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2013-08-21 15:46+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Expositions
Je viens de passer quelques jours à Édimbourg et j'en reviens enchanté ! Je reviendrai plus tard sur certains aspects de cette ville qui m'a beaucoup plu ; je me contenterai ici d'évoquer la raison première de mon séjour en Écosse : les deux concerts du Chamber Orchestra of Europe au Usher Hall.
A priori, les deux concerts avaient un très haut potentiel. J'en attendais évidemment beaucoup ! Bien sûr, j'attendais ces opportunités d'entendre la violoniste Lorenza Borrani en soliste comme un concert dijonnais m'en avait donné l'envie. Je concevais que dirigées par Yannick Nézet-Séguin, les Métamorphoses de Strauss auraient plus de relief que lorsque Semyon Bychkov avait dirigé le COE dans cette œuvre il y a quelques mois. Je me réjouissais aussi d'entendre les troisième et septième symphonies de Beethoven. Mes attentes n'étaient-elles pas trop hautes au point que je risquais d'être déçu ?
Ce fut tout le contraire. Ces deux concerts m'ont satisfait au-delà de toutes mes espérances ! En termes d'émotions fortes, si j'osais faire une comparaison inspirée de la haute densité de restaurants indo-pakistains et asiatiques à Édimbourg, je dirais que cela a été du même niveau d'intensité que peut l'être la dégustation d'un thai red curry. Au déluge de larmes qui s'écoulait de mes yeux et aux palpatitations et tremblements extatiques dont j'étais saisi parfois, un observateur aurait pu penser que je me trouvais mal, mais au contraire, je ne m'étais jamais senti aussi bien... En termes d'expériences préalables de concerts, je ne peux comparer ce plaisir qu'à celui ressenti lors de l'écoute de la Symphonie Pastorale par le COE dirigé par Bernard Haitink (et tout particulièrement le deuxième mouvement au bord du ruisseau). À Édimbourg, ce plaisir d'auditeur a été plus intense encore et s'est étendu sur la quasi-totalité des deux fois deux heures de programme.
Usher Hall, Edinburgh — 2013-08-16
Chamber Orchestra of Europe
Yannick Nézet-Séguin, direction
Métamorphoses, Richard Strauss
Kay Frömbgen, hautbois
Matthew Wilkie, basson
Lorenza Borrani, violon
William Conway, violoncelle
Symphonie concertante en si bémol majeur pour hautbois, basson, violon et violoncelle, Hob.I/105 (Haydn)
Symphonie nº3 en mi bémol majeur Héroïque
(Beethoven)
Je suis confortablement installé au deuxième rang au centre du parterre du Usher Hall pour assister au premier concert. Le programme commence par les Métamorphoses de Strauss, que j'entends pour la troisième fois en concert. Les deux auditions précédentes ne m'avaient pas complètement convaincu, mais cette fois-ci, j'ai été captivé par ce que j'entendais. Dans le détail, j'aime l'introduction du thème du deuxième mouvement de la Troisième Symphonie de Beethoven par les altos. Je me régale aussi avec les pizz. de la première contrebasse (Enno Senft) et des phrasés de la deuxième (Lutz Schumacher). Davantage que des individualités, j'ai adoré la musique produite par tous les musiciens ensemble. J'avais déjà connu une telle sensation d'entendre des musiciens comme chantant ensemble avec les solistes des Berliner Philharmoniker, mais au lieu de six parties, il y en avait là vingt-trois ! Je n'entendais bien sûr pas vingt-trois voix dans ma tête, mais j'avais bien souvent le sentiment d'en distinguer au moins quatre sans effort particulier, tout naturellement. Les interactions entre toutes ces voix m'ont procuré beaucoup de plaisir. Je retiens particulièrement celles entre Lorenza Borrani (violon 1) et Tomas Djupsjöbacka (violoncelle 4) qui se répondaient très harmonieusement, tandis que j'admirais la conviction et la vigueur des coups d'archets de Jérôme Fruchart (violoncelle 5). Cette interprétation a pour moi relevé du prodige !
Parmi les œuvres présentées au cours des deux concerts, celle que
j'attendais le plus était la Symphonie concertante de Haydn pour hautbois,
basson, violon et violoncelle (comme pour toutes les œuvres concertantes
présentées dans ces deux concerts, les solistes étaient issus de l'orchestre).
Le lendemain, avant un spectacle de danse, je discutais avec un Écossais
qui avait assisté au concert et la première phrase qu'il me dit visait à
souligner le seul défaut de ce concert. Quand je lui expliquais que cela
avait été le meilleur concert de ma vie, il admettait volontiers I
thought it was excellent!
. Mon interlocuteur n'avait pas tort, il est
indéniable que le violoncelliste William Conway a eu par moments des soucis
avec une de ses cordes les plus aiguës, comme si le son s'éteignait et
perdait toute brillance. Cependant, cela ne m'a nullement empêché
d'apprécier l'écoute de ce chef-d'œuvre de Haydn. J'ai aimé l'humour du
compositeur qui s'exprime notamment dans certaines interventions du basson
(Matthew Wilkie). La façon dont Lorenza Borrani interprète certains points
d'orgue est tout autant délicieuse. J'ai aimé les interactions entre les
quatre solistes entre eux, notamment entre le hautbois (Kay Frömbgen) et le
violon (Lorenza Borrani). Dans la cadence située dans le premier mouvement,
le chef Yannick Nézet-Séguin s'efface, accordant une entière confiance aux
musiciens. Dans le deuxième mouvement, je suis ému par le jeu du
violoncelliste William Conway. Je trouve presqu'indécent d'avoir le
privilège d'entendre le son délicieusement gras de sa corde de do (la plus
grave). Le troisième mouvement me réjouit énormément. Les timbales et les
cors s'y rappellent au bon souvenir des spectateurs. Les cordes (dont Lily
Francis occupe pendant cette œuvre le rôle de premier violon) produisent le
son vrlach
caractéristique du COE. Les solistes, et parmi eux
Lorenza Borrani tout particulièrement, font preuve d'une éclatante
virtuosité !
Pour interpréter la Symphonie nº3 “Héroïque” de Beethoven, les seconds violons ont échangé leur place à côté des premiers avec les violoncelles pour se retrouver à droite du chef d'orchestre, et cela s'entend ! Au début du deuxième mouvement, alors que les violoncelles jouent le thème déjà entendu plus tôt dans les Métamorphoses de Strauss, sans les voir, je me rends compte du fait que les contrebasses sont placées derrière violoncelles, ce qui rend plus impressionnant encore ce passage mettant en valeur les instruments à cordes les plus graves. Les deux derniers mouvements me mettent dans un rare état d'euphorie. Le placement des violons à gauche et à droite du chef signalé plus haut se révèle particulièrement judicieux dans le troisième mouvement (Scherzo) dans lequel le somptueux son du cor se fait entendre. Le moment le plus exaltant de l'interprétation de cette œuvre (et même des deux concerts) sera pour moi un certain passage vers le milieu du quatrième mouvement dans lequel le chef a fait jouer l'orchestre à un tempo de fou furieux et avec des accents tels que ce passage prenait un merveilleux air de musique populaire. Irrésistible !
L'accueil du public édimbourgeois a été très chaleureux ; certains
musiciens étaient manifestement très émus... En sortant, j'entends des
spectatrices s'exclamer Oh gosh, it was sooo good!
.
Ailleurs : Seen and Heard, Hilde Metzger.
⁂
Usher Hall, Edinburgh — 2013-08-18
Chamber Orchestra of Europe
Yannick Nézet-Séguin, direction
Romain Guyot, clarinette
Matthew Wilkie, basson
Duett-Concertino, Richard Strauss
Lorenza Borrani, violon
Pascal Siffert, alto
Symphonie concertante en mi bémol majeur pour violon et alto, KV 364 (Mozart)
Symphonie nº7 en la majeur (Beethoven)
J'avais choisi un placement à l'arrière-scène pour ce concert afin de profiter au maximum de la Septième symphonie de Beethoven. En réservant ma place, j'ignorais que le rang F serait en fait le premier rang. Voici ce que je voyais depuis ma place :
La salle est pour ainsi dire pleine. Les spectateurs réservent un très bon accueil aux musiciens, qui sont applaudis jusqu'à ce que le dernier se soit assis. Ceci vaudra une entrée un peu gaguesque à une second violon arrivée un tout petit peu après les autres et qui aura ainsi le privilège de recevoir des applaudissements qui lui furent tout spécialement destinés.
Lors de l'écoute du Duett-Concertino de Strauss, j'ai adoré le début de l'œuvre qui met en scène un sextuor à cordes (composé sauf erreur de ma part de deux violons, deux altos, un violoncelle et une contrebasse). S'y insère la ma-gni-fique clarinette de Romain Guyot. Plus tard, ce sera le basson de Matthew Wilkie. Bien que je ne l'aie alors vu que de dos, ses solos m'ont beaucoup impressionné, surtout dans le deuxième mouvement de l'œuvre. Cependant, l'œuvre est celle qui m'a le moins passionné dans ces deux concerts du COE. Elle est indéniablement très agréable à écouter, mais elle a davantage le goût d'une bonne friandise que d'un curry thaïlandais.
La Symphonie concertante pour violon et alto de Mozart a été pour moi un merveilleux moment ! Le placement des premiers et seconds violons de part et d'autre du chef se révèle encore une fois très opportun. Depuis ma place, je peux apprécier la gestuelle de Yannick Nézet-Séguin, qui ne se limite d'ailleurs pas à des mouvements de bras. Son expression faciale est assez étonnante, aussi ; aurait-il fait du kathakali dans une vie antérieure ? Il dirige parfois en n'utilisant que ses sourcils ! Cela fonctionne très bien en tout cas. Au cours du premier mouvement, je le vois à un moment donné esquisser la battue d'une mesure 4/4 avec un micro-geste de la main à peine perceptible. Je me cramponne alors à mon siège parce que je devine qu'il prépare quelque chose... à savoir un crescendo fulgurant ! L'orchestre a bien sûr été formidable. Les cordes avaient bien entendu le son ©COE. Le hautbois et les cors n'étaient pas au premier plan de l'action dans les deux premiers mouvements, mais ils devaient néanmoins faire preuve d'une endurante présence en arrière-plan (pédale). Dans le troisième mouvement, ils étaient davantage mis en valeur et le public les a beaucoup applaudis. Toutefois, les héros de cette œuvre étaient bien sûr Lorenza Borrani (violon) et Pascal Siffert (alto) dont l'entente a été parfaite. J'ai été vraiment très impressionné par l'altiste Pascal Siffert que j'entendais pour la première fois comme soliste.
La série de concerts s'est achevée avec la Septième Symphonie de Beethoven. Comme la veille, Yannick Nézet-Séguin dirige Beethoven sans partition. Si son style de direction est toujours très physique, par rapport à mes souvenirs de concerts passés (Ravel, Schumann), j'ai le sentiment qu'il tend vers une certaine économie de gestes. Sans doute très en confiance avec les musiciens du COE, il se dispense très souvent de battre la mesure. Si les gestes sont moins nombreux, ils sont néanmoins affûtés et intenses, sauf quand il s'amuse à prendre des poses maniérées en se dirigeant vers les vents lors de certaines phrases.
Dans cette interprétation magnifique de la Symphonie nº7, le moment le plus intense vint pour moi de l'idée de génie du chef d'enchaîner les deux premiers mouvements. Dans l'Allegretto, j'ai bien sûr aimé le début mettant en scène les instruments à cordes, mais je me suis encore davantage régalé quand Romain Guyot est entré avec sa clarinette tandis que la pulsation des cordes passait à l'arrière-plan. Dans le troisième mouvement, comme lors d'une écoute précédente, j'ai aimé le passage qui me rappelle toujours le motif de la Fonte de l'Acier de Siegfried. Si l'orchestre était bien entendu déchaîné dans les deux derniers mouvements, j'ai été tout particulièrement impressionné par le timbalier et par le flûtiste Pirmin Grehl (que je n'avais encore jamais vu avec le COE).
Le public a réservé un véritable triomphe à l'orchestre. Ce n'est pas la première fois que j'assiste à une standing ovation, mais je pense que c'est la première fois que j'en vois une qui est manifestement destinée à un orchestre dans son ensemble. Comme la veille, Yannick Nézet-Séguin met un terme au concert en faisant ostensiblement le geste qu'il est temps d'aller boire un coup.
Ailleurs : The Scotsman, The Telegraph, Hilde Metzger.
Je n'ai pris d'alcool ce soir-là, j'ai pourtant bien essayé à l'entr'acte, mais alors que je commandais un verre de blanc, la serveuse du Usher Hall me répondit dans un français parfait que la cloche sonnait et que je n'aurais pas le temps de le boire avant le début de la deuxième partie.
La fin théorique du concert était de 21h20, ce qui me laissait en principe largement le temps de rejoindre The Hub pour le concert suivant, mais comme il était 21h41, il me fallait me presser. L'accès à l'arrière-scène se faisant par un escalier donnant sur les coulisses, en filant, j'ai surpris une violoniste séchant les larmes nées de l'émotion de ce merveilleux accomplissement artistique et de l'accueil du public.
⁂
The Hub, Edinburgh — 2013-08-18
Pierre-Laurent Aimard, piano
Játékok (extraits), Kurtág
Marco Stroppa, électronique
Traiettoria (Traiettoria... deviata, Dialoghi, Contrastri), Marco Stroppa
En venant à Usher Hall, j'étais passé par The Hub pour estimer la distance entre les deux salles. Sans traîner, j'avais mis 10' pour faire la descente. Si je voulais arriver à l'heure, il me fallait presser le pas pour faire la montée. J'ai même couru, et au bout de 5'58", j'étais arrivé au Hub à 21h47, largement à temps pour assister au concert de Pierre-Laurent Aimard. Ce concert a eu lieu dans une salle carrée à l'étage du Hub :
La centaine de spectateurs est installée tout autour de l'estrade où se trouve le piano. J'avais décidé d'aller à ce concert en raison de la présence des Játékok de Kurtág. S'il m'a semblé réussir à entrer dans certaines des miniatures, je n'y ai pas ressenti la même émotion que lors du récital de Márta et György Kurtág à la Cité de la musique ou à l'écoute du simple Perpetuum mobile (objet trouvé) par la jeune Hámos Júlia à Budapest. Encore sous le choc émotionnel du concert de COE, j'avoue avoir écouté Kurtág comme s'il s'agissait d'une agréable musique de relaxation... La transition entre Kurtág et Stroppa m'a semblé toute naturelle, ce que je n'aurais pas imaginé a priori. J'avais assisté avec un certain plaisir à la création de l'opéra Re Orso de ce compositeur. Le piano de Pierre-Laurent Aimard se fait très souvent très percussif. Depuis une console, Marco Stroppa transforme le son qui est spatialisé grâce à un ensemble d'enceintes placées en hauteur le long des murs de la salle carrée. Alors que l'obscurité est presque totale, c'est à un voyage dans un univers psychélique que le compositeur et le pianiste invitent les auditeurs. Cela me fait penser à ce que Varèse aurait peut-être fait s'il avait disposé d'une technologie plus avancée.
Ce concert trouvera en moi un certain écho avec l'exposition Transmitted Live: Nam June Paik Resounds que je verrai le lendemain à la Talbot Rice Gallery. L'artiste coréen semble comme Varèse un précurseur dans son domaine, ici l'art vidéo. Vues quelques décennies plus tard, certaines œuvres expérimentales peuvent donner l'impression d'avoir dépassé la date limite de consommation. Cependant, l'accent particulier mis sur le lien entre Nam June Paik et d'autres arts m'a rendu l'exposition intéressante, notamment par le lien avec John Cage, Merce Cunningham ou Beethoven.
Merci pour ce beau compte-rendu Joël! Nous sommes enchantés de t'avoir fait passer deux si bonnes soirées et ce fut un plaisir de t'apercevoir sur le stand.
A bientôt!
Le Cihohi ;-)
C'est quoi le son vraghl?
Quel effectif pour Beethoven (tu t'en doutes, l'affreux réac que je suis a du mal avec les effectifs réduits...)
> C'est quoi le son vraghl?
Un son de musiciens qui jouent avec une conviction qu'on voit rarement dans d'autres orchestres.
> Quel effectif pour Beethoven
Je ne sais plus très bien : trois contrebasses, environ huit premiers violons.
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