a été merveilleux. La jeune danseuse Sweta Prachande a d'abord appris le bharatanatyam auprès de Sucheta Chapekar (la guru de ma prof) et comme elle me l'a dit après le spectacle elle s'est installée depuis plusieurs années à Chennai où elle continue sa formation avec Priyadarshini Govind.

Le chanteur souffre quelque peu de la comparaison avec la Dream Team de musiciens qui l'entourent. Au violon, mon ami Kalaiarasan, au mridangam, le maître G. Vijayaraghavan et K. S. Balakrishnan au nattuvangam. La première pièce est une magnifique évocation de Shiva. La souplesse et le petit gabarit de la danseuse lui permettent de rendre particulièrement impressionnante la pose de Shiva-Nataraja. Cette pièce a été une des toutes meilleurs pièces de bharatanatyam que j'aie vues au cours de ce séjour.

Le Varnam n'a pas été proportionnellement aussi riche en émotions que la première pièce, mais la danseuse y a très bien évoqué Shiva et la Déesse (dans son aspect guerrier), tandis que l'héroïne dévôte de Shiva cherchait à s'unir à lui. Pour accompagner cette danse, la musique était d'une rare beauté. Les jatis composés par G. Vijayaraghavan et dansés par Sweta Prachande étaient un régal autant pour les yeux que pour les oreilles. Dans les parties narratives, les frappes du mridangam étaient d'une rare pertinence. Une pause dans le Varnam a été rendue nécessaire pour que la danseuse puisse remettre un bijou d'oreille qui était tombé, ce qui a donné lieu à un délicieux petit solo rythmique. Après que l'on a vu l'héroïne se laver les cheveux à la rivière, le Varnam s'est conclu par une célébration joyeuse de la nature accompagnée de plusieurs jathis utilisant des notes solfiées (sargam).

Après un superbe solo du violoniste, la danseuse a interprété un Javali (Rupaka tala) dans laquelle l'héroïne est en colère contre un jeune homme au visage de lotus qui n'a pas été nommé. Le voit-elle aller avec une autre ? Plus loin, elle s'endort et rêve de s'unir avec lui dans un lieu rempli de fleurs, mais le rêve se transforme semble-t-il en cauchemar quand elle voit un serpent...

La danseuse interprète ensuite une pièce Tirakadi (?) sur une chanson tamoule en Adi Tala. Elle évoque l'amour maternel dans une atmosphère bucolique, alors que les abeilles butinent et que les oiseaux volent. Elle cueille des fruits pour son enfant, mais il pleure quand même. Il finit par s'endormir bercé par elle et la musique s'évanouit dans un superbe decrescendo.

Le récital se conclut par le Tillana évoquant Krishna en flûtiste composé en Raga Behag (Adi Tala) par Dr M. Balamuralikrishna. Ç'aurait été parfait si le chanteur ne s'était emmêlé les pinceaux dans les subtilités rythmiques de la composition et n'avait être recadré à plusieurs reprises par le nattuvanar.

(J'aurais bien aimé que la danseuse interprète une pièce chorégraphiée par Sucheta Chapekar...)

Sri Krishna Gana Sabha, Dr. Nalli Gana Vihar, Chennai — 2014-01-01 à 19:30

Zakir Hussain, danse bharatanatyam

Madhuram

Autant l'accompagnement musical du récital précédent était beau et pertinent, autant celui du récital du danseur Zakir Hussain a manqué de subtilité. Tous les détails narratifs étaient accompagnés de bruitages divers produits par le percussionniste. Par l'expression de son visage, le danseur avait un petit air de Charlie Chaplin. La scène était décorée d'élément vishnouïstes. La conque et le disque étaient figurés au fond de la scène où était aussi suspendue une flûte ornée d'une plume de paon. Des jarres (contenant du beurre) étaient suspendues côté jardin.

Une femme a annoncé ce programme Madhuram dans un discours en tamoul apparemment plein d'humour. Entre deux pièces, le danseur fera aussi un très long mais néanmoins éloquent discours en tamoul.

Après une offrande de fleurs, le danseur a développé des thèmes liés à l'enfrance de Krishna. On le voit soulever le mont Govardhana, manger du beurre en cachette, dompter le serpent Kaliya. On le voit aussi semble-t-il tuer Kamsa. Après une évocation de son rôle de cocher dans le Mahabharata, le programme se termine par une scène d'adoration joyeuse.

Une scène particulièrement comique peut-être comparée à un épisode de l'opéra Siegfried dans lequel Siegfried joue de la musique avec son cor après avoir lamentablement échoué à produire du beau son avec un roseau. De même, les premières tentatives de Krishna avec sa flûte n'étaient pas très concluantes, mais une fois qu'il est parvenu à en tirer de la musique, les créatures (oiseaux et antilopes) en sont tout émoustillés.

Agréable retour en rickshaw avec un chauffeur qui maîtrise mieux le hindi que l'anglais...

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Chennai, Jour 9/12 : G. Vijayaraghavan, Uma B. Ramesh, Nivedita Gopinath, A. Lakshman, Leela Samson & Spanda

2014-01-02 14:40+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XII

Sri Krishna Gana Sabha, Dr. Nalli Gana Vihar, Chennai — 2013-12-31 à 09:30

G. Vijayaraghavan, mridangam

K. S. Balakrishnan, nattuvangam

Lecture Demonstration: Rythms & vibrations in jathis

Comme l'avant-veille, je suis allé au Sri Krishna Gana Sabha pour assister à une lecture-demonstration. Celle-ci a été précédée du lancement d'un livre de Dr Kanak Rele sur le Mohiniyattam. C. V. Chandrashekhar a fait à cette occasion un discours d'éloge de la danseuse qu'il connaît depuis de nombreuses années.

La conférence a été magnifique. Le titre en était Rythms & vibrations in jathis. L'orateur est le maître du mridangam G. Vijayaraghavan, accompagné de K. S. Balakrishnan au nattuvangam. Après un discours en anglais qu'il avait fait l'effort de préparer, il a continué sa démonstration en tamoul. Il expliquait quelques notions, ce à quoi je ne comprenais rien, mais la démonstration qui suivait était suffisamment éloquente. Il commençait par faire une présentation orale d'un jathi (suite d'onomatopées rythmiques qui accompagnent des passages de danse pure dans un récital de bharatanatyam). Ensuite entraient en scène le danseur A. Lakshman et ses disciples (dans diverses configurations) qui exécutaient des pas de danse, le musicien utilisant son mridangam et les onomatopées rythmiques étant alors prononcées par son acolyte K. S. Balakrishnan qui utisaient aussi le nattuvangam. Concernant les syllabes utilisées, il a expliqué que l'on pouvait mélanger aux onomatopoées rythmiques le texte d'un vers, ou même n'utiliser que du texte, en particulier des mantras. De nombreux grands maîtres de danse ou danseurs étaient présents, il y avait notamment C. V. Chandrashekhar, Dr. Padma Subramanyam ou encore Anita Ratnam. Il y a eu quelques objections suivies d'un débat sur l'utilisation de mots ou de mantras dans les jathis. Les exemples qui ont suivi ont grandement mis en valeur la souplesse rythmique que s'autorise ce mridangiste. Les jathis qu'il interprète comportent des changements de tempos qui peuvent intervenir à divers endroits du cycle rythmique (les exemples donnés étant en Adi Tala ou sur un cycle voisin ne comportant que 7 temps, 3+4 au lieu de 4+4). Beaucoup d'accelerandos et de ritardandos ! Le temps paraît élastique quand il dirige ! Il est de l'avis que le mridangam doit avoir un rôle dans les émotions (bhava) que vont éprouver les spectateurs. Je crois bien qu'il y parvienne !

Priyadarshini Govind posera la question de la différence entre les anciens jathis et les nouveaux. Si j'ai bien compris le point-clef (dans les rares mots anglais qui surgissaient dans le flot de texte tamoul), la différence serait qu'autrefois on n'utilisait que des rythmes utilisant des nombres binaires. De nos jours, on s'autorise des découpages utilisant des nombres impairs. Le musicien reçoit un vibrant hommage de Padma Subramanyam qui explique aussi semble-t-il qu'elle a trouvé des inscriptions anciennes qui mentionnaient l'utilisation de nombres impairs et elle se félicitait que par sa recherche indépendante le musicien soit arrivé à la même conclusion !

Le programme ayant pris du retard à cause des embouteillages, je ne suis pas resté pour les démonstrations suivantes. Je me suis enfui en prenant bien garde à ne pas marcher sur les pieds des maîtres de danse...

Narada Gana Sabha, Sadguru Gnanananda Hall, Chennai — 2013-12-31 à 14:00

Uma B. Ramesh, danse bharatanatyam

J'aurais bien voulu revoir Radhica Giri que j'avais vue en 2009, mais quand le spectacle du Narada Gana Sabha a commencé, j'ai compris qu'il y avait eu un changement de programme puisque c'était Uma B. Ramesh qui dansait. Ce changement de programme était annoncé dans le journal The Hindu, mais je n'avais pas vérifié ce fait, et il ne faut pas se fier uniquement à ce journal pour se renseigner sur les spectacles, puisque certains des spectacles que j'ai vus n'y étaient pas référencés...

Le programme a comporté une prière chantée à Ganesh, suivi d'un Toreyamangalam évoquant Rama (reconnaissable à son arc) et Sita, Padmanabha (dans une pose étrangement pas fléchie du tout) et Krishna avec flûte et plume de paon. Les jathis sont superbes, puisque le mridangam et le nattuvangam sont joués par les conférenciers de la démonstration ci-dessus ! Cependant, je me lasse de l'expression de la danseuse, toujours identique.

Dans le Varnam, l'héroïne se languit de (Maha)Vishnu. S'il n'y avaient les merveilleux jathis, je me serais vraiment ennuyé. L'attitude de dévotion/admiration de l'héroïne est quasiment constante pendant tout le Varnam (probablement transmis par son guru C. V. Chandrashekhar). Je respecte la démarche, tout est exécuté de façon très propre, mais ce n'est vraiment pas le style de bharatanatyam que je cherche. Plutôt que de la danse, mon plaisir de spectateur vient bien davantage du magistral accompagnement musical non seulement du mridangam mais aussi du violon.

La pièce suivante en Khanda Chapu Talam (équivalent de Sultal) est un Padam évoquant les exploits du jeune Krishna (qui soulève le mont Govardhana et qui danse sur le serpent Kaliya) et ses bêtises (voler du beurre). Je retrouve cependant la même attitude qui me lasse dans ces chorégraphies, la danseuse ayant très souvent les bras dirigés vers l'avant.

La pièce suivante est un Kirtana (Rupakatala) de Bragha Bessell qu'a déjà dansé Meenakshi Srinivasan quelques jours plus tôt. La divinité qui était en procession était en fait Padmanabha (Vishnu). Je comprends les faux indices qui m'avaient fait penser qu'il s'agissait de Ganesh (une attitude particulière au début de la pièce et un bout de texte qui semble être Ganapati), mais je ne comprends comment j'aurai vu manquer de la voir la posture typique de Padmanabha que l'on voit à fin, c'est dire si je devais être fatigué à mon arrivée depuis l'Arabie Saoudite...

Le récital s'est conclu par deux pièces en l'honneur de Vishnu (le thème de ce récital, visiblement) : Javali (à 7 temps) évoquant une héroïne amoureuse de celui qui a des yeux de lotus et Tillana évoquant Mahalakshmi et Mahavishnu.

Kartik Fine Arts, Bharatiya Vidya Bhavan - Main Hall, Chennai — 2013-12-31 à 16:30

Nivedita Gopinath, danse bharatanatyam

Je me rends ensuite au Bharatiya Vidya Bhavan pour y assister à trois spectacles à la suite. Les annonces se font en tamoul uniquement et sont extrêmement longues. La guru s'excusera auprès de moi d'avoir utilisé le tamoul quand je la féliciterai dans le hall à l'issue du spectacle, mais je suis davantage surpris par l'usage quasi-généralisé de l'anglais dans les annonces. La guru (Krishnakumari Narendran) raconte donc en tamoul l'histoire du Ramayana que sa disciple Nivedita Gopinath va interpréter. (Je ne connais pas le tamoul, mais je reconnais les noms propres...) La première pièce évoque la naissance de Rama et de ses frères, l'épreuve de l'arc de Shiva réussie par Rama. S'ensuit un hommage aux arts (4 Vedas, parole, vîna, tambour) et la pièce se conclut semble-t-il par le mariage de Rama et Sita.

Le style de cette danseuse est tout simplement extraordinaire, et il est remarquable également qu'une personnalité comme Padma Subramanyam y ait assisté ! La pièce est très vive, très contrastée et interprétée avec une joie de danser assez incomparable ; une forme de rusticité tout à l'opposé de ce que j'ai vu dans le récital précédent s'y fait remarquer également.

S'ensuit une pièce sur un thème dans le prolongement du prédécent puisqu'il y sera question du Sundarakhanda, le livre des merveilles du Ramayana racontant la visite du singe Hanuman à Lanka, où il rencontre Sita et lui explique qu'il a sauté par dessus l'océan. Sita lui donne un anneau avec lequel elle s'était attaché les cheveux (je ne me souvenais plus de ce dernier détail).

Je n'ai en revanche rien compris à la dernière pièce dansée, elle aussi précédée d'un éloquent discours en tamoul.

Kartik Fine Arts, Bharatiya Vidya Bhavan - Main Hall, Chennai — 2013-12-31 à 18:00

A. Lakshman & disciples, danse bharatanatyam

Le récital d'une danseuse a été remplacé par ce programme Swati Maalika par le danseur A. Lakshman et huit danseuses au nombre de ses disciples. Le première pièce était un Pushpanjali suivi d'un shloka sur Padmanabha. La pose finale montrait le guru en Vishnu-Padmabha entouré de disciples dont deux figuraient les têtes du serpent et une autre Lakshmi lui massant les pieds. Les danseuses ont eu l'occasion de se mettre davantage en valeur dans les pièces suivantes, notamment le kriti Bhave Gopala très développé évoquant l'enfance de Krishna : les conditions complexes de sa naissance, son goût pour le beurre, ses talents de bouvier (et de dompteur de buffles ?), la danse sur le serpent Kaliya (à cinq têtes, représentées chacune par une danseuse). On le voit aussi voler les vêtements de jeunes filles se baignant à la rivière. Après une évocation du Rasalila, la pièce se termine avec Padmanabha accompagné de Lakshmi. La pièce suivante évoque la désse guerrière, puis A. Lakshman interprète un Javali dans lequel une fille demande à Krishna d'attendre qu'elle soit plus grande. Cet agréable programme se termine par un Tillana.

Kartik Fine Arts, Bharatiya Vidya Bhavan - Main Hall, Chennai — 2013-12-31 à 19:30

Leela Samson & Spanda, danse bharatanatyam

Disha

Si le programme de neo-bharatham d'Anita Ratnam m'avait profondément déplu, celui conçu par Leela Samson avec huit jeunes danseurs (autant d'hommes que de femmes) de son ensemble Spanda était plus convaincant. S'ils venaient danser ce programme au Théâtre de la Ville, ils y auraient certainement un certain succès. Les mouvements des danseurs font tous partie du vocabulaire de base du bharatanatyam. L'ancienne directrice de Kalakshetra les a utilisés pour présenter une recherche du mouvement originel développée sur trois pièces. Je crois que le seul élément non abstrait a été une courte évocation de Shiva-Nataraja. Tout le reste est de la danse pure utilisant la géométrie des diagonales de la scène du Bharatiya Vidya Bhavan. Les danseurs tournent lentement sur eux-mêmes sans changer de placement. Dans une autre pièce, ils utilisent beaucoup de suites de mouvements (adavus). Dans la dernière, j'ai l'impression de voir un serpent constitué par les danseurs se déplacer comme dans l'archéo jeu vidéo où on joue un serpent qui ne doit pas se mordre la queue. (Il est à noter que la musique n'utilisait pas de tala, comme s'il n'y avait qu'un seul temps, subdivisé en quatre doubles croches.)

S'ensuivent deux pièces d'Abhinaya, la première étant un solo de Leela Samson en hommage aux musiciens indiens morts au cours de la année 2013 finissante. La musique était un Thumri de Vasundhara Komkali. La deuxième était un Padam évoquant une jeune femme se languissant de Krishna.

Le programme s'est terminé par une vive pièce très rythmique de danse pure que j'ai trouvée un peu longue.

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Chennai, Jour 8/12 : Padmavathy Ananthagopalan & Jayanthi Kumaresh, Rasika Kumar, Hema Nandhini Raguraman, Lavanya Ananth

2014-01-01 14:25+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XII

Narada Gana Sabha, Narada Gana Sabha - Mini Hall, Chennai — 2013-12-30 à 08:30

Padmavathy Ananthagopalan, vînâ

Jayanthi Kumaresh, vînâ

R. Ramesh, mridangam

Trichy Krishnaswamy, ghatam

J'ai passé toute la nuit à combattre des moustiques. Presque tous ceux que j'ai massacrés étaient déjà imbibés de sang... Je me suis rendu très tôt à la petite salle du Narada Gana Sabha. Une cérémonie religieuse était en train de se terminer. Tout le monde s'en allait ; j'étais donc le premier arrivé pour le concert de 8h30 de Jayanthi Kumaresh (déjà appréciée deux fois à Paris en 2009 et en 2012) et de son octogénaire guru Padmavathy Ananthagopalan qui est aussi sa tante.

Elles ont commencé par interpréter deux compositions assez courtes en Adi Tala. Les derniers cycles rythmiques des compositions sont utilisées pour des improvisations des percussionnistes. La partie principale du concert a été consacrée à un Ragam Thanam Pallavi (un vrai raga on ne peut plus développé), le premier que j'entends en musique instrumentale et un des tout premiers que j'entends (le premier était d'Aruna Sairam, et j'en ai entendu un, enregistré, dans le programme de danse d'Anita Ratnam). Ce type de pièce en trois parties est assez semblable à ce qui se fait dans la musique hindoustanie et dhrupad en particulier. Il ne s'agit pas de Rudravina comme dans le dhrupad, mais de Saraswativina. Sinon, la structure est la même. Elles ont commencé par un Alap. Les configurations évoluent. L'une peut développer son Alap tandis que l'autre (la disciple) reproduit les fins de phrases. Elles peuvent aussi laisser entendre le silence entre les phrases ou encore jouer à un jeu de questions et réponses. Le même type de combinaisons se reproduisent dans le Thanam, l'équivalent de Jor/Jhala en dhrupad. La pulsation entre en scène, mais les percussionnistes n'ont pas encore commencé à jouer. Enfin, la composition (Pallavi) intervient. Celle-ci est d'abord chantée par Jayanthi Kumaresh avant que les deux musiciennes l'interprètent, puis développent des improvisations. Parmi ces improvisations, on a pu entendre un jeu de questions de réponses entre Jayanthi Kumaresh et les percussionnistes (ceux-ci tentant de reproduire autant que possible le phrasé), et les deux percussionnistes se sont également livrés à un duo avant le retour de la composition en conclusion.

À part peut-être la brève apparition de Balamuralikrishna il y a quelques jours, aucun concert de musique carnatique ne m'a autant ému que celui-ci et c'est très certainement le meilleur concert de musique indienne instrumentale auquel j'aie assisté ! Le reste du public a manifestement beaucoup apprécié le concert aussi, une bonne moitié de spectateurs clappant le tala de façon énergique !

Narada Gana Sabha, Sadguru Gnanananda Hall, Chennai — 2013-12-30 à 14:00

Rasika Kumar, danse bharatanatyam

Venant des États-Unis, disciple de Maithili Kumar et de C. V. Chandrashekhar, Rasika Kumar est une danseuse très grande par la taille. Après une prière, la danseuse a dansé une pièce intitulée Mallavi (?) suivie de Devistuti évoquant la Déesse sous plusieurs aspects : la connaissance via les 4 Vedas ou l'aspect guerrier (Mahishasuramardini). La pièce principale est un Varnam évoquant une femme qui est séparée de celui qu'elle a aimé dans le passé, Sundareshwara (la forme de Shiva résidant à Madurai). Les jatis sont très propres, très bien exécutés, la grande taille de la danseuse ne nuisant pas à la vitesse. Pourtant, je ne suis vraiment enthousiasmé par ce Varnam dont je crois pouvoir dire qu'il est dans le style Kalakshetra (comme celui interprété par C. V. Chandrashekhar). Les passages narratifs sont plutôt délicieux, comme lorsqu'elle repense aux moments où elle jouait de la musique avec son bien-aimé. La visite du temple de Madurai donne l'occasion à la danseuse de suggérer le hautbois indien (Nadaswaram), ce que je n'avais encore jamais vu faire. Ceci étant, les sentiments éprouvés par l'héroïne n'évoluent pas vraiment.

J'ai préféré le Padam chorégraphié par Bragha Bessell. Une jeune femme se pare pour accueillir Krishna, elle brûle d'amour, mais alors qu'elle l'invite chez elle, le chant du coq annonce le jour. Elle essaie bien de dire au coq de chanter un peu plus loin pour qu'on ne l'entende pas, mais il est trop tard.

Je garde du Tillana le souvenir de mouvements d'yeux très géométriques, assez semblables à ceux que l'on trouve dans les Alarippu.

Kartik Fine Arts, Bharatiya Vidya Bhavan - Main Hall, Chennai — 2013-12-30 à 16:30

Hema Nandhini Raguraman, danse bharatanatyam

Je me rends pour la première fois au Bharatiya Vidya Bhavan, près du temple de Mylapore. La salle a paraît-il été rénovée récemment, mais au parterre, personne n'a pensé à mettre les fauteuils en pente. Même au deuxième rang, la tête d'une personne assise devant peut perturber la vue des pieds de la danseuse. La danseuse Hema Nandhini Raguraman vivant Malaysie est très talenteuse, mais ses pièces ont été introduits de commentaires beaucoup trop brefs pour que des spectateurs même un peu habitués puissent vraiment comprendre où elle voulait en venir. Ce n'est que vers la fin de son Varnam centré sur Shiva et Meenakshi, quand le texte disait Adbhuta que j'ai compris que c'était un Navarasavarnam évoquant les neufs émotions classifiées. Après ce qui m'a semblé être une évocation de Nilakantha (Celui qui a la gorge bleue), il ne me restait plus qu'à apprécier le sentiment de Paix émanant de la Déesse. (Le violoniste Kalaiarasan, qui jouait déjà dans le spectacle mentionné précedemment, a été excellent !)

Après avoir interprété un Shringarapadam, la danseuse a dansé un Kirtana lui aussi consacré aux Navarasa (m'a-t-il semblé). Le placement de la danseuse sur scène était très géométrique comme si elle délimitait neuf cases. C'était très furtif, et sans une certaine habitude, vu l'absence d'annonce, je n'aurais vraiment rien compris. Le récital s'est conclu par un Tillana très technique et comportant quelques sauts (la longue tresse de cheveux de la danseuse vole dans toutes les directions...).

Kartik Fine Arts, Bharatiya Vidya Bhavan - Main Hall, Chennai — 2013-12-30 à 18:00

Lavanya Ananth, danse bharatanatyam

J'avais été émerveillé les deux premières fois que j'ai vu Lavanya Ananth (en 2011 et en 2012. Si l'artiste a indiscutablement une personnalité, une très grande musicalité, un engagement et une présence scéniques, je n'ai trouvé ce récital que bon, alors que je m'attendais à de l'inoubliable. La faute en revient à la pièce principale du récital évoquant la forme de Shiva séjournant à Tanjore (Brihadeshwara). Les jatis étaient tous très élégants, mais les sentiments exprimés par l'héroïne ne m'ont pas semblé évoluer beaucoup au cours de la pièce, la jeune femme regarde au loin dans une attitude toujours identique qui m'a malheureusement un peu lassé.

La pièce suivante est Jagadotarana. Elle montre de façon délicieusement convaicante Yashoda en train de s'occuper du très jeune Krishna. Celui-ci ouvre la bouche et elle y voit l'univers tout entier. Il est aussi celui qui porte le mont Govardhana et ce sera un cocher dans le Mahabharata.

Je n'ai pas saisi tous les détails annoncés dans la pièce suivante (Abhinaya) dans laquelle une femme demande à Krishna de l'épouser comme il le lui avait promis quand ils étaient enfants.

La dernière pièce est en l'honneur de Surya (le Soleil). Aux différentes heures du jours sont successivement associées les divinités Brahma, Vishnu et Shiva. (Je n'ai pas bien reconnu Shiva, mais Vishnu et Shiva se distinguaient très bien.)

Un des grands points forts de ce spectacle était la présence du violoniste Kalaiarasan qui en était comme moi à son troisième spectacle de danse du jour ! S'il avait été excellent dans les deux spectacles précédents, il a été tout simplement génial dans le récital de Lavanya Ananth !!!

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Chennai, Jour 7/12 : Sadanam Harikumar, Prashant Shah, Rukmini Vijayakumar, Bhavya Balasubramanian, Manasa Harini, Purushothaman, Jayalalitha, Padma Subramanyam

2014-01-01 13:04+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XII

Sri Krishna Gana Sabha, Dr. Nalli Gana Vihar, Chennai — 2013-12-29 à 09:30

Sadanam Harikumar

Lecture Demonstration: Melapadam

Je ne l'ai pas reconnue tout de suite, mais la session de conférences tenue au Sri Krishna Gana Sabha est dirigée par Priyadarshini Govind. Je suis allé à cette lecture-demonstration parce que Sadanam Harikumar était annoncé comme étant un danseur et que le titre Melapadam contenait Padam (un type de pièces de pur Abhinaya). J'ai eu tout faux puisque l'orateur accompagné de deux percussionnistes (mridangam et tambour frappé par des baguettes) a expliqué que dans la kathakali (Kerala), après les pièces principales, on peut interpréter un Melapadam dans lequel le chanteur chante sur le raga de son choix le vingt-troisième Ashtapadi du Gita-Govinda. Ce chant est un intermède purement musical (comme j'en ai demandé la confirmation lors du temps réservé aux questions). Personne ne sait au juste comment cette tradition s'est installée. L'orateur tente d'innover en utilisant d'autres Ashtapadis. Le chant étant très beau, mais je n'ai pas réussi à me repérer dans le cycle rythmique à 10 temps très particulier utilisé et ce malgré le schéma descriptif tracé à la craie sur un tableau.

Sri Krishna Gana Sabha, Dr. Nalli Gana Vihar, Chennai — 2013-12-29 à 10:25

Prashant Shah, danse kathak

Rukmini Vijayakumar, danse bharatanatyam et danse contemporaine

Lecture Demonstration

La deuxième lecture-demonstration était dansée. La danseuse Rukmini Vijayakumar a commencé par présenter un extrait d'une pièce de bharatanatyam dans le but de démontrer qu'il était possible d'inclure de l'Abhinaya dans les passages rythmiques (jatis) qui sont des intermèdes de danse pure dans les pièces narratives. J'ai troujours trouvé assez saugrenue l'interruption du flot narratif que constituent les jatis. Dans cette pièce dédiée à Shiva, la danseuse a présenté un bharatanatyam assez spectaculaire, comportant des sauts, des pas rotatifs exécutés sur les genoux, des karanas et dans deux de ses jatis, elle a fait la démonstration attendue, le premier montrant Shiva muni de ses attributs (trident, peau de tigre, etc) et sous la forme de Nataraja (écrasant le démon Apasmara avec son talon). Le deuxième jati évoquait l'aigle Garuda. La pièce montrait aussi la forme androgyne Ardhanarishwara, Parvati séduisant Shiva, ainsi que l'archer Kama lançant des flèches florales. L'intégration d'Abhinaya dans les jatis a évidemment tout pour me plaire (comme je l'ai apprécié chez Shantala Shivalingappa), mais les maîtres de danse présents dans la salle ont paru dubitatifs... La lecture-demonstration se poursuivait avec une interventon du danseur de kathak Prashant Shah qui a parlé de ses collaborations à l'étranger et il les a illustrées d'extraits vidéo. Le plus convaincant le montrait en train d'éxécuter des pas très rythmiques avec une danseuse de flamenco. Pendant que les problèmes techniques du vidéoprojecteur étaint résolus, le danseur a essayé de nous faire des dictées rythmiques avec des frappes de pieds. Tout le monde a été très vite largué...

Rukmini et Prashant ont ensuite interprété un duo mêlant kathak et danse contemporaine (la danseuse ayant appris plusieurs styles de danse). Les danseurs n'ayant répété que la veille, la pièce a été largement improvisée, mais elle m'a semblée extrêmement convaincante (davantage que certaines créations de l'Opéra de Paris, par exemple). Là encore, certains maîtres de danse sont perplexes, expriment la déception de n'avoir pas vu un duo kathak/bharatanatyam. Une question plus constructive sur la musique a été posée par C. V. Chandrashekhar. La musique était une piste d'un album d'Anoushka Shankar. La danseuse expliquait qu'il était très important de très bien connaître la musique pour avoir des repères et ainsi mener à bien le travail de préparation.

Narada Gana Sabha, Sadguru Gnanananda Hall, Chennai — 2013-12-29 à 14:00

Bhavya Balasubramanian, danse bharatanatyam

À défaut d'être bouleversant d'un point de vue émotionnel, ce récital de la danseuse Bhavya Balasubramanian Ramachandan (résidant au Botswana) est une merveille dans l'art de la narration. Est-il possible de raconter une histoire par des gestes de façon plus lisible qu'elle ne l'a fait ? Le style de la danseuse inclut aussi des poses assez prolongées très esthétiques.

La danseuse est très gracieuse et sa danse inclut souvent une sorte d'ondulation allant des épaules jusqu'aux hanches qui me fait penser à Padma Subramanyan (une de ses gurus). Après un Pushpanjali, elle a dansé un Varnam (Adi Tala) dans lequel l'héroïne est amoureuse de Shiva. Il a trois yeux, le croissant de Lune, le serpent, un collier de rudraksha, des cendres, la peau de tigre, le feu et il est aussi Nataraja, le Seigneur de la danse. Frappée par les flèches de Kama, l'héroïne brûle de la souffrance de la séparation. Rien n'y fait, même après s'être aspergée d'eau, elle brûle toujours. Elle ne peut manger. S'ensuit une évocation du printemps : des gouttes de rosée issues de la lune, des abeilles qui butinent, des couples d'oiseaux, d'antilopes et même des serpents (ce qui ne manque pas d'effrayer l'héroïne). De son côté, elle est seule, et demande à son amie d'aller chercher Shiva. Celui-ci apparaît et on le voit réduire en cendres Kama qui avait perturbé son ascèse. Dans tout ce qu'elle fait, l'héroïne est déconcentrée par l'attente, l'espoir de voir Shiva. Ceci se produit pendant ses rituels religieux ou ses tâches ménagères. Ainsi, par exemple, en rêvassant un peu trop longtemps, elle fait brûler la nourriture qu'elle faisait cuire dans une marmite. On assiste ensuite à une adoration du lingam de Shiva, puis homme et femme sont réunis dans la divinité androgyne Ardhanarishwara. S'ensuit une célébration joyeuse qui culmine en la récapitulation de ce qui a précédé et en une évocation des Arts (musique et écriture).

La pièce d'Abhinaya suivante évoque la Déesse sous le nom de Tripurasundari. Au cours de cette pièce, la danseuse a inséré une magnifique narration de la naissance de Ganesh. Il est né de la seule volonté de Parvati, qui lui demande de garder sa maison et de ne laisser entrer quiconque sous aucun prétexte. Obéissant, Ganesh refuse l'entrée à Shiva qui lui tranche la tête. Voyant la détresse de Parvati, Shiva prend conscience de son erreur et s'en va. La première créature qu'il voit est un éléphant. Il lui coupe la tête qu'il emporte avec lui afin de réaliser une greffe d'organe. Le jeune homme ressuscite et prend l'apparence bienveillante de Ganesh. La pièce se conclut par l'évocation de la Déesse de la parole à laquelle sont associés les quatre Vedas.

Dans la pièce suivante Om Namo Narayana, la danseuse évoque des incarnations de Vishnu. Outre Narayana sur le serpent Shesha, il m'a semblé distinguer le sanglier Varaha et Krishna est apparu à la fin en flûtiste. En fait, la pièce développe surtout le destin de Narasimha, et ce de façon élaborée. Il est descendu sur terre en créature mi-homme mi-lion pour tuer un arrogant démon. Enfin, la pièce célèbre Vishnu dans une joyeuse adoration (bhakti).

Le récital s'est conclu par un magnifique Tillana dans lequel le style de la chorégraphe Padma Subramanyam transparait. Cette pièce illustre un vers énonçant en substance qu'un peu de Lasya suffit à rendre Devi heureuse et qu'un peu de Tandava contente Shiva. Les aspects féminins et masculins de la danse étaient ainsi harmonieusement confrontés dans cette pièce.

Sri Krishna Gana Sabha, Kamakoti Gana Mandir Hall, Chennai — 2013-12-29 à 16:00

Manasa Harini, danse bharatanatyam

La danseuse Manasa Harini est très jeune et talentueuse. La première pièce est un Pushpanjali en l'honneur de Ganesh, suivie d'un Shiva Kautwam chorégraphié semble-t-il par Chitra Visweswaram (je ne garantis rien, les annonces ayant été faites en tamoul). Le Varnam est centré sur la Déesse sous le nom de Meenakshi. Son aspect guerrier est mis en valeur. Shiva fait aussi quelques apparitions en Nataraja ou pour réduite Kama en cendres. Après quelques épisodes narratifs que je n'ai pas tous bien compris, la pièce se termine sur le sentiment de paix. La pièce suivante est un Kirtana de Purandaradasa évoquant l'espiègle enfant Krishna. Il mange de la cendre et quand il ouvre la bouche, Yashoda voit Narayana sur le serpent Shesha et est presque horrifiée par cette vision. La dernière pièce est très bien dansée. Elle comporte des sauts et évoque très joyeusement les Arts avec les thèmes de l'écriture, du tambour, du tala, de la vînâ et du sargam, mais d'un point de vue musical, il m'a semblé que flûtiste et violoniste ont massacré le Tillana de Balamuralikrishna (en Raga Behag me semble-t-il).

Sri Krishna Gana Sabha, Kamakoti Gana Mandir Hall, Chennai — 2013-12-29 à 17:30

Purushothaman, Jayalalitha, danse bharatanatyam

Le jeune homme Purushothaman et la jeune femme Jayalalitha exécutent de pièces de leur guru. Les chorégraphies sont assez peu intéressantes. En particulier, dans le Varnam j'ai l'impression de voir et revoir toujours la même séquence, le personnage féminin dévoué à Shiva ne semblant nullement évoluer d'un point de vue émotionnel au cours de la pièce...

Sri Krishna Gana Sabha, Dr. Nalli Gana Vihar, Chennai — 2013-12-29 à 19:30

Dr. Padma Subramanyam, danse bharatanrityam

Padma Subramanyam a développé un style qui lui est propre appelé Bharatanrityam. Grâce à ce spectacle programmé en soirée par le Sri Krishna Gana Sabha, j'ai eu le privilège de la voir dans son style inimitable. Elle était accompagnée de six danseuses. La musique est on ne peut plus joyeuse, je n'imagine pas d'autre orchestration que la vînâ et surtout la flûte pour l'accompagner comme c'était le cas ce soir-là. La première pièce Sathgurudarshakham était semble-t-il un hommage au Sathguru (Gnanananda ?) qui donne son nom à la grande salle du Narada Gana Sabha. Le texte et la chorégraphie évoque la connaissance (Shruti, Smrithi, Purano), la démarche d'un renonçant, le bain, puis Shiva et semble-t-il Ganesh. Le style de Padma Subramanyam utilise peu de pas, l'essentiel se passe dans le haut du corps et surtout au niveau du visage, plein de bienveillance ou d'ironie.

La pièce suivante Gopalkumara évoque le jeune Krishna. Elle est dansée par trois jeunes disciples. La plus délicieuse image est celle de la représentantion de Krishna en bouvier, deux danseuses figurant les bœufs aux côtés de la troisième qui incarne Krishna...

La pièce principale, la plus d'eveloppée, évoquait Vishnu sous le nom de Padmanabha. Padma Subramanyam prend parfois cette position de Vishnu couché sur le serpent Shesha, mais ses jambes sont très peu fléchies. La conclusion de la pièce offre une superbe image représentant Padmanabha, une danseuse prenant la posture de Vishnu couché, une autre figurant Lakshmi tandis que quatre autres représentent différentes têtes du serpent Shesha.

La pièce suivante est un Ashtapadi dansé par Padma Subramanyam. Elle évoque l'amour de Radha pour Krishna.

La dernière pièce (dansée par toutes si je me souviens bien) utilise une traduction en tamoul du Bhaja Govindam d'Adi Shankara. La composition et la chorégraphie rendent la pièce bien plus joyeuse que les interprétations classiques de la version sanskrite. L'ironie est également plus apparente dans l'affirmation selon laquelle la connaissance est bien inutile en l'absence de l'amour pour Krishna.

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Chennai, Jour 6/12 : Subas Pani, T. V. Sankaranarayanan, Vidhya Dinakanam, Deepika Potarazu, Anita Ratnam

2013-12-30 12:55+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XII

Je commence à avoir mes petites habitudes à Chennai. Des Appams avec lait de coco au petit déjeuner, une Lec-Dem le matin, le programme de danse de 14h au Narada Gana Sabha à l'issue duquel je file pour assister à ceux du Sri Krishna Gana Sabha. J'arrive à ne même plus stresser quand j'ai à peine plus de vingt minutes devant moi pour aller d'une salle à une autre. Pourtant, monter dans un rickshaw ouvre la porte à l'imprévu. Cela peut être sordide : par exemple, je ne sais pas ce qui est le pire entre la vue de ce mendiant ayant une plaie ouverte au pied et la réaction du rickshaw-wallah réagissant par un cinglant Tricks!. Pour contourner les nombreux sens interdits, le chauffeur peut prendre les détours les plus invraisemblables qui soient. Je suis tombé plusieurs fois sur des chauffeurs qui ne connaissaient pas le Sri Krishna Gana Sabha. Ce fut ennuyeux la toute première fois que j'y suis allé... mais comme j'ai appris à connaître le chemin, je peux maintenant l'indiquer au chauffeur.

The Music Academy, Kasturi Srinivasan Hall, Chennai — 2013-12-28 à 08:05

Dr. Subas Pani

Lecture Demonstration: Music and mantras in Gita Govinda

Come les fois précédentes, le chairman de cette lecture-demonstration est Dr. Pappu Venugopalarao, mais cette fois-ci Sudha Ragunathan n'est pas présente. Le visage d'Archana qui chante la prière est resté caché derrière l'ecran de l'ordinateur portable du conférencier posé sur le pupitre. Il aura fallu qu'un spectateur signale le problème pour que l'on puisse enfin voir le visage de Subas Pani. Sa conférence sur le Gita-Govinda et la manière de le chanter est peu intéressante. Ses opinions se font d'ailleurs démolir quand la parole est donnée au public pour des questions et réponses. À ce jeu, le chairman n'est pas en reste... Une personne présente dans la salle a tenté de les réconcilier en disant que le chairman avait un point de vue de scholar tandis que l'orateur adoptait celui du devotee...

The Music Academy, T.T.K. Auditorium, Chennai — 2013-12-28 à 09:15

T.V. Sankaranarayanan, chant

Mysore M. Nagaraj, violon

Mannargudi A. Easwaran, mridangam

B. Shree Sundarkumar, kanjira

Après la conférence, je me dirige immédiatement vers la grande salle de la Music Academy pour le concert de T. V. Sankaranarayanan. Je ne suis pas certain d'avoir d'autre occasion d'assister à un concert à la Music Academy. J'ai choisi celui-ci parce que j'avais un trou dans mon emploi du temps et je pense avoir fait une bonne pioche !

Dans les compositions (utilisant des cycles rythmiques à 6, 7 ou 8 temps), le chant alterne entre T. V. Sankaranayanan et un autre chanteur, plus jeune, qui l'accompagne. Les improvisations en Sargam sont particulièrement enthousiasmantes. Les Alap le sont aussi. Comme Balamuralikrishna, ce chanteur n'utilise pas les syllabes habituellement utilisées par les chanteurs carnatiques, mais des mots ayant un sens. Sans utiliser un vers tout entier, T. V. Sankaranayanana utilise des mots qui trahissent certainement le courant religieux auquel il appartient : Hari, Narayana, Govinda, Rama. Il est impressionnant de voir la salle pleine malgré l'heure matinale se lever d'un seul mouvement pour consacrer au chanteur expérimenté une standing ovation !

En passant dans un quartier musulman, j'ai réussi à mettre la main sur un exemplaire du Musalman, le tout dernier journal au monde à être mis en forme à la main par des calligraphes ! J'ai bien eu peur que ce jounral en ourdou ait fermé puisqu'au 324 de la Triplicane High Road, il n'y avait rien qui ressemblât à un journal. J'ai suivi le sens des numéros décroissants qui correspond à l'ordre croissant de l'ancienne numérotation de la rue. Et là, autour du 324, je vois un marchant de journaux qui me dit que je suis habillé comme un nawab (ayant mis une sorte de sherwani). Il m'offre l'exemplaire du jour. Je passe devant le siège du journal que je prends en photo, mais ne sachant pas très bien ce que j'aurais pu dire si j'étais entré, j'en suis resté là.

Sri Krishna Gana Sabha, Kamakoti Gana Mandir Hall, Chennai — 2013-12-28 à 16:00

Vidhya Dinakanam, danse bharatanatyam

Excellent récital d'une jeune danseuse de bharatanatyam ! Les chorégraphies sont également magnifiques. La première pièce est un kirtana Ganesh Vandanam. Il s'agit d'une offrande de fleurs à Ganesh dont la danseuse met en valeur la trompe, les oreilles et le fait qu'il soit un scribe (selon certaines légendes, il aurait écrit le Mahabharata sous la dictée du sage Vyasa). Cette danse est très rythmée !

La pièce suivante est consacrée à la déesse Shakti, qui symbolise les quatre Vedas, qui est adorée par Brahma, Vishnu et Shiva. La pièce est extrêmement vive ! L'impression procurée par le trident et la peau de tigre n'en est que plus saisissante, et plus que tout, les yeux de la danseuse donnent à son regard une intensité sidérante.

La pièce principale du récital est un Varnam (chorégraphié le nattuvanar Sri Narendra Kumar) en l'honneur de Shiva (Om Namah Shivaya). Son chignon est très stylisé par ses deux mains que la danseuse maintient en hauteur de façon très prolongée ! Elle suggère aussi le serpent, Ganga, ses cheveux puissants, le tambour Damaru. La pièce met ensuite en scène la dévotion à Shiva par des offrande de fleurs, le fait de verser du lait sur le lingam et l'offrande de feu.

Le plus grand moment du Varnam est celui mettant en scène le jeune Markandeya, dévôt de Shiva. Il est attaqué par le dieu de la mort Yama qui est venu sur sa monture (un buffle assez rustique). Alors qu'il est sur le point d'être étranglé, Shiva intervient pour récompenser la dévotion de Markandeya. La divinité résidant à Chidambaram est ensuite montrée (Nataraja), ainsi que la rivière Ganga, et plus étrangement Vishnu sur le serpent Shesha (c'est tellement beau à voir que j'apprécie son apparition même si je ne comprends pas ce qu'il fait là !). Plus loin, Shiva est représenté assis, portant Damaru.

La séquence suivante évoque la nature : poissons, oiseaux, antilopes allant s'abreuver à la rivière. Le Varnam se conclut par une récapitulation de tout ce qui a été montré jusque là.

Intervient ensuit un Padam évoquant une héroïne séparée de Muruga. Si le travail de la danseuse sur les yeux était jusque là exceptionnel, on est passé dans une autre dimension quand je me suis rendu compte que d'authentiques larmes coulaient depuis l'œil droit de la danseuse...

Le récital continue avec une magnifique évocation d'Ardhanarishwara. Il me semble que la composition de Muthuswami Dikshitar est à six temps. Pendant certaines séquences de la pièce, la danseuse utilisait les trois premiers temps du cycle pour évoquer la composante masculine (Shiva) de la divinité androgyne et les trois derniers temps pour évoquer la composante féminine (Parvati).

Le récital s'est terminé par un éloge de Nandi (commençant par de la danse pure avant que n'intervienne le shloka).

Sri Krishna Gana Sabha, Kamakoti Gana Mandir Hall, Chennai — 2013-12-28 à 17:30

Deepika Potarazu, danse kuchipudi

La danseuse de kuchipudi Deepika Potarazu est disciple de Vempati Chinna Satyam et de Vempati Ravishankar (nattuvanar). Il ne m'a pas beaucoup ému, mais j'ai trouvé ce récital délicieux. La position du dos de cette danseuse de kuchipudi me semble plus courbée que dans le bharatanatyam où il est censé rester droit. La première pièce est un éloge de Ganesh. La pièce principale est un Tarangam incluant le traditionnel numéro de danse sur plateau de laiton, très bien exécuté. Cette pièce évoque l'espiègle Krishna qui vole du beurre et fait d'autres bêtises qui suscitent des réprimandes mais aussi de l'admiration de la part de Yashoda et des autres femmes de Vrindavan. La représentation de Krishna en flûtiste inclue des mouvements de doigts sur la flûte (la plupart des danseuses le représentent avec des doigts immobiles). Sa position décontractée est soulignée par de délicats mouvements de hanches.

Le magnifique Padam qui suit est sur un thème voisin : l'héroïne demande à son amie de lui ramener Krishna (sous le nom de Venugopalan).

Le Tillana final m'a semblé un peu long et répétitif, malheureusement.

(Je remarque que toutes les entrées de la danseuse se sont faites par le côté jardin, près de l'orchestre.)

(Dans le maquillage de cette danseuse de kuchipudi et d'autres danseuses de bharatanatyam vues ces derniers jours, je remarque la présence d'un point suggérant un grain de beauté sous la commissure gauche des lèvres.)

Sri Krishna Gana Sabha, Dr. Nalli Gana Vihar, Chennai — 2013-12-28 à 19:30

Anita Ratnam, danse neo-bharatam

Lamentable spectacle ! Comment une danseuse aussi talentueuse qu'Anita Ratnam peut elle se fourvoyer ainsi dans un programme intitulé Neelam et annoncé comme étant du Neo-bharatam. Je dirais plutôt Nullo-bharatam. La pièce (qui utilise de la musique enregistrée provenant de sources diverses) est centrée sur Vishnu et m'a semblé bien déprimante, alors que son avatar Krishna inspire plutôt une dévotion joyeuse, en principe. Je n'ai pas tellement envie de détailler mes impressions, mais le plus grand défaut de cette pièce est qu'il y avait très peu de danse, exécutée de façon très très lente. Je n'ai rien contre la lenteur ou même l'illusion de l'immobilité quand le regard exprime quelque chose, ce qui n'était pas le cas ici... En vitesse normale, il devait y avoir pour dix minutes de danse maximum. L'autre gros défaut résidait dans les atroces interludes de flûte (jouée en direct) entre les quatre parties de la pièce. Toutefois, je retiens une plutôt bonne impression de la dernière partie qui revenait sur des épisodes du Ramayana (arc de Shiva, exil en forêt de Rama et Sita, celle-ci devant enlever ses bijoux, la biche dorée, l'enlèvement, l'intervention de Jatayus, la construction du pont, la flèche lancée par Rama pour tuer Ravana). Cependant, on était davantage dans l'évocation plutôt que dans la narration. Bref, ce spectacle a été une énorme déception pour moi.

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Chennai, Jour 5/12 : Mohan Santhanam, Dr M. Balamuralikrishna, Oystein Badsvik, Rama Vaidyanathan

2013-12-29 13:41+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XII

Cette journée fut exceptionnelle ! Dès que j'ai eu l'idée de faire ce voyage il y a un an et demi, et plus tard quand j'ai réservé mes billets d'avion, j'ignorais qui chanterait ou danserait pendant les 12 jours que j'allais passer à Chennai. Pour ce qui est du chant, j'espérais avoir une chance d'entendre Dr M. Balamuralikrishna et en matière de danse, je rêvais de voir Rama Vaidyanathan. Tout est accompli.

Bharat Kalachar, Y.G.P. Auditorium, Chennai — 2013-12-27 à 10:30

Mohan Santhanam, chant

Mysore V. Srikanth, violon

Srimushnam Raja Rao, mridangam

S.V. Ramani, ghatam

Le matin, je suis allé écouter Mohan Santhanam parce qu'il fut le premier chanteur à me faire véritablement apprécier la musique carnatique (c'était en 2011). Ce concert ne m'a pas émerveillé, mais je l'ai trouvé réjouissant. Mohan Santhanam a chanté sept compositions précédées ou non d'un Alap. Elles utilisaient des cycles rythmiques variés que je reconnaîs et clappe de mieux en mieux : Adi Tala (8 temps, qui en paraît parfois 16 quand le tempo est lent), 5 temps (répartis comme dans le Sultal de la musique du Nord) et 7 temps (découpé en 2+5 contrairement à Tivratal). Un des ragas les plus développés (en Adi Tala) comportait une composition en l'honneur de Rama.

Je suis parti peu avant la fin du concert, après le duo rythmique entre le mridangam et le kanjira. Ceci, avant de me préparer pour le concert suivant pour lequel j'ai passé ma plus belle kurta.

Sri Krishna Gana Sabha, Dr. Nalli Gana Vihar, Chennai — 2013-12-27 à 16:30

Dr. M. Balamuralikrishna, chant

Il n'a chanté que pendant 10 minutes, de 16h39 à 16h49, mais elles furent magiques. Quand j'avais réservé des places pour des spectacles en soirée, on m'avait dit de venir vers 14h pour le concert gratuit de Dr M. Balamuralikrishna, programmé de 16h30 à 17h30. J'étais un des tout premiers à arriver et j'ai ainsi pu m'installer au onzième rang, les dix premiers étant réservés aux invités. À 16h, la salle était pleine à craquer, des dizaines de personnes étant debout sur les côtés et d'autres regardant la retransmission proposée sur un écran en dehors de la salle.

Jusque là, on s'activait beaucoup sur la scène pour préparer cette journée spéciale Classical to Global. En particulier, un ensemble de danseuses faisaient un petit raccord de leur performance un peu plus tard dans l'après-midi.

Vers 16h, quelques discours se sont tenus et la session a été inaugurée par Sa Sainteté Sri Kanchi Kamakoti Peetathipathi Jagadguru Jayendra Saraswathi Swamigal qui a prononcé un discours en tamoul depuis la chaise surélevée qu'occupait cette homme âgé et fatigué.

L'Alap du chanteur de 83 ans a commencé. Je ne saurais le décrire au-delà de la simple observation qu'il a utilisé les syllabes d'un vers dans son improvisation. Je n'ai été nullement frustré que son concert n'ait duré que dix minutes. Les spectateurs avaient été avertis du fait qu'il ne chanterait qu'un Alap. C'est un sentiment de contentement que j'ai ressenti en voyant le vieil homme s'en aller en marchant avec difficulté. Si la voix est intacte, le corps est usé et je mesure le privilège que j'ai d'avoir entendu ce chanteur.

Sri Krishna Gana Sabha, Dr. Nalli Gana Vihar, Chennai — 2013-12-27 à 17:00

Oystein Baadsvik, tuba

Numéro de cirque sans intérêt d'un tubiste norvégien repoussant les limites techniques du tuba. Si on voulait se moquer de la musique occidentale entre deux présentations des arts classiques indiens, on ne s'y prendrait pas autrement.

Bharat Kalachar, Y.G.P. Auditorium, Chennai — 2013-12-27 à 19:00

Rama Vaidyanathan, danse bharatanatyam

J'ai vu beaucoup de danseuses de bharatanatyam, mais rien ne peut préparer le spectateur à la merveille de perfection dans tous les aspects de la danse qu'atteint la danseuse Rama Vaidyanathan ! Elle est extraordinaire !

Le récital a commencé par un Ragam du violon suivi d'une prière en l'honneur de Ganesh.

La première pièce est originale pour plusieurs raisons. La musique est celle d'un Alarippu. C'est la précision du rythme qui est mis en valeur, et au lieu de mettre en mouvement progressivement son corps comme on le fait habituellement dans les pièces ainsi nommées, la danseuse utilise cette musique pour évoquer la très précise géométrie de l'architecture des temples hindous. Ses mouvements sont très géométriques, très carrés. Sur les vidéos que j'avais vus d'elle, la qualité première de la danseuse me semblait être son expression et sa gestuelle souple et élégante. Ici, elle fait preuve de qualités opposées ! Dans la suite de la pièce, la danseuse évoque la déesse qui se trouve dans le sanctuaire, la représentant en Mahishasuramardini avec le trident, en cavalière, sous la forme de Kali ou de Sarasvati. Les mouvements se font progressivement de plus en plus gracieux alors que la musique s'est fait mélodieuse avec le shloka. Le sentiment de Paix domine la fin de la pièce alors qu'une dévôt