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2015-09-15 16:25+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XIV
Narada Gana Sabha, Narada Gana Sabha - Mini Hall, Chennai — 2015-08-15
Lavanya Ananth, bharatanatyam
K. S. Sarasa chorégraphies
Sri. K. Hariprasad, chant
Smt. Nila Sukanya, nattuvangam
Sri. Nellai D. Kannan, mridangam
Sri. Kalaiarasan Ramanathan, violon
Pushpanjali
Alarippu (Misra Chapu Tala)
Jatiswaram (Raga Vasanta, Tishra Ekam), composition du Tanjore Quartet)
Śabdam (Ragamalika, Misra Chapu Tala), composé par Adi Cinnaya Pillai (Tanjore Quartet)
Varnam “Manavi Chekonaradha” (Adi Tala, Raga Shankarabharanam), composé par Ponniah Pillai (Tanjore Quartet)
Padam (Rupaka Tala, Raga Saveri)
Javali (Rupaka Tala, Raga Kamas), composé par Patnam Subramania Iyer
Shloka
Thillana (Adi Tala, Raga Kedaram)
Avant ce récital, j'avais déjà eu l'occasion de voir danser Lavanya Ananth. La première fois avait été au Centre Mandapa en 2011, puis au Musée Guimet en 2012 et enfin au Bharatiya Vidya Bhavan à Chennai en 2013. J'avais été émerveillé les deux premières fois, mais je n'avais pas été complètement convaincu par son récital à Chennai en 2013 : je m'attendais à de l'inoubliable, c'était seulement très bien. Cette fois-ci, je m'attendais à ce que ce soit très bien, et ce fut inoubliable ! Une de mes toutes meilleurs expériences de spectateur de danse bharatanatyam.
Je connaissais la date de ce récital depuis plusieurs mois quand la danseuse était passée à Paris pour un workshop dans lequel elle enseigna le Chidambaram Natesha Kavuthwam. Son récital du 15 août tombait opportunément le dernier soir de mon séjour à Chennai : j'avais déjà prévu de partir le lendemain matin pour Pune. Lors de ce séjour à Chennai pendant les deux premières semaines d'août, j'eus l'occasion de rencontrer diverses personnes liées à la danse bharatanatyam. J'eus notamment le privilège de retravailler avec Lavanya Ananth la chorégraphie qu'elle avait enseignée à Paris. Quand je lui demandai qui seraient les musiciens qui l'accompagneraient, elle me répondit que j'en aurais la surprise le soir du récital...
Quand le rideau s'est levé, je m'attendais évidemment à voir Kalaiarasan Ramanathan (mon violoniste préféré dans le monde du bharatanatyam), mais j'ai été très agréablement surpris de voir le chanteur K. Hariprasad et le percussionniste Nellai D. Kannan. On ne peux guère trouver mieux pour accompagner un récital de bharatanatyam. Nila Sukanya, que je ne connaissais pas, sera au nattuvangam.
Le récital fait partie de la série Poorna Margam organisée par Natyarangam. L'organisatrice Janaki Srinivasan explique que rares sont les récitals respectant le format Margam traditionnel (ce n'est en effet pas possible quand la durée du récital est réduite à moins d'une heure et demie). Cela ne se voit guère que lors des Arangetram (le premier récital public solo d'une danseuse). Pour cette série de récitals, ils ont demandé à des danseuses accomplies de présenter de tels programmes pour que l'expérience de l'interprète permette au public d'éprouver pleinement la beauté de ce chemin dans le répertoire. Je remercie vivement Natyarangam pour cette magnifique expérience !
Avant l'entrée en scène de la danseuse, le chanteur avait interprété
deux courtes compositions (en Khanda Chapu puis Rupaka Tala). Le récital
proprement dit a commencé par un Pushpanjali, une offrande de
fleurs en l'honneur de Ganesh, le texte du Shloka commençant par
Mushika...
, et plus loin j'ai cru entendre Maheshwara
putra
.
La danseuse interprète ensuite un Alarippu en Misra Chapu. La chorégraphie est tout à fait traditionnelle. Pourtant, cette version extrêmement élégante présente de nombreux détails exquis. Je retiens notamment la présence de délicats mouvements de tête sur le côté (Attami) en des endroits et à des vitesses inhabituelles, ce qui crée de jolis effets de surprise.
Le répertoire du bharatanatyam comporte me semble-t-il trois types de pièces centrées sur la danse pure : Alarippu, Jatiswaram et Tillana. Après avoir vu de nombreux récitals, je crois que le type de pièce de danse pure que j'affectionne le plus est le Jatiswaram. La chorégraphie de la pièce interprétée par Lavanya Ananth semble constituée d'adavus à 100% ou presque. Les adavus sont de petits enchaînements qui sont les briques de base de la danse pure. J'avais l'impression de les connaître, mais la magnifique interprétation de Lavanya Ananth révèle un nombre invraisemblable de détails insoupçonnés ! Certains enchaînements semblent dérivés d'adavus connus, mais avec des variations. Dans certains d'entre eux, il me semblait que c'était comme si les pas étaient exécutés à une vitesse double par rapport au haut du corps, ce qui permet à la danseuse de maintenir une certaine rapidité rythmique tout en accordant une grande importance à l'élégance des mouvements du haut du corps. Ce Jatiswaram qui utilise l'espace scénique de façon intéressante tout en présentant un harmonieux catalogue d'adavus m'a procuré beaucoup de plaisir !
J'avais déjà eu l'occasion quelques jours plus tôt de voir un Shabdam, mais ce type de pièce est extrêmement rare. Je ne comprends pas pourquoi ces pièces ont pour ainsi dire disparu du répertoire. Rien que pour le plaisir d'entendre K. Hariprasad chanter Dhalang-gutum---tadiginatom-, cela mériterait d'être représenté plus souvent ! Les sections de danse pure (superbes comme dans tout le récital) sont en effet accompagnées d'onomatopées chantées. Les parties expressives font l'éloge de Krishna. C'est un bouvier entouré de gopis (bouvières). Il tue un démon (que je n'ai pas identifié). Il soulève le mont Govardhana avec le petit doigt pour abriter les villageois déstabilisés par les pluies déclenchées par le dieu Indra. Il est semble-t-il également fait référence aux exploits d'autres avatars de Vishnu : la tortue (Kurma) et le sanglier (Varaha). La chorégraphie évoque aussi la parole, la musique et plus généralement les arts. Enfin, la chorégraphie représente celui qui a le visage et les yeux de lotus et qui porte une plume de paon.
La pièce principale du récital est un Varnam dû à Adi Ponniah Pillai (Tanjore Quartet). Il est dédié à Brihadishwarar, la divinité résidant au Grand Temple de Tanjore. Ce Varnam présente une particularité : les passages rytmiques (jatis) se terminent juste avant le deuxième temps et non pas juste avant le premier temps du cycle comme dans la plupart des Varnam. Cette curiosité rythmique mise à part, le Varnam suit une forme très traditionnelle. Il représente une héroïne dans son parcours amoureux et spirituel. L'émotion principale est celle de l'amour (Shringara) de l'héroïne pour Shiva. Dans son interprétation, il m'a semblé que Lavanya Ananth mettait en valeur l'émerveillement (Adbhuta) de l'héroïne. Dès le début du Varnam, après le premier jati, elle est émue en pensant à celui qui porte une antilope et le tambour Damaru. Après un délicieux deuxième jati, la joie s'empare de l'héroïne. Elle ouvre sa fenêtre. Les rayons du Soleil font éclore les fleurs, mais aussi le cœur de l'héroïne. Elle est atteinte par les flèches du Dieu de l'Amour.
Dans la section suivante, le texte fait référence à la ville de Thanjavur. L'héroïne qui pense à celui qui porte le feu et l'antilope et dont le lingam est orné de trois lignes horizontales s'émerveille devant le beauté et la grandeur du temple. La scène est accompagnée d'un solo du violoniste Kalaiarasan au style inimitable utilisant de nombreuses doubles cordes. L'héroïne cueille des fleurs avant d'aller au temple. La chorégraphie évoque ensuite les arts et la connaissance, peut-être en référence aux activités rituelles du temple. Il est ainsi fait référence aux percussions (mridangam et nattuvangam), ainsi qu'à la vina, un instrument à cordes pincées, un détail qui est souligné par des pizzicati du violoniste. L'héroïne entend-elle la voix des brâhmanes ? Elle entre dans l'enceinte du temple, voit le buffle Nandi qui veille sur le sanctuaire. Elle veut voir le monumental lingam de Shiva, mais c'est fermé. La porte s'entr'ouvre et l'héroïne (et le spectateur que je suis) s'émerveille devant la vision qui s'offre à elle ! Elle se met des cendres sur le front.
Dans la conclusion de la première grande partie du Varnam, l'héroïne souffre de la séparation : Shiva ne répond pas à son amour. Ensuite, dans le Caranam, on trouve notamment une référence aux cinq flèches lancées par Manmatha. Dans un des passages solfiés (Swaram) de cette section, j'ai trouvée la chorégraphie sublime et particulièrement poétique, la mélodie étant génialement chantée par K. Hariprasad. Le Varnam se conclut de façon apaisée dans le silence. Au tout dernier moment, l'héroïne sent la présence du Dieu, comme s'il venait de lui toucher l'épaule.
La pièce suivante est un Padam. Il me semble que c'était Idaivida
innum vera vendumo saatchi. L'héroïne prépare des guirlandes de
fleurs pendant qu'elle attend son mari. Soudain, que voit-elle ?
Qu'entend-elle ? Le violon se met à émettre des sonorités très dissonantes.
Quelque chose ne va pas. L'homme rentre. Elle le dispute. (Cette
introduction dansée a été interprétée avant que la composition proprement
dite ne commence effectivement.) L'héroïne fait des reproches à l'homme qui
lui inspire le dégoût. Elle semble lui dire : Tu n'étais pas au temple !
À qui appartient donc ce cheveu ?
. Dans la section suivante, la
chorégraphie montre l'homme portant un trident, mais le sens ne m'a pas
paru évident. L'héroïne poursuit : Je te quitte, je ne veux plus
entendre tes paroles.
Je ne sais si ce sens ironique est exactement
celui que voulait donner la danseuse, mais l'héroïne semble dire, en voyant
des griffures sur le corps de l'homme : Aurais-tu réchappé d'une attaque
de crocodile ?
. Elle le chasse et referme la porte. Quand elle regarde
au dehors par une petite ouverture, elle le voit s'en aller chez sa
rivale.
La pièce suivante est un délicieux Javali. Pendant
l'introduction musicale du violoniste, une jeune femme rencontre un
séduisant jeune homme qui s'amuse avec elle, lui tirant la main, etc. Il
paraît perdu, alors elle lui indique le chemin. Il semble avoir le don
d'ubiquité parce qu'à peine est-il parti d'un côté que l'héroïne sent sa
présence de l'autre. Quand la composition musicale commence, la jeune femme
semble dire à ses amies : Mes amies, que faire ? Il a un beau collier,
une belle démarche. Touchée par les flèches de Kama, je suis submergée
d'émotions. Puis-je résister à celui qui est peut-être Venkateshwar ?
. Le
thème du vertige émotionnel de l'héroïne est traité d'une façon
humoristique conforme à l'atmosphère joyeuse des Javali et
l'interprétation de la danseuse m'a semblée particulièrement musicale.
L'héroïne semble renoncer, ses amies la traînant par la main dans une
ronde, mais son regard finit par inviter le jeune homme à la rejoindre.
Le récital se conclut par un Shloka enchaîné à un
Thillana. Le Shloka décrit majestueusement
Vishnu-Narayana de la tête aux pieds. Il est difficile de rendre compte des
moindres détails de cette description. Je crois me souvenir que le texte le
présente comme Suryaspati
(maître du Soleil ?). Quand ses yeux sont
décrits, ceux-ci sont comparés au Soleil (Surya) et à la Lune (Chandra).
(Cette comparaison est plus courante pour les yeux de Shiva, mais cette
association se trouve aussi dans l'iconographie vishnouïste quand Vishnu
apparaît sous sa forme suprême Vishvarupa.)
Ce magnifique Shloka s'enchaîne avec un Thillana évoquant également Vishnu qui apparaît couché sur l'Océan cosmique. Comme toutes les autres pièces du récital, ce Thillana a été chorégraphié par K. J. Sarasa, le guru de Lavanya Ananth (style Vazhuvoor). Précédemment, la danseuse n'avait dansé ce Thillana qu'une seule fois : lors de son Arangetram !
Il n'y a rien dans ce récital que je n'aie adoré. Le raffinement de la danse dans ses moindres détails m'a procuré un grand plaisir. Une part significative de mon contentement est venu des musiciens, et tout particulièrement du chanteur K. Hariprasad et du violoniste Kalaiarasan : quand ils interprétaient les compositions dansées bien sûr, mais aussi quand ils prenaient le temps d'élaborer de longs développements mélodiques entre les différentes pièces. Il y avait là à mon goût davantage d'émotion ou de bhava que dans bien des récitals de musique carnatique...
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