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2010-10-27 21:06+0200 (Orsay) — Culture — Musique
Salle Pleyel — 2010-10-26
Thomas Quasthoff, baryton-basse
Anthony Manzo, contrebasse solo
Gregory Ahss, premier violon
Camerata Salzburg
Les Petits Riens (musique de ballet), Mozart
Air de concert Così dunque tradisci, Mozart
Air de concert Per questa bella mano, Mozart
Air de concert Mentre ti lascio, o figlia, Mozart
Air de concert Rivolgete a lui lo sguardo, Mozart
Air de Sarastro In diesen heil'gen Hallen (Die Zauberflöte), Mozart
Symphonie nº85 en si bémol majeur La
Reine
, Haydn
En voyant le nom de Thomas Quasthoff dans le programme de la saison de la Salle Pleyel, j'avais sélectionné le concert de ce mardi sans regarder le détail du spectacle. Il y a quelques années, j'avais manqué un de ses concerts pour une raison futile (RER raté ou gros rhume, je ne sais plus). Cette fois-ci, il était hors de question de rater l'occasion d'entendre celui dont j'apprécie tout particulièrement l'interprétation de Winterreise (je possède aussi quelques enregistrements où il chante du Bach, comme la cantate des paysans BWV 212).
Contrairement à presque tous les autres spectateurs du rang L qui ont préféré aller boucher les quelques trous deux ou trois rangs devant pour ne probablement pas mieux voir, je me suis installé au milieu du dernier rang du premier balcon, me décalant d'un cran pour ne pas être gêné par les têtes dépassant du rang précédent.
Le Camerata Salzburg est dirigé par son premier violon. La première œuvre au programme est une musique de ballet insipide de Mozart : Les petits riens. Certains numéros musicaux ne seraient pas de lui, mais il semble qu'il les ait tout de même arrangés à sa façon. Son style est immédiatement reconnaissable dans l'ouverture. Les seize numéros font en moyenne une minute chacun, ce qui déclenche une quinzaine de salves de raclements de gorges fort peu seyants dans le public (le pic saisonnier est d'ordinaire plutôt en décembre/janvier).
Le baryton-basse Thomas Quasthoff entre en scène pour des airs de concerts du même Mozart. Quatre sont prévus au programme. Deux avant l'entr'acte, deux autres après. J'avais averti Gamacé rencontrée dans le hall qu'elle aurait une surprise quand elle verrait le chanteur en pied. Ce chanteur est en effet né avec les mains branchées quasiment au niveau des épaules. Une des conséquences est que l'on peut craindre pour son équilibre lorsqu'il marche en se balançant d'un pied sur l'autre.
Une fois appuyé à son fauteuil, il peut faire signe au premier violon et chanter son premier air. Il est question d'un traître trahi. Avant de commencer le deuxième, il s'excuse en français de ne point maîtriser notre langue et propose en anglais une explication salace personnelle au fait que Mozart ait composé l'air Per questa bella mano avec la contrebasse comme instrument soliste. Cet air contraint l'instrumentiste à une gymnastique particulièrement tortueuse (par ailleurs, rêvé-je ou n'a-t-il pas réaccordé son instrument en plein milieu de l'air ‽). Dans ces airs comme dans ceux qui suivront l'entr'acte et dont j'ai moins suivi le contexte dramatique fragmentaire, le chanteur fait entendre une voix puissante, dont j'apprécie tout particulièrement la résonance des notes les plus basses, maintenues parfois très longtemps. L'air que j'ai préféré au cours de cette soirée a été l'air de Sarastro In diesen heil'gen Hallen extrait de Die Zauberflöte que le chanteur a chanté en bis (cet air, entre autres, est écoutable sur Youtube).
Le concert s'est achevé sur une des symphonies parisiennes de Haydn, la
nº85 La Reine
, qui est comme toute composition de Haydn plaisante à
écouter, mais qui ne remue pas autant l'auditeur qu'un air interprété par
Thomas Quasthoff.
Ailleurs : Klari.
2010-10-23 00:35+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse
Opéra Garnier — 2010-10-22
Édouard-Marie-Ernest Deldevez et Ludwig Minkus, musique, adaptée et orchestrée par David Coleman et adaptée par John Lanchbery
Paul Foucher, Joseph Mazilier, livret
Pierre Lacotte, adaptation d'après Joseph Mazilier (1846) et Marius Petipa (1881)
Luisa Spinatelli, décors et costumes
Philippe Albraic, lumières
Philippe Hui, direction musicale
Marie-Agnès Gillot, Paquita
Karl Paquette, Lucien d'Hervilly
Vincent Chaillet, Iñigo
Guillaume Charlot, Don Lopez de Mendoza
Eve Grinsztajn, Doña Serafina
Emmanuel Hoff, Le Général, Comte d'Hervilly
Béatrice Martel, La Comtesse
Myriam Ould-Braham, Mélanie Hurel, Marc Moreau, Pas de trois
Ballet de l'Opéra
Élèves de l'École de danse de l'Opéra
Orchestre de l'Opéra national de Paris
Paquita, ballet en deux actes
C'est la première fois que je vois un ballet pseudo-narratif. Il y a une bien histoire. Paquita a été enlevée toute jeune par des Gitans, elle tombe amoureuse de Lucien d'Hervilly, qui est venu à Saragosse avec son père le Comte d'Hervilly pour faire poser une pierre en mémoire de son frère assassiné ainsi que sa femme et sa fille. Paquita parvient à sauver Lucien de la tentative de meurtre de son maître Iñigo commanditée par Don Lopez de Mendoza. Ils sont arrêtés alors que les Hervilly célèbrent un bal. En voyant un tableau représentant le défunt frère du Comte, elle reconnait la personne qui figure sur un médaillon qu'elle a toujours gardé. C'est son père. Rien ne s'oppose à ce qu'elle épouse Lucien...
Pourtant, l'action proprement dite occupe une durée très réduite par
rapport à la durée du ballet. Le premier tableau du premier acte contient
principalement tout un tas de danses espagnoles
. On verra notamment
des hommes exécuter la danse des manteaux, tels des toréadors. Des
danseuses feront tinter des tambourins, etc. Après l'entr'acte, dix minutes
à peine s'étaient écoulées que la situation était tout à fait dénouée. La
grosse demi-heure restante ne raconte plus rien si ce n'est le bonheur des
futurs époux.
On trouve néanmoins de fort beaux passages dansés, solos, pas de deux,
pas de trois, ensembles. Dans les deux rôles principaux, Marie-Agnès Gillot
(Paquita) et Karl Paquette (Lucien d'Hervilly) sont impressionnants. C'est
d'ailleurs la première fois que je vois cette danseuse (étoile) dans un
ballet classique
(jusques alors, je ne l'avais vue que dans des
chorégraphies de Bausch/Millepied/McGregor). En plus de danser très bien et
de réaliser une performance physique étonnante, elle se révèle aussi bonne
comédienne. Vincent Chaillet est très convaincant en Iñigo.
Plus que d'ordinaire dans les ballets classiques, les applaudissements du public interrompent la (pseudo-)action de façon à pousser les danseurs à faire des saluts. C'est probablement en partie lié au fait que la fin des différents numéros musicaux (et des différentes séquences qui les composent) semble construite de façon à déclencher des applaudissements. Cela dit, à partir du moment où il n'y a pas à craindre de coupure dans l'histoire, je ne vois pas d'inconvénient à saluer l'exploit athlétique des danseurs !
Dans certains passages physiquement très difficiles, je ne dirais pas que j'aie trouvé la chorégraphie très belle, parce que parfois quelque peu répétitive. Mais l'ensemble était saisissant, comme la danse des manteaux, le pas de trois du premier acte (Myriam Ould-Braham, Mélanie Hurel, Marc Moreau) et tout le deuxième acte (où l'en trouve entre autres un ensemble avec de jeunes élèves de l'école de danse).
Je m'aperçois aujourd'hui seulement du fait que les feuillets contenant les distributions donnés par les ouvreuses n'étaient pas fiables à 100%. Ainsi, ce soir, j'ai eu la surprise de voir Mathilde Froustey dans un groupe de huit danseuses lors du grand pas, ce qui n'apparaissait pas dans la distribution.
2010-10-19 23:58+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Opéra
Opéra Bastille — 2010-10-16
Philippe Jordan, direction musicale
Luca Ronconi, mise en scène
Ugo Tessitore, collaboration artistique
Margherita Palli, décors
Silvia Aymonino, costumes
Gianni Mantovanini, lumières
Alessandro Di Stefano, chef du chœur
Orchestre et chœur de l'Opéra national de Paris
Maîtrise des Hauts-de-Seine, Chœur d'enfants de l'Opéra national de Paris
Il Trittico, Puccini
Juan Pons, Michele
Marco Berti, Luigi
Eric Huchet, Il Tinca
Mario Luperi, Il Talpa
Sylvie Valayre, Giorgetta
Marta Moretto, La Frugola
Hyung-Jong Roh, Venditore di canzonntte
Anne-Sophie Ducret, Un'amante / Una Voce interna
Gregorz Staskiewiecz, Un'amante / Una Voce interna
Il Tabarro
Tamar Iveri, Suor Angelica
Luciana D'Intino, La Zia Principessa
Barbara Morihien, La Badessa
Louise Callinan, La Suor Zelatrice
Marie-Thérèse Keller, La Maestra della novize
Amel Brahim-Djelloul, Suor Genovieffa
Claudia Galli, Suor Osmina
Olivia Doray, Suor Dolcina
Zoe Nicolaidou, Prima Cercatrice
Carol García, Seconda Cercatrice
Cornelia Oncioiu, La Suor Infermiera
Chenxing Yuan, Una novizia
Anne-Sophie Ducret, Prima conversa
Marina Haller, Seconda conversa
Suor Angelica
Juan Pons, Giannia Schicchi
Ekaterina Syurina, Lauretta
Marta Moretto, Zita
Saimir Pirgu, Rinuccio
Eric Huchet, Gherardo
Barbara Morihien, Nella
Alain Vernhes, Betto
Mario Luperi, Simone
Roberto Accurso, Marco
Marie-Thérèse Keller, La Ciesca
Yuri Kissin, Maestro Spinelloccio
Christian Helmer, Amantio di Nicolao
Ugo Rabec, Pinellino
Alexandra Duhamel, Guccio
Gianni Schicchi
Samedi dernier, alors que des troubles autour de la manifestation débordait
paraît-il jusque dans le hall de l'Opéra Bastille, j'assistais à une
représentation du Triptyque de Puccini. Je dis paraît-il
parce que je n'ai remarqué de casse ni en entrant peu avant 19h ni en me
baladant lors les entr'actes ni en sortant.
D'après les informations lues dans le programme, le projet de Puccini semble avoir évolué puisque seul le dernier des trois opéras présentés au cours de la soirée rentre dans le cadre du projet initial autour de l'œuvre de Dante.
Comme les deux autres, le premier opéra Il Tabarro dure un peu moins d'une heure. Il est situé sur une péniche amarrée à Paris. C'est un drame de la jalousie : la femme (Giorgetta) du patron aime un des marins (Luigi), le mari (Michele) le tue. Un niveau supplémentaire de profondeur psychologique vient du fait que le couple avait perdu un enfant. J'avais fait la connaissance de quelques admirateurs de Sylvie Valayre un peu avant la représentation. De mon côté, c'était la première fois que je l'entendais. Si elle m'a fait bonne impression, c'est Marco Berti (Luigi) qui m'a le plus impressionné. J'ai aussi apprécié Marta Moretto dans un des rôles secondaires.
Le deuxième opéra commence par un son de cloche. Suor Angelica est une histoire autour de la perte d'un enfant (illégitime), mais il est surtout question de religion. La question de la damnation en cas de suicide, c'est un sujet que je trouve assez peu intéressant. Le rôle éponyme était chanté par Tamar Iveri, dont je ne fais pas partie des admirateurs. La seule scène qui m'ait intéressé est celle où la tante de Sœur Angelica vient lui rendre visite pour ordonner à celle qui a déshonoré sa famille d'abandonner sa part d'héritage. Les dialogues témoignent une violence verbale assez sophistiquée. La mezzo-soprano Luciana D'Intino incarne de façon très convaincante ce rôle de méchante. Dans les rôles des sœurs, il est difficile de reconnaître quelques chanteuses comme Amel Brahim-Djelloul ou Cornelia Oncioiu tant les costumes sont uniformes et couvrants. C'est la première fois qu'au moment des saluts on se sent obligé d'applaudir continûment puisque les chanteuses qui défilent un peu trop vite sont pratiquement indistinguables.
Bien sûr, si ce deuxième opéra est décevant, la musique de Puccini et l'orchestre de l'Opéra de Paris dirigé par Philippe Jordan parviennent heureusement à retenir l'attention.
À mon goût, le meilleur des trois opéras est le troisième Gianni Schicchi. C'est très certainement l'opéra le plus drôle que j'aie vu. Buoso Donati est mort et tous les membres de sa famille espèrent s'approprier la meilleure part de l'héritage. Mais le défunt l'aurait léguée à des moines... On trouve le facheux testament. Gianni Schicchi, d'un niveau social moindre, entre en scène et finit par proposer une solution : à l'extérieur, tout le monde ignore que Donati est mort, qu'il se fasse passer pour le mort, dicte un nouveau testament devant un notaire et le tour sera joué. Ce qu'ils ne savent pas encore, c'est qu'il va se léguer la meilleure part à lui-même. Il s'agit d'une sorte de vengeance, puisque la famille avait considéré que sa fille Lauretta n'était pas d'une assez bonne famille pour épouser le jeune Rinuccio.
Le texte, la façon dont il est mis en musique, les mimiques des chanteurs, la mise en scène, la voix contrefaite de Gianni Schicchi quand il imite celle du mort, tout concourt au caractère comique de cette pièce. Le temps ne se suspend que pour l'air de Lauretta O mio babbino caro, chanté par Ekaterina Syurina. D'ailleurs, la façon dont cet air intervient abruptement est presque parodique. À la fin, Gianni Schicchi s'adresse directement au public. Conscient qu'il va aller en enfer, il espère finir par obtenir des ménagements. Dans ce rôle-là, Juan Pons était beaucoup plus enthousiasmant que dans son rôle de Michele dans Il Tabarro !
2010-10-14 23:50+0200 (Orsay) — Culture — Musique
Théâtre des Champs-Élysées — 2010-10-14
Jonas Kaufmann, ténor
Helmut Deutsch, piano
Die schöne Müllerin (Schubert)
Der Jüngling an der Quelle (Schubert)
Der Lindenbaum de Winterreise (Schubert)
Die Forelle (Schubert)
Der Musensohn (Schubert)
De mémoire, depuis huit ans que je fréquente ce lieu, je ne pense pas
avoir vu le TCE aussi plein. La poignée de places vacantes à l'orchestre
sont probablement la conséquence de décès récents constatés chez les plus
âgés des abonnés. En effet, partout, de l'orchestre au deuxième balcon, y
compris dans les coins, dans les galeries, les sièges, les strapontins et
parfois les marches étaient couverts de spectateurs. Rarement à l'entrée on
aura vu autant de gens portant une feuille imprimée Je cherche une
place.
. J'aperçois aussi de nombreux habitués de l'Opéra.
En ce qui me concerne, c'est la première fois que je vois Jonas Kaufmann sur scène. J'eusse voulu le voir et l'entendre dans Werther, mais il avait été remplacé. Plusieurs de ses récitals récents ont été annulés, mais il était bien là ce soir avec le pianiste Helmut Deutsch pour un cycle schubertien : Die schöne Müllerin.
D'après les statistiques Big Brotheriennes qui se constituent autour de ma collection de disques, je n'avais apparemment pas réécouté ce cycle en entier (par Dietrich Fischer-Dieskau) depuis plus de cinq ans ! Curieusement, je n'avais pas tout oublié.
Je suis vraiment rentré dans le concert avec le sixième Lied Der Neugierige. Un peu plus loin, Morgengruß m'a ému plus que de raison. Pour le lyricomane, ce cycle est extrêmement intéressant dans la mesure où les émotions qu'expriment le personnage couvrent un large spectre. Malgré la forme quelque peu austère a priori d'un cycle de Lieder (forme à laquelle je ne suis pas habitué), celui-ci recèle en vérité un condensé de tout ce que le chant peut exprimer. Presque plus lyrique qu'un opéra, donc.
La salle a énormément applaudi le chanteur, jusqu'à une standing ovation quasi-générale (il n'y avait pas que des gens qui passaient leur manteau, loin de là). Quatre bis, dont apparemment au moins un n'était pas programmé. Je pense qu'ils étaient tous de Schubert, mais je n'ai reconnu que les deuxième et troisième : Der Lindenbaum de Winterreise et Die Forelle.
Arrivé à 22h10 à Denfert, je découvre que le dernier RER part à 22h15. C'était juste.
2010-10-11 00:36+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Culture indienne
Salle Pleyel — 2010-10-10
Ballet royal du Cambodge
Son Altesse Royale la Princesse Norodom Buppha Devi, chorégraphie
La Légende de l'Apsara Méra
C'est un fort beau spectacle que celui donné ces jours-ci en France par le Ballet royal du Cambodge, et ce dimanche Salle Pleyel, il y avait même deux représentations ; je suis allé à celle du soir. Dans le RER A, je devinais déjà que certains visages descendraient l'avenue Hoche jusqu'à la Salle Pleyel pour assister au même spectacle que moi.
De grands rideaux noirs tendus sur la scène cachent la fonction habituelle de cette salle. Une petite estrade est placée au fond de la scène, au centre. Des musiciens s'installent sur les côtés. Sur la droite, une sorte de hautbois et des xylophones. À gauche, quatre chanteurs. Une des deux chanteuses joue aussi des cymbales et un percussionniste utilise des tambours de taille respectable.
Les musiciens à peine installés, la musique commence. La présence de
cymbales n'est pas sans rappeler les récitals de danse indienne où on les
entend presque systématiquement. Ici, les rythmes seront beaucoup plus
simples à reconnaître. Pourquoi se hasarder à une telle comparaison ? Parce
que le thème du premier acte Le mythe du barratage de la mer de
lait provient de la tradition indienne. Ce mythe est raconté au début
du Mahābhārata (pages 173-174 du premier volume au Seuil de la
version de Madeleine Biardeau, dont j'ai appris il y a quelques jours le
décès en parcourant le catalogue de la BnF : Biardeau, Madeleine
(1922-2010)
...). On en trouve aussi un récit au huitième livre du
Bhāgavata Mahāpurāṇa. Le premier tableau évoque la guerre entre
les dieux et les Asura (appelés ici géants plutôt que démons). Le ballet
n'est pratiquement constitué que de danseuses. Seuls de très rares scènes
mettent en scène des danseurs, comme dans ce combat singulier entre un
singe (apparemment du côté des dieux) et un géant. Le dieu Vishnu,
paraissant debout sur une tortue dorée, référence à l'avatar de la
tortue (Kurma), intervient pour demander aux deux armées de conjuguer leurs
forces pour baratter la mer de lait afin qu'en sorte l'amrita, la
liqueur d'immortalité. On les voit s'activer autour du serpent Vasuki dont
la tête et la queue sont figurées par des accessoires. Des créatures émergent
de ce barrattage. Elles sont évoquées par des projections (un peu
éblouissantes) sur le fond de la scène. Il me semble reconnaître parmi
elles un cheval aux multiples têtes, très-vraisemblablement
Ucchaiḥśravas (celui dont la couleur est l'objet d'un pari aux importantes
conséquences mythologiques entre Vinatā et Kadrū).
Les démons se sont emparés de l'amrita que le chef des Asura tient dans une sorte de coupe. Vishnu s'incarne sous la forme de l'apsaras (nymphe céleste) Mohini. La version du mythe présentée dans cette chorégraphie s'écarte quelque peu des versions indiennes usuelles. Ici, la nymphe utilise une boule de cristal magique donnée par Vishnu (dont, depuis ma place centrée à l'orchestre, j'ai pu voir une forme à quatre bras réalisée par deux danseuses placées l'une derrière l'autre, les attributs du disque et de la conque étant bien visibles). Elle s'en sert pour éblouir le chef des Asura et récupérer la coupe d'amrita qui reviendra aux dieux. Dans la version du mythe que j'ai lue dans le Bhāgavata Mahāpurāṇa, Mohini n'a besoin de nul accessoire pour obtenir ce résultat, au contraire, elle se défait de quelque vêtement...
Le deuxième acte correspond au titre du spectacle. Il est intitulé
La légende de Kambu et de Méra. Elle raconte l'origine légendaire
du peuple cambodgien ou khmer, au choix. L'histoire est beaucoup moins
intéressante. Il s'agit simplement de la rencontre entre une
apsaras et un prince. Pas de méchant en vue, tout va bien. Il
s'agit donc essentiellement d'un acte de danse pure
. Il procure de
très belles images, notamment dans le premier ensemble où les suivantes de
l'apsaras lui cueillent des fleurs en son jardin. Le prince
débarquera (littéralement) et en tombera immédiatement amoureux. Elle va
résister un instant, mais ils seront bientôt unis. Les dieux descendent
pour faire la fête. C'est le prétexte d'un nouvel ensemble illustrant la
danse céleste des dieux. Dans cette scène, les costumes des déesses ne sont
pas sans rappeler les saris indiens. En tout cas, ça brille.
Ce style de danse (qui est rené après le rétablissement de la monarchie, la chorégraphie de ce spectacle est d'ailleurs due à son altesse royale la princesse Norodom Buppha Devi) est très majesteux. Les visages (dont certains sont couverts de masques) manifestent peu d'émotions. Les mouvements des mains sont souples et lents. De nombreuses positions relativement statiques sont dansées avec un seul pied touchant le sol. Parfois, la danseuse tourne tout doucement sur elle-même sur ce pied. Dans le pas de deux entre Mohini et le chef des Asura, on a pu voir des accessoires et un harmonieux petit jeu se mettre en place entre les deux personnages avant que Mohini ne subtilise l'amrita. Des portés spectaculaires se sont fait voir lors de la scène du combat singulier.
Du point de vue musical, tout semble reposer sur le souffle du musicien qui joue d'une sorte de hautbois. Les premières interventions du chœur de quatre chanteurs m'ont un peu déstabilisé, mais je m'y suis habitué assez vite. Le concert étant sonorisé, j'ai tout le temps été perturbé par le fait que ce n'était pas en stéréo : le son des chanteurs semblait venir aussi bien de gauche que de droite, ce qui procure une sensation étrange, inhabituelle pour moi.
2010-10-06 23:18+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Opéra — Danse
Théâtre des Champs-Élysées — 2010-10-06
Barbara Hannigan, Lei
Georg Nigl, Lui
Sasha Waltz, création chorégraphique, mise en scène, décors
Franck Ollu, direction musicale
Thilo Reuther, décors, lumières
Hussein Chalayan, costumes
Thierry Coduys, dispositif électroacoustique
Ilka Seifert, dramaturgie
Sasha Waltz & Guests
Vocalconsort Berlin
Ensemble Modern
Passion, Pascal Dusapin.
La création chorégraphique de l'opéra Passion de Pascal Dusapin par Sacha Waltz & Guests est certainement le spectacle au cours duquel je me suis le plus ennuyé et qui me laisse la plus grande impression d'incompréhension.
L'opéra
met en jeu deux personnages Lei (Barbara Hannigan) et Lui
(Georg Nigl). La seule chose que l'on comprend, mais c'était annoncé, c'est
que cela a un rapport avec Orphée et Eurydice. Il y a quelques autres
personnages, mais ils ont une fonction non déterminée.
Du point de vue musical, c'est assez heurté. On entend des effets
spéciaux électroacoustiques
, la musique étant parfois amplifiée et
spatialisée. Des micros servent à donner parfois beaucoup de volume aux
respirations saccadées des personnages. Quelques courts passages choraux
ravivent parfois mon attention.
Cette Passion, c'est à peu près comme assister à un spectacle de danse contemporaine avec une bande-son qui serait jouée en direct. Ce n'est pas exactement ce que j'attends d'un opéra, d'autant plus que la chorégraphie de Sasha Waltz ne me parle pas du tout.
Le spectacle était annoncé chanté en italien, surtitré en
français
. En arrivant dans la salle, j'ai remarqué qu'il n'y avait pas
de dispositif de surtitrage. La représentation n'a donc pas été surtitrée,
ce qui n'a évidemment pas aidé à la compréhension. En sortant, je déplie la
feuillette avec la distribution que j'avais rangée sans la lire, et j'y lis
avec effroi que c'était fait exprès :
Pour que votre attention ne soit pas dérangée et que vous puissiez pénétrer totalement dans le monde d'émotions créé par Sasha Waltz, nous avons décidé, en accord avec Pascal Dusapin, de ne pas surtitrer Passion, dont le texte en italien vous sera aisément compréhensible.
Ben voyons !
2010-10-01 02:17+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Opéra
Opéra Garnier — 2010-09-30
Marco Vinco, Mustafà
Jaël Azzaretti, Elvira
Cornelia Oncioiu, Zulma
Riccardo Novaro, Haly
Lawrence Brownlee, Lindoro
Vivica Genaux, Isabella
Alessandro Corbelli, Taddeo
Denis Dubois, clavecin
Andrei Serban, mise en scène
Marina Draghici, décors et costumes
Andrei Serban, Jacques Giovanangeli, lumières
Niky Wolcz, chorégraphie
Alessandro Di Stefano, chef de chœur
Maurizio Benini, direction musicale
Orchestre et Chœur de l'Opéra national de Paris
L'Italienne à Alger, Rossini
Sans les décors et dans une mise en scène improvisée, c'était mieux.
Ce soir et jeudi de la semaine dernière, je suis allé voir
L'Italienne à Alger de Rossini à l'Opéra. Jeudi 23, jour de grève,
la production s'était jouée essentiellement sans décors. Les solistes et un
tout petit nombre de figurantes évoluaient devant un rideau de scène. Le
chœur (exclusivement masculin) venait parfois se mettre en rangs au fond.
Peu de changements de costumes pour les chanteurs et quelques accessoires
tout au plus. J'ai cependant trouvé que c'était mieux qu'avec la mise en
scène originale d'Andrei Serban dans les décors et costumes de Marina
Draghici. Lors de cette version semi-scénique, on avait en effet droit à
une sorte de théâtre chanté sans trop d'effets spéciaux, la musique faisant
le spectacle, le texte réservant quelques surprises comiques. À noter
aussi, ce soir-là, il y avait eu des ratés de sur-titrage, le début étant
complètement massacré, avec un effet comique involontaire : alors que
Lindoro entrait en scène, se souvenant d'Isabella, Languir pour une
belle
, c'est le texte du personnage de Mustafà J'en ai assez de
cette femme
qui parut ! J'avais aussi pu voir de très près les
chanteurs puisqu'à l'entr'acte, j'avais migré avec une camarade d'opéra à
la loge de l'Impératrice.
Pour situer l'histoire, une Italienne, Isabella (Vivica Genaux),
débarque à Alger pour délivrer Lindoro (Lawrence Brownlee), qui a été fait
esclave par le bey Mustafà (Marco Vinco). Ce dernier n'a plus dans son
sérail de femme qui le satisfasse. En particulier, il veut se débarrasser
de son épouse Elvira (Jaël Azzaretti) en la remariant avec Lindoro
(irrésistible texte : Ma come ? Ei non è Turco. — Che importa a me ?
— Ma di Maometto la legge non permette un tal pasticcio. — Altra legge io
non ho, che il mio capriccio.
). Il demande à son capitaine Haly
(Riccardo Novaro) de lui trouver une Italienne. Isabella et un soupirant,
Taddeo (Alessandro Corbelli), sont fait prisonniers. S'ensuivent diverses
intrigues, promotions fantoches (Taddeo est fait Kaïmakan et Mustafà
Pappataci), au bout desquelles Isabella repart avec Lindoro, Elvira avec
Mustafà et Zulma (Cornelia Oncioiu), la servante d'Elvira, avec Haly.
Je disais donc que le spectacle que j'ai vu ce soir n'a vraiment rien à voir avec celui de la semaine dernière. Autant visuellement (costumes des eunuques et des naufragés, décors) que dans les mouvements sur scène des chanteurs. Certes, le but d'Andrei Serban (dont je n'avais pas trop aimé la Lucia di Lammermoor en septembre 2006) semble avoir été de faire rire, mais il en a fait un peu trop. En résumé, le film, c'est King Kong rencontre le Titanic dans un Harem. J'allais oublier, il y a aussi des chimères Rambo/Capitaine Crochet. L'intrus, c'est évidemment King Kong... On se demande bien ce qui est passé par la tête du metteur en scène.
Au début, Mustafà est représenté en émir, fantaisistement dictatorial.
On verra quelques jeunes femmes chargées de ses plaisirs, et d'autres
habillées tout en noir, voilées. Au cours de l'opéra, il se métamorphose,
change sans cesse de turban et à la fin, on oublierait presqu'on assiste à
une turquerie
. Le personnage a perdu sa colère quand il se rend
compte qu'on s'est moqué de lui en le faisant Pappataci (Mange
et tais-toi
) à grand renfort de figurants dansants habillés aux
couleurs de l'Italie (dont trois ont des costumes/accessoires comme des
excroissances représentant un Chianti, une Pizza, un lit à la mode romaine.
On lui a en effet fait accroire qu'être réduit aux trois fonctions manger,
boire, dormir étaient une grande distinction en Italie.
Vocalement, j'ai aussi préféré la représentation du 23. Lawrence Brownlee était particulièrement épatant dans son air Languir per una bella, quoiqu'il le chantât d'un bout à l'autre sans bouger d'un centimètre son pied posé sur une marque au sol ! Tous les chanteurs m'avaient fait une bonne impression. À propos de Vivica Genaux, j'apprécie la façon dont elle s'incarne visiblement dans ses personnages (que ce soit Angelina, Juno/Ino ou Isabella). J'aime comme elle chante, mais le timbre de sa voix malheureusement me déplaît. Ce soir, la plupart des chanteurs m'ont semblé en petite forme.
Le passage le plus étonnant musicalement et théâtralement de ce drame
joyeux se trouve à la fin du premier acte. Les sept personnages ont
subitement l'impression de devenir fous et ils le disent en utilisant des
onomatopées din din
, crà crà
, bum bum
ou tac
tà
. Dans le même temps, ils font des gestes mécaniques (mention
spéciale pour Lawrence Brownlee et son marteau qui fait tac tà
),
tandis qu'Elvira, qui se met à faire des vocalises en se donnant des airs
de Castafiore est interrompue par Taddeo.
La mise en scène utilise les parties excentrées du plateau... Du coup, pendant certains airs, j'ai dirigé mon regard vers la fosse pour observer la battue de Maurizio Benini et ses indications de nuance. Visiblement, quand leur bouche n'est pas vouée à leur instrument, les deux clarinettistes du fond se racontent des blagues (vu les gestes associés, cela devait avoir un rapport avec l'extravagant turban que portait Alessandro Corbelli une fois qu'il a été fait grand Kaïmakan).
Côté public, ce soir a été une drôle de soirée. Des grandes entreprises ont réservé des soupers dans le grand foyer. Les bars, et subséquemment le champagne, envahissent les environs immédiats des premières loges (où mon fond de loge à 10€ s'est transformé en deuxième rang). Plus de robes de soirée que d'ordinaire. De loin, la Rotonde du Glacier avait l'air d'être privatisée pour quelque cocktail. À l'entr'acte, j'ai préféré aller me dégourdir les jambes à l'étage du dessus...
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