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2018-02-12 19:42+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Le Gymnase, Lille — 2017-06-24
Geoffrey Planque, bharatanatyam
A. Lakshman Swamy, chorégraphies
Sabine Pandaredattil, chorégraphie du Padam
Jatiswaram (Raga Saveri, Rupaka Tala)
Purvanga du Varnam “Saami naan undan adimai enruulagamellam ariyume” (Adi Tala, Raga Natakuranji), composé par Papanasam Sivan
Padam (Raga Behag, Adi Tala)
Thillana (Raga Revati, Adi Tala), composé par Madurai N. Krishnan
En juin dernier, j'ai passé une journée à Lille pour assister à un récital de danse bharatanatyam par un danseur masculin, Geoffrey Planque. Élève de Sabine Pandaredattil, il est devenu depuis 2013 le disciple de Guru A. Lakshman Swamy, un des chorégraphes parmi les plus intéressants actuellement dont j'avais déjà pu apprécier le travail lors d'un magnifique récital de son élève Sudharma Vaithiyanathan à Chennai en 2015. Il avait d'ailleurs fait connaissance avec le style d'A. Lakshman Swamy lorsque celui-ci était venu avec ses élèves à Paris pour participer à un spectacle de la danseuse Priya Venkataraman (j'y étais aussi !).
Le récital fait partie du festival sab kuch milega. À l'approche de la salle du Gymnase, un grand drapeau indien me fait comprendre que je suis sur la bonne direction. Le récital de danse est précédé par un solo du sitariste Arnaud Eurin qui a interprété de façon très élaborée et habitée Raga Desh, puis Raga Kalavati.
Geoffrey Planque ©Baptiste Muzard Photographe
Le récital de Geoffrey Planque commence par un Jatiswaram en
Raga Saveri et Rupaka Tala. Pratique assez rare actuellement, le danseur
semble tracer des lignes au sol lors des frappes qui précèdent le très
court passage accompagné d'onomatopées (Jati). Dès le début de
cette pièce de danse pure, je comprends immédiatement que ce récital va me
procurer beaucoup de plaisir de spectateur ! La technique du danseur est
exceptionnellement bonne. Il n'y a pas un mouvement qui ne soit pas fait à
100%. Son demi-plié est très bon, et quand il frappe le talon sur le côté,
sa jambe est impeccablement tendue. Les mouvements de tête et de bras sont
très nets. Il fait aussi preuve d'une grande souplesse quand certains
mouvements imposent de poser un genou au sol et son phrasé est superbe
quand dans un enchaînement il met en valeur la première vitesse,
c'est-à-dire la vitesse lente des mouvements chorégraphiques. Dans le
Vazhuvoor bani, une des grandes familles stylistiques du
bharatanatyam, il est de coutume d'agrémenter d'un ou plusieurs sauts la
formule conclusive d'un enchaînement. Il y en eut quelques uns dans ce
récital, notamment dans le Jatiswaram. Un autre saut de ce type
fut particulièrement jouissif
(peut-être était-ce dans la pièce suivante) et il me fait penser au saut
légendaire de Nijinski à la fin du Spectre de la Rose à propos
duquel le chorégraphe Michel Fokine écrivait : On a écrit tant et plus
sur Le Spectre. Beaucoup de choses vraies sur l'interprétation
prodigieuse de Karsavina et de Nijinski et sur la poésie de l'ensemble.
Mais aussi beaucoup de choses inventées et exagérées à propos du dernier
bond de Nijinski. Les applaudissements qui suivirent son « envol » par la
fenêtre ne furent pas causés par la hauteur de ce saut, mais parce qu'il
était la conclusion d'une danse éthérée, légère et poétique, immensément
difficile à interpréter que Nijinski exécuta de façon magnifique.
. Ici
non plus, ce n'est pas forcément le saut en lui-même qui déclenche
l'émotion et l'admiration, mais il vient davantage parachever le sentiment
de contentement que la séquence de danse avait installée.
Dans la musique enregistrée des pièces chorégraphiées par A. Lakshman Swamy, on entend le chant de K. Hariprasad, un des musiciens les plus appréciés lors des récitals de bharatanatyam à Chennai. L'entendre chanter le Varnam “Saami naan undan adimai enruulagamellam ariyume” en Raga Natakuranji, Adi Tala, composé par Papanasam Sivan était à elle seule une raison presque suffisante pour faire le déplacement à Lille. D'un point de vue musical, il s'agit d'un des plus beaux Varnam du répertoire. Il est très souvent représenté. J'ai vu de nombreuses chorégraphies de cette pièce. Le texte évoque l'adoration du dieu Shiva. Dans la globalité de la composition, on ne peut ignorer le sentiment amoureux qu'éprouve l'héroïne pour le dieu ; c'est particulièrement clair dans la deuxième partie Uttaranga du Varnam. Certaines interprétations effacent complètement l'aspect amoureux et le transforment en dévotion religieuse : cela m'avait passablement agacé quand j'avais vu Renjith & Vijna dans ce Varnam. D'autres m'ont semblé beaucoup plus intéressantes comme celles de Navia Natarajan au Centre Mandapa le 14 juin 2016, ou entretemps, de la très jeune S. Bhagyalakshmi au Festival Spirit of Youth à la Music Academy à Chennai le 1er août 2017.
À un danseur masculin, je ne ferais pas le reproche de n'avoir pas doué le héros qu'il incarne de sentiments amoureux pour Shiva, et ce d'autant plus que seule la première partie Purvanga du Varnam a été interprétée lors de ce récital. Les passages expressifs de cette danse sont très réussis. Le texte tamoul est rendu parfaitement intelligible par sa gestuelle et son expression qui n'ont rien de scolaire : tout est très habité. La première ligne du Pallavi donne lieu un développement (Sanchari) autour de la dévotion pour Shiva. La deuxième ligne évoque celui qui est mi-homme mi-femme et qui est le maître des cinq éléments, auquel le dévôt dit en suppliant “Ne sois pas indifférent”. Dans l'Anupallavi, la première ligne évoque le contentement procuré par la récitation des noms de Shiva tandis que la deuxième ligne Natanamadum sevadi... évoquant son pied dansant est illustrée par plusieurs très courtes séquences techniques. Le Muktayi Sahitya décrit les divers ornements (cheveux, croissant de Lune, rivière Ganga) de celui qui danse à Chidambaram. Une certaine poésie poésie se dégage de l'ensemble de cette première partie de Varnam.
J'éprouve une certaine admiration pour le chorégraphe. Sa récitation des syllabes dans les jatis n'est pas absolument métronomique (son tempo fluctue sensiblement pendant certaines séquences rythmiques, ce qui est un obstacle pour apprécier en tant que spectateur les aspects rythmiques les plus subtils lors d'un visionnage unique sur une musique enregistrée). Cependant, sa diction et son phrasé sont assez exceptionnels, ce qui rend l'écoute très agréable. Ses chorégraphies techniques à la fois très belles et très ancrées dans la tradition sont superbement interprétées par Geoffrey Planque. (Voir cet extrait sur YouTube, qui doit être le troisième Jati du Varnam. À la fin de la vidéo, les pas de danse basculent en Tishra nadai, c'est-à-dire en subdivisions ternaires.).
Le danseur a ensuite interprété un Padam sur un rythme vif évoquant les exploits du jeune Krishna. Huitième fils de Devaki. Il devait être tué par Kamsa qui voulait se prémunir de la malédiction qui devait causer sa perte, mais son père Vasudeva parvint à sauver le nouveau né. La chorégraphie représente Vasudeva portant Krishna lors de sa traversée de la rivière Yamuna qui s'était séparée en deux par miracle. L'enfant sera ensuite élevé par Nanda et Yashoda, fera quelques bêtises, comme grimper pour voler du beurre, avant de vaincre Kamsa. La chorégraphie de Sabine Pandaredattil est très lisible, mais laisse peu de répit au danseur et aux spectateurs, tant les épisodes s'enchaînent à grande vitesse !
Le récital se conclut par un magnifique Tillana en Raga Revati et Adi Tala composé par Madurai N. Krishnan. Il est dédié à la Déesse Bhuvaneshwari, la Reine de l'Univers, qui est partout et ressemble au souffle vital ; elle offre un raz-de-marée de bénédiction, celle qui est vénérée par le compositeur Krishnadasa. (Il se trouve qu'entretemps, j'ai moi-même appris à Delhi auprès d'Arupa Lahiry une autre chorégraphie de ce Tillana due à Chitra Visweswaran.)
J'espère avoir prochainement de nouvelles occasions de voir ce danseur exceptionnel, qui a très récemment fait ses débuts sur scène à Chennai !
(Voici un lien vers son site aksalab.)
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