2023-07-27 14:18+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XXII
Je ressuscite ce blog après une très longue interruption. Bien sûr, il y a eu le COVID, qui a pour un temps réduit significativement les opportunités d'assister à des spectacles. Toutefois, la raison principale de cette interruption est liée à ma prise de conscience de plus en plus affirmée du caractère extrêmement problématique du style de danse bharatanatyam qui est actuellement le résultat d'un processus d'appropriation culturelle qui s'est fait au cours du dernier siècle au détriment de la caste des praticiens et praticiennes originels de cette forme de danse. Une de mes lectures les plus instructives sur ce processus est le livre Celluloid Classicism de Hari Krishnan à propos duquel j'ai écrit ce compte-rendu mis en ligne sur Narthaki, qui est le portait Internet de référence sur le bharatanatyam (et plus généralement les danses “classiques” indiennes) ; cependant, les articles qui y sont publiés sont généralement complètement vides d'un point de vue esthétique et ne font qu'appuyer le discours dominant.
J'ai acquis la conviction que mes aspirations esthétiques en tant que spectateur étaient parfaitement alignées avec la volonté politique que les artistes héréditaires de bharatanatyam soient mieux représentés. En effet, j'ai souvent observé des récitals de grandes interprètes qui, plutôt que de s'associer à des artistes héréditaires compétents pour composer des séquences techniques de danse, ou ne serait-ce que de puiser dans le répertoire traditionnel de jatis qu'elles ont appris auprès de leurs maîtres héréditaires (nattuvanars), préfèrent commander des compositions rythmiques à des percussionnistes. J'ai plusieurs fois été horrifié par le caractère anti-musical de certaines de ces créations. J'ai eu le sentiment que cela participait d'une entreprise de destruction de la musique et de la danse.
Mes seules satisfactions avec ce style viennent de mon apprentissage avec le maître héréditaire Kuttalam M. Selvam, et des très rares occasions d'assister à des récitals, où, sans que les artistes héréditaires soient forcément physiquement présents, leur apport esthétique est un minimum audible ou visible.
Music Academy, Kasturi Srinivasan Hall, Chennai — 2023-07-26 à 18:00
Bhavya Kumaran
Sowmya Kumaran, nattuvangam
Murali Parthasarathy, chant
Vedakrishnaram, mridangam
B. Muthukumar, flûte
?, violon
Alarippu (Mishra Chapu Tala)
Jatiswaram (Raga Saveri, Rupaka Tala)
Varnam “Nadani azhaithtuva...” (Raga Kambhoji, Adi Tala)
Ashtapadi “Yahi Madhava” (Adi Tala, Raga Sindhu Bhairavi)
Javali (Raga Khamas, Rupaka Tala), composition de Patnam Subramaniam Iyer
Tillana (Raga Hindolam, Adi Tala), composition de Dandayudhapani Pillai
J'avais déjà eu l'occasion de voir danser Bhavya Kumaran en août 2022 lors de sa participation au festival Spirit of Youth de la Music Academy auquel j'assiste très régulièrement depuis 2015. Elle avait alors obtenu le deuxième prix (derrière le très méritant Shabin Bright) et a été réinvitée pour un récital de la HCL Series. J'avais beaucoup apprécié ce récital qui m'avait semblé être comme une capsule temporelle donnant une certaine indication de ce que pouvait être la danse bharatanatyam il y a 30 ou 40 ans. En effet, la mère de la danseuse, Sowmya Kumaran, a appris la danse initiallement auprès de l'artiste héréditaire Jayalakshmi Arunachalam, puis a émigré aux États-Unis, y a enseigné à sa fille Bhavya, en maintenant manifestement un grand soin dans la préservation de la forme traditionnelle du récital Margam, du vocabulaire des adavus et des particularités du style de Thanjavur. Cela reste bien sûr problématique, mais il s'agit manifestement de personnes qui comprennent la valeur de la contribution esthétique des artistes héréditaires.
Le récital de ce soir a été de très grande qualité. J'ai été agréablement surpris que le programme commence par deux types de pièces qui tendent à disparaître des programmes : Alarippu et Jatiswaram. Comme dans tout le reste du récital, la complète maîtrise technique de la danseuse est évidente. Les comptes de la danse restent modérément complexes et plutôt en vitesse moyenne, ce qui permet de bien apprécier les moindres mouvements ornementaux de la danseuse. Une des particularités de certains maîtres originaires de Thanjavur (comme Guru Herambanathan Pillai) apparaît dans le Jatiswaram et sera aussi visible dans le Varnam : chaque korvai est précédé d'une ligne complète de mouvements de tête (attami) qui procurent une respiration bienvenue dans les chorégraphies.
Toutefois, ce récital n'est pas exactement ancré dans la même tradition que celui auquel j'avais pu assister en 2022. En effet, la pièce principale du récital, le Varnam “Nadani azhaithtuva...”, ainsi que les deux pièces de pur abhinaya suivantes ont été enseignées par la danseuse Lavanya Ananth, qui fait partie des rares artistes qui respectent très fidèlement la forme du Margam. Tout en gardant certaines spécificités du style originel de la danseuse, la chorégraphie comporte des jatis très jubilatoires de la tradition Vazhuvoor, dont le magnifique jati off-beat “ta ri tatana ta ri tajono...” composé par Vazhuvoor Ramiah Pillai : le décalage volontaire entre les ononatopées récitées et les pas de danse sont très bien mis en valeur par la danseuse. Les motifs de Tattu Muttu sont relativement complexes, notamment par l'utilisation de triolets (tishra-nadai), mais restent très musicaux. Les sections d'abhinaya de la première partie du Varnam développent selon le schéma traditionnel l'évolution du sentiment amoureux de l'héroïne pour le dieu Muruga. Le Pallavi évoque une jeune héroïne qui s'émerveille de la vue de Muruga, et qui souhaite l'épouser. Elle croit sentir sa présence, mais ce n'est qu'une illusion. L'Anupallavi met en scène le sentiment de séparation amoureuse de l'héroïne, qui entretemps a grandi. Il est très appréciable que la chorégraphie se focalise résolument sur les sentiments de l'héroïne, allant ainsi à contre courant de la tendance actuelle qui consiste à narrer de multiples exploits du dieu concerné sans rapport évident avec le texte chanté.
Les deux pièces d'Abhinaya qui ont suivi ont été enseignées par Lavanya Ananth, et s'inscrivent dans le style de Kalanidhi Narayanan. Chacune des deux pièces commence ainsi par un prélude accompagné par le percussionniste et les instruments mélodiques avant que le texte de la composition musicale ne se fasse entendre. J'ai particulièrement apprécié le caractère espiègle du Javali dans lequel l'héroïne, touchée par les flèches de Kama, ne peut retenir son sentiment amoureux pour Venkateshwar.
Le récital s'est conclu par un très beau Tillana dédié à Shiva (composé par le nattuvanar K. N. Dandayudhapani Pillai).
2019-11-02 16:03+0100 (Paris) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Maison de l'Inde, Cité universitaire — 2019-10-08
Anusha Cherer, danse bharatanatyam
Bhavana Pradyumna, chant carnatique, nattuvangam
Venkat Krishnan, mridangam
Charles Parameshwaralingam, violon
Dr M. Balamuralikrishna, compositions
Sivaselvi Sarkar, Rama Vaidyanathan, Vidhya Subramanian, Anusha Cherer, chorégraphies
Pushpanjali (Adi Tala, Raga Arabhi), chorégraphie de Sivaselvi Sarkar
Varnam “Omkara” (Adi Tala, Raga Shanmukhapriya)
Ashtapadi “Yahi Madhava” (Adi Tala, Raga Sindhu Bhairavi)
Thillana (Adi Tala, Raga Kadana Kuthuhalam)
Mangalam
(Full disclosure: Le spectacle dont je rends compte ici a été organisé par la chanteuse Bhavana Pradyumna avec qui j'ai eu plusieurs fois l'occasion de collaborer sur plusieurs spectacles.)
Depuis qu'elle s'est installée à Paris il y a quelques années, la chanteuse carnatique Bhavana Pradyumna organise tous les ans un événement Nritya Naada où des compositions de danses sont présentées. La première édition en 2016 était consacrée au répertoire de M. S. Subbulakshmi, la deuxième en 2017 (à laquelle je n'ai pas assisté) au compositeur-chorégraphe Madurai Muralidharan, la troisième en 2018 au compositeur et violoniste Lalgudi Jayaraman. L'édition 2019 est consacrée aux compositions de Dr. M. Balamuralikrishna que j'eus le privilège d'entendre lors d'un très bref mais néanmoins inoubliable concert en 2013.
Il faut souligner cette initiative, puisque depuis le désengagement du Théâtre de la Ville et du Musée Guimet des danses classiques indiennes, il est devenu très rare d'assister à des récitals complets de danse bharatanatyam qui soient accompagnés de musiciens. Comme lors de l'édition 2018 de Nritya Naada, c'est un Margam relativement fourni qui est interprété par les musiciens et par la chanteuse.
Certaines des compositions de Dr. M. Balamuralikrishna sont devenues des classiques du répertoire dansé. C'est le cas d'un certain nombre de ses Thillanas ainsi que du Pushpanjali en Raga Arabhi qui fait partie de ce programme. J'avais déjà entendu parler de son Varnam Omkara parce qu'une danseuse que je connais très bien avait envisagé de le danser, mais je ne l'avais jamais vu sur scène.
Pour ce programme avec musiciens, la danseuse est Anusha Cherer dont j'avais déjà apprécié le travail lors de précédents récitals en 2015 et 2018. Le programme commence par le Pushpanjali “jhem jhem tanana” chorégraphié par Sivaselvi Sarkar, le guru de la danseuse, qui l'avait déjà interprété lors de son dernier récital au Centre Mandapa. C'est un réel plaisir d'entendre et de voir cette danse interprétée de façon très musicale.
La pièce principale du récital est le Varnam “Omkara” en Raga Shanmukhapriya et Adi Tala. Le programme ayant été préparé en très peu de temps (deux semaines), la danseuse a utilisé des jatis qu'elle avait déjà dansés lors de son précédent récital au Centre Mandapa. J'ai en particulier reconnu le tri-kala sur le thème “Ta di nutadimi ta di nutadimi ta nutadimi ta takundari kitataka” extrait d'un autre Varnam chorégraphié par Rama Vaidyanathan, la composition rythmique étant probablement due au défunt Karaikudi Sivakumar. Ses jatis sont en général très complexes, et j'avoue n'avoir que très rarement réussi à clapper le tala lors que j'ai entendu ses jatis lors de spectacles... Ici, la récitation et les thalams sont assurés par la chanteuse Bhavana Pradyumna dont la récitation m'a semblé très régulière dans ces jatis. Fait rare en France, les arudis sont bien exécutés ! Le texte du poème fait l'éloge de celui qui représente la musique qui est issue du son primordial Om. La ligne d'Anupallavi fait plus spécifiquement référence à celui qui porte la flûte (Krishna), et le Muktayi évoque sans ambiguité Vishnu sous la forme de Padmanabha. Ces lignes de texte ont été très bien interprétées par la danseuse.
Le temps de répétition très court pour ce récital s'est à mon avis un peu fait sentir dans l'exécution de la deuxième moitié du Varnam. La deuxième moitié d'un Varnam est en général exécutée à un tempo supérieur, ce qui rend plus difficile l'exécution des séquences techniques et rend quasiment impossible la parfaite intelligibilité du sens du texte exprimé par la danse. La deuxième moitié de ce Varnam est particulièrement complexe rythmiquement parlant, puisque les Ettugada Swarams (ainsi que les paroles associées) ne commencent pas au début du cycle, mais off-beat, et se reconnectent avec une ligne de Caranam, qui si, elle, démarre bien sur le premier temps, présente quelques petites difficultés rythmiques. En principe, les phrases chorégraphiques de ces Swarams devraient donc commencer off-beat, ce qui n'est pas facile à danser... Je ne saurais dire qu'elle était exactement l'intention, mais j'ai senti une certaine hésitation de la danseuse au démarrage de ces Swarams. Je sais à quel point c'est difficile ! mais il aurait été souhaitable que la chanteuse aux thalams et le percussionniste donnent des indications rythmiques plus claires pour permettre à la chanteuse de démarrer plus facilement au bon moment. J'ai été néanmoins impressionné par le démarrage parfaitement off-beat de la danseuse lors des très-redoutables Tatti Metti de la dernière phrase d'Abhinaya ! Par ailleurs, dans cette deuxième partie de Varnam dans laquelle des parties du corps de Vishnu sont comparées à un lotus, j'ai particulièrement apprécié la poésie de la description de la Nature dans le troisième Ettugada Sahitya. Malgré les imperfections de cette performance, qui sont très excusables en raison des courts délais de répétition, j'ai apprécié de pouvoir voir en France un Varnam dansé avec des musiciens.
La pièce suivante n'est pas une composition de Balamuralikrishna : il s'agit de l'Ashtapadi “Yahi Madhava”, extrait du Gita-Govinda de Jayadeva. J'ai eu de nombreuses occasions de le voir représenter. À chaque fois, c'est une expérience différente. Dans le style odissi, j'avais apprécié l'interprétation de Mahina Khanum en 2015 dans une chorégraphie de Kelucharan Mohapatra transmise par Madhavi Mudgal que j'ai eu l'occasion de voir interpréter cette pièce cet été à Delhi. Anusha Cherer a appris cette pièce lors d'un stage avec la danseuse Vidhya Subramanian. De même que dans la version de Kelucharan Mohapatra, la chorégraphie met en scène non seulement les reproches adressés par Radha à Krishna qui sont contenus dans le texte, mais aussi des réponses quelques peu fantaisistes de Krishna qui tente de donner une explication alternative à la présence de marques sur son corps qui trahissent son infidélité. Par exemple, il prétend que les griffures laissées par les ongles de l'autre résultent d'une chute dans les ronces alors qu'il essayait de cueillir des fleurs pour Radha (qui le met en défaut parce qu'il ne les a pas apportées !). Comme dans son précédent récital, j'ai été impressionné par l'Abhinaya d'Anusha Cherer.
Il se trouve que ce n'est pas la première fois que je vois une danseuse
française danser cette pièce transmise par Vidhya Subramanian. Ainsi, j'ai
aussi eu deux fois l'occasion de voir Iran Farkhondeh très bien danser
cette pièce. Je suis donc très étonné par le contraste radical entre les
interprétations de ces deux danseuses. Le scénario
est le même dans
les deux cas, mais l'incarnation est me semble-t-il complètement
différente. Le point de vue d'Iran Farkhondeh était me semble-t-il
d'incarner le personnage de Radha pendant toute la durée de la pièce, ce
qui extrêmement difficile à interpréter puisque lorsque Krishna fait ses
réponses, la danseuse ne peut se transformer en Krishna : elle doit
continuer à incarner Radha et ne peut nous faire comprendre le discours de
Krishna qu'à travers la réaction de Radha à ces paroles. Le seul sentiment
exprimé est celui de la colère froide de Radha. Au contraire, dans
l'interprétation d'Anusha Cherer, si le point de vue principal est
résolument celui de Radha, la danseuse devient
clairement Krishna
quand il répond aux reproches de Radha. J'ai apprécié cette interprétation
qui permet une réconciliation future entre Radha et Krishna : on sait bien
qu'ils vont se réconcilier ! D'ailleurs, dans l'interprétation d'Anusha
Cherer, à la fin de la pièce, quand Radha se détourne de Krishna, on sent
qu'elle hésite quelque peu.
Le récital s'est conclu par un très joyeux Tillana de Balamuralikrishna. Il faut féliciter la personne qui a présenté les pièces pour avoir réussi à prononcer le nom du Raga Kadana Kuthuhalam sans la moindre hésitation ! J'ai particulièrement apprécié la complicité entre la chanteuse et le violoniste dans l'interprétation de cette composition très connue. J'ai pris beaucoup de plaisir en voyant Anusha Cherer interpréter cette pièce. Le moment le plus irrésistible que je retiens est celui, en début de pièce, où elle a interprété de somptueux Mai Adavus avec le mudra Tripataka.
Anusha Cherer dansera avec ses élèves à Paris le 14 décembre.
Venkat Krishnan, Aniruddha & Bhavana Pradyumna, Charles Parameshwaralingam, Anusha Cherer
2019-10-21 09:15+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Centre Mandapa — 2019-09-27
Anuya Rane, bharatanatyam
Mallari (Raga Gambhira Nattai, Mishra Triputa Tala)
Alarippu (Tishra Ekam Tala)
Jatiswaram (Raga Chakravakam, Tishra Ekam Tala, composition du Thanjavur Quartette)
Varnam “Moham aginen inda velaiyil” (Raga Karaharapriya, Adi Tala, composition de Dandayudhapani Pillai)
Nindastuti (Rupaka Tala)
Thillana (Raga Revati, Adi Tala, composition de Madurai N. Krishnan)
J'avais déjà eu l'occasion de voir Anuya Rane danser lors d'un spectacle avec Vaibhav Arekar au Musée Guimet en 2013. Cette fois-ci, elle a interprété en solo un Margam, un récital de format traditionnel, devant un public malheureusement trop peu fourni dans la salle du Centre Mandapa.
Le récital a commencé par un Mallari en Mishra Triputa (11 temps), dans un enregistrement chanté par Preethy Mahesh, incluant diverses vitesses y compris le tishra nadai. La danseuse évoque la procession d'une divinité. La danse technique est musicale, mais dans cette pièce, la danseuse est parfois quasiment debout pour exécuter des mouvements que l'on imaginerait davantage exécutés en demi-plié.
Le récital se poursuit avec l'Alarippu à trois
temps. La chorégraphie de la danseuse utilise des éléments de la
chorégraphie traditionnelle, comme des mouvements d'épaules et des yeux,
exécutés en grand, prenant le contre-pied de l'opinion généralement admise
actuellement visant à les rendre aussi petits que possibles. L'utilisation
de l'espace par la danseuse comporte quelque originalité, comme
lorsqu'elle utilise des mouvements en diagonale ou n'utilisant qu'une seule
main à la fois. La composition rythmique présente aussi une surprise dans
la construction du jati de l'Alarippu qui ne se finit pas ici par
l'habituel motif croissant
tadinginatom-takatadinginatom-takadikutadinginatom
, mais qui
l'inclut dans une triple formule en accordéon
: la formule
croissante habituelle est dite une fois à l'endroit, puis une fois à
l'envers (en décroissant), et une dernière fois à l'endroit de façon
légèrement différente
(tadin-ginatom)(takatadin-ginatom)(takadikutadin-ginatom)
.
Après cette entrée en matière, la première pièce véritablement substantielle est un Jatiswaram traditionnel composé par le Thanjavur Quartette. Je ne connaissais cette composition en Raga Chakravakam que par un opportun effet Zahir, mon professeur m'en ayant parlé quelques jours auparavant. Dans cette pièce, j'apprécie la simplicité des marches de transition effectuées avec épaulement, la beauté des passages techniques, très bien exécutés, et très clairs rythmiquement.
La pièce principale du récital est le Varnam “Moham aginen inda velaiyil” en Raga Karaharapriya et Adi Tala composé par le Nattuvanar Dandayudhapani Pillai. Avant que la composition proprement dite ne commence, pendant l'Alap, la danseuse incarne l'héroïne qui dans un rêve croit apercevoir Shiva. À son réveil, elle comprend que ce n'était qu'une illusion. Comme dans le Jatiswaram, la partie technique de la danse est très maîtrisée par la danseuse, toujours exacte rythmiquement, y compris dans les motifs rapides des arudis ponctuant la fin des Jatis. Dans cette version du Varnam, il y a une double ration de Jatis. En effet, entre la première et la seconde ligne du Pallavi intervient habituellement le deuxième Jati d'un Varnam, mais ici, au lieu d'un jati, il y en a eu deux à la suite, et de même avant chacune des autres lignes de textes de la première partie du Varnam, comme le font certaines écoles de bharatanatyam. Dans le Pallavi, l'héroïne exprime à quel point elle est intoxiquée, alors qu'elle est touchée par les flèches de Kama. La danseuse a été très musicale pendant tout le récital, et son Abhinaya m'a plu, mais j'ai trouvé dommage que les frappes de pieds aient été aussi violentes quand il s'agissait d'exprimer que l'héroïne était atteinte par les flèches florales de Kama. Dans l'Anupallavi, la chorégraphie met en scène la danse de Shiva-Nataraja dans le temple de Chidambaram et l'héroïne demandant à son amie que le dieu vienne l'enlacer. Plus loin, elle se plaint du mal que lui fait la lumière reflétée par la Lune. Dans la deuxième partie du Varnam, l'héroïne souffre de la séparation. De façon intéressante, une des lignes de texte fait écho au rêve qui avait été mis en scène pendant l'Alap. Il n'y avait pas eu de Tattu Muttu dans la première partie du Varnam. Les lignes de textes de la deuxième moitié ont inclus des Tattu Muttu, qui étaient très en place rythmiquement, mais malheureusement pas suffisamment accentués à mon goût, ce qui est étonnant puisque les frappes étaient très bien appuyées dans les beaux passages techniques de ce Varnam.
La composition suivante est un Nindastuti, dans lequel une dévote semble critiquer de façon ironique le dieu Shiva. Elle prétend ne faire que rapporter les commérages que les gens font à propos de lui. La danseuse avait déjà interprété cette pièce lors du récital avec Vaibhav Arekar. Il ne porte qu'un quart de Lune, et même pas la Lune toute entière. C'est un mendiant, qui mange les restes des repas des autres. Il n'a pas d'endroit où poser son deuxième pied. Sa monture (le buffle) lui donne une démarche ridicule. Comme dans le Varnam, l'Abhinaya de la danseuse est très convaincant !
Le récital s'est conclu par le Tillana en Raga Revati et Adi Tala composé par Madurai N. Krishnan. J'ai apprécié de voir cette composition dansée dans un tempo plus raisonnable que dans la chorégraphie différente que je connais.
Il est devenu rare que l'on voie à Paris un Margam aussi complet et bien exécuté. Merci beaucoup à la danseuse pour ce récital !
2019-08-31 17:28+0300 (Helsinki) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XIX
(Full disclosure: le jour de ce récital, j'ai eu le plaisir de déjeuner en tête-à-tête avec le guru de la danseuse, Praveen Kumar, qui souhaitait me rencontrer depuis longtemps. Il ne m'a alors pas donné d'informations à propos de ce récital que je ne connusse déjà, comme le choix du Varnam et du Javali. Après le récital, il m'a demandé de lui envoyer mon feedback. Le billet qui suit est essentiellement une adaptation en français des observations que je lui ai envoyées, et qu'il a beaucoup appréciées !)
Depuis 2015, j'essaye de faire en sorte d'être à Chennai au début du mois d'août afin d'assister au festival Spirit of Youth qui se tient dans la petite salle de la Music Academy. Tous les soirs du 1er au 10 août, de jeunes musiciens et danseurs de moins de 25 ans se produisent. Un jury très discret assiste à toutes les représentations et décerne des prix qui sont formellement remis lors de la soirée d'inauguration du Festival de la Music Academy en janvier. Cette fois-ci, j'ai assisté à sept des dix récitals de danse. Je reviens ici sur le récital qui m'a le plus marqué, celui de Shreema Upadhyaya, disciple de Guru P. Praveen Kumar (Bangalore).
The Music Academy, Kasturi Srinivasan Hall, Chennai — 2019-08-03
Shreema Upadhyaya, bharatanatyam
Sri. P. Praveen Kumar, nattuvangam, chorégraphies
Sri. Karthik Hebbar, chant
Sri. Gurubharadwaj, mridangam
Sri. Aniruddha, violon
Shloka, suivi de “Gajamukha...” (Raga Mayamalavagaula, Adi Tala), composition de Vadiraja Swami
Alarippu (Khanda Chapu)
Navarasa Shloka, poème d'Adi Shankaracharya
Varnam “Rupamu Juchi” (Adi Tala, Raga Todi), composition attribuée à Muthuswami Dikshitar
Javali “Sako Ninna Sneha” (Mishra Chapu Tala, Raga Kapi), composé par Venkatagiri Shastri
Kirtana “Ododi Vandhen Kanna” (Adi Tala, Raga Dharmavati), composé par Ambujan Krishna
Thillana (Adi Tala, Raga Thillang), composé par Lalgudi G. Jayaraman
Après une invocation chantée de Ganesh, le récital a commencé par un Alarippu en Khanda Chapu qui m'a semblé superbement dansé. J'ai aussi particulièrement apprécié la récitation par Praveen Kumar qui dans cet Alarippu comme dans les jatis du Varnam utilise différentes types d'intonation, parfois plus douce, parfois plus forte que la normale.
La danseuse a poursuivi avec un Shloka “Sharada...” dédié à la Déesse, principalement en tant que Saraswati. Le choix d'interprétation consiste à incarner l'émerveillement (adbhuta) suscité par celle qui porte la vina.
Shreema Upadhyaya
(Les photographies ont été prises lors d'un
précédent programme.)
La pièce princiale du récital a été le Varnam “Rupamu Juchi” qui est, peut-être faussement, attribué à Muthuswamy Dikshitar, qui n'a jamais rien composé pour la danse. En effet, cette composition n'est pas prévue pour la danse puisque la deuxième partie de ce Chauka Varnam ne comportait initialement que des Ettugada Swarams en plus de la ligne de Caranam. Les paroles (Ettugada Sahitya) ont été composées par le musicien Tiger Varadacharya dans les années 1930 à la demande de Rukmini Devi Arundale. Depuis, ce Varnam fait partie du répertoire de Kalakshetra, et au cours de ce festival Spirit of Youth, j'ai eu l'occasion de voir une autre danseuse interpréter ce Varnam de façon probablement rigoureusement conforme à la volonté de Rukmini Devi, cf. plus bas...
La chorégraphie interprétée par Shreema Upadhyaya est celle de son guru Praveen Kumar. J'ai particulièrement apprécié la musicalité des passages techniques : Jatis et Swarams, tous magnifiquement chorégraphiés et dansés. Dans les Tirmanams, Praveen Kumar utilise des intervalles de silence (karvais) plus longs que ne le font la plupart des chorégraphes. Il est facile d'aider la danseuse en remplissant le vide musical avec des frappes des thalams (cymbales), mais Praveen Kumar ne l'a pour ainsi dire pas fait, son élève étant parfaitement capable de tenir les silences en reprenant exactement là où il le faut. Visuellement, les chorégraphies m'ont semblées très belles, notamment par l'utilisation d'adavus relativement peu utilisés, comme les Nattadavus doublés ou les adavus n'utilisant qu'une main (comme ceux introduits par Muthuswamy Pillai). Mon plus grand plaisir est venu du contraste entre les différentes vitesses dans les mouvements. Par exemple, le troisième Jati était essentiellement en vitesse moyenne, mais depuis cette vitesse, la danseuse pouvait accélérer ou au contraire ralentir les mouvements. Au contraire, le deuxième Jati a commencé à une vitesse exquisement lente, et les mouvements se sont accélérés vers la fin. J'ai apprécié la musicalité de la danseuse, capable de produire de beaux contrastes d'intensité sonore pour les différents pas : c'était particulièrement délectable dans le quatrième Jati dans laquelle la danseuse accentuait la deuxième syllabe des ta-TAI-tai-ta (Vishru/Marditha) adavus. L'architecture rythmique de ce dernier Jati de la première moitié du Varnam était particulièrement intéressante puisque le premier bloc conclusif comportait des séries de "tadiginatom" (précédés de karvais), le deuxième bloc était fait de "dikutadiginatom" et le dernier bloc de "takadikutadiginatom". Aussi, dans toute la danse pure, j'ai apprécié la beauté de l'inattendu (visuel ou rythmique), qui pouvait arriver à tout moment, quoique plus particulièrement à la toute fin des Jatis.
J'ai apprécié l'Abhinaya de la danseuse dans ce récital : très claire et expressive, sans maniérisme ni sur-ornementation. Au début du Varnam, l'héroïne admire Shiva. Il porte le croissant de Lune, la peau de tigre, etc. Elle cherche à se rapprocher de lui. Plus loin, elle craint son indifférence ou sa colère, lui qui a réduit en cendres Kama. Dans la première ligne de l'Anupallavi, la danseuse interprète de façon remarquable deux Sancharis, l'un évoquant le jeune Markandeya et l'autre le rôle de Shiva en tant que Nilakantha lors du barattage de la mer de lait. J'ai apprécié que ces Sancharis ne soient pas excessivement dramatisés. Par exemple, pour le premier Sanchari, elle ne joue que le rôle de Markandeya : elle ne montre pas Yama, le dieu de la Mort, venu mettre un terme à la vie du garçon. Elle suggère seulement brièvement la douleur de Markandeya. Ce n'est pas un combat terrible et très long comme je l'ai déjà vu (et cela m'a parfois très impressionné). Je souscris complètement à ce choix esthétique, qui demande certes une attention soutenue des spectateurs, mais qui permet aussi de ne jamais perdre de vue le sens du texte. C'était magnifiquement fait, mais il va sans dire qu'il y a quelques années je n'aurais rien compris à ce qui se jouait là ! (L'investissement du chanteur Karthik Hebbar est à noter, puisqu'il a chanté les Sancharis, ce qui est assez rare à Chennai, le violoniste ou flûtiste prenant habituellement le relais pour ces développements.)
La deuxième ligne de l'Anupallavi nomme Shiva sous le nom de Tyagaraja, sa forme résidant à Tiruvarur, où je ne suis malheureusement pas encore allé. En voyant l'abhinaya de la danseuse, je me suis demandé s'il n'y avait pas quelque ironie dans la frustration de l'héroïne, puisqu'une toute petite partie du corps de Tyagesha y est visible...
Dans la deuxième moitié du Varnam, s'il y a une chose que je retiendrai, c'est le sublime Arudi que la danseuse a exécuté la toute première fois. Cette ponctuation intervient à la fin des Swarams. Rythmiquement, cela devrait ressembler à quelque chose comme ça :
La série de “dit ta -“ rapides était exécutée avec des frappes de pieds en Araimandi, alors que les mains de la danseuse étaient liées au-dessus de sa tête. La conclusion de l'Arudi au milieu du cycle avec les trois dernières syllabes “di di ta” (en vert ci-dessus) se faisait sans mouvements de pieds, uniquement avec un délicat mouvement d'épaule. C'était sublimement exécuté. Pour ponctuer tous les Swarams suivants, la danseuse a refait le même Arudi, mais au lieu de terminer avec uniquement trois mouvements d'épaules, elle a en même temps fait aussi trois frappes de pieds. Cela m'a fait croire que l'intention était de faire à la fois des mouvements d'épaules et de pieds pour conclure l'Arudi de la deuxième moitié du Varnam. J'ai alors cru que la première version dansée (sans les pieds, uniquement les mouvements d'épaule) était une erreur, mais une erreur tellement sublime que cela méritait à mon avis d'être la façon correcte d'exécuter cet Arudi, et Bingo ! quand je m'en suis émerveillé auprès du chorégraphe, il a confirmé que c'était en fait son intention de conclure uniquement avec des mouvements d'épaule...
Dans le Javali dans lequel l'héroïne est en colère avec son amant qu'elle soupçonne d'être infidèle, j'ai apprécié l'aptitude de la danseuse à bien caractériser les différents personnages. Dans toutes les parties d'Abhinaya de ce récital, y compris la composition d'Ambujam Krishna dans laquelle l'héroïne cherche Krishna, qu'elle trouve finalement, j'ai aimé l'aisance avec laquelle la danseuse pouvait suggérer beaucoup sans utiliser le moindre mouvement ou position des mains, mais en utilisant uniquement les yeux ou des micro-mouvements du corps.
Le Thillana a été un pur régal pour moi. J'ai été amusé par le caractère créatif de la seconde série de Mai Adavus dans laquelle la danseuse fait faire un tour et demi à ses bras tenus, comme si une roue tournait. Contrairement à ce que suggère la description, c'était très élégant, comme tout ce qu'a dansé Shreema Upadhyaya. Je me suis particulièrement délecté d'un adavu que j'ai rarement eu l'occasion de voir (auquel je donne le nom de crocodile-mouth-opening ta-tai-tai-ta).
De tous les spectacles que j'ai eu l'occasion de voir cet été en Inde, c'est sans doute celui qui m'a le plus satisfait. Bravo à Shreema Upadhyaya et à son guru Praveen Kumar pour ce merveilleux moment !
⁂
Les résultats du concours Spirit of Youth 2019 sont tombés cette semaine. Mes favories étaient Shreema Upadhyaya et Shruthipriya R, mais le jury a préféré Bristy Rani (disciple de Sheejith Krishna) et n'a accordé que le deuxième prix à Shruthipriya R.
Voici très brièvement mes impressions sur les participants que j'ai vus :
2019-06-22 14:11+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Centre Mandapa — 2019-04-11
Kalpana, bharatanatyam
Emmanuelle Martin, chant carnatique
Venkat Krishnan, mridangam
Offrande de fleurs et Shloka “Mūṣikavāhana” (Raga Natai, chorégraphie de Kalanidhi Narayanan)
Muruga Kautwam (Raga Shanmukhapriya, Chatushra Ekam Tala, chorégraphie de Muthuswamy Pillai)
Jatiswaram (Raga Vasanta, Rupaka Tala, composition du Thanjavur Quartette, chorégraphie de Muthuswamy Pillai)
Kalaitooki (Raga Harikamboji, Adi Tala, composition de Marimuttu Pillai, chorégraphie de Muthuswamy Pillai)
Kṛṣṇakarṇāmṛtam (Shloka) “Rāmo nāma babhūva” (Ragamalika, poème de Bilvamangala, chorégraphie de Kalanidhi Narayanan)
Kriti “Sukhi Evaro” (Raga Kanada, Adi Tala, composition de Tyagaraja)
Tillana (Raga Shankarabharanam, Adi Tala, composition de Pooci Srinivasan Iyengar, chorégraphie de Muthuswamy Pillai)
Annapūrṇāstotram (deux shlokas) (poèmes d'Adi Shankaracharya, chorégraphie de Kalanidhi Narayanan)
J'ai déjà eu plusieurs fois l'occasion de voir danser Kalpana (notamment en 2015, 2017). Je respecte son parcours auprès de ses gurus V. S. Muthuswamy Pillai et Kalanidhi Narayanan, et son travail de professeur qui lors de spectacles de ses élèves m'a permis de voir des chorégraphies de Muthuswamy Pillai et de son fils Kuttalam M. Selvam : j'avais déjà eu l'occasion de voir ce style chez Mallika Thalak, Nancy Boissel, Ofra Hoffman, mais ce fut un récital d'élèves de Kalpana qui en 2015 qui me fit franchir le pas et envisager sérieusement de recevoir l'enseignement de Guru Kuttalam M. Selvam à Chennai, auprès de qui je prends des cours plusieurs semaines par an depuis. Je lui suis donc reconnaissant pour cela ainsi que pour quelques unes de ses initiatives, comme par exemple une Master-class avec Malavika Klein, la doyenne des danseuses et danseurs de bharatanatyam en France, à laquelle j'ai eu le privilège de pouvoir participer.
Je voudrais rappeler que si je suis ici souvent critique sur certains aspects de récitals auxquels j'assiste, il ne s'agit aucunement d'attaques personnelles : je tente de rendre compte de mon expérience esthétique, qui relève de mon ressenti lors d'un spectacle tout en étant indissociable de connaissances progressivement acquises au fil des années sur la forme artistique. Ainsi, certaines de mes remarques sont plutôt objectives puisque l'on peut considérer qu'elles reposent sur des faits (est-ce que les pas de danse sont exécutés de façon musicale ?) et d'autres sont plus subjectives (place d'une pièce comme Eppadi manam dans le répertoire). Sur ce qui est de nature plutôt objective, il peut m'arriver de me tromper (et je revendique le fait d'écrire mes billets avec une clarté suffisante pour qu'il soit au moins possible de pointer une erreur factuelle), et sur ce qui est plus subjectif, il peut exister plusieurs opinions, et je serais ravi de discuter de tels différends esthétiques.
Ce double préambule ayant été fait, venons-en au récital du 11 avril. J'aurais sincèrement aimé apprécier ce récital, mais je n'ai pas pu le regarder sans éprouver un certain malaise.
La première double pièce du récital était accompagnée par la chanteuse
Emmanuelle Martin pour qui j'ai la plus grande admiration. Cependant, j'ai
peu goûté la première chorégraphie intitulée Offrande de fleurs
qui
m'a semblé très austère, quasiment funèbre, à l'exact opposé de
l'atmosphère pleine de vie habituellement créée par un
Pushpanjali. Cette offrande était accompagnée d'un Alap,
donc sans pulsation rythmique régulière, et la chorégraphie consistait
principalement en une salutation aux points cardinaux entrecoupée de longs
moments d'immobilité. La danseuse a ensuite interprété le Shloka
Mūṣikavāhana dédié à Ganesh, celui dont le véhicule est une
souris.
Les trois pièces suivantes utilisaient des musiques enregistrées dans lesquelles on pouvait entendre le magnifique chanteur Madurai T. Sethuraman. Dans le Muruga Kautwam et encore plus particulièrement dans le Jatiswaram, j'ai été très gêné par le manque de musicalité dans l'interprétation des passages techniques. Pour moi, le bruit des pas fait partie intégrante de la composante musicale de la danse bharatanatyam, et il ne s'agit pas là de frapper tous les pas comme une brute. Au minimum, les mouvements doivent être exécutés en rythme, mais je pense qu'idéalement, on devrait pouvoir entendre la composition rythmique des enchaînements rien qu'en écoutant les pas. Le génie du chorégraphe Muthuswamy Pillai réside à mon avis autant dans sa façon particulière de créer des adavus et d'utiliser l'espace que dans la complexité de ses compositions rythmiques. Je ne peux apprécier ce dernier aspect quand les mouvements de pieds “diditai” sont escamotés ou à peine esquissés, et toujours inaudibles. La plupart du temps, les pas ne sont pas du tout frappés, et pour certains adavus, certains pas qui devraient être accentués sont silencieux et d'autres bizaremment plus frappés. Cela m'aurait peut-être moins perturbé si mon placement m'avait permis de voir les pieds de la danseuse à tout moment, mais cela m'a procuré une sensation vraiment très étrange de dissonance cognitive entre les motifs rythmiques que je percevais dans la musique enregistrée, les mouvements de bras que je voyais et les pas que j'entendais ou non. Pour moi, c'est une frustration énorme : le génie du chorégraphe n'est pas avec nous pendant la représentation. Cela dit, c'est un aspect du bharatanatyam qui pose problème avec beaucoup de praticiens de cette danse en France...
La pièce Kalaitooki a certainement été la pièce la mieux réussie dans ce début de ce récital. La pièce évoque Shiva, qui a le pied levé, lorsqu'il danse au temple de Chidambaram. Il est le père de Muruga. C'est aussi Ardhanarishwara ; il porte la Ganga et la Lune. Sa danse est accompagnée par le tambour de Nandi, Narada, les thalams de Brahma, etc. Le texte et la chorégraphie évoquent aussi l'apparition de Shiva sous la forme d'une colonne de lumière infinie dont Vishnu et Brahma furent mis au défi d'atteindre une extrémité. La chorégraphie représente Vishnu tentant de rejoindre le bas, mais semble-t-il pas la tentative de Brahma d'atteindre le haut.
J'avais déjà eu l'occasion de voir Kalpana danser la pièce suivante
“Rāmo nāma babhūva” deux fois à la suite. Il
était agréable ici d'entendre Emmanuelle Martin plutôt qu'une musique
enregistrée : c'est ce qui m'a procuré le plus de plaisir dans ce
récital. Néanmoins, l'accompagnement au mridangam par Venkat Krishnan
m'a semblé assez étrange dans cette pièce, puisqu'à certains moments il
a introduit une pulsation régulière alors que cela ne servait à mon avis
ni le discours musical ni la chorégraphie. Le musicien, très bon
rythmicien, a peu d'expérience avec la danse, et le rôle du mridangam
dans un Shloka n'a rien à voir avec le rôle habituel d'un
percussionniste lors d'un récital de chant, puisqu'il s'agit plus ou
moins de créer des effets qui soulignent de façon relativement discrète
certains points-clefs de la chorégraphie. L'interprétation de Kalpana
m'a paru très convaincante dans ce poème dont la chorégraphie évoque
l'histoire de Rama jusqu'à l'enlèvement de Sita. Il y a bien eu quelques
maladresses, comme des transitions parfois un peu floues entre les
différents chapitres
. Aussi, alors que Yashoda raconte l'histoire
de Rama à son fils adoptif, j'ai trouvé assez peu claire l'intervention du
jeune Krishna qui semble tenter de venir au secours de Rama : je ne vois
pas comment on est censé comprendre que c'est Krishna qui intervient.
Pour le reste, la pièce m'a semblé très bien interprétée.
La récital s'est poursuivi par l'interprétation d'une composition de Tyagaraja par Emmanuelle Martin, s'enchaînant avec un solo élaboré de Venkat Krishnan au mridangam.
Jusqu'ici, en termes de pièces de danse accompagnées par de la musique
interprétée en direct, le récital avait comporté deux Shlokas
comme “Mūṣikavāhana” et “Rāmo nāma babhūva”. Les pièces de ce type ne
nécessitent pas un travail énorme de mise en place dans la relation entre
la danse et la musique : il s'agit surtout pour la chanteuse d'être
attentive à préserver le flot de la danse sans le brusquer ni le ralentir.
C'est une tâche tout autre de mettre en place une pièce combinant la danse
et la musique dans un cadre rythmique précis comme dans un
Thillana, ce qui a été le cas ici. Par rapport aux autres pièces
de danse pure, Kalpana frappe souvent ses pas de façon beaucoup plus forte
et plus nette. Néanmoins, dans les parties conclusives des enchaînements,
là où le rythme est le plus intéressant, ses pas se font malheureusement
beaucoup plus hésitants, et tombent parfois manifestement à côté. La
composition qui est semble-t-il de Pooci Srinivasan Iyengar a un
Pallavi qui commence par (nadr) dim dim tana dhirana...
,
avec les syllabes nadr
qui sont prononcées en anacrouse (avant le
premier temps). Le manque de clarté des phrases conclusives a fait que je
n'ai pas réussi à savoir si l'intention était de finir les enchaînements
juste avant le premier temps, ou bien juste avant l'anacrouse. La partie
d'Abhinaya du Thillana dédiée à Padmanabha a été omise. À la
place, des séquences accompagnées d'onomatopées rythmiques récitées ont été
interprétées. Il est très dommage que le percussionniste n'ait pas été en
mesure de jouer et réciter ces parties tout en regardant la danseuse : il
avait constamment le nez dans ses notes. Bref, le travail de répétition n'a
pas été optimal pour cette pièce ; si l'orchestre avait également comporté
une personne jouant des thalams (nattuvangam artist
), le
résultat aurait sans doute été plus convaincant, parce que le rôle de cette
personne est entre autres de faire le lien entre la danse et les autres
musiciens...
Le récital s'est conclu par deux Shlokas dédiés à la Déesse extraits de l'Annapūrṇāstotram, semble-t-il “Nityānandakarī...” et “Urvī sarvajaneśvarī bhagavatī...” dont j'avais déjà eu le plaisir d'apprécier les interprétations de Shakuntala (en 2011 et à d'autres reprises entretemps).
2019-05-15 12:05+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Centre Mandapa — 2019-05-14
Mythili Zatakia, danse bharatanatyam
Sandhya Pureccha, chorégraphies
J'ai assisté au récital de bharatanatyam de Mythili Zatakia (24 ans) un peu par hasard. N'ayant aucune information particulière sur la danseuse, ce qui m'a décidé à venir est sans doute que son Guru Sandhya Pureccha est une disciple d'Acharya Parvati Kumar (1921-2012) de Mumbai qui fut aussi le premier guru de Sucheta Chapekar qui est le guru de mon professeur Jyotika Rao et avec qui j'ai eu la chance d'apprendre aussi directement à Pune. Acharya Parvati Kumar est notamment connu pour avoir réintroduit dans le répertoire du bharatanatyam des compositions en marathi attribuées au roi Serfoji II qui régna à Thanjavur de 1798 à 1832 et qui est contemporain des célèbres membres du Thanjavur Quartette dont les compositions constituent le socle du répertoire de la danse bharatanatyam.
J'allais assister à ce récital en me disant que peut-être Sandhya
Pureccha aurait transmis à son élève des compositions extraites des
Nirupanas attribués à ce roi Serfoji. Quand la danseuse s'est avancée pour
faire son Namaskar, la salutation traditionnelle, j'ai apprécié la
force de sa frappe, mais dès l'instant où la première musique enregistrée a
retenti, j'ai été affligé par l'esthétique musicale sirupeuse, qui sera
constante pendant tout le récital : harmonies saturées des synthétiseurs,
kitchissime extrême des chants qui étaient semble-t-il en sanskrit pour la
plupart, tendance à une bhajanisation
de pacotille de textes
d'inspiration dévotionnelle (Vakratunda..., Ekadanta...,
Panchakshara stotra sur le mantra Om Namah Shivaya,
etc.).
S'il y a de quoi être consterné par l'esthétique musicale de ce récital,
je l'ai été encore davantage par l'absence complète d'idée chorégraphique
en termes de danse pure. Certains passages expressifs ou narratifs, en
particulier dans le Panchakshara stotra “Nagendra Haraya”, étaient
tout à fait raisonnables. Pour le reste, je n'ai vu qu'une danseuse
pratiquer quelques adavus (enchaînement de base) en première
vitesse, sur des multiples de quatre temps. C'était d'un ennui total.
Aucune des règles esthétiques que les maîtres de danse se doivent de
respecter n'ont été appliquées... Les phrases chorégraphiques doivent
suivre une certaine grammaire et comporter certaines ponctuations. Il n'y
avait rien de tout cela : aucun polyrythme, aucune séquence conclusive
(Tirmanam) digne de ce nom, des Tattu Muttu qui ne sont pas
chorégraphiés de façon correcte par rapport à la musique, etc. Toutes les
pièces étaient sur le même modèle. Malgré le caractère simpliste des
chorégraphies
et la faible vitesse d'exécution, la danseuse m'a
semblé très peu musicale, de nombreuses frappes de pieds tombant très à
côté. Néanmoins, il y avait quelques petits détails intéressants dans la
façon d'exécuter certains adavus, comme par exemple une accentuation très
particulière de la deuxième frappe dans les Ta-tai-tai-ta (aussi
appelés Marditha ou encore Vishru adavus). Cependant,
j'ai peu apprécié le port de tête très narcissique et hautain de la
danseuse dans l'exécution de ses pas.
Il m'est souvent arrivé d'assister à des récitals de bharatanatyam et de
ne pas être satisfait pour diverses raisons plus ou moins subjectives qui
pourraient néanmoins faire l'objet d'un débat esthétique, mais jamais je
n'ai été à ce point consterné par une telle absence d'idée chorégraphique.
La personne qui a mis en espace ce spectacle n'est pas un chorégraphe de
bharatanatyam. Il a été annoncé que les chorégraphies avaient été faites
par Sandhya Pureccha avec la participation de la danseuse. Si c'est le cas,
cela disqualifie complètement ce guru à mes yeux, et la danseuse n'est
alors pas vraiment responsable de ces choix esthétiques
. Si les
chorégraphies sont principalement dues à la danseuse, il faudrait qu'elle
prenne conseil auprès de personnes qualifiées... (Après avoir posé la
question à la danseuse, celle-ci prend l'entière responsabilité de ces
chorégraphies.)
2019-01-09 09:22+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII
Music Academy, T.T.K. Auditorium, Chennai — 2019-01-05 à 10:00
Medha Hari, danse bharatanatyam
Jayashree Ramanathan, nattuvangam
K. Hariprasad, chant
Ramshankar Babu, mridangam
Easwar Ramakrishnan, violon
J. B. Sruthi Sagar, flûte
Ardanari Stotram (Ragamalika, Adi Tala), mis en musique par K. Hariprasad
Varnam “Intha Kopamelara” (Raga Thodi, Adi Tala), composition de Pandanallur Meenakshisundaram Pillai
Kirtanam “Eppaddi Manam Thunindhadho” (Raga Huseini, Mishra Chapu), composition d'Arunachala Kavirayar
Javali “Merakadu Lechi ra ra” (Raga Thodi, Adi Tala)
Thillana (Raga Purvi, Rupaka Tala), composition de T. Vaidyanatha Bhagavathar
La danseuse Medha Hari a pour l'essentiel présenté des pièces de
compétition
. Le but semble être de faire un maximum de pas en un
minimum de temps. C'est assez impressionnant, mais cela me laisse de
marbre. Il me semble que dans le première pièce sur
Ardhanarishwara qui s'enchaînait à un Pushpanjali, la
danseuse a utilisé une alternance entre Chatushra- et Khanda-nadai Adi
Tala. Dans certains mouvements et positions de la danseuse, disciple
d'Anita Guha, il me semble reconnaître une influence du kuchipudi.
Dans le Varnam, ce sont aussi des jatis de compétition, commis
par le percussionniste. Il y a beaucoup trop de changements de “nadai”.
Malgré la présence de la géniale Jayashree Ramanathan au nattuvangam, je
n'ai pas réussi à apprécier ces jatis. Dans le Varnam en télugu,
je n'ai pas réussi à comprendre qui était l'objet de l'amour de l'héroïne.
Il est semble-t-il nommé dans l'Anupallavi :
Ṣaṇmukharājeśvara
. Il ne s'agissait pourtant pas de Muruga (qui a
six têtes). J'ai été rassuré quand la personne qui a enseigné le sens du
texte à la danseuse (Jitendra Hirschfeld) m'a expliqué qu'il s'agissait
d'un zamindar qui avait commandé ce Varnam au Nattuvanar
Pandanallur Meenakshisundaram Pillai pour un spectacle de musique de
chambre. J'ai davantage apprécié la deuxième partie du Varnam dans
laquelle la danseuse a inséré entre chaque Swaram/Sahitya non pas seulement
une ou deux répétitions de la ligne de Caranam pour faire des marches lui
permettant de se replacer, mais un nombre plus important de répétitions qui
lui donnaient le temps d'élaborer de différentes manières autout des
flèches florales lancées par Kamadeva. À chaque fois, c'était une
délicieuse respiration avant d'attaquer la section suivante.
La danseuse a ensuite interprété le Padam “(Y)eppaddi manam...” transmis par Bragha Bessell et typique de la tradition de Kalanidhi Narayanan (j'ai vu au moins deux autres de ses disciples l'interpréter : Lavanya Ananth, Kalpana Métayer). Je persiste dans mes réticences à propos de cette pièce dans laquelle Sita reproche à Rama de l'abandonner pour accomplir son exil en forêt. La danseuse l'a montrée en train de pleurer toutes les larmes de son corps. Elle montre aussi Sita en train de rappeler à Rama le serment fait pendant leur mariage. À part les pleurs vraiment excessifs, la danseuse a me semble-t-il bien interprété la chorégraphie en accord avec l'intention du poète, mais pour moi, cette vision est une fiction, puisque la Sita du Ramayana de Valmiki (ou de Tulsidas) est beaucoup plus forte : elle dit immédiatement à Rama qu'elle va le suivre dans la forêt et il n'a pas son mot à dire, ce sera ainsi et puis c'est tout. Il s'agit d'un des rares moments du Ramayana où véritablement Sita exerce sa volonté de façon autonome, je trouve dommage de l'effacer quasi-complètement. Dans la chorégraphie, Sita supplie pour ainsi dire Rama d'accepter qu'elle le suive. Elle retire ses bijoux, salue les aînés et s'en va avec Rama.
La ligne de Pallavi du Thillana conclusif utilise des Swaras au lieu d'onomatopées. L'interprétation musicale et la chorégraphie peut peut-être s'analyser comme une sorte de rubato : le rythme de certaines répétitions est modifié, quelque passage de la phrase étant ralenti et d'autres accélérés. Dans le Caranam, les noms des sept notes de la gamme sont chantés. La danseuse se montre alors très convaincante dans la représentation des dieux et animaux associés à ces notes.
⁂
Music Academy, T.T.K. Auditorium, Chennai — 2019-01-05 à 18:00
Rama Vaidyanathan, danse bharatanatyam
S. Vasudevan, nattuvangam
K. Venkateshwaran, chant
Sumod Sreedharan, mridangam
Viju Sivanand, violon
Kirtana “Perum Kovil Konda” (Raga Sri, Mishra Chapu Tala), composition du Thanjavur Quartette
Kirtana “Pannagendra Sayanam” (Ashtaragamalika, Rupaka Tala), composition de Swati Thirunal
Padam “Emakko Chiguruta Dharampal” (Raga Thilang, Mishra Chapu Tala), composition d'Annamacharya
Javali “Ne nethu sahichu ne” (Raga Paras, Adi Tala), composition de Pattabhiramayya
Shloka “Vāgarthāviva saṃpṛktau vāgarthapratipattaye । jagataḥ pitarau vande pārvatīparameśvarau ॥” (Kalidasa) suivi de l'Ardhanarishwara Ashtakam (Adi Shankaracharya, mis en musique par O.S. Arun en Raga Megh et Adi Tala)
En soirée, je suis retourné à la Music Academy pour le rétical de Rama Vaidyanathan, que j'avais déjà vue il y a cinq ans. La voir en 2013 avait été pour moi une expérience très intense. Cinq ans plus tard, j'ai beaucoup évolué en tant que spectateur. Il est évident que Rama-akka a présence scénique hors du commun, et sa technique de danse pure est assez superlative (par exemple, quel araimandi !). Elle fait un certain nombre de choses qui pour des raisons esthétiques évidentes devraient être considérées comme excessives en termes de répétition ou dans l'intensité des mouvements ; et pourtant, cela fonctionne, et uniquement parce que c'est Rama Vaidyanathan.
La première pièce doit être une de ses chorégraphies récentes. Elle présente quelques points communs avec la première pièce qu'elle avait dansée il y a cinq ans. Sur des onomatopées très simples comme Tom-tatom-takita, elle décrit la géométrie très carrée de l'enceinte du temple de Brhadishwara à Thanjavur. Puis, alors que la composition musicale du Thanjavur se faire entendre, la description du temple se poursuit, avec toutes les références artistiques qu'il peut comporter et qui procurent l'émerveillement du personnage féminin. L'interprète s'incarne en danseuse qui effectue une prière pour bénir ses grelots. Elle admire les sculptures sur les piliers, celle de Nandi. En prenant l'atmosphère musicale du temple pour inspiration, elle souhaite aussi acquérir des connaissances musicales lui permettant de maîtriser le rythme et la mélodie : le chanteur (magnifique) chante alors un Swaram ou un Thanam. Si la technique de la danseuse est impressionnante, les passages rythmiques sont un véritable supplice pour moi, parce qu'il y avait vraiment trop de “dissonance rythmique” entre le cycle rythmique Mishra Chapu utilisé par la composition mélodie et la rythmique des pas de danse composée par Dr. Sridhar Vasudevan. Je me suis d'abord demandé s'il y avait une intension de faire quelque chose de rythmiquement affreux et qui deviendrait esthétique à la fin de la pièce, l'héroïne devenant réellement inspirée par le temple, mais le rythme est resté discordant jusqu'à la fin.
J'ai beaucoup aimé la pièce suivante, qui a été la pièce principale du récital : “Pannagendra Sayanam”. Cette pièce fait partie du répertoire de Rama Vaidyanathan depuis un certain temps déjà (j'ai d'ailleurs déjà vu Nehha Bhatnagar la danser en 2015). Il s'agit d'une composition de Swati Tirunal (dont on peut lire une traduction). Les huit parties sont séparées par un Jati ou des Swarams dont j'ai apprécié la construction rythmique relativement musicale (si l'on excepte les pas très off-beat exécutés au début de chacun d'entre eux) : certaines séquences conclusives avaient une construction traditionnelle et une régularité telles que je pouvais anticiper la structure des phrases chorégraphiques et donc apprécier encore davantage leur réalisation. L'héroïne fait l'éloge de Padmanabha et hésite entre l'amour et la dévotion. Parmi les très beaux moments, je retiendrais l'idée chorégraphique utilisée pour suggérer la comparaison entre la beauté de Vishnu et celle de Kama : en faisant face au public dans une position typique de Vishnu (mains en Tripataka), elle fait un lent demi-tour (à moins que ce ne soit un tour complet) et se métamorphose en Kama, puis rembobine le film à l'envers pour redevenir Vishnu. Il s'agit d'un des quelques trésors d'idées chorégraphiques intéressantes que j'ai remarquées dans ce récital.
J'ai trouvé intéressante la pièce suivante. Dans ce Padam “Emakko Chiguruta...”, un groupe de femmes médisent à propos d'une autre. Il y a peut-être une ambiguité sur le sens précis du texte. Le leitmotiv chorégraphique de la pièce consiste à représenter une de ces femmes écrire ostensiblement une lettre en regardant la coupable. Celle-ci a-t-elle écrit une lettre d'amour ? La chorégraphie suggère astucieusement que sa relation charnelle laisse sur elle des traces, comme si une lettre d'amour était écrite sur son propre corps. Les traces de poudre rouge sur son corps suggèrent qu'elle a pris entre ses bras la statue de l'Être aimé. Ou bien la statue était-elle en hauteur et de la poudre est retombée sur elle alors qu'elle essayait de l'atteindre pour lui appliquer la poudre. La rougeur de ses yeux est expliquée par l'action de déraciner ses yeux qu'elle avait plantée sur Lui. La comparaison poétique est magnifiquement faite avec l'action de planter un arbre, puis de le déraciner en le faisant trembler, ce qui tend à en faire tomber les juteux fruits.
Dans le Javali “Ne nethu sahichu ne”, la danseuse représente une héroïne trahie par son amoureux. Son sentiment de jalousie est insurmontable. La rupture semble définitive.
La danseuse a magnifiquement conclu son récital avec une de ses pièces à succès : Ardhanarishwara. L'Ashtakam d'Adi Shankaracharya est précédé d'un Shloka de Kalidasa sur l'union entre Shiva et Parvati. Une séquence de danse pure est insérée dans laquelle la danseuse utilise alternativement uniquement sa main droite pour représenter Shiva sur un accompagnement rythmique d'onomatopées ou uniquement sa main gauche pour représenter Parvati avec un Swaram comme accompagnement mélodique. Sur chaque des lignes du poème, le contraste est très bien mis en valeur entre Shiva et Parvati.
Dans ce récital, j'ai particulièrement aimé les pièces “Pannagendra Sayanam” et “Ardhanarishwara”, qui ne sont pas des chorégraphies récentes de Rama Vaidyanathan. C'est évidemment une très grande artiste, mais j'aurais aimé que les chorégraphies élababorent davantage autour des émotions de personnages humains, ce qui pour moi la condition pour être véritablement touché par cette danse.
2019-01-05 08:58+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII
Music Academy, T.T.K. Auditorium, Chennai — 2019-01-04 à 10:00
Meera Sreenarayanan, danse bharatanatyam
Indira Kadambi, nattuvangam
Bijeesh Krishna, chant
Charudutt, mridangam
Easwar Ramakrishnan, violon
Sujith Naik, flûte
Jitendra Hirschfeld, conseiller artistique pour “Dānikē”
Shloka (d'Adi Shankara) & Narasimha Kavuttuam (Khanda Chapu)
Padavarnam “Dānikē...” (Raga Todi, Rupaka Tala), composition de Sivanandam (Thanjavur Quartette), chorégraphie de la danseuse
Padam “Choodare” (Mishra Chapu Tala, Raha Sahana), composition du Kshetrayya, chorégraphie de Kalanidhi Narayanan
Ashtapadi “Yahi Madhava” (Adi Tala, Ragamalika), chorégraphie d'Indira Kadambi
Thillana (Raga Tillang, Adi Tala), composition de Lalgudi Jayaraman, chorégraphie de Smt. Narmada
Les matinées du festival de la Music Academy sont réservées aux interprètes de la jeune génération. La première à se lancer a été Meera Sreenarayanan, qui avait obtenu le prix Spirit of Youth 2015 ex-aequo avec Sudharma Vaithiyanathan. Après un Shloka et un Kavuttuam consacré à Narasimha dans lequel la danseuse a pour ainsi dire tout le temps gardé les yeux grand ouverts, on est entré dans le vif du sujet...
Dans mon billet précédent à propos du Varnam en Anandabhairavi dansé par Shweta Prachande hier, j'avais mentionné que l'objet du désir de l'héroïne pouvait être un roi et non pas un dieu. C'est ce qui a été très explicitement fait dans l'interprétation de ce Varnam.
Ce Varnam “Dānikē...” a été créé par la danseuse courtisane Mannargudi Meenakshi à la cour du roi marathe Sivaji II de Thanjavur (qui régna entre 1832 et 1855). La grande salle de la Music Academy remplace en quelque sorte la cour du roi Sivaji II et la danseuse Meera Sreenarayanan joue en quelque sorte le rôle de Mannargudi Meenakshi qui jouait plus ou moins son propre rôle en intercédant auprès du roi pour le convaincre de l'amour d'une autre femme. (Note ajoutée le 2019-02-10 suite à un échange avec Nrithya Pillai : les experts ne sont pas tous d'accord sur le fait que la créatrice du Varnam soit Mannargudi Meenakshi. Ceci importe néanmoins peu pour la lecture du reste de ce billet.)
La chorégraphie de ce Varnam tente de reconstruire l'atmosphère détendue qui pouvait régner dans ces récitals de cour. La danseuse gardera pendant toute la pièce une attitude extrêmement séductrice envers le roi (qui n'est autre le public de 2019). Néanmoins elle obéit à l'étiquette de la cour. Ainsi, la danse a commencé par un Salaam. Les interactions de la danseuse avec les musiciens sont très convaincantes, puisque même quand elle semble leur donner des ordres (en indiquant le tempo qu'elle souhaite), on a vraiment l'impression qu'elle est aux commandes. (J'ignore quelle part de liberté la danseuse s'est gardée pour improviser dans certains passages, en particulier, les Arudis étaient absolument délicieuses en termes d'interactions entre la danseuse et les musiciens, comme si ces derniers découvraient en direct son intention.) Dans le Pallavi, Meera/Mannargudi essaye de convaincre le roi de rejoindre l'autre femme, qui cherche à s'unir à lui ; on retrouve l'imagerie habituelle avec des fleurs et des abeilles, mais c'est beaucoup plus intense ici. Dans l'Anupallavi, le roi est décrit comme dévot de Shiva. Un certain nombre de rituel shivaïtes sont exécutés et on reconnaît l'apparition du roi, qui en bon guerrier, vient semble-t-il faire bénir son épée. Et au cours de cette cérémonie, son regard semble attiré par une femme... Il est suggéré que le roi est aussi une adorateur des arts, qui récompense les artistes qui lui plaisent : à un moment donné de la chorégraphie, c'est tout comme si le public avait offert une bague très précieuse à Meera Sreenarayanan. Le sentiment amoureux se développe encore davantage dans la deuxième partie du Varnam.
Cette pièce était un véritable délice en matière d'Abhinaya. La danse pure m'a moins convaincu. Une des raisons est que c'est la danseuse elle-même qui a composé et chorégraphié les jatis. J'ai beaucoup aimé le premier, mais les autres ne m'ont pas semblé très musicaux (beaucoup d'allers-retours en Tishra-nadai et de longs intervalles de silences) ; suivre le tala me semblait quasiment impossible. La danseuse a une très grande netteté dans ses marches rapides debout qui m'ont semblé de nature à impressionner le roi. En araimandi, il y a moins de contraste entre les frappes de pieds : on n'entend pas vraiment la musique de ses pas. Je n'ai pas non plus aimé le style de récitation d'Indira Kadambi dont la voix n'était de toute façon pas suffisamment amplifiée.
L'impression générale est d'avoir assisté à une grande matinée. La standing ovation qu'a reçu la danseuse à la fin du spectacle suggère que le public est peut-être prêt à accepter ce type de danse qui met l'accent sur la séduction et le sentiment amoureux. Espérons que cette danseuse continuera et donnera à d'autres l'idée d'explorer cette magnifique tradition des danseuses de cour (qui connaissaient la musique, la poésie, les langues, la danse...). Si j'avais déjà eu l'occasion d'avoir un aperçu sur cette tradition lors de la journée Temple, Court, Salon, Stage. Crafting Dance Repertoire in South India à Paris en 2015, je suis très heureux d'avoir vu ce Varnam. Pour monter cette pièce, la danseuse a été aidée par Jitendra Hirschfeld avec qui j'ai souvent eu l'occasion de discuter de la danse et de son histoire. Je suis très content du succès de cette performance. Pour en savoir plus sur “Dānikē...”, lisez son blog, et en particulier A Love Affair with Dānikē.
Le récital s'est poursuivi avec un magnifique Padam de Kshetrayya. La danseuse n'a souvent eu besoin que de ses yeux pour exprimer les paroles déplaisantes qu'un groupe de femmes échangent au détriment d'une autre femme qui aurait perdu tout sens de la respectabilité en tombant amoureuse de Krishna.
J'ai joyeusement détesté l'interprétation de la danseuse dans l'Ashtapadi “Yahi Madhava”. Tout m'a semblé terriblement surjoué...
Si la chorégraphie des séquences de danse pure m'a semblé manquer de musicalité dans le Varnam, je me suis réconcilié sur ce point avec la danseuse dans le Thillana qui a été chorégraphié par Smt. Narmada, guru d'Indira Kadambi.
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Music Academy, T.T.K. Auditorium, Chennai — 2019-01-04 à 11:30
Bilva Raman, danse bharatanatyam
KP Rakesh, nattuvangam
Vedakrishnaram, mridangam
G. Srikanth, chant
Easwar Ramakrishnan, violon
J. B. Sruthi Sagar, flûte
Alarippu (Tishra Ekam Tala)
Swarajati (Rupaka Tala, Raga Huseini), composition de Merattur Venkatarama Shastri
Viruttam (Ragamalika), chorégraphie de Bragha Bessell
Javali “Marubari” (Raga Kamas, Adi Talam), chorégraphie de Bragha Bessell
Tillana (Raga Dhanashri, Adi Tala, composition de Swati Tirunal et Lalgudi Jayaraman), chorégraphie de Leela Samson
Après un petit café à la cantine de la Music Academy, le spectacle
suivant était donné par une disciple de Leela Samson, Bilwa Raman, dont la
silhouette longiligne portait un costume rose et vert fluo de très
kalakshetrienne facture. Elle a commencé son récital par
l'Alarippu traditionnel en trois temps, très bien exécuté. Dans la
pièce principale (Swarajati en Huseini), j'ai pris beaucoup de
plaisir à écouter les musiciens, en particulier le chanteur G. Srikanth que
je n'avais pas entendu depuis longtemps. Pour le reste, c'est de la danse
typiquement Kalakshetra, complètement fossilisée, mais néanmoins très bien
exécutée. (Le thème du Trikala-jati était Ta - jam - - - ta ka jam - - -
ta ka di mi ta kun da ri ki ta ta ka
.)
La pièce suivante dans laquelle une mère montrait semble-t-il sa dévotion à la Déesse m'a semblé d'un ennui total. Dans le Javali “Marubari”, la danseuse a montré plus d'émotions que ne le font d'habitude les danseurs Kalakshetra, mais le sentiment amoureux n'était pas assez présent à mon goût. La danseuse a conclu son récital avec le classiquissime Thillana en Dhanashri. La danse pure en était assez agréable, mais les gestes manquaient de finition dans le Caranam, en particulier quand la danseuse représentait Padmanabha.
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Music Academy, T.T.K. Auditorium, Chennai — 2019-01-04 à 18:00
A. Lakshmanaswamy, danse bharatanatyam
Sudharma Vaithiyanathan, nattuvangam
K. Hariprasad, chant
Nellai D. Kannan, mridangam
Easwar Ramakrishnan, violon
T. Sashidhar, flûte
Jatiswaram (Ragamalika, Mishra Chapu Tala), composition du Thanjavur Quartette
Varnam “Intha Chala Melane” (Adi Tala, Raga Nalinakanthi), composition de Meera Seshadri
Yaro Ivar Yaro (Raga Bhairavi, Adi Tala), composition d'Arunachala Kavi Iyer
Ashtapadi “Kuru Yadu Nandana” (Raga Behag, Mishra Chapu Tala, poème de Jayadeva mis en musique par K. Hariprasad)
Thillana (Raga Mandari, Adi Tala), composition du Thanjavur Quartette
J'ai adoré ce récital de A. Lakshmanaswamy. Il a magnifiquement bien interprété une chorégraphie très traditionnelle du Jatiswaram en Mishra Chapu et Ragamalika du Thanjavur Quartette. Dans cette chorégraphie très musicale, sa danse pure semble magnifique. Les adavus très classiques sont magnifiquement ornementés. Il y à la fois une netteté dans les mouvements de mains et une délicate douceur dans le regard et les petits mouvements latéraux de la tête. (Au mridangam, Nellai D. Kannan a eu un jeu beaucoup plus extraverti que lors du récital de Sudharma dans lequel il avait été sublimement introspectif. L'accompagnement qu'il a fait ce soir me semble moins correspondre à l'esthétique de la danse.)
La pièce principale du récital a été un Varnam dans lequel ce n'est pas une héroïne qui cherche à s'unir à un homme (que ce soit un dieu ou un roi...), mais c'est un homme (Shiva lui-même) qui cherche à reconquérir Parvati qui s'est détournée de lui. C'est donc le sakha (ami de Shiva) qui va servir d'intermédiaire avec Parvati. Mais celle-ci reste indifférente. Il avait été annoncé que Shiva serait représenté dans sa forme résidant au temple de Mylapore (Kapalishvarar). La légende locale est connue de tous les spectateurs (y compris moi), donc je me suis délecté du magnifique Sanchari de l'Anupallavi dans lequel pour justement s'être détournée de Shiva en regardant des paons, Parvati reçoit une malédiction : elle est transformée en paonne. J'ai aussi beaucoup aimé le dernier Ettugada Sahitya qui raconte l'épisode dans lequel Ravana tente de casser l'arc de Shiva pour pouvoir épouser Sita. Comme elle est effrayée à l'idée de l'épouser s'il réussit l'épreuve, Shiva semble la rassurer en lui faisant comprendre que Ravana ne peut pas réussir. Plutôt que de la jouer en mode comique en tournant le moustachu Ravana en ridicule, le danseur a mis l'accent sur l'interaction en pensée entre Sita et Shiva. (Cette épisode qui est souvent représenté dans la danse n'est en fait pas dans le Ramayana, mais cette épisode a été intégré dans la tradition ultérieure.)
Il est à noter que dans le Varnam, les jatis étaient de
Muthuswamy Pillai. J'ai particulièrement aimé le Trikala avec quatre
vitesses (y compris une vitesse en Tishra-nadai), sur le thème Ta - dit
- ta ka na ka jum - dit - ta ka na ka jum - ta ka na ka jum - ta kun da ri
ki ta ta ka
.
Les deux pièces de pur Abhinaya qui ont suivi ont été d'une beauté rare. Sans utiliser le moindre artifice, en toute simplicité, il a donné vie à ses personnages. Dans Yaro Ivar Yaro, le poète imagine le premier regard échangé entre Rama et Sita, dans un épisode qui n'est au passage ni dans le Ramayana ni dans le Ramcaritmanas. La balle lancée par Sita ou une de ses amies tombe d'une plate-forme et s'arrête près de Rama, qui relève la tête et tombe immédiatement amoureux de Sita. Le danseur a véritablement su créer une atmosphère dans laquelle plus rien ne semble exister si ce n'est ses personnages, et plus particulièrement Rama.
Le vrai point culminant du récital a en fait été Ashtapadi “Kuru Yadu Nandana” (déjà magnifiquement interprété par Neena Prasad il y a quelques jours de cela). Il l'a dansé en étant assis (ou avec au moins un genou à terre) pendant toute la pièce. Magnifique interprétation !
Le récital s'est conclu par un délicieux Thillana en Raga Mandari du Thanjavur Quartette.
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Music Academy, T.T.K. Auditorium, Chennai — 2019-01-04 à 19:45
Methil Devika, mohiniattam
Gayatri, nattuvangam
Jamaneesh Bhagavatar Kottayam, chant
Kallekulangara Unnikrishnan, mridangam
Surya Narayanan, flûte
Baiju Rajeeth, vina
Sajith Pappan, edakka
Cholkettu “Tam Tam Tat Tomga” (Raga Anandabhairavi, Adi Tala), composition de Surya Narayanan
Desi Padam “Ullili Unnikkoru” (Ragamalika, Talamalika), composition de Kavalam Shrikumar
Après un aussi magnifique récital de bharatanatyam, j'ai hésité à rester pour le récital de mohiniattam de Methil Devika. Par rapport aux merveilleux Thomas Vo Van Tao et Neena Prasad vus précédemment dans ce style, toute la danse de Dr. Methil Devika m'a paru anecdotique. Sa danse pure n'a pas la suprême élégance habituelle du style mohiniattam et sa technique d'Abhinaya m'a semblée manquer de subtilité. Je m'en sentais presque mal physiquement, et je me suis enfui le plus discrètement que j'ai pu entre deux pièces.
2019-01-04 07:56+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII
The indian fine arts society, Ethiraja Kalyana Nilayam, Chennai — 2019-01-03 à 09:00
Smt. Padma Srirangan, danse bharatanatyam
R. Vijay Madhavan, nattuvangam
Murali Parthasarathy, chant
N. Sriram, mridangam
Ganesan, violon
Mallari (Raga Gambhira Nattai, Rupaka Tala)
Varnam “Manavi...” (Raga Shankarabharanam, Adi Tala)
Padam (Rupaka Tala)
Tillana (Adi Tala)
La indian fine arts society présente de jeunes interprètes en matinée. Il s'agit aussi d'un concours, le jury de trois personnes étant placé sur trois chaises séparées des autres au premier rang. Je suis venu ce jour-ci puisque je connais un tout petit peu le guru, Vijay Madhavan, qui développe sa propre méthode de notation de la danse bharatanatyam (Natyagraphy). Dans la danse de sa disciple, je reconnais certains aspects caractéristiques du style de Chitra Visweswaran et je reconnais même certains phrases chorégraphiques que j'ai apprises avec Arupa Lahiry lors de mon dernier séjour à Delhi. Parmi les adavus typiques, je reconnais le Salute adavu (dans la série des Ta-tai-ta-ha).La danseuse est extrêmement souriante (peut-être un peu trop), mais il y a un certain manque de netteté, en particulier dans les mouvements du haut du corps. (Il est possible qu'avec le temps le style de Chitra Visweswaran ait évolué vers une géométrie plus stricte du corps : comme il est un de ses plus anciens disciples, le style qu'il enseigne ne correspond peut-être plus avec le style de Chitra-akka telle qu'il est représenté par les membres actuels de la Chidambaram Dance Company.) J'apprécie néanmoins le style de récitation de Vijay Madhavan (qui cependant ne regarde pas la danseuse pendant les jatis...). Le premier jati du Varnam était très étonnant parce qu'il y avait très très peu de syllabes et donc de longs silences entre chacune d'entre d'elles. L'Abhinaya de Padma Srirangan m'a paru relativement bien habité dans le Varnam dédié à Shiva. Elle m'a semblé très convaincante dans son premier Sanchari dans lequel en bougeant l'index de la main en Tāmracūḍa, l'héroïne nourissait un oiseau qui pourrait lui servir de messager.
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The indian fine arts society, Ethiraja Kalyana Nilayam, Chennai — 2019-01-03 à 10:10
Samyuktha R., danse bharatanatyam
Priya Karthikeyan, nattuvangam
Pushpanjali (Adi Tala, Raga Arabhi), composition de Dr. M. Balamuralikrishna
Varnam “Innam en manam” (Raga Charukeshi, Adi Tala, composition de Lalgudi Jayaraman)
Padam (Raga Bihag, Adi Tala)
Thillana (Raga Khamas, Adi Tala), composition de Patnam Subramanya Iyer
Mangalam
Juste après, j'ai assisté au récital d'une danseuse encore plus jeune et très athlétique. Elle est capable d'une très grande vitesse, mais sa technique de pieds est vraiment défectueuse : beaucoup de pas sont à peine esquissés, elle fléchit beaucoup trop les genoux quand elle fait des marches ; c'est un véritable massacre technique quand elle exécute les marches à reculons en préparation des passages techniques du Varnam. Dans les jatis, elle semble retenir sa respiration. Je n'aime ni les chorégraphies techniques ni le style de récitation de Priya Karthikeyan. L'Abhinaya est très scolaire : c'est particulièrement flagrant quand la danseuse prend des poses. C'était néanmoins un vrai plaisir pour moi d'entendre le Varnam en Raga Charukeshi composé par Lalgudi Jayaraman. (Du coup, comme le Pallavi et l'Anupallavi sont présentés chacun en entier plutôt que découpés en deux comme dans la plupart des autres Padavarnams, la chorégraphie contenait une double ration de Jatis : à peine le premier était terminé qu'elle enchaînait le deuxième après un ou deux cycles d'une transition quelque peu incongrue.)
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Kartik fine arts, Bharatiya Vidya Bhavan, Chennai — 2019-01-03 à 16:30
Shweta Prachande, danse bharatanatyam
KP Rakesh, nattuvangam
Sakthivel Murugananthan Subramaniam, mridangam
Preeti Mahesh, chant
M. Srikamani, violon
“Om Sharavanabhava” (Raga Shanmukhapriya, Adi Tala), composition de Ghatam Dr. S. Karthick
Varnam “Sakiye Inda Velaiyil...” (Raga Anandabhairavi, Adi Tala), composition du Thanjavur Quartette
Ashtapadi #19 “Priye Cāruśīle” (Raga Mukhari, Khanda Chapu Tala)
Thillana (Adi Tala, Raga Behag), composition de Dr. M. Balamuralikrishna
Kirtana “Ksheerabdi Kanyakaku Sree Maha Lakshmikini” (Raga Kurinji, Khanda Chapu Tala), composition d'Annamacharya (?)
Dans l'après-midi, j'ai assisté à un très beau récital de Shweta Prachande, que j'avais déjà vue il y a cinq ans (et il y a quelques jours pour une lec-dem).
La première pièce est une composition du percussionniste Ghatam Dr. S. Karthick qui était présent pendant la performance de cette pièce. Dédiée à Muruga, elle alterne chant et passages poétiques récités. La pièce est extrêmement complexe d'un point de vue rythmique (on entend et on voit en particulier beaucoup de pas basés sur le nombre 5). Le texte fait entendre un certain nombre de noms de Muruga, comme Guha ou Kartikeya.
La pièce principale, qui est aussi celle qui m'a procuré le plus grand
plaisir a été le Varnam traditionnel “Sakiye Inda
Velaiyil...” en Raga Anandabhairavi composé par le Thanjavur
Quartette. La chorégraphie est aussi très traditionnelle, puisqu'elle est
due à A. Lakshmanaswamy (avec qui travaillait autrefois Priyadarshini
Govind, guru de Shweta Prachande). Dans sa danse technique, la danseuse a
appliqué les principes dont elle avait fait la démonstration avec Apoova
Jayaramana lors de leur lec-dem à la Natya Kala
Conference. La chorégraphie de A. Lakshmanaswamy étant fixée, il est
néanmoins possible de l'interpréter d'une façon personnelle : un même adavu
peut être exécuté avec différentes intentions. Il est possible d'utiliser
plus ou moins l'espace, de faire des mouvements staccato ou au
contraire avec un phrasé très étendu (comme dans le troisième Jati). Le
premier Jati (Trikala) est une variation sur un Tirmanam traditionnel de la
Vazhuvoor bani dont le thème est Kun - ta ri ta - - - ku kun ta ri tai
- - - ku kun ta ta kun ta ta ka ta kun ta ri ki ta ta ka
. La première
vitesse a été magnifiquement bien exécutée, avec un sens esthétique certain
combinant force et douceur. Dans la composition rythmique de ce
Tirmanam, la fin a été légèrement modifiée pour que le Tirmanam se
conclue avant que le texte de la première ligne du Pallavi ne
démarre. (Dans cette version, le texte reprend sur le et
entre le deuxième et le troisième temps.) Dans le deuxième Jati, j'ai aimé
une séquence de Khudita Metti Adavus dans lesquels la danseuse explorait
les différentes directions de l'espace. Dans les Tattu Muttu, je
reconnais les motifs rythmiques qu'utilisent Chitra Visweswaran et
A. Lakshmanaswamy (une série de takadimi, puis une série de takadimi
off-beat).
Dans ce Varnam chorégraphié par A. Lakshmanaswamy, j'ai retrouvé la même qualité dans la construction du discours chorégraphique que dans le récital de Sudharma Vaidyanathan qui est sa disciple. Il serait vain de chercher à résumer ce discours. Je retiens particulièrement les Sancharis des deux lignes de l'Anupallavi. Dans la première ligne, la danseuse décrit une magnifique ville (qui n'est semble-t-il pas nommée explicitement) où se trouve un temple et où la divinité est portée en procession. La danseuse a montré de façon assez spectaculaire les roues du chariot et s'est montré très convaincante en montrant les hommes qui tirent sur les cordes pour le mettre ne mouvement. Dans la deuxième de l'Anupallavi, le texte évoque la conque et le disque de Rajagopalan (Vishnu) devant lequel l'héroïne s'émerveille. De façon très pertinente, la danseuse développe un Sanchari relatant un épisode dans lequel Vishnu utilise ce disque. Il s'agit de l'histoire de de l'éléphant Gajendra attaqué pendant son bain par un crocodile. J'ai déjà vu des danseurs développer le bain de l'éléphant et l'attaque du crocodile dans des productions déraisonnables, le rôle protecteur de Vishnu devenant anecdotique. L'interprétation de Shweta Prachande m'a semblé très pertinente, efficace et émouvante puisque l'élément important en a été l'intervention de Vishnu. Après avoir montré de façon relativement brève l'attaque du crocodile, elle a représenté Vishnu qui entend l'appel à l'aide de Gajendra, et qui intervient pour le sauver. Grâce à son expression faciale, j'ai beaucoup apprécié la sérénité intérieure qui se dégageait dans sa représentation de Vishnu. La danseuse a représenté de façon intéressante le nom Rajagopalan en montrant un gardien de troupeau de la main gauche et en représentant une couronne avec la main droite. (Ceci me rappelle que lors d'une conférence à Paris, Tiziana Leucci avait expliqué que le nom de Rajagopalan était à double sens, puisqu'à l'époque de la composition de ce Varnam, ce nom pouvait désigner soit Krishna (Vishnu) soit le roi de Mysore ?). Dans la deuxième moitié du Varnam, la ligne de Caranam est représenté à la fois sous forme de Swaram et sous forme de texte “Pangana mayile...” (ce qui n'est pas le cas dans toutes les versions). L'héroïne est touchée par les flèches de Kama...
La danseuse a magnifiquement interprété le dix-neuvième Ashtapadi “Priye Charu”. Radha s'est montrée indifférente, voire hostile envers Krishna, et le poème nous fait entendre les paroles de Krishna pour reconquérir Radha. La danseuse avait indiqué dans sa présentation de la pièce que le poème (et aussi la chorégraphie) se plaçait du point de Krishna. La seule critique que je pourrais faire est que la danseuse n'a pas à mon avis assez caractérisé le personnage de Krishna. Sans forcément le représenter avec ses attributs habituels (flûte, plume de paon, etc.), je pense qu'il aurait été souhaitable d'adopter des postures un peu plus masculines pour bien faire comprendre que c'est un homme qui s'exprime, et qu'ainsi c'est bien Krishna qui souhaite que le doux pied de Radha se pose sur sa tête.
Après avoir interprété un Thillana composé par Dr. M. Balamuralikrishna et dont la chorégraphie était très exigeante, plutôt qu'un traditionnel Mangalam, la danseuse a choisi me semble-t-il une très apaisante composition d'Annamacharya consacrée à la Déesse sous le nom de Mahalakshmi. Un des détails remarquables de la chorégraphie réside dans la façon dont la danseuse a représenté sans la montrer la poitrine de la Déesse évoquée par le texte : elle s'est tout simplement mise de dos, sans doute pour éviter toute référence érotique qui ne siérait point à la représentation de ce Kirtana.
J'espère de pas avoir à attendre cinq ans supplémentaires pour assister à nouveau à un récital de cette danseuse dont le travail me semble admirable.
2019-01-03 13:53+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII
The indian fine arts society, Ethiraja Kalyana Nilayam, Chennai — 2019-01-02 à 16:30
Kum. Sruthi Natanakumar, danse bharatanatyam
K. Kalyanasundaram, nattuvangam
Smt Vidya Harikrishna, chant
Vedakrishnaram, mridangam
Kannan, violon
?, flûte
Thorayamangalam “Jaya janaki ramana...”
Padavarnam (Raga Shankarabharanam, Adi Tala)
“Sabaapathikku” (Rupaka Tala, Raga Abogi ?), composition de Gopalakrishna Bharati
Thillana (Raga Atana, Adi Tala), composition de Ponniah Pillai
Click here to read an English translation of this review.
Le frissonomètre a atteint d'irrésistibles sommets aujourd'hui lors du récital de Kum. Sruthi Natanakumar, disciple et petite-fille du Nattuvanar Guru K. Kalyanasundaram dont la famille est installée à Mumbai depuis les années 1940. (Sa famille et celle de K. P. Kittappa Pillai sont les représentants les plus éminents du style dit de Thanjavur, mais je ne sais pas très bien ce que cela veut dire puisque les styles de Kittappa et de Kalyanasundaram sont me semble-t-il aussi différents l'un de l'autre qu'ils ne le sont des autres styles..)
Le maître est un personnage très attachant. Juste avant que le récital commence, un (autre) homme très âgé est entré. Je n'ai pas entendu son nom, mais il fait semble-t-il comme lui partie d'une famille traditionnelle. Guruji (Kalyanasundaram) s'est approché de lui, avec ses jambes de 86 ans. Guruji s'était exprimé jusque là en tamoul, et quand il m'a vu au deuxième rang, il m'a demandé sans formalité en anglais “Does my tamil bother you?” et dans quelle mesure je comprenais le tamoul, j'ai répondu en hindi “Thora thora”, dont il a délicieusement donné une traduction tamoule.
La première pièce est Thodayamangalam, un ensemble de cinq compositions dédiées à Vishnu (sous la forme de Rama ou de Krishna) qui sont dans différents talas (Khanda Chapu, Mishra Chapu, Rupaka, Adi, m'a-t-il semblé) et qui sont séparées par des Tirmanams. C'est un plaisir immense pour moi d'entendre la voix de Kalyanasundaram récitant les onomatopées des passages rythmiques. La danseuse est précise rythmiquement et j'apprécie la douceur qu'il y a chez elle dans le haut du corps : ses positions de bras et de mains sont très précises, mais elle les exécute de façon gracieuse, pas du tout militaire.
La pièce principale a été un Padavarnam en Raga Shankarabharanam et Adi Tala. Guruji a pas mal parlé (en tamoul et un tout petit peu en anglais par égard pour moi !) pour présenter les pièces. Pour celle-ci, il a dit dans le langage de la musique plus qu'en tamoul que le texte commençait après “Ta ki ta”, autrement dit que dans la première moitié du Varnam les paroles commencent sur le et après le deuxième des huit temps d'Adi Tala. Il a aussi expliqué qu'il utilisait des combinaisons de syllabes traditionnelles, comme “ta-dit-dit-ta”. En entendant et en voyant ses Tirmanams, il apparaît évident que cet homme est un génie, tout simplement... Bien d'autres mridangistes et chorégraphes utilisent le même type d'ingrédients pour construire leur tirmanams, mais K. Kalyanasundaram est un des très rares à savoir faire de la bonne cuisine... Le troisième Tirmanam a été entièrement en usi (à contretemps). Assez souvent, certaines courtes formules conclusives ont été jouées en tishra-nadai (à l'échelle d'un temps du cycle ou de la moitié d'un temps). La plupart des Nattuvangam artists ralentissent quand ils basculent en tishra-nadai, mais Guruji a une maîtrise absolue de la régularité de la pulsation (Kalapramanam). Bien que la danse soit rythmiquement très complexe, je n'ai eu aucune difficulté à suivre le tala pendant l'ensemble du récital.
L'étroitesse du créneau horaire ne permettait pas de très longs développements dans l'Abhinaya : les lignes d'Ettugada Sahitya n'ont été interprétées qu'une seule fois (en Tattu Muttu). Il y a néanmoins eu un délicieux Sanchari pour la deuxième ligne du Pallavi dans lequel l'amour de l'héroïne pour la divinité lui fait perdre le goût pour la musique, etc. Les chorégraphies ne montrent le plus souvent que l'héroïne. Ici, c'était comme un dialogue entre l'héroïne et son amie (sakhi), qui tente tout pour lui faire retrouver le goût des choses. Celle-ci prépare un verre de lait, mais l'héroïne le refuse. Dans le lit de fleurs, elle tombe sur une épine. Plus loin, dans son sommeil, elle voudrait rêver, mais c'est un cauchemar qu'elle fait.
Pendant l'ensemble du récital, la sonorisation de la chanteuse n'était sans doute pas bien réglée, contrairement à celle du Nattuvanar : je n'arrivais pas à distinguer les consonnes dans le chant de Vidya Harikrishna, ce qui m'a rendu quasiment impossible d'entendre les mots chantés. En particulier, je n'ai pas réussi à bien rentrer dans la pièce suivante sur Shiva, dans sa forme résidant à Chidambaram. Bref, je n'ai pas toujours réussi à bien distinguer l'intention dans certains passages expressifs. La danseuse semblait très convaincante dans son interprétation, mais je n'arrivais pas à distinguer le sens. Cela dit, je préfère me perdre parfois et me sentir subjugué par le spectacle comme cela a été le cas lors de ce récital, plutôt que d'assister un spectacle en ayant le sentiment de voir toutes les ficelles...
(Guruji a fait à un moment une remarque sur sa façon de chorégraphier les Tattu Muttu, ces passages dans lequels la danseuse interprète le texte tout en effectuant des motifs rythmiques précis avec les pieds. Pendant tout le récital, les motifs rythmiques des Tattu Muttu ont été beaucoup plus complexes que ce que l'on voit d'habitude (beaucoup de takadimi, parfois un peu de takita à la fin des phrases, ces motifs étant construits en général indépendamment de la prosodie du texte). Dans le style de Kittappa Pillai (qui était aussi de la Thanjavur bani), la prosodie du texte prime sur le tala : les contours rythmiques des Tattu Muttu épousent les contours des mots, et comme les mots ont des durées musicales différentes, les motifs rythmiques peuvent sembler très complexes, mais comme ils sont extrêmement musicaux, ils sont d'autant plus agréables à danser. Dans la mesure où la sonorisation imparfaite m'empêchait de bien distinguer les consonnes dans le chant, je ne saurais dire si Guruji suit le même principe associant de façon harmonieuse poésie, musique et danse.)
Le récital s'est poursuivi avec un sublime Thillana. Je me suis particulièrement délecté lors des Mai adavus dans lesquels la danseuse a montré une maîtrise complète des contretemps, la plupart des séquences commençant usi (off-beat). Un véritable festin rythmique !
Je me perds un peu dans mes notes, mais la danseuse a dû conclure son récital par une courte pièce dédiée à Muruga.
Pendant ce récital d'après-midi, plusieurs fois j'ai cru mourir de plaisir ! Avec la programmation folle à Chennai, j'aurais bien pu aller à un ou deux autres récitals dans la foulée, mais j'ai préféré rester sur le sentiment de plénitude apporté par Sruthi & K. Kalyanasundaram.
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This is a translation of the above review in French.
Today, my goosebumps-meter has reached irresistible heights during the recital by Kum. Sruthi Natanakumar, disciple and grand-daughter of Nattuvanar Guru K. Kalyanasundaram, the family of whom settled in Mumbai in the 1940s. (His family and the family of K. P. Kittappa Pillai are the most eminent representatives of the Thanjavur style (or bani), but I am not sure what it means exactly as I feel that Kittappa's and Kalyanasundaram's styles are as different from each other than they are from the other styles.)
The maestro is a very engaging and charming person. Just before the recital started, another older man entered. I did not understand his name, but it seems he also belongs to a traditional family of artists. Guruji (Kalyanasundaram) approached him, with his 86-year old legs. Guruji had spoken only in tamil until then, but when he saw me sitting in the second row, he casually asked me in English “Does my tamil bother you?” and to what extent I would understand tamil, I answered in hindi “Thora thora”, which he deliciously translated into tamil.
The first item was Thodayamangalam, which is a set of five compositions dedicated to Vishnu (under the form of Rama or Krishna). They are in differents talas (Khanda Chapu, Mishra Chapu, Rupaka, Adi, as it seemed to me) and they are interspersed with Tirmanams. It has been an immense delight for me to listen to Kalyasundaram when he was reciting the shollukattus. The dancer is rhythmically very precise and I like very much the softness in her upper body movements: her positions of arms and hands are very precise, but she performs them in a very gracious manner, not at all in a military style.
The main item was a Padavarnam in Raga Shankarabharanam and Adi Tala. In order to introduce the items, Guruji spoke a lot (in tamil and a little bit in English out of regard for me!). For this item, he said not exactly in tamil but in the language of music that the sahitya would start after “Ta ki ta”, which means that in the first half of the Varnam, the lyrics would start on the "and" after the second of the eight beats of Adi Tala. He also explained that he would use combinations of traditional syllabes like “ta-dit-dit-ta”. By watching and listening to his Tirmanams, it seems obvious to me that this man is a genius. Many other mridangists or choreographers are using the same sort of ingredients in order to construct their tirmanams, but K. Kalyanasundaram is one of the very few who know how to cook good cuisine... The third Tirmanam was entirely in usi (i.e. offbeat). Quite often, it seemed to me that some concluding rhythmic formulas were done in Tishra-nadai (at the small scale of only one beat, or even half a beat!). Many nattuvangam artists slow down a little bit the tempo when they switch to Tishna-nadai, but Guruji has an absolute mastery over the regularity of the pulse (Kalapramanam). Although the dance was rhythmically very complex, I did not feel any difficulty to follow the tala during all the recital.
Unfortunately, the shortness of the dance slot did not allow long elaboration in the Abhinaya: the Ettugada Sahitya lines have been performed only once (in Tattu Muttu). However, the dancer exquisitely performed a Sanchari for the second line of the Pallavi. Because of her love for the God, the Nayika loses her taste for music, etc. Most choreographies would show only the Nayika. Here, it was interestingly staged as a dialogue between the Nayika and the Sakhi who is trying all her best to make the Nayika recover her taste for all the beauty in life. The sakhi would prepare a glass of milk, but the heroin would refuse it. In a bed of flowers, she would find only a thorn. Later, in her sleep, she would like to dream, but she is only doing a nightmare.
During the recital, the tuning of the microphone was good for the Nattuvanar, but not for the singer; then, I was not able to distinguish the consonants in the beautiful singing of Vidya Harikrishna. This prevented me from understanding some words in the sahitya. In particular, I could not enter properly into the following item on Shiva, in his form residing in Chidambaram. In short, I could not fully get the intention in the expressive sections. The dancers seemed very convincing in her interpretation, but I could not follow the meaning. However, I prefer being sometimes lost and overwhelmed by the dance as it has been the case in this item, rather than attending programmes where I would feel I understand everything and that I could pull all the narrative strings myself.
(At some point, Guruji made a remark about his way of choreographying the Tattu Muttu, these segments where the dancer interprets the sahitya while executing specific precise rhythmic footwork.) During all the programme, I have felt that the Tattu Muttu patterns have been much more complex than what we usually see (which is lots of takadimi, sometimes some takita in second half of sahitya lines, i.e. patterns that are usually constructed independently of the prosody of the text). As I have been taught by Sucheta Chapekar (guru of my teacher in Paris), in the style of Kittappa Pillai (also from the Thanjavur bani), the prosody of the text is more important than the tala: the rhythmic contours of the Tattu Muttu follows the contours of the words, and as the words have longer or shorter musical lenghts, the rhythmic patterns of the Tattu Muttu may seem very comlpex, but as they are extremely musical, they are a real pleasure to perform. Because the microphone of the vocalist was not properly tuned, I could not properly distinguish the consonants in the singing. Then, I am not able to say whether the principles following by Guruji are the same as Kittappa's in their way of bringing together in a harmonious manner the poetry, the music and the dance.)
The recital continued with a sublime Thillana. I have particularly enjoyed the Mai adavus during which the dancer proved a full mastery over off-beats: most of these sequences started usi. An authentic rhythmic delight!
I am a little bit lost in my notes, but it seems the dancer ended her recital with a short item on Muruga.
During this afternoon recital, several times it was as if I was about to faint or die from the intense aesthetic pleasure I was feeling! Due the crazy schedule of performances in Chennai, I could have attended one or two other recitals just after this one, but I preferred staying with this sentiment of fullness brought by Sruthi & K. Kalyanasundaram.
2019-01-02 22:12+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII
The indian fine arts society, Ethiraja Kalyana Nilayam, Chennai — 2019-01-02 à 15:15
Rashmi Menon, mohiniattam
Shloka “Gajananam...” (Raga Shanmukhapriya)
Kirtana (Raga Shanmukhapriya, Adi Tala), composition de Papanasam Sivan
Dasavatar (Ragamalika, Adi Tala), extrait du Gita-Govinda
Histoire de Kuchela (Raga Shri, Adi Tala)
“Krishna ni en ariyala...” (Ragamalika/Talamalika), poème de Sudatakumar
Je divise en deux le compte-rendu de la journée, parce que même si les deux récitals étaient l'un à la suite de l'autre au même endroit, cela n'aurait aucun sens de les regrouper.
Le premier récital vu cet après-midi était celui de la danseuse de mohiniattam Rashmi Menon (qui pratique aussi le kuchipudi et le bharatanatyam). Ses gurus de Mohiniattam ont été Kalamandalam Kalyanikutti Amma, puis Kalamandalam Kshemavathy. Elle se perfectionne en Abhinaya auprès de Bragha Bessel.
Le costume et le style d'Abhinaya est typique des formes de théâtre dansé du Kerala, mais à part cela, rien ou presque n'indiquait qu'il s'agissait de mohiniattam puisque la jeune danseuse n'a me semble-t-il pas exécuté le moindre adavu : il n'y a eu aucun véritable passage de danse pure dans tout le récital.
L'Abhinaya de la danseuse n'est pas très élaboré. À part dans la toute dernière pièce que je n'ai pas regardée avec beaucoup d'attention, j'ai l'impression d'avoir compris presque de 100% de l'intention narrative, qui me semble globalement manquer de subtilité. La musique enregistrée obéit à une esthétique qui n'est pas vraiment la mienne, puisqu'il y avait d'assez horribles sons de sitar ou de vina au début de chaque pièce. Après le Shloka sur Ganesh et la première pièce dédiée à Shiva, la danseuse a représenté les 10 avatars (canoniques) de Vishnu. Krishna a été montré comme protecteur de Draupadi. Buddha et Kalki ont été représentés, ce qui n'est pas extrêmement courant dans les représentations de Dasavatars.
Dans une pièce relatant la rencontre entre Kuchela et Krishna après de longues années de séparation, le personnage de Kuchela n'apparaît que de façon anecdotique. Il s'agit surtout pour la danseuse de développer un épisode à la gloire de Krishna au travers de son apparition indiscutablement spectaculaire à Arjuna quand il lui enseigne la Bhagavad-Gita. La représentation de Krishna comme cocher d'Arjuna ne m'a pas semblé très convaincante, et globalement les personnages sont insuffisamment caractérisés à mon goût.
La dernière pièce contenait une étrange combinaisons de talas, le motif récurrent étant en Tishra-nadai Adi Tala.
2019-01-02 12:20+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII
Music Academy, Kasturi Srinivasan Hall, Chennai — 2019-01-01 à 08:00
Anugrah Lakshmanam Group
Devotional Music
J'ai assisté à la clôture de la conférence de la Music Academy. Il n'y avait pas grand monde pour ce bilan. Il y a d'abord eu un mini-concert de bhajans par l'Anugrah Lakshmanam Group. Ils ont chanté des compositions dans différents Talas habituels comme Adi, Mishra Chapu, Rupaka, mais aussi dans des Chapu Talas très originaux. Un d'entre eux était à 16 temps découpés en 5+5+2+2+2. Un autre était à 8 temps découpés en 3+2+3.
Le bilan a ensuite été fait par V. Sriram qui avait fait le chairman pendant les lec-dems. Puis, le mridangiste Sangita Kalanidhi Umayalpuram K. Sivaraman a complimenté l'équipe organisatrice. D'autres personnes sont intervenues, y compris dans le public pour poser des questions et formuler des suggestions pour les années futures. La conclusion a été faite par la chanteuse Aruna Sairam, qui n'était alors que Sangita Kalanidhi designate, et qui depuis hier après-midi est officiellement devenue Sangita Kalanidhi, le plus haut titre existant dans le monde de la musique carnatique.
2019-01-01 12:12+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII
Kartik fine arts, Bharatiya Vidya Bhavan, Chennai — 2018-12-31 à 19:30
Neena Prasad, mohiniattam
Sharanya, nattuvangam
Madhav Namboodiri, chant et compositions musicales
Ramesh Babu, mridangam
Easwar Ramakrishnan, violon
Solkattu (Khanda Triputa Tala, Raga Hamsadhwani)
Prabandham “Panjajakshana” (Rupaka Tala, Raga Todi)
Padavarnam “Mate Ganga Tarangini” (Mishra Chapu Tala, Raga Kamboji)
Ashtapadi “Kuru Yadu Nandana” (Raga Pantuvarali, Adi Tala, poème de Jayadeva)
Thillana (Adi Tala, Raga Bihag)
Mangalam
Comme la veille, j'ai pu voir la subtile beauté du mohiniattam, avec cette fois-ci le guru de Thomas Vo Van Tao : Dr. Neena Prasad. Les musiciens de la veille ont été rejoints par le violoniste Easwar Ramakrishnan et une élève de la danseuse (Sharanya ?) a joué le nattuvangam. Dans tout ce récital, j'ai apprécié la très grande musicalité de la danseuse et son immense talent dans l'art de l'Abhinaya.
Elle a commencé son récital par un Solkattu dans lequel elle a inséré un Shloka d'une Upanishad sur le guru.
La deuxième pièce représente la procession de la divinité du Temple Padmanabhaswamy de Trivandrum. La chorégraphie représente notamment les porteurs ainsi que la foule des dévots qui cherchent à apercevoir le dieu. Certains se mettent sur la pointe des pieds. D'autres font grimper leur enfant sur leurs épaules. Une dame courbée par le grand âge ne peut semble-t-il que le voir en pensée.
Depuis des années, j'espérais voir un Varnam sur le thème de Ganga. Ce souhait a enfin été exaucé. Cette pièce a initialement été enseignée à la danseuse par Guru Kalamandalam Sugandhi, et elle a été remise en musique par le chanteur Madhav Namboodiri. Je crois que c'est la première fois que je vois un Varnam en Misra Chapu. Un des passages rythmiques (le deuxième il me semble) utilisait beaucoup de contretemps entre les temps forts du cycle et les pas de danse. Les lignes de texte représentent chronologiquement la descente de la rivière Ganga, des cieux jusqu'à la Terre grâce à l'intervention de Bhagiratha pour permettre l'accomplissement des derniers rites pour les 60000 fils du roi Sagara, et enfin pour devenir une rivière sacrée dans laquelle les dévots de baignent rituellement. Après que la rivière a été faite prisonnière de la chevelure de Shiva, le moment le plus délectable a été pour moi la scène de jalousie de Parvati, dont Shiva est tombé amoureux et qu'il ne veut plus relacher.
Le point culminant de récital – et à ce jour le point culminant de ce séjour en Inde en tant que spectateur – a été son interprétation du dernier Ashtapadi “Kuru Yadu Nandana”. Tout simplement sublime !
Le récital s'est conclu par un Thillana dont le Caranam était consacré à Krishna, celui qui porte la flûte (Murali).
2018-12-31 08:11+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII
Art on the Terrace, Chennai — 2018-12-30 à 18:30
Thomas Vo Van Tao, mohiniattam
Neena Prasad, nattuvangam
Madhav Namboodiri, chant
Ramesh Babu, mridangam
Solkattu (Mishra Triputa Tala, Raga Gambhira Nattai)
Varnam (Adi Tala, Raga Shankarabharanam)
Panchakshara Stotram “Nāgendrahārāya” (Adi Tala, Raga Purvikalyani)
Thillana (Rupaka Tala, Raga Tillang), composition de Madhav Namboodiri
Mangalam
Comme lors de quelques autres très rares spectacles extraordinaires
auxquels j'ai eu la chance d'assister, je pourrais résumer mes impressions
avec l'unique mot Fantabullissime !
, mais je vais
développer davantage.
D'abord formé au bharatanatyam, Thomas Vo Van Tao s'est tourné vers le mohiniattam il y a une petite dizaine d'années environ. Il se forme auprès de son Guru Dr. Neena Prasad qui dirigeait le récital de ce soir, donné sur une terasse à Besant Nagar, au Sud de Chennai. L'orchestre a été magnifique. Une des particularités du mohiniattam par rapport au bharatanatyam est que dans la pièce principale (Varnam) les parties techniques de la première moitié ne sont pas accompagnées d'onomatopées rythmiques (Jati) comme dans le contexte du bharatanatyam, mais elles sont accompagnées par le texte (Sahitya) de la composition. En l'absence d'un autre instrument mélodique, c'est forcément au chanteur de répéter les lignes de texte, et il l'a remarquablement fait en changeant l'intention dans chaque répétition du texte, notamment en en modifiant la mélodie. Le percussionniste a bien fait deux ou trois petites acrobaties, mais il était magnifiquement tourné vers l'esthétique de la danse : quand l'art de l'expression l'exigeait, il savait mettre en valeur une pause ou pose dans la chorégraphie. (Note : dans ce récital de mohiniattam, et comme cela devrait aussi plus souvent être le cas en bharatanatyam, les poses ne sont jamais mortellement immobiles, elles sont pleines de vie.)
Après un magnifique Namaskar (commençant par un très beau demi- ou trois-quarts-de-plié à la seconde), la première pièce est un Solkatu. Il s'agit d'onomatopées rythmiques chantées sur un rythme assez complexe à 11 temps, chaque temps comptant en fait pour deux, donc on peut le considérer comme un cycle à 22 temps. La composition et la danse sont faites à différentes vitesses, y compris en utilisant des subdivisions en trois des 22 temps, ce qui demande de répéter trois fois la phrase chantée pour faire un nombre entier de cycles avant de passer à une autre vitesse. La technique de danse de Thomas Vo Van Tao est superbe et très musicale. Il danse magnifiquement bien, en toute simplicité. Les contacts de pieds avec le sol sont moins rapides que dans la danse bharatanatyam, mais ici le corps tout entier est constamment en mouvement, ce qui permet aux spectateurs d'apprécier certes les différentes positions du corps mais aussi et surtout le mouvement entre les positions.
La pièce principale est un Varnam dédié au dieu Rama. Dans le Pallavi, après une introduction et un passage rythmique (accompagné par le chant), le danseur développe un épisode extrait du Mahabharata. Il est heureux que le danseur ait présenté cet épisode avant de danser la pièce. Je ne sais pas s'il figure dans toutes les éditions intégrales du Mahabharata. Lors d'un des voyages d'Arjuna, il serait allé à Rameshwaram et aurait rencontré le singe Hanuman qui le met au défi de constuire un pont tout comme l'armée des singes avait construit un pont pour rejoindre Lanka. Hanuman détruit d'un coup de pied le pont de flèches construit par Arjuna. Un deuxième essai est accordé, mais cette fois-ci, avec un brahmane comme témoin. Alors qu'il grandit pour détruire le pont, Hanuman renonce à le détruire parce qu'il sent que le brahmane le met lui aussi à l'épreuve : le brahmane ne peut être que Rama en personne.
Je n'ai pas bien compris le sens de l'Anupallavi qui n'a pas été développé, si ce n'est qu'il était question de Kama. Il est important de savoir que les mouvements de mains sont assez différents entre le bharatanatyam et le mohiniattam... Dans ce style, l'expression est aussi ornementée de très nombreux micro-mouvements, notamment au niveau du visage (sourcils, petits mouvements latéraux et la tête, etc.). Après un élégant Muktayi Swaram et la section d'Abhinaya associée, le tempo accélère légèrement pour la deuxième moitié du Varnam. La ligne de texte du Caranam contient très distinctement le nom de Gautama, ce qui m'a permis de comprendre immédiatement que c'était l'histoire d'Ahalya qui serait explorée. Alors que son mari Gautama était allé se rafraîchir à la rivière, Indra prend son apparence pour séduire Ahalya. Quand Gautama rentre, il comprend ce qui s'est passé et les maudit. Ahalya est transformée en pierre et retrouve la vie quand bien plus tard Rama la touche du pied. (Si je n'avais pas entendu le mot Gautama dans le texte, je n'aurais compris qu'il s'agissait de l'histoire d'Ahalya qu'à la toute fin de la séquence ! C'est vraiment par chance que j'ai pu apprécier les nuances de cette interprétation.) La structure de la suite du Varnam est comparable à ce qui se fait en bharatanatyam. On trouve ainsi des passages rythmiques accompagnés d'une mélodie solfiée (Ettugada Swaram), puis sur la même mélodie un texte est chanté (Ettugada Sahitya), un petit nombre de fois, la dernière étant en Tattu Muttu. Comme il n'y a pas véritablement de place pour l'élaboration, le sens est beaucoup plus fugitif. Je me souviens simplement que le dernier semblait être sur le thème de l'amour, évoqué notamment par des lèvres de lotus.
Ce Varnam et la pièce qui suit ne font sans doute pas partie du
répertoire de mohiniattam le plus traditionnel. Cette forme de danse est
quasi-exclusivement pratiquée par des femmes. Quelques interprètes masculins
portant le costume féminin interprètent aussi cette danse de
l'enchanteresse
qui aborde le plus souvent le sentiment amoureux d'un
point de vue féminin. D'après ce qu'une de ses condisciples m'a confié,
Thomas Vo Van Tao est le premier danseur masculin qui a à son répertoire
des pièces de mohiniattam qui se placent résolument du point de vue
masculin (comme dans le Varnam) ou qui abordent d'autres
thèmes. Il faut vraiment féliciter Thomas Vo Van Tao et son guru Dr. Neena
Prasad pour ce travail.
La pièce qui suit est une représentation dansée du Panchakshara Stotram “Nāgendrahārāya” (d'Ādi Śaṅkarācārya) basé sur le mantra (Om) Namah Shivaya. Après un Shloka introductif, les cinq parties de la pièce sont la mise en musique de vers commençant par l'une des cinq syllabes du mantra. Le sens de chacun des cinq vers est montré dans la danse de façon extrêmement claire et surtout très belle. Je ne vais pas développer puisque sinon je serais obligé de citer intégralement le poème.
Ce superbe récital s'est terminé par un Thillana et un Mangalam.
2018-12-30 00:47+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII
Music Academy, Kasturi Srinivasan Hall, Chennai — 2018-12-29 à 08:05
Vidushi Kalyani Ganesan
Chittaswarams composed by Vainikas
J'ai assisté aux deux exposés de la session matinale de conférences à la Music Academy. Le premier discutait des Chittaswarams (séquences de notes solfiées) composées par des Vainikas (c'est-à-dire des musiciens qui jouent de la vina). La viniste Kalyani Ganesan est accompagnée de ses élèves qui chantent les exemples donnés. Un certain nombre d'entre eux viennent de Muthuswamy Dikshitar et des musiciens de sa lignée, parmi lesquels l'auteur du Sangita Sanpradaya Pradarshini. L'exposé était en tamoul, mais les textes projetés sur un écran étaient en anglais. Un exemple amusant était une mélodie en palindrome pour la composition Kamala bajane (Raga Kedaram, Adi Tala) de Muthuswamy Dikshitar.
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Music Academy, Kasturi Srinivasan Hall, Chennai — 2018-12-29 à 09:05
Aruna Sairam, chant
Ragavendra Rao, violon
Vaidyanathan, mridangam
The impact of Bhajana Sampradaya on Carnatic Music
La salle était pleine parce que l'exposé suivant était confié à Aruna Sairam, qui va recevoir le premier janvier le titre de Sangeetha Kalanidhi. Elle a discuté de la tradition de chant de bhajans, dans laquelle la communauté d'auditeurs participent en chantant dans un cadre dévotionnel, contexte qui s'oppose a priori au concert, où la musique est jouée dans but purement esthétique. Elle a donné de nombreux exemples de compositions, et aussi d'échanges entre ces deux traditions. Par exemple, elle a suggéré que les Chapu-talas viendraient d'une pratique de compositions jouées à vitesse rapide dans un cadre dévotionnel.
⁂
Narada Gana Sabha, Narada Gana Sabha (Main Hall), Chennai — 2018-12-29 à 13:45
Sudharma Vaithiyanathan, danse bharatanatyam
A. Lakshmanaswamy, nattuvangam, chorégraphies
K. Hariprasad, chant
Nellai D. Kannan, mridangam
Kalaiarasan Ramanathan, violon
Pushpanjali (Adi Tala, Raga Arabhi), composition de Dr. M. Balamuralikrishna
Varnam “Samiyai Azhaittu” (Raga Khamas, Adi Tala), composition du Thanjavur Quartette
Shloka “Rāmo nāma babhūva...”
Ashtapadi “Yahi Madhava” (Adi Tala, Raga Sindhu Bhairavi)
Javali (Raga Paras, Adi Tala)
Tillana (Raga Desh, Adi Tala), composition de Lalgudi Jayaraman
Mangalam
Premier grands frissons de la saison pour moi en matière de récital de danse solo. J'avais déjà assisté à un récital de la danseuse Sudharma Vaithiyanathan en 2015 lorsqu'elle avait eu le premier prix ex-aequo du Festival Spirit of Youth. Tous les paramètres sont au plus haut : les chorégraphies de son guru A. Lakshmanaswamy sont magnifiques (et très musicales), le chanteur K. Hariprasad et le violoniste Kalaiarasan sont excellents et le percussionniste Nellai D. Kannan est tout simplement sublime ! La technique de la danseuse est magnifique : il n'y a pas un mouvement qui soit fait à moitié.
Après un Pushpanjali, la danseuse a interprété un des Varnams les plus dansés (celui en Khamas du Thanjavur Quartette) dédié à Sundareswarar, la forme de Shiva résidant à Madurai. Très beau premier Jati avec d'assez longs silences (karvais) avant de reprendre certains mouvements. La danse est très élégamment ornementée, avec un très beau phrasé : rien n'est mécanique, même quand la danseuse doit alterner rapidement entre la position debout et le grand-plié. Dans l'Abhinaya, l'élaboration est magnifique. Par exemple, la première ligne du Pallavi est d'abord jouée uniquement avec les yeux. Puis, la danseuse suit le mot-à-mot du texte tout en donnant vie aux personnages : l'héroïne implore son amie d'aller transmettre son message à Shiva. Cette présentation du texte est répétée à de nombreuses reprises, sans jamais ennuyer puisqu'il y a toujours des variations significatives d'une fois sur l'autre. Et alors seulement, la danseuse développe un Sanchari : touchée par les flèches de Kama, elle perd l'appétit et le sommeil, et supplie son amie d'aller trouver Shiva pour qu'il vienne. Ensuite viennent les Tattu Muttu (partiellement à contretemps), des marches en arrière, une pause, puis des marches en diagonales avant de démarrer le Jati suivant. Je connaissais déjà le deuxième puisque j'ai vu Geoffrey Planque le danser dans un autre Varnam. Plus loin, l'héroïne demande au grand Shiva, beau comme la Lune de ne pas rester indifférent. La grandeur de Shiva est le thème de cette partie puisqu'un Sanchari développe la légende de la colonne de lumière en laquelle Shiva s'était manifesté : il avait défié Vishnu et Brahma d'en trouver les extrémités, mais aucun n'avait réussi. La chorégraphie ne représente que la tentative de Vishnu qui s'en va vers le bas de la colonne, en vain. Le troisième Jati utilise beaucoup l'espace scénique et utilise astucieusement des contretemps. Dans l'Anupallavi, on est dans la ville de Madurai et l'héroïne s'émerveille du temple qui s'y trouve. La chorégraphie représente ses différents gopurams, le bassin de lotus, le Shiva-lingam et celle aux yeux de lotus (Meenakshi). Plus loin, elle cherche l'union avec Shiva. L'héroïne se donne des airs de timide, mais son amour est trahi par ses yeux, et on la voit aussi préparer un lit de fleurs... Le Muktayi Swaram est très élégant. Le texte associé semble évoquer les pieds de lotus de Shiva et le dieu de l'Amour. La deuxième moitié du Varnam tourne autour du sentiment amoureux provoqué par les flèches de Kama, suggéré par le butinement des abeilles et le son des couples d'oiseaux. À la fin du dernier Ettugada Swaram, la danseuse exécute un formidable saut en avant typique de la tradition Vazhuvoor. Souffrant de la séparation, l'héroïne demande finalement à un oiseau de transmettre son message à Shiva.
Ensuite, la danseuse a magnifiquement bien interprété trois pièces de pur Abhinaya. La première était un Shloka “Rāmo nāma babhūva...” extrait du Krishna-katha. Magnifiques doubles cordes du violiniste dans l'introduction de la pièce dans laquelle Yashoda essaie de coucher Krishna, mais il demande qu'elle lui raconte une histoire. Il ne veut pas d'une histoire d'oiseaux ou de lion, mais il est partant pour l'histoire de Rama. La narration va de la naissance de Sita jusqu'à son enlèvement par Ravana. D'une part, la danseuse doit incarner les différents personnages du Ramayana, et d'autre part elle doit souvent revenir au rôle de Yashoda qui est une conteuse pour Krishna. Elle ne peut montrer les réactions de Krishna qu'au travers du regard de Yashoda. Quand Krishna prend peur alors que Sita vient d'être enlevée, Yashoda le rassure en lui disant que cela se finit bien (ce qui, au passage, est un peu discutable..) Finalement, elle le berce et il ferme les yeux.
Le récital s'est poursuivi avec l'Ashtapadi “Yahi Madhava”. Radha prépare un lit de fleurs et une guirlande pour Krishna, mais elle l'attend en vain toute la nuit. Quand il arrive, elle lui fait des reproches. Elle remarque par exemple une marque sur ses lèvres, mais il prétend avoir mangé des baies. Les griffures sur son corps s'expliquent par le frottement des branches de la forêt qu'il a traversée. Qu'il arrête ses paroles mielleuses (je traduis ici littéralement la chorégraphie) ! Elle finit par détruire son lit de fleurs.
Je n'ai pas absolument tout compris au Javali (Raga Paras/Adi Tala) qui a été interprété de façon très sarcastique ! À la fin, l'héroïne qui vient de recevoir une flèche florale de Kama se retourne et renvoie la fleur à l'envoyeur !
Le récital d'une heure et demie s'est terminé par un beau Thillana et un Mangalam.
⁂
Sri Mutha Venkatasubbarao Concert Hall, Chennai — 2018-12-29 à 19:00
TM Krishna, chant
Dr. R. Hemalatha, violon
Praveen Kumar, mridangam
Delhi Sairam, mridangam
BS Purushothaman, kanjira
Il s'agit de l'unique concert de TM Krishna pendant la saison des concerts. Ses concerts ne ressemblent pas du tout à ceux des autres musiciens. D'un concert à l'autre, il ne se ressemble pas non plus à lui-même : c'est toujours très différent. Il a élaboré des Alap et chanté des compositions utilisant des tempis très lents. Il ne clappe pas vraiment le Tala, ou s'il le fait, c'est souvent plus confusogène qu'autre chose. Même les connaisseurs avaient beaucoup de mal à suivre, et y compris les autres musiciens : il a semble-t-il un peu chambré les percussionnistes quand ils les a complètement perdus au début d'une des compositions.
Il s'agissait d'un concert caricatif en faveur du chœur d'enfants Nalandaway. Les jeunes musiciens ont rejoint le maître à la fin du concert pour interpréter plusieurs compositions, dont un mix entre deux Thillanas en Adi Tala et Raga Khamas (compositions de Pooci Srinivasan Iyengar et de Lalgudi Jayaraman), et pour conclure, une composition de Rabindranath Tagore.
2018-12-28 23:24+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII
Kartik fine arts, Bharatiya Vidya Bhavan, Chennai — 2018-12-28 à 19:30
Jyotsna Jagannathan, danse bharatanatyam
S. Srilatha, nattuvangam
Murali Parthasarathy, chant
Ramesh Babu, mridangam
Smt. K. P. Nandhini, violon
Muthu, flûte
Nandichol (Tishra Triputa Tala), composition de Ramesh Babu
Varnam (Adi Tala), composition de K. Hariprasad
Padam (Mishra Chapu Tala), composition d'Aditya Prakash d'après un poème de Surdas
Thillana (Raga Shankarabharanam, Adi Tala), composition de Pooci Srinivasan Iyengar
Récital dans lequel tout est fait pour être joli, mais pour moi sans émotion. C'est une des premières représentations de danse que je vois lors de ce séjour pour laquelle la salle est très bien remplie, le Who's who du bharatanatyam étant aussi très bien représenté.
Ancienne disciple de Guru A. Lakshman Swamy, Jyotsna Jagannathan travaille maintenant avec Malavika Sarukkai et Bragha Bessel. La première pièce est un Nandi-chol. La récitation par S. Srilatha sera magnifique pendant tout le récital. Il y a quelque chose dans sa façon de réciter qui fait que l'on continue à bien sentir la pulsation principale même pendant les passages les plus complexes. Je n'ai ainsi eu aucun problème à suivre le cycle rythmique pendant le passage en Tishra-nadai et le retour en Chatushra. La chorégraphie est délicieuse, mais je ne comprends pas l'intérêt de cette pièce si ce n'est qu'elle remplit un quart d'heure dans le créneau. La fin est toute mignonne puisqu'après avoir joué du mridangam, Nandi la monture de Shiva reçoit de celui-ci le tambour Damaru et commence à jouer avec...
La pièce principale est dédiée à Ranganatha (Vishnu). Il s'agit d'un Varnam composé par le chanteur K. Hariprasad. Le Trikala Jati est très bien chorégraphié, même si je n'apprécie pas la première vitesse qui est beaucoup trop mécanique. Dans la première ligne du Pallavi, l'héroïne cherche le bras protecteur de Vishnu. Cela donne l'occasion à la danseuse de faire pas moins de cinq courts Sancharis autour des bras de Vishnu et de son rôle de protecteur, un autour de la conque et du disque qu'il porte, un autre autour de la montagne Govardhana qu'il avait soulevée, un autre autour de Draupadi, sauvée dans l'épisode de la partie de dés, un dernier autour de l'éléphant Gajendra, et encore un autre que j'allais oublier à propos du Rasalila, Krishna tenant les gopis par la main. Plutôt que d'émouvoir de façon irrésistible, cela fait un peu collection d'images... Très beau deuxième Jati en Tishra nadai. Le quatrième était en Chatushra-nadai, avec parfois de tous petits passages d'un seul temps en Tishra-nadai. Dans la deuxième moitié du Varnam, l'héroïne souffre de la séparation et cherche l'union avec lui. Dans un des passages expressifs, l'héroïne semble demander à un oiseau d'aller transmettre son message à Vishnu dans les trois mondes. Malgré la présence scénique de la danseuse et des lumières très étudiées, je suis resté de marbre pendant la performance. Dans sa technique, elle est parfois légèrement en avance sur la musique et surtout il n'y a pas suffisamment de contrastes dans ses frappes de pieds (il faut regarder ses pieds ou écouter les thalams pour savoir si elle fait des motifs de 4 ou de 3 dans les Tattu Muttu). Son demi-plié est plutôt un quart-de-plié : dans de nombreux gestes techniques, on ne sait pas si elle est censée être debout ou en demi-plié...
Le Padam est très joli, mais il ne donne pas suffisamment à faire ressentir des émotions humaines. On commence par l'image de Rama traversant une forêt inhospitalière (belles doubles cordes dissonantes par la magnifique violoniste KP Nandhini dont le micro était malheureusement mal réglé). Tout dans la Nature rappelle à Rama le souvenir de Sita : ses yeux dans les antilopes, son visage dans la Lune qu'il aperçoit à travers le feuillage des arbres, etc.
Le récital s'est terminé par un Thillana en Adi Tala dédié à Padmanabha qui présentait la particularité de commencer sur le huitième temps, ce qui produit un effet de surprise lorsque les différents enchaînements se terminent...
Pas de Mangalam pour conclure le récital. Cela fait bizarre, une fin aussi abrupte !
2018-12-28 00:50+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII
Natya Kala Conference, Dr. Nalli Gana Vihar, Chennai — 2018-12-27 à 10:20
Aravinth Kumarasamy (Apsara Arts)
The Modern Dance Ensemble
La deuxième journée de la Natya Kala Conference a commencé par une projection d'un film sur Mrinalini Sarabhai, commenté par Sunil Kothari. Je n'y suis pas allé parce qu'il avait déjà présenté ce film à Paris. Le premier exposé a été fait par Aravinth Kumarasamy qui crée des productions de danse avec la compagnie Apsara Arts à Singapour. Il a expliqué son processus de création, les différents types de personnes à réunir en équipe suivant la taille des projets. Il a montré quelques extraits vidéos montrant diverses techniques scénographiques : comme des piliers qui sont déplacés sur scène, l'utilisation de projection vidéo ou de lumières pour créer une certaine esthétique. Il a aussi expliqué comment la forme de danse bharatanatyam pouvait être adaptée pour tenir compte des particularités culturelles de l'Asie du Sud-Est.
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Natya Kala Conference, Dr. Nalli Gana Vihar, Chennai — 2018-12-27 à 11:05
Apoorva Jayaraman, danse bharatanatyam
Shweta Prachande, danse bharatanatyam
Millennial Adavus
La présentation était plus intéressante que le titre. Apoorva & Shweta, deux excellentes disciples de Priyadarshini Govind ont présenté leur approche des adavus : comment les rendre contemporains ? Trois ingrédients : Intention, Innovation, Inspiration. Le plus évident dans leur danse est qu'elles mettent une intention particulière quand elles exécutent un adavu dans un contexte donné. Apoorva sourit et utilise beaucoup les yeux. La palette de Shweta est moins immédiatement impressionnante, mais elle paraît plus riche. Parmi les innovations, il ne s'agit pas forcément de créer de nouveaux adavus, mais de les combiner différemment. Ainsi, elles ont montré comment utiliser dans un jati des mouvements habituellement utilisés comme transition après la conclusion d'un Korvai dans un Jatiswaram. Une combinaison particulièrement impressionnante a consisté à effectuer un tour complet tout en exécutant un tarikitatom. Une autre façon d'innover consistait à créer des enchaînements utilisant des positions connues qui habituellement ne se suivent pas.
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Natya Kala Conference, Dr. Nalli Gana Vihar, Chennai — 2018-12-27 à 11:55
Mrs Akhila Krishnamurthy
Srinidhi Chidambaram
Ms S. Janaki
Nrithya Pillai
Smt Tulsi Badrinath
Caste, Gender, Privilege and their Roles in the Bharatanatyam landscape: A panel discussion (moderated by Sri V Sriram)
Cette discussion est restée au niveau des généralités, sans véritablement rentrer dans le fond du sujet, beaucoup trop large. La partie la plus intéressante est bien sûr venu de Nrithya Pillai qui a partagé le ressenti de sa famille de praticiens héréditaires de la danse. Quand elle apprenait la danse toute petite, on lui disait “This is not for us.” : nous pouvons enseigner, mais pas danser en public. Je l'avais déjà entendue développer davantage sur ce sujet lors d'une conférence en août dernier, et je me disais alors qu'il serait intéressant qu'elle puisse faire le même exposé dans un lieu tel que la Natya Kala Conference.
Actuellement, le problème principal semble être qu'au moins en début de carrière, les danseurs et danseuses doivent payer pour se produire. Il n'y a pas de procédure transparente pour sélectionner les danseurs.
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Vipanchee, R. K. Swamy Auditorium, Chennai — 2018-12-27 à 19:30
Kum. Ananya, Kum. Akshara, Kum. Kirtana, danse bharatanatyam
Swamimalai K. Suresh, nattuvangam, chant
T. Sashidhar, flute
M. Dhanamjayan, mridangam
Invocation “Jayasuda pori...” (Khanda Chapu Tala)
Mallari (Raga Ganapanchaka, Mishra Triputa Tala)
Pada-varna “Deva Munivar...” (Raga Shanmukhapriya, Adi Tala), composition de Lalgudi Jayaraman
Viruttam “Kunitha puruvamum...” / Kirtana Sadanandatandavam (Raga Marudari, Adi Tala)
Thillana (Raga Surutti, Tisra-gati Adi Tala), composition d'Oothukkadu Venkata Kavi
Mangalam
Pour la première fois de ma vie, j'ai vu un Nattuvanar diriger un récital de bharatanatyam. De même que son grand-oncle S. K. Rajarathnam Pillai, Swamimalai K. Suresh dirige et chante. Quel plaisir à écouter !
Toutes les pièces sont exécutées par trois de ses disciples. Les danseuses sont relativement jeunes ; l'exécution n'était pas toujours absolument parfaite, mais elles sont toutes très musicales dans leur danse. Kumari Akshara est particulièrement douée.
Le style de Swamimalai K. Suresh comporte quelques aspects particulièrement Vazhuvoor, mais je vois dans ces chorégraphies dans enchaînements que je n'avais jusqu'à maintenant vus que chez Kuttalam M. Selvam et son père Muthuswamy Pillai.
Dans le Mallari à 11 temps, le rythme des pas est très complexe puisqu'il ne suit ni le tala ni les shollus : on a en quelque sorte une polyrythmie à trois voix.
Le Varnam m'a semblé délicieux. Il s'agit d'une composition de Lalgudi Jayaraman, dont Swamimalai K. Suresh a été un disciple. Le sens du texte est relativement clair dans la gestuelle des danseuses, même si parfois je ne comprends pas tout à fait le sens global de chaque ligne. Les dieux et sages vénèrent le pied de Jagannath. Dans de courts Sancharis, les trois danseuses représentent plusieurs exploits de Vishnu, notamment la libération d'Ahalya (une représentant Ahalya, et les deux autres Rama et Lakshmana). Dans la deuxième ligne, je comprends l'idée que Vishnu protège et que son épouse est Lakshmi. Dans l'Anupallavi, on célèbre les pieds de Vishnu et un Sanchari développe l'histoire de l'avatar du Nain (Vamana). Enfin, il est question de la montagne où il réside (Venkatagiri) et de ses yeux de lotus. Dans cette première moitié de Varnam, les jatis et le Muktayi Swaram sont magnifiquement récités ou chantés, et chorégraphiés avec un grand sens musical et une utilisation intéressante de l'espace. Ainsi, dans le Muktayi Swaram, les danseuses utilisant beaucoup les diagonales, et font des séries de quatre quarts de tour. Dans toute la pièe, les Arudis sont délicieuses de simplicité ; les Tattu Muttu suivent des motifs un peu plus complexes, mais néanmoins très agréables. L'Abhinaya est beaucoup moins développé dans la deuxième moitié du Varnam. À la fin, on trouve une représentation de l'apparition indiscutablement spectaculaire de Krishna à Arjuna.
La pièce suivante est dédiée à Shiva. La partie rythmique commence par un Jati dans lequel les danseuses n'utilisent pas les mudras utilisés normalement dans la danse pure mais elles représentent à la place les divers attributs de Shiva. Cela se fait assez régulièrement, mais il était intéressant d'en voir une version à trois. Plusieurs élégantes séquences rythmiques ont été insérées dans la composition qui exprime l'émerveillement devant la danse de Shiva.
La dernière pièce du récital est un Thillana en Tishra-nadai Adi Tala (avec une séquence en Chatushra-nadai à la fin). La chorégraphie avait à mon goût le niveau de complexité rythmique idéal : ni trop simple, ni trop compliquée, juste ce qu'il faut de polyrythmie pour qu'on sente un peu de frottement entre la danse et la musique sans pour autant être complètement perdu.
2018-12-26 23:55+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII
Natya Kala Conference, Dr. Nalli Gana Vihar, Chennai — 2018-12-26 à 10:30
Ms Mahati Kannan
The Karanas Decoded
Après mon cours de bharatanatyam, je file au Krishna Gana Sabha pour assister à une partie de la matinée du premier jour de la Natya Kala Conference. J'arrive vers la fin de la présentation de Mahati Kannan qui a étudié les Karanas dans les sculptures, y compris dans d'autres régions de l'Asie que l'Inde.
À peine me suis-je assis que je l'entends prononcer le nom du peintre Edgar Degas et des termes de ballet : grand jeté, grand battement. Une version indienne de ces mouvements est présentée. À l'invitation de CV Chandrashekar, Mahati Kannan fait la démonstration d'un Swaram utilisant uniquement des tours (de différentes sortes, parmi lesquelles il y avait des sortes de fouettés et aussi des tours avec les genoux à terre.)
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Natya Kala Conference, Dr. Nalli Gana Vihar, Chennai — 2018-12-26 à 11:30
Ms Sanjukta Wagh
Manodharma in Kathak and Dance Theatre
La danseuse de kathak Sanjukta Wagh intervient ensuite pour une démonstration sur l'improvisation. Elle explique comment en quelques mois au Trinity Laban Conservatoire de Londres elle a repensé sa pratique de la danse. Elle a cherché à explorer l'improvisation qu'elle pouvait admirer dans d'autres formes d'art, comme la musique dhrupad.
Elle a présenté trois extraits sur le thème de Gandhari accompagnée par un guitariste et par son propre chant. Les deux premiers était de pur Abhinaya. Ses mouvements étaient très simples, mais l'intensité qui s'en dégageait m'a semblé assez sublime. Le troisième était un passage rythmique dans lequel elle incarne Gandhari portant le bandeau qui l'a rend aveugle.
Elle a interprété aussi une composition en Ektal sur un poème soufi penjabi de Shah Hussain “Ghum ghum carakhra”.
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Natya Kala Conference, Dr. Nalli Gana Vihar, Chennai — 2018-12-26 à 12:15
Sri V. Balagurunathan
Sri Guru Bharadwaj
Smt Meenakshi Srinivasan
Sri Swamimalai Suresh
Smt Pavithra Srinivasan
Jathis - the long and short of it: A panel discussion (moderated by Priya Murle)
J'étais principalement venu pour cette discussion entre danseurs, percussionnistes et un nattuvanar. L'organisatrice de la conférence Srinidhi Chidambaram a introduit le sujet avec des commentaires assez acides à propos de l'évolution des jathis vers de plus en plus de longueur, de plus en plus de complexité, au détriment de la musicalité. Chacun des intervenants a présenté son opinion sur les Jathis, certains s'exprimant uniquement en tamoul... Le percussionniste Guru Bharadwaj a expliqué dans quelle mesure les shollus variaient entre le mridangam, le tavil et les jathis en bharatanatyam. L'idée la plus importante m'a semble-t-il été énoncée par Swamimalai Suresh qui a dit que ce qui comptait c'était la musicalité... Meenakshi Srinivasan était aussi de cet avis, mais qu'il fallait aussi prendre en compte le contexte (quel Varnam et où ?) dans lequel s'insère le jati pour produire le Bhava adapté ; par ailleurs, autant visuellement qu'en termes d'onomatopées, le jathi doit utiliser un vocabulaire cohérent, comme une sorte de thème et variations.
Une controverse générale s'est répandue à propos de la question de savoir qui est-ce qui dirige la danse, en particulier pendant les silences (karvais) ? Cela faisait suite à une remarque de la danseuse Meenakshi Srinivasan qui pensait que dans ce cas c'était à la danseuse de diriger et aux musiciens de suivre. Beaucoup d'autres, et Guru Bharadwaj en premier pensaient très fortement que ce qui compte c'est que tout le monde soit en même temps en rythme (kalapramanam). (Personne n'a pensé à dire qu'il est possible pour le nattuvangam artist et/ou le mridangiste de remplir un peu les silences pour faciliter la perception des bons intervalles de temps.) Srinidhi Chidambaram a insisté sur le fait qu'il fallait inciter les jeunes danseurs à aller assister à des concerts pour mieux comprendre la musique carnatique...
Parmi les questions du public, Nrithya Pillai a demandé à Swamimalai Suresh de réciter un jati spécifique qui est particulièrement intéressant pour les longs intervalles de silence qu'il contient. L'artiste qui est le petit-neveu de S.K. Rajaratnam Pillai s'est exécuté et en a aussi récité un deuxième. C'étaient de véritables gourmandises auditives !
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Music Academy, T.T.K. Auditorium, Chennai — 2018-12-26 à 16:00
Aruna Sairam, chant
Vittal Ramamurthy, violon
J. Vaidyanathan, mridangam
Dr S. Karthik, ghatam
Bien qu'elle ait pas mal toussoté entre les pièces, très beau concert de la grande Aruna Sairam, qui va très bientôt recevoir le titre de Sangeetha Kalanidhi par la Music Academy. Elle a commencé par un Varnam en Khanda Ata Tala (14 temps). Plus loin, alors même que je regardais le portrait de Shyama Shastri accroché à droite dans les hauteurs du T. T. K. Auditorium, elle a annoncé qu'elle allait chanter Brovavamma Tamasa... (Raga Mahnji, Misra Chapu Tala) de ce compositeur. La pièce principale a été un Ragam-Thanam-Pallavi en Khanda Chapu à la fin duquel les deux percussionnistes ont fait un beau Tani Avarthanam.
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Narada Gana Sabha (Main Hall), Chennai — 2018-12-26 à 19:00
Narthaki Nataraj, danse bharatanatyam
Kaushik Champakesan, nattuvangam
Nandini Sai Giridhar, chant
Nag Sriram, mridangam
Srilaksmi Ramani, violon
Devraj, flûte
Chidambaram Thiruppugazh (Raga Gambhira Nattai, Chatushra Ekam Tala)
Kirtana “Devi Mina Netri” (Raga Shankarabharanam, Adi Tala), composition de Shyama Shastri
Pada Varnam “Mohamana” (Raga Bhairavi, Rupaka Tala), composé par Ponniah Pillai (Thanjavur Quartet)
Kriti “Kanna vendum” (Raga Surutti, Adi Tala), composition d'Arunachala Kaviraya
Padam “Enako Munako” (Raga Abheri, Tisra-nadai Adi Tala)
Padam (Ragamalika, Khanda Chapu Tala)
Mangalam
C'est un fort beau Margam de deux heures qu'a présenté Narthaki Nataraj (que j'avais déjà vue en 2013).
Le première pièce est un hommage à Muruga aux six visages. La façon d'exécuter les mouvements de danse pure n'est pas la plus raffinée ou stylisée qui soit, et les pieds manquent parfois un peu de précision (on sent aussi que l'orchestre n'a pas beaucoup répété et que le mridangam en fait dix mille fois trop). Comme dans tout le récital, la danse pure sera fait en vitesse moyenne, conformément à ce qu'enseignait K.P. Kittappa Pillai, le guru de la danseuse. Il n'y a aucune volonté de virtuosité. Par contraste avec ce qui se fait habituellement de nos jours, c'est extrêmement agréable à écouter et à regarder. Les mouvements expressifs de la danseuse sont extrêmement beaux et semblent être d'un autre temps.
Après une pièce introductive dédiée à Muruga et un kirtana de Shyama Shastri dédié à la Déesse aux yeux de poisson, Narthaki Nataraj a interprété le Varnam “Mohamana”, un grand classique. Je l'avais vu en août dans une chorégraphie de Rama Vaidyanathan qui avait pour ainsi dire enlevé tout l'aspect amoureux de la pièce. C'est donc avec un grand plaisir que j'ai apprécié cette interprétation (d'une chorégraphie de K.P. Kittappa Pillai). L'héroïne enamourée de Tyagesha (Shiva) perd le sommeil et l'appétit. Elle ne peut supporter les sons de la nature. Plus loin, l'amie de l'héroïne n'en peut plus de devoir transmettre des lettres entre l'héroïne et Tyagesha : au bout de quelques allers-retours, elle est épuisée. Ensuite, la ville de Thiruvarur est évoquée avec un éloge des arts (sculpture, musique) et un court développement d'une légende selon laquelle les roues d'un char avaient tué une vache et pour expier sa faute, le pilote avait sacrifié son fils. Enfin, l'héroïne cherche l'union avec celui qui chevauche le buffle. Plus loin, il y a eu une transition interminable du percussionniste : la danseuse au milieu de la scène s'est mise à clapper le tala pour ne pas se perdre avant de commencer la deuxième partie dans laquelle l'héroïne est touchée par les flèches de l'Amour et souffre de la séparation avec Tyagesha. Le chant des oiseaux la fait souffrir. La nuit, elle est ardente. Elle brûle d'amour à cause de la lumière de la Lune.
Le récital s'est terminé par trois pièces de pur Abhinaya. Le premier mettait en scène Shurpanakha décrivant la belle Sita à Ravana.
2018-12-25 22:30+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII
Narada Gana Sabha (Main Hall), Chennai — 2018-12-25 à 19:00
Srekala Bharath, danse bharatanatyam
Padma Raghavan, nattuvangam
Dhanamjayan, mridangam
Preeti Mahesh, chant
M. Srikamani, violon
Invocation (Rupaka Tala)
Pushpanjali (Adi Tala, Raga Arabhi), composition de Dr. M. Balamuralikrishna
Viruttam
Muruga Kavuttuam
Swarajati (Adi Tala, Raga Kamboji), composition du Thanjavur Quartette
Padam “Jagadhodharana” (Raga Kapi, Adi Tala, composition de Purandaradasa)
Javali (Adi Tala, Raga Kamas)
Thillana (Adi Tala, Raga Paras), composition de Pooci Srinivasan Iyengar
Kriti “Omkara Akarini” (Adi Tala, Raga Lavangi), composition de Dr. M. Balamuralikrishna
Mangalam
Chroniquette express. Le récital de danse auquel j'ai choisi d'assister ce soir était celui de Srikala Bharath (disciple de KJ Sarasa, dont elle enseigne le style Vazhuvoor à Chennai). Elle a interprété un Margam de forme traditionnelle. La danseuse m'a semblé très en difficulté dans sa danse pure au début du récital. On n'entendait pas ses pieds (ce qui lui permettait de ne faire parfois qu'un pas sur deux). Cela s'est un peu amélioré par la suite, notamment dans le Swarajati en Raga Kamboji et Rupaka Tala du Thanjavur Quartette. Elle a très bien représenté les ornements de Shiva (peau de tigre, serpents...) qui au lieu d'effrayer l'héroïne la ravissent. Elle a aussi élégamment montré la jalousie de l'héroïne pour Parvati qui ne fait qu'un avec Shiva dans sa forme Ardhanarishwara. Quelques autres beaux moments dans l'Abhinaya de la danseuse, notamment dans Jagadhodharana, mais pas de grands frissons...
2018-12-24 23:08+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII
Depuis que je suis arrivé à Chennai, comme lors de mes séjours précédents, je prends des cours avec Master Kuttalam M. Selvam. Après mon deuxième cours de la journée, où il a commencé à m'enseigner l'Abhinaya d'un Shabdam consacré à Muruga, je me suis rendu au Brahma Gana Sabha pour assister à un programme thématique consacré à ce dieu. Les premiers spectacles de danses vus hier et avant-hier ne suivaient pas le modèle traditionnel du Margam (même en version réduite : il faut au minimum un Varnam, un Padam et un Thillana). Je me sentais en manque de Margam, et je n'osais espérer être satisfait avec un programme thématique dont les formats varient beaucoup. Non seulement, j'ai été satisfait sur ce point, mais le frissonomètre a grimpé très haut !
Brahma Gana Sabha, Sivagami Pethachi Hall, Chennai — 2018-12-24 à 19:00
Chidambaram Dance Company
Chitra Visweswaran, Priyadandapani, Vidhya Anand, Jai Queheni... (danse bharatanatyam)
R. Visweswaran, Lalgudi Jayaraman, etc. (musique)
Skaandam (Chitra Visweswaran)
Murali Parthasarathy, chant
Sukanya, nattuvangam
Venkat Subramaniam, mridangam
Tyagaraja, flûte
Sai Ganesh, vina
Dans le style de danse bharatanatyam, rares sont les chorégraphes qui parviennent à mettre en scène de façon intéressante des groupes. La seule exception que je connaisse est Chitra Visweswaran dont j'ai pu apprécier plusieurs productions : Anubhuti vu à Paris en 2013, Meera: The Soul Divine dont j'ai assisté à la création en juillet 2016 à Chennai. Je suis légèrement biaisé puisque lors de mes séjours à Delhi, je prends des cours avec une de ses disciples, mais les chorégraphies solo de Chitra Visweswaran sont excellentes et quand il s'agit de groupes elle est tout simplement géniale.
Le programme présenté ce soir au Brahma Gana Sabha est intitulé Skaandam (dieu aussi connu sous les noms de Kartikeya, Muruga, Guha, Kumara, Shanmukha, Subramanya, etc.). Après la récitation d'un mantra et d'une composition, le programme proprement dit a commencé par un Shloka sanskrit dédié à Muruga et dansé par Chitra Visweswaran. La danseuse développe élégamment la représentation du paon, la monture de Skanda.
Le Shloka s'enchaîne avec un Pushpanjali initialement dansé par huit danseuses de la Chidambaram Dance Company parmi lesquelles je reconnais Vidhya Anand et Jai Queheni. L'utilisation de l'espace par le groupe est magnifiquement bien reglé. Il s'agit alors de mettre en scène le combat entre les dieux et les démons, principalement sous la forme de quatre duels mettant chacun en opposition deux danseuses qui se défient l'une l'autre. La tournure des événements change radicalement quand une neuvième danseuse (Priyadandapani) entre en scène dans le rôle de Skanda. Il lutte, et assez étrangement, tue un éléphant et un tigre. La pièce se termine par un alignement de huit danseuses et à peu près autant de paires de bras représentant Skanda devant lequel se tient une danseuse faisant le paon. Un peu plus loin, en forme de transition, deux dévotes s'émerveillent en rappelant à leur souvenir celui qui est né de façon miraculeuse au bord de la rivière Ganga.
Le spectacle se poursuit avec un magnifique Varnam de Lalgudi Jayaraman (Raga Nilambari, Adi Tala). Il est interprété par neuf danseuses dans différentes configurations. Les passages techniques sont superbes. Les chorégraphies me semblent très musicales et toutes les danseuses savent utiliser les contrastes entre force et douceur dans leurs mouvements. Rarement une première vitesse d'un Trikala Jati ne m'a semblé aussi délectable ! La première ligne du Pallavi comporte le plus long développement sur la naissance de Skanda. Les dieux viennent voir Shiva pour lui demander d'avoir un fils qui pourra vaincre les démons. On voit aussi la rencontre de Shiva et Parvati, cette dernière prenant soin de lui alors qu'il est en méditation ; il réduira en cendres Kama quand celui-ci perturbera son ascèse. Plus loin, six nourrices s'occupent de l'enfant à six têtes et douze bras. Les motifs rythmiques des Tattu Muttu sont délicieux avec la moitié d'entre eux qui sont sur les temps et l'autre moitié qui est décalée, ce qui procure une sensation assez particulière. Le deuxième Tirmanam, dansé à trois, est particulièrement beau puisque la plupart des mouvements sont faits à contretemps par rapport aux syllabes récitées. Plus loin, la chorégraphie évoquera la dévotion à Skanda ainsi que sa monture. Assister à la deuxième moitié du Varnam a été un pur plaisir !
À peine le Varnam terminé, Chitra Visweswaran entre en scène pour une double pièce d'Abhinaya (dans les talas Adi Tala et Mishra Chapu). Le sens général de cette pièce m'a complètement échappé si ce n'est qu'à la fin son personnage s'émerveille en voyant Skanda aux 6 têtes et 12 bras. Par exemple, je n'ai pas compris pourquoi la danseuse avait évoqué très longuement un jeu de balle ? Cela dit, dans sa façon de faire les mouvements, on ne peut qu'admirer la maîtrise absolue de son art par l'interprète.
La programme se conclut par un Thillana très élaboré, commencé par Chitra Visweswaran, et poursuivi par ses disciples.
2018-12-24 00:19+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII
Music Academy, Kasturi Srinivasan Hall, Chennai — 2018-12-23 à 08:05
Vidwan K. Sadgurucharan
Panchamukhi Tala Avadhana
Pendant le festival de la Music Academy, des lecture-demonstrations sont organisées tous les matins dans la petite salle. Un des titres qui avait attiré mon attention était celui du mridangiste Vidwan K. Sadgurucharan.
Il a expliqué le concept de Panchamukhi Tala Avadhana. Il s'agit d'une performance consistant à clapper simultanément différents talas avec différentes parties du corps (cinq s'il s'agit de Panchamukhi et six s'il s'agit de Sanmukhi). Il a expliqué que des traductions télugu de textes sanskrits anciens contenaient des descriptions de telles performances par les dieux Shiva, Vishnu et Brahma. La première performance historiquement attestée date de 1914 par Narayana Dasu. Vidwan K. Sadguducharan a expliqué les différentes façons d'exécuter cela.
Le point culminant de la présentation fut sa démonstration de l'Ishwara Panchamukhi Tala Avadhana. Il a chanté une composition de Tyagaraja qui est originellement en Adi Tala, donc huit temps dont chacun est subdivisé en quatre ce qui fait 32 pulsations (rapides) par cycle rythmique. Dans sa performance, alors qu'il était assis sur une sorte de banc, il a frappé du pied gauche toutes les trois pulsations rapides (Tishra), du pied gauche toutes les neuf pulsations (Sankirna), de la main gauche toutes les sept pulsations (Mishra), de la main droite toutes les quatre pulsations (Chatushra) et toutes les cinq pulsations (Khanda), il faisait un mouvement simultané des deux épaules. Après le mouvement simultané des cinq parties du corps sur la toute première pulsation, il faut attendre 1260=4×5×7×9 pour que les cinq cycles indépendants se rejoignent à nouveau. Tout le monde n'est pas capable de clapper une pulsation de façon régulière. La plupart des gens arrivent à néanmoins à le faire. Je fais partie de ceux qui arrivent à clapper certaines combinaisons de deux pulsations plus ou moins indépendantes comme (3,4), (3,9), (3,6), (5,10), (7,14). Là il s'agissait d'un véritable prodige consistant à le faire pour le quintuplet (3,4,5,7,9) tout en chantant une composition en Adi Tala (sur un cycle de 8×4=32 pulsations, nombre qui ne divise pas 1260, ce qui nécessita une petite manipulation à la toute fin).
Cinq musiciens réputés avaient été conviés pour vérifier que la
performance ne comporterait pas d'erreur : chacun devait surveiller une des
cinq parties du corps. Quand ils se sont tous levés à la fin de la
performance, le public a fait de même et Aruna Sairam, qui commente chacune
des lec-dems en tant que Sangeetha Kalanidhi designate
, s'est
réjouie que l'on trouve encore des génies dans la musique carnatique
aujourd'hui.
Voici cette performance en notation Benesh :
Le musicien a également fait une performance de Sanmukhi Tala Avadhana en clappant Adi Tala en six vitesses différentes (chaque vitesse étant deux fois plus rapide que la précédente). Il l'a fait en chantant un Varnam en Chatushra et Tishra-nadai.
⁂
Natya Darshan, Bharatiya Vidya Bhavan, Chennai — 2018-12-23 à 17:00
Mythili Prakash, danse bharatanatyam
D. Punaya, chant
Jayashree Ramanathan, nattuvangam
Easwar Ramakrishnan, violon
Mohan Krishnamurthy, mridangam
The Dichotomy of the Goddess
J'ai assisté aux trois programmes de la soirée conclusive de la conférence Natya Darshan organisée par Priya Murle. La première performance est de Mythili Prakash, disciple de sa mère Viji Prakash et dont la mentor actuelle est Malavika Sarukkai.
La danseuse a présenté un Daru Varnam en Raga Kamas et Adi Tala de Harikesanallur Muthiah Bhagavatar, intitulé Māte malayadhvaja.....
Mythili Prakash a une technique de danse très élégante, tout en étant à la fois précise dans les lignes et le rythme. La pièce joue du contraste entre la douceur féminine et la vigueur de la Déesse en tant que combattante (impression de déjà vu avec le programme d'hier de Malavika Sarukkai...). En effet, le programme s'intitule The Dichotomy of the Goddess, et ce thème avait été introduit par des gestes des deux mains en Pataka dans une introduction présentant différentes images de femmes autour des mantras Ya Devi Sarva Bhuteshu et Ayi Girinandini Nanditamedini, qui eux-mêmes faisaient suite à une prière à celle qui était comparée de nombreuses manières à la fleur de lotus (Kamala). Dans l'unique ligne de Pallavi, la Déesse est la fille de la Montagne et la mère de Ganesh et Guha (Skanda). La danseuse élabore autour du thème de la femme-mère jouant avec ses enfants, les couchant, puis avec celui de la femme-amante. De façon à généraliser le propos à toutes les femmes, la chorégraphie contient peu de références précises à la Déesse en particulier, si ce n'est qu'elle a un fils ayant une tête d'éléphant. Dans l'Anupallavi et dans le Jati correspondant (en Tishra-nadai), la chorégraphie fait contraster d'une part la lenteur, la douceur, la femme séductrice, les beaux cheveux et d'autre part la vitesse, la brutalité des armes, la force guerrière, les cheveux défaits.
La pièce semble s'arrêter une première fois sur une femme en situation de détresse. Dans sa deuxième moitié, la structure du Varnam est quelque peu malmenée, les onomatopées se superposant parfois à la ligne de Caranam, les Swarams n'étant pas toujours dansés, et les arudis ne se finissant pas toujours au point prescrit, mais juste après. La danse va s'arrêter une autre fois, avec un passage accompagné du nattuvangam (bâton) pour le combat entre Mahishasura, le démon en forme de buffle, et la Déesse. De façon étrange, après cette victoire, le Varnam se finit sur une femme dans une situation de désespoir total.
Je ne suis pas vraiment convaincu par le concept autour de cette pièce ; les parallèles et oppositions ne me semblent pas très pertinents dans le cadre de cette composition musicale. La danse est élégante, mais émotionnellement le frissonomètre n'est pas monté très haut. Il est par ailleurs étonnant que la danseuse n'ait utilisé que 45 minutes de son créneau qui faisait plus d'une heure !
(Indépendamment de la danseuse, il m'a été difficile de me concentrer, les ouvreurs n'arrêtant pas de faire la police pour que les gens s'installent à une place qui corresponde au prix de leur billet ; ils faisaient entrer les retardataires auxquels ils montraient le chemin avec une puissante lampe, etc.)
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Natya Darshan, Bharatiya Vidya Bhavan, Chennai — 2018-12-23 à 18:15
Shijith Nambiar & Parvathy Menon, danse bharatanatyam
D. Punaya, chant
Parthasarathy, nattvangam
Easwar Ramakrishnan, violon
Karthikeyan Ramanathan, mridangam
J'ai en général peu d'affinités avec le style Kalakshetra, mais après la pause, le couple de danseurs Shijith & Parvathy a présenté un très beau programme. J'avais déjà eu l'occasion de voir une de leur disciple l'année dernière (elle avait eu le deuxième prix du festival Spirit of Youth). J'ai particulièrement apprécié la danse de Shijith Nambiar, dont l'Abhinaya m'a semblé très convaincant, même s'il s'agit davantage de description que d'incarnation, le seul sentiment humain véritablement représenté étant la dévotion.
Le programme a commencé par un magnifique Alarippu en Adi Tala dont la phrase de première vitesse occupait deux cycles, soit seize temps répartis en 16=7+9. Il s'agissait en fait d'un medley entre l'Alarippu et une composition dédiée à Shiva. Sur la phrase introductive ressemblant à Tat tai tai yum... répétée de nombreuses fois, Shijith joue le rôle du dévot de Shiva incarné par Parvathy Menon. Puis, la danse pure intervient. Que l'Alarippu soit en Adi Tala donne la sensation d'assister à un Trikala Tirmanam comme dans un Varnam. La pièce enchaîne avec la composition musicale dédiée à Shiva. Les danseurs se transforment en dévots qui entrent dans le temple de Shiva. C'est typiquement de l'Abhinaya Kalakshetra, mais c'est très bien fait. La phrase initiale de l'Alarippu revient en conclusion alors que les deux danseurs ont repris leurs rôles initiaux.
Les danseurs ont dansé un Jatiswaram en Ragamalika et Misra Chapu. Il est habituellement attribué au Thanjavur Quartette, mais il a été ici annoncé comme étant de Swati Tirunal, avec en outre la présence de paroles dédiées à Padmanabha sur la mélodie des Swarams. Dans l'interprétation, des shollus se sont parfois superposés à la mélodie, ce qui est assez étrange. La technique des deux danseurs est excellente. La chorégraphie comporte de nombreuses trouvailles, que ce soit en termes d'adavus ou en termes de duo (un des Swarams a ainsi été interprété plus ou moins en canon ou sous forme de questions et réponses). J'apprécie beaucoup les passages rythmiquement complexes quand ils sont à vitesse modérée. Leur capacité à exécuter des mouvements très rapides (frappes, tattu muttu) est impressionnante, mais il y a à mon avis, et c'est un travers typiquement kalakshetrien, une utilisation excessive des subdivisions des temps du cycle rythmique Misra Chapu. Ainsi, si certains passages sont impressionnants de virtuosité, il est regrettable qu'une véritable bataille ait lieu entre la mélodie de la composition rythmique et le rythme des pas de danse. Au contraire, plutôt que de se combattre, les deux devraient concourir au plaisir esthétique.
Le récital s'est poursuivi par une interprétation du vingt-troisième Ashtapadi Kṣaṇam Adhunā extrait du Gita-Govinda. La mise en musique par Rajkumar Bharati en Ragamalika et Misra Chapu n'est pas de nature à créer une atmosphère permettant aux émotions les plus subtiles de s'exprimer. Pourquoi donc insérer des Swarams ? et des frappes rythmiques ? S'il n'est pas complètement évité, le caractère érotique est assez largement laissé de côté. Je retiens surtout la préparation des deux amants, Shijith interprétant Krishna nouant son dhoti, mettant une plume de paon dans ses cheveux, se massant avec de la pâte de santal, etc. Plus loin, il lancera des flèches florales.
Le récital s'est conclu sur un Ardhanarishwara en Khanda Chapu et Brindavani Sarang (raga hindustani) également mis en musique par Rajkumar Bharati d'après des vers de Shankaracharya et des textes tantriques. Je ne retiens pas grand'chose de cette pièce plutôt descriptive si ce n'est le leitmotif chorégraphique constitué par l'association d'une main du danseur et de la danseuse pour former le mudra représentant le Shiva-linga.
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Natya Darshan, Bharatiya Vidya Bhavan, Chennai — 2018-12-23 à 19:30
Sanatkumar, Athul Balu, Vishnu Bhasi, Sudarshini Iyer, Manaswini Korukkai, Sivasri, Ananthashree, Jai Queheni, Arul, danse bharatanatyam
Destination: The Self, A Thillana Medley
KP Rakesh, chorégraphie
Sri Kasi, nattuvangam
Nandini Anand Sharma, chant
Easwar Ramakrishnan, violon
KP Ramesh Babu, mridangam
La soirée s'est terminée par un medley de Thillanas (en Rupaka Tala, Adi Tala en Chatushra- ou Tishra-nadai et divers ragas) interprété par neuf jeunes danseurs. Il s'agit d'une chorégraphie commandée spécialement à KP Rakesh de Kalakshetra, dont Priya Murle a étrangement annoncé qu'il était un Nattuvanar (terme strictement réservé aux membres des familles héréditaires qui pratiquent l'art du nattuvangam) représentant le style de Balamma (?!??), alors qu'il a été formé à Kalakshetra.
La chorégraphie était agréable à regarder. Les séquences rythmiques sont plutôt musicales et utilisent bien le groupe de danseurs (entre 3 et 9 présents sur scène à un instant donné). Dans le groupe, j'ai particulièrement apprécié la délicieuse danse de Jai Queheni, disciple de Chitra Visweswaran.
2018-12-22 22:58+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XVIII
Je suis arrivé cet après-midi à Chennai après une relativement courte correspondance à l'aéroport de Delhi. Au guichet de l'immigration, pour la première fois en dix-huit entrées, on me demande ce que je viens faire en Inde. Vous venez pour un camp de méditation ou de yoga ? Ah non, pas vraiment, je viens pour la saison de musique et danse. Et, vous pouvez le prouver ? Euh, oui, coup de bol, j'ai un billet pour un concert le 29 décembre. Et à part ça ? Par exemple ce soir je vais voir Malavika Sarukkai. Comment vous épelez ce nom ? Comment dire, il y a pleins de spectacles tous les jours, je ne vois pas trop l'intérêt de vous donner toute la liste...
En sortant de l'aéroport à pieds, je mets un peu plus de temps que d'habitude pour trouver la station de train Tirusulam pour rejoindre rapidement le centre de Chennai d'où je prendrais un rickshaw pour rejoindre l'appartement où je vais séjourner à Alwarpet. Arrivé au carrefour de la Music Academy, le pilote de rickshaw s'apprête à tourner dans la direction opposée ! Heureusement, je pourrai faire office de copilote jusqu'à l'arrivée.
L'appartement où je suis est stratégiquement placé à proximité du Narada Gana Sabha, du Brahma Gana Sabha et de la Music Academy. À peine arrivé, je repars pour la salle de spectacle où se déroule le festival du Brahma Gana Sabha.
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Brahma Gana Sabha, Sivagami Pethachi Hall, Chennai — 2018-12-22 à 19:00
Malavika Sarukkai, danse bharatanatyam
Murali Parthasarathy, chant
Nellai Balaji, mridangam
Malavika Sarukkai est certainement une des danseuses de bharatanatyam les plus connues. Je ne l'avais jusqu'à maintenant jamais vue en spectacle. Elle a assurément une présence scénique impressionnante. L'art de l'expression (Abhinaya) n'est pas vraiment son point fort. D'un point de vue strictement narratif ou descriptif, ce qu'elle fait est impressionnant (mais un peu exagéré), mais en termes émotionnels, je reste vraiment sur ma faim. Son point fort est son assez extraordinaire travail sur le rythme (pour lequel elle a été aidée par le percussionniste MS Sukhi dans sa pièce principale). Ses frappes sont extrêmement vigoureuses, et on entend ainsi assez bien le jeu rythmique auquel elle se livre. Ces pas sont insérés en permanence dans son Abhinaya, dans des proportions qui malheureusement détournent l'attention vers le rythme au dépens du sens.
Après le mantra Om Namah Shiva
et une composition en Khanda
Chapu (à moins que ce ne soit Khanda-nadai Adi Tala) commençant par
Prabhu...
qui évoquait les divers attributs de Shiva (le
croissant de Lune, la Ganga, les cheveux défaits, le cercle de feu, son
épouse, le lingam, etc.), elle a interprété une pièce principalement
rythmique faisant se succéder jatis et swarams. À la fin de chaque
séquence, un Arudi est exécuté qui marque le cinquième temps,
puis, ô surprise, marque aussi le septième temps après des frappes
virtuoses, et deuxième surprise, marque aussi parfois le premier temps
du cycle suivant.
La pièce principale aborde le thème de Mahishasuramardini, à savoir du
triomphe de la Déesse contre le démon Mahisha. Le texte est extrait du
Devi-mahatmya (qui fait partie du Markandeya-Purana), des
extraits que j'ai eu l'occasion de lire il y a quelques mois lorsque j'ai
réalisé la notation Benesh d'une chorégraphie de Sucheta Chapekar qui
aborde aussi ce thème (de façon beaucoup plus brève). La pièce repose sur
le contraste entre d'une part la brutalité de ce démon et la fureur de la
Déesse combattante et d'autre part la beauté et la délicatesse de la Déesse
dans ses formes plus apaisées. Le corps de lotus de la Déesse, ses beaux
seins d'une part, et d'autre part elle porte aussi le trident, chevauche le
tigre. La représentation de la fureur n'est pas très subtile. Ainsi, par
exemple, la danseuse a traversé la scène de l'arrière vers l'avant en mode
Déesse chevauchant un tigre qui sautait en mode sauterelle (on est ni dans
la stylisation d'une intention ni dans l'imitation naturaliste du tigre ;
je ne sais pas très bien où on est...). La Déesse ne sait pas très bien
dans quelle main tenir son arc. Parmi les métamorphoses du démon Mahisha,
la chorégraphie représente sa transformation en éléphant. Certes il s'agit
d'un éléphant surexcité, mais la vitesse des mouvements de la danseuse ne
permet pas de croire qu'il s'agit véritablement d'un éléphant. La pièce se
conclut par une longue prière adressée à la Déesse. Il y a un gros travail
rythmique dans cette pièce et une volonté d'impressionner (qui a
manifestement fonctionné sur le public), mais alors que ma vénérable
voisine me confiait This was something!
, je ne pouvais que répondre
It's special...
.
La danseuse interprète ensuite le classique Krishna Ni Begane. Le très jeune Krishna suscite l'émerveillement de sa mère adoptive Yashoda. Les mouvements expressifs de la danseuse sont très convainquants. C'est du travail bien fait, mais je ne suis nullement ému par l'essentiel de la pièce, qui est bien sûr agrémenté de très nombreuses frappes de pieds, surtout quand Yashoda admire les grelots de Krishna. Le plus beau moment a été à la fin quand, en ouvrant la bouche, Krishna révèle à sa mère qu'il est Vishnu et qu'il ne fait qu'Un avec tout l'Univers.
Suit l'Ashtapadi “ललितलवङ्ग” dans lequel l'interprète représente le printemps de nombreuses manières, en agrémentant la description d'un formidable jeu rythmique, mais on passe pour ainsi dire presque complètement à côté des sentiments que ce printemps suscite chez les bouvières. Les sentiments humains ne seront présents que lors de la sortie de scène de la danseuse qui alterne alors entre une femme amoureuse et un homme qui la suit.
J'aurais eu une opinion extrêmement mitigée de ce récital s'il n'y avait pas eu le Thillana de Lalgudi Jayaraman (Raga Mohanakalyani/Adi Tala). Ce fut véritablement une merveille. Cette composition rythmique, que j'ai eu l'occasion d'entendre à Paris il y a quelques semaines de cela, présente une particularité rythmique intéressante : les phrases musicales ne commencent pas sur le premier temps, ce qui n'est en soi pas rare, mais elles commencent une moitié de temps avant le premier temps. Les phrases chorégraphiques doivent alors en principe aussi commencer avant le premier temps et se finir juste avant le même endroit, ce qui procure une sensation assez unique quand la danse est interprétée de façon très musicale quand l'a fait Malavika Sarukkai.
Le récital s'est conclu avec Vande Mataram et une ultime violente frappe de pieds sur le dernier temps de la composition.
2018-12-02 07:22+0100 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Centre Mandapa — 2018-11-29
Anusha Cherer, danse bharatanatyam
Pushpanjali (Adi Tala, Ragaa Arabhi), chorégraphie de Sivaselvi Sarkar
Krishna Kavuttuam (Adi Tala), chorégraphie de Lavanya Ananth
Varnam (Adi Tala, Raga Reethi Gowla, composition de Vadivelu), chorégraphie de Rama Vaidyanathan
Ashtapadi #12 “नाथ हरे” (Mishra Chapu Tala, Raga Vasanthi), chorégraphie de Bragha Bessell
Tillana (Adi Talam, Raga Brindavani, composition de Dr. M. Balamuralikrishna)
J'avais déjà eu l'occasion de voir danser Anusha Cherer en 2015. J'avais alors été particulièrement impressionné par la musicalité de sa danse. Bien que centrées sur le thème de Shiva & Shakti, les pièces de ce récital avaient été extrêmement techniques. Son récital du 29 novembre 2018 au Centre Mandapa se rapproche davantage du format traditionnel du Margam et a permis d'apprécier plus en profondeur son travail.
Anusha Cherer est très certainement une des toutes meilleures danseuses de bharatanatyam en France. Certaines aspects que l'on peut apprécier dans ce style de danse étaient tous réunis au cours du récital : expressivité dans l'Abhinaya, musicalité dans les frappes de pied, araimandi (demi-plié), etc. Parfois, certaines maladresses ou très légères faiblesses pouvaient bien apparaître à un moment donné dans l'un ou l'autre de ces aspects, mais globalement, le récital m'a semblé très satisfaisant. Il est évident que la danseuse a beaucoup travaillé pour préparer un récital et donner le meilleur d'elle-même autant dans les aspects les plus athlétiques, virtuoses et rythmiques, que dans son Abhinaya.
À propos de la présentation des pièces, il est dommage que les noms des compositeurs et chorégraphes et les ragas n'aient pas été annoncés. (Merci à la danseuse de m'avoir communiqué ces informations, qui ont été ajoutées ci-dessus.)
Le Pushpanjali met en valeur la précision rythmique de la danseuse. La première phrase musicale répétée se finissant par un silence, les premières phrases chorégraphiques se terminent par une pose plutôt que par la ponctuation habituelle, ce qui est assez étonnant. La pièce se termine par un éloge du dieu Ganesh.
La deuxième pièce est un Krishna Kavuttuam dont l'orchestration me paraît quelque peu surchargée, surtout au début. En tant que Kavuttuam, cette pièce est étonnamment longue. Elle évoque plusieurs légendes autour de Krishna, principalement sous la forme de passages narratifs combinés à des pas techniques accompagnées d'onomatopées chantées. Celui qui a un visage de lotus et aime manger du beurre a soulevé le mont Govardhana, dompté le serpent Kaliya, vaincu Kamsa. La chorégraphie met aussi en scène la vision extraordinaire de Yashoda quand elle demanda à son fils adoptif d'ouvrir la bouche tandis qu'elle le soupçonnait d'avoir mangé de la terre.
La pièce centrale du récital est un Varnam en Adi Tala dédié à Padmanabha (Vishnu). Quand la danseuse se place au fond de la scène dans une position neutre avant que la pulsation entre dans la musique, elle semble déjà incarner l'héroïne, qui n'a que ses yeux pour exprimer la distance qui la sépare de Padmanabha. Pendant toutes les marches préparatoires aux trois tirmanams présents dans la première partie du Varnam, la danseuse est impressionnante de précision rythmique. Le premier Tirmanam (Tri-kala) est sur le motif “Ta di nutadimi ta di nutadimi ta nutadimi ta dimita kitataka” et comporte un passage en tishra-nadai. Quand la première ligne du Pallavi reprend (et plus tard pour chacune des lignes de la première moitié du Varnam), la danseuse exécute avec une extrême conviction une formule rythmique élaborée qui se finit étrangement non pas sur le cinquième temps ni sur le premier temps du cycle, mais semble-t-il quelque part entre le sixième et le septième temps, ce qui est très inhabituel, mais qui semblerait ici guidé par la présence en un endroit particulier du cycle d'un point d'appui dans le texte chanté. La musicalité de la danseuse était très agréable à entendre dans les Tattu Muttu exécutés de façon très gracieuse avec le haut du corps et avec des contrastes appropriés de nuances dans les frappes de pieds : il n'est pas nécessaire de regarder les pieds pour savoir si les frappes vont par groupes de 4 ou de 3, ce qui est loin d'être le cas avec toutes les danseuses. Les mêmes remarques s'appliquent très largement dans les phrases rythmiques composant les Tirmanams, à l'exception des phrases conclusives dans laquelle la danseuse semblait parfois plus en difficulté. En effet, dans ces formules élaborées, la dernière frappe (diditai) des tarikitatom ou ginatom adavus était systématiquement silencieuse et pas toujours exactement en place rythmiquement ; quand plusieurs de ces adavus se suivaient, la musique des tirmanams en était à mon avis altérée au point d'empêcher à l'euphorie créée par le début de la séquence d'atteindre son climax.
Pour la première ligne du Pallavi, la danseuse est rapidement passée à un Sanchari dans lequel l'héroïne compare Padmanabha à un arbre qui serait pour elle comme un pilier. Je ne sais pas si j'aurais compris la métaphore si elle n'avait pas été expliquée dans la présentation de la pièce. Néanmoins, la danseuse représente de façon très belle et extrêmement développée l'arbre des racines jusqu'aux feuilles les plus hautes. Après le deuxième tirmanam tout en Tishra-nadai, tous les sens de l'héroïne sont submergés par les sensations procurées par Padmanabha : le son de ses pas, son odeur de pâte de santal, le goût de sa bouche. Si chacuns de ces trois sens est traité successivement de façon fort élégante, je trouve dommage que la présence de Padmanabha reste pour ainsi dire implicite. S'agit-il effectivement de Lui dont véritablement l'héroïne entend les pas, sent le parfum ou embrasse la bouche ? Ou bien de façon plus sage, s'agit-il de sensations de sa vie ordinaire qui lui rappellent Sa présence ? Dans l'Anupallavi, le dieu de l'Amour atteint l'héroïne de ses traits floraux. Ardente, elle est submergée par son feu intérieur.
La deuxième partie du Varnam commence par un Tirmanam extrêmement rapide et brillamment exécuté. Les Arudis et Tattu Muttu seront exécutés avec encore plus de conviction que dans la première partie ! La danseuse sera parfois en avance au démarrage de certaines séquences techniques (Swaram), mais c'est sans importance par rapport à la joie que procure l'ensemble de cette deuxième partie. L'héroïne voudrait être l'épouse de Padmanabha (celui dont un lotus émerge du nombril). Sans Vishnu, elle se sent comme un poisson dépérissant dans une mer asséché.
Le programme se poursuit ensuite avec une pièce de pur Abhinaya, le douzième Ashtapadi “नाथ हरे”, qui a été magnifiquement bien interprété. En relisant le poème de Jayadeva, je suis encore davantage critique sur la façon dont la pièce a été présentée. Je pense que dans la présentation des pièces de bharatanatyam, il faudrait faire une distinction claire entre ce que dit le texte qui est chanté et ce qui relève de l'imagination du chorégraphe. Il n'est peut-être pas indispensable de traduire toutes les lignes du texte, au moins celles qui donneront lieu aux plus grands développements. Par ailleurs, pour guider les spectateurs, pour ce qui n'est pas évident à discerner, on peut indiquer comment tel ou tel thème sera traité. Sinon, à mon avis, confondre le texte et son interprétation, c'est tuer la poésie. Par exemple, alors qu'elle trébuche dans la forêt, elle croit que c'est Krishna qui lui attrape la jambe, alors que ce n'était qu'une liane. C'est plus ou moins ainsi qu'a été présentée la deuxième strophe et le refrain “Râdhâ courant vers Toi, en hâte et désespoir, trébuche en ces taillis, titube et tombe. / Hari, Seigneur, vois donc comme elle souffre en sa retraite !” (traduction de Jean Varenne). Peut-être aurais-je apprécié encore davantage l'interprétation dansée si seulement la version poétique du texte avait été présentée ? De même, il n'était peut-être pas nécessaire de présenter d'autres éléments un peu triviaux de la chorégraphie (comme Râdhâ soulevant les jupes de ses amies pour voir si Krishna s'y trouve). Le seul regret que j'ai par rapport à la danse en elle-même est que la pulsation délicieusement irrégulière du cycle rythmique Mishra Chapu a été complètement absente de la danse. La musicalité a aussi son importance dans les pièces de pur Abhinaya : les pas n'ont pas vocation a être fixés à l'avance, mais c'est toujours mieux quand les pas, regards et accents dans la gestuelle s'accordent parfaitement avec la musique. Il est vrai que très peu d'interprètes en sont capables, même en Inde, mais c'est un plaisir de spectateur assez indiscriptible quand c'est le cas.
Ce très beau récital s'est conclu par un joyeux Tillana dédié à Krishna.
2018-02-12 19:42+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Le Gymnase, Lille — 2017-06-24
Geoffrey Planque, bharatanatyam
A. Lakshman Swamy, chorégraphies
Sabine Pandaredattil, chorégraphie du Padam
Jatiswaram (Raga Saveri, Rupaka Tala)
Purvanga du Varnam “Saami naan undan adimai enruulagamellam ariyume” (Adi Tala, Raga Natakuranji), composé par Papanasam Sivan
Padam (Raga Behag, Adi Tala)
Thillana (Raga Revati, Adi Tala), composé par Madurai N. Krishnan
En juin dernier, j'ai passé une journée à Lille pour assister à un récital de danse bharatanatyam par un danseur masculin, Geoffrey Planque. Élève de Sabine Pandaredattil, il est devenu depuis 2013 le disciple de Guru A. Lakshman Swamy, un des chorégraphes parmi les plus intéressants actuellement dont j'avais déjà pu apprécier le travail lors d'un magnifique récital de son élève Sudharma Vaithiyanathan à Chennai en 2015. Il avait d'ailleurs fait connaissance avec le style d'A. Lakshman Swamy lorsque celui-ci était venu avec ses élèves à Paris pour participer à un spectacle de la danseuse Priya Venkataraman (j'y étais aussi !).
Le récital fait partie du festival sab kuch milega. À l'approche de la salle du Gymnase, un grand drapeau indien me fait comprendre que je suis sur la bonne direction. Le récital de danse est précédé par un solo du sitariste Arnaud Eurin qui a interprété de façon très élaborée et habitée Raga Desh, puis Raga Kalavati.
Geoffrey Planque ©Baptiste Muzard Photographe
Le récital de Geoffrey Planque commence par un Jatiswaram en
Raga Saveri et Rupaka Tala. Pratique assez rare actuellement, le danseur
semble tracer des lignes au sol lors des frappes qui précèdent le très
court passage accompagné d'onomatopées (Jati). Dès le début de
cette pièce de danse pure, je comprends immédiatement que ce récital va me
procurer beaucoup de plaisir de spectateur ! La technique du danseur est
exceptionnellement bonne. Il n'y a pas un mouvement qui ne soit pas fait à
100%. Son demi-plié est très bon, et quand il frappe le talon sur le côté,
sa jambe est impeccablement tendue. Les mouvements de tête et de bras sont
très nets. Il fait aussi preuve d'une grande souplesse quand certains
mouvements imposent de poser un genou au sol et son phrasé est superbe
quand dans un enchaînement il met en valeur la première vitesse,
c'est-à-dire la vitesse lente des mouvements chorégraphiques. Dans le
Vazhuvoor bani, une des grandes familles stylistiques du
bharatanatyam, il est de coutume d'agrémenter d'un ou plusieurs sauts la
formule conclusive d'un enchaînement. Il y en eut quelques uns dans ce
récital, notamment dans le Jatiswaram. Un autre saut de ce type
fut particulièrement jouissif
(peut-être était-ce dans la pièce suivante) et il me fait penser au saut
légendaire de Nijinski à la fin du Spectre de la Rose à propos
duquel le chorégraphe Michel Fokine écrivait : On a écrit tant et plus
sur Le Spectre. Beaucoup de choses vraies sur l'interprétation
prodigieuse de Karsavina et de Nijinski et sur la poésie de l'ensemble.
Mais aussi beaucoup de choses inventées et exagérées à propos du dernier
bond de Nijinski. Les applaudissements qui suivirent son « envol » par la
fenêtre ne furent pas causés par la hauteur de ce saut, mais parce qu'il
était la conclusion d'une danse éthérée, légère et poétique, immensément
difficile à interpréter que Nijinski exécuta de façon magnifique.
. Ici
non plus, ce n'est pas forcément le saut en lui-même qui déclenche
l'émotion et l'admiration, mais il vient davantage parachever le sentiment
de contentement que la séquence de danse avait installée.
Dans la musique enregistrée des pièces chorégraphiées par A. Lakshman Swamy, on entend le chant de K. Hariprasad, un des musiciens les plus appréciés lors des récitals de bharatanatyam à Chennai. L'entendre chanter le Varnam “Saami naan undan adimai enruulagamellam ariyume” en Raga Natakuranji, Adi Tala, composé par Papanasam Sivan était à elle seule une raison presque suffisante pour faire le déplacement à Lille. D'un point de vue musical, il s'agit d'un des plus beaux Varnam du répertoire. Il est très souvent représenté. J'ai vu de nombreuses chorégraphies de cette pièce. Le texte évoque l'adoration du dieu Shiva. Dans la globalité de la composition, on ne peut ignorer le sentiment amoureux qu'éprouve l'héroïne pour le dieu ; c'est particulièrement clair dans la deuxième partie Uttaranga du Varnam. Certaines interprétations effacent complètement l'aspect amoureux et le transforment en dévotion religieuse : cela m'avait passablement agacé quand j'avais vu Renjith & Vijna dans ce Varnam. D'autres m'ont semblé beaucoup plus intéressantes comme celles de Navia Natarajan au Centre Mandapa le 14 juin 2016, ou entretemps, de la très jeune S. Bhagyalakshmi au Festival Spirit of Youth à la Music Academy à Chennai le 1er août 2017.
À un danseur masculin, je ne ferais pas le reproche de n'avoir pas doué le héros qu'il incarne de sentiments amoureux pour Shiva, et ce d'autant plus que seule la première partie Purvanga du Varnam a été interprétée lors de ce récital. Les passages expressifs de cette danse sont très réussis. Le texte tamoul est rendu parfaitement intelligible par sa gestuelle et son expression qui n'ont rien de scolaire : tout est très habité. La première ligne du Pallavi donne lieu un développement (Sanchari) autour de la dévotion pour Shiva. La deuxième ligne évoque celui qui est mi-homme mi-femme et qui est le maître des cinq éléments, auquel le dévôt dit en suppliant “Ne sois pas indifférent”. Dans l'Anupallavi, la première ligne évoque le contentement procuré par la récitation des noms de Shiva tandis que la deuxième ligne Natanamadum sevadi... évoquant son pied dansant est illustrée par plusieurs très courtes séquences techniques. Le Muktayi Sahitya décrit les divers ornements (cheveux, croissant de Lune, rivière Ganga) de celui qui danse à Chidambaram. Une certaine poésie poésie se dégage de l'ensemble de cette première partie de Varnam.
J'éprouve une certaine admiration pour le chorégraphe. Sa récitation des syllabes dans les jatis n'est pas absolument métronomique (son tempo fluctue sensiblement pendant certaines séquences rythmiques, ce qui est un obstacle pour apprécier en tant que spectateur les aspects rythmiques les plus subtils lors d'un visionnage unique sur une musique enregistrée). Cependant, sa diction et son phrasé sont assez exceptionnels, ce qui rend l'écoute très agréable. Ses chorégraphies techniques à la fois très belles et très ancrées dans la tradition sont superbement interprétées par Geoffrey Planque. (Voir cet extrait sur YouTube, qui doit être le troisième Jati du Varnam. À la fin de la vidéo, les pas de danse basculent en Tishra nadai, c'est-à-dire en subdivisions ternaires.).
Le danseur a ensuite interprété un Padam sur un rythme vif évoquant les exploits du jeune Krishna. Huitième fils de Devaki. Il devait être tué par Kamsa qui voulait se prémunir de la malédiction qui devait causer sa perte, mais son père Vasudeva parvint à sauver le nouveau né. La chorégraphie représente Vasudeva portant Krishna lors de sa traversée de la rivière Yamuna qui s'était séparée en deux par miracle. L'enfant sera ensuite élevé par Nanda et Yashoda, fera quelques bêtises, comme grimper pour voler du beurre, avant de vaincre Kamsa. La chorégraphie de Sabine Pandaredattil est très lisible, mais laisse peu de répit au danseur et aux spectateurs, tant les épisodes s'enchaînent à grande vitesse !
Le récital se conclut par un magnifique Tillana en Raga Revati et Adi Tala composé par Madurai N. Krishnan. Il est dédié à la Déesse Bhuvaneshwari, la Reine de l'Univers, qui est partout et ressemble au souffle vital ; elle offre un raz-de-marée de bénédiction, celle qui est vénérée par le compositeur Krishnadasa. (Il se trouve qu'entretemps, j'ai moi-même appris à Delhi auprès d'Arupa Lahiry une autre chorégraphie de ce Tillana due à Chitra Visweswaran.)
J'espère avoir prochainement de nouvelles occasions de voir ce danseur exceptionnel, qui a très récemment fait ses débuts sur scène à Chennai !
(Voici un lien vers son site aksalab.)
2017-06-19 23:00+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
J'ai pris un certain retard dans la rédaction de comptes-rendus de spectacles. À l'occasion de la rédaction de celui concernant le récital d'Armelle Choquard et Kalpana, je reviens rapidement aussi sur celui donné il y a environ un an au Centre Mandapa par Kalpana et deux de ses élèves (Fanny et Iran).
Centre Mandapa — 2016-06-05
Kalpana, Iran Farkhondeh, Fanny Wiard, bharatanatyam
V. S. Muthuswamy Pillai, chorégraphies
Kalanidhi Narayanan, chorégraphie du Javali
Sangeeta Isvaran, chorégraphie du Padam “Yaare Kaagilum”
Alarippu (Tisra Ekam Tala) dansé par Kalpana
Muruga Kautwam (Raga Shanmukhapriya, Chatushra Ekam Tala) dansé par Fanny
Varnam “Sakiye Inda Velaiyil...” (Raga Anandabhairavi, Adi Tala) dansé par Iran
Padam “Yaare Kaagilum” (Raga Begada, Mishra Chapu Tala) dansé par Fanny
“Kalai Tooki” (Raga Harikamboji, Adi Tala) dansé par Fanny
Javali “Smara Sundaranguni” (Raga Paras, Adi Tala) dansé par Kalpana
Tala Vadyam (Panch-nadai Adi Tala) dansé par Kalpana, Fanny & Iran
Après une prière chantée Mahaganapati Manasa (Muthuswami Dikshitar), Kalpana a interprété l'Alarippu (Tishra Ekam). Muthuswamy Pillai a beaucoup innové en composant de nouveaux Alarippus et surtout en en proposant des chorégraphies extrêmement créatives qui s'écartent radicalement du vocabulaire habituellement utilisé pour ce type de pièces. Cependant, la chorégraphie de cet Alarippu utilisant la composition traditionnelle en Tishra Ekam est on ne peut plus traditionnelle, tout au plus utilise-t-il quelques diagonales et quelque motif rythmique particulier dans la phase de découpage de l'espace en troisième vitesse. Dans l'interprétation de Kalpana, j'apprécie particulièrement le phrasé étiré dans la première vitesse de la séquence utilisant les Kuttadavus.
Fanny a interprété ensuite un Kautwam dédié à Muruga, le fils de Shiva reconnaissable aux mudras Shikhara et Trishula. La danseuse ne paraît pas absolument à l'aise dans ses toutes premières frappes, mais la situation s'arrange très rapidement et j'apprécie particulièrement les adavus à une seule main caractéristiques du style de Muthuswamy Pillai. La monture de Muruga, le paon, est représentée dans ce Kautwam, mais les mouvements sont beaucoup plus martiaux que dans une version que j'ai pu observer dans la salle de danse du fils du chorégraphe, M. Selvam, dans laquelle les mouvements du paon étaient suggérés par une délicieuse ondulation des bras de son élève.
Je reviens maintenant sur la pièce principale de ce récital, le Varnam en Raga Anandabhairavi “Sakiye Inda Velaiyil” dansé par Iran. En dehors de rares spectacles de danseuses indiennes visitant le Centre Mandapa (et autrefois le Musée Guimet), on a rarement l'occasion de voir à Paris un Varnam aussi bien interprété ! La composition est attribuée au Thanjavur Quartet (mais je ne me risquerai pas à préciser lequel des quatre frères l'a composé : les sources divergent). Sans même parler des compositions rythmiques (tirmanams) de Muthuswamy Pillai, ce Varnam présente une particularité rythmique qui en fait une exception parmi les compositions de musique carnatique : le texte de la composition ne commence pas sur le premier temps. (C'est le deuxième Varnam que je vois qui présente cette particularité, après “Manavi Chekonaradha” (Raga Shankarabharanam) dansé par Lavanya Ananth.) Dans certaines versions de ce Varnam en Anandabhairavi, le texte des différentes parties du Pallavi et de l'Anupallavi commencent entre le deuxième et le troisième temps. Dans celle-ci, le texte commence sur le deuxième temps. Ainsi, les quatre premiers passages rythmiques (tirmanams) se finissent juste avant le deuxième temps. Habituellement, les tirmanams sont introduits par une formule rythmique comme “Dhalan-gu takadiku takatadi kitatom-” qui se finit juste avant le premier temps, là où commence le tirmanam. Cette règle, que je croyais absolue, trouve une exception dans ce Varnam, puisque Muthuswamy Pillai fait commencer les quatre premiers tirmanams non pas sur le premier temps, mais sur le deuxième temps. (Ainsi, le “Dhalangu” ne s'étend pas sur les septième et huitième temps, mais sur le huitième et le premier temps.) Je conjecture donc que ces Tirmanams n'ont pas été composés spécialement pour ce Varnam par Muthuswamy Pillai, mais qu'il a plutôt recyclé des Tirmanams composés préalablement en Adi Tala pour des Varnams qui ne présentaient pas la particularité rythmique de ce Varnam en Anandabhairavi. Ces tirmanams, dont j'ai pu étudier en détail la composition rythmique entretemps, sont magnifiquement architecturés. Les deux premiers commencent avec des subdivisions binaires des temps (Chatushra nadai), puis basculent en Tishra-nadai (subdivisions en trois ou six). Le troisième jati “Ta dit ta gadim dim kitataka...” est une véritable merveille : sa formule conclusive commence en Chatushra-nadai et se finit en Tishra-nadai. Comme cette formule est répétée trois fois, on trouve au cours de la récitation de nombreux allers-retours entre Chatushra-nadai et Tishra-nadai, ce qui est un procédé rare à l'intérieur d'un Tirmanam. La construction de ce Tirmanam donne une certaine idée du génie de Muthuswamy Pillai... Je regrette cependant qu'à chaque fois qu'il bascule en Tishra-nadai, il ralentisse aussi légèrement le tempo de la pulsation principale. Ce type d'irrégularité dans le tempo est pour moi un frein pour apprécier dès le premier visionnage l'essentiel de la beauté rythmique des compositions, mais très rares sont les interprètes qui parviennent à conserver une régularité métronomique quand ils passent de subdivisions des temps en quatre à des subdivisions en trois et inversement. Contrairement aux précédents, le quatrième jati est entièrement en Chatushra-nadai, mais cette fois-ci les subdivisions en huit des temps sont par moments regroupés en trois, ce qui est du plus bel effet. Le Charana jati possède aussi une architecture magnifique tout en Tishra-nadai.
L'interprétation de ce Varnam par Iran a été magnifique. Mon expérience de spectateur a cependant été perturbée par ce qui m'a semblé être un problème dans la sonorisation : les parties mélodiques étaient parfaitement écoutables, mais la voix de Muthuswamy Pillai était difficilement audible dans les Tirmanams. En particulier, les formules introductives “Dhalan-gu takadiku takatadi kitatom-” étaient essentiellement inaudibles, ce qui est très problématique pour pouvoir apprécier le rythme des compositions lors de la première écoute. Il est possible que cela ait gêné aussi la danseuse, puisque que parmi les très rares éventuels défauts dans son interprétation, il m'a semblé, mais je peux me tromper, que ses marches en arrière à contretemps précédant les Tirmanams n'étaient pas synchronisées avec la musique.
Dans la première partie du Pallavi, l'héroïne est séparée de son amant. Sa souffrance est notamment illustrée par le fait qu'elle ne supporte plus le parfum des fleurs. Son amie ne l'aide pas. Dans la deuxième partie, elle exhorte son amie à aller lui dire de venir. Ce n'est peut-être pas dans cette section du texte de la composition, mais la chorégraphie décrit la ville céleste de son amant. Dans la première partie de l'Anupallavi, on s'émerveille de la beauté de la ville de Rajanagar où réside Rajagopalan dont la deuxième partie de l'Anupallavi évoque le disque et la conque, attributs de Vishnu. J'ai apprécié l'engagement émotionnel de la danseuse dans les sections expressives. Le plus beau moment du Varnam a sans doute été pour moi le Tattu Muttu du Muktayi Sahitya “Nagarikamighavum...”. Il s'agit d'une partie hybride puisque les pieds exécutent des mouvements rythmiques et le haut du corps exprime les émotions du personnage. Il est fréquent que l'aspect rythmique prenne légèrement le dessus par rapport à l'expression des sentiments dans ce type de séquences, mais dans les autres Tattu Muttu de ce Varnam, et tout particulièrement dans celui-ci, la danseuse était complètement immergée dans le personnage. Tout en exécutant des mouvements de pieds sur place, les gestes de l'héroïne cherchant l'union avec son amant étaient accompagnés de mouvements du torse d'une exceptionnelle intensité émotionnelle. Je ne crois pas avoir jamais vu chez d'autres interprètes quoi que ce soit de comparable. (Le seul point technique que je pourrais éventuellement critiquer est le faible degré d'ouverture des pieds, et ce d'autant plus que l'on avançait dans le Varnam, la fatigue s'accumulant. Je ne suis pas du tout pour un en-dehors parfait (180°) comme ceux des danseurs de ballet, ce qui est à la longue dangereux pour les genoux pour une danse comme le bharatanatyam qui comporte de nombreuses frappes de pieds. Ici, on était souvent très proche d'une ouverture naturelle (90°), ce qui est un excès inverse.)
Dans la deuxième grande partie du Varnam, le tempo s'accélère. Dans l'alternance entre passages expressifs et techniques, j'ai particulièrement apprécié que dans la danse pure, on ne perde jamais complètement de vue les sentiments de l'héroïne. Celle-ci est frappée par les flèches de Kamadeva. Pendant la nuit, alors qu'elle est séparée de son amant, son sommeil est perturbé par le bruit d'un oiseau. Elle supplie encore son amie d'aller le chercher pour qu'ils soient réunis, afin de pouvoir chanter ensemble ?!
Mes souvenirs de deux des pièces suivantes Yaare Kaagilum, Smara Sundaranguni sont trop lointains et imprécis pour que j'en rende compte. En revanche, la pièce “Kalai Tooki” dansée par Fanny m'a semblé absolument sublime. Son interprétation est un magnifique équilibre entre la danse technique et l'intensité émotionnelle dans l'évocation des divinités. On trouve là un juste sens du détail et des micro-mouvements. Il ne s'agit pas exactement d'une pièce narrative. Il y a bien un personnage, qui est un dévot, mais la danse s'arrête un instant sur les émotions qui le traversent. Il exprime l'émerveillement qu'il ressent en pensant à Shiva, dans sa forme qui réside à Chidambaram, dansant le pied gauche levé. La chorégraphie évoque son fils Muruga, son tambour Damaru, la rivière Ganga qui s'écoule de son chignon, sa peau de tigre, sa monture Nandi, etc. La pièce inclut aussi l'épisode mythologique dans lequel Vishnu et Brahma cherchent en vain l'extrémité de la colonne de lumière en laquelle Shiva s'était transformé.
Le récital s'est conclu par une redoutable pièce de danse pure interprétée par les trois danseuses, intitulée Tala Vadyam et dont les différentes sections utilisaient des subdivisions des temps en 4, 3, 7, 5 ou 9.
Ailleurs : Sunil Kothari.
⁂
Centre Mandapa — 2017-05-14
Armelle et Kalpana, bharatanatyam
V. S. Muthuswamy Pillai, Kalanidhi Narayanan, Sucheta Chapekar, chorégraphies
Shloka “Gururbrahmā” dansé par Armelle & Kalpana
Ganapati Kautvam (Chatushra Ekam Tala) dansé par Armelle & Kalpana
Sarasvati Kautvam (Rupaka Tala, composition de Sucheta Chapekar) suivi de Māta Sarasvatī (Raga Saraswati, Chautal, composition de Prabha Atre), dansé par Armelle
Jatiswaram (Raga Yedukula Kamboji, Adi Tala) dansé par Kalpana
Varnam (Raga Anandabhairavi, Adi Tala) dansé par Armelle
Krishnakarnamritam “Ramo Namo Bhabhuva” (Ragamalika) dansé par Kalpana
Kirtana (Raga Shanmugapriya, Rupaka Tala) dansé par Kalpana
“Kalai Tooki” (Raga Yedukula Kamboji, Adi Tala) dansé par Armelle
Shloka “Nityanandakari” (Raga Mohana) dansé par Armelle & Kalpana
Les danseuses Armelle Choquard et Kalpana, qui ont toutes les deux été disciples de Muthuswamy Pillai et Kalanidhi Narayanan ont présenté un récital commun. Le programme inclut aussi des pièces de Sucheta Chapekar dont Armelle est depuis devenue la disciple.
Le récital commence par une prière chantée dédiée à Ganesh ; je crois reconnaître la magnifique voix du chanteur du Varnam en Anandabhairavi dont il a été question plus haut. Les deux danseuses entrent ensuite en scène, Armelle en costume rouge et Kalpana en bleu pour le Shloka “Gururbrahmā”. Je n'avais vu Armelle qu'en 2015 lors d'un stage à Paris avec Sucheta Chapekar qui nous avait transmis l'Abhinaya-Pada “Aghaṭita saye śivalīlā”. C'est donc la première fois que je la vois danser lors d'un spectacle. J'apprécie son incarnation sobre dans cet hommage au guru.
Les deux danseuses interprètent ensuite à un tempo modéré Ganapati Kautvam, une chorégraphie de Muthuswamy Pillai, qu'elles récitent toutes les deux dans une sorte de jeu de questions et réponses. J'admire particulièrement la récitation d'Armelle dont l'intonation sonne très indienne.
Armelle interprète ensuite deux pièces enchaînées dédiées à la Déesse Sarasvati. La première est une magnifique chorégraphie de Sucheta Chapekar qui est aussi l'auteure de cette courte composition purement rythmique en Rupaka Tala (6 temps), puisque conformément à la tradition Thanjavur, le Kautvam n'est pas chanté, mais récité. Si ses mouvements du haut du corps sont magnifiques, dans l'exécution des adavus sur les onomatopées et dans l'illustration des attributs de Sarasvati sur le court texte en marathi, on sent malheureusement des hésitations qui rendent la pulsation des frappes de la danseuse quelque peu irrégulière dans cette pièce. À cette pièce dont la musique s'inscrit dans le contexte carnatique habituel à la danse bharatanatyam s'enchaîne une autre pièce dédiée à Sarasvati (et en Raga Sarasvati) venant de la musique du Nord de l'Inde. Cette composition Māta Sarasvatī est l'œuvre de la chanteuse hindustani Prabha Atre. Sucheta Chapekar appréciait cette composition et décida de la chorégraphier. Il existe plusieurs versions de cette chorégraphie. Celle que j'ai apprise avec elle à Pune est un बंदिश की सरगम (Bandish ki sargam), c'est-à-dire une pièce comportant un certain nombre de séquences solfiées (Sargam) insérées dans cette composition (Bandish), ce qui fait de ce type de pièce un homologue du Jatiswaram dans le format de récital développé par Sucheta Chapekar. La version dansée par Armelle n'inclut pas de passage de danse pure et se concentre donc sur l'aspect Bandish, sur un rythme à douze temps (Chautal ou Ektal) ; en plus des Sthayi et Antara, sa version inclut une troisième strophe que je ne connaissais pas et qui commence par “Mayura Vahini”. Les mouvements du haut du corps de la danseuse sont très beaux, j'apprécie particulièrement sa façon de montrer que Sarasvati a une voix aussi douce que le miel sur “Va Devi Madhubashani”. Cependant, je suis assez déçu par les frappes de pieds qui interviennent lorsque le texte est récapitulé en Tattu Muttu s'enchaînant avec une formule rythmique semblable à un Arudi. Je ne saurais dire si les frappes de pieds étaient au bon endroit musical, parce les frappes manquaient de force et étaient toutes sensiblement de la même intensité. En tant que spectateur, je considère que les Tattu Muttu doivent davantage s'entendre que se voir. Quand on fait “Takadimi Takadimi Tai tai didi tai” comme sur la phrase “Mata Sarasvati Devi”, il faut que l'on entende un accent particulier sur la syllabe Ta dans Takadimi. C'est particulièrement important parce que suivant les principes qui lui ont été enseignés par K. P. Kitappa Pillai, Sucheta Chapekar chorégraphie les Tattu Muttu en suivant la prosodie du texte chanté, et c'est particulièrement frappant dans la phrase Sakala Gyani Vidya Dani dont le Tattu Muttu associé est une série de quatre Takita, un pour chaque mot. Je ne dis pas qu'il faille tout frapper comme une brute, mais il me semble important d'accentuer certaines frappes pour préserver une composante esthétique essentielle de ces Tattu Muttu.
Kalpana a dansé un Jatiswaram. Dans les diagonales qui sont tracées dans les séquences de transition, j'ai particulièrement apprécié le jeu sur le regard, consistant parfois à regarder dans la direction indiquée par la main, ou contraire dans la direction opposée à ce qu'on attendrait. La séquence d'introduction de ce Jatiswaram est étonnamment longue, et le Tirmanam (la seule section de la pièce qui n'est pas chantée, mais récitée) intervient assez tardivement par rapport à ce qu'on voit habituellement dans ce type de pièces. Malheureusement, comme dans le Varnam discuté dans la première partie de ce billet, la voix enregistrée de Muthuswamy Pillai était essentiellement inaudible. Je ne pouvais me fier qu'au son des cymbales et je me suis surpris à un moment donné à entendre très distinctement un motif utilisant des groupes de 5 subdivisions qui ne correspondait pas à ce que je voyais au niveau des pieds. Dans certains adavus exécutés à grande vitesse, le regard de la danseuse ne suivait plus la main, ce qui est assez perturbant à regarder, notamment dans le premier Kuttadavu (le remplacer par la version à une seule main de cet adavu règlerait le problème). Cependant, ce type de pièce est très difficile et exige une grande endurance et, Kalpana faisant preuve d'une grande assurance, son interprétation restait très convaincante.
Armelle a ensuite interprété un Varnam en langue marathi en Raga Anandabhairavi et Adi Tala (ce n'est pas le même que dans la première partie de ce billet). Comme Armelle l'expliquera très bien quelques semaines plus tard lors d'une journée d'étude du projet DELI, le texte de la composition fait dire à l'héroïne qu'elle est satisfaite par Krishna, mais dans la chorégraphie de Sucheta Chapekar, le sens dévie progressivement, et il faut comprendre tout le contraire. Dans le plus beau développement du Varnam (sur la même ligne de texte), l'héroïne souhaite que Krishna lui rapporte une fleur, mais il lui rapporte en fait l'arbre tout entier qu'il installe dans son jardin. Elle est ravie, mais au bout d'un moment, elle remarque que quelques fleurs tombent dans le jardin de la voisine... Les passages expressifs de ce Varnam étaient très beaux et la danseuse a fait preuve d'une très élégante technique dans les Tirmanams. Cependant, ses frappes de pieds perdaient en qualité lors de l'exécution de l'Arudi qui sert de transition entre un Tirmanam et la phrase suivante. Malgré la fatigue engendrée par l'exécution de Tirmanams difficiles, il faudrait réussir à garder un peu d'énergie pour exécuter la formule rythmique complexe qu'est l'Arudi avec vigueur et enthousiasme. Là, les frappes étaient tellement peu marquées que je n'ai pas réussi à savoir avec certitude quand est-ce que cet Arudi se finissait. (Cela dit, à part moi, je ne pense pas que la réponse à cette question intéresse grand'monde, donc ce n'est pas bien grave...)
Kalpana a ensuite interprété une pièce dans laquelle Yashoda essaye d'endormir Krishna en lui racontant l'histoire de Rama. Sita est trouvée par Janaka dans un sillon qu'il creuse dans la Terre. Vishvamitra, le guru de Rama, l'emmène à Mithila pour qu'il participe au Svayamvar de Sita : seul celui qui pourra soulever l'arc de Shiva que possède Janaka pourra l'épouser. Plus tard, influencée par la bossue Manthara, Kaikeyi, une des épouses du père de Rama, le force à envoyer Rama en exil pour que son propre fils Bharata soit nommé prince héritier à la place de Rama. L'exil a commencé : Rama, son épouse Sita et son frère Laksmana sont dans la forêt. L'histoire se poursuit jusqu'à l'enlèvement de Sita par Ravana. Kalpana a magnifiquement interprété cette pièce... deux fois. La pièce proprement dite est accompagnée de Shlokas en sanskrit (une forme musicale dans laquelle il n'y a pas de pulsation régulière). Préalablement, Kalpana a présenté la pièce, mais la présentation a probablement été aussi longue que l'interprétation de la pièce elle-même. La première fois, elle a utilisé sa voix (en français) pour raconter l'histoire qu'elle interprétait en même temps avec des mouvements de tout le corps et en utilisant l'espace de la scène. Il s'agissait d'une interprétation en mode Sutradhar, comme un conteur. C'était extrêmement convaincant ! J'ai trouvé dommage que la pièce soit réinterprétée à nouveau, sa voix étant remplacée par la musique enregistrée des Shlokas sanskrits. N'ayant plus à raconter l'histoire par la parole, Kalpana était alors davantage dans l'incarnation des personnages, donc il s'agissait bien d'une interprétation différente de la première. Cependant, en tant que spectateur, je pense qu'il aurait été plus intéressant (et moins répétitif) d'aller jusqu'au bout de la logique et d'interpréter cette pièce en ne donnant que la version avec voix en français.
Kalpana a ensuite interprété un Kirtana dédié à la Déesse. Je n'ai pas été totalement convaincu par l'interprétation des passages expressifs dans cette pièce dévotionnelle. Les poses adoptées par la danseuse étaient vraiment très belles, mais il manquait à mon goût peut-être un tout petit peu de liant pour que cet aspect de la pièce prenne complètement forme. La pièce étant de Muthuswamy Pillai, la chorégraphie a comporté une proportion très importante de danse pure !
Armelle a ensuite dansé “Kalai Tooki”. C'était tout simplement fantabullissime ! Un grand moment d'émotion devant la beauté de cette évocation de Shiva. (Ce n'est qu'en rédigeant la première partie de ce billet que j'ai pris conscience que j'avais déjà vu cette pièce, cf. plus haut.)
Ce beau récital s'est conclu par un Shloka dédié à Annapurna, la forme de la Déesse qui réside à Kashi (Varanasi) et qui enlève la peur chez ses dévots.
2017-04-26 10:06+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Salle de répétitions du Théâtre du Soleil — 2017-03-23
Vidhya Subramanian, bharatanatyam
Bhavana Pradyumna, chant
“Jaya Jaya Devi” (Raga Valachi, Adi Tala, composition de Swati Tirunal)
“Jagadhodharana” (Raga Kapi, Adi Tala, composition de Purandaradasa)
“Nagendra Haraya” (Ragamalika, Khanda Chapu Tala, composition d'Adi Shankara)
Javali “Era Ra Ra” (Raga Kamas, Adi Tala, composition de Patnam Subramanya Iyer)
“Chikkavane Ivanu” (Ragamalika, Adi Tala, composition de Purandaradasa)
Javali “Indendu” (Raga Surutti, Mishra Chapu Tala, composition de Subbarama Dikshitar)
Ashtapadi “Kuru Yadu Nandana” (Raga Mishra Khamaz, Mishra Chapu, poème de Jayadeva)
“Rajarajeshwari Ashtaka Tillana” (Ragamalika, Talamalika, composition de Rajkumar Bharati sur un texte d'Adi Shankara)
“Dignified restraint is the hallmark of abhinaya. Even in the best of laughter there is a restraint on the mouth mouvement; even in the height of wonderment there is a limit to the opening of the eyes; even in the white heat of amourous sporting, the dancer has no use for movements of the torso but gestures only through the face and hands. It is this decency, decorum, and dignity that help to impart to bharata natyam its divine character... The divinie is divine only because of its suggestive, subtle quality. In abhinaya, though the artist and the audience have the direct inward experience of the divine, the outward expression which is responsible for creating that experience is only suggestively and subtly so.”
(Guhan, S. (comp. and ed.), Bala on Bharatanatyam, cité p. 101 de Balasaraswati, Her Art & Life de Douglas M. Knight Jr.)
Je n'avais jamais mis les pieds au Théâtre du Soleil avant la fin de l'année dernière. J'y suis retourné plusieurs fois depuis et il convient de noter que parmi toutes les salles de spectacle que j'aie fréquentées en Europe ou en Inde, il s'agit certainement de celle où les spectateurs sont le mieux accueillis. La dernière fois, la personne qui s'occupait de la buvette était un comédien qui avait autrefois participé à un stage avec Kalanidhi Narayanan ; plusieurs décennies plus tard, il en gardait toujours un souvenir émerveillé.
Ce soir, un peu plus d'un an après le décès de Kalanidhi-mami, célèbre enseignante de l'art de l'Abhinaya, sa disciple Vidhya Subramanian présentait un récital en son hommage. Si l'interprétation de Vidhya Subramanian a certainement beaucoup évolué depuis son apprentissage avec elle, il est dommage que le programme et la présentation des pièces n'aient pas précisé clairement quelles étaient les chorégraphies transmises par Kalanidhi.
Lors de ses précédents récitals à Paris, j'avais déjà eu l'occasion de voir danser Vidhya Subramanian au Musée Guimet. J'avais alors été particulièrement impressionné par son interprétation de l'Ashtapadi “Sakhi He”. J'attendais le meilleur de ce récital. Si certains moments ont été très beaux, d'autres m'ont laissé plus perplexe, notamment parce que le spectacle ne se passait pas que sur l'espace scénique, mais un peu aussi dans les gradins...
J'ai particulièrement apprécié les deux premières pièces du récital. La première est une invocation à la Déesse, précédée du Shloka “Saraswati Mahabhage” qui fait plus spécifiquement référence à Sarasvati. Elle est représentée jouant de la vina, apportant la connaissance. Elle a des yeux de lotus. Plus loin, pour évoquer ses grands yeux, la chorégraphie les compare semble-t-il à des yeux de poisson. L'interprétation de la danseuse comporte des pas intéressants comme des ronds de jambe à terre et utilise l'espace de façon assez créative puisque la danseuse est parfois de dos. Le Shloka s'enchaîne avec la composition de Swati Tirunal Jaya Jaya Devi (qui commence en ussi, le texte commençant après le premier temps). La danseuse adopte alors une pose caractéristique de la Déesse. Si la chorégraphie suggère les sept notes de la gamme indienne pour représenter Sarasvati, ce n'est alors qu'un des aspects de la Déesse. Les Dieux lui rendent hommage. Parmi eux, Padmanabha (Vishnu) revêt une importance particulière. Le serpent sur lequel il est couché est montré de façon très impressionnante. Vishnu est aussi représenté avec sa conque et son disque, ainsi qu'en Krishna, le jeune vacher, qui n'est autre que l'Être suprême.
La plus belle pièce du récital a été à mon avis Jagadhodharana, une composition de Purandaradasa. La danseuse interprète tour à tour le jeune Krishna et Yashoda, sa mère adoptive. L'expression de la danseuse se métamorphose de façon saisissante pour passer d'un personnage à l'autre. La première transformation de la danseuse de Krishna en Yashoda m'a semblé particulièrement extraordinaire. Comme la danseuse l'a expliqué en introduisant la pièce, la chorégraphie associe les exploits des différents avatars de Vishnu à des situations anodines entre Yashoda et l'enfant Krishna. L'avatar du poisson (Matsya) suggère une comparaison des yeux de Krishna à ceux d'un poisson. L'avatar de la Tortue (Kurma) porta une montagne pendant le barattage de la Mer de Lait tout comme Yashoda porte Krishna sur son dos. L'Homme-Lion (Narasimha) boit le sang du démon Hiranyakashipu tout comme Krishna se délecte de fromage blanc. La colère de Yashoda (ou de Krishna ?) est comparée à celle de Rama Jamadagnya (Parashurama). Ces séquences sont représentées du point de vue de Yashoda qui s'émerveille innocemment en pensant à Krishna. Plus loin, Krishna est celui que l'on ne peut pas décrire et dont on ne peut mesurer l'étendue. La danseuse développe aussi l'épisode mettant en scène Kaliya. Ce serpent qui infeste les eaux d'un étang ne fait pas peur à Krishna. Yashoda supplie son fils de ne pas y aller, mais Krishna y va quand même et attrape le serpent. Ensuite, pour évoquer sa grandeur, la démarche de Krishna est comparée à celle d'un éléphant. La chorégraphie revient à la situation de jeu entre Yashoda et Krishna. Ils jouent à la balle, ils se tapent les mains. Enfin, Krishna s'allonge sur le flanc de Yashoda qui, amoureusement, le voit fermer les yeux. Dans cette pièce et dans cette toute dernière séquence, l'art de l'Abhinaya de la danseuse m'a semblé magnifique. Ses mains étaient souvent animés de micro-mouvements. Les moindres parties de son corps participaient à l'évocation des sentiments de Yashoda. (Dans la dernière ligne du texte, j'ai été étonné d'entendre Vishnu évoqué sous le nom de Vittala, un nom que je n'ai vu utiliser que dans le Maharashtra, mais il semble que ce mot fasse ici partie de la signature “Purandara Vittala” du compositeur Purandaradasa.)
La pièce suivante est Nāgendra Hārāya. Le texte d'Adi Shankara fait l'éloge de Shiva en s'appuyant sur les cinq syllabes du mantra ॐ नमः शिवाय. Chacune des cinq strophes commence par une des syllabes nā-ma-śi-va-ya et se finit par une référence à cete syllabe. L'entrée en scène de la danseuse se fait sur un rythme à huit temps. La danseuse évoque Shiva qui boit le poison lors du barattage de la Mer de Lait, qui est orné de serpents et porte une peau de tigre. Des offrandes de fleur sont faites à sa forme abstraite du Shivalingam. Le rythme à cinq temps de la composition en Khanda Chapu s'installe ensuite. Chaque strophe est précédée d'une section de danse pure. Divers attributs de Shiva sont représentés comme les cendres sur son corps, son tambour Damaru, sa gorge bleue. Il est vénéré par des sages comme Vaśiṣṭha. Il porte la Lune. Le feu est dans son troisième œil. Ses cheveux sont défaits. Cette pièce est efficace. Dans sa présentation, la danseuse avait indiqué que chaque syllabe du mantra était associé à un des cinq éléments et que par exemple. Je ne suis pas absolument certain que cette référence ésotérique soit particulièrement éclairante pour apprécier la pièce, le lien entre chaque strophe et l'élément correspondant n'ayant rien d'évident...
La danseuse a ensuite interprété trois pièces d'Abhinaya accompagnée par l'excellente chanteuse Bhavana Pradyumna. Il est à mon goût dommage qu'il n'y ait pas eu un accompagnement rythmique, même discret, pendant ces pièces ; cela aurait permis de mettre davantage en valeur la musicalité de la danseuse. Pendant la présentation de ces pièces, j'ai été très étonné que la danseuse dise à propos des Javali : “no deep connotation”. Ces poèmes décrivent l'amour de façon plus explicite, mais il s'agit néanmoins d'un amour avec un dieu, et je lisais dans la biographie de la grande danseuse Balasaraswati qu'elle interprétait les poèmes érotiques avec la même ardente dévotion que dans des pièces purement dévotionnelles. Cette assertion “no deep connotation” de Vidhya Subramanian à propos des pièces qu'elle allait interpréter m'a quelque peu inquiété, mais j'avoue que je ne m'attendais pas au spectacle qui a été donné, en coproduction avec une partie du public.
Dans Era Ra Ra de Patnam Subramanya Iyer, l'héroïne est assise. Elle se pare de boucles d'oreilles, de colliers, bracelets... Quand elle voit l'homme passer, elle l'invite à la rejoindre. Kamadeva l'a transpercée de ses flèches. L'archer s'attaquera plus loin à l'homme (qui n'est autre que Vishnu), lui qui est beau et a des yeux de lotus. Finalement, le souhait de l'héroïne est exaucé.
Dans cette pièce et dans les deux suivantes, la danseuse a peut-être parfois
été à la limite du surjeu, mais je ne dirais pas que son interprétation ait été
vulgaire. Pourtant, une partie complètement désinhibée du public n'a cessé de
rire bruyamment et de glousser bêtement à la moindre allusion érotique. J'ai
trouvé cela particulièrement consternant et très irrespectueux envers l'artiste
et le reste du public. C'est d'autant plus honteux si on tient compte des
transformations sociales qui ont eu lieu au cours du siècle dernier dans le
milieu de la danse bharatanatyam. Pour simplifier, le discours dominant a été
que les danseuses appartenant à des familles traditionnelles étaient pour ainsi
dire des prostituées et que leur danse était vulgaire ; il fallait
assainir
la danse, pour la rendre respectable et susceptible d'être
dansée par des jeunes filles de bonne famille. Cette transformation sociale
étant pour ainsi dire achevée (il ne reste aujourd'hui que très peu de gurus
appartenant à des familles traditionnelles). Il est bien paradoxal
qu'aujourd'hui, des spectateurs et spectatrices se comportent aussi
vulgairement en assistant à un récital d'une danseuse indienne de haute
caste.
La pièce suivante a donné lieu à de pareils débordements du public, qui cette fois-ci pouffe en assistant à la représentation de ce qui, s'il ne s'agissait du personnage divin de Krishna, serait qualifié d'agressions sexuelles. Dans ces conditions, il m'a été difficile de me concentrer sur l'espace scénique, tant la danse était occultée par le spectacle lamentable venant des gradins. (Je ne sais pas comment l'interprète a ressenti cela. Dans un texte, elle écrit : “The joy of performing sringara in a sensitive, intelligent and aesthetic manner is to be shared and experienced by an equally sensitive, intelligent and aesthetically nurtured spectator.”.)
Dans Chikkavane Ivanu, les gopis assemblées se plaignent des méfaits de Krishna, qui n'est qu'un enfant. L'une raconte qu'il lui a demandé comment on faisait les enfants. Une autre dit qu'alors qu'elle venait chercher de l'eau, il lui a bloqué la route pour l'enlacer et qu'il lui a cassé son pot d'eau. Une autre raconte qu'il lui a touché les seins tandis qu'elle barattait du beurre. La dernière avoue qu'elle a rêvé de lui, et qu'il est réellement venu, puisqu'elle l'a trouvé à ses côtés à son réveil.
La danseuse a ensuite interprété le Javali “Indendu”, qui est une des pièces les plus dansées du répertoire. Elle l'avait déjà dansé au Musée Guimet en 2014, je n'y reviens pas en détail. Je note simplement la belle musicalité de l'interprétation de la danseuse dont les pas marquaient régulièrement les temps forts du cycle rythmique à sept temps Mishra Chapu. Parmi les danseuses qui arrivent à exprimer de façon habitée les sentiments de l'héroïne dans une pièce d'Abhinaya, bien peu arrivent à concilier un abandon nécessaire à l'interprétation et une conscience profonde du cycle rythmique. C'est une qualité que j'ai très rarement observée chez les danseuses. C'était moins évident dans les deux pièces précédentes, mais dans celle-ci, c'était flagrant.
Des récitals de Vidhya Subramanian au Musée Guimet, je retenais surtout son interprétation magnifique de l'Ashtapadi “Sakhi He”. J'aurais aimé être autant ému par son interprétation de “Kuru Yadu Nandana”, le dernier Ashtapadi du Gita-Govinda, mais pour moi, la magie n'a pas opéré. Vu l'état d'esprit dans lequel j'étais, cela ne pouvait de toute façon pas fonctionner sur moi...
Le récital s'est conclu par Rajarajeshwari Ashtaka Tillana, une pièce utilisant une musique nouvelle associant un poème d'Adi Shankara dédié à la Déesse (Shri Rajarajeshwari, la Reine des Reines) et un Tillana. La composition musicale est due à Rajkumar Bharati. La pièce est assez impressionnante, mais elle souffre à mon goût d'une trop grande complexité rythmique. La structure est tellement complexe qu'il y a vraiment de quoi s'y perdre. La pièce est en Ragamalika, c'est-à-dire qu'elle utilise une guirlande de ragas : les différentes sections de la pièce sont dans des ragas différents. Cette pièce est aussi en Talamalika, ce qui en fait une rareté. En général, il existe au moins deux façons différentes d'entendre le mot Talamalika. Si on l'interprète de la même façon que dans Ragamalika, cela pourrait signifier que différentes sections de la pièce seraient dans des cycles rythmiques (talas) différents : je connais ainsi un Alarippu dont la première partie (debout) est en Tishra Ekam, la partie accroupie en Chatushra Ekam et dernière partie en Mishra Chapu. Dans une autre interprétation dont j'avais appris l'existence lors d'une magnifique lecture demonstration de T. S. Sathyavathi, il s'agit de créer un nouveau cycle rythmique de la façon suivante : un cycle rythmique (ou avartana) dans un tel Talamalika est constitué de la juxtaposition de cycles rythmiques appartenant à plusieurs talas. (Par exemple, si on appliquait ce principe en juxtaposent un cycle en Tishra Ekam (3 temps) et un cycle en Chatushra Ekam (4 temps) pour fabriquer un Talamalika, on obtiendrait globalement un cycle à sept temps, qui ressemblerait beaucoup à Tishra Triputa qui est un rythme à 7=3+2+2 temps.) Il me paraît plausible que ce Tillana utilise cette forme-là de Talamalika, mais je ne saurais dire exactement comment il est composé (si ce n'est qu'il y avait un peu de Khanda Chapu). Ce mélange de talas et l'alternance entre la danse pure et les passages évoquant Shri Rajarajeshwari relèvent d'une certaine innovation de la part du compositeur et de la danseuse. Je salue cette créativité, mais au-delà de la satisfaction immédiate apportée par certains instants de la chorégraphie, la complexité structurelle de cette pièce m'a malheureusement davantage tourmenté qu'émerveillé.
Ailleurs : Hiten Mistry.
2016-11-27 13:15+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Auditorium du Musée Guimet — 2016-10-28
Deepa Chakravarthy, mohiniyattam
Murali Parthasarathy, chant
M. S. Sukhi, mridangam
Sunil Kumar, flûte
Isabelle Anna, voix off
Invocation “Pari Pari Ne Padame” (Raga Hamsadhvani, Adi Tala, composition de Balamuralikrishna)
Shloka समुद्रवसने देवि
Solkattu (Adi Tala, Raga Jog, composition de M. S. Sukhi)
Kamakshi Svarajati కామాక్షి అమ్బా అనుదినముమరవకనే (Raga Bhairavi, Mishra Chapu Tala, composition de Shyama Shastri)
Padam അലര്ശരപരിതാപം (Raga Surutti, Mishra Chapu Tala, composition de Swati Tirunal)
Tillana (Raga Dhanashri, Adi Tala, composition de Swati Tirunal et Lalgudi Jayaraman)
Après ses deux magnifiques récitals au Centre Mandapa en mai, je n'aurais raté pour rien au monde le récital de mohiniyattam de Deepa Chakravarthy au Musée Guimet le 28 octobre dernier.
Le programme a commencé par un Alap de la flûte suivi de l'invocation de Ganesh Pari Pari Ne Padame composée par Balamuralikrishna (qui est décédé le 22 novembre 2016 à Chennai...). Il est à mon avis dommage que la sonorisation de la flûte se soit accompagnée d'un écho (et même deux échos, puisque j'ai eu l'impression d'entendre trois fois chacune des phrases jouées par le flûtiste). Peut-être s'agit-il là d'une volonté du musicien de reproduire avec un seul instrument ce qui résulte habituellement de l'interaction entre deux musiciens : dans un récital de chant carnatique accompagné par un violon, les phrases improvisées par le chanteur sont répétées immédiatement par le violoniste. Cette sensation peut être simulée par un écho, mais le procédé me paraît artificiel et ne correspond pas à une esthétique que je voudrais valoriser.
Après cette introduction musicale, la danseuse est entrée en scène dans son costume blanc, vert et orange doré pour une invocation de la Déesse Terre. Cette invocation a commencé par l'allumage d'une lampe à l'avant-scène et par une salutation adressée aux quatre coins cardinaux. L'ampleur de la démarche de la danseuse est magnifiée par de majestueux relevés sur demi-pointe. L'invocation proprement dite à la Déesse Terre est interprétée sur le Shloka Samudravasane Devi, la Déesse, épouse de Vishnu, qui est ornée de l'Océan, et auprès de laquelle on veut se faire pardonner des blessures qu'on lui inflige en foulant le sol de ses pieds.
La danseuse interprète ensuite un Sollukattu, qui est un type de danse spécifique au Mohiniyattam. Il s'agit d'une pièce de danse pure accompagnée d'onomatopées comme “Ta dim jonotakadim” qui sont chantées mélodieusement par le chanteur (et non pas seulement récitées). Les mouvements sont relativement lents par rapport au bharatanatyam : chaque mouvement s'étend sur une durée plus longue, mais cela n'est en rien ennuyeux puisqu'à chaque instant, la danseuse est totalement investie dans son action. C'est particulièrement évident pour le haut du corps, mais si les mouvements des jambes prennent aussi un certain temps quand il s'agit de tendre/plier une jambe ou de monter sur demi-pointe, les instants où un pied touche le sol sont très nets, parfaitement en rythme.
La danseuse interprète ensuite la pièce principale de son récital, dédié à Kamakshi. Comme je l'indiquais dans le billet précédent, il s'agit de celui des trois Svarajati composés par Shyama Shastri (1762-1827) qui soit en Raga Bhairavi et Misra Chapu Tala. Dans le répertoire des danses du Sud de l'Inde, les Svarajati les plus connus suivent une structure très proche de celle des Varnam. Shyama Shastri a mis au point un autre type de composition, aussi appelé Svarajati, et qui d'après ce que je lis dans le livre A Southern Music de TM Krishna, pourrait avoir été inspiré par les Nirupanas qui sont des récitals sur un thème unique interprétés par une danseuse soliste à la cour des rois marathes de Thanjavur : dans le livre Korvayanche Sahityache Jinnas édité par la Sarasvati Mahal Library de Thanjavur, on trouve des compositions formant ces Nirupanas, certaines entre elles sont nommées Svarajati. Le Kamakshi Svarajati de Shyama Shastri suit effectivement la même structure. Il est formé d'un Pallavi qui est comme un refrain et de huit Charanams. Dans cette forme musicale, chaque Charanam est d'abord chanté sous forme de Svaras (c'est-à-dire que le chanteur chante en prononçant le nom des notes), puis après une répétition du Pallavi, le texte du Charanam est chanté en utilisant la même mélodie. À la fin d'un Charanam, on répète le Pallavi et on passe au Charanam suivant. Dans ce Svarajati, il y a huit Charanams de longueur croissante et ils ont la particularité de commencer successivement par les huit Svaras de la gamme ascendante : Sa, Ri, Ga, Ma, Pa, Dha, Ni, Sa.
Voici une tentative de traduction du texte de la pièce principale du récital de Deepa Chakravarthy :
(Pallavi) Déesse Kāmākṣi ! Me souvenant à jamais que Ton pied de lotus est mon seul refuge, je place ma foi en Toi, Déesse de Kanchi.
(Charanam 1) Mère, Tes dents sont comme des fleurs de jasmin et Tes yeux comme des lotus. Protège-moi.
(Charanam 2) Ton cou a la forme de la conque et tes tresses sont sombres comme des nuages annonçant la pluie.
(Charanam 3) Ton visage ressemble à la Lune. Tes seins ont une forme harmonieuse et Ta démarche est celle de l'éléphant. Ton pied est vénéré par Brahma, Vishnu et Shiva. Tu es l'auspicieuse Shankari. Veuille résoudre mes problèmes rapidement. Mère, écoute ma prière.
(Charanam 4) Tu es la plante qui exauce les vœux. Tu es un sanctuaire de compassion, Toi qui est bienveillante. Ô fille de la Montagne, protège-moi ! N'ai-je pas pris refuge en toi ? Exauce-mes vœux sans attendre.
(Charanam 5) Efface mes péchés et donne-moi la force de vénérer ton pied de lotus pour toujours. N'es-Tu pas la purificatrice ? N'entends-tu pas ma supplication ? Pourquoi es-Tu indifférente ? Écoute ma prière, Mère.
(Charanam 6) Tu détruis le Mal. Les Veda affirment que Tu exauces les désirs de la multitude de dévots qui se pressent à tes pieds pour Te supplier et que Tu fais preuve de bienveillance envers tous.
(Charanam 7) Entourée d'êtres célestes, Tu résides dans la forêt Kadamba. Tu tiens un lotus dans la main. Les arrogants démons Te craignent comme le lion craint l'éléphant en rut. Tu fais fondre l'affliction de Tes dévots. Tu accordes l'opulence à ceux qui méditent sur ta gloire infinie. Maintenant, donne-moi refuge !
(Charanam 8) Sœur de Shyamakrishna ! Tu enchantes Shiva ! Souveraine suprème ! Vishnu, Shiva et les autres sont-ils seulement capables de mesurer l'étendue infinie de ta gloire ? Je suis ton fils. N'éprouves-Tu pas d'affection pour moi ? Devi, pourquoi es-Tu indifférente ? Protège-moi maintenant, Shri Bhairavi !
(Traduction approximative d'après cette traduction anglaise.)
Le thème de cette pièce est purement dévotionnel. Le dévot implore la divinité, il n'y a pour ainsi dire aucun sous-entendu amoureux, contrairement à beaucoup de Varnam du répertoire. Lors d'autres récitals (par exemple celui-ci), j'ai souvent été gêné par l'absence de l'aspect amoureux dans la danse alors qu'il était présent dans le texte ; ici, il est absent du texte, donc je ne vais pas me plaindre du fait qu'il n'ait pas été ajouté dans la danse !
Fait rare, j'avais eu la possibilité de lire le texte du Svarajati avant d'assister à ce spectacle (Full-disclosure: La danseuse m'avait invité à déjeuner chez elle lors de mon dernier séjour à Chennai et elle m'avait parlé de son projet de danser cette composition à Paris.). Ce texte est très étoffé et est énoncé à une vitesse relativement rapide, ce qui peut poser des difficultés d'interprétation puisqu'il n'est pas possible de montrer dans la gestuelle chacun des mots du texte : dès la première occurrence du texte, il faut parfois interpréter ou synthétiser l'essence du message textuel. Ainsi, plutôt de multiplier les gestes pour respecter à tout prix le mot à mot au risque de paraître confuse à cause de la vitesse, Deepa Chakravarthy a heureusement préféré prendre un certain recul et cherché à illustrer le sens du texte de façon plus simple mais réfléchie.
La composition musicale a été interprétée pour ainsi dire de la même façon qu'elle le serait lors d'un concert vocal. Le Pallavi a été répété plusieurs fois (en raison de l'exploration de l'octave inférieure que le Pallavi contient, il est heureux que la composition ait été chantée par un homme). Le nom de la Déesse Kāmākṣi (dont les yeux inspirent l'amour) a été représenté en utilisant certaines caractéristiques de la gestuelle du style mohiniyattam (et des autres styles du Kerala). L'amour est en effet représenté par deux mains à plat qui se rejoignent l'une au dessus de l'autre devant le corps de la danseuse dans une combinaison qui rappelle celle qui est utilisée dans le bharatanatyam pour représenter un poisson. Ce mot est le seul sur lequel le sentiment amoureux ait été présent dans cette pièce, puisque sinon la pièce est entièrement dévotionnelle. Le seul refuge du dévot réside dans le pied de la Déesse. Le Pallavi alterne ensuite avec les différents Charanams présentés d'abord sous forme de Svara. Une exquise formule rythmique servait d'introduction à chaque Svara pendant lequel la danseuse interprétait de très belles séquences de danse pure de longueur croissante (la sixième séquence, celle qui commençait par la note Dha, m'a semblé particulièrement sublime). Chaque Svara était suivi d'une formule rythmique pendant que le chanteur reprenait le Pallavi. Sur le mot Amba de la composition, la danseuse posait le talon devant et se penchait vers l'avant en montrant ce pied, ce qui me semblait correspondre au souhait du dévot de prendre refuge au pied de la Déesse. La mélodie du Svara était ensuite réutilisée pour l'interprétation du texte du Charanam correspondant. Le texte était illustré une première fois par la danseuse, puis une deuxième fois en utilisant des Tattu Muttu, c'est-à-dire que pendant que le sens du texte est illustré par la gestuelle de l'interprète, les pieds exécutent des motifs rythmiques précis. Cette technique est comparable à celle du bharatanatyam, mais elle diffère dans la mesure où les pieds sont écartés. Ces mouvements de pieds sont moins rapides qu'en bharatanatyam, mais ils sont néanmoins exécutés avec précision et netteté. Chaque Charanam est ainsi chanté deux fois au total avant que le Pallavi soit repris et enchaîné avec le Svara suivant.
Comme je l'ai écrit plus haut, la densité du texte fait que l'interprète doit néanmoins prendre une légère distance avec son côté littéral, mais la structure que je viens de décrite laisse finalement peu de place à l'élaboration au delà du sens littéral du texte. Cependant, cela ne m'a pas gêné puisque c'était tellement bien et justement fait que l'interprétation de Deepa Chakravarthy m'a semblée passionnante à regarder pendant toute la pièce. La danseuse a parfois montré la Déesse, mais elle a aussi représenté des sentiments humains, comme la dévotion, et aussi l'émerveillement du dévot admirant les qualités physiques de la Déesse qui sont décrites dans les trois premiers Charanams. Dans les enregistrements de ce Svarajati que j'ai écoutés, les chanteurs utilisent le dernier Charanam pour montrer leurs qualités d'improvisation. Cela a aussi été le cas dans cette représentation dansée. Ainsi, par rapport au schéma que j'ai décrit précédemment, le dernier Charanam a fait exception puisque sa première ligne a été répétée de nombreuses fois et la danseuse l'a utilisée pour élaborer au delà du sens littéral du texte. Cette ligne contient la signature du compositeur Shyama Shastri. Cela a donné lieu d'une part à une représentation de Krishna (identifié à Vishnu, frère de Kāmākṣi) et d'autre part à celle du compositeur-poète auteur de cette composition. La danseuse a ensuite fait un développement à partir du mot Shivashankari du texte : en faisant preuve de quelque ruse, Parvati parvient à entourer le cou de Shiva d'une guirlande de fleurs. Après ce développement, le huitième Charanam a été chanté en entier et repris en Tattu Muttu avant que la pièce ne se termine avec la reprise du Pallavi mettant en scène le dévot de la Déesse qui est finalement représentée avec les deux mains dans le mudra Pataka.
Il y a un aspect très intéressant qu'il faut mentionner dans l'aspect théâtral de la danse de Deepa Chakravarthy. Chez beaucoup d'interprètes, quand il s'agit par exemple de suggérer l'émerveillement, le danseur regarde loin devant lui, comme si la chose à admirer se trouvait en dehors de l'espace scénique. Par son placement et son regard, Deepa Chakravarthy nous fait au contraire imaginer que l'objet de l'admiration de son personnage est placé en un endroit précis de la scène. Bien qu'il soit invisible, il semble bien davantage présent que lorsqu'il faut l'imaginer en dehors de l'espace scénique.
Lors des récitals parisiens de la danseuse en mai dernier, le sentiment
amoureux avait été présent dans la pièce principale. Ici, au contraire, le
sentiment amoureux a pour ainsi dire été absent du Svarajati. Il
est heureux que Deepa Chakravarthy ait choisi d'interpréter ensuite le
Padam “Alarśaraparitāpaṃ” composé par Swati Tirunal (1813-1846)
qui aborde le thème amoureux de la séparation. Après un Alap du
chanteur, l'entrée en scène se fait sur un rythme à quatre temps. L'héroïne
cueille une fleur et est comme transportée par son parfum. Quand la
composition sur un rythme à sept temps commence, l'héroïne souffre de la
séparation et la chorégraphie développe les moments où Kama lui a lancé ses
flèches. Le dieu de l'amour est reconnaissable à la combinaison de mudras
qui lui est caractéristique dans le style mohiniyattam. On le voit choisir
très méliculeusement les fleurs qui vont orner les flèches qu'il va lancer
à l'héroïne alors qu'elle est en train de se rafraîchir le visage et
d'arranger ses cheveux. La séquence suivante est une des plus belles de
tout le récital. L'héroïne compare sa situation à celle d'une fleur de
lotus dont le soleil se détourne parce qu'il s'est couché dans l'Océan. La
lumière quoique faible donne quelque espoir à la fleur d'éclore. Les
pétales s'ouvrent très lentement, mais la lumière s'avère insuffisante et
la fleur fane. Plus loin, l'héroïne souffre de la séparation, elle croit
entendre la flûte de son bien aimé (qui est sans doute Krishna), mais il ne
s'agit que de chants d'oiseaux amoureux. Le butinement des abeilles lui
est aussi insupportable. Dans un développement, la danseuse représente
l'héroïne plongée dans un rêve. Elle imagine que son amoureux vient lui
toucher le menton (la technique d'acteur utilisée pour suggérer cela est
assez stupéfiante), mais quand elle se réveille, il a bien sûr disparu.
Dans la dernière séquence, l'héroïne brûle de la seule lumière de la Lune.
L'interprète a ensuite suivi le conseil que se refilent entre elles les
danseuses indiennes avant de faire un récital en France : During your
performance in Paris, you have to write a letter.
. En effet, l'héroïne
demande à son amie de transmettre une lettre à son amoureux. Le moment de
l'écriture de la lettre a été d'une exquise espiéglerie et d'une rare
intensité !
Le récital s'est terminé par le célébrissime Tillana en Raga Dhanashri et Adi Tala composé initialement par Swati Tirunal et dont la version connue actuellement est due à Lalgudi Jayaraman. La première partie de la composition semble faite uniquement d'onomatopées, mais il s'agit en réalité d'un texte autoréférentiel évoquant la danse accompagnée d'onomatopées ! La deuxième partie évoque Padmanabha (Vishnu), la divinité à laquelle la plupart des compositions de Swati Tirunal rend hommage. Ce Tillana fait aussi partie du répertoire de bharatanatyam. La composition était chantée ici dans un tempo délicieusement lent, très significativement plus lent qu'il n'est habituellement joué dans le contexte du bharatanatyam. Comme dans tout le récital, cette relative lenteur permet aux spectateurs d'apprécier encore davantage la perfection du mouvement dans l'interprétation très intense de Deepa Chakravarthy.
Deepa Chakravarthy
2016-10-27 19:30+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Théâtre — Culture indienne — Planning
Au cours du week-end de la Toussaint, il y aura à Paris (ou pas loin) deux événements exceptionnels liés aux danses classiques de l'Inde, et tout particulièrement du Kerala :
Deepa Chakravarthy (mohiniyattam) au Musée Guimet les 28 et 29 octobre 2016
Deepa Chakravarthy
En juin dernier, j'avais eu l'occasion de voir la danseuse Deepa Chakravarthy pour ses deux récitals au Centre Mandapa. Cela avait été pour moi une expérience de spectateurs absolument extraordinaire notamment grâce à sa capacité d'interpréter les moindres gestes avec une intensité extrême : de minuscules et lents gestes produisaient une impression énorme.
Entretemps, j'ai eu l'occasion de la rencontrer à Thiruvanmiyur (Sud de Chennai) où elle réside. Pour son programme au Musée Guimet les 28 et 29 novembre, elle va réintroduire dans le répertoire du mohiniyattam le Swarajati Kamakshi en Raga Bhairavi et Mishra Chapu Tala composé par Shyama Shastri (1762-1827), un des trois compositeurs de la Trinité carnatique (avec Tyagaraja et Muthuswamy Dikshitar). Neena Prasad, guru de Deepa Chakravarthy, a reconstruit la chorégraphie de Kalamandalam Krishnan Nair qui fut dansée exclusivement par Shanta Rao (1930-2007). Neena Prasad enseigne cette chorégraphie à ses élèves avancés, mais en raison de la complexité extrême de cette pièce, personne n'a encore jamais tenté de l'interpréter sur scène. Deepa Chakravarthy sera la première à essayer ! (Pour écouter cette composition interprétée par le chanteur TM Krishna, suivre ce lien. Une notation est disponible à cette adresse. Une traduction complète du texte vers l'anglais est disponible à cette autre adresse.)
Renseignements pratiques sur le site du Musée Guimet.
La Grande Nuit du Kutiyattam au Théâtre du Soleil du 31 octobre (18h) au 1er novembre (9h)
De grands épisodes inspirés des épopées indiennes seront présentés par la troupe d'acteurs-danseurs, chanteurs et musiciens de Kerala Kalamandalam. Je n'ai jamais eu l'occasion d'assister à une représentation de Kutiyattam, et mes expériences avec les formes voisines de théâtre-dansé originaires du Kerala comme le Kathakali sont très limitées. Cela peut intimider vue la durée du spectacle sur toute une nuit (avec un certain nombre d'entr'actes !), de la même façon qu'une représentation d'un opéra grand par sa longueur peut aussi intimider le mélomane.
Une des difficultés pour le spectateur de certaines danses indiennes comme le bharatanatyam est que le texte des compositions et les chorégraphies ne font bien souvent que de très subtiles et brèves allusions à des épisodes mythologiques (certaines pouvant se réduire à un unique geste). De ce que je crois comprendre, du fait de l'étirement dans le temps des représentations, les formes de théâtre du Kerala se donnent au contraire la possibilité de développer à l'extrême les détails des épisodes épiques, et donc de les voir à la loupe plutôt que sous forme d'esquisses. Cette Grande Nuit est une occasion unique de s'immerger dans cet univers théâtral.
Renseignements pratiques sur le site du Théâtre du Soleil.
2016-08-25 20:14+0530 (दिल्ली) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Je suis maintenant à la fin de mon quinzième séjour en Inde. Après quelques jours à Delhi, je suis allé à Chennai où j'ai pris des cours de bharatanatyam avec Kuthalam M. Selvam (adavus et nattuvangam) et Arupa Lahiry (avec qui j'avais déjà pris des cours à Delhi et qui se trouvait aussi à Chennai pour répéter un spectacle de son guru Chitra Visweswaran). J'ai ensuite passé dix jours à Pune pour prendre des cours avec Sucheta Chapekar, et je finis mon séjour à Delhi pour pratiquer le chant dhrupad avec Nirmalya Dey.
Pendant les trois semaines passées à Chennai, j'ai vu des spectacles de qualité variable. Je vais commencer par rendre compte brièvement de certains d'entre eux, et reviendrai plus en détails sur quelques autres.
The Music Academy, T.T.K. Auditorium, Chennai — 2016-07-16
Sharmila Biswas, concept, chorégraphie, design, danse odissi
Srijan Chatterjee, composition musicale
Lakshmi Parthasarathy Atreya, danse bharatanatyam
Amrita Lahiri, danse kuchipudi
Shashwati Garai Ghosh, danse odissi
Monami Nandy, Tri Paul, Ankita Kulabhi, Rohini Banerjee, danse odissi
Dhaneswar Swain, Bijaya Kumar Barik, Guru Bharadwaj, composition rythmique
Antra-Yatra
Il s'agissait de la création d'une production Antar-Yatra censée évoquer le monde intérieur des danseuses. La production dirigée par Sharmila Biswas (odissi) met en scène trois danseuses solistes (bharatanatyam, kuchipudi, odissi), un corps de ballet de quatre danseuses, et bien sûr Sharmila Biswas. Le spectacle m'a semblé globalement raté. Les costumes (trois pour chacune des solistes !) et la scénographie sont les points forts de la production. Sinon, aucune émotion particulière ne parvient à s'exprimer.
La seule scène de groupe un peu réussie est interprétée par Sharmila Biswas et le corps de ballet : il s'agit du barratage de la mer de lait. L'avatar de la Tortue, le mont Mandara, ainsi que les dieux et démons y apparaissent. Parmi les fruits de ce barratage, on trouve les danseuses célestes (Apsaras), expertes dans tous les arts. Plus loin, il est fait référence aux auspicieuses devadasis (Nityasumangali...).
Les trois solistes se succèdent ensuite. Parmi elles, les danseuses de kuchipudi et de bharanatyam se distinguent particulièrement à mon goût. Amrita Lahiri (kuchipudi) apparaît dans une scène dans laquelle une jeune femme se prépare (bijoux, etc.) et joue avec Krishna au bord de la Yamuna. La séquence la plus intéressante intervient avec Lakshmi Parthasarathy Atreya (bharatanatyam) qui interprète une version déstructurée d'un Tillana. La musique est d'abord extrêmement dissonnante. Les mouvements de la danseuse sont hésitants, et puis la danse prend progressivement forme, évoquant la nature, tandis que la musique devient de plus en plus harmonieuse pour devenir un des Tillana (Adi Tala) du répertoire. La séquence de la soliste d'odissi et du corps de ballet m'a semblée absolument inintéressante, et surtout trop longue. Elle mettait en scène la poursuite de l'antilope dorée par Rama : absolument rien sur ce qui se passe avant (le caprice de Sita), pendant (Lakshmana laissant Sita toute seule, l'arrivée de Ravana) ou après (la colère de Rama quand il voit que Sita a disparu). Rama tient son arc et court après l'antilope dorée (mudra Mrigashirsha), et c'est tout...
Après un fort bel intermède musical par Srijan Chatterjee (dont j'ignore s'il était en playback, le reste de la musique étant enregistrée...), les trois danseuses reviennent pour massacrer l'ashtapadi “Sakhi He” extrait du Gita-Govinda de Jayadeva. La composition musicale n'était pas dans le tala ni le raga habituel, mais ce qui était le plus gênant était que les danseuses n'ont absolument pas suivi le texte du poème. Le pire a été un contre-sens sur le mot Keshi (un démon ennemi de Krishna) qui a été très-ostensiblement représenté comme s'il signifiait Keshava (le Chevelu, un des noms de Vishnu). Il faut imaginer toutes les danseuses et le corps de ballet tourner sur scène en montrant Krishna avec une énorme tignasse de cheveux...
La scénographie, la scène du barratage de la mer de lait et le Tillana mis à part, le seul attrait de la soirée a été son côté mondain, avec quelques remarques et questions très polies posées aux artistes par Anita Ratnam, C. V. Chandrashekhar ou Leela Venkataraman.
Ailleurs : Leela Venkataraman.
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Narada Gana Sabha - Mini Hall, Chennai — 2016-07-17
Vidwan T. G. Murugavel, nagaswaram
Mallari
Magnifique lecture-demonstration sur le Mallari, la forme musicale utilisée lors les processions dans les temples ou ailleurs par des joueurs de nagaswarams (hautbois indien). Une impressionnante collection d'anches pendouille de l'instrument. Un des accompagnateurs a le rôle de marquer le tala avec ses talams (cymbales). Les rythmes étaient en effet très complexes. Certains Mallari étaient en Adi Tala (8 temps), mais d'autres étaient en Mishra Chapu (7 temps rapides), Sankirna Triputa (9+4=13 temps), Khanda Triputa (5+4=9 temps). À la demande du public (peu nombreux) de cette démonstration (prononcée en tamoul...), le musicien a interprété avec son instrument une célèbre composition : Bho Shambho (Adi Tala) ; cela avait de la gueule...
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Brahma Gana Sabha, Sivagami Petachi Auditorium, Chennai — 2016-07-18 à 19:30
Prarthana Subhalakshmi, danse bharatanatyam
Padmini Krishnamurthy, nattuvangam
Easwar Ramakrishnan, violon
Radha Badri, chant
Devraj, flûte
Rammohan, mridangam
Ce récital par une très jeune danseuse a magnifiquement commencé par un sublime Alap du violoniste Easwar Ramakrishnan (et par le flûtiste). Le guru et la danseuse (style Pandanallur) viennent de Muscut (Oman). La danseuse s'embrouille un peu dans les pas de son Pushpanjali en Hansadhwani Raga et Misra Chapu ; elle a cependant le bon réflexe : elle met ses mains en Anjali devant elle en attendant que la mémoire lui revienne. Après un Shloka Gajanam, elle interprète un Varnam sur Ganesh (“Varanamukhava”, Raga Nattakurunji, composé par Golapakrishna), cela doit être la première fois que j'en vois un. Après un magnifique Alap du violoniste, la danseuse a dansé son Trikala Tirmanam qu'elle a conclu, comme les autres jatis, par une formule rythmique des pieds pendant laquelle, procédé rare, elle illustre le sens du poème évoquant notamment la tête de Ganesh. Parmi les passages narratifs développés dans ce Varnam, la danseuse a fort bien interprété l'épisode qui vaut à Ganesh d'avoir une tête d'éléphant : défendant à quiconque d'entrer chez sa mère Parvati, il a refusé le passage à Shiva, qui lui a coupé la tête, etc. Elle a aussi représenté l'amour maternel d'Uma (Parvati) pour Ganesh en évoquant la conception par la seule Parvati de son enfant. Le Javali (Adi Tala) évoque les espiégleries de Krishna, qui veut aller s'occuper des vaches, mais qui va aussi faire des misères aux gopis... Le récital s'est conclu par un Tillana en Raga Chandrakauns ayant une complexité rythmique inhabituelle puisqu'il utilisait un cycle rythmique en Adi Tala dont les huit temps étaient subdivisés en cinq (Khanda-nadai) ; le poème évoquait Ganesh et Shiva. La jeune danseuse sourit peut-être un peu trop dans les passages expressifs, mais, compte tenu de son âge, son Abhinaya m'a semblé assez bon.
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Brahma Gana Sabha, Sivagami Petachi Auditorium, Chennai — 2016-07-20 à 19:30
Varshini Murali, danse bharatanatyam
Padmini Krishnamurthy, nattuvangam
Nandini Anand, chant
Easwar Ramakrishnan, violon
Deux jours plus tard, c'est encore une disciple de Padmini Krishnamurthy (elle-même disciple de Ranganayi Jayaraman). La danseuse est à peine plus âgée que la précédente. Elle semble un peu plus tendue. Après un Shloka dédié à Ganesh, elle commence son récital par un Pushpanjali en Adi Tala : la chorégraphie est magnifique et très inventive. Elle interprète ensuite un peu maladroitement le Vishnu Kavuthwam (Raga Nattai, Chatushra Ekam Tala). Dans cette version, chaque ligne de texte est d'abord récitée une première fois et pour la reprise, le texte est chanté et la danseuse exécute des mouvements rythmiques des pieds (Tattu-Muttu). Le Varnam est Sakhiye Indha Jalam (Adi Tala, Raga Shankarabharanam) de Dandayudhapani Pillai. L'héroïne offre des cadeaux à son amie pour la convaincre d'aller chercher Vishnu ; elle souffre, elle ne peut plus manger, etc. Dans la deuxième grande partie, la danseuse développe l'épisode dans lequel Vishnu vient sauver l'éléphant Gajendra qui était attaqué par un crocodile. La danseuse interprète ensuite un poème de Swati Tirunal (Adi Tala) Chaliye Kunjana mettant en scène Krishna et les gopis au bord de la Yamuna. Le récital s'est conclu par un Tillana dédié à Rama en Raga Desh et Adi Tala.
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Brahma Gana Sabha, Sivagami Petachi Auditorium, Chennai — 2016-07-21 à 19:30
Gayathri Rajaji, bharatanatyam
Sri. K. Hariprasad, chant
Sri. R. Narayanan, nattuvangam
Sri. Nellai D. Kannan, mridangam
Easwar Ramakrishnan, violon
J'avais déjà eu l'occasion de voir danser Gayathri Rajaji quand elle avait participé à la tournée de la Chidambaram Dance Company de Chitra Visweswaran au Musée Guimet en 2013. Pour compléter l'effectif constitué par ses disciples, la chorégraphe avait alors fait appel à des danseurs formés dans un autre style. Gayathri Rajaji est en effet une disciple d'Adyar K. Lakshman (style Kalakshetra). Après le décès de celui-ci, elle se forme actuellement auprès de Leela Samson, qui était présente lors de ce récital, tout comme le maître C. V. Chandrasekar.
Le programme commence par une invocation de Ganesh “Bhajamanasa Vighneshwara” (Adi Tala) dans laquelle le chanteur a inséré de nombreux passages en Swaram. Le thème du récital est Krishna. La danseuse commence par le Shloka “Kasturitillakam”. Malgré un accompagnement musical superbe (chant de Hariprasad et Easwar Ramakrishnan au violon), le frissonomètre reste proche du zéro absolu. Le haut du corps de la danseuse est plus expressif que chez le plupart des danseurs Kalakshetra, mais elle se semble pas tout à fait à l'aise dans son corps. Sa position en demi-plié araimandi n'est pas très bien tenue ; lors de certaines frappes, le corps devient un peu instable, presqu'asymétrique. Dans le Jatiswaram du Thanjavur Quartet (Raga Kalyani, Sankirna Chapu), les mouvements de pieds semblent un peu mous ; il y a un manque de netteté.
Le Varnam Sakhiye Inda Velayil (Raga Anandabhairavi, Adi Tala) du Thanjavur Quartet est dédié à Krishna, celui qui porte la conque et le disque. La danseuse a manifestement des possibilités en Abhinaya, qui vont plus loin que ce que font habituellement les danseurs Kalakshetra, mais j'aimerais qu'elle s'y abandonne encore un peu plus. Les passages rythmiques sont correctement exécutés, mais le Varnam suit une structure étrange. Le premier long jati (à trois vitesses) mis à part, les jatis viennent par paires dans cette chorégraphie : le troisième jati vient immédiatement après le deuxième, le cinquième juste après le quatrième, etc. Je n'ai vu cette structure que chez quelques danseurs Kalakshetra. Une particularité de cette composition du Thanjavur Quartet est que le texte de la composition ne commence pas sur le premier temps ; ainsi, les jatis ne se finissent pas juste avant le premier temps comme c'est en général le cas, mais juste avant le deuxième temps du cycle rythmique. Le manque de développement dans l'Abhinaya est contrebalancé par une exégération du temps consacré à la danse pure, ce qui rend l'ensemble du Varnam complètement déséquilibré à mon goût. L'héroïne est impressionnée par la ville et le temple de Krishna, qui est représenté comme Vishnu-Padmanabha, en bouvier, ou avec la conque et le disque. La danseuse développe l'épisode dans lequel Vishnu sauve l'éléphant Gajendra d'un crocodile. Elle évoque aussi celui dans lequel Krishna soulève le mont Govardhana, mais c'est beaucoup trop bref pour être intéressant.
Le point culminant du récital a été l'interprétation du très classique Padam “Indendu” (Raga Suruti, Mishra Chapu) que la danseuse a travaillé avec Bragha Bessel. L'interprète m'y a semblé beaucoup à l'aise et convaincante. L'héroïne demande à Krishna de s'en aller : “Aurais-tu des yeux de poisson ? Tu ne vois pas que ma rue est bien plus étroite que celle de ma rivale ?”. Elle referme sa porte et se retire, en hésitant un peu, se retenant de changer d'avis. Si seulement Bragha Bessel pouvait étendre son influence pour que les danseurs Kalakshetra développent davantage l'Abhinaya tout au long du récital, et pas seulement dans les Padam...
Le récital s'est terminé par un Tillana en Adi Tala chorégraphié par Adyar K. Lakshman et se concluant par une évocation de Krishna et des gopis.
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Dharma Paripalana Sabha, Sri Kanchi Mahaswamy Anantha Mandapam, Adyar — 2016-07-22 à 19:15
Gopika Varma, mohiniattam
Il y a quelques semaines à Paris, j'avais été émerveillé par les récitals de mohiniattam de Deepa Chakravarthy. J'ai eu le privilège de déjeuner chez elle lors de mon séjour à Chennai ; je lui disais que si je pouvais sans problème assister à un récital de bharatanatyam tous les jours, ce ne serait pas possible pour le mohiniattam : certains interprètes de ce style parviennent à atteindre une telle excellence et à procurer de telles émotions, qu'il me paraissait absolument nécessaire que les expériences de spectateur soient plus espacées dans le temps, d'une part pour pouvoir prendre à chaque fois pleinement conscience de ce caractère exceptionnel, et d'autre part pour que ne pas être totalement blasé en regardant après des spectacles d'autres styles...
Sachant que Gopika Varma a été un des gourous de Deepa Chakravarthy, je me suis rendu à Adyar pour assister à son récital dans une salle voisine d'un fort beau temple de Padmanabha. La salle était assez peu remplie ; pour expliquer cela, la danseuse a invoqué le Kabali effect, du nom du film tamoul qui envahissait alors les écrans de Chennai. L'orchestre est composé d'un chanteur, d'un flûtiste et de trois percussions : nattuvangam (cymbales), mridangam et un tambour joué par un homme debout et qui donnait une teinte particulière à la musique.
Je n'ai pas grand'chose à dire sur le récital, si ce n'est que le style mohiniattam, par sa lenteur, explore le mouvement comme aucune autre danse classique indienne ne le fait. La première pièce était en Rupaka Tala, une invocation de Ganesh dont la monture est la souris. Elle a interprété ensuite un Kirtana de Swati Tirunal (probablement Shri Kumara Nagaralaye en Adi Tala et Raga Atana) en relation avec l'histoire du temple de Kumaranaloor, qui devait être initialement un temple de Kumara, mais qui est un temple de la Déesse (cf. cette page Wikipedia). Le Dasa Varnam est dédié à Vishnu et évoque différents épisodes épiques dans lesquels le Bienheureux est devenu un serviteur (Dasa). Je ne les ai pas tous compris (et si je les ai compris, je n'ai pas forcément vu le lien avec le thème). Un épisode évoquait Shabari, qui avant de donner des baies à Rama, les avaient goûtées... Un autre évoquait l'avatar du Nain. Dans un autre, Krishna portait Radha et ainsi les marques de pieds qu'il laissait étaient plus profondes, attirant la suspicion des autres gopis... Le récital s'est terminé par un prière en Rupaka Tala.
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Narada Gana Sabha - Mini Hall, Chennai — 2016-07-23
Namrata Venkatesan, bharatanatyam
Parvathi Ravi Ghantasala, nattuvangam
Smt. Nandini, chant
Sri. Hari Babu, mridangam
Sri. Srinivasan, flûte
Sri. Dorai, violon
Ce récital interprété par une danseuse au costume rose flashy est dédié à Vishnu. Il commence par une invocation chantée Balakrishna Padamala. Après un mini-Pushpanjali, la danseuse interprète une composition de Swati Tirunal “Gopala pahima” dédié au Maître des sept collines (Venkateshwar). La pièce comporte des passages de danse pure rythmiquement complexes. La danseuse évoque très brièvemenet l'épisode dans lequel Yashoda demande à Krishna d'ouvrir la bouche, parce qu'elle le soupçonne d'avoir mangé de la boue : l'Univers entier lui apparaît. Le programme se poursuit avec le même Varnam que celui que j'ai vu trois jours plus tôt : Sakhiye Indha Jalam (Adi Tala, Raga Shankarabharanam). Un des jatis utilise l'espace d'une façon qui me rappelle le style de M. Selvam. Vers la fin du Varnam, la danseuse développe magnifiquement bien l'épisode de l'éléphant Gajendra sauvé par Vishnu. Le texte mentionne l'intervention de Krishna pour protéger Draupadi et la défaite de Ravana par Rama, aidé de Hanuman, mais l'évocation dansée, bien réalisée, est malheureusement trop courte. La danseuse interprète ensuite une pièce sur le jeune Krishna Bhavayami Gopalabulam (Raga Yamuna Kalyani, Khanda Chapu). La pièce la plus intéressante du programme est peut-être “Kandai kandai Sitai” (Raga Bageshri, Tisra-nadai Adi Tala). Elle raconte le voyage en éclaireur de Hanuman à Lanka. Sita déprime dans le bois d'aśoka, elle pense même à se suicider. Hanuman l'en dissuade et lui montre l'anneau que Rama lui a donné. L'interprétation pose à mon avis quelques problèmes : les personnages ne sont pas suffisamment caractérisés, par exemple, quand la danseuse joue le rôle de Hanuman, seules ses mains indiquent qu'elle joue un singe ; si on se fiait uniquement à son expression, on pourrait penser qu'elle est toujours en train d'interpréter Sita. Le récit en flash-back a une structure un peu étrange ; on ne sait pas très bien à quel niveau du récit on se situe. Hanuman est-il en train de raconter son voyage à Rama ? Le climax est atteint quand Hanuman se grandit avant de s'élancer au-dessus de l'Océan (le chant se transforme alors en une répétition du nom Rām). Le programme se conclut avec “Bhaja Govinda” composé par Adi Shankara.
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Sri Krishna Gana Sabha, Kamakoti Gana Mandir Hall, Chennai — 2016-07-27 à 19:00
Smrithi Chanjeevaram, danse bharatanatyam
Ce récital est sans doute le moins intéressant de ceux que j'ai vus
pendant mon séjour à Chennai, la technique de la danseuse étant assez
moyenne. Les musiques étaient enregistrées. Après un Pushpanjali
en Adi Tala dans laquelle la danseuse explore les quatre directions (elle
est parfois de dos), elle évoque l'histoire de Ganesh, le fils de la Déesse
Gauri, dont Shiva coupera la tête, etc. Vient ensuite un poème sur la
Déesse Lalita Bhubaneshwari..., dont la monture est le tigre. Le
Varnam en Adi Tala et Raga Nilambari est dédié à Muruga, dont le
paon est la monture. L'héroïne lui dit en substance : Viens, je suis
comme une fleur sans soleil.
. Le Javali en Adi Tala qui suit
met en scène les espiègleries du jeune Krishna et le récital se conclut par
un Tillana (Adi Tala, Raga Madhuvanti) qui est dédié à Krishna.
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The Music Academy, Kasturi Srinivasan Hall, Chennai — 2016-08-02
Subashri Sashidharan, danse bharatanatyam
Smt. S. Divyasena, nattuvangam
Smt. K. P. Nandini Sai Giridhar, chant
Sri. G. Ram Shankar Babu, mridangam
Sri. K. Ganeshan, violon
Sri. J. B. Sruthi Sagar, flûte
Mallari (Raga Gambhira Nattai, Khanda Triputa, composé par B. P. Hari Babu)
Virutham (Ragamalika, texte de Kumaraguru Swami)
Pada Varnam “Mohamana” (Raga Bhairavi, Rupaka Tala), composé par Ponniah Pillai (Thanjavur Quartet)
Javali “Indendu” (Raga Suruti, Mishra Chapu)
Ododi Vanden (Raga Dharmavati, Adi Tala, composé par AMbujam Krishna)
Shankara Shrigiri Nathaprabhu (Raga Hamsanandi, Adi Tala, composé par Swati Tirunal)
Thillana (Raga Behag, Adi Tala, composé par Dr. Balamurali Krishna)
Entre le 1er et le 10 août se tenait à la Music Academy de Chennai le festival-concours Spirit of Youth (réservé à des interprètes de moins de 25 ans). L'an dernier, j'y avais vu l'extraordinaire Sudharma Vaithiyanathan. Cette année, je n'ai vu que trois récitals, qui sans être absolument époustouflants étaient tous de très bonne qualité.
La technique de la danseuse Subashri Sashidharan au costume rouge et
blanc est assez impressionnante : son demi-plié est très bas, ses
ginatoms sont magnifiques dans le Mallari, son travail
sur le regard aussi. Son Abhinaya n'est pas tout-à-fait aussi
convaincant ; ses gestes sont parfois un peu brusques. Le Viruttam
(forme musique du Shloka, mais en langue tamoule) évoque diverses
idées sans que je comprenne le sens global : Padmanabha, le protecteur de
l'Univers, Brahma, les quatre Veda, le son, Saraswati à la vîna, etc. Au
cours du récital, l'accompagnement musical est quelque peu déséquilibré. La
chanteuse Nandini est magnifique, mais le mridanguiste attire beaucoup trop
l'attention à lui. Le bien-nommé flûtiste Sruthi Sagar produit des sons qui
parfois me paraissent sublimes et parfois me semblent affreux ; c'est
vraiment étonnant. La progression thématique du Varnam composé par le
Thanjavur Quartet et dédié à Brihadishwara est on ne peut plus
traditionnelle. Un jati accompagné du seul mridangam (sans
onomatopées rythmiques) développe un peu trop longuement l'intervention de
Kama. Dans le Padam composé par Ambujam Krishna, l'héroïne est
tout à son adoration de Krishna, mais le Shrinraga (Amour) est
malheureusement complètement absent de l'interprétation de la danseuse. Le
programme se poursuit avec le classique Indendu et une vive
évocation de Shiva comme dieu dansant dans un poème de Swati Tirunal :
chose rare, pour évoquer sa danse, l'interprète utilise des sauts avec
réception en cinquième position
(pieds croisés). Le récital s'est
conclu par un Tillana composé par Balamurali Krishna
magnifiquement introduit par un Alap du flûtiste.
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The Music Academy, Kasturi Srinivasan Hall, Chennai — 2016-08-03
Sivasri Skandaprasad, danse bharatanatyam
Smt. Roja Kannan, nattuvangam
Sri. K. Hariprasad, chant
Sri. Nellai D. Kannan, mridangam
Easwar Ramakrishnan, violon
Bhajamanasa Vighneshwara Manisham (Adi Tala)
Shloka “Gajanam”
Alarippu (Tishra Dhruvam, composé par Adyar K. Lakshman)
Jatiswaram (Raga Hemavati, Misra Chapu, composition du Thanjavur Quartet)
Varnam “Manavi” (Raga Shankarabharanam, Adi Tala), composé par Ponniah Pillai (Thanjavur Quartet)
Azhaga Azhaga (Raga Suddha Dhanyasi, Khanda Chapu, composé par Ambujam Krishna)
Sogasu (Misra Chapu)
Thillana (Raga Behag, Tisra-nadai Adi Tala, composé par Lalgudi G. Jayaraman)
La guru de la danseuse a eu pour maîtres Adyar K. Lakshman et Kalanidhi Narayanan. Sivasri Skandaprasad avait 10 ans quand elle a fait son arangetram en 2007. Je n'ai pour ainsi dire pas pris de notes pendant ce récital. La danseuse a un Abhinaya plus mûr que celui de la danseuse du récital de la veille. L'accompagnement musical est parmi ce qui se fait de mieux (chant, violon, mridangam). Le chanteur K. Hariprasad est dans un bon jour (magnifiques Alap avant le Varnam et le premier Padam). L'accompagnement du mridangam est merveilleux de délicatesse. Il est heureux que je me sois souvenu de la structure du Tala Dhruvam pour comprendre que Tishra Dhruvam était le nom d'un cycle en 3+2+3+3=11 temps ; sinon, j'aurais moins apprécié l'Alarippu ! Le chorégraphie du Jatiswaram m'a semblé peu musicale. Dans le Varnam (le même que Lavanya Ananth avait dansé en août 2015), l'héroïne est tout à son émerveillement (adbhuta). Un épisode est particulièrement développé : alors qu'il était en route pour les noces de sa sœur Meenakshi à Madurai, Vishnu sauve l'éléphant Gajendra de la morsure d'un crocodile. Les Tattu Muttu de la danseuse sont particulièrement intéressants et virtuoses.
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The Music Academy, Kasturi Srinivasan Hall, Chennai — 2016-08-04
Vidhun Kumar, danse bharatanatyam
Smt. V. Mythili, nattuvangam
Sri. K. Hariprasad, chant
Sri. Nellai D. Kannan, mridangam
Sri. T. Sasidhar, flûte
Shri Maha Ganapathe Surapathe (Raga Nattai, Adi Tala, composé par Mayooram Vishwanatha Shastri)
Alarippu avec Thiruppugazh (Misra)
Varnam “Konchum Sadangai” (Raga Latangi, Adi Tala, composé par Madurai R. Muralidharan)
Dhyaname Taruve (Raga Amritavarshini, Adi Tala, composé par Ambujam Krishna)
Kana Vendamo (Raga Sriranjani, Rupaka Tala, composé par Papanasam Sivan)
Thillana (Raga Valaji, Adi Tala, composé par Madurai R. Muralidharan)
Le danseur porte un dhoti jaune, et un affreux collier (je ne remercie pas ma voisine d'avoir attiré mon attention sur ce fait !). Dans sa pièce introductive, il impressionne par son regard porté au loin (peut-être un peu trop haut) et par les fentes qu'il exécute. Ce danseur ne cherche pas à imiter les danseuses ! Sa technique de pied est parfois un peu brouillone : certains pas rapides passent à la trappe. Son corps est quelque peu asymétrique : dans les positions qui devraient être symétriques, son bras gauche est souvent un peu plus bas que le bras droit. J'apprécie néanmoins beaucoup son Alarippu. Au cours de ce séjour, je me suis rendu compte qu'il y avait en réalité souvent bien plus de différences entre danseurs d'un même style (ou bani) qu'entre danseurs de styles différents. Ce danseur a été formé dans le style Thanjavur, et pourtant, j'ai eu l'impression de distinguer des détails caractéristiques du style Vazhuvoor, comme le fait de sauter avant le dernier tarikitatom d'une série.
La danse pure de ce danseur est très agréable à regarder, mais son Abhinaya ne parvient pas à me convaincre. Le danseur illustre très littéralement le sens du texte du Varnam dédié à la forme de Shiva résidant à Chidambaram. La seule émotion qu'il utilise est celle de l'émerveillement. Il évoque assez clairement certains des cinq éléments (Panchabhuta) associés à Shiva : l'air, l'eau, le feu... Rythmiquement parlant, la chorégraphie est étrange parce que l'arudi, la formule conclusive suivant les jatis qui se termine usuellement sur le cinquième ou le premier temps (dans le cas d'Adi Tala) se finisait ici sur le septième temps !? La fin du Varnam est quelque peu répétitive et je me surprends à remarquer des détails stylistiques, comme les marches en arrière à la Kalakshetra (sans épaulement, en laissant traîner le talon devant).
La composition d'Ambujam Krishna qui est jouée est Rama Stuti “Dhyaname Taruve”. Tous les sages et musiciens méditent sur Rama. La chorégraphie évoque brièvement le voyage de Hanuman à Lanka. Tout d'abord, il saute par dessus l'Océan. Fait prisonnier de Ravana, sa très longue queue s'enroule pour former un siège depuis lequel il est plus haut que Ravana. Plus loin, il met le feu à Lanka avec sa queue enflammée. Un autre épisode en rapport à Rama est évoqué, peut-être s'agit-il d'une référence au batelier Guha, considéré comme le premier dévot de Rama.
Le Padam “Kana Vendamo” est la seule pièce dans laquelle le danseur a tenté d'exprimer d'autres émotions que la dévotion et l'émerveillement. On comprend qu'il veut exprimer des choses, mais le sens global reste tout à fait mystérieux.
Le récital se conclut par un Tillana dédié à la Déesse sous le nom de Matangi.
Le spectacle était en partie gâché par l'attitude de la guru V. Mythili qui semblait se fichtre royalement de ce que faisait le danseur. Elle était complètement en mode automatique : à aucun moment elle ne le regardait, elle paraissait ne s'intéresser qu'aux onomatopées rythmiques qu'il fallait bien qu'elle récite.
2016-07-14 18:00+0530 (दिल्ली) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XV
Auditorium du Musée Guimet — 2016-05-20
Mavin Khoo, bharatanatyam
Bhavana Pradyumna, chant
Prathap Ramachandra, mridangam
Jyotsna Srikant, violon
Songs of the Blue Lord
Fin mai, Mavin Khoo, qui est aussi chorégraphe de danse contemporaine, s'est produit au Musée Guimet pour un programme de bharatanatyam. J'y suis allé par curiosité, n'appréciant guère le style de danse pure de son guru Adyar K. Lakshman (dont les chorégraphies me paraissent excessivement virtuoses). Comme il appartient à une lignée issue de l'école Kalakshetra dont je déteste joyeusement l'Abhinaya (art de l'expression), je me méfiais encore davantage.
J'avoue avoir été agréablement surpris. Mavin Khoo est assurément un grand artiste. Il a tenté beaucoup de choses au cours de son programme ; certaines audaces m'ont semblées un peu folles, certaines tentatives ont à mon avis échoué, mais il est agréable de voir un artiste essayer de se dépasser ainsi. Sa danse pure est euphorisante, son Abhinaya est très bon (un des meilleurs que j'aie eu l'occasion de voir chez des danseurs masculins), mais il ne parvient cependant pas à m'émouvoir.
J'étais également venu au Musée Guimet pour la musique. Après avoir chanté les notes Sa-Pa-Sa, la chanteuse Bhavana Pradyumna a débuté le programme en interprétant magnifiquement trois shlokas : वक्रतुण्ड (Vakratuṇḍa) en hommage à Ganesh, या देवी सर्वभुतेषु (Yā Devī Sarvabhuteṣu) dédié à la Déesse et कस्तूरीतिलकं ललाटपटले (Kastūritilakaṃ Lalāṭapaṭale) à Krishna. L'accompagnement du violon était aussi remarquable.
Le programme de danse proprement dit a commencé ensuite. Il ne suivait pas la forme habituelle. Il s'agissait en gros d'un Varnam (en Adi Tala) dans lequel étaient insérées diverses compositions dédiées à Krishna. Le cycle rythmique s'interrompait au début de chaque séquence pour permettre à la chanteuse de prononcer une traduction du texte poétique qui allait suivre. (Il s'agissait peut-être du Varnam “Vanajalakshi” en Raga Kalyani ?) Le danseur a les mains complètement peintes en rouge. Il commence par le Trikala Jati, le premier passage rythmique qui utilise les trois vitesses (et un passage en triolets), qu'il conclut avec une longue formule rythmique. Dans la première séquence, le texte évoque les yeux de lotus (de Krishna, d'après la présentation). Dès le début, je comprends que Mavin Khoo n'a pas les défauts de beaucoup de danseurs Kalakshetra qui répètent exactement les mêmes gestes à de nombreuses reprises sans même changer de placement. Ici, la première ligne du texte a été montrée trois fois, de face, vers la droite puis vers la gauche, avec des gestes différents à chaque fois. L'héroïne ne peut souffrir la séparation. Coquette, elle se prépare à le recevoir, mais elle s'endort. Dans son rêve, elle l'entend frapper, Krishna l'enlace. Quand elle se réveille, elle comprend sa déception. La séquence se termine par d'assez complexes Tattu Muttu (combinaison de frappes de pieds et d'expression par le haut du corps).
Après un passage rythmique très virtuose, le danseur évoque celui qui est le fils de Vasudeva et de Devaki. Il suscite l'émerveillement en soulevant le mont Govardhana afin de protéger les bouviers des pluies déclenchées par Indra.
La danse pure de Mavin Khoo est particulièrement euphorisante dans le passage technique suivant. La formule conclusive utilise de façon intéressante des séries de tarikitatom (mouvement ressemblant un peu au style de nage crawl...) ; ils étaient en effet interprétés en accelerando, une fois en vitesse lente, une fois en vitesse moyenne et une fois en vitesse rapide.
La première partie du Varnam se conclut avec l'émerveillement de l'héroïne et ses prières devant Krishna qui est porté en procession en palanquin, avec tambours, tampura, nagaswaram, lancers de fleurs, danseuses... Si Mavin Khoo n'a globalement pas eu de difficulté particulière à évoquer des personnages féminins au cours du récital, sa représentation des danseuses accompagnant la procession m'a semblé très sommaire, un peu prosaïque.
L'Ashtapadi Sakhi He est inséré ensuite dans le programme. J'ai été content d'y reconnaître le Raga Shuddha Sarang (et Tala Mishra Chapu) dans le chant de Bhavana Pradyumna. Mavin Khoo a choisi de rester assis pendant toute la durée de cette composition. C'est un choix très audacieux, agréable à voir parce que relativement rare, mais je pense que c'était trop audacieux de sa part. Je sais à quel point cette pièce peut être extraordinaire (cf. le récital de Vidhya Subramanian). Je sais aussi l'émotion intense que peuvent susciter certaines interprètes quand elles font de l'Abhinaya assises (je garde un souvenir émerveillé de Yashoda Thakore dans un tel “exercice”). Je dis que c'était bien tenté de la part de Mavin Khoo qui bénéficiait pourtant d'un grand soutien musical dans cet essai, mais il a malheureusement échoué à m'émouvoir.
On revient ensuite semble-t-il au Varnam, avec en tout cas un passage rythmique très compliqué en Adi Tala. La danse évoque la souffrance de l'héroïne. La lumière diffusée par la Lune la brûle comme si elle était directement touchée par les rayons du Soleil. Ses pleurs sont comme une rivière. Les flèches florales de Kamadeva la font souffrir. Mavin Khoo évoque très bien l'archer Kamadeva, qui prépare les fleurs qu'il va lancer. Cependant, l'épisode m'a semblé démesurément long et répétitif. Avec son arc, il fait des dizaines de fois le tour de la scène avec des formules rythmiques diverses (sans doute très largement improvisées : il n'y avait d'ailleurs pas de nattuvanar dans ce programme !). Au bout d'un temps qui m'a semblé interminable (et malheureusement accompagné uniquement par le violon : j'aurais globalement préféré que le chant soit un peu plus présent), comme c'est souvent le cas, Kamadeva ne tire pas de flèche avec son arc, mais il lance tout simplement la fleur sur sa victime. C'est magnifique quand c'est bien fait, mais il m'a semblé que c'était raté (entre autres parce que le danseur était à ce moment-là dans un coin mal éclairé de la scène...).
Ensuite, l'héroïne veut écrire une lettre à Krishna, mais son amie ne veut pas la lui porter.
Bhavana Pradyumna interprète ensuite une composition de son guru Chitravina Ravikiran en Misra Jhampa Tala (7+1+2=10 temps) dédié à celui qui est le maître des trois mondes dont le dévot demande la bénédiction. Cette composition est interprétée par Mavin Khoo qui reste cette fois-ci debout pendant toute son interprétation. Ce choix provoque en moi les mêmes réticences que plus haut : à mon avis, en utilisant tout son corps, l'interprète parviendrait à émouvoir bien davantage.
Deux autres compositions en Adi Tala et en Chatushra Ekam concluent le récital. Que peut-on bien Lui offrir ? Des fleurs, de l'eau, des gâteaux ? Non, ce n'est pas assez bon pour Lui ! La dernière composition représente Krishna comme bouvier, fils de Vasudeva et Devaki. Le récital s'achève par un accelerando, le danseur finissant à plat ventre.
Après avoir été beaucoup applaudi, le danseur explique qu'il a oublié une danse. Il interprète alors un passage rythmique utilisant progressivement les trois vitesses et qui est uniquement composé de Mandi Adavus (dans lesquels on fait des fentes ou pose un genou par terre). C'est impeccablement exécuté, à une vitesse frénétique. À l'image de tout le programme : c'est impressionnant, un tout petit peu show-off, mais cela ne m'émeut absolument pas.
2016-06-15 14:23+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Centre Mandapa — 2016-05-05
Deepa Chakravarthy, mohiniattam
Invocation au Dieu Vishnu
Jatiswaram (Adi Tala)
Varnam (Raga Charukeshi, Adi Tala)
Ashtapadi “ललितलवङ्ग”
Thillana (Tishra Adi Tala)
Je n'ai eu qu'une poignée d'occasions de voir de la danse mohiniattam, mais il ne fait nul doute que Deepa Chakravarthy est une très grande interprète. Son art de l'expression est absolument extraordinaire. Je ne suis pas certain qu'une seule autre danseuse indienne (tous style confondus) m'ait fait éprouver de telles émotions pendant toute la durée d'un récital.
Le jeudi 5 mai, elle a commencé son récital par une invocation au dieu Vishnu, tel qu'il est représenté au temple de Trivandrum, un temple dont l'entrée est défendue aux non-hindous. Cette invocation prenait la forme musicale du Shloka, c'est-à-dire que texte est chanté sans qu'il y ait de pulsation rythmique régulière : le texte remplace les onomatopées utilisées habituellement dans l'Alap. Au cours de ce Shloka de quelques minutes (et dans lequel la vînâ se fait entendre, un instrument que l'on entend rarement dans les autres styles de danses classiques indiennes), la danseuse m'a semblé faire preuve de qualités expressives très intenses et en tous points comparables à ce que les danseuses les plus expérimentées (de bharatanatyam) tentent d'exprimer, sans toujours y parvenir, dans le Varnam qui est la pièce la plus élaborée du répertoire. Le thème était en effet comparable à ceux des Varnam les plus traditionnels : il s'agit du parcours spirituel d'une héroïne jusqu'à la vision de la divinité dans son sanctuaire. La danseuse disciple de Gopika Varma et Neena Prasad a commencé par représenter l'arrivée de l'héroïne près du temple dont elle admire les sculptures. Quand la porte du temple s'ouvre, c'est l'émerveillement. J'attendais le moment où la divinité lui apparaîtrait. Sachant que la divinité est adorée dans le temple de Trivandrum sous le nom de Padmanabha, je me préparais bien sûr à voir une représentation de Vishnu allongé sur le serpent Shesha. J'en ai déjà vu de très nombreuses représentations dans la danse, mais celle qui a été proposée ici était nouvelle pour moi. En demi-plié, les pieds écartés, la danseuse a commencé à montrer le serpent Adi Shesha avec ses deux mains, puis le haut de son corps, du torse à la tête, s'est mis à tourner délicatement, tandis que l'expression de la danseuse se métamorphosait pour faire apparaitre Vishnu couché sur le serpent. Cette transformation est une des choses les plus extraordinaires qu'il m'ait été donné de voir. La suite de la chorégraphie exprime que Vishnu règne sur l'Univers et a pour épouse Lakshmi.
La suite du récital suit un format semblable à ce qui se fait dans le bharatanatyam (Margam). En effet, après la mort du roi Serfoji, certains des membres du Thanjavur Quartet qui ont mis au point le format du Margam ont rejoint d'autres cours royales. L'aîné Chinnayya est allé à Mysore à la cour de Krishnaraja III, Vadivelu a rejoint celle de Swati Tirunal (Travancore) où il a participé à réforme du style mohiniattam. La pièce suivante a ainsi été un Jatiswaram en Adi Tala. Les mouvements suivent une structure habituelle utilisant les trois vitesses : des séquences de mouvements sont d'abord exécutées en vitesse lente, en vitesse moyenne puis en vitesse rapide. Les mouvements ne sont jamais aussi rapides que dans le bharatanatyam, mais ce n'est en aucun cas un problème pour moi. Quelle que soit la vitesse, les mouvements de pieds sont extrêmement précis. Les pieds touchent toujours le sol à un instant précis du cycle rythmique (la danseuse n'a d'ailleurs pas peur de faire du bruit avec ses frappes) tandis que la posture générale du corps évolue de façon très continue. Il serait parfois difficile de dire précisément quand le mouvement des bras commence ou finit précisément : très lents mais très intenses, ils semblent ne jamais devoir se terminer. Bref, la technique de la danseuse est aussi sublime que son Abhinaya.
La structure formelle du Varnam est très voisine de son équivalent dans la danse bharatanatyam. On y trouve aussi une alternance entre passages narratifs ou expressifs et passages de danse pure (qui sont ici accompagnés d'un chant et non pas de la récitation de syllabes rythmiques). Le thème est tiré du Bhagavata-Purana.
Le Varnam commence par l'émerveillement d'Usha, la fille de Banasura, alors que lui apparaît en rêve Aniruddha, fils de Pradyumna et donc petit-fils de Krishna. Après le premier passage rythmique, l'interprète évoque la beauté d'Aniruddha, qui a l'éclat de la Lune, une démarche noble et qui est orné de bijoux et d'une ceinture. L'Abhinaya de la danseuse est très fin. Pour représenter l'émerveillement de l'héroïne, la danseuse exécute avec une sublime lenteur certains mouvements minuscules : les mouvements des yeux qui montent légèrement, tout comme le buste, alors que les talons montent d'un ou deux centimètres. L'interprétation est tellement intense que l'impression produite par ces petits mouvements est gigantesque.
Usha's Dream (Raja Ravi Varma)
Après un passage rythmique, la séquence suivante met magnifiquement en scène en flash-back l'apparition d'Aniruddha dans le rêve d'Usha. Il apparaît entouré de fleurs de lotus et s'approche d'elle. Elle est allongée. Il l'ensorcelle alors qu'elle dort. Elle se réveille enivrée avec le parfum du lotus qu'il a laissé en l'embrassant. L'interprétation de cette scène a été sans doute le point culminant du récital. S'ensuit un passage technique dont le chant est composé de notes solfiées.
Pour retrouver les sensations de son rêve, Usha demande à son amie Chitralekha de faire un portrait du jeune homme qui lui est apparu. Chitralekha commence par dessiner Vasudeva (le père de Krishna), mais Usha n'en veut pas (la danseuse utilisant intelligemment des pirouettes pour passer d'un personnage à l'autre). Alors, Chitralekha revient à son ouvrage et dessine cette fois-ci Krishna. La plume de paon qu'elle dessine nous fait comprendre qu'il s'agit de Krishna, mais le texte chanté faisait aussi ressortir assez clairement les noms des héros représentés par Chitralekha. Usha ne veut pas non plus de Krishna. Chitralekha efface la plume de paon moquée par Usha et dessine Aniruddha, ce qui rend enfin Usha heureuse.
Le Varnam bascule ensuite dans sa deuxième grande partie (plus courte que la première) dont les parties dansées sont plus vives et accompagnées de notes solfiées. Comme en bharatanatyam, ces séquences sont ponctuées rythmiquement par une formule Ardi. Plus loin, une phrase reprise en Tattu Muttu (mouvements rythmiques des pieds) exprime le désir d'union de l'héroïne avec Aniruddha, celui dont le visage a l'éclat de la Lune. À la fin, plus personne, pas même Chitralekha, ne la retient d'aller le rejoindre.
La danseuse a ensuite interprété un Ashtapadi extrait du Gîta-Govinda de Jayadeva. Il s'agissait du troisième qui est intitulé Lalita Lavanga. L'interprétation de la danseuse m'a semblé être une traduction plus claire du texte sanskrit que ne l'est la traduction française (confuse) de Gaston Courtillier. Voici la première ligne du texte dans la bien meilleure traduction de Jean Varenne :
Souffle le vent du Malaya,
caressant tendrement les feuilles
et les fleurs de girofle ;
et l'on entend, dans les taillis,
la note basse des abeilles
et l'appel du coucou.
(Traduction de Jean Varenne, éditions du Rocher/Unesco)
Cette phrase a été reprise plusieurs fois par la danseuse en Tattu Muttu. L'interprétation était telle que j'avais l'impression de comprendre le texte sanskrit de façon aussi claire que dans la traduction ci-dessus. La pièce exhale la beauté de la nature propice aux émois amoureux. Il y est question de couples d'oiseaux, de biches, de paons, du parfum des fleurs, de jeux d'eau, des flèches florales que lance Kamadeva. Submergée par ses sentiments, l'héroïne supplie le dieu de l'Amour de ne pas la frapper davantage. La danse pure était intelligemment associée à cette pièce expressive.
Ce superbe récital se conclut par un Tillana très bien architecturé dans le cycle rythmique Tishra Adi Tala utilisant des subdivisions ternaires. La plupart des Thillanas utilisant des subdivisions binaires, cette composition permettait de mettre en valeur des variations rythmiques différentes. Le texte final de la composition est un hommage au dieu Muruga, fils de Shiva.
⁂
Centre Mandapa — 2016-05-06
Deepa Chakravarthy, mohiniattam
Invocation au Dieu Shiva (Adi Tala)
Solkattu (Adi Tala, composition de M. S. Sukhi)
Varnam (Raga Charukeshi, Adi Tala)
Padam (composition de Swati Tirunal)
Thillana (Raga Revati, Adi Tala)
Le lendemain, la danseuse a proposé un programme dont toutes les pièces, à l'exception du Varnam, étaient différentes. Elle a commencé par une invocation à Shiva, de nature plus technique que celle de Vishnu proposée la veille. La composition utilise un texte d'Adi Shankara (Shiva Panchakshara Stotram ?). De son troisième œil, il a réduit en cendres Kamadeva. C'est un yogi. Les serpents et le feu sont ses ornements. La chorégraphie représente aussi la rivière Ganga, le buffle Nandi et le lingam. Des fleurs semblent tomber du ciel. Le texte fait aussi référence aux sages Vasishta et Gautama. La composition rythmique a comporté une section de Swaram (utilisant des notes solfiées).
La pièce suivante a été une pièce de danse pure Solkattu dont la musique est constituée d'onomatopées rythmiques. Un étrange écho était présent dans l'Alap introductif (au lieu qu'un violon réponde à la voix comme cela se fait habituellement en musique carnatique, la voix se répondait à elle-même...).
Après le Varnam tout aussi magnifiquement interprété que la veille, la danseuse a poursuivi son récital avec un Padam sur un thème peu original. L'héroïne y est séparée de Padmanabha. Elle en souffre ; la nourriture ne lui inspire que le dégoût. Elle se prépare pour le recevoir, mais elle doute qu'il reviendra.
La danseuse a conclu son deuxième récital par un Tillana en Adi Tala qui présentait une certaine complexité rythmique et qui rendait hommage à la Déesse Sarasvati.
Ce deuxième récital m'a semblé à peu près aussi remarquable que le premier ; j'ai particulièrement aimé revoir le Varnam. J'ai toutefois préféré le premier programme qui mettait à mon avis mieux en valeur les qualités de la danseuse dans l'art de l'expression.
2016-05-27 11:15+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Centre Mandapa — 2016-05-03
K. P. Yeshoda, bharatanatyam
Nataranjali (chorégraphie de VP Dhananjayan)
Shri Cakraraja (Ragamalika)
Varnam “Svami ni manam irangi” (Adi Tala, Ranjani Raga, composition de Papanasam Siva, chorégraphie de Rukmini Devi Arundale)
Jagan Mohanane Krishna (Ragamalika, Adi Tala, composition de Purandaradasa, chorégraphie de Krishnaveni Lakshmanan)
Padam (Raga Ahari, Mishra Chapu)
Javali “Yera Rara...” (Adi Tala)
Thillana (Adi Tala)
La danseuse K. P. Yeshoda est pour ainsi dire inconnue du Grand Oracle Omniscient. Avant la date de son récital, je n'avais trouvé que cette vidéo qui ne m'incitait pas particulièrement à fuir. N'escomptant pas de très grandes émotions de la part de danseurs formés dans le style Kalakshetra (une école située près de Chennai), à part la curiosité, je n'avais aucune raison particulière de venir, mais si même moi, je ne venais pas, qui donc viendrait au Centre Mandapa ? Effectivement, très peu de spectateurs sont venus assister au récital de bharatanatyam de K. P. Yeshoda au Centre Mandapa. Sa tante Katherine Kunhiraman, veuve du danseur de kathakali K. P. Kunhiraman, était présente.
J'ai écrit ici beaucoup de mal (et pensé encore plus) à propos de Kalakshetra, de l'institution, de son discours, et dans une certaine mesure du style de cette école (dans la danse pure et surtout dans l'Abhinaya). Pour ce qui est des aspects purement artistiques, mon opinion négative résulte de mon expérience de spectateur avec un certain nombre d'interprètes de ce style. Mon opinion serait sans doute un peu différente si je n'avais vu que des interprètes ayant les qualités de K. P. Yeshoda. Elle fait preuve d'une très belle technique Kalakshetra. Tout est propre dans ses mouvements. Rien ne semble exagéré. Cela reste néanmoins de la technique Kalakshetra. Ainsi, je continue à être perturbé par la façon peu naturelle dont les yeux se dirigent vers la main tendue sur le côté sans vraiment la regarder (mettez-vous debout, tendez vos bras sur les côtés à la hauteur des épaules, essayez de regarder votre main droite en gardant la tête parfaitement droite, fermez l'œil droit : en principe vous ne voyez plus la main droite, n'est-ce pas ?). Ce récital ne m'a pas fait devenir un admirateur du style Kalakshetra, mais au moins, au cours de ce récital, quand il m'a semblé observer des choses étranges ou perturbantes dans la danse pure, je n'ai eu aucun doute : il s'agissait de caractéristiques du style Kalakshetra et non d'erreurs techniques de la part de la danseuse. Tout au plus, la danseuse restait parfois en demi-plié là où la chorégraphie demandait vraisemblablement de descendre en grand plié. Toutefois, en matière d'Abhinaya, si l'interprétation est plus qu'honnête et très sincère, on reste toujours dans le carcan émotionnel du style Kalakshetra : il n'y a rien qui puisse véritablement m'émouvoir et dans toutes les pièces, de nombreuses phrases seront répétées à l'identique par la danseuse.
Après un Shloka et une composition musicale dédiés à Ganesh, la danseuse a commencé son récital par une offrande dansée intitulée Nataranjali. La chorégraphie évoque Shiva. Elle met particulièrement en valeur la Lune et la rivière Ganga s'écoulant de ses cheveux. Il s'agit cependant principalement d'une pièce de danse pure dans laquelle la danseuse utilise de très beaux phrasés dans ses mouvements lents, une capacité rarement observée dans le style Kalakshetra. Dans ses Tattu Muttu (frappes de pieds accompagnant le texte chanté), elle utilise la technique de son école selon laquelle le genou droit est devant (pied parallèle) tandis que le genou gauche est sur le côté (en dehors).
La danseuse a chorégraphié elle-même la pièce suivante Shri Cakraraja qui rend hommage à la Déesse, qui porte le disque, et qui est aussi la Déesse de la connaissance et des arts. La chorégraphie évoque ainsi les quatre Vedas, la musique et la danse, en représentant la Déesse comme épouse de Nataraja. L'hommage à la Déesse est suggéré par le rituel de l'offrande de feu associée au jeu des tambours et des hautbois. Sur son nom de Kameshwari, la chorégraphie évoque le dieu de l'Amour Kamadeva. Après une expression du dégoût (je n'ai pas saisi le contexte), la pièce se termine dans l'apaisement.
La pièce principale du récital est un Varnam chorégraphié par
Rukmini Devi. Le premier jati intervient sans aucune introduction.
La chorégraphie (qui se répète encore à l'identique) évoque ensuite Muruga
en utilisant les mudras caractéristiques de ce fils de Shiva (Shikhara et
Trishula). Les sections expressives suivantes montreront l'héroïne
souffrant de la séparation de celui dont la monture est le paon. À la toute
fin, l'héroïne dit simplement à Muruga : Viens !
.
La pièce suivante Jagan Mohanane Krishna était déjà au programmme de Hiruthiga Vigithan en octobre dernier. La chorégraphie évoque les avatars de Vishnu. Deux épisodes sont particulièrement développés. Le premier montre Vamana, le Nain (cinquième avatar de Vishnu), qui parvient à vaincre Bali par la ruse. Il est en effet venu demander au roi démonique un terrain qu'il pourrait délimiter en trois pas, ce que Bali accepte, puisque Vamana est un nain... Ce nombre de pas était suffisant à Vishnu pour parcourir les trois mondes et enfoncer Bali dans le monde souterrain en lui marchant sur la tête lors du troisième pas. La chorégraphie ne représente me semble-t-il que les deux premiers pas de Vishnu. Ce qui est très dommageable à la présentation est que la séquence dans laquelle la danseuse représente ces deux pas est répétée à l'identique... L'autre épisode est celui du barattage de la mer de lait dont je me souviens particulièrement du rôle du serpent Vasuki.
La danseuse interprète ensuite un Padam en langue malayalam de Maharaja Swati Tirunal, chorégraphié par la danseuse. L'héroïne attend son bien aimé. Elle se remémore un passé heureux. Touchée par les flèches de Kamadeva, elle brûle d'amour pour Padmanabha (Vishnu) : la lumière la fait souffrir. Elle se prépare pour lui : elle prend un bain, choisit les meilleurs vêtements, etc, pour finalement aller au temple.
Le programme se poursuit avec le même Javali qu'avait dansé Hiruthiga Vigithan. La pièce me semble encore une fois très répétitive, et l'atmosphère caractéristique de ce type de danse est malheureusement absente. Le contenu érotique des Javali et le contexte de leur composition (qui fait l'objet d'un beau chapitre dans le livre Unfinished gestures de Davesh Soneji) va tellement contre les principes moraux promus par l'idéologie Kalakshetra que je ne parviens pas à comprendre pourquoi les Javali figurent au répertoire transmis par cette institution...
Le récital s'est conclu par un Tillana utilisant de façon très progressive les trois vitesses d'exécution des mouvements. La partie linguistique de la composition est un hommage à Rukmini Devi, fondatrice de Kalakshetra. La partie expressive correspondante était assez peu lisible : je n'ai compris qu'il était question d'elle que parce que son nom était prononcé à la fin du poème.
Ce billet s'est transformé en cours de rédaction en une critique du style Kalakshetra. Je voudrais cependant réaffirmer la sincérité et la qualité du travail de K. P. Yeshoda. Bien davantage que d'autres élèves de Kalakshetra que j'ai vues, c'est une excellente ambassadrice du style de cette école. Son récital met ainsi en lumière de façon éclatante les caractéristiques de ce style, qu'elles soient positives ou négatives à mes yeux...
2016-05-22 19:20+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Au cours de la semaine du 18 au 24 avril s'est tenue la deuxième édition du festival de danses classiques indiennes “Mouvements émouvants” organisé par la danseuse odissi Mahina Khanum. L'événement a pris des proportions plus importantes que lors de la première édition. On a retrouvé les stages d'initiation aux différentes danses classiques indiennes. J'ai participé à ceux de mohiniattam, sattriya et odissi. La durée de chaque stage a été rallongée à 1h30, ce qui permet d'entrer un peu plus en détail dans les particularités de chaque style. J'ai aussi participé au stage d'initiation à la musique carnatique avec la magnifique chanteuse Bhavana Pradyumna que j'avais déjà eu le plaisir d'entendre lors du récital de Renjith & Vijna au Musée Guimet (et entretemps, j'ai eu le privilège d'être accompagné par son chant pour danser une pièce de bharatanatyam lors d'un récital d'élèves de ma professeur Jyotika Rao).
Au programme, il y eut aussi une visite commentée du Musée Guimet et une
projection du film L'œil au-dessus du puits de Johan Van Der
Keuken, auxquelles je n'ai pu assister. La plus grande nouveauté de cette
édition a été la journée d'études à l'auditorium de l'Inalco le 18 avril.
Il s'agissait de retracer l'histoire de la pratique des danses indiennes en
France. Il a été fait mention à plusieurs reprises des servantes des dieux
ou devadasis — une troupe de bayadères
fit une tournée en
Europe dans les années 1830, provoquant parfois la déception des
spectateurs européens qui préféraient voir les imitations orientalisantes
de quelque danseuse classique comme Fanny Elssler ou Marie Taglioni plutôt
que les authentiques danseuses indiennes — mais ce n'était pas le sujet de
cette journée qui mettait résolûment l'accent sur les pratiques des danses
indiennes par des Françaises (ou plus généralement des Européennes), la
pionnière étant Simkie (Simone Barbier). Avant Simkie, mais bien après les
nombreux ballets romantiques sur les thèmes indiens (le plus célèbre étant
La Bayadère de Marius Petipa), d'autres danseuses avaient tenté de
construire leur propre style de danse à partir de diverses sources, comme
des sculptures. Certaines d'entre elles n'ont apparemment pas été sans
influence sur le développement de la danse moderne en Europe dans la
première moitié du XXe siècle. Plusieurs figures furent évoquées
par Tiziana Leucci, Irene López Arnáiz et Ananda Ceballos : Nyota Inyoka,
Djemil Anik, Mata-Hari, Tórtola Valencia, etc.
Simkie a été la première Française à aller en Inde apprendre la danse indienne et à danser avec Uday Shankar (voir le film Simkie Paris-Delhi qui a été projeté à la fin de la journée), mais elle accepta de prendre Amala Devi comme élève et celle-ci enseigna par la suite le bharatanatyam à Paris pendant longtemps.
Les moments les plus intéressants et émouvants de la journée ont été à mon avis ceux pendant lesquels se sont exprimées plusieurs générations d'artistes non universitaires ayant fait de longs séjours en Inde pour y apprendre la danse classique auprès de maîtres de danse. Si le style kathakali a été évoqué par Milena Salvini qui était représentée par sa fille Isabelle Anna, il a surtout été question du bharatanatyam. Lors d'une session de la conférence, Malavika, Maïtreyi et Kalpana ont évoqué leurs parcours. Il était particulièrement émouvant d'entendre la doyenne Malavika raconter le sien, notamment auprès de son premier maître Kanchipuram Elappa Mudaliyar, et ses premières rencontres avec Padma Subrahmanyam. Beaucoup de membres de l'assistance, moi y compris, ont découvert Maïtreyi, délicieusement pince-sans-rire.
Kalpana et Maïtreyi, ainsi que Tiziana Leucci, ont eu pour guru
Muthuswamy Pillai. La génération suivante a été représentée par Ofra
Hoffman qui est disciple de son fils Selvam. Dans les interventions de
Tiziana Leucci, Maïtreyi et Ofra Hoffman, il fut particulièrement question
de la douloureuse transformation sociologique de la pratique et de la
transmission du bharatanatyam au cours du XXe siècle, bref de
l'appropriation culturelle de cette danse autrefois réservée aux devadasis
par les respectables
Indiens de bonne famille et du rôle particulier
qu'a joué l'institution Kalakshetra de Chennai dans ce processus et
dans la falsification de l'histoire qui y est associée ; on pourra par
exemple visionner le
film de propagande Kalakshetra: where dance is worship. Pour
plus de détails, lire notamment les livres Bharatanatyam: a reader
et surtout Unfinished gestures de Davesh Soneji (dont le registre
de langue très soutenu en anglais est charmant).
⁂
Tarikavalli (bharatanatyam),
Isabelle Anna (kathak), Mahina Khanum
(odissi), Karunakaran (kathakali), Meena Kanakabati (sattriya), Lila
(mohiniattam)
Salle Adyar — 2016-04-22
Meena Kanakabati, sattriya
Karunakaran, kathakali
Isabelle Anna, kathak
Tarikavalli, bharatanatyam
Mahina Khanum, odissi
Lila, mohiniattam
Le spectacle du festival “Mouvements émouvants” s'est tenu dans la belle salle Adyar que je découvrais. La première danseuse à monter sur scène a été Tarikavalli, qui a peut-être été choisie cette année parce qu'en tant que disciple d'Amala Devi, elle-même élève de Simkie, elle faisait le lien avec cette pionnère de la pratique des danses indiennes en France. Lors de la première édition du festival, la performance de Kalpana en bharatanatyam avait été irréprochable et l'art de l'expression y avait été très fin et habité : sa conception du personnage féminin y était cependant trop différente de la mienne pour que j'y souscrivisse entièrement. Cette année, la prestation de Tarikavalli m'a malheureusement semblé un cran en dessous, et pas au même niveau d'excellence que ce qu'ont proposé les autres interprètes. Elle a commencé par danser un Alarippu. Quand cela a été annoncé, j'ai espéré un instant qu'il s'agisse de celui à 9+4=13 temps (Sankirna-jâtî Triputa Tala) chorégraphié par son dernier maître US Krishna Rao (une chorégraphie que le montage de cette vidéo ne permet pas vraiment d'apprécier). En fait, il s'est agi du classiquissime Alarippu à trois temps que tous les apprentis danseurs de bharatanatyam rencontrent à un moment ou à un autre. Il y avait des choses intéressantes dans cette version, notamment l'utilisation de l'espace, les proportions des mouvements par rapport au sol étant plus grandes qu'il n'est donné à voir habituellement. Le travail sur les mouvements d'épaules et du regard étaient également très précis, quoique le port de tête paraisse souvent un peu crispé à cause de mouvements du cou un peu trop vers l'arrière. En revanche, j'ai été gêné par le fait que la danse ne collait pas toujours très bien à la musique : il m'a semblé que la danseuse était souvent en avance sur le rythme. Par ailleurs, mais c'est beaucoup plus subjectif, il est des styles à l'intérieur du bharatanatyam que j'apprécie davantage que d'autres. Dans l'Alarippu particulièrement, je n'aime pas la façon de faire des danseurs formés au style Kalakshetra : certains de leurs mouvements me semblent exagérés. Le style Pandanallur que pratique Tarikavalli est celui à partir duquel le style Kalakshetra s'est développé. Dans la danse de Tarikavalli, certains mouvements que je trouve déjà exagérés dans le style Kalakshetra sont amplifiés encore davantage. Ainsi, à plusieurs reprises, la danseuse se penche énormément vers l'avant, ce qui fait que dans la troisième grande partie de l'Alarippu, elle se retrouve littéralement à balayer le sol avec sa main. Plus l'amplitude des mouvements est grande, plus la difficulté de la danse augmente, mais dans le cas présent, cela n'ajoute aucun agrément supplémentaire à mes yeux, bien au contraire.
La deuxième pièce interprétée par Tarikavalli alternait séquences de
danse pure et passages évoquant les divinités (que ces passages soient
accompagnés d'un Shloka ou d'un texte chanté ou prononcé en
rythme). La présentation enregistrée de cette pièce était malheureusement
inaudible, et donc incompréhensible. Le Shloka évoquait
semble-t-il les arts et la connaissance, en représentant l'écriture, la
musique (avec la vînâ), la sculpture et la danse. Sur le mot Keshava
(le Chevelu), la danseuse représentait la flûte de Krishna. Les parties
expressives étaient plutôt convaincantes, mais ce type de pièce et cette
interprétation en reste malheureusement au niveau de l'évocation des dieux.
La danse pure ne m'a pas convaincu, la danseuse y semblant en difficulté.
Le rythme marqué par les pieds ne m'a pas paru très net pendant les
séquences de Tattu Muttu qui récapitulent le texte chanté en
combinant des mouvements signifiants du haut du corps et des frappes de
pieds.
⁂
Les deux pièces dansées par Mahina Khanum ont été à mon goût le point culminant du spectacle. La première pièce de danse odissi qu'elle a interprétée a été le quatrième Ashtapadi Candanacarcita (चन्दनचर्चित) extrait du Gîta-Govinda de Jayadeva. Le thème est plus léger que celui de Yahi Madhava qu'elle avait magnifiquement bien interprété l'année dernière. Les gopis, amoureuses de Krishna, se souviennent des bons moments passés avec lui. Elles décrivent amoureusement le bouvier joueur de flûte dont le corps est enduit de pâte de santal et agrémenté de bracelets, d'une ceinture, etc. L'atmosphère joyeuse est rehaussée par de nombreux mouvements de danse s'appuyant sur le rythme et utilisant des frappes de pieds. Les postures de la danseuse mettent en valeur ses qualités techniques ; par exemple, sa façon de poser le pied en demi-pointe (et pas à moitié, si j'ose dire) est remarquable. L'interprétation est subtile et raffinée ; il n'y avait ainsi aucune vulgarité dans la description d'une gopi à la généreuse poitrine.
La deuxième pièce qu'elle a interprétée est un Shankara Pallavi, une pièce de danse pure dont la musique est dans le Raga Shankara. Cette composition est très développée et me semble utiliser une très large palette d'enchaînements techniques alliant une précision dans les mouvements de pieds à l'élégance du haut du corps. Dans certaines positions utilisant la posture courbe Tribhang, je retiens notamment l'alternance entre l'en-dehors et l'en-dedans dans l'ouverture de la jambe. Certains mouvements étaient aussi exécutés dans la position plus carrée Chowk, qui était parfois utilisée pour des pirouettes. D'un point de vue rythmique, la composition a comporté des passages utilisant des subdivisions du temps en trois plutôt que deux ou quatre. Une superbe pièce de danse pure !
Bravo à Mahina Khanum pour avoir fait preuve d'autant de qualités, autant dans ses interprétations impeccables de ces deux pièces de danses que dans l'organisation de tout ce festival !
⁂
J'apprécie beaucoup le travail d'Isabelle Anna que j'avais déjà eu
l'occasion de voir danser au Musée Guimet il y a quatre
ans. La première composition (semble-t-il en Tintal), un poème d'amour
dans lequel on pouvait effectivement entendre le mot Mohabat :
Un mot d'amour est peu de choses si tu le gardes secret.
. Elle
alterne séquences expressives et passages de danse pure. La première
séquence expressive représente des jeux amoureux secrets. Dans la deuxième,
l'héroïne est frappée par des flèches d'amour. Dans la troisième, elle
prononce ces mots d'amour. Cette pièce met aussi beaucoup en valeur les
aspects techniques de la danse kathak, notamment des frappes de pieds
extrêmement rapides.
Sa deuxième pièce, dans le style moghol, est présentée comme un triple
hommage au sultan qui pourrait être dansé par trois interprètes différentes,
mais qui est ici évidemment représenté par une interprète unique, assimilée à
la favorite du sultan qui comparerait notamment la beauté du sultan à celle de
la Nature. Les passages de danse expressive sont malheureusement trop brefs
pour pouvoir être véritablement appréciés. J'avoue même n'avoir pas
complètement compris le chapitrage de la pièce, l'aspect triple
de
l'hommage au sultan n'étant pas tout à fait évident. J'ai bien distingué
parfois le Salam adressé par la favorite au sultan, mais ce n'est pas
l'Abhinaya que je retiendrai de cette performance, la pièce utilisant
la danse pure dans de bien plus grandes proportions.
Si je reste un peu sur ma faim du point de vue du côté expressif de la danse, dont Isabelle Anna est une des très rares interprètes de kathak ayant réussi à m'émouvoir par ce moyen, je retiendrai surtout la qualité de sa performance dans la technique du kathak.
⁂
Lors de la première édition du festival, ma plus grande découverte avait été celle du style sattriya pendant la performance de Soazic Lelan. L'été dernier, à Delhi, au IGNCA, j'ai pu assister à une projection du film d'Emmanuelle Petit Dans les brumes de Majuli commentée par Sunil Kothari et suivi d'une démonstration par Bhabananda Barbayan et sa disciple Gargi Goswami (dont on peut voir des extraits dans cette vidéo). Ce style est pour moi d'une beauté quasiment insoutenable. J'étais donc très heureux que ce style soit à nouveau représenté par Meena Kanakabati, qui est une disciple de Bhabananda Barbayan.
J'ai été très ému par la première pièce qu'elle a dansée, puisque je retrouvais l'émerveillement que me procure ce style de danse, malgré les légères difficultés qu'éprouvait la danseuse pour rester en rythme. En effet, Meena Kanakabati est sourde. Elle ne perçoit que certaines vibrations. Cette première chorégraphie évoquait les mouvements du paon. Le caractère délicat et aérien de cette pièce fait qu'elle y avait de moins bons repères rythmiques. Je me suis donc davantage concentré sur les mouvements élégants du haut du corps. Il m'a semblé que dans cette chorégraphie, le regard précédait les mouvements de mains qui alternaient entre les mudras Hamsasya et Alapadma. La façon dont la main s'ouvre progressivement, doigt après doigt, est très délectable !
La deuxième pièce Sri Krishna Namah est semble-t-il la même que
celle qu'avait déjà présentée Soazic Lelan l'an dernier. Le rythme y étant
plus marqué, Meena Kanakabati y est plus à l'aise. Pour cette pièce, elle
est passé d'un costume masculin
au costume féminin qu'elle porte sur
la photographie ci-dessus. Comme la première, cette pièce comporte beaucoup
de mouvements stylisés extrêmement élégants (dont une séquence assez longue
a étonnamment été interprétée dos au public), mais c'est surtout un éloge
du dieu Krishna, celui qui a des yeux de lotus (cf. photo ci-dessus), qui
est le fils de Vasudeva et qui a tué Kaṃsa.
S'il n'y avait eu les petits décalages dans la première pièce, à aucun moment je n'aurais pu soupçonner que l'interprète était sourde. J'espère avoir d'autres occasions de revoir cette interprète dans un programme complet. Elle organise un festival dans la région de Montpellier du 1er au 19 juin 2016, suivre ce lien pour plus de détails. Au cours de ce festival, elle créera le spectacle Citrāṅgadā, inspiré d'une pièce de Tagore (qui tirait lui-même son sujet du premier livre du Mahābhārata).
(Une interview de Meena Kanakabati sera mise en ligne prochainement sur le site Dansomanie.)
⁂
Mon expérience de spectateur est assez limitée en matière de kathakali. J'en ai vu à Kochi en 2006, puis l'an dernier à Chennai lors lors du festival Svanubhava à Kalakshetra. Les acteurs de kathakali suscitent évidemment mon admiration, mais il ne s'agit pas du style de danse classique indienne que j'apprécie le plus. Ayant lu un certain nombre de textes mythologiques de l'Inde, j'arrive souvent à apprécier la narration d'un épisode tiré des épopées ou des Puranas, y compris quand c'est la première fois que je le vois représenté sur scène et que cela n'a pas été annoncé lors de la présentation du spectacle (il m'arrive aussi parfois d'être complètement perdu !). Dans les styles très dansés comme le bharatanatyam, un épisode est parfois évoqué par un unique mot dans le texte chanté. Les interprètes se contentent souvent d'y faire référence en faisant un unique geste. J'apprécie davantage quand ces épisodes sont développés (voir par exemple les billets suivants à propos de bharatanatyam : Srithika Kasturi Rangan, Gayatri Sriram, Valérie Kanti Fernando, etc.). Le niveau de détail que l'on peut observer dans les représentations de kathakali est beaucoup plus poussé, ce qui peut poser d'autres difficultés. Quelques réticences me retiennent donc d'apprécier cet forme d'art autant que d'autres. Une difficulté est que la rareté de cet art est un frein à l'apprentissage approfondi des codes permettant de l'apprécier véritablement. En bref, je ne me sens pas prêt à faire le même effort que je ne l'ai fait avec le style bharatanatyam : la tâche me semble beaucoup plus ardue avec le kathakali. L'effort intellectuel que cela me demanderait serait sans doute disproportionné par rapport aux émotions que je pourrais en tirer ensuite lors de représentations de kathakali. En effet, s'il est vrai, qu'en apparence, l'acteur de kathakali est recouvert de la tête aux pieds de divers ornements (costume, maquillage, bijoux...) et s'il fait preuve de qualités exceptionnelles dans l'utilisation des moindres parties du visage dans l'art de l'expression, il n'est pas là pour faire beau ou pour séduire : il n'y a semble-t-il aucune volonté particulière de styliser ou esthétiser les mouvements pour les rendre plus agréables aux yeux des spectateurs (de ce point de vue-là, on est à l'extrême inverse du mohiniattam qui est aussi originaire du Kerala !). L'acteur de kathakali joue et exprime des émotions, mais il raconte aussi beaucoup (à un niveau de détails dans lequel on peut parfois s'égarer). Le risque est grand de se retrouver perdu dans un tunnel de perplexité, comme d'autres formes d'art peuvent en produire. Ainsi, les récits dans les opéras de Wagner pourraient paraître ennuyeux, mais ils sont sublimés par la musique (quand elle est bien jouée !). De grands efforts m'ont été nécessaires pour apprécier la musique de Wagner, le bharatanatyam ou la musique dhrupad, mais ces efforts ont été pour moi un moyen de déclencher un très grand plaisir de spectateur ; je ne vois pas comment à court ou moyen terme, je pourrais arriver à des résultats comparables avec le kathakali...
L'épisode représenté par Karunakaran est un des exploits du tout jeune Krishna qui fait face aux diverses épreuves qu'il doit accomplir avant de tuer le démon Kaṃsa : celui de la Délivrance de Pūtanā, qui est raconté notamment dans le dixième livre du Bhāgavata Purāṇa (dont je ne dispose que d'une mauvaise traduction anglaise). Il est raconté aussi dans le Harivaṃśa (où la démonique Pūtanā ne se transforme pas en une belle jeune femme, mais a l'apparence d'un oiseau, tandis que le tout jeune Krishna dort, abrité par un chariot) :
20. Et voici que la nourrice du Bhoja Kaṃsa, bien connue sous le nom de Pūtanā, se montra au parc à l'heure de minuit sous la forme d'un gros oiseau.
21. Elle se percha sur l'essieu du chariot en poussant sans arrêt de profonds rugissements de tigre, et en laissant couler un lait trop abondant.
22. Alors que tout le monde était endormi au parc, en pleine nuit, elle présenta à Kṛṣṇa son sein : Kṛṣṇa y téta, aspira en même temps ses souffles vitaux et se mit à crier. La démone ailée s'était effondrée sur le sol amputée d'un sein.
(Chapitre 50 de L'enfance de Krishna, André Couture, Presses de l'Université Laval, traduction du chapitre 5 du Viṣṇu Parva du Harivaṃśapurāṇam)
La performance obéit à certains codes du kathakali. Ainsi, le personnage de Pūtanā est initialement caché derrière un rideau avant d'apparaître.
L'ogresse Pūtanā s'est métamorphosée en une attrayante femme. Elle éprouve un émerveillement quand elle arrive au village où se trouve Krishna, qui n'est alors qu'un bébé. L'endroit est tellement magnifique que même le serpent Śeṣa serait incapable de le décrire. Elle admire aussi l'étincelant palais de sept étages qui s'y trouve (ce qui a de quoi étonner dans ce contexte pastoral). Les différents détails de la gestuelle et de la danse correspondant à cette situation étaient individuellement très clairs, mais sans la présentation qui avait été faite de la scène, j'aurais été incapable de donner un sens à ce que je voyais.
Après cette description, l'acteur incarne résolûment le personnage de Pūtanā et exprime son dilemme. Elle hésite entre l'amour maternel sincère qu'elle éprouve en voyant Krishna et la tentative de meurtre qu'elle s'apprête à commettre. Va-t'elle l'allaiter pour le nourrir ou pour l'empoisonner ? Du point de vue des conventions théâtrales, j'ai eu du mal à décider avec certitude si le personnage accomplissait véritablement les actions qui étaient montrées ou s'il s'agissait d'une projection imaginaire dans un futur qui serait conditionné à l'un ou l'autre des choix que ferait finalement Pūtanā. En effet, la scène dans laquelle elle tente d'empoisonner Krishna est rejouée, et cela ne se passe pas exactement comme prévu. Elle entre, referme la porte, prend ostensiblement le poison dans un pan de son sari et allaite Krishna. Elle se met à transpirer, se sent mal, ses membres sont engourdis. Elle ne peut plus lâcher Krishna. Pūtanā reprend son apparence démonique et est libérée alors que Vishnu lui apparaît.
Cette performance m'a semblée très intéressante, et ce d'autant plus que le fait que les styles kathakali et mohiniattam originaires du Kerala soient présentés au cours d'un même spectacle permettait d'en apprécier les points communs et les différences. Je ne me suis ennuyé à aucun moment et j'ai eu le sentiment que le public autour de moi était scotché par le jeu de Karunakaran.
⁂
Après l'entr'acte, est venu le tour de Lila d'interpréter une pièce dans le mohiniattam. La danseuse a remplacé Brigitte Chataignier qui s'était blessée. La pièce qu'elle a dansée est à la gloire de Shiva. Elle suggère l'émerveillement devant la danse de Shiva, qui tient le tambour Damaru (ou Dundubhi) dans la main. La chorégraphie m'a semblée quelque peu répétitive, le très lent mouvement de rotation du haut du corps associé au mouvement de la main tenant le tambour revenant un peu trop souvent à mon goût. Le regard de la danseuse me semblait manquer parfois d'une intensité qui lui aurait permis de maintenir davantage l'attention des spectateurs. L'interprète faisait parfois du lip sync avec le texte de la composition musicale, ce qui ne fait à ma connaissance pas partie du style. La prestation est toutefois d'assez bonne qualité, et c'est un vrai plaisir de pouvoir apprécier le caractère gracieux de ce style si rarement dansé à Paris. Parmi les thèmes en rapport avec Shiva qui sont évoqués dans la chorégraphie se trouvent notamment la rivière Ganga, les instruments de musique comme la vina, la flûte de Vishnu ou encore l'ektara du sage Narada (?), à moins qu'il ne s'agisse du tampura. Elle représente aussi les claps du cycle rythmique ou encore l'écriture (de façon générale à moins qu'il ne s'agisse de rendre hommage au compositeur de la pièce). La pièce a aussi comporté quelques passages de danse pure délicieusement lents. Parmi les particularités rythmiques, la pièce a comporté quelques séquences utilisant des subdivisions en trois (triolets) et vers la fin, je me suis étonné à reconnaître les cinq types de décomposition du temps, puisque les dernières séquences (parfois très brèves) m'ont semblé utiliser successivement et de façon très nette les nombres 4, 3, 5, 7 et 9.
2015-10-21 10:32+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Auditorium du Musée Guimet — 2015-10-10
Renjith Babu & Vijna Vasudevan, bharatanatyam
C. V. Chandrasekar, chorégraphie du Varnam
Indira Kadambi, chorégraphie de l'Ashtapadi et du Javali
Mavin Khoo, nattuvangam
Bhavana Pradyumna, chant
Prasanth Pranavanathan, mridangam
Jyotsna Srikant, violon
Anusha Cherer, voix off
Shloka
Pushpanjali (Adi Tala), composé par K. S. Balakrishna
Varnam “Saami naan undan adimai enruulagamellam ariyume” (Adi Tala, Raga Natakuranji), composé par Papanasam Shiva
Ashtapadi “Yahi Madhava” (Adi Tala, Raga Sindhu Bhairavi)
Javali (Adi Tala, Raga Kamas)
Bhajan (Adi Tala), composé par C. V. Chandrasekar
Avant leur récital au Musée Guimet, j'avais déjà vu danser Renjith et Vijna, mais séparément : Vijna lors d'un workshop avec C. V. Chandrasekar à Kalakshetra et Renjith lors d'un récital solo à Delhi au cours d'un festival consacré aux danseurs masculins.
Renjith & Vijna
Mes impressions sur ce récital en duo sont assez semblables à celles que j'avais eues en voyant Renjith en solo. Bien que les chorégraphies ne m'aient pas paru géniales, ils sont tous les deux très solides en danse pure, mais les aspects expressifs de leur danse ne m'ont absolument pas ému (comme j'en ai malheureusement l'habitude avec les danseurs ayant appris à Kalakshetra ou avec des maîtres associés à ce style). Mes plus grandes satisfactions sont venues des musiciens, et tout particulièrement de la chanteuse Bhavana Pradyumna et de la violoniste Jyotsna Srikant. Cette dernière est une formidable accompagnatrice, toujours attentive à ce que font les danseurs. La chanteuse a bien commis quelques couacs (notamment un départ raté à la fin d'un des jatis du Varnam), mais je les lui pardonne très volontiers tant elle a su créer une atmosphère musicale pendant tout le récital, notamment par ses majestueuses improvisations au début des pièces dansées.
Le récital a commencé par une invocation de Shiva ayant la forme musicale d'un Shloka. S'ensuit un Pushpanjali dans lequel la danse pure est exécutée par le couple de danseurs de façon synchronisée ou avec quelques variations. Ils enchaînent avec le Shloka “Angikam Bhuvanam Yasya” sur Shiva. La chorégraphie évoque les étoiles, le feu, la Lune, le tambour Damaru, les cheveux, l'antilope, Parvati, etc.
Le Varnam est le même que celui que j'avais vu dansé par Renjith à Delhi. La musique était alors enregistrée. Cette fois-ci, j'ai apprécié énormément l'Alap de la chanteuse. Que la pièce soit interprétée par un couple de danseurs la rend à mon avis plus intéressante. Il est par exemple possible d'observer des différences de posture dans certains passages de transition : Vijna tient ses mains au niveau des hanches à l'arrière du corps tandis que Renjith adopte une posture plus masculine, les deux mains sur les côtés en Ardhachandra. Dans les passages de danse pure, les deux exécutent des mouvements synchronisés, avec quelques variations de placement. Dans les passages expressifs, ils ont parfois tous les deux un rôle de dévôt : l'une prépare des guirlandes de fleurs tandis que l'autre trace trois lignes horizontales sur le lingam. Juste après, ils sont semble-t-il tous les deux associés dans la forme androgyne Ardhanarishwara de la divinité. Les deux dévôts implorent celui qui a la gorge bleue (Nilakantha) d'entendre leurs prières ; ils lui écrivent une lettre... Plus loin, le rôle de Shiva-Nataraja sera assuré par Renjith tandis que Vijna prendra celui de la dévôte ; la chorégraphie met en scène l'adoration du pied du dieu dansant. Plus loin, les deux danseurs montrent la chevelure de Shiva, le serpent, la Lune, la rivière Ganga. Au cours de la première grande partie du Varnam, les mouvements de danse ont comporté quelques ronds de jambe à terre et même des mouvements de jambe en l'air dans l'évocation du Seigneur de la Danse. Dans les séquences de danse pure, on a pu voir les redoutables Sharakkau Adavus et de façon très intéressante, un passage comportait un jeu de questions et réponses entre les deux danseurs.
Dans la deuxième partie Charanam du Varnam, le tempo
s'accélère et le mot Satchidananda
du texte revient souvent.
La ligne de texte suivante évoque le temple de Chidambaram où réside
Shiva-Nataraja. La dévôte poursuivant son chemin spirituel, il s'ensuit une
évocation de la beauté de Shiva. À la fin du Varnam, la prière de
la dévôte (Vijna) est exaucée et Renjith prend la pose de
Shiva-Nataraja.
Les aspects narratifs ou évocateurs du Varnam ne m'ont pas toujours semblés très clairs. L'émotion amoureuse était étrangement absente dans la représentation dansée de ce Varnam. Il était davantage question d'une pure dévotion (bhakti), qui est restée trop sobre à mon goût. À défaut de voir l'expression du sentiment amoureux, j'aurais au moins apprécié que l'émerveillement soit représenté de façon plus convaincante. De ce point de vue-là, les Varnam sur Shiva interprétés par Lavanya Ananth et la jeune Sudharma Vaithiyanathan à Chennai récemment m'ont semblé beaucoup plus passionnants !
Les deux pièces qui suivent sont des pièces d'Abhinaya que les danseurs ont appris auprès d'Indira Kadambi. Bien que celle-ci soit une disciple de Kalanidhi Narayanan, je n'avais pas été particulièrement enthousiasmé par le récital de ce guru d'Abhinaya au Centre Mandapa. La première des deux pièces est l'Ashtapadi “Yahi Madhava”, interprété par Vijna. La seule image que je retiens est celle de Radha qui repousse Krishna en remarquant la présence de quelque cheveu trahissant son infidélité. La danseuse a certainement un certain talent pour l'Abhinaya, mais malgré le magnifique accompagnement musical de la violoniste et de la chanteuse, je n'ai pas été très ému par cette interprétation, beaucoup moins passionnante que ne l'avait été Mahina Khanum quand je l'avais vue interpréter le même Ashtapadi. L'autre pièce d'Abhinaya a été un Javali interprété par Renjith. Il joue le rôle d'une jeune femme à qui quelque médisante prête une relation amoureuse. Dans ce Javali, la narration m'a semblé beaucoup manquer de clarté. Par exemple, quand un personnage joue aux osselets au début (puis renverse tout à la fin sous l'effet de la colère), on ne sait pas très bien de qui il s'agit. Néanmoins, on comprend que la jeune femme avoue s'être bien rendue une fois chez l'homme à propos duquel on jase, mais elle se défend d'être allée plus loin. Cette pièce m'a semblée beaucoup moins satisfaisante que la précedente.
Les deux danseurs ont ensuite interprété un Bhajan en hindi. Il s'agit d'un dialogue amoureux entre Radha et Krishna. Cela a été à mon avis la pièce la plus satisfaisante du programme, mais elle ne m'a pas non plus excessivement enthousiasmé : sympa, sans plus. Krishna joue à la balle avec ses amis (quoique j'aie cru un instant qu'il était en train d'essayer d'attraper un pot de beurre). Radha porte une cruche d'eau et subjugue Krishna. Celui-ci lui tourne autour, mais elle est méfiante. Ne serais-tu pas ce jeune voleur de beurre fils du bouvier Nandagopala ? Mais, écoute-moi, enfin ! Caramba, yé souis démasqué... Ne serais-tu pas celui qui utilise un lance-pierres pour faire tomber des pots de beurre accrochés en hauteur ? Le sentiment amoureux s'empare progressivement de Radha qui demande à Krishna de lui donner sa plume de paon. Elle la lui rend. Plus loin, elle demande aussi sa flûte. Dans une scène digne de l'opéra Siegfried de Wagner, elle tente de jouer de l'instrument, mais elle s'avère très maladroite. C'est drôle, mais pas autant que dans la tétralogie de Wagner lorsque je la vis à Budapest. Krishna est obligé de lui montrer comment faire, et il en profite pour la toucher... Elle lui dit de ne pas prendre sa main, parce que tout le monde pourraient les voir. Ils s'en vont alors dans les champs et voient des antilopes et des paons. Krishna orne de fleurs la chevelure de Radha. Le récital n'a pas comporté de Tillana, mais une des dernières sections de cette composition de C. V. Chandrasekar a une forme (et des paroles) proches de celle des Tillana. Le récital se conclut par un Shloka s'achevant sur les paroles Om Shanti.
2015-09-15 16:25+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XIV
Narada Gana Sabha, Narada Gana Sabha - Mini Hall, Chennai — 2015-08-15
Lavanya Ananth, bharatanatyam
K. S. Sarasa chorégraphies
Sri. K. Hariprasad, chant
Smt. Nila Sukanya, nattuvangam
Sri. Nellai D. Kannan, mridangam
Sri. Kalaiarasan Ramanathan, violon
Pushpanjali
Alarippu (Misra Chapu Tala)
Jatiswaram (Raga Vasanta, Tishra Ekam), composition du Tanjore Quartet)
Śabdam (Ragamalika, Misra Chapu Tala), composé par Adi Cinnaya Pillai (Tanjore Quartet)
Varnam “Manavi Chekonaradha” (Adi Tala, Raga Shankarabharanam), composé par Ponniah Pillai (Tanjore Quartet)
Padam (Rupaka Tala, Raga Saveri)
Javali (Rupaka Tala, Raga Kamas), composé par Patnam Subramania Iyer
Shloka
Thillana (Adi Tala, Raga Kedaram)
Avant ce récital, j'avais déjà eu l'occasion de voir danser Lavanya Ananth. La première fois avait été au Centre Mandapa en 2011, puis au Musée Guimet en 2012 et enfin au Bharatiya Vidya Bhavan à Chennai en 2013. J'avais été émerveillé les deux premières fois, mais je n'avais pas été complètement convaincu par son récital à Chennai en 2013 : je m'attendais à de l'inoubliable, c'était seulement très bien. Cette fois-ci, je m'attendais à ce que ce soit très bien, et ce fut inoubliable ! Une de mes toutes meilleurs expériences de spectateur de danse bharatanatyam.
Je connaissais la date de ce récital depuis plusieurs mois quand la danseuse était passée à Paris pour un workshop dans lequel elle enseigna le Chidambaram Natesha Kavuthwam. Son récital du 15 août tombait opportunément le dernier soir de mon séjour à Chennai : j'avais déjà prévu de partir le lendemain matin pour Pune. Lors de ce séjour à Chennai pendant les deux premières semaines d'août, j'eus l'occasion de rencontrer diverses personnes liées à la danse bharatanatyam. J'eus notamment le privilège de retravailler avec Lavanya Ananth la chorégraphie qu'elle avait enseignée à Paris. Quand je lui demandai qui seraient les musiciens qui l'accompagneraient, elle me répondit que j'en aurais la surprise le soir du récital...
Quand le rideau s'est levé, je m'attendais évidemment à voir Kalaiarasan Ramanathan (mon violoniste préféré dans le monde du bharatanatyam), mais j'ai été très agréablement surpris de voir le chanteur K. Hariprasad et le percussionniste Nellai D. Kannan. On ne peux guère trouver mieux pour accompagner un récital de bharatanatyam. Nila Sukanya, que je ne connaissais pas, sera au nattuvangam.
Le récital fait partie de la série Poorna Margam organisée par Natyarangam. L'organisatrice Janaki Srinivasan explique que rares sont les récitals respectant le format Margam traditionnel (ce n'est en effet pas possible quand la durée du récital est réduite à moins d'une heure et demie). Cela ne se voit guère que lors des Arangetram (le premier récital public solo d'une danseuse). Pour cette série de récitals, ils ont demandé à des danseuses accomplies de présenter de tels programmes pour que l'expérience de l'interprète permette au public d'éprouver pleinement la beauté de ce chemin dans le répertoire. Je remercie vivement Natyarangam pour cette magnifique expérience !
Avant l'entrée en scène de la danseuse, le chanteur avait interprété
deux courtes compositions (en Khanda Chapu puis Rupaka Tala). Le récital
proprement dit a commencé par un Pushpanjali, une offrande de
fleurs en l'honneur de Ganesh, le texte du Shloka commençant par
Mushika...
, et plus loin j'ai cru entendre Maheshwara
putra
.
La danseuse interprète ensuite un Alarippu en Misra Chapu. La chorégraphie est tout à fait traditionnelle. Pourtant, cette version extrêmement élégante présente de nombreux détails exquis. Je retiens notamment la présence de délicats mouvements de tête sur le côté (Attami) en des endroits et à des vitesses inhabituelles, ce qui crée de jolis effets de surprise.
Le répertoire du bharatanatyam comporte me semble-t-il trois types de pièces centrées sur la danse pure : Alarippu, Jatiswaram et Tillana. Après avoir vu de nombreux récitals, je crois que le type de pièce de danse pure que j'affectionne le plus est le Jatiswaram. La chorégraphie de la pièce interprétée par Lavanya Ananth semble constituée d'adavus à 100% ou presque. Les adavus sont de petits enchaînements qui sont les briques de base de la danse pure. J'avais l'impression de les connaître, mais la magnifique interprétation de Lavanya Ananth révèle un nombre invraisemblable de détails insoupçonnés ! Certains enchaînements semblent dérivés d'adavus connus, mais avec des variations. Dans certains d'entre eux, il me semblait que c'était comme si les pas étaient exécutés à une vitesse double par rapport au haut du corps, ce qui permet à la danseuse de maintenir une certaine rapidité rythmique tout en accordant une grande importance à l'élégance des mouvements du haut du corps. Ce Jatiswaram qui utilise l'espace scénique de façon intéressante tout en présentant un harmonieux catalogue d'adavus m'a procuré beaucoup de plaisir !
J'avais déjà eu l'occasion quelques jours plus tôt de voir un Shabdam, mais ce type de pièce est extrêmement rare. Je ne comprends pas pourquoi ces pièces ont pour ainsi dire disparu du répertoire. Rien que pour le plaisir d'entendre K. Hariprasad chanter Dhalang-gutum---tadiginatom-, cela mériterait d'être représenté plus souvent ! Les sections de danse pure (superbes comme dans tout le récital) sont en effet accompagnées d'onomatopées chantées. Les parties expressives font l'éloge de Krishna. C'est un bouvier entouré de gopis (bouvières). Il tue un démon (que je n'ai pas identifié). Il soulève le mont Govardhana avec le petit doigt pour abriter les villageois déstabilisés par les pluies déclenchées par le dieu Indra. Il est semble-t-il également fait référence aux exploits d'autres avatars de Vishnu : la tortue (Kurma) et le sanglier (Varaha). La chorégraphie évoque aussi la parole, la musique et plus généralement les arts. Enfin, la chorégraphie représente celui qui a le visage et les yeux de lotus et qui porte une plume de paon.
La pièce principale du récital est un Varnam dû à Adi Ponniah Pillai (Tanjore Quartet). Il est dédié à Brihadishwarar, la divinité résidant au Grand Temple de Tanjore. Ce Varnam présente une particularité : les passages rytmiques (jatis) se terminent juste avant le deuxième temps et non pas juste avant le premier temps du cycle comme dans la plupart des Varnam. Cette curiosité rythmique mise à part, le Varnam suit une forme très traditionnelle. Il représente une héroïne dans son parcours amoureux et spirituel. L'émotion principale est celle de l'amour (Shringara) de l'héroïne pour Shiva. Dans son interprétation, il m'a semblé que Lavanya Ananth mettait en valeur l'émerveillement (Adbhuta) de l'héroïne. Dès le début du Varnam, après le premier jati, elle est émue en pensant à celui qui porte une antilope et le tambour Damaru. Après un délicieux deuxième jati, la joie s'empare de l'héroïne. Elle ouvre sa fenêtre. Les rayons du Soleil font éclore les fleurs, mais aussi le cœur de l'héroïne. Elle est atteinte par les flèches du Dieu de l'Amour.
Dans la section suivante, le texte fait référence à la ville de Thanjavur. L'héroïne qui pense à celui qui porte le feu et l'antilope et dont le lingam est orné de trois lignes horizontales s'émerveille devant le beauté et la grandeur du temple. La scène est accompagnée d'un solo du violoniste Kalaiarasan au style inimitable utilisant de nombreuses doubles cordes. L'héroïne cueille des fleurs avant d'aller au temple. La chorégraphie évoque ensuite les arts et la connaissance, peut-être en référence aux activités rituelles du temple. Il est ainsi fait référence aux percussions (mridangam et nattuvangam), ainsi qu'à la vina, un instrument à cordes pincées, un détail qui est souligné par des pizzicati du violoniste. L'héroïne entend-elle la voix des brâhmanes ? Elle entre dans l'enceinte du temple, voit le buffle Nandi qui veille sur le sanctuaire. Elle veut voir le monumental lingam de Shiva, mais c'est fermé. La porte s'entr'ouvre et l'héroïne (et le spectateur que je suis) s'émerveille devant la vision qui s'offre à elle ! Elle se met des cendres sur le front.
Dans la conclusion de la première grande partie du Varnam, l'héroïne souffre de la séparation : Shiva ne répond pas à son amour. Ensuite, dans le Caranam, on trouve notamment une référence aux cinq flèches lancées par Manmatha. Dans un des passages solfiés (Swaram) de cette section, j'ai trouvée la chorégraphie sublime et particulièrement poétique, la mélodie étant génialement chantée par K. Hariprasad. Le Varnam se conclut de façon apaisée dans le silence. Au tout dernier moment, l'héroïne sent la présence du Dieu, comme s'il venait de lui toucher l'épaule.
La pièce suivante est un Padam. Il me semble que c'était Idaivida
innum vera vendumo saatchi. L'héroïne prépare des guirlandes de
fleurs pendant qu'elle attend son mari. Soudain, que voit-elle ?
Qu'entend-elle ? Le violon se met à émettre des sonorités très dissonantes.
Quelque chose ne va pas. L'homme rentre. Elle le dispute. (Cette
introduction dansée a été interprétée avant que la composition proprement
dite ne commence effectivement.) L'héroïne fait des reproches à l'homme qui
lui inspire le dégoût. Elle semble lui dire : Tu n'étais pas au temple !
À qui appartient donc ce cheveu ?
. Dans la section suivante, la
chorégraphie montre l'homme portant un trident, mais le sens ne m'a pas
paru évident. L'héroïne poursuit : Je te quitte, je ne veux plus
entendre tes paroles.
Je ne sais si ce sens ironique est exactement
celui que voulait donner la danseuse, mais l'héroïne semble dire, en voyant
des griffures sur le corps de l'homme : Aurais-tu réchappé d'une attaque
de crocodile ?
. Elle le chasse et referme la porte. Quand elle regarde
au dehors par une petite ouverture, elle le voit s'en aller chez sa
rivale.
La pièce suivante est un délicieux Javali. Pendant
l'introduction musicale du violoniste, une jeune femme rencontre un
séduisant jeune homme qui s'amuse avec elle, lui tirant la main, etc. Il
paraît perdu, alors elle lui indique le chemin. Il semble avoir le don
d'ubiquité parce qu'à peine est-il parti d'un côté que l'héroïne sent sa
présence de l'autre. Quand la composition musicale commence, la jeune femme
semble dire à ses amies : Mes amies, que faire ? Il a un beau collier,
une belle démarche. Touchée par les flèches de Kama, je suis submergée
d'émotions. Puis-je résister à celui qui est peut-être Venkateshwar ?
. Le
thème du vertige émotionnel de l'héroïne est traité d'une façon
humoristique conforme à l'atmosphère joyeuse des Javali et
l'interprétation de la danseuse m'a semblée particulièrement musicale.
L'héroïne semble renoncer, ses amies la traînant par la main dans une
ronde, mais son regard finit par inviter le jeune homme à la rejoindre.
Le récital se conclut par un Shloka enchaîné à un
Thillana. Le Shloka décrit majestueusement
Vishnu-Narayana de la tête aux pieds. Il est difficile de rendre compte des
moindres détails de cette description. Je crois me souvenir que le texte le
présente comme Suryaspati
(maître du Soleil ?). Quand ses yeux sont
décrits, ceux-ci sont comparés au Soleil (Surya) et à la Lune (Chandra).
(Cette comparaison est plus courante pour les yeux de Shiva, mais cette
association se trouve aussi dans l'iconographie vishnouïste quand Vishnu
apparaît sous sa forme suprême Vishvarupa.)
Ce magnifique Shloka s'enchaîne avec un Thillana évoquant également Vishnu qui apparaît couché sur l'Océan cosmique. Comme toutes les autres pièces du récital, ce Thillana a été chorégraphié par K. J. Sarasa, le guru de Lavanya Ananth (style Vazhuvoor). Précédemment, la danseuse n'avait dansé ce Thillana qu'une seule fois : lors de son Arangetram !
Il n'y a rien dans ce récital que je n'aie adoré. Le raffinement de la danse dans ses moindres détails m'a procuré un grand plaisir. Une part significative de mon contentement est venu des musiciens, et tout particulièrement du chanteur K. Hariprasad et du violoniste Kalaiarasan : quand ils interprétaient les compositions dansées bien sûr, mais aussi quand ils prenaient le temps d'élaborer de longs développements mélodiques entre les différentes pièces. Il y avait là à mon goût davantage d'émotion ou de bhava que dans bien des récitals de musique carnatique...
2015-08-24 22:50+0530 (पुणे) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XIV
The Music Academy, Kasturi Srinivasan Hall, Chennai — 2015-08-10
Sudharma Vaithiyanathan, bharatanatyam
Sri. A. Lakshmanaswamy, nattuvangam, chorégraphies
Sri. K. Hariprasad, chant
Sri. Nellai D. Kannan, mridangam
Sri. Easwar Ramakrishnan, violon
Sri. ?, flûte
Invocation de Ganesh
Alarippu (Tisra Triputa), composé par Muthuswami Pillai
Sangeetha Devathe (Adi Tala, Raga Malavagowla), composé par Ambujam Krishna
Sabdam (Misra Chapu Tala, Raga Kambhoji), Tanjore Quartet
Varnam “Sami Ninnekori” (Rupaka Tala, Ragamalika), composé par Ponniah Pillai (Tanjore Quartet)
Padam “Yedukittanai Modi” (Rupaka Tala, Raga Suruti), composé par Marimutha Pillai
Javali “Itu Sahasamulu” (Adi Tala, Raga Saindhavi), composé par Swathi Tirunal
Thillana (Adi Tala, Raga Kamas), composé par Patnam Subramanya Iyer
Pendant mon séjour à Chennai, j'ai assisté presque tous les soirs à des récitals de bharatanatyam, notamment six représentations du festival Spirit of Youth organisé dans la petite salle de la Music Academy. De jeunes danseuses (20-25 ans environ) s'y sont produites. Les danseuses ont toutes un bon niveau, mais parmi les six que j'ai vues, trois danseuses se sont particulièrement distinguées à mon avis : Sneha Narayan, Radhe Jaggi et Sudharma Vaithiyanathan. Le récital de cette dernière m'a semblé absolument exceptionnel à tous points de vue. On atteint des sommets rarement observés lors de récitals de danseuses plus expérimentées.
Dans la série de représentations à laquelle j'ai assisté à la Music Academy, ce récital est le seul qui ait commencé par la traditionnelle invocation chantée de Ganesh, le fils d'Uma, magnifiquement chanté sous la forme d'un Shloka par K. Hariprasad (qui par la suite n'a malheureusement pas chanté d'Alap comme il l'avait fait en octobre dernier au Musée Guimet). L'accompagnement musical sera d'excellente qualité lors de ce récital.
Après son Namaskar, la danseuse a interprété un Alarippu composé par Muthuswami Pillai. Cette composition est en Tishra Triputa Tala (j'en ai demandé la confirmation à son fils Selvam), mais la façon dont les bols sont prononcés entretiennent une ambiguité. En l'entendant, on a du mal à savoir si c'est Tishra Triputa ou Misra Chapu (les deux talas ayant la même structure en 7=3+2+2, mais à des vitesses différentes), la composition étant ainsi faite que l'on peut clapper l'un ou l'autre des deux talas sans éprouver de sentiment d'instabilité rythmique. Lors de ce récital, les chorégraphies seront toutes du Guru A. Lakshmanaswamy. Je les ai trouvées particulièrement musicales, sans la complexité rythmique excessive que l'on observe parfois. Cet Alarippu reprend essentiellement la chorégraphie traditionnelle des Alarippu, avec quelques petits ajouts, dont un m'a semblé être un emprunt ou une référence au style de Muthuswami Pillai et de son fils Selvam : une façon de découper l'espace en utilisant le mudra Tripataka.
L'Alarippu s'enchaîne avec Sangeetha Devathe, une composition de la défunte Ambujam Krishna à laquelle le festival est dédié : tous les récitals comportent une de ses compositions. La danseuse fait preuve d'une suprême élégance dans son évocation de Sarasvati, qui porte la vîna et dont le son est exquis. La chorégraphie évoque aussi Brahma et Vishnu-Narayana couché sur l'océan cosmique.
La pièce suivante est un Shabdam, ce qui est tout à fait exceptionnel. J'ai assisté à une centaine de récitals de bharatanatyam, mais ce n'est semble-t-il que la deuxième fois que je vois un Shabdam dans ce style. Ce type de pièces a pour ainsi dire disparu du répertoire et c'est bien malheureux... La pièce comporte une alternance entre passages expressifs et passages de danse pure qui sont accompagnées par des onomatopées chantées. La chorégraphie est extrêmement musicale : elle suit fidèlement la structure du cycle rythmique Misra Chapu. Atteinte par les flèches florales de Kama, l'héroïne cherche l'union avec celui qui a des yeux de lotus, mais dès qu'elle a l'impression de s'en approcher, celui dont je n'ai pas deviné l'identité disparaît...
La pièce principale du programme m'a semblée merveilleuse. Ce
Varnam est dû à Adi Ponniah Pillai (Thanjavur Quartet). De forme
extrêmement traditionnelle, il est quasi-intégralement conçu autour du
parcours de l'héroïne jusqu'au sanctuaire de Brihadishwarar (temple de
Thanjavur). Il est très rare que je sois ému par ce type de Varnam
(cf. cet autre billet), mais l'interprétation de la
danseuse m'a paru tout simplement extraordinaire. L'héroïne s'émerveille en
pensant au lingam de Shiva, celui qui porte le feu et une antilope. Il
porte aussi le tambour Damaru. La Lune et le Soleil sont ses yeux. Elle
cherche l'union avec lui. L'attend-elle toute la nuit ? La lumière du
Soleil semble faire éclore les fleurs. Plus loin, dans la forêt ou au bord
de la rivière, la nature s'épanouit. L'héroïne fait ses prières et se
dirige vers Thanjavur, la ville où réside Brihadishwarar. Elle est émue en
envoyant le grand temple. Elle entre dans son enceinte, voit le buffle
Nandi qui se tient près de la porte. Arrivée devant la porte, elle l'ouvre
prudemment et s'émerveille irrésistiblement devant la grandeur du lingam de
Shiva auquel elle offre des fleurs. Toute cette scène m'a semblée d'une
intensité émotionelle rare. La danseuse n'effectue pas de grands gestes,
mais elle semble à 100% dans son rôle qu'elle incarne avec finesse mais
sans affectation. On oublie complètement qu'elle est une scène de
spectacle. C'est comme si on se trouvait à Thanjavur... L'héroine veut
ensuite séduire ce Brihadishwarar, elle semble dire : Toi qui monte
Nandi, vient à moi.
. Dans cette première grande partie du
Varnam, les passages narratifs ont alterné avec des passages de
danse pure (jatis) magnifiquement chorégraphiés et superbement
interprétés. Avant chaque jati, la danseuse semble tracer un
losange au sol, ce que je n'avais vu faire jusqu'à présent que par des disciples de Master Selvam, fils de Muthuswamy Pillai.
Le style de danse pure présente des points communs avec le style de ce
dernier, notamment l'usage d'adavus n'utilisant qu'une seule main. J'ai
aussi apprécié le fait d'exécuter une pirouette à la toute fin des
jatis. La danseuse décale sa tête sur les côtés
(attamis) de la plus élégante des façons qu'il m'ait été donné de
voir (l'exact contraire de ce que j'ai vu à Delhi
récemment). La seconde partie Caranam du Varnam
comporte une évocation de la musique, mais elle exalte surtout le sentiment
amoureux de l'héroïne, très émue. Atteinte par les flèches de Kama, elle
brûle d'amour pour lui, elle l'admire, il est entré dans son cœur.
La danseuse interprète ensuite un Padam. L'héroïne semble éprouver des sentiments mitigés pour un homme. Viens me parler ? Non, ne viens pas ; tu parles déjà à tellement d'autres que moi. Elle cherche l'union avec celui qui fait le fier avec son arc (?), puis elle hésite et le rejette. Elle s'en va d'un pas décidé respectant la structure du cycle Misra Chapu à trois temps de durées inégales.
Dès l'entrée en scène de la danseuse dans la pièce suivante, on comprend
immédiatement qu'il s'agit d'un Javali. L'atmosphère espiègle de
ce type de pièce apparaît en effet dès les premiers mouvements de
l'interprète. Krishna tente de séduire l'héroïne. Il l'empêche même de
passer, mais elle fait semblant de ne pas l'aimer. Va voir mes amies.
Moi, je ne veux pas. Certes, tu as des yeux de lotus et tu es Narayana,
couché sur l'Océan cosmique, mais je te ferme la porte au nez. Ah, ah, je
t'ai bien eu.
, semble-t-elle lui dire !
Le récital s'est conclu par un Thillana utilisant de façon très
intéressante l'espace scénique. Après la première partie (de danse pure) de
la pièce, l'héroïne implore Venkatesh : S'il Te plaît, paraît devant
moi !
.
Un immense bravo à la danseuse pour ce merveilleux récital !
2015-08-03 08:20+0530 (जळगांव) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XIV
India Habitat Centre, Delhi — 2015-07-24
Nehha Bhatnagar, bharatanatyam
Amrit Sinha, Himanshu Srivastava, bharatanatyam
Saroja Vaidyanathan, nattuvangam, chorégraphies
Rama Vaidyanathan, chorégraphies
Satish Venkatesh, chant
Rajat Prasanna, flûte
Thanjavur R. Kesavan, mridangam
Devi Stuti (Adi Tala)
Pannagendra Shayana (Rupaka Tala)
Ta Tai En Aadvar (Adi Tala)
Mira Bhajan (Adi Tala)
Thillana (Adi Tala)
Vande Mataram
Après le récital calamiteux de Bala Devi Chandrashekar, celui de Nehha Bhatnagar ne pouvait être que meilleur. Si la jeune danseuse a indiscutablement une certaine présence scénique, je ne suis pas sorti très enthousiaste de son récital.
Le programme a commencé par un Alap à la flûte, immédiatement suivi de la projection d'un message publicitaire de Hindustan Computers Limited (HCL) qui sponsorise la série de spectacles dont fait partie le récital de Nehha Bhatnagar. Vient ensuite la cérémonie d'allumage de la lampe à laquelle est conviée quelque haut dignitaire du BJP, le parti au pouvoir ; peut-être s'agissait-il de Muralidhar Rao ?
La danseuse est une disciple de Saroja Vaidyanathan et de sa belle-fille Rama Vaidyanathan (qui est une des personnes que j'estime le plus dans la danse bharatanatyam). La musique ne sera pas de qualité exceptionnelle au cours de ce récital. La faute la plus lourde en revient au joueur de mridangam Thanjavur R. Kesavan, qui faisait son truc dans son coin sans tenir aucun compte de ce que faisait la danseuse, qu'il ne regardait pour ainsi dire jamais. La sonorisation de son instrument était de surcroît atroce. Les cymbales de Saroja Vaidyanathan étaient inaudibles, ce qui rendait les passages rythmiques de la danse particulièrement étranges. Un autre problème est venu des difficultés de Saroja Vaidyanathan à fixer clairement un tempo. Le tempo a été changé plusieurs fois et de façon très brutale au cours de certaines pièces. Dans une des pièces, je l'ai vue donner un tempo au début et puis quelques dizaines de secondes plus tard, elle a changé d'avis et fait adopter un tempo beaucoup plus rapide au chanteur : la transition a été affreuse, comme une piste audio sur laquelle on ferait une avance rapide... Ce récital a-t-il fait l'objet d'un minimum de répétitions ? Il y a vraiment de quoi se poser la question...
Quelques aspects de la technique de la danseuse me posent problème. Le plus gênant pour moi réside dans le fait qu'elle utilise très peu son torse et son cou. En particulier, elle ne regarde pas suffisamment ses mains. Seuls ses yeux se déplacent (et son cou dans les mouvements sur le côté : Attami) : le haut du corps est comme figé. Cela crée en moi un sentiment d'étrangeté, un manque de naturel. En tournant le cou, elle pourrait donner un bien meilleur impact à sa danse. Ces observations se révèlent particulièrement perturbantes quand la danseuse exécute des ginatom. Sa main ne va pas chercher derrière : elle va juste en diagonale sur le côté. En l'absence de mouvement du torse et du cou pour accompagner le mouvement, l'impression visuelle est désastreuse, surtout si l'observateur que j'étais est assis parfaitement de face. Une autre étrangeté technique dans le style de la danseuse réside dans sa façon de faire des pas sur le côté, comme si la force venait de la jambe opposée à la direction du mouvement.
Venons-en maintenant au détail du programme intitulé Passionate devotees. La première pièce est intitulée Devi Stuti. Cette pièce est très impressionnante, mais j'ai eu le sentiment que la danseuse en faisait un peu trop pour imposer la terrifiante présence de la Déesse dont la monture est le tigre. Sa danse est à mon avis un peu trop carrée, ses mouvements de cou Attami manquent de subtilité dans l'exécution. D'après ce que j'ai cru comprendre du texte, il est question de l'épisode de la Déesse tuant les démons Shumbha et Nishumbha. Quand l'interprète a représenté la Déesse jouant de la vînâ et l'exaltation du plaisir acoustique, cela ne me faisait pas vraiment envie. Plus loin, elle montre Kali avec son trident. La fin de la pièce est plus réussie : il s'agit d'une très vive et développée chevauchée.
La pièce suivante, tout comme la première, a été chorégraphiée par Rama Vaidyanathan. Il n'est pas faire injure à l'interprète de ce récital d'écrire qu'il m'est plusieurs fois arrivé de penser à quel point ces chorégraphies seraient merveilleuses si c'était Rama elle-même qui les dansait. La pièce principale du récital est attribuée au Maharaja Swathi Thirunal. Elle est donc bien évidemment consacrée à Padmanabha (Vishnu). Je n'ai pas eu l'impression que la pièce avait formellement la structure d'un Varnam, mais elle était aussi développée, les passages narratifs et évocateurs alternant avec des passages de danse pure (dont plusieurs incorporent les redoutables Sharakkau Adavus). La plupart de ces passages de danse pure, y compris au début, étaient accompagnés de Swaram (notes solfiées) plutôt que d'onomatopées, ce qui constitue une différence structurelle par rapport aux Varnam tels qu'ils sont habituellement représentés dans la danse.
La pièce est dédiée à Vishnu sous le nom de Padmanabha. Vishnu est couché sur le serpent Shesha et un lotus (Padma) émerge de son nombril (Nabha) ; c'est sur ce lotus qu'est assis Brahma. La chorégraphie présente d'intéressantes variations sur la façon de représenter Vishnu sous cette forme. Cependant, la façon qu'a parfois eu la danseuse d'adopter ces poses m'a semblé parfois quelque peu brutale, comme si elle voulait absolument s'y trouver sur le premier temps du cycle rythmique ; cette impatience me semble incompatible avec l'idée de représenter Padmanabha dans son immuable immensité. L'héroïne de la pièce souffre de la séparation avec la divinité. Il ne semble pas la regarder. Elle brûle de sa passion que lui rappellent tous ses sens. Elle est tourmentée par le parfum des fleurs. Elle se désespère quand elle observe la nature et ses couples d'oiseaux, de paons, de perruches, de perroquets, tandis que les abeilles butinent les fleurs. La danse met en scène ensuite des discussions entre les amies de l'héroïne. Après l'intervention de Kama, l'héroïne s'émerveille de Padmanabha dont elle admire la beauté, le collier, les vêtements et la démarche (qui sera plus loin comparée à celle d'un éléphant). Ses lèvres sont comparées à un fruit. L'héroïne cherche l'union avec la divinité à laquelle elle offre des fleurs et à qui elle adresse des prières.
Les trois chorégraphies qui vont suivre sont de Saroja Vaidyanathan, qui
me semblera plus à son aise au nattuvangam. La première de ces
trois pièces est interprétée par deux condisciples de Nehha Bhatnagar : les
deux danseurs Amrit Sinha et Himanshu Srivastava. Ta Tai En Aadvar
est une pièce très vigoureuse en l'honneur de Nataraja, le Seigneur de la
Danse, qui fait trembler l'univers au point que même le serpent Adi Shesha
est bousculé. Les danseurs interprètent certaines sections en duo de façon
synchronisée (en miroir). D'autres sont interprétées par l'un ou l'autre.
L'évocation met en valeur certains attributs de Shiva comme le tambour
Damaru, les cheveux en chignon, la rivière Ganga ou le buffle Nandi qu'il
chevauche. La chorégraphie inclut quelques sauts et de façon intéressante
des ronds de jambe comportant des mouvements de hanches. Étrangement,
ce dont je me souviens le mieux dans cette pièce est la clarté avec laquelle
la chorégraphie exprime que le compositeur s'appelle Gopalakrishna.
Beaucoup de compositions de musique carnatique se terminent par une ligne
qui constitue la signature du compositeur. Quand j'ai entendu les mots
Gopala
et Krishna
dans le texte chanté, et que j'ai vu les
danseurs montrer un bouvier, j'ai eu un instant de doute parce que cela ne
correspondant pas au contexte shivaïte, mais ma perplexité s'est
immédiatement dissipée quand un des danseurs a représenté un joueur de
tampura (et lors de la répétition de la ligne, quand l'autre danseur a
montré un écrivain). C'est que le compositeur de la pièce devait s'appeler
Gopalakrishna, ce que j'ai pu vérifier ensuite dans le programme qui avait
été distribué.
La pièce suivante est interprétée par Nehha Bhatnagar. Il s'agit d'un Bhajan composé par Mirabaï. J'avais déjà vu une autre chorégraphie sur ce poème. Mon regard sur cette interprétation souffre donc quelque peu de la comparaison avec celle de Meenakshi Srinivasan. L'héroïne (dont il n'est pas particulièrement mis en valeur à ce stade qu'il s'agit de Mirabaï) cherche Krishna partout. Fait intéressant, la danseuse tourne beaucoup le dos au public à ce moment-là. Elle s'approche d'un étang de lotus. Dans la plus belle scène de la pièce (et de tout le récital), elle imagine qu'elle est un poisson et que Krishna va prendre son bain. Elle pourrait alors venir lui toucher les pieds. Les deux autres comparaisons m'ont semblées beaucoup moins claires. Ainsi, quand la chorégraphie représente Krishna conduisant son troupeau de bovins, il ne m'a pas du tout paru clair que Mirabaï imagine qu'elle est un coucou qui peut chanter pour Lui. Dans la dernière comparaison, elle est censée être une perle qui pourrait faire partie d'un collier. J'ai bien vu une dévôte offrir un collier à Krishna, qui apprécie le cadeau, mais je n'ai pas saisi dans l'Abhinaya de la danseuse que Mirabaï rêvait qu'elle était transformée en perle. Dans la fin de la pièce, l'héroïne cherche l'union mystique avec la divinité (qui porte une très longue flûte) et entame une danse d'extase digne des derviches tourneurs.
Le récital s'est conclu par un très beau Thillana composé par Saroja Vaidyanathan elle-même (ce qui n'a pourtant pas empêché qu'adviennent des changements de tempo intempestifs). La pièce est interprétée par la danseuse et les deux danseurs. Une section de la pièce évoque la musique. La vînâ est représentée par Amrit, la flûte par Himanshu et le mridangam par Nehha. À la fin de la pièce, les onomatopées laissent la place à un texte en l'honneur de Shanmukha, c'est-à-dire Muruga. Les trois interprètes s'organisent délicieusement pour représenter cette divinité. Amrit représente Muruga, tandis que Nehha se tient à ses côtés, figurant son épouse (ou plutôt une de ses épouses). Pour sa part, l'excellent Himanshu interprète le rôle du paon qui est la monture de Muruga. (N'en connaissant pas assez bien le texte, je ne commenterai pas la chorégraphie de l'hymne Vande Mataram qui s'est enchaîné à ce Thillana.)
2015-07-25 08:49+0530 (दिल्ली) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Sucheta Chapekar, le guru de ma prof de bharatanatyam a passé plusieurs
semaines en France aux mois de mai et juin. J'avais déjà eu l'occasion de
la rencontrer à Pune l'année dernière. Je n'oublierai pas
les nombreux moments partagés avec elle au cours de son séjour.
J'ai déjà évoqué dans un billet
précédent le stage dans lequel elle nous enseigna un
Abhinaya-Pada sur la destruction de Tripura par Shiva sur le cycle
rythmique Khanda-jâtî Ata Tala. Je n'oublierai pas non plus les cours
particuliers ou semi-particuliers, qui donneront lieu à quelques
perplexités : Ah, this is Tishra-jati. ― No, this is Tishra-jâtî. —
Tishra-jati ? — No,
. Trois événements
publics ont rythmé son séjour à Paris au début du mois de juin : une
conférence-dansée sur le Nrityaganga à l'École normale supérieure,
une autre sur des fables du Panchatantra à l'Université Paris 8 et
un récital de bharatanatyam au Centre Mandapa. Je ne commenterai pas en
détail son interprétation de quelques fables animalières à Paris 8,
mais je reviendrai dans un futur billet sur son récital au Centre Mandapa.
Je vais me concentrer ici sur sa conférence-dansée sur le Nrityaganga.jati
is a different word.
Le premier juin avait donc lieu une conférence-dansée dans la salle d'expression artistique du Nouvel Immeuble Rataud (NIR) de l'École normale supérieure. Cette conférence était organisée par un groupe d'élèves et anciens élèves, Indias, l'Initiative Normalienne pour le Développement des études sur l'Inde et l'Asie du Sud.
Le thème de l'exposé de Sucheta Chapekar était “Nrityaganga”. Il s'agit du style de danse qu'elle a développé, associant la danse bharatanatyam (originaire du Sud de l'Inde) et la musique hindustani (la musique classique du Nord de l'Inde). Elle en a expliqué la genèse. Elle a ainsi commencé par raconter son travail avec son premier guru, Acharya Parvati Kumar. La musique carnatique est chantée habituellement dans des langues du Sud de l'Inde comme le télougou ou le tamoul, mais elle a expliqué, tout comme l'avait fait le chercheur Davesh Soneji dans une conférence récente à l'EHESS, que la langue marathi (parlée dans la région de Sucheta Chapekar) avait une place importante dans l'histoire de la musique carnatique. En effet, au XVIIe siècle au XIXe siècle, ce sont des rois marathes qui ont régné à Thanjavur et pendant cette période, les arts se sont développés, toutes les formes et langues entrant en confluence à Thanjavur (y compris la musique classique européenne dont on trouve des traces dans les compositions Nottuswaram du grand compositeur carnatique Muthuswamy Dikshitar). Selon Davesh Soneji, les formes musicales originaires de la région Marathe auraient beaucoup influencé la musique carnatique à cette époque. Sucheta Chapekar et son guru ont utilisé des compositions de danse bharatanatyam en langue marathi dans le style carnatique datant de cette époque et conservées à la Saraswati Mahal Library à Thanjavur. Les livres et les manuscrits ne contenaient a priori que le texte et le nom des talas et ragas. En utilisant ces sources, ils ont pu rendre vie à des compositions attribuées au roi Serfoji II (ou Sharabhoji) qui régna de 1798 à 1832.
Par la suite, en travaillant avec Kitappa Pillai, Sucheta Chapekar s'est intéressée au répertoire plus ancien du roi Shahaji (1684-1712) et l'idée lui est venue de créer de nouvelles de pièces de danse bharatanatyam utilisant les formes de musique du Nord de l'Inde et des textes en marathi, hindi ou sanskrit. Elle a commencé par chorégraphier des pièces d'Abhinaya parce qu'elles posaient moins de problèmes. D'autres interprètes avaient déjà commencé à intégrer des compositions du Nord comme des Bhajan de Mirabaï, mais elle a voulu constituer un format parallèle et alternatif au format habituel Margam des récitals de danse bharatanatyam. Par exemple, l'Alarippu est remplacé par Prastar, une pièce de danse pure dont la musique s'inspire de formes de musique rythmiques pratiquées par des joueurs de pakhawaj, l'instrument à percussion qui n'est pour ainsi dire plus utilisé que dans la musique dhrupad. Parmi les principes du bharatanatyam qu'elle a voulu conserver, il y a l'idée d'utiliser les diverses formes musicales existantes, mais dans le contexte de la musique classique du Nord. Parmi les autres principes du bharatanatyam qu'elle a retenus, elle compte aussi la position assise, l'équilibre entre la danse pure et la danse expressive, le fait que les mouvements de danse utilisent autant le haut que le bas du corps. Enfin, les compositions expressives doivent mettre en scène l'amour érotique, l'amour maternel et l'amour dévotionnel. Mises ensemble de façon cohérente, de telles pièces de danses constituent une alternative au Margam. Le nom qu'elle a retenu est Nrityaganga, en référence à la rivière Ganga, qui est considérée comme sacrée dans toute l'Inde.
Lors de sa démonstration, elle a interprété cinq pièces de Nrityaganga. La première a été Māta Sarasvatī, un hommage à Sarasvatī : elle est la déesse de la parole, de la connaissance, et joue de la vînâ. Cette pièce comporte quelques courtes sections de danse pure. Les deux pièces suivantes ont été des pièces d'Abhinaya. Dans Nāhī mī bolata nāthā, une jeune femme pudique du Maharashtra se prépare à accueillir son amoureux. Quand il arrive, il la flatte par ses mots doux, mais elle fait semblant de le repousser... Dans la pièce suivante Ao Pyare, une gopi s'émerveille des qualités du jeune Krishna. Elle tente de l'attirer maternellement à elle. Elle décrit sa belle allure. Quand elle vaque à ses tâches quotidiennes, que se soit la lessive ou la traite des vaches, elle est charmée par le son de sa flûte. Cependant, quand elle essaye de s'en approcher, il s'échappe. Elle ne parviendra à l'arrêter qu'en lui donnant à manger du beurre.
En voyant ces trois premières pièces, il m'a semblé que Sucheta Chapekar utilisait davantage de frappes de pieds dans ses chorégraphies de pièces d'Abhinaya qu'on ne l'observe habituellement. En outre, j'ai eu le sentiment qu'en général elle s'appuyait de façon quelque peu différente sur le rythme qu'on ne le fait dans le bharatanatyam quand il est dansé sur de la musique carnatique. Dans la musique carnatique, le premier temps du cycle est me semble-t-il vraiment vu comme un point de départ. Dans la danse, on verra souvent des formules conclusives comme didi-tai—didi-tai—didi-tai, mais le dernier tai n'est pas sur le premier temps, il est juste à la fin du cycle précédent, ce qui permet d'enchaîner immédiatement avec une autre série de mouvements au début du cycle qui suit. Dans les pièces de Nrityaganga que j'ai vues au cours de cette démonstration, le premier temps du cycle rythmique semble être conçu comme une conclusion de ce qui a précédé. On trouve souvent une frappe très appuyée sur ce premier temps et la pose est maintenue, comme une respiration. Il me semble qu'il y a là un point commun avec ce que l'on peut observer dans le style kathak (qui utilise aussi la musique hindustani). (Il ne s'agit pour l'instant que de conjectures de ma part, cela mériterait d'être approfondi à l'avenir...)
Avant d'interpréter la pièce suivante, Sucheta Chapekar a expliqué que la partie la plus difficile de son travail a été la chorégraphie de pièces de danse pure. Une idée lui est venue en lisant un passage du Natyashastra dans lequel le narrateur fait hommage aux gardiens des huit directions (les quatre points cardinaux et les directions intermédiaires). Elle a ainsi conçu une pièce Aṣṭamaṅgala qui rend hommage à ces huit divinités représentées dans beaucoup de temples hindous. Il s'agit d'une des plus belles merveilles de chorégraphie que j'aie eu le privilège d'observer. Au cours de cette pièce d'un peu moins d'une dizaine de minutes, la danseuse part du centre de la scène et se tourne successivement dans les huit directions en commençant par l'Est (de face). Pour chacun de ces huit gardiens (Ashtadikpala), elle exécute une section de danse pure et conclut cette partie en évoquant brièvement la divinité correspondante. Les divinités ne sont pas faciles à reconnaître puisqu'elles appartiennent peut-être davantage à la religion védique qu'à la religion hindoue qui en a émergé, mais la dernière divinité évoquée est le gardien du nord-est, Īśāna (Shiva), qui est représenté comme danseur.
La démonstration s'est conclue par un magnifique Bhajan du roi Shahaji en Raga Bhairavi. Le dévôt se demande ce qu'il peut offrir à la divinité. Une guirlande de fleurs ? Non, Tu portes déjà des serpents et une guirlande de crânes. Dois-je Te faire une offrande de feu ? Non, car Tu portes le feu dans Ta main. Dois-je danser pour toi ? Non, parce que Tu es le Seigneur de la danse.
De larges extraits de la conférence sont visibles sur la vidéo ci-dessus (je vous conseille de la lire depuis cette adresse puisque le chapitrage y est visible.)
2015-07-23 12:00+0530 (दिल्ली) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XIV
La danse est très présente sur les scènes à Delhi, mais je ne suis pas allé voir beaucoup de spectacles. J'ai vu le meilleur avec Praveen Kumar et le pire avec Bala Devi Chandrashekar.
India International Centre, Delhi — 2015-07-16
Praveen Kumar, bharatanatyam
Je n'ai malheureusement pas pu assister à l'intégralité de ce récital. Arupa Lahiry, avec qui je prends des cours ici à Delhi, m'avait dit qu'il fallait absolument que je voie ce danseur. Le cours que nous avions en fin d'après-midi ne nous a permis que d'assister à la fin de son récital. Nous sommes arrivés à la fin de son Varnam, apparemment centré sur la Déesse ; je n'ai pu véritablement apprécier que son travail sur la danse pure dans la fin de cette pièce principale.
Pour conclure son récital, Praveen Kumar a interprété ensuite deux
pièces d'Abhinaya. Ces deux Padam m'ont semblé très
intéressants dans la mesure où les thèmes narratifs ont été abordé du point
de vue d'un héros, et non pas d'une héroïne. Dans le premier des deux
Padam, il incarnait un homme marié qui était amoureux d'une autre
femme, laquelle le rejetait. Il lui disait qu'elle avait un cœur de pierre
et qu'il allait se rendre à Kashi (Varanasi) pour expier ses péchés. Dans
le deuxième, le thème classique de l'amour maternel de Yashoda pour le
jeune Krishna est traité de façon alternative : c'est son père adoptif
(Nanda) qui lui dit : Ne va pas jouer en dehors de la maison...
. Le
talent de Praveen Kumar pour l'expression des sentiments des personnages
qu'il incarne est exceptionnel. Ses mouvements ont une certaine lenteur,
mais qu'est-ce qu'ils sont habités !
⁂
India International Centre, Delhi — 2015-07-16
Renjith Babu, bharatanatyam
Les 16 et 17 juillet se tenait au India International Centre un festival consacré à des danseurs masculins. Après Praveen Kumar, c'est Renjith Babu qui est entré en scène (accompagné d'une bande-son, contrairement à Praveen Kumar qui disposait d'un orchestre comportant notamment Subbulakshmi au nattuvangam). Il se produira en octobre au Musée Guimet en duo avec son épouse Vijna. Son programme est entièrement consacré à Shiva. Bien sûr, c'est un grand athlète, plus exactement un yogi (il enseigne le yoga). En vrai, je n'ai pas eu l'impression de voir un robot danser comme j'avais pu en avoir le sentiment sur certaines vidéos. Le haut du corps n'est pas aussi raide que sa formation dans le style Kalakshetra pouvait le laisser augurer. Cependant, les lignes du corps sont loin d'être idéales. Dans ses Tirmanam (mouvements ressemblant un peu à ceux de la nage crawl), la main suit un chemin étrange, comme s'il attrapait une balle sur le côté avant d'aller droit devant. Ce mouvement sur le côté, vraiment choquant vu de face quand le danseur le faisait en vitesse lente, disparaissait heureusement quand la vitesse accélérait.
Ce qui me gêne dans ce spectacle qui a comporté plusieurs pièces, c'est que j'ai eu l'impression de voir toujours la même chose du début à la fin. Il est possible de représenter de très diverses manières Shiva, mais tout m'a semblé monotone. N'ayant pas pris de notes, il m'est absolument impossible d'isoler après coup quelque passage qui se distingue. Les passages de danse pure m'ont certes semblé bien exécutés (le danseur intégrant les redoutables Sharakkau Adavus, ce qui est relativement rare) ; les rythmes m'ont semblés très compliqués, mais je n'ai pas trouvé très passionnant l'agencement des mouvements. Dans la deuxième partie (rapide) du Varnam, la vitesse des mouvements faisait que j'avais davantage l'impression d'assister à une démonstration sportive qu'à de la danse. Ce qui m'a le plus gêné, c'est que je n'ai nullement été ému par les aspects expressifs de sa danse. Que ce soit dans la danse pure ou dans l'expression, j'ai eu le sentiment de voir une juxtaposition un peu forcée d'éléments peu susceptible de m'émouvoir. Ce spectacle n'a pas été particulièrement désagréable à regarder, mais le frissonomètre est désespérément resté à zéro.
Ailleurs : Leela Venkataraman
⁂
India Habitat Centre, Delhi — 2015-07-22
Bala Devi Chandrashekar, bharatanrityam
Tripura: The Divine Feminine
Ce récital est sans doute le plus mauvais récital de danse bharatanatyam auquel j'aie assisté. Je n'y serai pas allé si une autre passionnée de danse indienne de passage à Delhi ne m'y avait invité ; je retiendrai davantage les personnes rencontrées ce soir-là et le restaurant parsi qui suivit plutôt que le récital de Bala Devi Chandrashekar...
Son récital est annoncé comme étant un récital de bharatanrityam. Il s'agit en effet du style introduit par Padma Subramanyam dont elle est une disciple. Le texte des compositions est tiré du Tripura Rahasya. Le thème du programme est celui de Balatripurasundari, la forme suprême de la Déesse. De trop longs discours ont précédé les différentes pièces du programme. Ces annonces étaient assez prétentieuses, l'oratrice ayant dit plusieurs fois que le travail pour chacune des pièces présentées correspondait à celui d'une thèse... La Déesse est sans doute un des thèmes les plus subtils de toute la mythologie hindoue, mais si l'on se fie au résultat observé, affirmer cela revient à déconsidérer très fortement les diplômes de doctorat ou de master.
La musique enregistrée de récitation d'un Shloka qui a retenti était beaucoup trop forte. Le son a heureusement été un peu baissé.
La danseuse a interprété une premièce pièce qui comportait semble-t-il trois parties, une sur Tripura dont elle a représenté le bindu en forme de Om, le trident (de façon peu convaincante). Plus loin, elle a représenté Amba en tant que mère. Après un Swaram (section accompagnée de notes solfiées), quelques autres noms de la Déesse ont été prononcés, comme Kali, Bhubaneshwari, etc. La Déesse a été représentée portant la conque et le disque.
Dans la pièce suivante Todaya Mangalam accompagnée du son des hautbois indiens et entrecoupée de passages de danse pure, elle continue à évoquer la Déesse qui apporte la connaissance, qui porte le trident et dont la monture est le tigre. S'ensuit un Shloka et un Alarippu hétéroclite en Tala Mallika (j'ai identifié des sections à 3, 5 et 7 temps).
Est intervenu ensuite un Javali en Adi Tala censé représenter les neuf rasas ou émotions classifiées dans l'esthétique indienne.
Une pièce essentiellement de danse pure étrangement présentée comme un dhrupad a suivi. De même que j'ai déjà eu l'occasion de le signaler, je trouve très déplorable que l'on utilise le nom dhrupad pour un type de composition qui n'a rien à voir avec la façon dont le chant dhrupad est représenté sur scène. Le récital s'est conclu avec un Mangalam un peu long...
Ce récital a bien comporté quelques moments plutôt agréables. Les seuls que je retiens sont ceux qui mettent en valeur les mouvements de hanches spécifiques du style de Padma Subramanyam. Pour le reste, cela me semble être le summum de tout ce qu'il ne faut pas faire :
explicationsétaient beaucoup trop longues et complètement incompréhensibles ! (Par exemple, dans le drôle d'Alarippu qui a été présenté, je n'ai pas bien vu le lien annoncé avec les signes du zodiaque et quelques autres éléments, notamment les chakras, qui avaient été péniblement énumérés avant.)
Je trouve très étonnant d'avoir eu à constater dans ce programme des défauts qui seraient immédiatement signalés à des danseurs débutants par tout professeur de bharatanatyam qui se respecte.
2015-07-21 14:00+0530 (दिल्ली) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Dhrupad — Voyage en Inde XIV — Photographies
Je suis arrivé à Delhi il y a un peu plus d'une semaine. Pendant le vol Air India 142, j'ai regardé le film Chennai Express, qui n'est pas trop mauvais. L'aventure commence au moment de monter dans un taxi prépayé pour rejoindre l'appartement où je vais résider dans le quartier de Jangpura. Le chauffeur de taxi ne sait manifestement pas du tout où cela se trouve. Il n'a pas de GPS, mais il passe un certain nombre de coups de fils pour se diriger. Je suis le trajet sur mon téléphone grâce à la carte OpenStreetMap de l'Inde que j'ai téléchargée. Une fois arrivé dans le quartier de Jangpura (qui n'est pas couvert de façon détaillée par OpenStreetMap), j'ai dû utiliser une carte Google Maps que j'avais préalablement téléchargée pour jouer au co-pilote :
Même quand on est arrivé, il n'est pas forcément évident pour tout le monde de savoir qu'on y est :
Quelqu'édile du quartier, Madame Darshana Jatav a en effet fait installer des panneaux indicateurs qui ne sont rédigés qu'en hindi. Dans d'autres rues, la fonction utilitaire a été délaissée au profit de la seule fonction promotionnelle de ces panneaux :
En bas de la partie bleue du panneau, à côté de रोड का
नाम (c'est-à-dire : Nom de la rue
), il n'y a
rien écrit du tout...
Voici la vue depuis le balcon de l'appartement où je loue une chambre et dont je peux aussi profiter du grand salon :
Les deux premières journées ont été très pluvieuses. La rue était inondée. L'année dernière, j'avais dû acheter en urgence des chaussures au retour de Champaner où les précédentes avaient été englouties par la boue. Les lanières de ces sandales que j'avais alors achetées n'ont pas tenu à cause d'une sorte d'effet ventouse qui s'est produit alors que je marchais dans les 10 centimètres d'eau qui recouvraient la rue.
⁂
Le lendemain de mon arrivée, je suis retourné à C.R. Park, non loin du temple du Lotus, pour prendre un premier cours avec Arupa Lahiry, une disciple de Chitra Visweswaran que j'avais eu l'occasion de voir à Paris et avec qui j'avais déjà pris des cours il y a un an. Elle me donne cours dans une petite salle à l'étage de l'association des femmes de l'Est (il s'agit d'un quartier bengali : la zone entière de C. R. Park a été donnée après la Partition de l'Inde à des réfugiés venant du Bengale oriental).
Chaque cours dure environ deux heures. Le cours commence par la pratique des adavus, les mouvements de base de la danse bharatanatyam. Ils sont classés par familles. J'avais déjà appris quatre séries complètes l'année dernière (Tatta, Natta, Marditha, Khudita Metti). Je peux maintenant les exécuter à peu près correctement à une plus grande vitesse. Comme je peux prendre un cours quotidiennement avec elle, j'ai déjà pu voir quelques autres séries entières : Ta tai ta ha (aussi appelés Tatta Kudicchi Metta), Tat tai tam (Shikhara), Tirmanam, Sharakau (à ne pas confondre avec les Sharakal que j'ai vus aussi), Panch Nadai (Tatti Metti), etc. Il y a des différences plus ou moins subtiles avec le style de Sucheta Chapekar que j'apprends. La plus confusogène réside dans l'orientation des mains dans les Tatta Kudicchi Metta : il n'est déjà pas évident de savoir comment les tourner quand on n'en pratique qu'une seule version, mais c'est encore plus perturbant quand il faut en apprendre une deuxième. Parmi les éléments subtilement originaux dans le style de Chitra Visweswaran, j'apprécie les petits mouvements courbes du haut du corps parfois couplés à des accents très marqués sur certaines frappes de pieds.
Je continue à noter ces exercices dans le système de notation du mouvement Benesh que je continue à apprendre (à distance) au Benesh Institute (je me suis inscrit dans le premier module du Certificate in Benesh Movement Notation).
Je souhaitais apprendre une pièce de danse pure, mais Arupa m'a proposé d'apprendre Vishnu Kavuthwam, une pièce qui ne contient que très peu de danse pure. La pose initiale est celle de Vishnu couché sur l'Océan cosmique et s'ensuit une évocation des dix avatars de Vishnu (ou plutôt neuf : Matsya, Kurma, Varaha, Narasimha, Vamana, Parashurama, Rama, Balarama, Krishna). Quelques exploits sont évoqués de façon un tout petit peu plus détaillée dans cette pièce de 4-5 minutes.
La fin du cours est agrémentée de la présence de Ganesh, un percussionniste (mridangam) qui accompagne très régulièrement Arupa. Après la pause-thé suivant mon cours, ils répètent des pièces ou en élaborent d'autres selon l'envie du moment. Je suis parfois resté plusieurs heures pour assister à ce travail et cela m'a procuré beaucoup de plaisir.
⁂
Un jour sur deux environ, je me rends à Mayur Vihar pour prendre un cours de dhrupad avec Pandit Nirmalya Dey. Je continue à travailler le raga qu'il m'avait enseigné l'année dernière (Todi), mais il s'agit maintenant de rentrer plus profondément dans l'Alap, la première partie d'un râga dans laquelle on présente progressivement les notes de la gamme. Il ne me demande pas seulement d'essayer de répéter les phrases qu'il fait (et dans lesquels je perçois davantage de détails qu'il y a un an), mais aussi d'essayer de faire mes propres phrases...
⁂
Dans l'appartement, il arrive qu'il y ait des coupures d'eau à certaines heures, ce qui peut être problématique si cela tombe quand la femme de ménage passe...
La plus grande rue du quartier (Central Road) est celle où la
circulation est la moins fluide. Un grand marché y a lieu le mardi. On y
trouve les choses les plus inattendues. Parmi les autres visions
étonnantes, en rentrant en rickshaw de la station de métro alors qu'il
faisait nuit, je me suis rendu compte que l'homme portait un polo sur
lequel était inscrit Dracula
...
2015-06-19 12:23+0100 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Centre Mandapa — 2015-05-29
Valérie Kanti Fernando, danse bharatanatyam
Harikrishna Kalyanasundaram, chorégraphies
Alarippu (Ragamalika, Khandachapu Tala)
Varnam (Ashtaragamalika, Adi Tala)
Devi Stuthi “Jai Durge” (Raga Kirwani, Tishra-nadai Adi Tala)
Javali “Saramaina Matalanta” (Raga Behag, Rupaka Tala)
Thillana (Raga Sindhu Bhairavi, Adi Tala)
Une amie m'avait fait l'éloge de Valérie Kanti Fernando lorsque je me préparais à passer quelques jours à Chennai fin 2013/début 2014. Disciple de Guru Harikrishna Kalyanasundaram qui enseigne le style de Thanjavur à Mumbai, elle allait passer son arangetram quelques mois plus tard. Je ne l'avais pas rencontrée lors de ce séjour, mais j'avais retenu son nom. Quand j'ai vu qu'elle était programmée au Centre Mandapa, j'ai regardé quelques extraits d'une de ses vidéos et quand je suis arrivé au premier extrait d'Abhinaya, j'ai été transporté en une fraction de secondes dans son univers narratif. J'ai immédiatement arrêté le visionnage en me disant qu'il serait plus intéressant de la voir danser en vrai : je préfère mille fois le spectacle vivant aux vidéos ! En me dirigeant vers le Centre Mandapa, j'avais les plus hautes attentes ; je m'attendais à un récital exceptionnel. Je n'ai pas regretté le voyage ! Cela faisait longtemps que je n'avais pas été autant ému par un récital solo ! Comme je vais tenter de la décrire plus bas, la conception de la danse proposée dans ce récital est parfaitement en phase avec mes attentes en tant que spectateur. J'ai apprécié aussi l'humilité et la sincérité de la danseuse dans sa démarche.
Valérie Kanti Fernando ©Jihane Habachi
La première pièce du récital est un Alarippu. Avant de
l'interpréter, la danseuse s'est prosternée devant la statue de Shiva
située sur le côté de la scène et a salué certaines directions. Sur le
délicieux rythme à cinq temps (Khanda Chapu), la danseuse exécute une
chorégraphie très géométrique. Les types d'expressions qu'utilisera la
danseuse au cours du récital seront très variés. J'apprécie que l'on ne
voie jamais la danseuse, mais toujours le personnage qu'elle incarne ;
quand il n'y a pas de personnage à incarner ou d'émotion à suggérer, j'aime
la façon qu'ont certaines danseuses de proposer un visage neutre, comme un
masque. Dans cet Alarippu, le mot masque
s'applique pour
ainsi dire littéralement. Les yeux étaient les seules parties mobiles du
visage. L'absence de mouvement du reste du visage, comme si la danseuse
portait un masque, mettait davantage en valeur les mouvements d'yeux, qui
m'ont semblé d'une précision et d'une netteté rarement observées ! Au fur
et à mesure que la pièce progresse, le caractère gracieux de la danse se
fait davantage sentir. (Dans sa danse pure, j'apprécie tout
particulièrement son sens du legato : les frappes de pieds sont
précises et acérées, mais quand la musique le permet,
les mouvements de mains remplissent les silences du temps musical.)
Intervient ensuite la pièce principale du récital, le Varnam. Selon certains maîtres de danse (je pense très fortement à Padma Bhushan C. V. Chandrasekhar), la seule chose qu'il devrait être permis de faire dans un Varnam serait d'exalter les sentiments d'une héroïne dans sa relation amoureuse et dévotionnelle avec une divinité. Nonobstant le respect dû aux aînés, je ne suis pas exactement de cet avis. J'ai certes appris à apprécier ces Varnam, mais très peu de danseuses parviennent à maintenir mon attention pendant toute la durée de ces pièces très développées quand elles sont uniquement centrées sur les sentiments de l'héroïne. La plupart des chorégraphies de Varnam intègrent néanmoins quelques digressions narratives (qu'il n'est pas toujours aisé de comprendre...). Certaines s'écartent radicalement de ce schéma. Mon premier grand émerveillement en la matière était venu d'un Varnam de la danseuse Srithika Kasturi Rangan qui mettait en scène des épisodes du Ramayana.
Le Shiva Varnam interprété par la danseuse Valérie Kanti Fernando est résolument narratif. Chacune des quatre sections de la première partie du Varnam représente un épisode mythologique en lien avec Shiva. Ils sont séparés par des passages rythmiques (jati). Le premier de ces jatis est très long et très complexe, mais me semble-t-il de très bon goût ! Les jatis se terminent par une formule rythmique très élaborée, toujours la même, d'une redoutable complexité !
Le premier épisode narratif est tiré du Shiva-Purana. Il s'agit de montrer que Shiva est le Dieu suprême. Shiva se présente sous la forme d'une colonne de lumière. Brahma et Vishnu sont mis au défi : pourront-ils atteindre les extrémités de cette colonne. Ils s'en vont chacun de leur côté (Brahma prenant l'apparence d'un cygne), mais ils n'y parviennent évidemment pas.
Le deuxième épisode est plus abstrait. Il évoque la présence de Shiva sous la forme d'un yogi ou d'un érudit. C'est celui qui apporte la connaissance.
Les troisième et quatrième épisodes m'ont semblé être des merveilles de chorégraphie, de mise en scène et d'interprétation. Le troisième épisode met en scène la vie de Markandeya, un épisode que j'avais déjà vu dansé par Janaki Rangarajan. L'épisode évoque sa naissance et le destin fatal qui est prévu pour lui. Mais l'enfant est un grand dévôt de Shiva et le jour où il est prévu que le dieu de la Mort vienne le prendre, Shiva intervient pour le sauver du lacet qui allait l'étouffer. Le lacet (une sorte de lasso) est l'arme qu'utilise Yama, le dieu de la mort, pour cueillir les vies arrivées à leur terme. Ce passage m'a semblé particulièrement bien interprété. Ceci demande à la danseuse de grandes qualités expressives et une faculté de passer d'un personnage à un autre, des qualités qui doivent être couplées à une subtile mise en espace. Il faut que les spectateurs puissent saisir plus ou moins consciemment quand la danseuse interprète tel ou tel personnage, mais il faut que ce soit fait de façon suffisamment subtile pour que le lorsque la danseuse incarne Markandeya, on ait l'illusion de continuer à voir le terrifiant Yama, et inversement, quand la danseuse incarne Yama, la souffrance de Markandeya doit rester présente dans notre esprit. Quand elles sont interprétées de façon aussi remarquable, ces scènes constituent certainement ce que je préfère voir dans toute la danse bharatanatyam.
Les qualités d'interprète précédemment évoqués ont été encore davantage mises à contribution dans la représentation du quatrième épisode qui est celui du barattage de la mer de lait, un des plus beaux mythes hindous. Dans l'iconographie, il est tellement caractéristique que l'usure du temps ne peut pas l'effacer complètement, comme sur ce temple situé à quelques centaines de mètres au Sud du temple Hoysaleshwara à Halebid :
Barattage de la mer de lait, Temple de Shiva, Halebid
La danseuse a magnifiquement bien interprété cette scène grandiose de la mythologie. Le serpent Vasuki est enroulé autour du mont Mandara. Les dieux et les démons se sont mis de part et d'autre du serpent et tirent pendant de longues années afin d'extraire de la mer de lait l'amrita, la liqueur d'immortalité. Dans un premier temps, c'est un terrible poison qui se répand dans l'univers. Pour éviter la destruction de toute vie, Shiva doit intervenir. Il absorde tout le poison, mais le poison s'arrête au niveau de son cou en lui laissant une marque bleue. C'est ce qui vaut à Shiva le nom de Nilakantha, celui qui a la gorge bleue. (Quand le texte de certains compositions de danse utilisent ce nom, certaines chorégraphies font de très brèves références à l'absorption du poison par Shiva. J'aime ce type de références en général, et à cet épisode en particulier, mais plutôt que de le voir évoqué en un ou deux gestes, je préfère de très loin en voir des représentations très élaborées comme c'était le cas dans ce Shiva Varnam !) Dans la version présentée par la danseuse, il y avait un détail que je ne connaissais pas par mes lectures et que j'ai trouvé intéressant : quand Shiva boit le poison, son épouse Parvati intervient pour bloquer le poison au niveau de son cou.
La transition s'opère ensuite pour la deuxième grande partie du
Varnam. Cela faisait un moment que j'avais intégré par mon
expérience de spectateur la structure en deux grandes parties des
Varnam, mais avant ce récital, je ne l'avais jamais perçue de
façon aussi nette et consciente. Dans cette deuxième partie
Charanam, la musique et la danse se font plus enjouées. Les
jatis ou passages rythmiques ne sont plus accompagnés de syllabes
rythmiques, mais par un véritable chant (n'utilisant pas de texte poétique,
mais le nom des notes chantées). Ces séquences rythmiques s'insèrent
d'autant plus harmonieusement dans la structure mélodique de la musique
qu'ils ne sont plus délimités par les austères formules rythmiques
Dhalang... ginatom
comme dans la première grande partie.
Dans ce flot de musique et de danse, on perçoit l'évocation de Shiva comme Tripurantaka, celui qui a détruit la triple-ville de Tripura. La version du mythe présentée est quelque peu différente de celle que je connais par mes lectures et que par le hasard du calendrier, j'aurai l'occasion d'essayer de pratiquer avec d'autres le week-end suivant lors d'un stage avec la danseuse Sucheta Chapekar qui nous transmettra l'Abhinaya-Pada “Aghatita, Saye, Shivalila” du roi Serfoji II de Thanjavur (1799-1832), lequel met aussi en scène la grandiose scène dans laquelle Shiva détruit le triple-démon Tripurasura. Le texte de cette composition et la chorégraphie montrée par Sucheta Chapekar sont très conformes à l'iconographie :
Shiva Tripurantaka ©Clinton Steeds
Par leur ascèse, les trois démons avaient obtenu les faveurs de Brahma.
Comme tant d'autres démons, ils lui ont demandé l'invincibilité. Ils ont
ensuite conquis les trois mondes et se sont crus invulnérables, mais en
leur accordant ce don, Brahma avait ajouté des clauses en petits
caractères
: ils ne pourraient être détruits que dans des circonstances
invraisemblables ; en particulier, pour pouvoir être détruits, il faudrait
qu'une flèche les atteigne tous les trois en une seule fois ! C'est
évidemment ce qui se produira, et si Shiva aura le premier rôle dans cet
exploit, tous les divinités seront de la partie. Les roues du char de Shiva
sont la Lune et le Soleil. Le cocher est Brahma et les chevaux sont les
quatre Veda, etc. D'une seule flèche, Shiva détruit simultanément la
triple-ville de Tripura.
La version du mythe présentée dans ce Varnam
chorégraphié par Guru Harikrishna Kalyanasundaram est plus
métaphorique. Si j'ai bien suivi, Shiva annihile l'arrogance sans utiliser
la moindre arme. Il ne s'agit pas seulement de l'arrogance des trois démons
Tripurasura, mais aussi de celle de tous les dévôts. Peut-être s'agit-il là
d'une influence de Patanjali auquel la chorégraphie fait allusion un peu
plus loin, ainsi qu'à Vyaghrapada. Ils assistent à la danse Tandava de
Shiva. Certains passages sont particulièrement impressionnants ; sauf
erreur de ma part, c'est dans cette section que l'on verra la danseuse
adopter quelques postures typiques de Shiva exigeant une certaine souplesse
(et qu'Anusha Cherer avait aussi représentées quelques jours
plus tôt). Elle exécute aussi des rotations sur les genoux
, ce
que je n'avais que très rarement vu.
La pièce suivante Jai Durge représente la dévotion à la Déesse sous la nom de Durga sur un rythme utilisant des subdivisions ternaires du cycle à huit temps Adi Tala. La danseuse montre Durga dans certaines postures caractéristiques et il m'a semblé reconnaître une évocation de la mort du démon Shumbha.
Le Varnam et la pièce précédente mettaient en scène des
divinités ou des démons dans des scènes grandioses de la mythologie
indienne. Cela reposait sur une très solide mise en scène et exigeait un
certain travail d'expression du visage. Bien que ces scènes fussent très
élaborées, elles n'exigeaient cependant peut-être pas tout-à-fait le même
travail d'expression, du visage notamment, que celui que l'on peut observer
dans des pièces de pur Abhinaya
, comme certains Padams, Javalis ou
Ashtapadis qui prêtent aux personnages des sentiments bien plus humains...
C'est de cela qu'il s'agira principalement dans le Javali “Saramaina
Matalanta” dû à Swati Tirunal que la danseuse a interprété ensuite. Comme
dans beaucoup de pièces composées par ce poète, il sera question de
Krishna. Près de trois semaines après ce récital, je ne me souviens pas de
beaucoup de détails précis, mais je garde l'impression d'un émerveillement
devant le talent d'interprétation de Valérie Kanti Fernando dans cette
pièce très expressive. Une jeune femme attend son bien-aimé Krishna. Elle
veille, elle allume une bougie. Elle attend toute la nuit et ne sait trop
comment agir quand il arrive enfin... Peut-être lui reproche-t-elle son
inconstance quand la danseuse évoque le son de sa flûte qui enchante le
cœur des bergères (le texte de la composition utilise le nom
Kamakoti
qui prend tout son nom quand on sait que Kama
signifie Amour et koti 1,00,00,000, c'est-à-dire dix millions, en
tout cas beaucoup !). La chorégraphie identifie aussi très clairement
Krishna à Vishnu, puisque seront notamment représentés la conque et le
disque, l'aigle Garuda qui est sa monture, et le serpent Shesha.
Le récital se termine par un Tillana dont la chorégraphie comportait si je me souviens bien ce qui constitue à mon goût la plus belle image de toute l'iconographie indienne : Vishnu couché sur le serpent Shesha.
Un immense bravo et un grand merci à la danseuse pour ce récital !
2015-06-12 13:45+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Centre Mandapa — 2015-05-19
Anusha Cherer, danse bharatanatyam
Shambhu Natanam (Khandachapu Tala)
Ananda Nadamitan Pada (Adi Tala)
Ardhanarishwara Ashtakam (Raga Megh, Adi Tala)
Jaya Durge (Adi Tala)
Shringara Lahari (Adi Tala)
Tillana (Raga Amritavarshini, Adi Tala)
Ce récital de bharatanatyam d'Anusha Cherer que je voyais danser pour la
première fois n'avait pas la forme traditionnelle Margam : cela a
été un récital thématique sur le thème de Shiva & Shakti. Toutes les
pièces du récital ont été consacrées à ces divinités. Aucune des pièces
n'était de danse pure
, mais pourtant la technique a joué un rôle
très important dans la plupart des pièces du récital ; les gestes
signifiants évoquent divers aspects ou attributs des divinités, mais ne
racontent pas véritablement d'histoire. On est davantage dans l'évocation
que dans la narration. Je n'avais malheureusement pas pu assister à un
autre de ses récitals il y a quelques mois qui était centré sur le thème de
Krishna, pour lequel le répertoire de pièces d'Abhinaya est
vaste : dans la mythologie hindoue, le personnage de Krishna apparaît bien
plus terreste ou humain que Shiva... Il existe cependant dans le répertoire
quelques pièces élaborées de pur
Abhinaya mettant en scène
Shiva ; il est par exemple possible de raconter sa rencontre avec Parvati.
Il n'y a pas eu de pièce de ce type dans le récital d'Anusha Cherer. C'est
a priori dommage, mais au final, cela ne m'a pas tant gêné puisque
l'avant-dernière pièce du récital sera émotionnellement aussi passionnante
que bien des pièces élaborées d'Abhinaya. La technique de la
danseuse mise en valeur dans les pièces les plus vives révèle une exquise
association entre un haut du corps élégant et une échelle d'intensité
rarement observée dans les frappes de pieds. J'ai déjà eu l'occasion d'être
presque horrifié par des frappes de pieds uniformément violentes (cf. le
récital d'odissi de Lingaraj Pradhan et Sanjukta Dutta).
Dans son récital, Anusha Cherer a fait au contraire un usage intéressant de
la dynamique, certaines frappes de pieds étant davantage marquées que
d'autres, et ce de façon intéressante dans le contexte de la pièce
interprétée. Le fait de centrer un récital sur un thème donné fait courir
le risque de présenter un propos qui se répète quelque peu au cours du
récital. Malgré le thème commun de Shiva et Shakti pour toutes les pièces,
le récital d'Anusha Cherer a été ainsi construit que je n'ai pas éprouvé de
sentiment de déjà vu pendant le spectacle.
La première pièce du récital est Shambhu Natanam chorégraphié
par Vidhya Subramanian ; celle-ci l'avait d'ailleurs interprétée lors de ses récitals aux Musée Guimet.
Le rythme à cinq temps est très marqué dans cette pièce, les pieds répétant
souvent les pas correspondant aux syllabes ta-ka-ta-ki-ta
. J'ai été
étonné par une partie du texte de présentation décrivant Shiva comme
destructeur des trois mondes
: la chorégraphie et le texte le
décrivent semble-t-il davantage en destructeur de la triple ville de
Tripura.
La pièce suivante évoque joyeusement Shiva. Comme dans la pièce précédente, les mouvements du haut du corps sont très souvent accompagnées de frappes de pieds Tattu Muttu utilisant cette fois-ci quatre subdivisions plutôt que cinq. Shiva est représenté en yogi, avec sa chevelure et sa peau de tigre. On le voit aussi écraser le démon de l'ignorance Apasmara. Le chant de son épouse Parvati est comparé à celui d'un oiseau. Dans le détail de la chorégraphie, j'ai particulièrement apprécié un très élégant rond de jambe à terre se terminant en pirouette. La pièce s'est terminée sur une pose exigeant une certaine souplesse. Dans une des pièces du récital, je ne sais plus si c'est celle-ci ou une autre, la danseuse a adopté une autre pose caractéristique de Shiva qui est rarement représentée : la danseuse se tient droite, la jambe gauche est tendue vers le côté (opposé) et elle attrape son pied avec sa main. Je n'avais vu cette prouesse que deux fois avant ce récital. (Les circonstances ont fait que j'ai eu dans les jours qui suivirent ce récital d'autres occasions d'observer, voir de tenter d'adopter cette position...)
Anusha Cherer ©Gaëlle Devulder
La pièce suivante Ardhanarishwara Ashtakam a été chorégraphiée par Rama Vaidyanathan. L'introduction de l'enregistrement musical de cette pièce est une des plus belles musiques qu'il m'ait été donné d'entendre lors d'un récital de danse. Il s'agit d'un duo de flûtes. La pièce dansée met ensuite en scène un duo de personnages, Shiva et Parvati, et la danseuse passe élégamment d'un personnage à l'autre. La danse de Shiva est accompagnées d'onomatopées tandis que les sons les plus mélodieux accompagnent celle de Parvati. Ils sont unis, mais différents. Parvati porte de la poudre rouge sur le front tandis que celui de Shiva est recouvert de cendres. Le sourire de Parvati contraste avec le regard foudroyant de Shiva. L'un est le lingam, l'autre est le yoni. La pièce comporte des moments de danse extrêmement vifs !
Vient ensuite Jaya Durge (chorégraphie de Vidhya Subramanian), une pièce en Adi Tala (8 temps) mais ayant comporté une introduction rythmique en Khanda Chapu (5 temps). La pièce représente Durga comme victorieuse de Mahishasura et de Shumbha. Elle identifiée à la connaissance symbolisée par les quatre Veda. La chorégraphie évoque les armes qu'elle porte à ses huit bras. Le caractère dévotionnel de cette composition est représenté par de joyeux rites d'adoration. La pièce se termine sur une pose caractéristique de la Déesse portant le trident, un des pieds montant à la hauteur de l'autre genou (retiré).
Dans les pièces précédentes, la danseuse a fait preuve de très belles qualités d'interprétation dans des chorégraphies aux rythmes très vifs. Cependant, en général, ce ne sont pas ces pièces-là qui m'impressionnent le plus. La pièce qui va suivre et chorégraphiée par U. S. Krishna Rao n'est pas exactement une pièce de pur Abhinaya comme le sont la plupart des Padam et les Ashtapadi. Le rythme est en effet très important dans cette pièce Shringara Lahari (Adi Tala). Néanmoins, le tempo est lent et la musique méditative créée une atmosphère propice à l'exaltation des sentiments qui lient Parvati à Shiva. Cette magnifique pièce a été à mon goût la plus émouvante du récital. Parmi les détails de la chorégraphie, je retiens le chant de Parvati qui a séduit Shiva, son visage en forme de Lune et la comparaison entre ses cheveux et un essaim d'abeilles.
Le récital s'est conclut par un Tillana en Adi Tala et Raga
Amritavarshini, celui-là même qu'avait interprété Vidhya Subramanian au Musée Guimet. Le texte et la
chorégraphie évoquent Muruga, le fils au beau visage de Shiva et Shakti. En
me relisant, je constate que je ne l'avais déjà pas trop mal compris au
premier visionnage :-)
mais cette fois-ci cela m'a semblé
absolument limpide. La monture de Muruga est le paon, et ainsi la danse
d'Anusha Cherer se métamorphose en celle d'un paon dans la fin de la pièce.
Ce passage-là était absolument irrésistible !
2015-06-10 15:35+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Centre Mandapa — 2015-05-16
Sreyashi Dey, Ishika & Kritika Rajan, danse odissi
Navadurga
Gitagovinda
Bilahari Pallavi
Mokshya
Il me semble que tous les interprètes d'odissi ou presque que j'avais vu jusqu'à ce récital appartenaient à la lignée du guru Kelucharan Mohapatra. La diversité de styles ou d'écoles qui existent dans d'autres danses classiques de l'Inde est beaucoup moins visible dans la danse odissi. Il était donc particulièrement intéressant pour moi de voir ce récital de Sreyashi Dey qui est une disciple de Guru Gangadhar Pradhan. Elle était accompagnée pour ce spectacle par ses deux filles jumelles Ishika & Kritika Rajan.
La première pièce est Navadurga : il s'agit de présenter neuf aspects de la Déesse. Je retiens surtout la forme guerrière de la Déesse soulignée par la mise en scène. La Déesse est interprétée par la mère tandis que les deux filles jumelles de Sreyashi Dey interprètent les deux démons Shumbha et Nishumbha qui sont vaincus par la Déesse. Plus loin, quand elle est présentée sous le nom de Mahishasuramardini, une des jumelles représente le tigre qui sert de monture à Durga quand elle tue Mahishasura.
Sreyashi Dey interprète ensuite une longue séquence d'Abhinaya
intitulée tout simplement Gita-Govinda
. Il ne s'agira pas de
représenter un seul Ashtapadi de cette œuvre qui en compte
vingt-quatre, mais d'en interpréter huit extraits ! C'est la première
fois que je vois ça ! Il y a là une énorme différence de conception de
l'Abhinaya entre l'école de cette interprète et toutes les autres que
j'ai pu voir, que ce soit en odissi ou en bharatanatyam. Habituellement,
une seule (ou éventuellement deux) chansons extraites du
Gita-Govinda peuvent être interprétées et chacune est très
élaborée, s'étendant sur une bonne dizaine de minutes, et les
répétitions du texte permettent à l'interprète d'élaborer et d'exalter
les sentiments de Radha. Dans ce récital, à part le refrain
,
chaque ligne du texte des chansons n'a été me semble-t-il été prononcée
qu'une seule fois. Si je n'ai pas été autant ému que par d'autres
interprétations, notamment quand la danseuse a dansé Sakhi He,
j'ai apprécié son style gracieux et élégant. L'interprétation, forcément
plus littérale du fait de l'absence de répétitions, m'a semblé très
lisible. Cependant, j'ai davantage eu le sentiment que l'interprète
racontait une histoire plus qu'elle ne l'incarnait.
Les deux filles Ishika & Kritika interprètent ensuite en duo un Pallavi en Raga Bilahari dont je me surprends à reconnaître la gamme ascendante ressemble beaucoup à celle du Raga Bhupali (hindustani). Il s'agit d'une pièce de danse pure dont la difficulté technique augmente progressivement jusqu'à devenir un déluge de virtuosité !
Ce beau récital se conclut par Mokshya, une pièce dans laquelle, si j'ai bien entendu le texte, Sreyashi Dey invoque successivement Agni (le Feu), Vayu (le vent), Surya (le Soleil), Chandra (la Lune) et Prithivi (la Terre) avant de retourner au son primordial Om.
2015-05-18 15:48+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Centre Mandapa — 2015-05-07
Jyotika Rao, danse bharatanatyam, chorégraphie du Jatiswaram et du Tarana
Sucheta Chapekar, chorégraphies
Isabelle Bayard, mise en scène
Mallari (Raga Hamsadhwani, Mishra Tala)
Vinayak Dharu (Raga Hamsadhwani, Rupaka Tala)
Jatiswaram (Raga Bhairavi, Rupaka Tala)
Shiva Kautukam (Chatushra Ekam Tala)
Jakkini Dharu (Shankara Bharanam, Adi Tala)
Kone Kavada (Raga Kafi, Adi Tala)
Tarana (Raga Kedar, 8 temps)
Bhajan “Vishweswara Dharashana Kara” (Raga Sindhu Bhairavi, Rupaka Tala)
Hasard du calendier, il y avait en ce soir du 7 mai deux récitals intéressants de bharatanatyam programmés à Paris : Lavanya Ananth et Jyotika Rao. J'avais déjà eu de nombreuses occasions de voir Lavanya Ananth en récital (au Centre Mandapa, au Musée Guimet et au Bharatiya Vidya Bhavan) et lors du week-end du 8 mai j'ai participé à son stage de bharatanatyam dans lequel elle nous a transmis sa chorégraphie du Chidambaram Natesha Kavuthvam ; j'ai donc préféré aller voir ma prof Jyotika Rao au Centre Mandapa et je ne l'ai pas regretté. Ce récital n'a pas comporté de Varnam et je trouve dommage qu'il n'y ait eu qu'une seule pièce d'Abhinaya, mais ce récital a constitué une belle plongée dans le style de son guru Sucheta Chapekar et la mise en scène a été particulièrement originale ! Il faut signaler aussi que par rapport au récital précédent qu'elle avait donné au Centre Mandapa, le programme a été pour ainsi dire entièrement renouvelé. (Il va sans dire que je serai sans doute moins objectif dans ce billet que je ne pourrais l'être habituellement.)
L'aspect le plus étonnant de ce récital se trouve dans la mise en scène du spectacle. Au lieu de l'alternance habituelle entre l'introduction des pièces et les danses elles-mêmes, les pièces s'enchaînent ici continuellement. La danseuse reste en permanence en scène et les brèves présentations des pièces ne sont pas des parenthèses mais font partie du spectacle. Cette atmosphère s'est instaurée dès son entrée en scène dans le silence, suivie d'une salutation aux quatre directions diagonales avant l'interprétation de la première pièce Mallari. Comme pour un certain nombre d'autres pièces dansées au cours de ce récital, je connais la musique pour ainsi dire par cœur, soit parce que j'ai appris ces pièces, soit parce que j'ai vu d'autres élèves les danser ou les répéter. C'est le cas dans la pièce Vinayak Dharu, dont la première ligne de texte est Santosh Nritya Kari. Cette pièce développée comportant quatre séquences rythmiques utilisant des onomatopées évoque la danse de Ganesh. La première partie de la chorégraphie que j'ai apprise évoque notamment sa trompe, ses oreilles et sa défense cassée. Dans la suite, je découvre semble-t-il le miel qui s'écoule de ses tempes au clair de Lune et sur lequel les abeilles se ruent. Plus loin, on verra aussi sa ceinture en forme de serpent et la souris, sa délicieuse monture.
Après le Jatiswaram qui est une pièce de danse pure, le récital s'est poursuivi avec un ensemble de pièces dédiées à Shiva. Tout d'abord un Shloka enchaîné avec un Shiva Kautukam en marathi qui a été magnifiquement interprété ; la composition musicale porte la signature d'un des rois marathes de Thanjavur. Le Shloka évoque le contexte de la danse de Shiva pour laquelle les divinités et diverses créatures célestes se sont rassemblées et qu'elles accompagnent de leurs instruments de musique. Dans la pièce vive qu'est le Shiva Kautukam proprement dit, les quelques lignes de textes mettent en scène un dialogue dans lequel un dévôt de Shiva tente de convaincre son interlocuteur de la grandeur de Shiva. Cette pièce s'enchaîne avec Jakkini Dharu qui est un poème comportant quelques séquences rythmiques et qui évoque certains attributs de Shiva, comme son collier de crânes, son tambour Damaru, les cendres, la rivière Ganga, etc. Il m'a aussi semblé reconnaître une référence à son nom de Nilakantha lié à son rôle dans le barattage de la mer de lait.
Après cet enchaînement de pièces assez rythmées, l'unique pièce d'Abhinaya proprement dit est intervenue. Elle représente un malentendu entre deux personnages. La mise en scène joue de ce malentendu et la description des détails des situations montrées dans la chorégraphie ne sera donnée espièglement qu'à la fin de la pièce, et non pas au début ! N'ayant pas eu le temps de lire préalablement la feuille de programme, j'ai dû regarder le début de la pièce sans même savoir de quels personnages il allait s'agir. Certains mots dans le texte que j'entendais dans le texte me faisaient penser à Krishna. L'atmosphère joyeuse et résolument humaine de la situation allaient aussi dans ce sens. Une combinaison de gestes de mains suggérant que le personnage conduisait un bovin pouvait continuer à me le laisser croire, mais je me disais que cela pouvait aussi être Shiva. J'ai donc regardé le début de cette pièce sans trop savoir s'il était question d'un malentendu entre Krishna et une des gopis ou si c'étaient Shiva et Parvati qui étaient représentés. Assez rapidement, le doute ne fut plus permis et je compris que l'héroïne était Parvati, laquelle avait enfermé Shiva hors de sa maison pour plaisanter. Celui-ci venait plaider sa cause en lui rappelant ses divers exploits, mais en déformant ses propos elle faisant semblant de ne pas le reconnaître. J'ai rarement été aussi ravi de ne pas très bien saisir le sens d'une pièce d'Abhinaya...
Les deux pièces proposées en conclusion du récital sont une alternative au Tillana qui conclut habituellement les récitals de bharatanatyam. Le style Nrityaganga qu'a développé Sucheta Chapekar utilise la musique hindustani. L'équivalent du Tillana de la musique carnatique est le Tarana, mais ce dernier n'est constitué que d'onomatopées (comme l'est en général la première partie d'un Tillana). Le Tarana est donc une pièce de danse pure évocant la joie. La seconde partie (textuelle) du Tillana est ici remplacée par une autre composition musicale. Lors de ce récital, ce fut un Bhajan en l'honneur de Shiva. J'ai été ravi de voir des allusions à Vishnu dans la chorégraphie et dans le texte, sous le nom de Padmanabha.
2015-04-22 23:25+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
J'assiste à des récitals de danses indiennes depuis presque dix ans, et
ce qui m'a toujours intéressé principalement, ce sont les pièces narratives
ou évocatrices d'une divinité : ces pièces-là sont d'un abord difficile
pour les spectateurs (y compris en Inde), mais elles peuvent être
bouleversantes, et c'est cela avant tout que je cherche en tant que
spectateur de danse (ou rasika). Cependant, le travail sur
l'incarnation de personnages et l'expression d'émotions ou de sentiments
(Abhinaya), s'il est le plus important pour moi, n'est qu'un des
aspects des danses indiennes. Une grande partie du répertoire est en effet
constituée de pièces ou de passages dits de danse pure
(nritta), lesquels ne visent essentiellement qu'à une certaine
beauté du geste. Si ces pièces peuvent m'être agréables, elles me
passionnent en général moins...
Cependant, parmi les chorégraphes dont j'ai eu l'occasion de voir le travail, les pièces chorégraphiées par Muthuswamy Pillai et son fils Kuthalam M. Selvam sont pour moi une exception. Ils ont développé un style propre extrêmement original et inventif à l'intérieur du bharatanatyam. J'ai déjà eu l'occasion de m'en émerveiller ici lors que j'ai vu Mallika Thalak ou Nancy Boissel, mais ce n'est que plus récemment, avec le recul permis par la confrontation en tant que spectateur avec des styles très variés, que j'ai pu véritablement mesurer à quel point ce style de danse pure était exceptionnel, lors d'un récital d'Ofra Hoffman, qui tout comme Mallika Thalak et Nancy Boissel est une disciple de Selvam.
La plupart des chorégraphies de danse pure que j'ai pu observer ou pratiquer s'appuyent sur une grammaire donnée par des petits enchaînements (adavus). Découpés, altérés et convenablement agencés, ils forment en quelque sorte la grammaire des pièces de danse pure. Si chaque école de bharatanatyam dispose de sa propre grammaire, une certaine façon d'exécuter tel ou tel type de mouvement, de nombreux points communs peuvent être observés. J'ignore dans quelle mesure leur style s'appuie également sur un système d'adavus, mais Muthuswamy Pillai et son fils Selvam ont intégré à leur style de danse des éléments qui, s'ils font indubitablement partie du bharatanatyam, ne sont pas autant développés dans les autres écoles.
Ainsi, dans leur style, j'apprécie particulèrement la présence de dégagés. En général, la jambe est tendue sur le côté, et contrairement à ce que l'on voit le plus souvent dans le bharatanatyam, ce n'est pas le talon qui touche le sol mais la pointe du pied (comme dans la danse classique européenne). Les dégagés sont exécutés en fondu, c'est-à-dire que la jambe d'appui est fléchie. Le mouvement est élégamment agrémenté d'une courbure du torse, ce qui donne au corps, vu de face, une sorte de forme en spirale. Un autre élément caractéristique est la présence de retirés. Contrairement, à la danse classique où cela est fait debout, l'interprète est ici en demi-plié sur une jambe où l'autre pied vient se poser au niveau du genou.
Dans leur style, certains adavus sont exécutés en mettant l'accent sur le mouvement d'une seule main. J'ai parfois senti une certaine parenté avec des adavus standards qui en principe utilisent les deux mains : les mouvements d'une main sont repris tandis que l'autre main reste immobile, sur le côté. Ceci donne peut-être un côté rustique ou rugueux à ces chorégraphies, mais pour compenser ce fait-là, il y a un remarquable travail chorégraphique pour que les enchaînements se suivent harmonieusement, et surtout, ces chorégraphes n'ont pas peur de la lenteur pour mettre en valeur le caractère gracieux des mouvements de bras, pour entrer dans le mouvement de la même façon que le style de musique dhrupad permet de rentrer dans le son... J'avais été particulièrement ému par cette magnifique lenteur en voyant le Jatiswaram en Ragamallika et Misra Chapu Tala dansé par Revanta Sarabhai dont la professeure avait appris cette chorégraphie auprès de Muthuswamy Pillai. Cette relative lenteur permet aussi de se concentrer sur le mouvement d'une seule main pendant d'assez longues séquences : ceci produit quelques moments de poésie (comme vers 2'15" sur cette vidéo de Mallika Thalak dans un Alarippu à sept temps).
Espace Jemmapes — 2015-04-15
Kalpana Métayer et ses élèves Alessandra, Fanny, Iran, Morgane, bharatanatyam
Mallari (Raga Gambheera Natai, Tala Tisra Triputa)
Shloka “Guru Brahma”
Natesha Kautwam (Raga Hamsadwani, Eka Talam)
Jatiswaram (Raga Vasanta, Rupaka Talam)
Natanam Adinar (Raga Vasanta, Ata Talam)
Padam “Sogasu” (Raga Sahana, Misra Chapu Talam)
Kirtana (Raga Karaharapriya, Adi Talam)
Javali “Marubari” (Raga Kamas, Adi Talam)
Padam “Eppadi manam” (Raga Huseni, Misra Chapu Talam/Raga Ananda Bhairavi et Sahana)
Tillana ‟Dhrupad” (Raga Purvi, Rupaka Talam)
Venons-en au spectacle de Kalpana (disciple de Muthuswamy Pillai) et de
ses élèves les plus avancées (certaines ont aussi pratiqué directement
auprès de Kuthalam M. Selvam). J'ai déjà fait ci-dessus l'éloge des
chorégraphes. Les interprètes méritent aussi quelqu'éloge, puisque comme
je le détaillerai ci-dessous, certaines pièces ont été exceptionnellement
bien dansées. L'ensemble du spectacle a été à mon avis d'un niveau que l'on
ne voit pas toujours dans certains récitals de danseuses très connues, y
compris parmi celles qui sont réputées pour leur Abhinaya. Il faut
bien sûr également louer le travail de leur professeur Kalpana qui a su les
porter à ce niveau et qui, il faut le signaler aussi, a réalisé un
important travail de mise en espace. Beaucoup des pièces présentées au
cours du programme mettaient ainsi en scène plusieurs danseuses. Plutôt que
les interprètes fassent de la danse synchronisée
en rang d'Oignon
comme on le voit malheureusement parfois, il est plus intéressant de
travailler sur le placement, insérer des silences
: une danseuse
reste immobile pendant que l'autre se déplace. Par rapport à la quantité de
travail fournie pour apprendre une chorégraphie, le surcoût est
relativement marginal, et au-delà de la beauté esthétique des
configurations qui en peuvent résulter pour les spectateurs, il y a plein
de bonnes raisons de procéder ainsi. D'une part, c'est amusant à faire et
crée une complicité entre les interprètes ; d'autre part, cela permet
de développer le travail sur le rythme (si on doit rester immobile pendant
un cycle rythmique et demi, il faut savoir être attentif à la musique et
aux autres, comme dans un orchestre).
Le programme très étoffé a commencé par Mallari (chorégraphie de Kalpana). Elle avait déjà utilisé cette introduction (ou au moins une introduction semblable) au début de son programme lors du Festival “Mouvements émouvants”. Je retrouve d'étonnants ronds de jambes associés à une offrande de fleurs tandis que dans une délicieuse lenteur, la danseuse évoque Shiva en tant que danseur cosmique. Il porte une peau nouée à la taille, le tambour Damaru et se tient sur le buffle Nandi. De façon intéressante, la musique comporte des passages dans lesquels les temps ne sont plus subdivisés en deux ou quatre, mais en trois.
Iran, Morgane, Kalpana, Fanny et Alessandra dans Guru Brahma ©Pierre Fabris
Kalpana et ses quatre élèves interprètent ensuite Guru Brahma, un shloka très connu qui compare le guru aux trois dieux de la trinité hindoue (Brahma, Vishnu, Shiva) et même au Brahman (l'absolu). La présence de plusieurs danseuses permet d'évoquer simultanément plusieurs aspects des divinités. Ainsi, ci-dessus, il est représenté au premier plan, de gauche à droite, comme le danseur cosmique Nataraja, en Yogi et en guerrier. La pièce se conclut par la représentation de rites dévotionnels, comme l'offrande de fleurs.
La pièce suivante Natesha Kautwam est une pièce vive interprétée par Morgane et Fanny qui exécutent les mouvements de deux chorégraphies différentes dues respectivement à Muthuswamy Pillai et Selvam, et réorchestrées par Kalpana. Cette pièce contient un certain nombre d'éléments stylistiques parmi ceux décrits ci-dessus. Dans la chorégraphie interprétée par Fanny, on voit aussi d'impressionnants grands battements comme je n'en avais vu jusqu'à présent que dans la danse classique européenne, le pied se levant parfois jusqu'à la hauteur des épaules. Sur le fond, la pièce évoque Shiva armé du trident qui détruit les démons. Sa monture est Nandi, il porte le croissant de Lune, le tambour Damaru, le cordon sacré. C'est aussi un yogi au regard foudroyant...
Iran et Fanny dans Jatiswaram ©Pierre Fabris
Un des deux très grands moments de la soirée (et plus généralement de mon expérience de spectateur de bharatanatyam) est intervenu lorsque Fanny et Iran ont interprété un Jatiswaram, une pièce de danse pure dans laquelle le texte de la musique est constitué du nom des notes chantées. Les chorégraphies de Muthuswamy Pillai et Selvam sont génialissimes pour toutes les raisons que j'ai esquissées en préambule et elles sont magnifiquement interprétées par les deux superbes danseuses ! Dans la partie de Fanny, j'ai parfois remarqué une posture très proche de la position Tribhang du style odissi : le fait qu'un des pieds soit sur en demi-pointe sur le cou-de-pied crée une dissymétrie qui se propage vers le haut du corps, ainsi les hanches se penchent d'un côté, tandis que le torse se courbe dans l'autre sens.
La pièce suivante Natanam Adinar (chorégraphiée par
Muthuswamy Pillai) fait quelque peu double emploi avec le Natesha
Kautwam dansé précédemment. Il s'agit aussi d'une pièce sur Shiva
comportant des passages de danse extrêmement vive accompagnée
d'onomatopées qui me font penser à la forme du Kautwam. Cette
pièce dansée par Morgane est précédée d'un Shloka (ou plutôt
d'un Viruttam puisqu'il était semble-t-il chanté en tamoul et
non pas en sanskrit). Il m'a semblé distinguer ce qui aurait pu être une
élaboration autour du thème du regard de Shiva qui réduit en cendres un
archer (Kama), mais en lisant après coup le texte du poème, il
m'apparaît que cela illustrait plutôt la phrase Tes sourcils sont
dessinés comme des arcs...
. (C'était bien une histoire entre un œil
et un arc, mais pas tout à fait la même...) D'autres détails sont
évoquées dans la chorégraphie, comme sa bouche, sa chevelure ou les
cendres qu'il s'est appliqué sur le corps et le front. Quand la musique
s'est faite rythmique et que la composition Natanam Adinar
proprement dire a commencé, la danseuse a évoqué des prières adressées à
Shiva. Son tambour Damaru est représenté, mais l'image la plus marquante
est celle de Shiva dans sa pose de danseur cosmique qui revenait comme
un refrain. Cette pose apparaît très fréquemment dans la danse
bharatanatyam, mais il est beaucoup plus rare que soient représentées en
même temps quelques frappes du pied droit qui font trembler l'Univers
(et qui écrasent la tête d'Apasmara, le démon de l'ignorance). Rien que
pour cela, je suis content d'être venu. Le reste de la pièce évoquait le
temple de Chidambaram (ou réside précisément Shiva dans cette forme
appelée Nataraja). Je n'ai pas (encore) visité ce temple, mais il m'a
semblé que la danse faisait référence à des sculptures d'Apsaras, des
danseuses célestes. Plus loin, Shiva est représenté avec sa chevelure
d'où s'écoule la rivière Ganga et il est aussi associé à des
serpents.
La pièce suivante a été des deux grands points culminants de ce
récital. Le superbe Jatiswaram était un sommet de danse pure ;
le Padam Sogasu (chorégraphié par Sangeeta Isvaran) dansé par
Fanny Wiard m'a semblé une merveille dans l'art de l'Abhinaya.
L'héroïne est mariée. Son mari l'appelle, mais elle veut s'unir avec
Krishna, le bouvier à la flûte (Venugopala
comme il est dit dans
le texte du poème), celui avec lequel, malgré son mariage avec un autre,
elle se considère comme unie depuis son enfance (laquelle est évoquée
par le nombre des années qu'elle avait à l'époque et aussi par un jeu de
balle avec ses amies). Peut-être avait-elle secrètement noué ce lien
alors qu'elle regardait fixement une image de Krishna ? Cet amour peut
être assimilé à une forme de dévotion et comme souvent dans la danse
bharatanatyam, les amants sont séparés. L'héroïne compare la situation à
celle du Soleil et d'une fleur de lotus. Ils sont très distants l'un de
l'autre, mais ils sont inséparables : bien que lointaine, c'est la
lumière du Soleil qui permet à la fleur de s'épanouir. Elle le cherche.
Elle entend le son de sa flûte. Elle croit le voir dans les pluies de la
mousson. Elle veut s'unir à Lui, mais il n'est pas là. Rappelée à son
triste sort par son mari, elle ne sait quel parti choisir, mais elle se
tourne espièglement vers Krishna dont elle dérobe la plume de paon !
Bravo et merci à la danseuse pour toutes ces émotions !
La chorégraphie suivante (de Muthuswamy Pillai) dansée par Iran et
Morgane est un Kirtana évoquant délicieusement Murugan.
Choréographiquement, il s'agit d'une forme intermédiaire entre la danse
pure (du Jatiswaram par exemple) et le pur Abhinaya du
Padam précédent. Des pas complexes sont associés à des mouvements
expressifs du haut du corps. Dans sa conférence lors du Festival “Mouvements émouvants”, Tiziana Leucci évoquait la
notion de danseuse orchestre
, le côté rythmique étant assuré par la
moitié basse du corps tandis que la moitié haute est associée à la mélodie.
Certaines pièces mettent en valeur l'un ou l'autre de ces aspects, ou les
deux alternativement dans des sections bien délimitées, mais dans cette
pièce-ci, si ces deux aspects ont parfois été présentés séparément, ils ont
souvent paru simultanément. C'est particulièrement difficile à faire, mais
les deux interprètes étaient très convaincantes, y compris dans la
situation la plus extrême des Tattu Muttu dans lesquels les pieds
répètent inlassablement la même suite de frappes très rapides tandis que le
haut du corps exprime le sens du poème, souvent en forme de récapitulation
avant d'enchaîner sur une autre section. Il était donc question de Murugan,
de sa naissance extraordinaire à sa vieillesse. La tonalité de la pièce est
résolument la dérision. Le poème moque joyeusement le folâtre Murugan ainsi
que d'autres divinités. Murugan est le fils de la coquette Parvati qui l'a
conçu en serrant dans ses bras six lotus. Le résultat est qu'il a six
têtes. Je ne sais plus très bien quel sens cela avait dans le contexte,
mais la chorégraphie a fait référence à Vishnu (portant la conque et le
disque, et reconnaissable au mudra Tripataka) ; sous la forme de Krishna,
il est représenté en bouvier qui conduit le troupeau. Le poème se moque
aussi de Shiva, le père de Murugan, qui apparaissait en mendiant. La
chorégraphie fait référence également à Ganesh, le frère de Murugan qui est
non seulement le dieu de la guerre, mais aussi un sage dans sa vieillesse
(délicieusement représentée par Iran). Après une très belle section de danse
pure dont le texte est constituée du nom des notes (Swaram), cette
pièce de danse se conclut dans la joie.
La pièce suivante est le Javali Marubari chorégraphié par
Kalanidhi Narayanan et dansé par Iran. J'avais déjà vu cette magnifique
danseuse interpréter cette pièce un an auparavant, et c'est un réel de la
plaisir de la (re)voir dans une aussi belle pièce d'Abhinaya.
L'interprétation est peut-être un peu moins polissonne qu'il y a un an,
mais le ton reste résolument espiègle. C'est le printemps, suggéré par le
butinement des abeilles, qui invite aux amours toutes les créatures, les
oiseaux notamment. Une jeune femme est frappée par les cinq flèches de
l'archer Kama, le dieu de l'Amour qui attaque ses sens. Elle ne peut boire
le lait qui lui brûle les lèvres. Sa peau est ardente. Elle est prise d'une
joyeuse ivresse. Elle dit en substance à son amoureux : Cesse de te
jouer de moi. Viens, beau jeune homme. Faut-il que je te supplie ?
. La
pièce se conclut par un échange de regards passionné.
Kalpana a ensuite interprété le Padam Eppadi manam qu'elle avait déjà dansé lors du Festival “Mouvements émouvants”. Certains détails d'interprétation qui m'avaient semblé légèrement confus m'ont paru cette fois-ci plus clairs, cependant, bien qu'il s'agisse d'une pièce chorégraphiée par la très respectée Kalanidhi Narayanan, je n'aime pas la façon dont cette scène du Ramayana est évoquée dans ce poème et dans la danse. Même si l'interprétation était très convaincante dans l'esprit de ce poème, je n'y reconnais pas le personnage de Sita. Pour moi, ce n'est pas une pleurnicharde : elle réagit de façon bien plus forte à l'annonce de l'exil de Rama en forêt. Je ne l'ai reconnue qu'à la toute fin de la pièce quand on comprend qu'elle décide de suivre Rama dans la forêt. Ce détail apparaissant dans les toutes dernières secondes m'avait échappé la première fois ; j'y ai été très sensible cette fois-ci.
Ce magnifique récital s'est conclu par un Tillana que Kalpana a chorégraphié et fait répéter à ses élèves les plus avancées au cours des derniers mois. La structure musicale est tout à fait inhabituelle pour un Tillana. La pièce commence en effet par des notes solfiées, c'est-à-dire que la chanteuse prononce le nom des notes de la mélodie (que l'on peut entendre sur cette vidéo). Cette mélodie est très sommaire, puisqu'elle est quasiment entièrement basée sur les gammes ascendantes et descendantes du Raga Purvi : sur le moment, cela m'a fait penser à des exercices de Sargam que je pratique dans le style dhrupad, qui servent à se familiariser avec un Raga et qui comme les enchaînements ou adavus de la danse bharatanatyam peuvent être pratiqués à diverses vitesses. On entendra plus loin un texte ayant un sens, et me semble-t-il aussi des onomatopées. Le titre Dhrupad n'était pas présent sur la feuille de programme et il n'a pas été non plus prononcé lors des annonces. Cependant, Kalpana l'a indiqué en légende lorsqu'elle en a partagé une photographie, ce qui m'a intrigué. Elle aurait sans doute produit ce texte même si je n'avais pas posé la question, mais il est intéressant de lire sa réponse qui donne par ailleurs des indications sur le processus de création. Si je souscris pleinement à l'idée que le style de musique dhrupad est une recherche du son (dans la pratique matinale du Kharaj ou dans l'introduction mélodique improvisée appelée Alap) et si les exercices de Sargam basés sur la gamme font partie de l'apprentissage du chant ou de l'instrument, ils n'ont absolument pas vocation à être présentés en concert ! Les auditeurs qui auraient apprécié cette musique doivent savoir que ce n'est pas cela du tout ce qu'ils entendront s'ils vont assister à un concert de dhrupad...
Le Tillana de la musique carnatique a des cousins dans la
musique hindustani sous le nom de Tarana. Ces derniers ont
d'ailleurs été utilisés par Sucheta Chapekar dans le style bharatanatyam.
J'ignore de quelle tradition musicale vient la composition utilisée dans le
Tillana de Kalpana, mais comme elle le souligne dans son texte, il
est effectivement intéressant qu'il ne soit pas dédié à une divinité, mais
tout simplement à la musique. (Dans le style dhrupad, outre des
compositions en l'honneur de divinités, je connais au moins deux
compositions qui sont dédiées à la musique, un Tivratal en Raga Jog et un
Chautal en Raga Todi ; j'en connais aussi une faisant l'éloge du vin...)
Cela dit, ce n'est pas non plus unique, puisque j'ai déjà eu l'occasion
d'apprécier un Tillana dansé dans le style bharatanatyam qui était
dédié à la musique (cf. mon billet sur la Chidambaram Dance
Company et cette
vidéo dans laquelle on entend le chanteur prononcer le nom complet des
notes de la gamme indienne : Shadja, Rishabh, Gandhar, Madhyam, Pancham,
Dhaivat, Nishad
).
Je n'ai pas grand'chose de plus à dire sur ce Tillana si ce n'est qu'il était réussi et comportait un important travail sur le placement des cinq danseuses qui partagaient une complicité évidente. Des animaux étaient évoqués dans la chorégraphie, j'ai au moins reconnu un éléphant, un buffle et des oiseaux. La chorégraphe s'est aussi inspirée des magnifiques sculptures du temple Hoysaleshwara de Halebid que j'ai eu l'occasion de visiter en 2011 et qui, s'il est consacré à Shiva, comporte des sculptures sur des thèmes mythologiques et épiques très variés, ainsi que des représentations de scènes de danse...
Shiva, Temple Hoysaleswara, Halebid
(Pour ma série complète de photos de ce temple à Halebid, suivez ce lien.)
Dans le texte de Kalpana signalé plus haut, elle fait aussi référence au contrepoint. Ce n'est sans doute pas un hasard si la pièce de danse contemporaine la plus bouleversante à laquelle j'aie assisté est The Fugue de Twyla Tharp...
Je ne pourrai malheureusement pas assister au spectacle de fin d'année de Kalpana et de ses élèves le 29 mai, mais n'hésitez pas à y aller. Les détails pratiques devraient apparaître sur le site de l'association Hamsasya.
2015-04-03 09:26+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Espace Jemmapes — 2015-03-28
Madolika, kuchipudi
Soazic Lelan, sattriya
Angela Sterzer, manipuri
Kali Chandrasegaram, kathak
Kalpana Métayer, bharatanatyam
Mahina Khanum, odissi
Kakoli Sengupta, chant
Denis Teste, sitar
Alexis Weisgerber, pakhawaj
La première édition du festival “Mouvements émouvants” s'est tenue ce week-end. Il faut saluer cette magnifique initiative de Mahina Khanum qui est parvenue à réunir à Paris des interprètes de six styles de danses classiques indiennes et à susciter un intérêt au-delà du public quelque peu cloisonné de chacun de ces différents styles. J'ai ainsi été très agréablement surpris qu'une participante des stages d'initiation du dimanche m'ait parlé du site Danses avec la plume ou des Balletonautes.
Le festival a commencé par une conférence malheureusement trop courte de Tiziana Leucci qui a présenté les danses indiennes classiques et leur histoire. J'ai eu le privilège d'être assis à côté d'elle pour lui poser des questions et former des problématiques qui invitaient à la comparaison avec la danse classique européenne (eh oui, je suis aussi balletomane...). Si l'écouter est toujours un plaisir pour moi, sur le fond, j'ai été très sensible à ses réponses, notamment sur les enjeux de transmission du répertoire comme processus vivant et dynamique dans lequel à chaque génération les maîtres de danse peuvent apporter des innovations et adapter les pièces au corps des interprètes comme le ferait un tailleur. Bref, on est à l'opposé d'autres conceptions fossilisées ou muséales...
Prière à Shiva ©Gaëlle Devulder
(Merci à Gaëlle Devulder pour les photographies ! Cliquez sur les photos pour les voir dans une meilleure résolution.)
Le spectacle a commencé par une petite prière à Shiva réunissant les six interprètes et les trois musiciens. Il s'agit en quelque sorte d'une introduction sans chichis aux six styles qui se succéderont ensuite sous la forme de solos. Les six interprètes sont regroupés par paires. Au premier plan, Kalpana (bharatanatyam) et Madolika (kuchipudi) représentent notamment Shiva en ascète sous le nom de Yogeshwara ou soulignent la présence du croissant de Lune dans son chignon. Au deuxième plan apparaissent les danses plus sinueuses des états du Nord-Est avec Soazic Lelan (sattriya) et Angela Sterzer (manipuri). Chacune illustre avec son propre langage dansé des caractéristiques de Shiva comme le flot de la rivière Ganga. Au dernier plan, Kali Chandrasegaram (kathak) et Mahina Khanum (odissi) représentent le couple Shiva-Parvati. Elle évoque aussi très élégamment la peau enroulée autour des hanches de Shiva tandis qu'il représente Shiva en danseur cosmique avec quelques frappes de pieds et l'évocation du tambour Damaru.
Madolika (kuchipudi) ©Gaëlle Devulder
La première à se présenter sur scène pour un solo est Madolika qui est
une représentante du style kuchipudi de Vempati Chinna Satyam. (Presque
toutes les autres interprètes de kuchipudi que j'ai vues appartiennent à
cette lignée : Deepika
Potarazu, Radha Prasanna, Shantala Shivalingappa (2007/2008, 2010, 2013)
et Sandhya Raju.) Elle a interprété une des
chorégraphies les plus connues de son maître : Krishna Shabdam.
Dans la première partie (que je connaissais déjà pour avoir vu cette vidéo de Sandhya
Raju), une jeune femme appelle son bien-aimé Krishna et se prépare à
l'accueillir avec une guirlande de fleurs : Mon Cher, Viens, Toi qui
est à la dynastie de Yadu ce que la Lune est à l'océan de nectar !
. La
structure rythmique est très particulière puisque ce vers qui passe en
boucle pendant les premières minutes (Raa ra yadu vamsa sudha budhi
chandra swami
) n'apparaît pas à une position fixe dans le cycle
rythmique Adi Tala (8 temps). La syllabe vam
dans yadu vamsa
est très marquée et suivant les répétitions, on l'entend sur le premier,
le troisième, le cinquième ou le septième temps du cycle. Dans cette
pièce très enjouée et espiègle comme doit l'être toute représentation de
kuchipudi, une autre spécificité rythmique apparaît : si les temps sont le
plus souvent subdivisés de façon binaire, des bouts de cycles contiennent
parfois des subdivisions en trois (Tishra Nadai) marquées par des frappes
de pieds, ce qui peut présenter une difficulté pour les danseurs comme me
le dira le lendemain Madolika. Je n'ai pas pris de notes en assistant à
cette pièce qui m'a ému. Parmi les détails que je retiens dans la deuxième
partie, le combat de Krishna contre le roi Kamsa, un de ses exploits de
jeunesse. La pièce se termine en accelerando et sur un passage de
danse pure.
La danseuse a interprété ensuite Vande Mataram. L'enregistrement utilisé étant instrumental et dans une orchestration harmonisée à la façon européenne, je n'ai pas reconnu l'hymne patriotique indien, mais la chorégraphie ne laissait aucun doute, il s'agissait bien d'un hommage à la Déesse sous la forme de la Mère Patrie, à l'Inde en général. On y voit des lotus s'épanouir depuis la racine et il m'a semblé aussi voir une dévôte s'immerger rituellement dans le flot d'une rivière.
Soazic Lelan (sattriya) ©Gaëlle Devulder
Le sattriya était le seul des huit styles de danses classiques de l'Inde que je n'avais jamais vu. Que cette danse est d'une suprême élégance ! Cela a été pour moi un des deux grands points culminants émotionnels au cours de la soirée. La pièce interprétée par Soazic Lelan a été chorégraphiée par son maître qui enseigne à Delhi.
Sur un texte contenant les mots Shri Krishna Namah
la danseuse se
déplace délicatement sur la scène ; les pieds étant très souvent en
demi-pointe, elle pose à peine le talon, ce qui contribue sans doute à
rendre encore plus harmonieuses ses majestueuses rotations. Elle évoque les
fleurs de lotus et plus généralement la Nature. Parfois, on aperçoit des
oiseaux s'envoler. Dans ce cadre pastoral, une prière à Krishna s'élabore.
Le texte et la chorégraphie évoquent les parents biologiques et adoptifs de
Krishna. On entend ainsi les noms de Vasudeva et Devaki, et plus loin celui
de Nanda (et peut-être aussi celui de Yashoda). De Krishna dont la flûte
est suggérée ici par les mains en mudra Simhamukha (plutôt que Mrigashirsha
que j'ai vu plus souvent) sera représenté la victoire contre le roi
démonique Kamsa.
S'ensuit un passage de danse pure utilisant principalement les mudras Hamsasya et Alapadma. La danse est alors un peu plus rythmée et ancrée dans le sol, mais elle conserve toute son élégance.
Paradoxalement, ce style de danse qui m'a semblé extrêmement féminin a longtemps été transmis uniquement entre moines vishnouïstes dans l'Assam.
Angela Sterzer (manipuri) ©Gaëlle Devulder
La danseuse suivante a été Angela Sterzer qui a appris la danse manipuri à Imphal. Ma première expérience avec ce style avait été assez perturbante lors d'un double récital au NCPA Mumbai. La performance d'Angela Sterzer me réconcilie quelque peu avec ce style, mais il continue néanmoins de susciter ma perplexité.
La danseuse a commencé son intervention en chantant a capella une chanson sur l'état du Manipur. Ce chant aux notes légèrement ornementées m'a semblé très mélodieux.
La danse pure du manipuri est très élégante, très raffinée. Différentes
parties du corps (mains, buste, yeux, etc.) ondulent harmonieusement dans
des figures que certains décrivent comme serpentines
; la danseuse
me les décrira le lendemain plutôt comme tournant autour de la figure du
8
. Les mouvements de cous et d'yeux sont très élaborés et sans
doute très difficiles à exécuter, mais ils ne sont pas très visibles,
surtout à quelques mètres de distance ; le reste du visage m'a semblé
moins mobile. Si du point de vue narratif ou expressif, la pièce de danse
qui a été interprétée par Angela Sterzer m'a toutefois semblée plus
convaincante que ce que j'avais vu à Mumbai, j'éprouve des difficultés à
être ému par cet aspect de la danse qui me semblé moins développé par
rapport à d'autres styles (ne serait-ce qu'en termes de la proportion du
temps de la pièce qui y est consacrée par rapport à la danse pure).
Par rapport à d'autres styles de danses indiennes dans lesquels on voit immédiatement quand il y a quelque chose à comprendre, les gestes du manipuri paraissent tellement délicats qu'avant même de pouvoir comprendre l'intention, il n'est même pas tout à fait évident de saisir quels sont les moments qui vont posséder un contenu narratif. J'ai cependant réussi à en repérer quelques uns. Dans cette pièce sur l'enfance de Krishna, sa flûte est représentée par des positions de mains encore différentes de celle utilisée dans le sattriya. Les mains sont dans un mudra voisin de Hamsasya, mais dans lesquels les doigts seraient plus rapprochés. Quelques mouvements de bras suggèrent Yashoda en train de baratter le lait. Plus loin, une femme entend le son harmonieux de la flûte et son désir d'union avec Krishna sera représenté par les deux mains en Ardhapataka.
J'apprécie que cette danse ne soit pas excessivement démonstrative, puisque ce n'est pas du tout cet aspect qui m'intéresse en tant que spectateur. Si la danse a comporté des passages rapides, la relative lenteur permet d'apprécier le détail des mouvements, qui ont été extrêmement bien tenus du début à la fin. Cela dit, le contenu narratif et expressif n'est peut-être pas assez développé à mon goût pour que je puisse vraiment me passionner pour ce style, que je retournerai cependant voir volontiers.
Kali Chandrasegaram (kathak) ©Gaëlle Devulder
S'il y a un style de danses indiennes que je n'apprécie pas, c'est le kathak. Ce style a certes une certaine élégance et très souvent une virtuosité qui affole le cœur de beaucoup de spectateurs, mais les aspects narratifs et expressifs que je privilégie m'ont toujours semblé insuffisamment élaborés pour pouvoir me bouleverser.
J'ai pourtant été sensible à la première chorégraphie utilisant un
poème de Mirabai présentée par le danseur Kali Chandrasegaram. Nous sommes
au printemps. Alors que la nature s'épanouit, Mirabai entend au loin le
son de la flûte de Krishna. On entre alors dans une atmosphère de joyeuse
dévotion religieuse (bhakti) à tous permise. Les pirouettes et
les ports de bras associés, s'ils m'ennuyent en général, étaient ici on ne
peut plus appropriés ! J'ai apprécié sa technique de spotting
(le
mouvement de cou consistant à fixer un point le plus longtemps possible
pendant la pirouette).
Le danseur a enchaîné avec une pièce de danse pure chorégraphiée par Pandit Birju Maharaj, semble-t-il sur le cycle rythmique Jhaptal (10 temps). Beaucoup de frappes de pieds très rapides et de pirouettes. C'est plutôt agréable à regarder, cela ne me passionne pas particulièrement, mais pour beaucoup de spectateurs, il semble que cela ait été un des moments les plus exaltants de la soirée : il en faut pour tous les goûts !
Kalpana (bharatanatyam) ©Gaëlle Devulder
Le style bharatanatyam est celui que je connais le mieux. C'est donc forcément celui pour lequel mes attentes sont les plus élevées. Si les danses de Kalpana m'ont semblé très bien et si j'eusse aimé en être bouleversé, il a manqué un petit quelque chose pour que je sois complètement convaincu.
La danseuse a commencé par une salutation et une élégante offrande de fleurs. Elle a ensuite enchaîné avec une pièce élaborée d'Abhinaya. Le poème en tamoul s'inspire du Ramayana. Rama vient d'être contraint à un exil dans la forêt et il se rend auprès de son épouse Sita pour lui annoncer la nouvelle. Du fait de ma lecture des épopées et d'autres textes mythologiques, je me suis fait une certaine image des personnages. Même si je suis quelque peu en train de revoir ma position sur la question de la fidélité aux épopées suite à des questions soulevées lors d'un exposé de Katia Légeret au Musée Guimet il y a quelques mois, je n'aime pas que l'on me représente les personnages d'une façon irréconciliable avec la conception que j'en ai : je ne reconnais plus le personnage, c'est un autre. Le personnage de Sita est souvent injustement rabaissé à celui d'une bonne épouse (dont un caprice sera à l'origine de son enlèvement et d'une guerre), mais s'il est vrai qu'elle n'est pas Draupadi, elle prouve à quelques reprises au cours de l'épopée qu'elle est capable d'une certaine détermination. Sa réaction à l'annonce de Rama est un de ses hauts faits : elle décide d'accompagner Rama dans son exil en forêt et reproche à Rama d'avoir pu ne serait-ce qu'imaginer qu'elle puisse rester sagement dans son palais à Ayodhya. Dans la version tamoule qui a été présentée, la réaction qu'a Sita en fait une femme futile, inconsciente des enjeux, capricieuse, reprochant à Rama le peu d'égards qu'il a pour elle. Bref, si j'ignore qu'elle est l'histoire de cette pièce dans le répertoire, la façon d'aborder le thème me déplaît assez franchement, et ce d'autant plus qu'elle va à rebours des approches féministes (cf. un précédent compte-tendu d'un récital de Meenakshi Srinivasan).
Ceci étant dit, la danse expressive de Kalpana est très convaincante.
On voit le roi Dasharatha ordonner à Rama de s'en aller (avec son frère
Lakshmana). La réaction de Sita à ces propos rapportés est de dire à Rama
qu'il a un cœur de pierre et de faire référence à leur mariage (symbolisé
semble-t-il par son collier). Elle lui dit en substance : À quoi bon
avoir brisé l'arc de Shiva pour obtenir ma main si c'est pour que nous
soyons maintenant séparés ?
. La danse expressive était vraiment très
bien, mais certains détails ont présenté à mon avis quelques imperfections
qui sont de nature à brouiller légèrement le propos. Par exemple, le port
de tête de Rama n'était peut-être pas tout à fait assez majestueux pour
qu'il soit parfaitement reconnaissable quand la danse revient sur
l'épisode de l'arc de Shiva. Certaines chorégraphies mettent en scène
d'autres prétendants que Rama qui tous échouent. Ils sont tous très
nettement caractérisés et on voit immédiatement de qui il s'agit. Dans
cette pièce, un seul prétendant a semble-t-il été représenté, mais je n'ai
eu la certitude que c'était Rama que lorsqu'il a réussi l'épreuve, alors
qu'en principe cela aurait dû être évident, comme quand Gayatri Sriram avait développé cette scène. De même, le nom
de Lakshmana est prononcé dans le texte de la composition, mais les
personnages de Rama et Lakshmana n'étaient pas suffisamment caractérisés
pour que je fusse certain que c'était Lakshmana ou Rama qui était
représenté dans la danse à ce moment-là, alors que par exemple quand j'ai
eu le privilège d'assister à des répétitions d'une pièce de
groupe de disciples de Sucheta Chapekar à Pune, je voyais bien au
premier coup d'œil que Yashoda incarnait Rama (merveilleusement bien !) et
que c'était Mugdha qui interprétait le rôle de Lakshmana.
Ensuite, j'ai beaucoup aimé l'extrait de Tillana qui a été présenté. Il s'agissait de la partie de danse pure de cette pièce dont je ne crois pas avoir entendu précédemment la composition musicale. Le temps imparti ne permettait malheureusement pas de poursuivre avec la deuxième partie textuelle qui en principe conclut un Tillana.
(En suivant ce lien, vous trouverez des informations sur un récital qui aura lieu le 11 avril et dans lequel se produiront quatre des élèves les plus avancées de Kalpana.)
Mahina Khanum (odissi) ©Gaëlle Devulder
Le spectacle s'est conclu magnifiquement par une pièce d'odissi dansée par Mahina Khanum. Cela a été pour moi le point culminant émotionnel de ce festival. Comme elle l'explique dans l'interview qu'elle m'a accordée pour le site-forum Dansomanie, il s'agit d'une chorégraphie de Kelucharan Mohapatra que lui a transmise Madhavi Mudgal à Delhi. La pièce est le dix-septième Ashtapadi Yahi Madhava (करिहरि याहि माधव याहि केशव) extrait du Gîta-Govinda de Jayadeva. Mahina Khanum discute en détail de cette pièce dans la deuxième partie de l'interview citée ci-dessus. Il est extrêmement rare pour moi de connaître autant de détails sur une pièce avant de la voir représentée. J'ai pris beaucoup de plaisir à relire diverses traductions et versions. Dans mon empressement à réserver des livres lors d'une visite à la BnF, je me suis rendu compte en ouvrant l'édition de Henri Quellet que j'avais réservée qu'elle ne contenait que le texte sanskrit (et aussi une précieuse correspondance entre les diverses éditions). Le texte est tellement souple qu'il peut se prêter à de nombreuses interprétations suivant les vers qui sont inclus ou non.
La pièce commence par un long développement mélodique sans paroles.
Radha se prépare à accueillir Krishna. Elle se regarde dans un miroir. Son
corps est brûlant, elle cherche l'union. Elle dégage ses cheveux pour
accrocher des boucles d'oreilles. Cependant, il n'est pas arrivé et quand
le texte, Rajani janita... se fait entendre, elle s'endort. Quand
elle se réveille, Krishna est là et elle le repousse : Va-t-en, Hari !
Va-t-en ! / Toi dont les yeux sont des lotus, / cours rejoindre la
jouvencelle / qui sait si bien guérir / le mal qui Te consume !
(je
cite ici la merveilleuse traduction de Jean Varenne aux éditions du
Rocher/Unesco ; le texte correspondant à Toi dont les yeux sont des
lotus
est traduit par Ne me dis plus de paroles friponnes (resp.
des mensonges)
dans d'autres traductions, et c'est semble-t-il cette
idée-là qui était exprimée dans la danse). Dans sa chorégraphie Kelucharan
Mohapatra a ajouté une réponse de Krishna aux reproches de Radha. Quand
elle observe qu'il a la bouche recouverte de khôl, il répond qu'il a mangé
des baies. Quand elle remarque des griffures sur son corps, il prétend
s'être écorché en tentant de cueillir une fleur pour orner le chignon de
Radha. Tous ces détails étaient magnifiquement représentés dans la danse
de Mahina Khanum.
J'ai beaucoup aimé le chant de Kakoli Sengupta et l'accompagnement au sitar par Denis Teste. Cela m'était d'autant plus agréable que le Raga Bhairavi est semble-t-il bien celui que je connais sous le même nom dans la musique dhrupad que je pratique ; il m'a semblé reconnaître des phrases caractéristiques dans le jeu du sitariste. J'ai particulièrement apprécié les moments dans lesquels la pulsation ne s'était pas encore insinuée. J'ai perçu le cycle rythmique utilisé (Yati ou Jati Tala) comme étant à sept temps (équivalent de Tivratal en musique hindustani ou Misra Chapu en musique musique carnatique), mais le percussionniste Alexis Weisgerber m'expliquera ensuite qu'il le concevait plutôt comme un cycle à quatorze temps parce que les phrases de la composition s'étendaient sur 14=7+7 temps.
J'avais déjà eu quelques bonnes expériences avec la danse odissi, notamment avec Arushi Mudgal au Musée Guimet, mais je n'avais jamais été autant ému par une pièce d'odissi avant de voir Mahina Khanum. (D'après mes notes, il semblerait qu'Arushi Mudgal avait alors interprété le même Ashtapadi... Dans le style bharatanatyam, Janaki Rangarajan l'avait aussi interprété il y a quelques mois au Centre Mandapa.)
Après les louanges que j'avais entendues à propos de Mahina Khanum avant de la rencontrer, et après avoir beaucoup apprécié ses réponses à mon interview, la seule chose que je redoutais était l'éventualité d'être déçu par sa danse, mais c'est tout le contraire qui s'est produit ! Ce très beau moment fait remonter singulièrement plus haut le style odissi dans mon estime.
⁂
Le lendemain étaient organisés des stages d'initiation d'une heure animés par chacun des interprètes du spectacle de la veille. Si je m'étais réveillé plus tôt, je serais volontiers allé au stage de sattriya, mais je me suis contenté des stages de kuchipudi et d'odissi. Si d'autres hommes étaient présents parmi les stagiaires, ils devaient être bien cachés, puisqu'il m'a semblé qu'il n'y avait que des femmes autour de moi. Certaines ont été très courageuses puisqu'elles ont enchaîné tous les stages (six heures avec une pause d'une heure).
Dans les deux stages auxquels j'ai participé, le cours n'avait sans doute pas la forme qu'aurait un tout premier cours débutant. Il s'est plutôt agi de montrer quelques exercices typiques dans leur diversité et de conclure par une petite esquisse de chorégraphie. Je suis étonné de l'ampleur de tout ce que l'on a pu voir pendant une heure ! Je vais essayer de rendre compte de quelques particularités stylistiques qui m'ont marqué.
Le premier stage auquel j'ai assisté a été celui de Madolika (kuchipudi). Comme un stage de bharatanatyam avait eu lieu précédemment (et dont le professeur Kalpana a fait une excellente impression sur les stagiaires avec qui j'ai discuté), elle a mis l'accent sur les pas qui sont différents de ce style voisin. La position de base est la même que dans le bharatanatyam. En demi-plié, contrairement à ce qu'il m'avait semblé observer chez certains interprètes de kuchipudi, les pieds se touchent presque. La façon de marcher n'est pas exactement celle du bharatanatyam : la manière de transférer le poids du corps vers l'avant est semble-t-il un peu différente.
Surtout, j'ai beaucoup apprécié que parmi les exercices montrés, il y en ait qui mettent en valeur les dégagés. En classique, le dégagé peut être devant, derrière ou à la seconde (sur le côté) ; en kuchipudi, la jambe tendue peut même s'en aller sur le côté opposé ! Pour m'exercer avec la notation Benesh, j'ai essayé de noter quelques uns des exercices montrés. Voici un exercice de dégagé en fondu à la seconde :
Exercice de kuchipudi en notation Benesh : dégagé en fondu à la seconde.
En araimandi (demi-plié), on commence par poser le pied droit en demi-pointe derrière l'autre pied, en cinquième (en gros, la pointe du pied droit n'est pas au centre derrière le talon gauche, mais proche du petit orteil gauche...). Sans changer de position, on fait ensuite un petit transfert du poids du corps pour frapper le pied gauche. On frappe de nouveau le pied droit derrière, mais cette fois-ci, le pied droit est derrière le talon gauche (en troisième). Enfin, et c'est là que cela devient intéressant, on effectue une frappe du pied droit en dégageant la jambe gauche sur le côté gauche (à la seconde donc). (Et on recommence la séquence de l'autre côté.)
Après quelques exercices, nous avons esquissé une petite chorégraphie comportant quelques pas, une petite offrande de fleurs et de feu.
⁂
J'ai assisté au dernier stage animé par Mahina Khanum qui m'a semblé être une formidable professeure. En tant que spectateur, je pouvais avoir l'impression que la danse odissi, utilisant des mouvements plus lents, était peut-être moins physique que le bharatanatyam, mais c'est peut-être tout le contraire !
Ce qui est particulièrement remarquable, c'est que toutes les positions sont dans une sorte d'entre deux. Mahina Khanum nous a enseigné les deux positions de base. Dans la position Chowk, la plus anguleuse des deux, les pieds sont dans une position intermédiaire entre la première et la seconde position : on est en demi-plié, et les pieds sont écartés, mais pas trop ! La jambe est rarement tendue. Quand on fait une frappe du talon, la jambe reste pliée contrairement à ce qui se pratique dans le bharatanatyam. Les bras sont aussi pliés à angles droits à la hauteur des épaules dans cette position Chowk. Un certain effort est nécessaire aussi pour rentrer les épaules. Cela n'a l'air de rien, mais rester en équilibre dans un demi-plié assez ouvert tout en gardant les bras horizontaux et en faisant travailler les épaules, cela fait dépenser de l'énergie...
L'autre position que nous avons vu est le Tribhang. Les pieds ne sont ni en troisième position ni en quatrième, mais entre les deux. Ils ne se touchent pas, mais ils ne sont pas autant éloignés qu'ils le seraient en quatrième position. Le poids du corps est sur le pied de derrière, l'autre pied étant dix-quinze centimètres devant, les deux talons étant alignés. On est toujours en demi-plié, mais le bassin est penché de façon à relever la hanche de la jambe d'appui. La courbure de la moitié haute du corps compense quelque peu celle du bassin. Partant de cette position, nous avons fait quelques exercices. Un d'entre eux se décrit très bien dans le langage de la danse classique. Supposons que le jambe d'appui soit la gauche. Le pied droit vient frapper derrière en cinquième position, puis monte en retiré tandis que le torse se tourne vers la gauche. Rond de jambe en l'air en dehors (avec la jambe en attitude : décidément, les membres sont toujours pliés !). Développé devant. Retour à la position de retiré et on pose le talon devant avant de recommencer de l'autre côté. (Le fait que le sol du studio de danse fût un peu mou et irrégulier n'aidait pas à rester en équilibre !)
(J'aime vraiment beaucoup la notation Benesh qui est très adaptée pour noter le ballet et le bharatanatyam, mais noter de l'odissi dans ce système me paraît mission impossible ! Je comprends maintenant pourquoi une doctorante sur la danse odissi à qui j'avais posé la question de la notation m'avait dit qu'il y avait eu au moins une tentative, non pas en notation Benesh, mais en notation Laban.)
Nous avons également vu une petite chorégraphie dans laquelle s'insérait certains mouvements techniques que nous avions vu.
⁂
Un grand bravo à Mahina Khanum et toutes les personnes qui ont permis à ce festival de voir le jour. J'ai trouvé ce week-end passionnant et très riche en discussions intéressantes !
2015-03-16 13:20+0100 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Centre Mandapa — 2015-03-15
Revanta Sarabhai, Pooja Purohit, bharatanatyam
Ganesh/Kartikeya/Devi/Nataraj Kautwam
Jatiswaram (Raga Mallika, Misra Chapu Tala)
Ashtapadi “संचरदधर”
Padam “Maanvizhi Kannavale”
Tillana (Adi Tala)
Out of Bounds
Ce dimanche après-midi, je n'avais a priori prévu que d'aller assister à un concert de musique de chambre de l'Orchestre Colonne, mais l'absence d'entr'acte et de bis a fait que j'ai pu sortir de la Salle Colonne suffisamment tôt pour rejoindre le Cendre Mandapa tout proche afin d'assister à un récital de bharatanatyam de Revanta Sarabhai et de Pooja Purohit.
Revanta Sarabhai est le fils de Mallika Sarabhai et donc aussi petit-fils de Mrinalini Sarabhai, légende vivante du bharatanatyam, qui à 96 ans tient toujours Ask Mrinalini le plus adorable des courriers des lecteurs.
Le danseur est relativement jeune (30 ans). Il présente en compagnie de Pooja Purohit un programme en deux parties. La première est un récital de bharatanatyam relativement étoffé, mais pas un Margam complet puisqu'il manque le Varnam. Après une courte pause, ils présenteront ensuite tous les deux Out of Bounds, une pièce de danse contemporaine très ancrée dans le langage du bharatanatyam.
Les deux interprètes sont très musicaux, mais leur technique n'est pas absolument parfaite ; il leur manque peut-être un tout petit peu de tenue dans les ports de bras pour que je sois complètement convaincu qu'ils sont à 100% dans leur danse. Ce récital m'a néanmoins semblé très intéressant par les innovations qu'il comporte, notamment dans la construction chorégraphique des duos.
Un point technique m'a frappé. Il s'agit peut-être d'une différence d'écoles, mais il m'a semblé que dans la position de base (araimandi, ou demi-plié en première position dans la terminologie du ballet), leurs deux pieds étaient très écartés (plus d'une dizaine de centimètres d'écart) alors qu'en principe, les deux pieds doivent presque se toucher. Je n'avais jusqu'à maintenant vu un tel écartement que chez des interprètes de kuchipudi.
Venons-en maintenant au détail du programme. Pooja Purohit a exécuté un Namaskar présentant des variations intéressantes par rapport aux versions les plus standard de la salutation traditionnelle. Les deux danseurs ont interprété ensuite un quadruple Kautwam. Utilisant une musique vocale mélangeant onomatopées et lignes de texte, ces pièces associent sur un rythme vigoureux la danse pure et l'évocation d'une divinité. Les deux danseurs étaient parfois présents simultanément sur scène, mais ils ont toutefois plus ou moins alterné les rôles. La première divinité représentée a été Ganesh. Est ensuite venu Kartikeya (c'est-à-dire Skanda, Kumara ou encore Murugan, le deuxième fils de Shiva). Il était représenté sur sa monture (le paon délicieusement représenté par le mudra Mayura) ou en dieu de la guerre. Le texte faisait référence à son nom Shanmukha signifiant qu'il a six têtes, mais je n'ai pas identifié ce détail dans la chorégraphie. Dans la troisième partie, il était question de Devi, la Déesse. Elle était représentée sur le tigre, avec le trident et en déesse des arts et de la connaissance (évocation de la parole, du tambour, du tampura). Dans la dernière partie, Revanta Sarabhai représentait Shiva-Nataraja. On y voyait notamment sa monture (le buffle Nandi), son tambour Damaru et le croissant de Lune.
De façon très étonnante, la pièce qui m'a le plus ému a été le Jatiswaram en Raga Mallika et Misra Chapu Tala (chorégraphié par Muthuswamy Pillai). La musique appartient très fortement au répertoire puisqu'il s'agit d'une composition du Tanjore Quartet (cf. cette vidéo d'une autre chorégraphie ; voir aussi cette notation). Décidément, j'aime vraiment beaucoup la danse pure de Muthuswamy Pillai (et de son fils Selvam) ! Quand on exécute des enchaînements rythmiques, on parle souvent de première, deuxième ou troisième vitesse, chacune allant deux fois plus vite que la précédente. Les moments les plus émouvants pour moi dans ce récital et dans cette pièce en particulier ont été ceux dans lesquels on n'était même pas en première vitesse, mais à vitesse zéro ou moins un, si on prolonge convenablement l'échelle logarithmique... Ces mouvements continus des deux danseurs étaient d'une très délectable lenteur !
La chorégraphie la plus innovante du récital est pour moi indiscutablement celle de l'Ashtapadi (extrait du Gita-Govinda). Sauf erreur de ma part, il s'agit du cinquième, intitulé संचरदधर (Sancaradadhara). Radha est jalouse des autres gopis qui batifolent avec Krishna. Radha est interprétée par Pooja Purohit. Alors qu'elle se souvient, Krishna (Revanta Sarabhai) apparaît dans ses pensées. Les jeux amoureux qui suivent sont probablement ceux de Krishna avec quelque rivale de Radha plutôt qu'avec Radha elle-même. Ces espiègles jeux sont tout-à-fait délicieux : Krishna retire le voile de la gopi qu'il l'enroule autour de sa propre tête en imitant une posture féminine, puis la gopi s'empare des ornements de Krishna, notamment sa plume de paon, et même sa flûte ! Ce n'était ni un pas de deux de ballet classique européen ni un duo de tango, mais il y avait néanmoins, chose incroyable, des contacts entre les deux interprètes. Globalement, cet Ashtapadi ne m'a pas semblé bouleversant d'un point de vue émotionnel, mais le travail sur la façon de représenter ces scènes sous la forme d'un duo me semble très intéressant. (Il est à noter que la bande son musicale utilisée possédait ici une saveur d'Inde du Nord. En effet, l'Ashtapadi était interprété comme un Bhajan ou chant dévotionnel, comme on pourrait l'entendre dans un temple, un chanteur accompagné à l'harmonium chantant les strophes qui sont ensuite répétées par un chœur.)
Poursuivant le travail de sa grand-mère Mrinalini Sarabhai qui avait introduit des thèmes contemporains dans ses chorégraphies, la pièce suivante est un Padam autobiographique conçu par Revanta Sarabhai (il est sur YouTube). Il est à Londres séparé de sa bien-aimée. Seul, il travaille sur son ordinateur. Il se souvient d'elle et de sa rencontre au cours d'une soirée arrosée. Il essaye de clavarder avec elle. Il tente de l'appeler par téléphone. Il reçoit une notification d'un email et puis, coup de théâtre, les sonneries se concrétisent en dehors du monde virtuel par le son d'une personne frappant à la porte et la danseuse Pooja Purohit entre par la porte utilisée par les spectateurs du Centre Mandapa pour monter sur la scène afin de conclure ce Padam qui, très logiquement, s'enchaîne joyeusement sur un Tillana (Adi Tala) faisant référence à Krishna. La présence de deux interprètes était utilisée de façon intéressante dans des jeux rythmiques au cours de ce Tillana (qui est peut-être le Tillana en Raga Dhanashri dont on peut voir une autre chorégraphie intéressante sur cette vidéo).
Après une pause, les danseurs interprètent Out of Bounds, chorégraphié par Revanta Sarabhai. Les deux danseurs ont abandonné le costume de bharatanatyam pour un pantalon et un haut. Ils sont pieds nus et ne portent pas de grelots de chevilles. La musique de cette pièce (qui doit comporter à peu près cinq parties enchaînées) est strictement rythmique. Les mouvements de base sont ceux de la danse bharatanatyam ; il y avait aussi de l'art martial kalarippayatt, mais j'y ai moins fait attention : j'ai plutôt vu ces mouvements-là comme des exercices d'assouplissement dans le prolongement de la danse. Dans la première section, des métronomes battent une mesure à six temps. Dans chacune des mesures, les danseurs exécutent des adavus ou d'autres unités chorégraphiques. J'y vois comme une déconstruction d'un Alarippu. La deuxième section est centrée sur les Tirmanams : on entend sans cesse les bols Tarikitatom. La troisième section (à quatre temps) est pour moi la plus saisissante. La danseuse Pooja Purohit est allongée par terre et exécute les gestes de bras correspondant aux Tatta Kudichi Metta Adavus (aussi appelés Kuttadavus dans certaines écoles). Sa tête est du côté des spectateurs, ce qui devient d'autant plus intéressant lorsque Revanta Sarabhai vient la retourner à des moments appropriés pour ne pas gêner ses mouvements de bras. Sauf erreur dans mes succintes notes, la quatrième section utilisait des onomatopées rythmiques complexes (comme dans un jati) et la cinquième utilisait une pulsation à quatre temps.
Dans son genre, cette pièce Out of Bounds m'a semblée très convaincante. Puisqu'il s'agit essentiellement de danse pure, ce n'est pas ce qui m'attire le plus dans la danse, mais il y a là une recherche chorégraphique très intéressante. J'ai eu l'occasion de voir d'autres tentatives de rapprocher le bharatanatyam et la danse contemporaine. J'ai trouvé Out of Bounds infiniment plus passionnant que la tentative d'Anita Ratnam (Neelam : mon billet d'alors n'est pas très glorieux, mais ce spectacle m'avait vraiment beaucoup agacé !). Je ne sais pas si Out of Bounds passerait à l'échelle dans une salle plus grande ou sur un format plus long, mais cela se compare aussi assez favorablement à mon goût avec les expérimentations intéressantes de Leela Samson et de sa troupe Spanda dans Disha.
2015-02-22 15:39+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Auditorium du Musée Guimet — 2015-02-20
Sandhya Raju, kuchipudi
Padma Bhushan Vempati Chinna Satyam, chorégraphies
Jaikishore Mosalikanti, nattuvangam, chant, chorégraphie du Saraswathi Stuthi
Muthukumar Balakrishnan, flûte
Guru Bharadwaaj Gongala Venkata, mridangam
Sylvie Le Secq, voix off
Prière chantée à Balatripurasundari
Saraswati Stuthi
Ramayana Shabdam (Adi Tala)
Kulukaga Nadavaru (Adi Tala), kirtan composé par Annamacharya
Govardhana Giridhara (Adi Tala), Tarangam composé par Narayana Tirtha
Le style de danse kuchipudi est très peu présent en France. La dernière fois que j'en avais vu à Paris remonte à 2010. J'étais donc particulièrement intéressé par le récital de Sandhya Raju programmé à l'auditorium du Musée Guimet. Le texte de présentation du Musée Guimet en fait étrangement une disciple de Vempati Pedda Satyam, lequel était déjà décédé quand elle est née. Comme toutes les autres grandes interprètes de kuchipudi que j'ai vues (Deepika Potarazu, Radha Prasanna et bien sûr Shantala Shivalingappa que j'ai vue danser du kuchipudi en 2007/2008, 2010, 2013), Sandhya Raju est une représentante du style de Vempati Chinna Satyam (1929-2012) dont elle a été la disciple directe avant de poursuivre son apprentissage auprès de Jaikishore Mosalikanti, un disciple plus avancé de Vempati Chinna Satyam.
Le récital qui a duré un peu moins d'une heure et demie m'a semblé excellent. L'atmosphère résolument joyeuse du style kuchipudi peut surprendre par rapport au bharatanatyam qui est plus introspectif, mais la danseuse me semble avoir de grandes qualités en danse pure et en mime.
Contrairement à ce qui était annoncé, le récital n'est pas centré sur Shiva. Plutôt que de présenter ses propres chorégraphies comme elle l'a fait cette année au festival de la Music Academy (cf. ce compte-rendu dans The Hindu), elle a interprété des chorégraphies de ses maîtres. Ainsi, toutes les pièces sauf la première étaient de Vempati Chinna Satyam.
Avant d'aborder le détail du programme, je voudrais décrire quelques aspects stylistiques observés dans le récital de Sandhya Raju qui me semblent distinguer le kuchipudi du style bharatanatyam ; n'ayant vu pour ainsi dire que des interprètes de la lignée de Vempati Chinna Satyam, ces remarques ne vallent peut-être pas pour les autres écoles. Les entrées en scène ne se font pas par le côté cour, mais par le côté jardin (le côté où s'installent les musiciens). À de nombreuses reprises, la danseuse fait du lip sync, bougeant ses lèvres comme si elle articulait le texte. Dans la position assise (demi-plié, ou araimandi), les pieds sont semble-t-il plus écartés que dans le bharatanatyam, mais en fait, dans les chorégraphies présentées dans ce récital, cette position (plus ou moins l'équivalent de la première position du ballet) est très fugitive : la danse ne s'appuie pas sur cette position puisqu'elle n'apparaît pour ainsi dire que comme un état transitoire dans des enchaînements.
Un élément plus visible est la présence de dégagés (ou tendus) : il s'agit de tendre une jambe vers l'avant, l'arrière ou le côté, la pointe du pied venant toucher le sol. Ces mouvements me semblent assez peu présents dans le bharatanatyam (à l'exception notable des chorégraphies de Selvam, fils de Muthuswamy Pillai, qui insère très élégamment ce type de mouvements dans la danse pure). De façon étonnamment intéressante, dans les chorégraphies de kuchipudi qu'elle a interprétées, Sandhya Raju a très souvent fait des tendus sur le côté opposé : si c'est la jambe droite qui est tendue, la pointe du pied droit ne s'en va pas du côté droit, mais à gauche, et pas qu'à moitié ! (Si ma description n'est pas claire, regardez le début de cette vidéo Krishna Shabdam.)
Aucune des pièces présentées n'était de danse pure. Toutes les pièces avaient un contenu mythologique ou épique et la danse pure alternait avec les passages narratifs ou évocateurs. La façon de traiter les thèmes était plus légère, moins introspective qu'on ne peut le voir dans certains récitals de bharatanatyam. Toutes les pièces étaient présentées avec une certaine fraîcheur et une joie évidente de danser. Certains aspects rythmiques soulignaient le côté espiègle de la danse pure. Ainsi, si dans le bharatanatyam, il est courant de voir des séquences semblables exécutées à différentes vitesses à l'échelle d'une pièce toute entière, certains passages de danse pure présentées par la danseuse ont comporté des séquences dans lesquelles les mêmes mouvements étaient répétés immédiatement en vitesse double ou quadruple, le tout tenant dans un seul cycle rythmique, l'unité chorégraphique ainsi constituée pouvant être répétée ensuite de l'autre côté. La façon de découper en petits morceaux des enchaînements (adavus) et de les réagencer pour constituer une chorégraphie me semble donc assez différente de ce que l'on peut observer dans le bharatanatyam. Par ailleurs, peut-être n'ai-je pas suffisamment fait attention à ce détail en assistant à ce récital, mais il m'a semblé que les chorégraphies ont comporté moins de sauts que d'ordinaire dans le kuchipudi.
Enfin, une des magnifiques caractéristiques du kuchipudi réside dans les majestueuses pirouettes accompagnées d'élégants ronds de jambe.
Venons-en maintenant au détail des pièces du récital qui a commencé par une prière chantée à Balatripurasundari par Jaikishore Mosalikanti. Le maître de danse est un excellent chanteur. Chacune des pièces a été précédée d'un Alap du flûtiste.
Le première pièce dansée est un Saraswathi Stuthi, en l'honneur
de la déesse de la connaissance. Elle est me semble-t-il nommée Vani
dans le texte de la composition (qui a comporté des jatis et un
Swaram). La Déesse est représentée jouant de la vînâ et portant
très gracieusement le sari. La chorégraphie représente également la
connaissance et l'écriture ; la présence d'un paon à ses côtés est mise en
valeur. Quand le texte évoque Brahma, Vishnu et Shiva, la danseuse
représente Vishnu-Padmanabha (couché sur le serpent Shesha) ainsi que
Shiva ; les répétitions du texte lui ont permis de proposer diverses
variations.
La première pièce dansée était de Jaikishore Mosalikanti. Les trois
autres seront de Vempati Chinna Satyam. Le première de ces trois autres
pièces est le délicieux Ramayana Shabdam racontant l'épopée du
Ramayana en moins d'une dizaine de minutes ! La première strophe
du texte Dasharatha Vara Kumara (?)...
évoque Rama comme
étant le fils de Dasharatha. La chorégraphie s'attarde assez longuement sur
cette première ligne, et puis tout s'accélère. Il est question de sa mère
Kausalya, et puis très vite, on est dans la forêt, et on voit
l'antilope magique à cause de qui Sita sera enlevée, puis le vautour Jatayu
qui racontera ce qui s'est passé à Rama. Rama rencontre ensuite Hanuman, puis
on le voit semble-t-il tuer le frère de Sugriva avec qui il vient de faire
alliance, et puis les singes jettent des pierres pour construire un pont
vers Lanka où la guerre s'annonce avec Ravana, le démon à dix têtes. (J'ai
sans doute raté quelques épisodes tant ils défilent vite.) La fin de cette
pièce très vive comporte un petit jeu de questions et réponses rythmiques
entre les cymbales et la danseuse, qui vers la fin semble tenir entre ses
doigts de pieds un plateau en laiton imaginaire...
La pièce suivante me semble représenter la quintessence du côté espiègle du kuchipudi. La pièce utilise une musique très ancienne d'Annamacharya (qui au XVe aurait été un des premiers compositeurs de kirtans, la forme musicale privilégiée dans la musique carnatique). La danseuse commence par faire plusieurs allers-retours d'un côté de la scène à l'autre en imitant la course des hommes portant en palanquin la déesse Padmavati. Ils font preuve de trop de zèle et leur course effrénée secoue quelque peu la déesse à bord du palanquin et ses parures se mettent à tomber. Une dévôte intervient en les suppliant de ralentir leur démarche.
La pièce se poursuit par l'évocation de la déesse Padmavati et des offrandes de fleurs qui lui sont adressées. (Point technique : la déesse est représentée ici avec les combinaisons suivantes de mudras : Alapadma-Kapitta.). Le nom Padmavati renvoie peut-être à l'épithète Padmanabha de Vishnu dont elle est l'épouse. Vishnu est en effet représenté couché sur le serpent Shesha et on voit Lakshmi lui masser les pieds. Le texte utilise le nom de Venkateshwar pour désigner Vishnu (c'est le nom de la divinité résidant à Tirupati) et la chorégraphie le représente aussi portant la conque et le disque. La pièce se finit délicieusement comme elle a commencé par la course du palanquin.
La pièce principale du récital à été un Tarangam intitulé Govardhana Giridhara composé par Narayana Tirtha (fin XVIIe-début XVIIIe). Les trois thèmes narratifs tirés du Bhagavata-Purana apparaissant dans ce Tarangam sont récurrents dans les danses classiques indiennes, mais ils ont pris dans cette pièce une forme très élaborée qui a comporté des détails que je n'avais jamais vus. Les thèmes illustrent tous l'espièglerie du jeune Krishna et beaucoup des détails d'interprétation renforcent encore davantage l'atmosphère délicieusement joyeuse et légère de ce récital de kuchipudi.
La toute première image de la pièce est celle du jeune Krishna devant sauter pour attraper le pot de beurre que sa mère adoptive Yashoda avait accroché en hauteur. La pièce développe ensuite ce thème narratif. Krishna accompagne Yashoda alors qu'elle va traire ses vaches. Elle lui dit de surveiller le récipient dans lequel elle verse le lait, mais évidemment, Krishna (qui est caractérisé par sa flûte) salive et boit tout le lait. Sa mère est colère, mais elle finit par pardonner l'enfant. Parmi les détails que je n'avais encore jamais vus, j'ai apprécié la façon de mettre en scène la traite des vaches par Yashoda. Ses gestes de haut en bas des deux mains utilisant la forme féminine du mudra Katakamukha imitaient les gestes de la traite, et ces gestes étaient délicieusement synchronisés avec le rythme de la musique.
Dans le deuxième épisode, des villageoises parties remplir des cruches d'eau ne résistent pas à l'idée de se baigner dans la rivière. La danseuse incarne alors une de ces villageoises qui enlève ses boucles d'oreilles, son collier, son bijou de nez, les bracelets qu'elle porte aux poignets et aux chevilles. Elle défait son sari, puis ses cheveux, s'enduit d'onguents, s'asperge prudemment d'eau avant de se jouer joyeusement dans l'eau avec ses amies. Krishna aperçoit la scène de loin et s'empare de leurs vêtements qu'il accroche à un arbre. Après son bain, la jeune femme se sèche les cheveux et entend le son de la flûte de Krishna. Humiliée, elle ne peut qu'accéder à la demande de Krishna et elle sort honteusement de l'eau en levant les bras au-dessus de sa tête. Enfin, elle peut remettre rapidement ses habits, ses bijoux, placer sa cruche d'eau sur sa tête et s'en aller.
La chorégraphie avait déjà fait des allusions au titre Govardhana Giridhara de la composition quand ce texte avait été prononcé, mais ce thème n'est développé que dans la troisième partie de ce Tarangam. Les dimensions de la narration de cet exploit de Krishna sont pour moi inédites. La chorégraphie commence par représenter Nanda, le père adoptif de Krishna, qui s'inquiète de la sécheresse qui fait des ravages dans les troupeaux et les cultures. Il est décidé que le village de Vrindavan adressera des prières ou sacrifices à Indra, le dieu responsable de la pluie. Krishna (toujours représenté en flûtiste) intervient et dit aux villageois qu'au lieu d'adresser leurs prières à Indra, ils devraient honorer le mont Govardhana. Indra arrive sur son char céleste (tiré semble-t-il par le cheval Uccaihshravas). Il observe les villageois et se met en colère quand il comprend que ce n'est pas à lui qu'ils rendent hommage. Le dieu des nuées déclenche un terrible orage qui plonge les villageois dans le désespoir. Ceux-ci semblent comprendre que Krishna est Vishnu (mudra Tripataka). Krishna enfonce ses deux mains sous le mont Govardhana qu'il soulève et qu'il dépose sur son petit doigt (la main représentant le mont est en Alapadma et la main soulevant le mont est dans un mudra dont j'ignore le nom, s'il en a un, mais qui semble dérivé de Katakamukha, l'annulaire venant rejoindre l'index et le majeur en face du pouce, le doigt restant, l'auriculaire, étant dressé). Cet exploit de Krishna provoque la joie des villageois qui peuvent s'abriter des pluies diluviennes. La chorégraphie met encore en valeur le fait que Krishna est Vishnu (à la conque et au disque), celui qui est couché sur le serpent Shesha.
À la fin du Tarangam, la danseuse a exécuté un numéro de danse pure sur un plateau en laiton. Il s'agit d'une des caractéristiques du kuchipudi. (Je n'en ai jamais été témoin directement, mais son côté rustique est parfois augmenté par l'ajout d'un pot rempli d'eau placé sur la tête de la danseuse !) La danseuse pince les bords du plateau avec ses doigts de pieds et en faisant des mouvements de pieds appropriés, elle peut se déplacer sur scène ou tourner sur elle-même. Un jeu de questions et réponses s'instaure entre le nattuvangam et la danseuse. (Il serait intéressant de savoir si cette section est 100% répétée ou s'il y a une part d'improvisation.) Le nattuvanar dicte une séquence que la danseuse exécute immédiatement ensuite avec des mouvements de pieds et des bras. Les premières séquences s'étendent sur deux cycles rythmiques. La danse se fait de plus en plus exaltée au fur et à mesure que la durée des séquences est réduite progressivement, et après un certain nombre de divisions par deux, cela ne dure plus qu'un seul temps d'Adi Tala. (J'apprécie particulièrement ce type de questions et réponses que l'on trouve aussi entre percusionnistes à la fin de récitals de musique carnatique.)
Il est à signaler que les annonces faites en voix off avant chacune des pièces étaient très pertinentes et à mon avis de nature à faire apprécier le récital au plus large public. Par son côté résolument joyeux, la forme du kuchipudi me semble plus facile d'accès que le bharatanatyam (pour lequel je garde personnellement une préférence). Il est dommage que ce style ne soit pas davantage représenté à Paris : sans introduire de rivalités entre les différents styles, cela pourrait peut-être contribuer au contraire à élargir l'audience des autres styles classiques du Sud de l'Inde.
(Pour découvrir quelques repères historiques à propos de la danse kuchipudi, je recommande vivement cet article de la critique de danse Marina Harss fait à l'occasion d'un portrait de Shantala Shivalingappa.)
2015-10-17 22:08+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Centre Mandapa — 2015-09-22
Hiruthiga Vigithan, bharatanatyam
Pushpanjali
Arbhuda Nartanam
Odiva
Jagan Mohanane Krishna (Adi Tala)
Baranam Ayeram
Javali “Yera Rara...” (Adi Tala)
Thillana
Dans la danse bharatanatyam, le style de l'école Kalakshetra (Chennai) n'est certainement pas celui que je préfère. Quelques aspects de la danse pure de ce style me gênent, mais ce n'est pas le plus grand reproche que je ferais à cette école : le problème principal que j'ai avec les danseurs qui y ont été formés réside dans l'absence d'émotions et le profond ennui que m'inspire souvent leur interprétation des poèmes dansés. Je n'en suis pas arrivé au point de boycotter les danseurs issus de cette école, mais je dois avouer que c'est toujours avec une curiosité quelque peu malsaine que je me confronte en tant que spectateur à ce style ; ce fut le cas pour le premier récital au Centre Mandapa de Hiruthiga Vigithan. Je n'aurai malheureusement pas beaucoup de choses positives à dire à propos de ce spectacle...
La structure du récital est particulière puisqu'à l'exception du Tillana il n'a pour ainsi dire pas comporté de danse pure. J'aurais aimé qu'il y eût une autre pièce de danse pure, que ce soit un Jatiswaram ou un Alarippu. J'aurais particulièrement apprécié de voir un Alarippu dans le style Kalakshetra pour voir dans quelle mesure sont répandus certains détails qui m'ont étonné chez d'autres interprètes... Il n'y aura pas non plus de Varnam.
La technique de la danseuse souffre d'un certain nombre de problèmes. Il faut certes féliciter la danseuse pour sa capacité à proposer un programme complet d'un peu plus d'une heure qui tienne à peu près la route. Ceci étant dit, je ne pense pas que le stress soit l'unique responsable de certaines faiblesses dans sa danse pure. Le plus choquant m'a semblé résider dans ses Ta-tai-tai-ta/Dhit-tai-tai-ta. Cet enchaînement de pas apparaissait souvent dans les poèmes dansés. La façon de l'exécuter varie beaucoup d'une école de bharatanatyam à une autre, mais ce sujet ayant été traité lors d'un workshop de C. V. Chandrasekar auquel j'ai participé récemment, je crois pouvoir dire que la façon de faire de la danseuse est très problématique. Cet enchaînement commence par une frappe sur place suivi d'un pas sur le côté. De façon systématique, la danseuse frappait sur le côté, puis faisait la deuxième frappe à peu près au même endroit avant de continuer l'enchaînement. À ce niveau, il me semble insensé qu'aucun professeur n'ait réussi à corriger ce défaut.
Le récital commence par un Pushpanjali suivi d'une évocation de Shiva qui porte le feu et une antilope, possède une chevelure hirsute, est couvert de cendres et chevauche le buffle Nandi. Il avait été annoncé qu'il y aurait aussi une évocation de la forme androgyne Ardhanarishwara, mais je ne l'ai pas remarquée, ce qui est très étonnant...
La pièce suivante évoque Ganesh et fait référence aux trois dieux Brahma, Vishnu et Shiva. Les positions de mains manquent à mon goût de fluidité. La main qui suggère la trompe du dieu à tête d'éléphant est un peu trop raide pour que l'on puisse vraiment y croire.
Le poème suivant Odiva est censé représenter l'amour maternal de Yashoda pour son fils adoptif Krishna. Dans l'Anupallavi, la chorégraphie le représente en bouvier. Dans la suite du poème, il me semble qu'un épisode fameux est représenté dans lequel Krishna mange de la terre : Yashoda le gronde, mais quand Krishna ouvre la bouche, elle s'émerveille en voyant apparaître le monde entier entre les lèvres de cet enfant. Certains détails me donnent la quasi-certitude que c'est bien l'épisode que voulait représenter la danseuse, mais le problème est que je n'en suis pas certain tant le personnage de Yashoda m'a semblé effacé dans son interprétation. Le moment où elle s'émerveille de sa vision m'a paru d'une telle froideur que je doute encore de l'intention de l'interprète. Si je n'avais pas déjà vu cet épisode dans d'autres interprétations, je n'aurais tout simplement rien compris... À la fin de la pièce, la chorégraphie évoque un autre exploit de Krishna : il souleva le mont Govardhana pour abriter les villageois des pluies torrentielles déclenchées par Indra.
Le poème suivant Jagan Mohanane Krishna (de Purandaradasa) évoque encore Krishna qui est représenté en flûtiste portant une plume de paon sur la tête (l'orientation de la main en Mayura représentant cette plume m'a semblé étrange). La pièce rend hommage à Krishna en évoquant les divers avatars de Vishnu. Il m'a semblé reconnaître Matsya (le Poisson), Kurma (la Tortue qui soulève le mont Mandara pendant le barratage de la Mer de lait), Vamana (le Nain), Parashurama (Rama à la Hache, destructeur des Kshatriyas), Rama et Kalki. Le moment où le Nain Vamana parcourt l'Univers tout entier en trois pas m'a semblé totalement non spectaculaire, au point que je doutais de ce que je voyais, tout comme dans la pièce précédente.
De manière générale, certains mouvements de la danseuse manquent de fluidité et de naturel : ils paraissent obligés. Tel pied monte au niveau de l'autre genou (en retiré), parce que c'est dans la chorégraphie, mais cela semble être la seule raison. La danseuse semble trop souvent exécuter la chorégraphie bien davantage qu'elle ne l'interprète. Elle semble trop préoccupée par les rendez-vous rythmiques à ne pas rater, au point de ne pas finir convenablement ses mouvements du haut du corps. Par exemple, quand elle évoque Vishnu, on a à peine le temps de voir ses deux mains se mettre devant au centre et elles ne sont pas encore en Tripataka que la danseuse est déjà passée à autre chose. Si les frappes de pieds se doivent d'être rythmiquement précises, une telle rigidité ne me semble pas exigée dans les mouvements expressifs du haut du corps. En l'état, le message était brouillé.
La pièce suivante Baranam Ayeram évoque Andal, une poétesse tamoule qui s'imagine fiancée à Vishnu.
L'avant-dernière pièce du récital est un Javali dans lequel l'héroïne demande à son amoureux de venir et de panser les blessures provoquées par les flèches du dieu Kama. Cette pièce n'avait pas à mon avis l'atmosphère joyeusement espiègle que se doivent d'avoir les Javali. Les caractéristiques que je n'apprécie pas dans le style Kalakshetra se retrouvent dans cette pièce. La première ligne de la composition est répétée de nombreuses fois, mais la chorégraphie ne comporte pas assez d'élaboration à mon goût : tout reste extrêmement littéral et répétitif. Par exemple, la chorégraphie a été répétée à l'identique lors des trois premières répétitions de la première ligne. La danseuse propose ensuite une variation, qui est répétée elle-même plusieurs fois, etc. Au minimum, il serait intéressant de varier un peu le placement ou de changer de côté. Quand une même séquence est répétée trois fois de suite avec une utilisation rigoureusement identique de l'espace scénique, forcément, je m'ennuye un peu... Vers la fin de la chorégraphie, la danseuse semblait consacrer quelques efforts pour que certains pas tombent en des endroits précis du cycle (sans que la composition chantée n'offre de repère évident), mais ces efforts étaient mal récompensés puisque l'exécution de ces pas allait à mon avis contre la musique, et une posture qui aurait dû paraître espiègle et décontractée paraissait au contraire crispée.
Le récital s'est conclu sur un Tillana que j'ai déjà entendu de
nombreuses fois, mais je ne saurais dire dans quel raga il était. La
chorégraphie évoque des instruments de musique comme le tampura, la vînâ ou
la flûte. La danseuse n'avait jusque là pour ainsi dire pas exécuté de
tarikitatom
, ce mouvement complexe des bras (qui rappellent les
mouvements de la nage crawl). La trajectoire de la main de la
danseuse m'a semblée très étrange, plus curieuse encore que pour d'autres
danseurs formés à Kalakshetra. Alors que je me suis lamenté du caractère
littéral des chorégraphies présentées dans ce récital, dans celle-ci, j'ai
été déçu par le fait que le mot Padmanabha
du texte n'ait pas été
accompagnée de la posture caractéristique correspondante : à chaque fois,
c'était d'une autre manière qu'était évoqué Vishnu... Contrastant avec
l'ensemble du récital, la salutation finale m'a semblée très élégamment
exécutée.
On l'aura compris, ce n'est pas le récital de bharatanatyam le plus satisfaisant auquel j'aie eu l'occasion d'assister au Centre Mandapa.
2014-12-14 15:40+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Auditorium du Musée Guimet — 2014-12-06
Vidhya Subramanian, bharatanatyam
Arun Gopinath, chant
Venkatakrishnan Mahalingam, nattuvangam
Karthikeyan Ramanathan, mridangam
Easwar Ramakrishnan, violon
Kalpana Métayer, voix off
Invocation de Ganesh “Giriraja Suta” (Adi Tala), composé par Tyagaraja
Pushpanjali (Adi Tala), composé par Madurai Muralidharan
Shambhu Natanam (Khanda Chapu Tala)
Varnam (Raga Karaharapriya, Adi Tala)
Ashtapadi (Raga Shuddha Sarang, Misra Chapu Tala)
Surdas Bhajan “मैया मोरी मैं नहिं माखन खायो” (Adi Tala)
Tillana (Raga Amritavarshini, Adi Tala)
Shloka (Khanda Chapu Tala)
Pendant mon dernier voyage en Inde, j'ai beaucoup pratiqué le bharatanatyam à Kolkata, Delhi et enfin à Pune chez Sucheta Chapekar. La concentration du calendrier des spectacles de danses indiennes à Paris en cette saison a fait que depuis mon retour, j'ai assisté à une belle série de spectacles de danses indiennes (Camille, Janaki Rangarajan, Lingaraj & Sunjakta Pradhan, Meenakshi Srinivasan, Indira Kadambi, Ofra Hoffman, Gayatri Sriram), mais il n'y en aura sans doute plus beaucoup avant un certain temps. Cette série vient en effet de se terminer en feu d'artifice avec les deux récitals de Vidhya Subramanian au Musée Guimet. Si j'ai eu quelques réserves sur la représentation du vendredi, celle du samedi m'a transporté comme rarement : on était tout près des cimes que seule Rama Vaidyanathan m'avait fait connaître.
Karthikeyan Ramanathan (mridangam),
Venkatakrishnan Mahalingam (nattuvangam),
Arun Gopinath (chant),
Easwar Ramakrishnan (violon)
(Merci à Morgane pour les photos et à Kalpana pour l'autorisation de les utiliser ici.)
Après être arrivés sur scène, les musiciens effectuent quelques rituels. Un d'entre eux semble prier intérieurement. Le chanteur se tourne vers ses voisins et touche les cymbales et le bois du violon. Les deux récitals ont commencé par un solo méditatif de l'excellent violoniste Easwar Ramakrishnan et après quelques vocalises dans les graves, Arun Gopinath a chanté une invocation de Ganesh, le fils de Parvati, intitulée Giriraja Suta et qui porte la signature du compositeur Tyagaraja. J'apprécie immédiatemnet la manière dont ce chanteur clappe très régulièrement le Tala (Adi). Plus loin dans le récital, dès que j'aurai un doute, il me suffira d'un coup d'œil dans sa direction pour savoir où l'on en est dans le cycle rythmique.
Il est à noter que pendant cette prière à Ganesh, il était possible d'entendre tinter les grelots de chevilles de la danseuse qui finissait de s'échauffer en coulisses ; cet accompagnement musical inattendu était d'autant plus délicieux que les frappes de pieds tombaient sur les temps du cycle rythmique.
La première pièce dansée Pushpanjali commence par une magnifique introduction mélodique du violoniste. Il gardera ce rôle lors des pièces suivantes du récital alors que cette fonction est en général partagée entre le chanteur et le violoniste. Si j'ai apprécié le chant d'Arun Gopinath, il n'a pas gratifié les auditeurs d'Alap méditatifs comme l'avait fait récemment K. Hariprasad. Toutefois, les musiciens m'ont semblé particulièrement inspirés lors de la deuxième représentation et ils manifestaient alors un plaisir évident à jouer ensemble pour accompagner la danseuse.
Venons-en maintenant à la danse interprétée par Vidhya Subramanian dans son costume orange. La première pièce Pushpanjali n'est à mon avis pas la plus intéressante du programme. La chorégraphie intègre quelques jeux de questions et réponses avec les percussions à l'échelle d'un cycle rythmique, ce qui à tout pour me plaire. Elle comporte aussi des enchaînements (adavus) très standards et on voit aussi de façon intéressante la danseuse délimiter l'espace scénique. La danseuse insère parfois des séquences de frappes de pieds extrêmement rapides. S'il s'agit essentiellement d'une pièce de danse pure, l'émotion exprimée est celle de la joie procurée par la prière.
Le Pushpanjali s'enchaîne avec une prière dédiée à Shiva utilisant très logiquement un cycle à cinq temps (Khanda Chapu). Le texte et la chorégraphie évoquent divers noms de Shiva : Rudra, Nilakantha, Mahadeva. J'apprécie tout particulièrement l'évocation du nom de Nilakantha, Shiva étant représenté en train de boire le poison. Il est aussi représenté avec la Lune dans les cheveux, les cendres, le tambour Damaru, le troisième œil, Ganga, le lingam, etc. Il est aussi semble-t-il montré en destructeur de Tripura, ce qui est plus rare. Le tempo de la pièce a été apparemment doublé subitement au cours de la pièce. Le rythme à cinq temps dont les premier, troisième et quatrième temps étaient marqués était lancé à un tempo raisonnable (×‒××‒) et puis on est passé en vitesse double avec seulement les premier et troisième temps marqués (×‒×‒‒). Vers la fin de la pièce, la danseuse prendra la pose Shiva-Nataraja tandis que le texte nomme la ville de Chidambaram où il réside.
On entre ensuite dans le vif du sujet avec un Varnam dédié à Shiva. La forme du Varnam suit très fidèlement la tradition. La danseuse s'est en effet concentrée sur les sentiments de l'héroïne contrairement à Gayatri Sriram et Meenakshi Srinivasan qui avaient récemment élaboré de longs passages narratifs dans leurs Varnam.
Lorsque les lumières éclairent la scène au début de ce Varnam, l'héroïne reconnaissable à sa posture féminine apparaît au fond de la scène. Alors que les transitions avec les passages rythmiques (jatis) me paraissent toujours incongrues, surtout au début des Varnam, je n'ai nullement été gêné ici puisque pendant les jatis de Vidhya Subramanian, la danse se fait certes plus libre, mais on ne perd jamais de vue les personnages et les sentiments de l'héroïne. Celle-ci désire s'unir au seigneur de la montagne, celui dont les cheveux sont emmêlés et qui porte une peau de tigre et une peau d'antilope. Le feu de l'amour brûle déjà en elle quand, après un premier jati un peu compliqué rythmiquement, le dieu de l'Amour, Kama intervient. Curieusement, il semble que Kama conduise un char tiré par un cheval alors que l'iconographie le représente habituellement sur un perroquet. La première flèche attaque le goût de l'héroïne qui ne peut plus apprécier la moindre nourriture. Kama ne semble pas utiliser son arc pour la deuxième flèche : il la jette avec la main et elle attaque les yeux de l'héroïne qui dormait et dont le sommeil sera troublé. La troisième attaque son sens du toucher et sa peau se met à brûler d'amour. Elle est sonnée, comme intoxiquée, par la quatrième. La cinquième flèche l'achève. Après une récapitulation de la scène qui vient d'être représentée, un nouveau passage rythmique intervient et celui-ci comporte des variations dans les subdivisions du cycle rythmique : une section avec trois subdivisions plutôt que quatre. Dans ce jati, l'héroïne est représentée heureuse de son amour pour Shiva et même un peu fière d'éprouver ce sentiment.
Cet amour prend ensuite une forme religieuse, l'héroïne se prosternant et effectuant une offrande de feu (aarti) devant la divinité. Le plateau utilisé dans ce rituel n'est pas représenté avec la main à plat (Pataka), mais en Alapadma (fleur de lotus épanouie). Une autre subtile variation avec les codes habituels apparaîtra plus loin quand sera semble-t-il représenté le lingam de Shiva : la main droite pouce tendu (Shikhara) étant posée sur une main gauche qui n'est pas à plat mais en Alapadma. (Pardon pour ces détails techniques, mais je rédige ces billets d'abord pour moi afin de garder une mémoire de ce que j'ai vu...)
Shiva paraît alors et se met à danser superbement en agitant le tambour Damaru. L'héroïne est très émue par cette vision. On arrive au point culminant de ce Varnam. Le sublime Jati qui suit représente alternativement les deux personnages : Shiva et l'héroïne.
L'héroïne veut s'unir à lui. Elle l'implore, elle veut qu'il lui parle. Alors qu'elle se maquille, elle pense à lui. Quand elle pose son tillaka sur le front, elle pense à son troisième œil. Quand elle passe ses bracelets qui tintent, elle pense aux serpents qui ornent le corps de Shiva et qui sont aussi susceptibles de les entourer tous les deux quand leurs corps sont enlacés.
La musique se fait alors plus légère et la joyeuse héroïne presque coquine. La frontière entre les passages narratifs et les passages rythmiques devient plus mince dans la mesure où les jatis sont désormais accompagnés par des notes solfiées (Swara) plutôt que par des onomatopées rythmiques. L'héroïne demande à son amie si elle doit craindre les commérages à propos de son aventure avec le Seigneur de la danse. Après une récapitulation des épisodes précédents, le Varnam se terminera espièglement par la décision de l'héroïne de ne pas avoir honte et d'enlever son voile.
Après le Varnam, la danseuse a interprété le Sixième Ashtapadi extrait du Gita-Govinda de Jayadeva exaltant l'amour entre Radha et Krishna. Il s'agit d'une pièce tout simplement extraordinaire, de celles que l'on oublie pas. Je ne pourrais la comparer à aucune autre que j'aie vue. Jamais au cours d'une pièce de bharatanatyam je n'avais eu un tel sentiment d'être plongé dans une rêverie, un temps suspendu. Radha est représentée alors qu'elle médite, revoyant en flash-back sa première rencontre amoureuse avec Krishna qu'elle raconte à son amie :
Vidhya Subramanian dans le Sixième Ashtapadi “Sakhi He”
(Comme je viens tout juste de commencer le cours à distance du Benesh Institute de la Royal Academy of Dance, je n'ai pas résisté à la tentation d'essayer de noter cette position en notation Benesh.)
Pour maintenir l'atmosphère poétique de rêverie, la danseuse a très
judicieusement choisi de n'illustrer que les trois ou quatre premiers vers
de l'Ashtapadi et plutôt que d'autres versions existantes qui
auraient sans doute cassé l'atmosphère, le choix s'est porté sur une
composition méditative utilisant le raga hindustani Shuddha Sarang et le
cycle rythmique à sept temps Misra Chapu Tala (équivalent du Tivratal de la
musique hindustani). Il n'est pas tout à fait évident de suivre les détails
des gestes expressifs de la danseuse, le temps étant étiré à l'extrême et
la pièce incitant à la contemplation plutôt qu'à l'analyse, mais la
danseuse suit très fidèlement le texte. Par exemple, le nom utilisé pour
désigner Krishna est le Meurtrier de Keśī
. Dans le contexte, il
aurait été envisageable d'occulter cet aspect de Krishna, mais la danseuse
ne s'y soustrait pas, et si elle ne montre pas le démon en forme de cheval
Keśī, elle représente néanmoins celui qui l'a envoyé, Kamsa. Il est
difficile de décrire l'intensité de l'expression de la danseuse quand elle
incarne le dernier vers Sur une couche de jeunes rameaux, je m'allonge
et longtemps sur ma poitrine il demeure couché. Je le prends dans mes bras
et le baise, et lui m'embrasse et boit mes lèves ; ô mon amie, obtiens du
Meurtrier de Keçi qu'il s'ébatte avec moi !
(traduction de Gaston
Courtillier). (Cet Ashtapadi peut être vu sur YouTube.)
Elle ne l'a pas interprété lors du récital de samedi, mais la veille Vidhya Subramanian a dansé après l'Ashtapadi le délicieux Javali “Indendu”. Une jeune femme amoureuse de Krishna est jalouse d'une autre. Elle vaque à ses occupations : on dirait qu'elle roule des feuilles de bétel pour mâcher du pân. Quand Krishna vient la voir, elle lui dit qu'il s'est trompé de rue et de maison. Sa rivale vit dans une plus grande rue. Comment a-t-il pu se tromper et aussi mal voir alors que c'est la pleine Lune ? La jeune femme est consciente du fait que Krishna est une incarnation de Vishnu et un de ses exploits est rappelé : celui qui lui vaut le nom de Giridhar. J'ai toutefois été étonné que Krishna soit montré en train de porter le mont Govardhan sur son dos (tel Obélix portant un menhir) plutôt qu'avec un doigt.
Une autre magnifique pièce d'Abhinaya a suivi. Le Bhajan de Surdas est intitulé Maiya mori ; il s'agit encore d'une pièce consacrée à Krishna. Cette fois-ci, il s'agit de représenter l'espiègle Krishna dans sa jeunesse. Bien que petit, il parvient avec quelqu'astuce à attraper un pot de beurre accroché en hauteur et il s'en régale avant de casser le pot. Quand sa mère Yashoda constate les dégâts, elle l'accuse. Lui, bien sûr, nie et bredouille des explications. Comme il ne parvient pas à la convaincre, il fait mine de s'en aller définitivement en emportant ses maigres possessions, mais Yashoda l'en empêche et donne l'impression de croire ses paroles. Finalement, Krishna avoue malicieusement qu'il était bien le coupable.
Le récital s'est conclu par un Tillana
comportant de la très belle danse pure et une évocation des divinités sous
les noms Shiva
et Shakti
. Il est apparemment question de la
naissance d'un enfant, peut-être Muruga dans la mesure où vers la fin de la
pièce la danseuse semble se métamorphoser en paon. Le Tillana
s'enchaîne avec un majestueux Shloka en l'honneur de Shiva.
Quelques uns de ses attributs sont évoqués, comme ses cheveux, le Croissant
de Lune, son trident, etc. Après que la danseuse lui a adressé un
Namaste, le récital s'est achevé dans l'apaisement. (Et quelques
minutes plus tard, devant l'enthousiasme des spectateurs, les artistes se
mettront à applaudir le public !)
Ailleurs : Bladsurb.
2014-12-01 19:36+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Maison de l'Inde, Cité universitaire — 2014-11-21
Gayatri Sriram, danse bharatanatyam
Minal Prabhu, nattuvangam
Balasubramanya Sharma, chant
G. Gurumurthy, mridangam
Jayaram Kikkeri, flûte
Invocation de Ganesh “Vakratunda”
Shiva Kautwam (Khandanadai Rupaka Tala)
Ardhanarishwara (Rupaka Tala)
Varnam (Adi Tala)
Padam (Adi Tala)
Mira Bhajan (Adi Tala)
Tillana (Khandachapu Triputa Tala/Adi Tala)
J'avais déjà vu la danseuse de bharatanatyam Gayatri Sriram à Mumbai en 2011 et plus récemment au Musée Guimet. Quand elle m'a dit qu'elle allait danser à la Maison de l'Inde à l'invitation de l'Ambassade de l'Inde à Paris, je n'ai pas hésité, mais je suis arrivé très en avance pour pouvoir m'installer au deuxième rang ; la salle n'étant pas en pente et la scène pas très haute, il y avait peu de bonnes places...
Le programme commence par une invocation de Ganesh (“Vakratunda...”). La scène étant exiguë, les musiciens ne sont pas sur le côté, mais entre la scène et les spectateurs. La main droite du chanteur n'étant pas dans mon champ de vision, ce n'est pas ce soir que j'améliorerai ma compréhension des cycles rythmiques (Tala) de la musique carnatique.
Le programme est intitulé Dwitiyam (Dualité). Diverses interprétations en seront proposées dans les différentes pièces. La première est un Shiva Kautwam dont le cycle rythmique utilise des subdivisions en 5 (autrement dit, des quintolets de doubles croches). La dualité explorée ici est celle entre les fonctions créatrice et destructrice de Shiva. (Dans la Trinité hindoue, Shiva est responsable de la destruction, Brahma de la création tandis que Vishnu est le protecteur. Dans le shivaïsme, toutes ces fonctions (et deux autres) sont assurées par Shiva.) Une intéressante image récurrence de ce Kautwam associe création et destruction, Shiva tenant le tambour Damaru dans sa main droite et le feu dans sa main gauche. La pièce avait commencé par une pose représentant Shiva en ascète. Il apparaîtra aussi sous la forme d'une colonne de lumière, ce que je n'avais encore jamais vu dans la danse bharatanatyam. D'autres éléments plus courants sont montrés comme le Trident, le troisième œil (exquisement mis en valeur par la danseuse), les cendres, la Lune, Ganga et peut-être sa marque au niveau du cou.
La pièce suivante Ardhanarishwara sur une musique de M. Dikshitar avait déjà été interprétée par la danseuse au Musée Guimet. Dans mon billet d'alors, j'avais surtout évoqué les trouvailles rythmiques remarquables de cette pièce. Le thème permet aux interprètes de mettre en valeur les contrastes entre la partie droite (Shiva) et la partie gauche (Parvati) de cette forme de la divinité. Dans l'interprétation de Gayatri Sriram, on voit ainsi s'opposer les serpents qui ornent le corps de Shiva aux bijoux de Parvati, la peau de tigre au sari, les cheveux hirsutes de Shiva à ceux bien lisses de Parvati, l'attitude masculine de l'un (mudra Shikhara) à la posture féminine de l'autre (mudra Katakamukha). La fin de la chorégraphie représente aussi des instruments de musique : vînâ, tampura.
La pièce du programme que j'attendais avec le plus grand intérêt était le Varnam centré sur le personnage de Sita. Ce Varnam est très différent de celui qu'a dansé récemment Meenakshi Srinivasan au Musée Guimet. En termes de la dualité énoncée dans le titre du programme, il s'agit ici d'opposer la séparation et la convivialité. Alors qu'elle est séquestrée à Lanka par Ravana, Sita se souvient des bons moments passés avec son époux Rama. Ce Varnam est sans doute un des Varnam les plus narratifs auxquels j'aie assisté, et sans doute un de ceux que j'aie le mieux compris et appréciés. Le seul autre Varnam avec lequel je le puisse comparer est celui de Srithika Kasturi Rangan en février 2010, aussi centré sur le Rāmāyaṇa, et qui avait constitué un tournant dans mon expérience de spectateur (j'ai eu le plaisir de prendre un cours avec cette danseuse en décembre 2013). Je me suis donc délecté sans retenue des épisodes narratifs de ce Varnam : il ne s'agit pas seulement de montrer des actions, mais aussi d'exprimer les sentiments des personnages, qu'ils soient actifs ou passifs, ce que la danseuse a fait avec une certaine subtilité.
Comme le veut la forme, ces épisodes alternent avec des passages
rythmiques. Le premier d'entre eux est intervenu après la mise en place de
la situation dramatique et a comporté quelques éléments expressifs et
narratifs. S'ils ont été impeccablemnet exécutés, je les ai globalement
trouvés trop compliqués rythmiquement, avec notamment beaucoup de
changements dans le Tala Adi (à 8 temps) dont les temps le plus couramment
subdivisés en quatre (Chatushra-nadai) passaient fréquemment en
Tishra-nadai (subdivisions en trois). C'est indubitablement impressionnant
et spectaculaire, mais contrairement à d'autres ce n'est pas du tout ce que
je cherche en tant que spectateur. Cela dit, cette danse comportait
d'amusants clins d'œils qui ont failli me faire glousser, comme certains
déhanchements
de tête placés en des endroits inattendus.
Passons maintenant aux aspects narratifs de ce Varnam. Avoir été enlevée par Ravana, qui comme les autres rakshasas est évoqué par le mudra Shakata (dérivé de Brahmara) qui représente ses dents, Sita est dans le bois d'aśoka à Lanka et se souvient de Rama qui comme dans l'iconographie est reconnaissable à son arc.
Le premier souvenir qui revient à la mémoire de Sita est celui de sa rencontre avec Rama. Elle joue à la balle avec ses amies et la balle s'en va un peu trop loin, près de Rama qui ne peut l'ignorer. Il rend très humblement la balle, mais un intense échange de regards s'opère entre Rama et Sita. Immédiatement Sita se met à brûler d'amour pour lui. Gayatri Sriram a magnifiquement bien interprété ce passage. Cette scène est totalement absente du Rāmāyaṇa de Vālmīki, mais comme j'en ai ensuite discuté avec la danseuse, la tradition du bharatanatyam est telle que tout le monde considère comme allant de soi que c'est ainsi que la rencontre s'est produite. Parmi les détails remarquables de la chorégraphie, j'ai apprécié l'humilité de Rama, ainsi que la comparaison poétique de celui-ci avec la brise fraîche qui apparaît au clair de Lune.
La grande scène de ce Varnam a été le svayamvar de Sita, la cérémonie pendant laquelle un époux lui sera donné. Si, en théorie, la future mariée choisit son époux au cours de cette cérémonie, les exemples épiques la présentent comme une épreuve pour les prétendants (Arjuna, qui doit faire preuve de son habileté à l'arc pour épouser Draupadi) ou pour la mariée (Damayanti qui doit déjouer les ruses des dieux pour reconnaître Nala). L'épreuve que doivent réussir les prétendants est de tendre l'arc de Shiva qui se trouve être en possession de Janaka, le père de Sita. Le concours est annoncé au son du tambour et Sita s'inquiète en voyant les prétendants d'avoir peut-être à épouser un autre que Rama. Le premier prétendant est un démon. Le second un roi. Le troisième est Ravana que la danseuse représente avec ses dix têtes. Surestimant ses capacités, il tente de lever l'arc avec le petit doigt, puis avec deux mains, avant d'échouer lamentablement en mettant à profit les multiples paires de bras qu'il semble posséder. Rama enfin se présente, salue respectueusement l'arc, adresse une prière à Shiva et non seulement tend l'arc, mais il le brise. Heureuse de ce dénouement, Sita entoure son cou d'une guirlande de fleurs. Dans son programme Panchakanya à Mumbai, Gayatri Sriram avait déjà représenté cette scène, mais j'avais alors été quelque peu frustré que seule la réussite de Rama fût représentée. En voyant cette si délicieuse scène prendre de telles proportions dans ce Varnam, mes vœux ont été exaucés !
Vient ensuite la scène dans laquelle Sita demande à Rama de lui rapporter l'antilope dorée. Plus loin, à Lanka, elle reçoit la visite du singe Hanuman (reconnaissable au mudra Mukula) qui avait été envoyé en éclaireur avec comme signe de reconnaissance auprès de Sita un bijou donné par Rama. Sita prie pour que Rama vienne la chercher. Je n'ai pas bien compris la scène suivante dans laquelle l'héroïne exprime une sentiment de rejet ; je n'ai pas saisi où cela s'insérait au juste dans l'épopée. Sita se souvient enfin d'un combat passé de Rama contre des démons avant que le Varnam se conclue sur une lamentation de Sita dans le bois d'aśoka.
Le Padam qui intervient ensuite évoque la dualité entre l'union physique et l'union spirituelle. Radha est nostalgique de son passé amoureux avec Krishna. Ce n'était alors qu'un bouvier qui ensorcelait les filles avec sa flûte et leur faisait quelques friponneries, comme d'accrocher à un arbre leurs vêtements alors qu'elles prenaient leur bain. Cette union physique est suggérée par l'éclosion des lotus et le butinement des abeilles. Maintenant que Krishna est devenu le roi et le cocher d'Arjuna dans la guerre du Kurukshetra, Radha se sent délaissée. La scène du Padam qui représente de la meilleure façon ce basculement vers l'union spirituelle met en scène Radha assise alors qu'elle semble maquiller un jeune homme devant elle. Ce n'est qu'à la fin de la scène qu'elle semble se rendre compte, ainsi que les spectateurs, qu'il ne s'agit que d'une image de Krishna.
La pièce suivante est une merveille. Il s'agit du Mira Bhajan que Gayatri Sriram avait déjà interprété en bis lors de son récital au Musée Guimet. La version présentée alors avait été un peu raccourcie ; cette fois-ci, ce Bhajan en l'honneur de Krishna a pris des proportions plus importantes. La pièce a une forme cyclique. Elle s'ouvre et se termine avec Mirabai assise, jouant d'un instrument à corde pour accompagner son chant faisant l'éloge de Krishna. Le nom de Krishna qui est utilisé ici est Giridhar, celui qui porte la montagne. La gestuelle de la danseuse suggère donc très logiquement cet exploit du jeune Krishna : détournant les bouviers du culte d'Indra, celui-ci s'était vengé en faisant tomber des pluies diluviennes et Krishna avait riposté en procurant un abri aux villageois en soulevant le mont Govardhana d'un seul doigt ! La chorégraphie représente Mirabai tout à son adoration de la petite statuette de Krishna qu'elle possède. Après cette adorable introduction, la danseuse a enchaîné avec la scène du jeu de dés du Mahābhārata que j'avais déjà racontée dans mon compte-rendu de son récital au Musée Guimet. Le moment le plus magique reste la représentation du moment-clef où Krishna intervient pour rallonger par enchantement le sari de Draupadi que Dushasana tente d'enlever. Le plus remarquable est que la danseuse ne représente Krishna qu'une seule fois, mais l'image de la radieuse tranquilité avec laquelle il allonge le sari persiste tellement longtemps que l'on a l'impression qu'il est toujours là !
Le récital s'est conclu par le même Tillana qu'au Musée Guimet. La dualité unit cette fois-ci deux cycles rythmiques. Le Khandachapu Triputa Tala (à 5+4=9 temps) utilisé dans la danse pure alternant avec le Chatushrachapu Triputa Tala (à 4+4=8 temps, autrement dit Adi Tala) utilisé dans les lignes de Sahitya. Je n'ai toujours pas bien saisi les détails évocateurs de ce Tillana, mais il devait aussi opposer Guerre et Paix, et c'est effectivement sur le sentiment de Paix (Shanta) que la pièce s'est terminée.
2014-11-26 13:35+0100 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Centre Mandapa — 2014-11-18
Kuttalam M. Selvam, chorégraphies
Bragha Bessell, chorégraphie du Javali
Ofra Hoffman, bharatanatyam
Hommage au Seigneur de Kashi
Namaskar
Kali Kautwam
Alarippu (Tishra Ekam Tala)
Varnam “Sami yei vara sholadi” (Raga Vachaspati, Adi Tala)
Javali (Raga Kamas, Adi Tala)
Tillana
J'avais déjà assisté il y a deux ans à un récital de bharatanatyam d'Ofra Hoffman au Centre Mandapa. En retournant la voir mardi dernier, je m'attendais à être le témon d'un bon récital, mais je n'imaginais pas prendre un tel plaisir de spectateur !
Ce récital intitulé நாட்டிய மாலை a débuté par trois pièces enchaînées (et même plutôt quatre). Sur une musique chantée par la légendaire M. S. Subbulakshmi, la danseuse commence par évoquer Shiva, le Seigneur de Kashi (Varanasi) où coule la Ganga. Je n'ai pas bien identifié les salutations des planètes qui étaient annoncées, mais je crois avoir bien repéré les prières de diverses créatures demandant à Shiva de leur accorder un bon réveil (nagas, sages, démons). L'évocation d'un étang de lotus et l'apparition de la Déesse ont donné lieu à de très belles images.
Avant de passer au Kali Kautwam, la danseuse a exécuté un remarquable Namaskar. Il s'agit de la salutation qu'un danseur exécute traditionnellement avant de danser et après avoir terminé. Si le canevas est toujours le même, il est intéressant d'en observer des variations d'une école à une autre. Ce Namaskar très élaboré s'insérait dans un hommage au guru et semble-t-il aussi aux trois divinités de la trinité indienne. Du Kali Kautwam, je retiens surtout les poses représentant Kali avec son trident. Il ne faut pas s'imaginer ces poses comme figées : il faut qu'elles soient habitées, ce qui était le cas ici.
La pièce qui m'a procuré le plus de plaisir a été l'Alarippu à
trois temps (Tishra Ekam Tala). Il s'agit d'une pièce du répertoire
immémorial : il en existe de nombreuses versions sur YouTube (voir
notamment celles interprétées par Leela Samson et Dominique Delorme ;
la première est très standard et la seconde est extrêmement originale). Il se
trouve que je suis en train d'apprendre cet Alarippu ! Le Tala
n'ayant pas été annoncé préalablement, il m'a fallu quelques secondes pour
être certain que c'était le même et à partir de là, j'ai pu apprécier dans
quelle mesure Ofra Hoffman revisitait cette pièce. Le nom Alarippu
signifie floraison
. Il s'agit traditionnellement de la première
pièce qui est dansée lors d'un récital et le nom doit s'entendre
métaphoriquement comme signifiant que le corps de la danseuse se met
progressivement en mouvement pour s'ouvrir à la danse. L'interprétation a
inclus ce sens figuré, mais aussi le sens littéral : par sa gestuelle, elle
évoquait l'éclosion des fleurs et le butinement des abeilles. C'était
magnifique !
En relisant mes gribouillis, il semblerait que la pièce principale ait été annoncée comme étant en Raga Vachaspati, mais à l'écoute, je crois avoir reconnu le Varnam Sami yei vara sholadi en Raga Purvi Kalyani (Adi Tala) dont on pourra lire une traduction anglaise ici. (PS: La danseuse me confirme que c'était bien le Raga Vachaspati. Il y a donc dans le répertoire des Varnams ayant des textes proches mais utilisant différents Ragas...) Je connais assez bien ce Varnam parce que ma prof Jyotika Rao l'avait interprété (dans une chorégraphie de Sucheta Chapekar) au Centre Mandapa. Deux de ses élèves (Laure et Camille) l'ont appris l'année dernière et l'ont interprété en duo en juin et plus récemment Camille l'a interprété en solo. Il m'est donc difficile de faire abstraction de certaines images que j'associe à ce Varnam comme le merveilleux lancer par Kama de cinq flèches florales différentes qui atteignent chacune un des sens de l'héroïne. Dans la chorégraphie interprétée par Ofra Hoffman, j'ai retrouvé certains de ces éléments (comme semble-t-il l'utilisation d'un oiseau comme messager auprès de Muruga). Si les émotions exprimées étaient toujours très convaincantes et si j'ai apprécié la manière de la danseuse de caractériser Muruga et l'héroïne (Muruga étant souvent représenté avec les mudras Mayura et Mushti pour suggérer qu'il monte un paon), j'aurais aimé que les aspects évocateurs et narratifs de ce Varnam soient peut-être un peu plus développés. La danse pure a en effet pris une proportion semble-t-il plus importante que d'ordinaire dans ce Varnam. Si en tant que spectateur, j'accorde en général une plus grande importance à la danse narrative ou expressive qu'à la danse pure, la beauté de la danse pure d'Ofra Hoffman est telle que je ne m'en suis nullement lassé. Les Jathis composés par Kuttalam M. Selvam sont d'une étonnante inventivité chorégraphique et ils ont été interprétés avec une très grande musicalité. Je n'ai malheureusement pas toujours réussi à suivre le Tala puisque Selvam utilise des formules introductives assez inhabituelles : je me suis habitué à Dhalan—guTakadhikuTakatadiGinatom—, Dhalan—guTakadadiGinatom— ou encore à Dhalan—guTum—tadiGinatom— (les deux derniers étants utilisés pour des rythmes à 3 ou 6 temps), mais les formules qu'il utilise dans ce Varnam me sont inconnues et j'ai parfois eu du mal à entendre où tombait le premier temps... En revanche, je me suis délecté sans aucune réserve de la figure géométrique que la danseuse traçait au sol avec ses mouvements de pieds lors des séquences préparatoires aux Jathis exécutées en fond de scène. Il s'agit là d'une originalité de Selvam. Nancy Boissel, une autre de ses disciples que j'ai interrogée à ce sujet, m'a dit que chacune de ses disciples traçait une figure géométrique qui lui était personnelle.
La danseuse a interprété ensuite un Javali chorégraphié par Bragha Bessell. Je pensais pouvoir faire l'économie de la description de cette pièce que j'ai l'impression d'avoir déjà vue, mais je n'en retrouve pas la trace... Une jeune femme fait l'éloge de son amoureux. Ses qualités sont tellement hors du commun qu'il paraît extravagant qu'il puisse exister. La chorégraphie exalte délicieusement tous ses mérites. Il est très beau, courageux, intelligent. Le roi écoute attentivement ses conseils. Quand on l'appelle, il vient immédiatement. Il est riche, et il fait tourner la tête des filles.
Le récital s'est terminé par un beau Tillana chorégraphié par Selvam sur une musique de Dr. M. Balamuralikrishna. Sauf erreur de ma part (parce que rien ne ressemble plus à un Tillana qu'un autre Tillana...), ce serait son Tillana en Raga Kathanakutuhala et Adi Tala. La pièce évoque les flèches d'amour pour Krishna que lance Kama. Krishna est représenté avec sa plume de paon. La chorégraphie comporte quelques étonnants mouvements de hanches. J'apprécie aussi l'élégance de certains mouvements de la danseuse qui étaient déjà présents dans les pièces précédentes, comme certaines de ses postures dans lesquelles une jambe est tendue, le pied posé au sol en demi-pointe.
2014-11-21 10:17+0100 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Centre Mandapa — 2014-10-28
Indira Kadambi, danse bharatanatyam
Muruga Kautwam
Padam (dédié au Nataraja de Chidambaram)
Padam
Devanamah (composé par Purandara Dasa)
Ashtapadi
J'ai assisté au récital de bharatanatyam d'Indira Kadambi, disciple de Kalanidhi Narayanan, laquelle est réputée pour son enseignement de l'Abhinaya, l'art de l'expression. Ce récital était d'ailleurs centré sur l'Abhinaya, la seule pièce comportant de la danse pure ayant été le Muruga Kautwam interprété au début du récital.
Si la danseuse a indubitablement des qualités expressives, je suis quelque peu resté sur ma faim. J'ai en effet eu l'occasion d'être très ému par d'autres danseuses traitant de sujets narratifs similaires, mais cette fois-ci, je n'ai pas été bouleversé.
La danseuse introduit les différentes pièces en adoptant une posture de pieds confortable (typiquement krishnaësque), un des pieds étant à plat et l'autre étant posé en demi-pointe sur le côté opposé (ce serait plus facile à décrire en notation Benesh...). La traduction en français de ses propos par la danseuse Anusha Cherer n'était peut-être pas nécessaire : je ne peux que soutenir l'initiative de présenter en détails les pièces, mais peut-être serait-il préférable de préparer en amont un texte fixé à l'avance qui ne serait dit qu'en français. (Je suis bien évidemment très-conscient des difficultés pratiques d'organisation que cela peut poser...)
La première pièce a été un vif Muruga Kautwam. La chorégraphie évoque certains des exploits de Muruga et le représente délicieusement sur sa monture, le paon.
La pièce suivante est un Padam en l'honneur de Nataraja, le Seigneur de la danse résidant à Chidambaram. La chorégraphie nous fait visiter ce temple (où je n'ai pas encore mis les pieds, donc cela reste encore un peu abstrait pour moi). Les mouvements de la danseuse évoquent les drapeaux, les sculptures, la musique rituelle (percussions et hautbois) et cinq marches que la dévôte doit franchir, chacune étant associée aux cinq syllabes du mantra sanskrit ॐ नमः शिवाय ((Oṃ) Namaḥ Śivāya), le chiffre cinq ayant une symbolique particulière dans le Shivaïsme. La dévôte souhaiterait n'être qu'une poussière aux pieds de Shiva, ou encore une fleur ou une lampe placée près de la divinité.
Le Padam suivant raconte la trahison dont est victime l'héroïne qui a envoyé son amie en messagère auprès de Murugan. Quand, au petit matin, l'héroïne aperçoit son amie rentrer toute penaude, la stupeur apparaît sur son visage. C'est la troisième fois que je vois ce thème traité dans un Padam ; j'avais été beaucoup plus impressionné par l'interprétation de Janaki Rangarajan à Chennai.
La pièce suivante Devanamah composée par Purandara Dasa m'a semblée délicieuse. Elle évoque le jeune Krishna qui promet à sa mère adoptive Yashoda de ne plus faire de bêtises, mais bien évidemment, dès qu'elle a le dos tourné, c'est plus fort que lui, il recommence. L'interprétation de l'espiègle Krishna m'a semblée très juste, mais la danseuse m'a semblée moins convaincante quand elle incarnait Yashoda. Dans l'expression des sentiments maternels de Yashoda, j'avais été beaucoup plus ému par l'interprétation de Mallika Thalak.
La dernière pièce est un Ashtapadi dans lequel Radha souffre de la séparation avec Krishna. Le texte qui a été prononcé dans la présentation et qui a été illustré dans la chorégraphie ne me semble correspondre de façon précise à aucun des poèmes du Gîta-Govinda. Celui qui me paraît être le plus proche thématiquement est le treizième Ashtapadi. Si c'est bien le cas, je trouve dommage que la présentation orale n'ait pas suivi de façon plus exacte le texte d'origine ; je n'ai rien contre l'idée que la danse développe des idées qui ne sont pas strictement contenues dans le texte, mais il faudrait à mon avis éviter de présenter le texte préalablement en faisant comme si ces idées ajoutées s'y trouvaient déjà.
2014-10-30 13:00+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes
Auditorium du Musée Guimet — 2014-10-24
Meenakshi Srinivasan, bharatanatyam
Jayashree Ramanathan, nattuvangam
K. Hariprasad, chant
V. Vedakrishnaram, mridangam
Kodampalli Gopakumar, violon
Invocation “Mahedeva Suta” (Adi Tala)
Composition de Muthuswami Dikshitar (Mishra Chapu Tala)
Varnam (Raga Mallika, Adi Tala, composé par K. Hariprasad)
Padam “Kodi Koose” (Raga Saurashtram, Adi Tala, composé par Kshetrayya)
Padam (Rupaka Tala, composé par Swati Tirunal, chorégraphie de Bragha Bessell)
Tillana (Raga Sindhu Bhairavi)
Le programme présenté par Meenakshi Srinivasan au Musée Guimet le week-end dernier a été largement renouvelé par rapport au programme centré sur Krishna qu'elle y avait présenté en février 2012. Ce programme a cependant été essentiellement le même que celui qu'elle avait dansé à Bharat Kalachar (YGP Auditorium) à Chennai en décembre 2013. Je l'ai néanmoins revu avec un grand plaisir. Elle est accompagnée par la même nattuvanar (la formidable Jayashree Ramanathan) et le même chanteur K. Hariprasad qui a fait preuve de son grand talent, et ce tout particulièrement dans les Alap très élaborés qu'il a chantés entre les différentes pièces du programme. L'orchestre comprenait aussi un violoniste et un percussionniste qui recevaient souvent des instructions de la nattuvanar, qui semblait se délecter de la danse tout autant que le public tout en étant très concentrée quand il fallait l'être.
Meenakshi Srinivasan est sans doute la danseuse de bharatanatyam la plus
gracieuse parmi toutes celles que j'ai vues ! Sa danse est extrêmement
féminine, elle met davantage en avant la douceur que la force. Je ne
saurais dire si elle dansait déjà comme cela en 2012 ou en 2013 ou s'il
s'agit d'un apport récent à son style personnel, mais dans sa danse pure,
elle prolonge souvent certains mouvements latéraux par une courbure du
torse sur le côté qui est d'une suprême élégance ! À vrai dire, dans les
enchaînements (adavus), les courbures ne sont pas seulement des
ornementations : elles paraissent faire partie intégrante de l'ensemble,
comme si elles constituaient une étape à part entière dans l'adavu. Ainsi,
le dernier temps de tel ou tel adavu n'est pas vide
: il est rempli
par une courbure du torse. Il est à noter que sa danse comporte un nombre
inhabituellement élevé de sauts, mais les réceptions en sont d'une grande
légèreté.
Avant de revenir sur le détail de ce superbe programme, je voudrais toutefois signaler un petit grief contre le style de la danseuse. Quand j'ai appris la série des Marditha Adavus cet été à Delhi avec Arupa Lahiry, elle m'expliquait que pour un certain adavu dans lequel les mains alternent rapidement entre les mudras Katakamukha et Alapadma quand on exécute l'adavu aux deux premières vitesses, il convenait de garder les mains en Alapadma pour la troisième vitesse : la rapidité du tempo empêche de montrer une alternance de mudras bien nets et il est préférable de mettre en valeur le caractère gracieux du mouvement global de la main. Il m'a semblé que lors du récital de Meenakshi Srinivasan, on dépassait parfois le seuil de vitesse au-delà duquel quand bien même les mudras seraient proprement exécutés, ils défileraint trop vite pour ne pas paraître un peu flous au spectateur. Je trouve cela particulièrement perturbant dans les moments où la danseuse est face au public et exécute des mouvements synchronisés des deux bras tendus vers les côtés. Plutôt que de regarder alternativement à droite puis à gauche, la danseuse regarde droit devant, ce qui amoindrit sensiblement à mon goût l'exceptionnelle impression de grâce qu'elle inspire.
Venons-en au programme proprement dit. La première représentation (vendredi) a commencé par un Alap suivi d'une invocation de Ganesh (Mahadeva Suta) ; le texte sera différent le lendemain (Pariparime Padane ?).
La première pièce dansée est une composition de Muthuswami Dikshitar
évoquant Shiva et plus spécifiquement le Seigneur de la danse qui réside à
Chidambaram (je le précise parce que Chidambaram
apparaît dans le
texte de la composition). La danse est très gracieuse. Comme je l'avais
remarqué à Chennai, la danseuse s'écarte de la pratique la plus courante
consistant à souligner la virilité de Shiva : elle montre Shiva sous un
jour extrêmement bienveillant. Il n'inspire aucun effroi quand la danseuse
représente sa chevelure, son troisième œil ou sa peau de tigre. Dans sa
danse pure, je me délecte des courbures du torse et du cou que j'ai
signalées plus haut ; rien que pour cela, je retournerai voir cette
danseuse avec un grand plaisir ! J'apprécie de nombreux détails de son
évocation de Shiva : le flot de Ganga, la marque qu'il porte à son cou et
qui lui vaut le nom de Nilakantha, l'évocation de la danse associée à la
connaissance, au chant et au rythme. Le passage le plus délicieux de cette
pièce a sans doute été celui dans lequel la danseuse mime le jeu d'un
percussionniste en actionnant un mridangam invisible.
Vient ensuite la pièce principale du programme, le Varnam consacré à Sita que la danseuse a créé en 2013 et que j'avais déjà vu à Chennai (où je n'avais pas véritablement pu l'apprécier en raison d'une grande fatigue...). La musique en Raga Mallika est du chanteur K. Hariprasad sur un texte inspiré par le Rāmāyaṇa. Les épisodes ne sont pas tous tirés du Rāmāyaṇa de Vālmīki : certains d'entre eux sont issus de l'imagination d'un poète dont je n'ai pas retenu le nom, mais vu le message féministe de ce Varnam, il s'agit probablement d'un texte contemporain.
Le Varnam s'ouvre par un magnifique lever de Soleil en forêt.
Après avoir été rejetée une première fois par Rama à la fin de la guerre
contre Ravana, Sita s'était infligée l'épreuve du feu pour prouver sa
chasteté, mais après leur retour à Ayodhya, Rama avait davantage fait
confiance à la rumeur publique qu'à son propre jugement et l'avait très
lâchement abandonnée en forêt alors qu'elle était enceinte de deux jumeaux.
La critique féministe que fait ce Varnam porte non seulement sur
l'attitude de Rama qui abandonne Sita comme un vieux chiffon, mais en
mettant en valeur les exceptionnelles qualités de Sita, le Varnam
ridiculise aussi l'héroïsme viril et la divinité de Rama. La chorégraphie a
semble-t-il représenté furtivement la rencontre entre le singe Hanuman venu
en éclaireur et Sita qui se lamentait dans le bois d'aśoka. Celui-ci aurait
pu ramener directement Sita en la portant sur son dos, mais elle avait
refusé pour que Rama puisse faire preuve de ses qualités de guerrier en
venant la récupérer lui-même. Le poème et la chorégraphie du
Varnam vont bien plus loin puisqu'ils suggèrent que Sita (la
déesse née de la Terre) aurait pu tuer elle-même le démon Ravana, mais
qu'elle ne l'avait pas fait par égard pour son mari. Parmi ces épisodes
dont Sita se souvient, le plus marquant se passe pendant son enfance. Elle
n'était pas encore mariée à Rama qui obtiendra sa main en cassant l'arc de
Shiva qu'aucun autre homme ne pouvait soulever. L'épisode se passe alors
que Sita joue à la balle avec ses amies. La balle s'en va au loin et semble
se coincer entre l'arc de Shiva et son support. La seule façon de récupérer
la balle est de soulever l'arc... Alors qu'elle n'est qu'une toute jeune
fille, elle y parvient sans difficulté avant de repartir de plus belle avec
sa balle. Cette espiègle scène a été pour moi le plus irrésistible moment
de ce Varnam. Parmi les autres épisodes narratifs, je crois avoir
aussi reconnu, sans certitude, la scène où Sita demande à Rama de lui
rapporter l'antilope dorée (qui fait partie de la ruse de Ravana pour
enlever Sita). Le Varnam comporte aussi des séquences plus
poétiques, comme quand Sita compare son amour pour Rama au fait qu'une
fleur est inséparable de son parfum, qu'une rivière est indissociable de
ses rives et que les rayons du Soleil ne peuvent exister sans l'étoile. Les
passages narratifs ou évocateurs alternaient avec des passages rythmiques.
Ceux-ci m'ont semblés très variés, notamment en termes de vitesse, et ne
pouvaient susciter que l'admiration quand la nattuvanar prononçait
rapidement trois fois de suite les syllabes Tadim-Ginatom
!
Comme la forme le veut (à ce qu'il me semble), le Varnam se concluait dans la joie, ce qui s'expliquait ici par le fait que Sita, qui en tant que fille de la Terre et ayant pour cette raison un rapport particulier à la nature, avait trouvé dans la forêt un refuge qui lui plût.
(Il est à noter que la pièce avait été introduite par Meenakshi Srinivasan elle-même en français, en utilisant un vocabulaire très raffiné. Lors de la représentation de vendredi, un incident s'est produit pendant ce Varnam : la fixation des grelots de chevilles attachés à sa cheville gauche s'est rompue alors qu'elle était en fond de scène. Il est courant qu'un ou deux grelots ou boucles d'oreilles tombent, mais je n'avais jamais vu ce cas-là. De même qu'il serait impensable d'interrompre un acte d'opéra de Wagner, plutôt que d'insérer une pause pour rattacher ses grelots, la danseuse a décidé de continuer en ne portant des grelots qu'à la cheville droite jusqu'à la fin du Varnam.)
La pièce suivante, la seule que je n'avais pas déjà vue, est un
Padam de Kshetrayya. En termes d'expression, il s'agit sans doute
de la pièce la plus convaincante du récital. Une jeune femme se plaint à
son amie : alors qu'elle se préparait à accueillir au mieux son amant, un
satané coq prétentieux
s'est mis à chanter au plus mauvais moment,
un vrai tue-l'amour. Cela a été un vrai plaisir de voir la danseuse
alterner ses expressions entre la joie de l'attente et la déception, voire
la colère d'entendre le coq intervenir. Elle aura tout tenté pour
l'amadouer, mais il sera un casse-pieds jusqu'au bout, la danseuse
suggérant ses apparitions délicieusement avec le mudra Tamracuda.
L'avant-dernière pièce du récital ne m'a pas complètement convaincu.
J'en ai cependant apprécié davantage de détails que la dernière fois. Il
s'agit d'une chorégraphie de Bragha Bessell sur un poème de Swati Tirunal.
Deux femmes préparent des guirlandes de fleurs, mais elles sont perturbées
par le bruit d'une procession. Elles se demandent de quel dieu il peut bien
s'agir. Ce n'est pas Indra puisqu'il n'a pas le corps recouvert de mille
yeux, ni la Lune (Chandra) parce qu'aucune imperfection ne gâche son
visage. N'ayant pas de troisième œil, ce n'est pas non plus Shiva. Le
sentiment de paix qu'il inspire exclut que ce soit le Soleil (Surya). Il ne
s'agit pas non plus de Kubera, le difforme dieu des richesses (c'est le
seul des cinq que je n'aie pas reconnu cette fois-ci dans la chorégraphie).
Quand la divinité apparaît enfin, il est vraiment dommage que le dieu
(Padmanabha-Vishnu) ne soit pas plus facilement identifiable. La première
fois que j'avais vu cette pièce dansée par Meenakshi Srinivasan, j'avais
pensé que c'était Ganesh : les tout premiers mouvements de la danseuse au
début de la pièce suggèrent les oreilles d'un éléphant et sa démarche de
pachyderme. Peut-être fallait-il simplement comprendre que le cortège
comportait quelques éléphants ? Un peu plus loin, le chanteur semble dire
très distinctement Ganapati
. Vers la fin de la pièce, quand la
divinité associée à la fleur de lotus Kamala et ornée de bijoux apparaît,
debout et tranquille, deux de ses attributs sont suggérés, mais les
mouvements de mains sont trop rapides pour que je sois certain qu'il
s'agisse bien de la conque et du disque de Vishnu. Pour ne pas laisser un
sentiment de frustration chez les spectateurs, peut-être faudrait faire
comme Uma B. Ramesh que
j'ai aussi vue interpréter cette pièce et qui la concluait par une pose
caractéristique de Padmanabha. Parmi les détails que j'ai appréciés dans
cette pièce décidément très riche, je me souviens de l'évocation joyeuse
des hautbois indiens (nadaswaram) qui accompagnent la procession.
Lors du récital de samedi, ce Padam a été remplacé un Meera Bhajan que la danseuse avait déjà interprété au Musée Guimet en 2012. La pose initiale et finale représente Mirabaï jouant du tampura (mais elle n'en actionne pas les cordes, c'est dommage). Elle cherche l'union avec la divinité (Krishna). Elle imagine comment elle pourrait lui être agréable si elle était un poisson, un coucou ou une perle. Elle souhaiterait par exemple n'être qu'une des perles de son collier. (Je rappelle ici que l'histoire de Mirabaï est liée à la citadelle de Chittorgarh au Rajasthan, un des lieux que j'ai préférés en Inde.)
Le récital s'est conclu par le merveilleux Tillana en Raga Sindhu Bhairavi évoquant de façon élaborée l'amour entre une héroïne et Krishna. La fin en a toutefois été légèrement différente qu'à Chennai. Il s'était alors conclu par une extraordinairissime transformation continue du personnage masculin en le personnage féminin (à moins que ce ne soit le contraire). En n'ayant pas revu de transformation d'une telle intensité émotionnelle, je mesure le privilège que j'avais eu de la voir en Inde...
2014-10-26 19:47+0100 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Centre Mandapa — 2014-10-23
Lingaraj Pradhan, danse odissi
Sanjukta Dutta Pradhan, danse odissi
Shiva Panchak
Pallavi (chorégraphie de Kelucharan Mohapatra)
Abhinaya (chorégraphie de Kelucharan Mohapatra)
Mahakalistuti (chorégraphie de Bichitrananda)
Je me suis rendu au Centre Mandapa pour assister à un récital de Lingaraj Pradhan et de son épouse Sanjukta Dutta Pradhan. Ils représentent tous les deux le style odissi transmis par leur guru Bichitrananda. Ce style étant moins courant à Paris et à Chennai que ne l'est le bharatanatyam, mes expériences de spectateur avec la danse odissi sont plutôt rares. Je n'ai pour le moment été véritablement convaincu que par la jeune danseuse Arushi Mudgal (cf. son récital au Musée Guimet et Orfeo, par-delà le Gange), mais ce style odissi ne m'a pour ainsi dire jamais procuré les mêmes émotions que m'apportent presque toutes les représentations de bharatanatyam auxquelles j'assiste. Si la narration et l'expression des émotions me semblent en général plus élaborées que dans le style kathak, on n'atteint pas à mon avis les mêmes sommets que dans le bharatanatyam. Le style est sorti des temples depuis moins longtemps aussi et, vu de loin, il semble moins vivant d'un point de vue chorégraphique, la plupart des programmes comportant des pièces chorégraphiées par les figures tutélaires (notamment Kelucharan Mohapatra) plutôt que par les danseurs des générations suivantes. Je garde néanmoins un a priori positif sur le style odissi et ne demande qu'à être détrompé à l'avenir.
Le récital de Lingaraj Pradhan et Sanjukta Dutta Pradhan m'a semblé très spectaculaire. Alors que le style odissi est réputé plus lasya que tandava, ce récital m'a semblé au contraire beaucoup plus viril que gracieux. Les interprètes ont davantage fait preuve de leur capacité à éblouir par leur virtuosité (quelque peu brutale) que par leur faculté à émouvoir par la narration et l'expression. La virtuosité n'étant pas ce que je cherche dans la danse, ce récital m'a plutôt déplu.
La première pièce Shiva Panchak est un duo (semble-t-il sur le cycle rythmique Tivratal à sept temps). Les passages lents permettent d'apprécier les courbures de la position typique de la danse odissi. Les deux danseurs interprètent de façon synchronisée les sections de danse pure, mais leurs rôles se dissocient quand ils racontent la rencontre entre Shiva et Parvati, laquelle est aidée par l'archer Kama (qui est interprété par Sanjukta). Kama est foudroyé par le feu du troisième œil de Shiva. Cette scène a été extrêmement impressionnante, mais je ne peux m'empêcher de penser qu'elle a été quelque peu surjouée, le spectaculaire primant sur l'émotion.
La pièce suivante Pallavi a été interprétée par Sanjukta. Il s'agissait de danse pure en accelerando utilisant beaucoup les mudras Mayura et Hamsasya.
La pièce la plus élaborée a été interprétée ensuite par Lingaraj. Il s'agissait d'un Abhinaya en trois parties utilisant semble-t-il le cycle à sept temps Tivratal. Le thème était donné par un prière adressée à Jagannath par le poète Salabeg (né musulman). Le poème évoquait trois épisodes liés à la divinité que l'on peut identifier à Krishna ou Vishnu. Le premier épisode était celui du l'attaque d'un éléphant attaqué par un crocodile et qui est sauvé par l'intervention de Vishnu qui tue le crocodile avec son disque. Le deuxième racontait la première partie de dés du Mahabharata, Yudishthira perdant tout, y compris lui-même et son épouse Draupadi, laquelle est traînée par les cheveux par Dushasana. Elle est la cible de gestes obscènes de la part Duryodhana et Dushasana tente de la dévêtir, mais il n'y parvient pas du fait de l'intervention de Krishna qui parvient à rallonger le sari de Draupadi au fur et à mesure que Dushasana tire dessus. Le dernier épisode évoque Prahlada, dévôt de Vishnu et fils du démonique Hiranya qui sera tué par le quatrième avatar de Vishnu, Narasimha, l'homme-lion surgi d'un pilier de son palais. Je n'ai pas été ému par l'épisode de la scène du jeu de dés qui m'arrache habituellement un abondant flot de larmes (cf. le récital de Gayatri Sriram au Musée Guimet). L'épisode lié à Hiranya était brutal, notamment parce que son éventrement par Narasimha n'était pas occulté. Le premier épisode représentait de façon intéressante l'éléphant allant s'abreuver au lac, mais la danse s'est fait très violente à partir de l'apparition du crocodile. C'était très impressionnant, mais globalement, je n'ai pas été plus convaincu par cette pièce que par les autres, les moments devant être interprétés de façon plus subtile n'étant pas aussi convaincants que les moments les plus violents.
Le récital (d'à peine plus d'une heure, ce qui est court, surtout pour un duo) s'est terminé par un duo Mahakalistuti évoquant Mahakali. Qu'il s'agisse de Mahakali plutôt que de Kali permet aux danseurs d'évoquer divers aspects de la Déesse : Kali, Durga, Narayani, Kalaratri. Je pense que cela a été la pièce la plus intéressante du récital. Représentant la déesse, Sanjukta y avait le premier rôle et était secondée par Lingaraj qui apportait des détails intéressants aux poses évoquant chacun des aspects de la Déesse. J'ignore si cette pièce a été conçue initialement pour un duo ou s'il s'agit d'un enrichissement pour duo d'une pièce antérieure pour danseur solo, mais c'est un des rares exemples de duo ou d'ensembles qui m'aient convaincu en danses indiennes.
Bref, beaucoup de technique, une volonté d'impressionner, mais un manque d'émotions à mon goût.
2014-10-01 16:10+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Centre Mandapa — 2014-09-26
Janaki Rangarajan, danse bharatanatyam, chorégraphies
Kriti (composé par Muthuswami Dikshitar, Rupaka Tala)
Varnam (composé par Ponnayya Pillai, Adi Tala)
Ashtapadi
Tillana (composé par Padma Subramanyam, Adi Tala)
Après avoir assisté à plus d'une centaine de récitals de danses indiennes (presque tous de bharatanatyam), je suis encore loin d'être blasé, mais je pensais avoir une idée assez précise des types de pièces les plus à même de m'émouvoir. Je pensais n'être véritablement sensible qu'aux pièces résolument narratives, et encore faudrait-il pour cela que la narration soit suffisamment claire pour que je puisse la comprendre ! Le récital qu'a donné Janaki Rangarajan vendredi dernier au Centre Mandapa m'a démontré le contraire. Janaki Rangarajan est une artiste que j'admire (cf. mes billets sur ses récitals au Musée Guimet et au Bharatiya Vidya Bhavan) et, full disclosure, avec qui j'ai eu le plaisir de déjeuner le jour de son récital. J'ai donc été plus que ravi d'être très agréablement surpris par un récital de bharatanatyam laissant peu de place à la narration.
Les chaises en gradins de la petite salle du Centre Mandapa sont pour ainsi dire toutes occupées. Quelques uns, dont moi, se sont assis sur des coussins.
La première pièce du récital est un Kriti de Muthuswami Dikshitar dédié à Shiva dans sa forme Ardhanari : mi-homme mi-femme. La chorégraphie comporte passages de danse pure et passages évoquant la divinité. La danseuse montre alternativement ses côtés masculin et féminin. La chevelure de Shiva et son regard suscitent un peu moins l'effroi qu'ils ne le font souvent dans ce type de pièces ; les attitudes féminines de Parvati sont moins marquées aussi. L'interprète semble avoir fait le choix de ne pas exacerber à l'excès le contraste entre les deux moitiés. Les deux moitiés fusionnent harmonieusement plutôt qu'elles ne s'opposent. Parmi les détails mis en valeur, on retrouve les parures de Parvati et les cendres dont s'enduit Shiva. Je me suis cette fois-ci délecté de détails nouveaux, comme la représentation dans la gestuelle codifiée de l'épithète de Gardien des troupeaux (Pashupati) que porte Shiva. La chorégraphie renvoie aussi à plusieurs reprises à sa sagesse ascétique. Ce Kriti met aussi en scène de façon délicieuse une dévôte qui exécute des rites d'adoration du lingam.
La pièce principale est un Varnam de Ponnayya Pillai, un des membres du Tanjore Quartet (début du XIXe siècle). Comme le veut la forme, on assiste à une alternance entre passages de danse pure (jatis) et passages expressifs. Les enchaînements de mouvements constituant les Jatis semblent s'appuyer assez fermement sur les temps forts du cycle à 8 temps (Adi Tala), ce qui n'était pas le cas du Jati que j'ai noté en notation Benesh dans le billet précédent ! S'il est intéressant d'être parfois bousculé ou dérouté par des rythmes tordus, il est aussi agréable de se sentir en confiance en assistant à une pièce dans laquelle le rythme ne contribue pas à créer une tension. Les Jatis de ce Varnam ont comporté des passages exécutés à grande vitesse, mais j'ai apprécié le fait qu'il ne s'agisse pas d'une démonstration de virtuosité.
Si les Jatis étaient remarquables, c'est surtout en raison du style personnel de la danseuse. Ils comportent parfois un ou deux éléments liés au thème du Varnam, comme une référence à l'archer Kama dans le tout premier Jati ; comme j'ai toujours eu mal à ne pas trouver incongru que les Varnam commencent par un Jati, que le tout premier de ces Jatis comporte des éléments expressifs a tout pour me plaire ! Cependant, ce qui distingue véritablement Janaki Rangarajan de toutes les autres danseuses de bharatanatyam que j'ai vues réside dans sa manière de faire cohabiter dans ses enchaînements des lignes droites et des lignes courbes. Les mouvements qu'elle utilise pour cela doivent sans doute beaucoup à Padma Subramanyam, mais elle les incorpore à sa danse d'une façon très différente de son guru. J'ai particulièrement aimé sa manière de passer d'une position droite à une position courbe en utilisant un mouvement de hanches, et de revenir parfois, comme tirée par un ressort, à sa position droite initiale, créant chez moi une surprise ou un suspense du meilleur effet.
Pour l'avoir déjà vu danser, Le style de Janaki Rangarajan ne m'était toutefois pas inconnu ; ce qui a constitué ma plus grande surprise et mon plus grand émerveillement, cela a été son approche dans ce Varnam. Évitant d'introduire des digressions narratives renvoyant aux mythes liés à la divinité, elle s'est concentrée sur ce qui constitue traditionnellement le cœur d'un Varnam : le parcours émotionnel et spirituel d'une héroïne amoureuse d'une divinité. Je suis a priori plus friand des Varnam comportant des passages narratifs élaborés. Ceux qui se concentrent sur les sentiments de l'héroïne (nayika) ont tendance à m'ennuyer. Dans ce type de Varnam, très peu d'interprètes parviennent à maintenir mon attention tout du long. Cela a été le cas de Janaki Rangarajan qui a merveilleusement bien exprimé les sentiments de l'héroïne ! Ces sentiments étaient souvent soulignés par de très beaux mouvements d'yeux et de sourcils. Dans les moments les plus intenses, notamment pendant un solo de violon, la bande son exaltait encore davantage les sentiments de l'héroïne. J'y ai reconnu le style inimitable, tout en doubles cordes, du violoniste Kalaiarasan que j'ai eu le plaisir d'entendre à de nombreuses reprises lors de mon séjour à Chennai en décembre 2013/janvier 2014. Ce musicien est un accompagnateur de génie ! (Les Parisiens ont eu le privilège de l'entendre lors des récitals de Lavanya Ananth au Musée Guimet en 2012.)
Porte du temple Brihadeshvara, Tanjore
Mon frissonomètre est montré très haut pendant ce Varnam. Le point culminant émotionnel a été pour moi la séquence pendant laquelle l'héroïne entre dans le temple de Brihadeshvara (Tanjore). La danseuse a magnifiquement figuré les portes que l'héroïne doit franchir. Avant de s'approcher de la divinité, comme dans tout temple de Shiva (ou presque), elle doit passer devant le buffle Nandi qui veille sur le temple. Le Nandi du temple Brihadeshvara est tellement grand qu'il aurait été dommage d'écarter ce détail :
Nandi, Temple Brihadeshvara, Tanjore
Je me suis délecté de nombreux autres détails de la chorégraphie. Vers la fin, il m'a semblé que l'archer Kama faisait une apparition. S'il lançait bien quelques flèches florales avec son arc, la danseuse s'est permis semble-t-il quelque fantaisie en lui faisant lancer une fleur avec la main, comme s'il lançait une balle !
La pièce suivante a été un Ashtapadi extrait du
Gîta-Govinda de Jayadeva. Sauf erreur de ma part, il s'agissait du
17e Ashtapadi. Dans le texte chanté, je ne parviens à
reconnaître que des noms de Vishnu aussi attribués à Krishna : Keshava,
Madhava. Je n'ai donc pas pu apprécier tous les détails des plaintes que
Radha adresse à Krishna qu'elle soupçonne d'avoir passé la nuit avec une
autre. Si le sens de certains vers était transparent en suivant la
chorégraphie, comme Une trace de morsure, à ta lèvre restée, fait éclore
en mon cœur la souffrance. Elle me dit, — n'est-ce pas ? — que maintenant
même, uni à moi, ton corps ne se laisse pas partager. Fi, fi, va-t-en,
Mādhava ; ne me dis plus, Keçava, de paroles friponnes ; poursuis celle-ci,
Œil-de-Nymphéa, qui dissipe ton abattement.
(traduction de Gaston
Courtillier), un vers que le public a manifesté beaucoup apprécié !
d'autres plus poétiques n'ont pris sens pour moi que lorsque j'ai relu le
texte, comme Du lotus de ses pieds suinte la laque qui baigne ton noble
cœur ; le voici, il se montre au dehors comme enveloppé des bourgeons de
l'arbre de volupté. Fi, fi, va-t-en, Mādhava...
. Si j'ai beaucoup aimé
le travail d'expression de la danseuse dans cette pièce, ma méconnaissance
du texte a été un frein pour l'apprécier pleinement. Peut-être eût-il été
judicieux de faire précéder cette pièce d'une lecture d'une traduction du
poème ?
Le récital s'est conclu par un Tillana composé par Padma Subramanyam. La pose finale étant apparemment identique, peut-être s'agit-il du même que celui qu'elle avait déjà dansé au Bharatiya Vidya Bhavan ? Utilisant le cycle rythmique Adi Tala, ce Tillana utilise dans sa deuxième partie un mantra évoquant le sentiment de Paix. Il m'a semblé voir plusieurs références à Shiva dans la chorégraphie. L'attitude qu'il adoptait inspirait tranquillité et bienveillance. Dans cette pièce, comme dans les précédentes, la souplesse de la danseuse était mise à contribution. Ses pliés sont très ouverts et très stables. En grand plié, sans perdre de stabilité, elle peut se pencher vers l'avant : elle pourrait presque toucher le sol avec son front ! Le Tillana s'est conclu sur une pose extrêmement géométrique évoquant la Paix.
2014-09-23 17:40+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
(Billet mis à jour le 2 mai 2015.)
Introduite par Rudolf Benesh (1916-1975) dans les années 1950, la
notation du mouvement Benesh est surtout utilisée dans la danse classique
européenne, et tout particulièrement au Royaume-Uni (on pourra d'ailleurs
lire à ce sujet les
billets du blog Impressions danse portant sur la notation Benesh,
parfois aussi appelée choréologie
). Cette technique de notation
n'est aucunement spécialisée dans ce style : il est possible de l'utiliser
pour toutes sortes de danses. La notation ne remplace en aucun cas
l'apprentissage du style et la transmission de pièces par un professeur,
mais je voudrais néanmoins encourager son utilisation. La notation est
évidemment un support utile pour se remémorer une pièce dont on aurait
oublié certains détails, mais elle permet aussi de mieux comprendre la
chorégraphie et dans le cas de la notation d'enchaînements (adavus), elle
facilite également la comparaisons entre différentes écoles.
Dans ce billet, je voudrais montrer que la notation Benesh est adaptée à la notation de pièces de danses indiennes de style bharatanatyam, et tout particulièrement aux passages de danse pure. Pour cela, j'ai sélectionné un extrait de chorégraphie disponible sur Youtube :
Il s'agit d'un extrait d'un Varnam (ou plus exactement un Svarajati) apparaissant dans le DVD Rasaanubhavam de Janaki Rangarajan (qui est une de mes danseuses préférées, cf. mes billets sur ses récitals au Musée Guimet, au Bharatiya Vidya Bhavan à Chennai et au Centre Mandapa ; je la remercie de m'avoir permis d'utiliser sa chorégraphie dans ce billet). Sur la vidéo ci-dessus, à la fin d'une séquence narrative, on la voit reculer vers l'arrière de la scène et exécuter des pas préparatoires à un Jati tandis que la nattuvanar (Jayashree Ramanathan, que j'apprécie beaucoup !) prononce la suite de syllabes Dhalan–guTakadhikuTakatadhinGinatom–. Le Jati dure une trentaine de secondes sur la vidéo, de 4'42" à 5'14". Voici cette séquence écrite en notation Benesh :
Jati en notation Benesh
(version PDF)
Je tiens à préciser que je suis débutant en notation Benesh et qu'il est donc fort probable que ce texte contienne des approximations, et peut-être même des erreurs !
Le but de ce billet est d'expliquer le sens de la plupart des signes
apparaissant sur la première page de cette partition. (La deuxième page
comporte des signes plus complexes sortant du cache de ce tutoriel
,
notamment en raison des sauts que la danseuse exécute à la fin de la
séquence.)
De même que la musique occidentale, la
notation Benesh s'inscrit sur une portée de cinq lignes (usuellement
tracées en rouge). Ceci laisse la possibilité de combiner sur une même
partition la chorégraphie et tout ou partie de la musique utilisée pour la
danse. Même si la notation de la choréographie se suffit a priori
à elle-même, j'ai préféré adjoindre ici une ligne rythmique
permettant de situer dans le temps les frappes de pieds.
J'ai également indiqué sur une troisième portée les syllabes prononcées
par la nattuvanar Jayashree Ramanathan.
Venons-en maintenant au sujet, à savoir la portée de cinq lignes rouges
ci-dessus. L'idée fondamentale de la notation Benesh est de représenter la
position de la danseuse (ou du danseur) à certains instants-clefs
et
d'indiquer par des lignes de mouvement la façon de passer d'une position à
une autre. On utilise pour cela une représentation schématique du corps de
la danseuse vue de derrière. Les cinq lignes de la portée
représentent successivement, en partant du bas, le sol, les genoux, la
taille, les épaules et le haut de la tête comme sur la figure
ci-dessous :
Représentation du corps sur une portée, p. 19 de Reading dance de Rudolf & Joan Benesh
Commençons par voir comment sont représentées deux positions importantes du bharatanatyam. Sur la figure suivante, je n'ai représenté que les pieds et genoux :
Les pieds sont représentés par des tirets horizontaux. Quand ils sont
côte-à-côte, on obtient un tiret long comme sur les deux positions
ci-dessus. La position assise
(araimandi) correspond au
demi-plié de la danse classique européenne, les croix (plus larges que
hautes) qui représentent les genoux sont donc un peu écartées et placées
plus bas que la ligne des genoux. Comme on ne représente un genou en
notation Benesh que si la jambe n'est pas tendue, ils ne sont donc pas
notés pour la position debout.
Approfondissons maintenant le tiret utilisé pour représenter les pieds. Voici une façon de noter un pas chassé vers la droite :
Trois instants-clefs sont représentés de gauche à droite. Sur le premier, les pieds sont joints. Sur le deuxième, on voit deux tirets écartés. Pour indiquer que c'est le pied droit qui se déplace (vers la droite), on ajoute une ligne de mouvement représentant le mouvement effectué par le pied depuis la position précédente. (Ces principes s'appliqueront de la même façon aux mouvements des mains, qui sont représentées par les mêmes symboles que les pieds.) Sur le troisième instant-clef, on veut indiquer que le pied gauche vient rejoindre le pied droit. Ceci pourrait se noter comme sur le deuxième instant-clef en utilisant une ligne de mouvement, mais il est plus économique d'adjoindre au tiret correspondant au pied gauche un petit trait oblique (qui est dérivé de ce qu'on appelle le symbole de contact). (Exercice : Si le trait oblique était placé au niveau du pied droit plutôt qu'au niveau du pied gauche, à quel enchaînement de mouvements correspondrait la notation ?)
(Sur la figure précédente, j'ai utilisé une ligne de mouvement. En toute
rigueur, il est plus idiomatique de représenter les pas en notation Benesh
par ce qu'on appelle des lignes de locomotion
. Comme leur lecture
est plus difficile, j'ai préféré éviter de les utiliser ici.)
Pour le moment, les pieds sont posés à plat sur le sol. Dans l'exemple suivant, j'ai utilisé un signe spécifique (un tiret auquel un petit rond est adjoint) indiquant que c'est le talon qui touche le sol :
Partant de la position assise, on pose le talon droit sur le côté droit
(deuxième instant-clef), puis on exécute une frappe du pied gauche (notez
la petite ligne de mouvement sur le troisième instant-clef) et on exécute
une frappe du pied droit qui revient à côté du pied gauche
(quatrième instant-clef). Cette suite de mouvements de pieds est très
courante dans le bharatanatyam et est accompagnée lors de la pratique par
les onomatopées rythmiques ou bols di-di-tai
.
Le symbole utilisé dans le dernier instant-clef des deux exemples
précédents est un symbole de fermeture indiquant le mouvement vers une
position fermée
, en l'occurrence pieds joints. On peut utiliser
plusieurs de ces symboles à la suite pour noter des frappes de pieds, comme
dans l'exemple suivant qui est le troisième Tatta Adavu :
Cet exemple permet d'introduire d'autres symboles. Pour la position
assise initiale, j'ai indiqué la position des mains au niveau de la taille
avec le symbole de contact (un trait oblique pour chaque main). J'ai
également indiqué la métrique utilisée dans cet adavu se dansant sur quatre
temps : trois frappes de pieds et un temps vide
. Le dernier temps
vide est indiqué par un signe au-dessus de la portée. Enfin, j'ai utilisé
une barre de répétition comportant une ligne oblique et une ligne droite,
ce qui signifie que la répétition se fait en miroir, en alternant les
côtés : à droite, puis à gauche. (Dans certaines écoles de bharatanatyam,
comme celle de Sucheta Chapekar, guru de ma prof, le troisième Tatta Adavu
se danse sur trois temps au lieu de quatre, sans gap.)
Le signe indiquant les pieds peut être placé verticalement à différents endroits par rapport à la ligne du bas de la portée. Ceci permet de distinguer un pied à plat (ou sur le talon) d'un pied en demi-pointe :
Sur le premier instant-clef, les tirets se confondent avec la ligne de
la portée : les pieds sont en demi-pointe (et dans cet exemple le signe
courbe en-dessous des pieds indique en outre que l'on exécute un petit
saut). Au deuxième instant-clef, les tirets sont placés sous la ligne : les
pieds sont posés à plat. Sur cet exemple, on a ainsi une alternance entre
pieds en demi-pointe et pieds à plats. Cette alternance est typique des
Khudita Metti Adavus accompagnés des bols tai-hat-tai-hi
. La
chorégraphie de Janaki Rangarajan commence d'ailleurs par un des adavus de
cette série. (On pourra noter que sur les deuxième et quatrième
instants-clefs, un signe nouveau apparaît au dessus de la portée : il est
utilisé pour indiquer que l'instant-clef ne tombe pas sur un temps, mais
sur une subdivision d'un temps en deux. D'autres signes sont utilisés pour
des subdivisions en 3 ou 4.)
Pour le moment, tout se passe dans le plan du corps. Deux nouveaux signes sont nécessaires pour indiquer un pied (ou une main) placé à l'avant du plan du corps (un trait vertical) ou à l'arrière du plan du corps (un point) :
De ces symboles sont dérivés les symboles utilisés pour les genoux (et les coudes). Les tirets se transforment en croix et le rond en une croix tournée de 45°.
Il est maintenant possible d'analyser le début de la chorégraphie du Jati de Janaki Rangarajan. Tout d'abord, il me semble important de bien comprendre ce qui se passe d'un point de vue rythmique. Pour cela, il peut être utile de s'imprégner de la pulsation de la mesure à six temps dans les dizaines de secondes précédant le Jati sur la vidéo ci-dessus. Il s'agit de Rupaka Tala qui suivant les théories ou les pratiques diverses comporte au choix six temps ou trois temps. Du point de vue du solfège occidental, on peut dire que le cycle est composé de six croches ou de trois noires. On considérera ici que ce cycle a six temps. (Les personnes qui essaieront de déchiffrer les lignes rythmiques indiquées en bas observeront que je les ai notées en 3/4, c'est-à-dire avec trois noires par mesure. La noter en 6/8 aurait été une mauvaise idée parce que la convention en musique occidentale aurait impliqué que les six croches se répartissent par groupes de trois (6=3+3) plutôt que par deux (6=2+2+2).)
Normalement, si vous avez saisi la bonne pulsation (autour de 104 temps
par minute), quand la nattuvanar a fini de dire Ginatom–
, comptez de
1 jusqu'à 8, puis comptez de nouveau de 1 à 8. Normalement, quand vous
arrivez à 5, vous voyez la danseuse passer de la position assise à la
position debout. (Si ce n'est pas le cas, recommencez en comptant deux fois
plus vite ou deux fois plus lentement...) Une fois ceci acquis, vous pouvez
essayer d'observer le découpage du Jati en
8+8+(3+3+6)+(3+3+6)+5+5+4=54, i.e. comptez de 1 à 8, recomptez de 1 à 8,
puis de 1 à 3, etc. Après le dernier compte de 1 à 4, le chanteur
intervient et la musique redevient mélodique. Le nombre total de temps est
54=9×6, c'est-à-dire qu'après Ginatom–, le Jati s'étend
sur 9 cycles de Rupaka Tala. Toutefois, le découpage que j'ai donné plus
haut est très différent du découpage régulier qui serait donné par le
Tala : 6+6+6+6+6+6+6+6+6=54. Il s'agit là d'une des difficultés rythmiques
du bharatanatyam : les motifs qui se répètent ne commencent pas toujours au
début d'un cycle et ils peuvent enjamber plusieurs cycles. Sans la musique
qui précède, il serait pour ainsi dire impossible de deviner que le cycle
rythmique est Rupaka Tala...
Pendant la phrase initiale Dhalan–guTakadhikuTakatadhinGinatom–,
la danseuse se met en position assise, les mains au centre près du corps
dans le mudra Katakamukha. Dans l'article Notating Indian Dance de
Rudolf & Joan Benesh et Marianne Balchin, Sangeet Natak nº9
(1968) que j'ai pu consulter à la
médiathèque du Centre national de la danse, les auteurs ont l'ambition
de noter les positions des mains par un système de notation qu'ils
esquissent (par exemple P6
avec un point au-dessus du 6 pour le
mudra Shikhara) ; cela me paraît un peu trop optimiste de leur part. Il me
semble préférable de procéder comme dans le chapitre X consacré aux danses
indiennes de Reading Dance, The Birth of Choreology de Rudolf
& Joan Benesh : utiliser une abréviation des noms des mudras, comme Km
pour Katakamukha, Ap pour Alapadma, Pt pour Pataka, Tp pour Tripataka.
(Pour certains mudras comme Pataka ou Tripataka,
il convient de préciser aussi la
façon dont la main est tournée, ce que j'ai indiqué à partir de la quatrième mesure sur la partition.)
La position initiale du Jati se note ainsi :
Les coudes sont écartés et les mains légèrement vers l'avant du corps. (L'écartement des coudes dicte la distance entre les mains et le corps : si les mains étaient davantage vers l'avant, les coudes seraient moins écartés.)
La position précédente est la position de départ d'un des Khudita Metti Adavus que la danseuse exécute pour commencer. Cet adavu consiste en deux répétitions de la séquence suivante :
Les mouvements des pieds correspondants (tai-hat-tai-hi
) ont déjà
été décrits plus haut. Au niveau des mains, la seule variation par rapport
à la position initiale réside dans le symbole utilisé pour la main droite
sur le premier instant-clef. C'est un rond et non un tiret, ce qui signifie
que la main est à l'arrière du corps. Comme le coude n'est pas noté, il
faut comprendre que le bras droit est tendu. La main droite est en
Alapadma, mais la main gauche reste en Katakamukha, c'est pourquoi j'ai
précisé entre parenthèse l'initiale de droite
pour indiquer que le
changement de mudra ne concerne que la main droite. Sur le
troisième instant-clef, la main droite revient à la position initiale, en
Katakamukha. Comme il existe des symboles pour représenter les positions de
la tête, en toute rigueur, on pourrait indiquer sur le premier instant-clef
que la tête se tourne vers la droite (puis se remet de face au troisième
instant-clef), mais ce n'est pas nécessaire dans le style bharatanatyam
puisqu'il est implicite que l'on doit ici regarder la direction indiquée
par la main qui se déplace. (Pour simplifier, j'ai utilisé ici
l'écriture visuelle. Le fait que le bras droit soit tendu derrière
le corps à la hauteur des épaules va impliquer une rotation du torse la
droite. Une autre façon d'analyser ce mouvement correspondant à ce que l'on
appelle l'écriture de base serait d'indiquer d'une part que le
bras se tend sur le côté droit et que le torse se tourne de 90 degrés, mais
cela nécessiterait d'introduire un nouveau signe.
La chorégraphie se poursuit avec une variante debout de la suite de pas di-di-tai vue précédemment :
La bras droit se déplie pour se tendre vers le côté droit, la main s'ouvrant en Alapadma. Une ligne courbe s'étend au-dessus de la portée : c'est le symbole de legato indiquant ici que le mouvement du bras commence en même temps que la danseuse se lève. Sans ce signe, le mouvement du bras commencerait plus tard, juste après la frappe du pied gauche. (D'un point de vue rythmique, on pourra observer qu'au-dessus de la portée, on voit apparaître pour la première fois un trait oblique superposé à un point, il indique une subdivision des temps en 4 : l'instant-clef intervient un quart de temps après le début du temps en cours. Si le signe était tourné de l'autre côté, on serait un quart de temps avant le temps suivant.)
La partition peut en principe être déchiffrée en utilisant les indications déjà données jusque vers le milieu de la mesure 4. On peut observer que la portée servant à noter la chorégraphie comporte des blancs. Cela provient des répétitions (en miroir) dans la chorégraphie. Contrairement aux partitions musicales, en notation Benesh on laisse un espace en blanc pour les parties de la chorégraphie qui sont des répétitions. Par exemple, après la première séquence de 8 temps, j'ai laissé de la place (s'étendant sur 8 temps).
Pour reprendre de façon plus détaillée ce que j'ai esquissé dans ce
billet, je recommande de regarder les six petites vidéos d'introduction à
la notation Benesh qui
sont listées sur cette page. Ces vidéos utilisent le langage de la
danse classique européenne et certaines spécificités du style de la
Royal Academy of Dance, mais si on laisse de côté la courbure
spécifique des bras dans le ballet et quelques autres particularités, la
notation reste la même. Il ne faut pas trop s'inquiéter d'être
un peu perdu quand Anuschka Roes prononce des expressions ésotériques
comme closing in fifth position
: il s'agit de positions des pieds
qui ne sont pas immédiatement utiles pour noter le bharatanatyam.
Rudolf & Joan Benesh ont publié plusieurs livres sur la notation Benesh. Je ne les ai pas tous consultés, mais je peux dire que Reading Dance: The Birth of Choreology (Condor Book, 139 pages) est une lecture très agréable. (Il est assez facile de se procurer ce livre, neuf ou d'occasion.) Joan Benesh ayant pratiqué un peu le bharatanatyam, on pourra lire avec intérêt le court chapitre X qui lui est consacré. (L'article Notating Indian Dance, Sangeet Natak nº9 (1968) auquel j'ai fait référence plus haut est une lecture moins indispensable dans la mesure où cet article se place à un niveau très général qui ne permet pas d'approfondir la question : il n'est pas seulement question du bharatanatyam, mais aussi d'autres styles classiques ainsi que des danses folkloriques d'Inde.)
Un aide-mémoire sur la notation Benesh est disponible sur le site de l'Institut Benesh dépendant de la Royal Academy of Dance.
En français, Grammaire de la notation Benesh : manuel élémentaire d'Éliane Mirzabekiantz permet d'aller plus loin dans la notation Benesh, mais sa lecture me semble un peu plus difficile de prime abord. Le Centre Benesh est une association française promouvant la notation du mouvement. Le BeneshBlog vient d'être lancé.
Outre l'exemple que je traite dans ce billet, vous pouvez télécharger ce fichier PDF contenant une notation des quatre séries d'adavus (Tatta, Natta, Marditha, Khudita Metti) que j'ai apprises avec Arupa Lahiry (disciple de Chitra Visweswaran) à Kolkata et Delhi au cours de mon dernier voyage en Inde. Vous pouvez essayer de les déchiffrer (et constater qu'elles sont peut-être différentes de celles de votre école).
Ensuite, il convient d'avoir un crayon gris, une gomme et du papier à musique (PDF)...
En ce qui me concerne, je ne m'intéresse à la notation Benesh que depuis le printemps 2014. Pour m'entraîner, j'ai commencé par essayer de noter Shri Gana Natha, la première chorégraphie que j'ai apprise avec ma prof Jyotika Rao. Lors des cours que j'ai pris avec la danseuse Arupa Lahiry à Kolkata puis à Delhi cet été, j'ai surtout appris des adavus (par séries complètes). Une fois rentré à l'appartement que je louais, ou sur le chemin du retour, je pouvais essayer de noter les adavus qui me revenaient en mémoire, dans le désordre. Le fait de les noter m'aidait à mieux les comprendre et lors des cours suivants, je pouvais m'assurer que je ne m'étais pas trop trompé dans ma notation. À la fin de la série de cours, j'avais noté les quatre séries d'adavus qu'elle m'avait montrées : Tatta Adavus, Natta Adavus, Marditha Adavus, Khudita Metti Adavus (PDF).
Plus tard, à Pune, après chacune des quatre heures de cours que j'ai eues avec deux disciples de Sucheta Chapekar qui me montraient les mouvements de son Shiva Kautukam, je notais la chorégraphie en notation Benesh, ce qui m'aidait à la comprendre et à la mémoriser, de façon à ne pas être trop ridicule pour le dernier cours quand il s'est agi de montrer à Sucheta Chapekar où j'en étais arrivé et qu'elle me donne des conseils et corrections. Le temps passé à noter les morceaux de chorégraphie était assez réduit en comparaison de la durée des cours et de ma pratique personnelle entre les cours. La chorégraphie d'un peu plus de deux minutes tenait sur trois pages (ce qui est ni plus ni moins le nombre de pages qu'occupait la notation rythmique du texte de la musique, à l'indienne, sous forme de tableau), donc on peut considérer que la notation Benesh est relativement compacte. Par la suite, j'ai noté au fur et à mesure les autres pièces de bharatanatyam que j'ai apprises.
À partir de décembre 2014, j'ai suivi pendant cinq mois le Distance Learning Course 1 du Benesh Institute. Ce cours à distance est très bien fait. Il suppose une certaine connaissance de la terminologie du ballet. Étant aussi balletomane, ce cours m'a aussi permis d'approfondir ma connaissance du vocabulaire du ballet en même temps que la notation Benesh.
Deux grands systèmes de notation de la danse sont utilisés en danse classique ou en danse contemporaine. Outre la notation Benesh, il existe aussi le système de notation Laban, que je n'ai pas regardé en détail, mais il est à noter que la danseuse de bharatanatyam Rukmini Vijayakumar, en plus de son initiation à d'autres styles de danses comme le ballet, a également reçu une formation en notation Laban.
Dans le livre Bharatanatyam édité par Sunil Kothari se trouve un chapitre intitulé Dance Notation of Adavus rédigé par Padma Subrahmanyam. Cent quatorze adavus appartenant à treize familles y sont décrits. Elle y utilise son propre système de notation utilisant de façon très différente que ci-dessus les lignes d'une portée musicale. Ce système de notation n'est pas aussi complet que la notation Benesh puisque seules les positions des pieds y sont notées. Sans les compléments d'information apportés par les lignes de texte et photographies qui les accompagnent, les séquences notées ne peuvent donc pas être comprises.
Une alternative est de représenter la danse comme une suite de petits dessins schématiques, comme cela apparaît par exemple dans le Manuel traditionnel du Bharata-Nâtyam, Le Danseur Cosmographe de Katia Légeret. Un des intérêts de la notation Benesh est de dispenser le notateur de la nécessité de posséder quelque talent que ce soit en dessin !
⁂
Je serais particulièrement intéressé par d'éventuels retours sur ce
billet ou par des informations à propos d'autres personnes ayant utilisé la
notation Benesh (ou un autre système de notation) pour le bharatanatyam ou
d'autres styles de danses classiques indiennes. (Vous pouvez utiliser les
commentaires ci-dessous ou mon adresse email
joel.riou@normalesup.org
.)
2014-09-21 12:21+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Mas Flores de Llum, Los Masos — 2014-09-13
Camille, danse bharatanatyam
Sucheta Chapekar, chorégraphies
Jyotika Rao, reconstitution de la chorégraphie du Varnam
Arundhati Chapekar, chorégraphie du Ranga Dwara
Namaskar
Alarippu (Rupaka Tala)
Prastar (9 temps)
Shiva Kautukam (Chatushra Eka Tala)
Mate Sarasvati (6 temps)
Varnam “Sami yei vara sholadi” (Raga Purvi Kalyani, Adi Tala)
Ranga Dwara (Adi Tala)
Nritya Mangalam (Mishra Tala)
Cela faisait un moment que j'attendais que se présente une occasion de voir un récital solo de Camille, l'élève la plus avancée de ma prof de bharatanatyam Jyotika Rao. La première fois que je l'ai vue danser, il y a deux ans, c'était dans un Shiva Kautukam. Les trois minutes de sa performance m'avaient semblées tout à fait extraordinaires. Depuis, j'ai eu de nombreuses occasions de la voir danser d'autres pièces de danse pure ou comportant une composante pas exactement narrative, mais au moins évocatrice : il s'agit alors de rendre hommage aux dieux en évoquant leurs qualités et hauts faits. La consision des poèmes utilisés dans ce type de pièces, aussi belles soient-elles, ne permet pas d'élaborer une véritable narration. C'est donc avec un intérêt particulier que je l'avais vue pour la première fois danser un Varnam, en duo avec Laure, une autre élève avancée. Pour la première fois, ses qualités de mime étaient utilisées pour représenter des personnages humains.
Revoir ce Varnam interprété en solo au sein d'un récital complet ayant à peu de choses près la forme du Margam serait assurément une tout autre expérience. Je me suis donc dirigé vers le Sud de la France, à quelques dizaines de kilomètres de Perpignan, à Prades, en contrebas du mont Canigou :
Après avoir visité la magnifique église datant de 1610, j'ai entrepris de marcher vers le Mas Flores de Llum situé dans le village voisin de Los Masos. À mi-chemin, j'entends un Namaste provenant d'une voiture avec à son bord deux femmes, dont l'Indienne en sari ayant préparé de délicieuses spécialités indiennes pour les spectateurs du récital. J'ai donc pu m'épargner les quelques kilomètres de marche restants.
Quand l'heure du récital sera venue, la salle sera pleine, la soixantaine de spectateurs ayant pris place sur les chaises ou coussins placés sur le parquet à quelques centimètres des pétales de fleurs délimitant l'espace scénique.
Le récital a commencé par un magnifique Namaskar. Dans cette salutation silencieuse aux maîtres et au public, la danseuse s'excuse auprès de la Terre de la souffrance qui lui sera infligée du fait des frappes de pieds. Cela n'a duré que quelques secondes, mais l'exécutation a été tellement pleine de grâce et de majesté que j'ai presqu'eu du mal à contenir mon émotion.
La première pièce du récital proprement dit a été un délicieux Alarippu à trois temps. Si je reconnais quelques enchaînements (adavus) exécutés, ce que je vois est néanmoins à l'opposé de la froideur géométrique de certaines écoles. De quasi-imperceptibles petits mouvements ajoutent une saveur particulière à ces enchaînements qui paraissent plus courbes et harmonieux. Bref, je crois reconnaître des adavus, mais je me rends compte que je ne les connaissais pas vraiment.
Le récital se poursuit avec Prastar, un hommage à la Déesse que j'ai déjà vu de nombreuses fois. Utilisant un rythme à 9=5+4 temps de musique hindustani, cette pièce évoque Saraswati, la Déesse des Arts représentée avec sa vînâ, la bienveillante Lakshmi, qui apporte la prospérité, et la féroce Durga dont la monture est un tigre.
Vient ensuite Shiva Kautukam. Il s'agit de la pièce que j'ai apprise à Pune avec Sucheta Chapekar et deux de ses disciples. Si la version que je connais est censée être plus masculine, la danse de Camille ne manque aucunement de vigueur ! Si du point de vue rythmique, les deux versions sont identiques, les mouvements de bras et de mains me donnent, comme dans l'Alarippu, le sentiment de voir un tableau harmonieux et raffiné alors que la version que je pratique ne semble n'en être qu'au stade de l'esquisse grossière. Ce que j'ai préféré plus que tout dans cette pièce, plus encore que le Kautukam proprement dit, c'est le Shloka en l'honneur de Shiva qui a précédé. Il évoque l'assemblée de dieux et musiciens célestes qui se sont réunis pour assister à la très impressionnante danse cosmique de Shiva (Tandava).
La pièce suivante sur un poème de Tagore s'intitule Mate
Sarasvati. Du strict point de vue musical, il s'agit à mon goût de la
pièce la moins intéressante du récital, la même mélodie étant
inlassablement répétée en arrière-plan. Ceci permet certainement de se
repérer dans le cycle rythmique à 6 temps, mais c'est à peu près tout. Les
quelques courts moments évocateurs de la chorégraphie représentent
Sarasvati comme Déesse des Arts et de la parole. Elle joue de la vînâ et le
son de la musique déclenche le plaisir esthétique de ceux qui l'entendent.
Les passages de danse pure sont extrêmement développés, très vifs et très
complexes d'un point de vue rythmique ! Ceci fait que cette pièce est sans
doute la plus spectaculaire
du programme.
La pièce centrale du récital est un Varnam dans lequel
l'héroïne se languit de Muruga. Avant ce récital, j'avais déjà vu ce
Varnam interprété par Jyotika Rao au Cendre
Mandapa, et plus récemment en duo par Camille et Laure. Au troisième
visionnage, je découvre toujours de nombreux détails, comme les nombreuses
références au paon, la monture de Muruga. Un épisode complet du
Varnam que je n'avais pas compris a commencé à prendre sens pour
moi : la chorégraphie raconte en effet les raisons de la naissance de
Muruga, né pour tuer le démon Taraka qui ne pouvait être vaincu que par un
fils de Shiva. Je me délecte des nombreux détails de la chorégraphie, comme
l'utilisation de fleurs florales différentes par l'archer Kama, ou par
l'intervention d'un oiseau servant de messager à l'héroïne pour le mot
qu'elle vient d'écrire. Le passage le plus délicieux du Varnam a
été pour moi l'insistance désespérée de l'héroïne auprès de son amie
(sakhi) pour qu'elle aille rapporter ses paroles à Muruga :
Vas-y ! Maintenant, tout de suite ! Mais... vas-y !
.
L'avant-dernière pièce est le très vif Ranga Dwara évoquant Krishna. Il est représenté avec sa flûte et sa plume de paon. Dans cette chorégraphie d'Arundhati, la fille de Sucheta Chapekar, les mouvements de pieds sont particulièrement originaux, et coordonnés avec les mouvements de bras, ils induisaient souvent une courbure particulière du corps.
J'e n'ai pas de souvenir précis de la dernière pièce Nritya Mangalam. Je me serais à vrai dire presque contenté de la présentation des mouvements qui avait précédé et qui était accompagnée de la récitation de vers sanskrits et de leur traduction. J'ai failli applaudir à la fin de cette présentation, mais la pièce proprement dite a ensuite été dansée sur un rythme à 7 temps pour s'achever sur le sentiment de paix (Shanta).
2014-09-19 14:02+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XIII — Photographies
De retour à Mumbai, j'ai déposé ma valise dans un hôtel (pas excessivement cher, mais chambres minuscules) situé non loin de la gare Chhatrapati Shivaji Terminus :
J'avais déjà fait une très courte étape à Mumbai entre mes séjours au Gujarat et à Pune. Comme c'était le 15 août, fête de l'indépendance de l'Inde, ce monument était illuminé aux couleurs de l'Inde. Je n'avais alors pu photographier que le bâtiment administratif situé en face :
Au cours de l'après-midi, je me suis dirigé vers la cuisine centrale de la Pâtisserie Le15 et ai dégusté quelques fort bons macarons (bien meilleurs que ceux que j'avais mangés à Delhi) :
L'intérieur est beaucoup plus propre que l'extérieur !
Experimental Theatre, National Centre for the Performing Arts, Mumbai — 2014-07-23
Darshana Jhaveri, danse manipuri
Bimbavati Devi, danse manipuri
Danseurs et musiciens de Mumbai, Kolkata et du Manipur
Hommage à Guru Bipin Singh pour le 96e anniversaire de sa naissance
Le soir, j'ai assisté à un spectacle de danses Manipuri au NCPA Mumbai. Alors que je suis assis dans le hall, le critique de danse Dr. Sunil Kothari (qui était présent à Chennai pendant mon séjour lors la dernière saison de danse) me donne du Namaste !
Ce programme célèbre le 96e anniversaire du maître de danse Guru Bipin Singh décédé en 2000. Après une prière dansée par Bimbavati Devi, fille et disciple du maître, Sunil Kothari prononce un bref discours sur la danse Manipuri, qui est reconnue comme une des danses classiques de l'Inde. Le conférencier a souligné que Guru Bipin Singh avait initié une sanskritisation de cette danse. S'appuyant sur les traités sanskrits sur lesquels reposent d'autres styles classiques, il avait introduit dans ce style des éléments (des gestes de mains notamment) qui rendent plus classique le style Manipuri que certains pourraient ne considérer que comme une danse folklorique de l'état du Manipur, voisin de la Birmanie. Cela a été me semble-t-il tout l'enjeu de ce spectacle, en réalité un double spectacle.
Si l'orchestre a été le même pendant toute la représentation, deux troupes ont dansé successivement. La première est formée de danseurs originaires de Mumbai sous la direction de Darshana Jhaveri, elle aussi originaire de cette région, et qui était venue avec ses sœurs apprendre le style Manipuri auprès de Guru Bipin Singh. Si on laisse de côté les costumes spécifiques, ce qui me frappe le plus dans la danse de Darshana Jhaveri (74 ans !) et de ses disciples, ce sont les mouvements de mains, qui tournent en permanence, formant des sortes de spirales. La danse est dénuée de toute utilisation de position de mains (mudras) communes avec les autres styles de danses classiques ! J'ai l'impression de voir quelque chose de tout à fait nouveau pour moi. La danse me paraît complètement indéchiffrable. Les passages censés être plus ou moins narratifs (sur des thèmes liés à Krishna) me sont incompréhensibles, notamment parce que les danseurs n'utilisent pour ainsi dire pas l'expression faciale pour suggérer des sentiments : à un instant donné, je ne sais même pas si c'est Krishna ou Radha que Darshana Jhaveri représente ! Une des pièces est une compétition de virtuosité (sur le cycle rythmique Tivratal) entre les deux interprètes respectifs de Krishna et Radha, Krishna étant reconnaissable à la plume de paon agrémentant son costume. Une partie de la danse est constituée de spectaculaires pirouettes utilisant les genoux comme centre de rotation en contact avec le sol. D'autres mouvements de rotation autour de la scène rappellent les manèges qu'exécutent les danseurs de ballet ! Si avec cette première moitié de représentation, j'ai l'impression d'avoir assisté à un spectacle authentique issu d'une culture très différente, je reste perplexe parce que les codes me sont inconnus, et les aspects qui retiennent le plus l'attention du public (la virtuosité) ne sont pas ceux que je cherche en tant que spectateur de danse ; à certains moments, je n'ai donc pas pu m'empêcher d'éprouver quelqu'ennui.
Les danses de la première partie étaient toutes, ou presque toutes, des pièces chorégraphiées par Guru Bipin Singh que Darshana Jhaveri a remontées. Dans la deuxième partie, Bimbavati Devi, la fille du maître va présenter ses propres chorégraphies. Elle a manifestement poussé beaucoup plus loin que son père la sanskritisation du style Manipuri. Cette deuxième partie de spectacle m'a été beaucoup plus agréable parce que j'ai pu suivre davantage ce que les danseurs voulaient exprimer, mais cette classicisation fait aussi que ce spectacle est sans doute moins fidèle à la tradition et il est paradoxal que ceci vienne de la fille-même du maître dansant avec des disciples de Kolkata et du Manipur plutôt que de la première troupe dirigée par Darshana Jhavari qui est basée à Mumbai !
Ainsi la première pièce Mathura Nartan dansée par Bimbavati Devi évoque les bijoux de Krishna. La deuxième Dashavatar évoque de façon élaborée les avatars de Vishnu. Elle est interprétée par deux hommes. L'essentiel du temps, ils exécutent étrangement les mêmes mouvements narratifs de façon synchronisée. Je n'ai pas reconnu avec certitude tous les avatars, mais j'ai été particulièrement frappé par l'évocation de l'avatar de la tortue (Kurma) qui donne aux deux danseurs l'occasion de représenter le mythe du Barratage de la Mer de lait, les dieux et démons tirant chacun de leur côté sur le serpent Vasuki pour faire tourner le mont Mandara qui repose sur la carapace de la tortue. Depuis le passage du Ballet Royal du Cambodge à la Salle Pleyel en 2010, je n'avais pas revu cette partie du mythe représentée sur une scène de danse.
La pièce suivante est shivaïte : un groupe plus important de trois danseurs et trois danseuses interprète Shiva Bandhana. Elle est particulièrement saisissante par l'utilisation de poses renvoyant à l'iconographie que la multiplicité des danseurs permet de représenter simultanément. On voit ainsi notamment le danseur cosmique Nataraja et celui qui a la gorge bleue (Nilakantha). Shiva porte des cendres sur son front, la rivière Ganga s'écoule de son chignon, il joue du tambour Damaru, il monte Nandi et porte le trident.
L'avant-dernière pièce évoque la terrible Durga au trident et dont la
monture est le tigre. Dans cette chorégraphie très classique
,
Bimbavati Devi représente semble-t-il aussi sa rencontre avec Shiva :
l'archer Kama est réduit en cendres. La dernière pièce dansée par deux
couples évoque le printemps Basanta, avec d'heureux couples
d'oiseaux d'une espèce indéterminée et de perroquets. Cette pièce
s'enchaîne avec une représentation de la célébration de la fête de Holi
avec tous les danseurs, le percussionniste venant exécuter des figures
acrobatiques tout en jouant de son instrument...
2014-09-18 12:38+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XIII
Je suis arrivé à Pune un samedi après-midi. Une voiture m'attendait pour me conduire à l'IISER, un institut de recherche où je passerai la semaine et dont le bâtiment principal a été inauguré il y a quelques mois par le Président de l'Inde. J'y retrouve avec plaisir mes amis Supriya et Amit qui y travaillent depuis quelques mois et j'y donnerai au cours de la semaine plusieurs exposés de mathématiques. Les petits-déjeuners et dîners de la Guest House étaient excellents. Croyant bien faire les deux cuisiniers avaient initialement réduit la quantité d'épices ; je leur ai demandé d'utiliser la quantité normale. Progressivement, les plats devenaient de plus en plus épicés de jour en jour jusqu'à atteindre le parfait dosage.
Le dimanche après-midi, j'ai rendu visite à Sucheta Chapekar (guru de ma prof) et après discussion, il a été convenu qu'au cours de mon séjour j'apprendrais avec deux de ses disciples le Shiva Kautukam qui m'avait tant plu. Elle m'a aussi suggéré d'assister au spectacle qui allait se tenir quelques heures plus tard :
Jyotsna Bhole Sabhagruha, Pune — 2014-08-17
Priya Nimkar Joshi, bharatanatyam, chorégraphies
Sucheta Chapekar, chorégraphie du Tillana
Uttakaad Kavi, compositions
Dr. Sau Kalyani Namjoshi, discours
Manasi, Neha, Ambari, Saniya, Jai, bharatanatyam
Hommage à Ganesh
Offrande de fleurs
Solo
Padam
Tillana “Kalinga Narthana” (Raga Gambhira Nattai)
Une des disciples de Sucheta Chapekar a proposé un programme autour des compositions sur Krishna d'Uttakaad Kavi. Le 17 août était en effet le jour de Krishna Janmashtami, l'anniversaire de la naissance de Krishna.
Après quelques mots d'introduction, Dr. Sau Kalyani Namjoshi et Sucheta Chapekar ont inauguré le programme en exécutant quelque bref rituel propitiatoire sur l'espace scénique. Dr. Sau Kalyani Namjoshi a ensuite prononcé un long discours sur les différents aspects de Krishna. Après avoir salué le public de rasikas et récité un shloka sanskrit, elle a commencé sa conférence en marathi. Je n'ai strictement rien entendu à ce qu'elle disait, mais je pouvais au moins comprendre à quelles épisodes des épopées elle faisait référence en faisant attention aux noms propres qu'elles prononçait, comme Draupadi ou Ashwattaman.
Plus de trois semaines après le récital, les détails se sont quelque peu effacés de ma mémoire, mais je me souviens de la délicieuse première pièce exécutée par quatre jeunes disciples de Priya Joshi. Alternant passages expressifs et passages rythmiques (les césures étant adoucies par les interprètes de la musique enregistrée), elles ont évoqué Ganesh, fils de Parvati, puis de Shiva. Elles ont mis en valeur ses oreilles, sa monture, sa trompe. Priya Joshi a ensuite dansé en solo une offrande de fleurs souhaitant la bienvenue à Krishna si j'en crois le texte que j'entendais (Swagatam Krishna). Une des disciples a ensuite interprété une pièce décrivant à quel point Radha est intoxiquée par les ondes sonores produites par la flûte de Krishna qui parviennent à ses oreilles, tandis qu'autour d'elle abeilles et oiseaux semblent heureux. L'avant-dernière pièce du programme a été interprétée par Priya Joshi, il s'agit d'un Padam évoquant certains sentiments maternels de Yashoda s'en allant chercher de l'eau tandis que Krishna fait le fier avec ses bracelets et colliers.
Si toutes les pièces précédentes m'ont beaucoup plu, le frissonnomètre est monté beaucoup plus haut, à un niveau rarement atteint, pendant la dernière pièce dansée par quatre jeunes disciples. J'ai cru mourir de plaisir en voyant ce Tillana, la seule pièce du programme à avoir été chorégraphiée non pas par Priya Joshi mais par Sucheta Chapekar. J'ai immédiatement reconnu le fameux Tillana “Kalinga Narthanam” (Raga Gambhira Nattai). La chorégraphie est absolument magnifique. Krishna joue à la balle avec ses amis et la balle retombe dans la Yamuna. Krishna se dévoue pour aller la chercher, mais le serpent Kalinga y règne. La chorégraphie montre Krishna en train de dompter le serpent, représenté par trois danseuses représentant chacune une de ses têtes ondulantes. Cette scène est particulièrement impressionnante ! Il s'agit là d'un des plus grands moments de bharatanatyam auxquels j'aie assisté. Il est particulièrement plaisant que ce thème lié à l'enfance de Krishna soit interprété par de jeunes danseuses.
⁂
Les jours suivants, je suis retourné chez Sucheta Chapekar prendre un cours avec deux de ses disciples Mugdha et Prajaksha (qui devaient par ailleurs répéter une chorégraphie de groupe sur le Ramayana, Mugdha interprétant Lakshman et une autre disciple, Yashoda, interprétant (magnifiquement) Rama). Prajaksha me montrait les mouvements tandis que Mugdha marquait le rythme avec un bâton et rectifiait la chorégraphie en cas d'hésitation ou de doute (notamment sur des questions de rythme, quand je constatais des différences avec la partition rythmique que j'avais photocopiée). Chaque soir, je notais en notation Benesh les sections de la chorégraphie que j'avais apprises lors du cours (je reviendrai dans un prochain billet sur cette notation de la danse), ce qui m'aidait à comprendre la chorégraphie et à la mémoriser. Au bord de quatre heures de cours et pas mal de pratique, à quelques hésitations près, je pouvais plus ou moins danser la pièce, ce que mes deux professeures ont constaté lors du dernier cours. Le temps était donc venu de le faire voir à Sucheta Chapekar. Alors que nous n'avions travaillé jusque là qu'avec les bols, je me suis retrouvé à devoir le danser pour la première fois avec un enregistrement de la véritable musique devant la chorégraphe... Étonnamment, je suis arrivé à rester synchro avec la musique jusqu'au bout. Elle a fait quelques corrections à la chorégraphie et m'a donné des conseils et pour finir, elle m'a fait faire le Namaskar.
2014-09-06 13:32+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Planning
Après mon séjour en Inde, reprise des activités normales. Voici mon planning de septembre 2014 :
Talents Adamidirigeront l'orchestre Colonne dans un programme assez enthousiasmant a priori (Prokofiev/Chostakovitch/Stavinsky).
2014-08-04 15:19+0530 (ग्रेटर नोएडा) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XIII — Photographies
Mardi dernier, je me suis rendu à l'autre bout de Delhi,
dans le quartier de Malviya Nagar pour retirer une entrée
(gratuite) pour la première représentation du spectacle
All Warmed Up
en clôture de la Gati Summer Dance
Residency.
Six danseurs-chorégraphes (cinq indiens, une sri-lankaise) ont travaillé pendant dix semaines avec d'autres artistes (comme Padmini Chettur) pour mettre au point une pièce de danse contemporaine. Pour me rendre sur place, j'ai suivi les indications précises de leur site, mais elles oubliaient de préciser que de quelque côté que l'on marche sur la Press Enclave Road, il faudrait souffrir la puanteur de tas d'ordures :
Le chemin du retour m'a fait passer devant le mall Select CityWalk. Je déteste ces lieux où l'on chercherait en vain toute trace de civilisation :
Aucun des restaurants ne m'a paru intéressant, agréable et à des prix
raisonnables. Alors que j'allais sortir, je suis tombé sur une pâtisserie
appelée L'Opéra
. Il en existe plusieurs à Delhi. Les tarifs sont à peu
près les mêmes qu'en France. Une expatriée m'a dit plus tard qu'ils faisaient
du très bon pain. Le mille-feuilles et le macaron que j'y ai mangés m'ont rendu
beaucoup moins enthousiaste...
⁂
Siddharta Hall, Max Mueller Bhavan, Goethe-Institut, Delhi — 2014-07-31
Ghostape, son
Govind Singh Yadav, lumières
Riya Mandal, chorégraphie, danse, costume
unfold @ 70bpm (création)
Rajan Rathore, chorégraphie, danse, costume
Sasha Shetty, danse
parallel (création)
Venuri Perera, chorégraphie, danse, costume
traitriot (création)
Rachnika Gopal, chorégraphie, danse, costume
looking within without (création)
Avantika Bahl, chorégraphie, danse, costume
110048, M81 (création)
Mirra, chorégraphie, danse, costume
according to official sources... (création)
Je suis arrivé très en avance au Max Mueller Bhavan jeudi soir. Il pleuvait
assez fort. Pas grand monde sachant me dire où se trouvait le Siddharta Hall,
que j'aurais trouvé plus facilement si j'avais ignoré son nom. De toute façon,
il n'ouvrira pas avant 19h. En attendant, je tourne en rond, je vois pour la
première fois ici des toilettes messieurs signalées par Herren
. Le petit
monde de la danse contemporaine à Delhi arrive progressivement, se fait la
bise, etc. Quand la porte ouvre enfin, je profite de la fraîcheur de l'air
conditionné et m'installe dans la salle qui sera pleine à craquer avec 90
spectateurs environ. (La deuxième des trois représentations prévues était déjà
complète au moment de cette première.)
La première pièce est interprétée par Riya Mandal. La musique est une pulsation régulière (70bpm) dans laquelle s'insinueront des subdivisions. La danseuse est d'abord assise et réalise des mouvements du visage plus ou moins grimaçants à 70 bpm. Le mouvement s'empare progressivement de tout son corps (comme dans un Alarippu) et elle abandonne aussi sa chaise. Les mouvements de mains plus ou moins indépendants sont particulièrement fascinants. Cette entrée en matière est à mon avis une réussite.
La deuxième pièce est le sommet de la soirée. Il s'agit d'un duo entre Rajan Rathore (hip-hop) et la danseuse de ballet Sasha Shetty (qui me dira ensuite qu'elle apprend cette danse avec une prof russe, mais que leurs spectacles annuels n'ont lieu qu'en avril...). La pièce commence par une course-poursuite en rond dans l'espace scénique, chacun maintenant en permanence son regard dirigé vers l'autre. Les mouvements des deux conserveront un parallélisme jusqu'au bout. Si leurs mouvements ne sont pas toujours symétriques, ils sont toutefois réglés sur la même rythmique. On verra ainsi parfois Sasha Shetty utiliser des postures de danse classique tandis que Rajan Rathore exécute des mouvements de hip-hop. Un des moments forts de la pièce a été celui où les deux danseurs se tenaient debouts, penchés, épaule contre épaule, ce contact rendant l'équilibre possible. Il résume aussi le sujet de la pièce allant d'une opposition à union harmonieuse entre les deux danseurs.
Les trois pièces suivantes m'ont moins passionné. Toutes ont eu un côté hypnotique, mais je n'ai pas très bien saisi le message. Dans Traitriot, Venuri Perera (Sri Lanka) utilise la répétition de suites de mouvements de façon assez dérangeante, mais le contenu politique revendiqué de la pièce ne me paraît pas très clair (quelle est cette musique qui retentit à la fin ? est-ce un hymne ?)
Après l'entr'acte, Rachnika Goyal interprète looking within without. Il s'agit d'une méditation, ou d'une introspection en surplace. Le poids de la danseuse est bien passé d'un pied à l'autre une ou deux fois au cours de la pièce, mais pour ainsi dire seul le haut du corps a bougé, et très lentement, au cours de la pièce. Le fil de pensée du personnage m'est resté assez mystérieux, comme si un mur empêchait toute communication... Je n'ai rien contre ce type de danse, qui doit constituer une expérience très intéressante et éprouvante pour la danseuse, mais la présence du public n'est-elle pas superflue ?
Je suis aussi passé à côté de 110048, M81 d'Avantila Bahl. Elle a
commencé par marquer l'espace en traçant une diagonale avec un rouleau adhésif.
Plus loin, elle représentera semble-t-il des jeux d'enfants, notamment des jeux
avec un arc ? La pièce devait évoquer la notion de Home, mais
comme elle l'a expliqué à la fin, ce n'est pas tellement un chez soi
qu'elle cherchait, mais un en soi
.
Le programme s'est terminé en feu d'artifice avec la jubilatoire performance
de Mirra (Arun). Elle a tourné en dérision les médias dans cette pièce
according to official sources.... L'interprète est apparue avec une
multiprise enroulée autour du cou ! On se croirait dans un ballet de Mats
Ek. Je ne suis pas certain d'avoir saisi toutes les paroles prononcées par
Mirra dans cette pièce en raison de son accent prononcé, mais il était
semble-t-il question d'une annonce journalistique d'un drame mettant en scène
des moustiques. Selon les sources officielles, certains d'entre eux étaient
indiens et d'autres étrangers. La phrase But where is the plane
(ou quelque chose d'approchant phonétiquement parlant) revenait comme
leitmotiv entre deux développements de charabia et avant que What
a wonderful world apparaisse dans la bande-son. On pourrait penser que
cette pièce n'était que drôle (cet aspect culminant avec l'utilisation par
l'artiste d'un spray anti-moustiques), mais Mirra est aussi une remarquable
danseuse. Elle utilise certes son corps de façon peu orthodoxe, mais sa
technique m'a beaucoup impressionné et cela a contribué à faire de cette pièce
celle que j'aie préférée avec le duo parallel de Rajan Rathore.
À l'issue de la représentation, les danseurs se sont prêtés à une agréable discussion avec la partie du public qui voulait bien rester. Je suis plutôt très content d'avoir assisté à ce programme !
2014-07-28 15:15+0530 (ग्रेटर नोएडा) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XIII
Chinmaya Mission Auditorium, Delhi — 2014-07-26
Geeta Chandran, bharatanatyam
Natya Vriksha Dance Company, bharatanatyam
Rasānanda
Rarement un récital de bharatanatyam m'aura autant déçu... Ce programme a eu lieu à l'auditorium de la Chinmaya Mission près des jardins de Lodi (j'en ai profité pour visiter ces jardins, mais aussi les tombeaux de Najaf Khan et de Safdarjung et rencontrer le journaliste freelance Ankit Agrawal qui m'a fait goûter des Dahi Puri à l'India Habitat Centre). J'avais déjà eu l'occasion en 2009 d'aller à la Chinmaya Mission pour un récital de bharatanatyam de Sharanya Chandran. J'avais oublié son nom, mais je gardais le souvenir d'un récital de bonne qualité. Il se trouve que cette danseuse sera encore sur scène, mais elle ne sera qu'une des sept danseuses de la Natya Vriksha Dance Company de sa mère Geeta Chandran.
Les pièces sont annoncées de façon quelque peu
prétentieuse par un speaker qui parle beaucoup pour ne rien
dire. L'ensemble du récital m'a beaucoup ennuyé. J'ai
pourtant eu l'impression de comprendre ce que voulaient
exprimer les danseuses. Seules une ou deux scènes m'ont
vraiment intéressé, ainsi que certains jeux de placement du
corps de ballet
dans des passages de danse pure.
La première pièce Mallari met en scène les sept danseuses et est plutôt réussie. Elle évoque un temple (de Shiva ?) et plus spécifiquement les cérémonies du soir au cours desquelles on promène la divinité autour du sanctuaire, les danseuses s'organisant pour former le cortège. Dans les passages de danse pure, je reconnais de plus en plus d'adavus, mais je constate aussi que les danseuses ne sont pas vraiment en position assise et que certaines font à peine semblant d'aller regarder leur main dans le dos... Jusque là, ce programme est plutôt honnête.
Les choses se gâtent sérieusement avec la pièce suivante
Govindanandana que j'ai détestée. Dans ce solo,
Geeta Chandran évoque divers aspects de Krishna. Elle
commence par représenter l'Univers, puis après un jati peu
convainquant, elle représente l'Océan cosmique, Vishnu sur
le serpent Shesha et Lakshmi lui massant les pieds. Il
s'agit à mon avis de la plus belle image de l'iconographie
hindoue. Pourtant, j'ai trouvé affreuse l'interprétation de
Geeta Chandran. Sa façon de faire apparaître le lotus du
nombril de Vishnu-Padmanabha était particulièrement
disgracieuse... Dans le chapitre suivant, elle évoque
l'épisode de la Bhagavad Gita tandis que dans la musique
enregistrée se fait entendre en boucle
Parthasarathy
; sans le texte il n'est pas
certain que j'aurais compris de quoi il s'agissait. La
pièce se conclut par une évocation littérale mot à mot de
l'Océan des réincarnations (Samsara Sagara).
La pièce suivante est un Varnam intitulé
Vanajaksha
interprété par les sept danseuses de
Natya Vriksha. Elle évoque la vie du jeune Krishna dans une
alternance entre passages rythmiques et passages narratifs,
pas toujours très clairs. Les entrées et sorties des
danseuses ne semblent obéir à aucune logique. Sharanya
Chandran est semble-t-il une des danseuses les plus douées
de la compagnie, elle incarne souvent le rôle de Krishna.
Le seul passage vraiment remarquable de cette pièce (et de
tout le récital) représente le jeune Krishna en train de
jouer à la balle avec ses amis. La balle est lancée un peu
trop loin et tombe dans un étang où règne l'effrayant
serpent Kaliya. On voit alors Krishna retrousser ses
vêtements, attacher ses cheveux et dompter le serpent. La
scène était particulièrement impressionnante dans la mesure
où les têtes multiples du serpent étaient figurées par
trois danseuses. Dans une autre scène, Krishna vole les
vêtements des pudiques bouvières qui étaient allées se
baigner dans la Yamuna.
Le Tillana exécuté par le corps de ballet et évoquant très brièvement Krishna/Murali m'a semblé long et ennuyeux, mais pas autant que la pièce finale Bhuvaneshwara sur un poème de Tagore interprétée par Geeta Chandran.
Je n'ai pas osé demander à la critique Leela Venkataraman assise à quelques sièges de moi ce qu'elle avait pensé de ce programme...
2014-07-27 12:20+0530 (ग्रेटर नोएडा) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XIII — Photographies
Je n'ai pour ainsi dire pas eu le temps de visiter Kolkata lors de ce séjour. Je me suis contenté d'explorer la Ganesh Chandra Avenue pour dénicher un bon stand de lassi ainsi que Chowringhee pour trouver un cyber-café. Près d'un marché, je me suis fait aborder par un photographe d'un journal local qui voulait semble-t-il me prendre en photo en train de photographier un drapeau allemand qui flottait à proximité.
Samedi (12), j'ai passé la fin de l'après-midi avec Abhishek (cf. Parasnath) à Srirampur où il tient l'unique boutique de livres de la gare. Assis à côté de lui jusqu'à la fermeture, j'ai pu voir à quel point il était charmant avec ses clients.
Monsieur Rabin Chattapadhyay nous a rejoint et il nous a fait voir quelques endroits de Serampur comme le collège, l'usine de jute au bord de la Ganga (comme tout le monde l'appelle, même si le nom Hooghly
serait plus correct), des temples hindous de Radha-Krishna ainsi que de Jagannath. Une particularité de Srirampur est de disposer d'un tel temple ainsi que de la deuxième plus ancienne fête de Rath Yatra après celle de Puri (Odisha). S'il est défendu aux non-hindous d'entrer dans le temple de Puri, je peux maintenant m'enorgueillir d'avoir visité un temple de Jagannath... Comme la fête de Rath Yatra est proche, aux alentours du grand char s'organise une fête foraine. Outre une dégustation de jalebis, je me suis laissé entraîner par Abhishek dans une de ces attractions infernales où le chaos surgit de la superposition de trois mouvements de rotation...
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Le lendemain matin, après un nouvel arrêt à Srirampur, je suis descendu à Chandernagor pour passer la journée (et une nuit) dans la maison d'Arijit (cf. 2008, 2010, 2012) qui était en construction lors de ma précédente visite il y a deux ans. J'ai encore une fois divinement bien mangé... Adrija a maintenant sept ans et est inscrite à une école où les cours se font en anglais ; elle est très à l'aise dans cette langue.
Le temps ne nous a pas permis de nous promener, juste de nous faire arroser, malgré la réparation de mon parapluie par un des des artisans dont c'est la spécialité. Avec Arijit, nous avons regardé le film Oh my God avec Akshay Kumar, une comédie plutôt honnête.
J'ai repris le train le lundi matin avec Arijit qui m'a présenté à ses amis du train direct Chandernagor-Howrah et puis nous avons traversé le fleuve. Nous nous sommes quittés peu après qu'il m'a fait voir le bâtiment de l'Assemblée législative où il travaille.
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L'après-midi, je suis allé rendre visite à la danseuse de bharatanatyam Arupa Lahiry de la Chidambaram Dance Company de Chitra Visweswaram. Malgré ses indications précises, j'ai eu quelques difficultés à trouver l'endroit. C'est pourtant simple, après être descendu à Rabindra Sarovar, il suffit de prendre un premier rickshaw (tous collectifs dans ce quartier) en direction d'un poste de police, traverser un carrefour, marcher une centaine de mètres, monter dans un deuxième rickshaw jusqu'à une certaine intersection, tourner à gauche, prendre la petite ruelle à gauche jusqu'à une maison isolée... Nonobstant le jeune âge de cette danseuse, j'ai été agréablement surpris par ses qualités pédagogiques et sa connaissance des subtilités du sanskrit dans son explication du poème d'un kriti Sri Rajarajeshwari qu'elle a commencé à m'enseigner quelques jours plus tard. Après le premier cours, nous sommes allés dans un restaurant bengali avec Ganesh, un de ses amis percussionnistes ; ce n'est pas encore cette fois-ci que j'arriverai à payer ne serait-ce que ma part lors d'une sortie avec des Indiens... Le lendemain matin, j'ai repris un nouveau cours avec elle et fait connaissance avec son mari bassiste de jazz avant de prendre le Kolkata Rajdhani en direction de Delhi. Ayant exceptionnellement opté pour la première classe, j'ai profité de la très bonne nourriture servie à bord :
Thé à bord du Kolkata Rajdhani
Dîner à bord du Kolkata Rajdhani
Par le plus grand des hasards, il se trouve qu'Arupa était dans le même train que moi ! puisqu'elle va désormais habiter à Delhi. J'ai donc pu continuer à prendre des cours (6 en tout) avec elle près de la maison familiale non loin de ce temple de Kali (qui comporte deux sanctuaires secondaires de Krishna-Radha et de Shiva).
Nous pouvions louer une petite salle dans une institution (école, clinique, etc) non loin de là. J'ai ainsi appris ou revu une trentaine d'adavus (les séries complètes des Tatta, Natta, Marditha et Khuditta Metti) que j'ai notés en notation Benesh (j'aurai l'occasion d'y revenir dans un prochain billet). J'ai aussi appris des extraits d'un kriti Sri Rajarajeshwari dont voici une notation des 20 secondes que durent le Swaram, assez tordu d'un point de vue rythmique...
2014-07-09 14:00+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Opéra — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Photographies
Salle Pleyel — 2014-06-02
Les Talens Lyriques
Christophe Rousset, direction musicale
Gyula Orendt, Orfeo
Emöke Barath, Euridice
Carol Garcia, La Musica, La Messagiera, Speranza
Elena Galitskaya, Proserpina, Ninfa
Cyril Auvity, Pastore
Alexander Sprague, Pastore
Nicholas Spanos, Pastore
Daniel Grice, Pastore
Gianluca Buratto, Caronte, Plutone
Damian Thantrey, Apollo
Chœur de l'Opéra de Lorraine
Merion Powell, chef de chœur
Ludovic Lagarde, Sébastien Michaud, création lumières
Orfeo (Monteverdi)
Je regrette presque d'avoir assisté à cette version de concert d'Orfeo qui n'a pas atteint les sommets de la version scénique donnée à la Cité de la musique à l'automne. Il devrait être interdit de modifier les réglages des lumières de la Salle Pleyel pendant qu'un orchestre joue : il est lamentable que le bruit de la motorisation des luminaires gâche ainsi un concert. Du point de vue vocal, les plus grandes sensations sont venues d'Elena Galitskaya.
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Barbican Hall — 2014-06-05
Bernard Haitink, direction
Chamber Orchestra of Europe
Manfred, ouverture (Schumann)
Isabelle Faust, violon
Concerto pour violon (Berg)
Symphonie nº6 Pastorale (Beethoven)
La complexité topologique du Barbican Hall me donne une préfiguration de ce que sera peut-être la future Philharmonie de Paris. Je doute cependant que la nourriture y sera aussi appétissante...
Je n'ai pas accroché au Schumann, j'ai apprécié le concerto pour violon de Berg (plus tonal que je ne l'aurais imaginé) et j'ai évidemment adoré la Symphonie Pastorale qui était la raison de mon déplacement à Londres pour le week-end. C'était tout autant exaltant que la première fois que j'avais entendu le Chamber Orchestra of Europe et Bernard Haitink interpréter cette œuvre.
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Royal Academy of Music — 2014-06-06
Maria Włoszczowska, violon
Schubert, Elgar, Ysaÿe
Le lendemain matin, suivant la suggestion de la meilleure directrice marketing du Chamber Orchestra of Europe, je suis allé à la Royal Academy of Music. Des récitals ou plutôt examens de fin d'année d'étudiants très avancés avaient lieu. La matinée a commencé par un récital de violon de Maria Włoszczowska, magnifique dans Schubert, Elgar et surtout Ysaÿe ! (Il est possible d'écouter certaines de ses interprétations à cette adresse.)
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Royal Academy of Music — 2014-06-06
Tahirah Osborne, soprano
Pawel Siwczak, clavecin
Alexander Rolton, violoncelle
Yi-Ru Hung, piano
Allor ch'io dissi addio (Händel)
An die Laute, An die Sonne, Du liebst mich nicht, An mein Herz (Schubert)
Trois poèmes de Louise de Vilmorin (Poulenc)
Quatre chansons pour enfants (nº1 et 3) (Poulenc)
There's none to soothe, Sweet Polly Oliver (Britten)
Music, when soft voices die, Love's Philosophy (Quilter)
Vient ensuite le récital de la soprano Tahirah Osborne. Je ne sais pas s'il s'agit d'une contrainte de ce type d'examen, mais elle a chanté dans quatre langues : italien, allemand, français, anglais. Certains passages des Lieder de Schubert étaient très émouvants. Sa diction du français, sans être parfaite, était plus que correcte ; il ne m'était ainsi pas nécessaire de lire le texte fourni pour comprendre les Chansons pour enfants de Poulenc.
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Barbican Hall — 2014-06-06
Leonidas Kavakos, violon et direction
London Symphony Orchestra
The Creatures of Prometheus, overture (Beethoven)
Tim Hugh, violoncelle
Enrico Pace, piano
Triple concerto (Beethoven)
Symphonie nº3 en mi bémol majeur Héroïque
(Beethoven)
Délicieux concert du London Symphony Orchestra dirigé par le violoniste Leonidas Kavakos. Je ne dirais pas que c'était un concert extraordinaire, mais j'ai pris beaucoup de plaisir à écouter ces œuvres de Beethoven. L'entente entre les trois solistes dans le Triple Concerto de Beethoven faisait plaisir à voir. Lors de ce concert, j'étais au tout premier rang du Barbican Hall ; certains premiers violons n'arrêtaient pas de me faire des sourires !
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Royal Opera House — 2014-06-07
Robert Carsen, mise en scène
Michael Levine, décors
Falk Bauer, costumes
Jean Kalman, lumières
Philippe Giraudeau, mouvements
Royal Opera Chorus
Renato Balsadonna, chef de chœur
Stephen Westrop, chef de chœur (pour cette production)
Orchestra of the Royal Opera House
Vasko Vassilev, premier violon
Simon Rattle, direction musicale
Yann Beuron, Chevalier de la Force
Thomas Allen, Marquis de la Force, son père
Sally Matthews, Blanche de la Force, fille du marquis
Neil Gillespie, Thierry, Leur valet
Deborah Polaski, Madame de Croissy, prieure
Anna Prohaska, Sœur Constance de Saint Denis
Sophie Koch, Mère Marie de l'Incarnation, sous-prieure
John Bernays, Monsieur Javelinot, Médecin
Emma Bell, Madame Lidoine, La nouvelle prieure
Yvonne Barclay, Sœur Antoine
Katy Batho, Sœur Valentine
Tamsin Coombs, Sœur Gertrude
Eileen Hamilton, Sœur Martha
Anne Osborne, Sœur Anne de la Croix
Deborah Peake Jones, Sœur Saint Charles
Dialogues des Carmélites, Poulenc
Les places debout du Royal Opera House sont d'un rare rapport qualité-prix. On voit toute la scène, pour ainsi dire de face ! J'ai même eu la chance de me tenir au même endroit qu'une certaine Julie Jones, comme le montre cette plaque commémorative :
In Memory of Julie Jones Who Stood Here
J'assistais pour la première fois à une représentation de Dialogues des Carmélites. Je pense que ce n'est pas la dernière ! La mise en scène m'a semblée très réussie. Les lumières étaient remarquables. Du point de vue vocal, je retiens tout particulièrement la performance d'Anna Prohaska dans le joyeux rôle de Constance. Une faute de goût m'a un peu gêné dans l'émouvante scène finale : le son enregistré de la guillotine était un peu cracra...
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Wigmore Hall — 2014-06-08
Atos Trio
Annette von Hehn, violon
Stephan Heinemeyer, violoncelle
Thomas Hoppe, piano
Trio pour piano en ré (Hob. XV:24), Haydn
Trio pour piano en mi mineur op. 90 “Dumky”, Dvořák
Allegro du Trio pour piano en la majeur (Hob. XV:18), Haydn
J'allais pour la première fois au Wigmore Hall pour un concert de musique de chambre. Je n'ai pas été particulièrement ému par ce concert. Le premier trio de Haydn que l'Atos Trio a interprété manquait un peu de mordant. S'ils l'avaient interprété comme ils ont joué le bis (de Haydn aussi), je pense que j'aurais passé un meilleur moment...
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Le jour de mon départ, je me suis promené dans Londres, et je me suis retrouvé à proximité d'une manifestation de Sikhs pour l'indépendance du Khalistan... Trafalgar Square était orange de monde :
Je pense que la National Gallery voisine a rarement vu passer autant de visiteurs sikhs en une journée !
Les autres photographies que j'ai prises à Londres sont visibles là.
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Mairie du troisième arrondissement — 2014-06-12
Jyotika Rao, nattuvangam, chant, danse
Matthias Labbe, mridangam
Joël Riou, tampura
Anjeli, Camille, Laure, bharatanatyam
Allaripu
Prastar (Camille/Anjeli)
Dashavatar (Anjeli)
Shiva Kautukam (Camille)
Jatisvaram (Jyotika/Anjeli)
Ranga Dwara (Camille)
Tillana (Jyotika/Laure)
Nritya Mangalam (Camille)
Je ne suis pas tout à fait objectif pour parler de ce spectacle puisque pendant la première moitié, je jouais du tampura pour accompagner ma professeure Jyotika Rao qui chantait et Matthias Labbe qui jouait du mridangam pour ce récital d'élèves avancées de bharatanatyam organisé à la mairie du troisième arrondissement. Les quatre cordes à vide du tampura sont censées être actionnées de façon indépendante du rythme de la musique, il n'est pas si facile d'en jouer pour accompagner la musique au rythme vif de la danse bharatanatyam, mais je ne m'en suis pas trop mal tiré. Bien que je n'aie vu le récital que de profil, le plus grand moment a été pour moi l'interprétation du Shiva Kautukam par celle-là même qui m'avait tant impressionné il y a un an et demi. J'ai vu cette danseuse interpréter beaucoup d'autres pièces depuis, mais il était particulièrement émouvant pour moi de la revoir tout en participant, très modestement, à la représentation de cette pièce. Je retiens aussi le très beau Dashavatar (avec une mention spéciale pour le nain Vamana) et le magnifique Tillana.
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Salle Pleyel — 2014-06-16
Guy Braunstein, violon
Zvi Plesser, violoncelle
Sunwook Kim, piano
Sonate pour violon et piano en la majeur (Franck)
Trio pour violon, violoncelle et piano en la mineur (Ravel)
Trio pour violon, violoncelle et piano n°1 en si bémol majeur, op. 99 (Schubert)
Andante con moto du Trio pour violon, violoncelle et piano n°2 en mi bémol majeur, op. 100 (Schubert)
Merveilleux concert de musique de chambre ! Que l'on décide d'écouter ce qui paraît au premier plan ou que l'on tente de percevoir l'arrière-plan, tout semble magnifique... Les phrasés du violoncelliste Zvi Plesser étaient particulièrement beaux.
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Opéra Garnier — 2014-06-23
Felix Krieger, direction musicale
Orchestre de l'Opéra National de Paris
Ballet de l'Opéra
Frédéric Chopin, musique (Mazurkas op. 6 nº2 et nº4, op. 7 nº4 et nº5, op. 24 nº2, op. 33 nº3, op. 56 nº2, op. 63 nº3 ; Valse op. 34 nº2, op. 69 nº2 ; Grandes valses brillantes op. 34 nº1 et op. 42 ; Études op. 25 nº4, nº5 et op. 10 nº2 ; Scherzo nº1 op. 20 ; Nocturne op. 15 nº1)
Jerome Robbins, chorégraphie (1969) réglée par Jean-Pierre Frohlich
Joe Eula, costumes
Jennifer Tipton, lumières
Vessela Pelovska, piano
Mathieu Ganio, en brun
Nolwenn Daniel, en jaune
Josua Hoffalt, en vert
Ludmila Pagliero, en rose
Karl Paquette, en violet
Charline Giezendanner, en bleu
Christophe Duquenne, en bleu
Amandine Albisson, en mauve
Aurélie Dupont, en vert
Emmanuel Thibault, en rogue brique
Dances at a gathering
César Franck, musique (1890)
Alexei Ratmansky, chorégraphie
Karen Kilimnik, décors
Adeline André, costumes
Madjid Hakimi, lumières
Accentus
Christophe Grapperon, chef du chœur
Laëtitia Pujol, Psyché
Marc Moreau, Eros
Alice Renavand, Vénus
Christelle Granier, Caroline Robert, Les deux Sœurs
Daniel Stokes, Simon Valastro, Adrien Couvez, Alexandre Labrot, Quatre Zéphirs
Psyché
Pas grand'chose à dire sur ce programme de danse du ballet de l'Opéra. S'il a comporté quelques beaux moments (dont le lancé de Nolwenn Daniel dans les airs magnifiquement rattrapée par Christophe Duquenne, une manœuvre spontanément applaudie par le public), j'ai trouvé Dances at a gathering de Robbins long, très long... Sinon, même avec de nouveaux costumes et la magnifique Laëtitia Pujol, Psyché de Ratmansky ne m'a pas convaincu. Par exemple, la chorégraphie du lancer de flèches par Eros est d'une très grande faiblesse par rapport à ce que je vois régulièrement dans la danse bharatanatyam quand Kama est représenté. Il reste néanmoins quelques photographies des saluts :
Charline Giezendanner, Christophe Duquenne
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Centre Jean Bosco — 2014-06-28
Élèves de Jyotika Rao, bharatanatyam
Alarippu
Shri Gana Natha
Jatiswaram
Varnam
Tillana
Récital de fin d'année des élèves de Jyotika Rao dont je fais partie. Diverses combinaisons d'élèves (duo, trio, quatuor) ont été présentées (la liste des pièces ci-dessus n'est pas exhaustive). Je dansais avec une autre élève Shri Gana Natha qui comporte une partie rythmique de danse pure et une partie évoquant Ganesh (Shloka) ; cela a dû durer à peine trois minutes en tout. Nous avons dansé tous les deux la partie rythmique, mais c'est moi qui ai dansé le Shloka et avais présenté les mouvements pour expliquer ce dont il allait s'agir au public. Cette explication était vraiment nécessaire parce que je pense que si j'avais vu cette pièce sans l'avoir travaillée, je n'y aurais pas compris grand'chose !
Si tout le programme s'est bien passé, deux pièces ont sans doute été plus remarquables que d'autres : le Varnam évoquant Muruga et dans lequel apparaît Kama, et le fabuleux Tillana qui a conclu le récital, deux pièces déjà dansées par Jyotika Rao au Centre Mandapa.
2014-07-08 22:00+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Opéra — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Pour le mois de mai, je ne suis pour le moment revenu que sur le récital de bharatanatyam de Jyotika Rao au Centre Mandapa. Voici mes brèves impressions sur les autres spectacles vus au cours de ce mois :
Salle Pleyel — 2014-05-03
Ballet royal du Cambodge
Son Altesse Royale la Princesse Norodom Buppha Devi, chorégraphie
Ombres et lumières
J'ai été moins enthousiasmé par ce spectacle du Ballet Royal du Cambodge que par celui que j'avais vu en 2010. Pourtant, il s'est agi d'une adaptation du Ramayana, un texte que j'apprécie beaucoup. Ce spectacle-ci m'a semblé beaucoup moins dansé que le précédent. Il associait pantomime et théâtre d'ombre. Pas de corps de ballet. Je suis resté sur ma faim. Je suis néanmoins fasciné par l'extrême concavité que peuvent adopter les mains des interprètes.
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Théâtre du Châtelet — 2014-05-05
Jean-Yves Ossonce, direction musicale
Vishal Bhardwaj, mise en scène
Sudesh Adhana, scénographie et chorégraphie
Gunjan Arora & Rahul Jain, costumes
Dadi Pudumjee et The Ishara Puppet Theatre Trust, création des marionnettes
Renaud Corler, lumières
Orchestre Symphonique Région Centre-Tours
Chœur du Châtelet
Stephen Betteridge, chef de chœur et assistant du directeur musical
Paulina Pfeiffer, Kumudha
David Curry, Le Prince
Franco Pomponi, Le Narrateur
Ella Fiskum, danseuse soliste alter ego de Kumudha
Sudesh Adhana, danseur soliste alter ego du Prince
Dadi Pudumjee, Vivek Kumar, Simon T Rann, marionnettistes
A Flowering Tree, John Adams.
Il n'y a pas grand'chose à sauver de cette triste production de A Flowering Tree de John Adams, un opéra inspiré d'un conte indien : Kumudha, une jeune femme, possède le pouvoir de se métamorphoser en arbre en fleurs, ce qui la conduit à épouser un prince ; la sœur de celui-ci lui demande de se métamorphoser, mais ne se soucie pas de la faire reprendre son apparence initiale ; Kumudha devient difforme, et après une longue séparation, elle finit par retrouver son mari et son apparence. Le livret contient les rôles de Kumudha, du prince et un narrateur. Les personnages secondaires sont représentés par des marionnettes. C'est triste à dire, mais les passages les plus émouvants sont venus de ces marionnettes, ainsi que de la danseuse Ella Fiskum qui par ses mouvements suggérait la transformation en arbre. Il est manifeste qu'elle a intégré certains codes des danses indiennes dans son interprétation. Le chorégraphe Sudesh Adhana, qui dansait aussi, m'a semblé beaucoup moins convaincant...
Si certains (comme le critique Renaud Machart) ont trouvé le chœur remarquable d'un point de vue vocal, pour ce qui est des positions des mains empruntées aux danses indiennes, je trouve que cela manquait de travail. Il y avait essentiellement une seule position à retenir, Alapadma, qui évoque l'éclosion d'une fleur. Le moins que je puisse dire est que la plupart des fleurs évoquées par les choristes avaient triste mine, tout comme les affreux costumes...
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Salle Pleyel — 2014-05-06
Orchestre Colonne
Laurent Petitgirard, direction
Mémoire du vent (Florent Motsch)
Juliana Steinbach, piano
Concerto pour piano et orchestre (Schumann)
Concerto pour orchestre (Bartók)
J'ai adoré l'œuvre contemporaine de Florent Motsch qui m'a fait penser au style spectral de Gérard Grisey. J'ai joyeusement détesté le concerto pour piano de Schumann ; bien qu'abhorrant ce compositeur, j'arrive en général à apprécier ce concerto espiègle, mais cette fois-ci je n'ai pas du tout aimé le jeu de la pianiste. En revanche, le concerto de Bartók était phénoménal !
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Amphithéâtre de la Cité de la musique — 2014-05-07
Ensemble De Caelis
Laurence Brisset, direction, chant
Alia Sellami, chant arabe traditionnel
Estelle Nadau, chant
Florence Limon, chant
Caroline Tarrit, chant
Marie-George Monet, chant
Monodies, conduits et motets des XIIIe et XIVe siècles
Déserts (Jonathan Bell)
J'ai passé un plutôt bon moment pendant ce concert de musique a capella. Je me suis quelque peu inquiété à l'écoute de la première pièce, une monodie. Les œuvres polyphoniques qui ont suivi m'ont davantage plu. Bien qu'elles soient semble-t-il assez peu variées, j'ai aimé les ornementations présentes dans cette musique ancienne. Les plus beaux moments du concert sont toutefois venus des improvisations de chant arabe traditionnel d'Alia Sellami qui se greffait tout d'abord au chœur puis prenait parfois son indépendance. La deuxième partie du concert constituée de la pièce Déserts de Jonathan Bell était moins exaltante que la première.
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Opéra Bastille — 2014-05-10
Chœur et Orchestre de l'Opéra national de Paris
Ballet de l'Opéra
Philippe Jordan, direction musicale
Alessandro Di Stefano, chef du chœur
Georges Bizet, musique (Symphonie en ut majeur)
George Balanchine, chorégraphie
Christian Lacroix, costumes
Madjid Hakimi, réalisation des lumières
Colleen Heary, répétitions
Amandine Albisson, Mathieu Ganio
Marie-Agnès Gillot, Karl Paquette
Ludmila Pagliero, Emmanuel Thibault
Nolwenn Daniel, Pierre-Arthur Raveau
Le Palais de cristal
Maurice Ravel, musique (version intégrale, 1912)
Benjamin Millepied, chorégraphie
Daniel Buren, scénographie
Holly Hynes, costumes
Madjid Hakimi, lumières
Sébastien Marcovici, assistant du chorégraphe
Aurélie Dupont, Chloé
Hervé Moreau, Daphnis
Eleonora Abbagnato, Lycénion
Alessio Carbone, Dorcon
François Alu, Bryaxis
Daphnis et Chloé (création)
J'allais assister à cette représentation un peu à reculons, mais je dois avouer que ce programme m'a semblé être une grande réussite. Le corps de ballet et de nombreux solistes ont brillé dans Le Palais de cristal de Balanchine. Mention spéciale à Amandine Albisson et les élégants entrechats qu'elle a interprétés portée par son partenaire. Je me suis néanmoins ennuyé pendant le mouvement lent de la Symphonie de Bizet interprété par Karl Paquette et Marie-Agnès Gillot (laquelle était complètement à côté de sa ligne lors du finale quand les solistes sont tous rassemblés et en principe alignés...).
Si les aspects narratifs et expressifs étaient assez peu développés dans Daphnis et Chloé de Millepied au point de rendre presqu'anecdotiques les deux rôles principaux (pourtant interprétés par Aurélie Dupont et Hervé Moreau), le public s'est enthousiasmé lors de l'incroyable solo de François Alu (Bryaxis). On ne voyait que lui, ainsi que Léonore Baulac ! Je ne suis habituellement pas un grand admirateur de Philippe Jordan, mais je dois admettre que l'œuvre de Ravel m'a semblé magnifiquement interprétée. Sinon, je n'ai aucun commentaire à faire sur la scénographie de Daniel Buren parce que manifestement les personnes assises au parterre n'ont pas du tout vu la même chose que moi depuis un des coins du deuxième balcon.
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Salle Pleyel — 2014-05-17
Philippe Aïche, violon solo
Orchestre de Paris
Andris Poga, direction
Jean Manifacier, mise en scène
Patrick Pleutin, décor
Vincent Malone, présentation
Sept danses d'après Les Malheurs de Sophie (Jean Françaix)
Métamorphoses symphoniques sur des thèmes de Carl Maria von Weber (Scherzo), Hindemith
Sérénade pour cordes op. 48 (Pezzo in forma di sonatina), Tchaikovski
Carmen Suite (Boléro), Rodion Shchedrin
The Young Person's Guide to the Orchestra op. 34, Variations et fugue sur un thème de Purcell (Britten)
Candide, ouverture (Bernstein)
Sympathique concert pour jeune public de l'Orchestre de Paris auquel se sont joints des moins jeunes qui étaient venus écouter l'œuvre de Britten qui était programmée, très agréable à écouter, mais sans doute pas la plus géniale du compositeur.
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Opéra de Massy — 2014-05-18
Orchestre de l'Opéra de Massy
Chœurs Les Cris de Paris
Compagnie Julien Lestel
Les Enfants de la Comédie
Dominique Rouits, direction musicale
Nadine Duffaut, mise en scène
Emmanuelle Favre, décors
Danièle Barraud, costumes
Jacques Benyeta, éclairages
Julien Lestel et Mallika Thalak, chorégraphies
Constantin Rouits, chef assistant
Mathieu Pordoy, chef de chant
Geoffroy Jourdain, chef de chœur
Vennina Santoni, Leïla
Julien Dran, Nadir
Alexandre Duhamel, Zurga
Jérôme Varnier, Nourabad
Mallika Thalak, danseuse soliste
Les Pêcheurs de perles
J'ai assisté à cette représentation des Pêcheurs de perles pour voir Mallika Thalak, une de mes danseuses de bharanatyam préférées. Le livret de l'opéra n'est pas très informé sur la culture hindoue : on y vénère très étrangement Brahma et la blanche Shiva... Une particularité de la musique est d'utiliser un leitmotif mélodique qui revient régulièrement dans la pièce, ce qui est d'autant plus agréable pour l'auditeur que cette mélodie est tirée du très beau C'est elle, c'est la déesse. Bref, cet opéra n'est pas un chef d'œuvre absolu, mais ce n'est pas si mal, pour un opéra français. La production est assez traditionnelle. Si on laisse de côté quelques affreux décors peints, c'est plutôt bien fait. J'ai particulièrement aimé les costumes, qui s'inspirent des costumes royaux moghols pour Zurga et qui utilisent toute la palette de couleurs pour les villageois, ce qui était du meilleur effet dans le dernier acte. Pour ce qui est des chanteurs, la seule réserve que j'ai eue, pendant le premier acte, concernait l'interprète de Leïla, qui ne m'a pas convaincu pendant les passages vocaux les plus acrobatiques ; une fois cette séquence passée, mes réserves se sont évanouies.
J'étais donc venu pour voir Mallika Thalak, et je ne l'ai pas regretté ! Le spectacle comportait des passages dansés. Il y avait du spectaculaire avec les danseurs et danseuses de la compagnie Julien Lestel, mais il y avait aussi des passages plus émouvants du fait de la présence de Mallika Thalak. C'est d'ailleurs elle qui ouvrait le spectacle en suggérant l'éclosion d'un lotus. Elle accompagnait les mouvements d'ensemble du chœur dont elle a supervisé la chorégraphie. Le moins que je puisse dire est que les choristes de cette production faisait beaucoup mieux le mudra Alapadma que ceux du Théâtre du Châtelet dans l'opéra A Flowering Tree mentionné plus haut ! (Il faut aussi mentionner les mouvements empruntés aux danses indiennes réalisés par les solistes : c'était très convaincant, et quand la prêtresse Leïla présentait symboliquement le feu à la divinité, ses mouvements étaient d'une justesse rare.) Dans certaines séquences, la danseuse Mallika Thalak apparaissait pour accompagner des passages chantés. Le plus beau de ces moments est intervenu avec l'air du ténor vers la fin du premier acte. Alors que le chanteur interprétait son air (en adoptant une posture assez statique), le sens des paroles était traduit en mouvement par la danseuse. C'était extrêmement émouvant ! et la vitesse modérée des mouvements permettait d'en apprécier encore davantage la beauté. L'Inde (ou plutôt le Sri Lanka) qui est représentée dans l'opéra est évidemment l'Inde phantasmée de l'époque de la composition, mais la danse présentée par Mallika Thalak m'a remarquablement semblée tout à fait respectueuse de la tradition.
(La moyenne d'âge des spectateurs de la représentation de ce dimanche après-midi devait être voisine ou supérieure à 60 ans. Avec la politique tarifaire de l'Opéra de Massy, ce n'est pas très étonnant. Certes, le modèle économique de l'opéra est fragile, mais que la griffe tarifaire se réduise à deux catégories (78€ en première catégorie, 72€ en deuxième) me semble relever d'une scandaleuse injustice sociale. Certes, c'est un tout petit peu moins hors de prix pour les habitants de Massy, mais sur le chemin du retour, je me suis dit qu'il ne devait pas y avoir beaucoup de lyricomanes parmi les personnes habitants entre la gare et l'opéra, puisqu'ils ont le malheur d'habiter la commune voisine d'Antony...)
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Temple de Pentemont — 2014-05-23
Orchestre des Concerts Gais
Alexandre Korovitch, direction
Yannick Henri, piano
Concerto pour piano nº3 (Beethoven)
Marc Korovitch, direction
Symphonie nº35 (Mozart)
Pour ce concert gai, le temple de Pentemont avait une acoustique déplorable. J'ai beaucoup aimé le jeu du pianiste Yannick Henri dans le Concerto nº3 de Beethoven et j'ai adoré la Symphonie nº35 de Mozart dirigée par Marc Korovitch (qui reviendra une dernière fois diriger cet orchestre amateur fin novembre dans la Cinquième symphonie de Beethoven !).
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Amphithéâtre de la Cité de la musique — 2014-05-24
Isabelle Druet, mezzo-soprano
Vanessa Wagner, piano
Chansons de Bilitis (Debussy)
La Mort d'Ophélie (Berlioz)
Préludes pour piano (Dutilleux)
Chanson de la déportée (Dutilleux)
La Geôle (Dutilleux)
Gibet (Ravel)
Clair de lune (Fauré)
Plutôt un bon moment sur l'instant, ce concert ne me laisse pour ainsi dire aucun souvenir un mois et demi après.
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Cité de la musique — 2014-05-24
Chamber Orchestra of Europe
Semyon Bychkov, direction musicale
Symphonie nº8 “Inachevée” (Schubert)
Renaud Capuçon, violon
Concerto pour violon nº2 (Mendelssohn)
Mélodie (Gluck)
Symphonie nº7 (Beethoven)
Je n'aime pas beaucoup le chef Semyon Bychkov. La symphonie nº7 de Beethoven qu'il a dirigée ne pouvait évidemment pas rivaliser avec celle que Yannick Nézet-Séguin avait obtenu avec ce même orchestre à Édimbourg, mais elle a toutefois comporté de très beaux moments (en particulier dans les deux derniers mouvements).
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Cité de la musique — 2014-05-25
Quatuor Les Dissonances
David Grimal, Hans Peter Hofmann, violons
David Gaillard, alto
Xavier Phillips, violoncelle
Ainsi la nuit... (Dutilleux)
Les Dissonances
Mystère de l'instant (Dutilleux)
Symphonie nº1 (Brahms)
De ce week-end Dutilleux, je me souviens surtout avoir apprécié Mystère de l'instant, qui présente l'originalité d'associer aux instruments à cordes de l'orchestre un cymbalum, cet instrument que l'on n'entend plus guère que dans le métro.
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Cité de la musique — 2014-05-26
Les Siècles
François-Xavier Roth, direction musicale
Symphonie nº5 (Beethoven)
Muss es sein? (Dutilleux)
Métaboles (Dutilleux)
Gautier Capuçon, violoncelle
Tout un monde lointain (Dutilleux)
L'Apprenti sorcier (Dukas)
Je n'ai aucun souvenir des œuvres de Dutilleux programmées ce soir-là, mais je retiens bien sûr L'Apprenti sorcier de Dukas que j'entendais pour la première fois en concert, et surtout la Symphonie nº5 de Beethoven phénoménale qu'ont interprété les musiciens des Siècles.
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Espace Jemmapes — 2014-05-31
Élèves de Kalpana
Mallari
Kautwam (Ganapati)
Kautwam (Murugan)
Jatiswaram
Kautwam (Shiva)
Jatiswaram
Dashavatar
Javali
Kirtana
Javali
Ashtapadi
Récital de fin d'année des élèves de bharatanatyam de Kalpana. Je retiens quelques pièces spectaculaires (les Kautwams) et surtout quelques délicieux pièces et parmi elles tout particulièrement le Javali dédié à Kama.
2014-05-16 13:30+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Centre Mandapa — 2014-05-15
Jyotika Rao, danse bharatanatyam, chorégraphie (Jatisvaram, Varnam, Tillana, Abhanga)
Sucheta Chapekar, chorégraphie (Trois shlokas, Jatisvaram, Varnam, Padam, Abhanga)
Josiane Sarrazin, chorégraphie (Abhanga)
Trois shlokas : Vakratunda ; Guru Brahma, Guru Vishnu, Guru Devo ; Angikam (musique hindoustani).
Jatisvaram (Raga Bhairavi, Rupaka Tala)
Varnam “Sami yei vara sholadi” (Raga Purvi Kalyani, Adi Tala)
Padam “Ke chatura”
Tillana (Raga Hindolam, Adi Tala)
Abhanga “Saguni Nirguna Nirguni Saguna” (Raga Sindhu Bhairavi, hindoustani)
Je n'étais plus retourné au Centre Mandapa depuis janvier et le spectacle Kâmala de Pauline Reibell (qui y repassera d'ailleurs les 16 et 17 juin). Hier soir, je suis allé voir une autre disciple de Sucheta Chapekar : Jyotika Rao. La salle est très bien remplie. Un certain nombre de ses élèves (dont moi) sont venus. La plus avancée, Camille, fait les annonces précédant chacune des pièces constituant ce récital de bharatanatyam. Il n'est pas évident d'écrire sur le travail de son professeur, mais en toute subjectivité, je dirais que c'était un très bon récital !
Les récitals de bharatanatyam utilisent traditionnellement de la musique carnatique, mais une des originalités du style de Sucheta Chapekar est d'utiliser aussi de la musique hindoustanie (du Nord de l'Inde). C'est ce que l'on peut entendre dans la première pièce de ce programme. Le premier des Trois Shlokas, intitulé Vakratunda est manifestement dédié à Ganesh. La danseuse apparaît en adoptant la démarche du dieu à tête d'éléphant en soulignant les amples mouvements de ses oreilles. Dans le deuxième shloka, la chorégraphie évoque les trois divinités de la trinité hindoue, Brahma, Vishnu, et enfin Shiva, qui semble particulièrement mis en valeur. Je n'ai pas compris le sens du dernier des shlokas.
Dans la première pièce de nature invocatoire, l'accent était mis sur le texte et la gestuelle correspondante. Il n'y avait pas ou pour ainsi dire pas de frappes de pieds. Au contraire, dans la deuxième pièce Jatisvaram, l'aspect rythmique de la musique prend le dessus et le texte se réduit au nom des notes (Swara) chantées dans le Raga Bhairavi (carnatique). Les mouvements réglés sur le majestueux Rupaka Tala sont élégants, inspirent la joie et se font de plus en plus rapides au fur et à mesure que la pièce progresse. Dans certains passages, comme dans la pièce précédente, je reconnais des éléments de chorégraphie que j'ai moi-même appris, mais qui se retrouvent ici exécutés 2, 4 ou peut-être 8 fois plus vite ! Je perçois aussi un peu la structure plus globale de certaines parties, comme par exemple une suite d'enchaînements suivie d'une reprise de la même chose exécutée en miroir.
La pièce principale du récital est le Varnam Sami ye vara sholadi en Raga Purvi Kalyani (carnatique). La suite du texte Sakiye Kumara... permet de deviner que la divinité dont se languit l'héroïne est Kumara, le fils de Shiva, aussi appelé Murugan, Skanda, Kartikeya ou encore Subramaniam. Ce fait est confirmé quand la chorégraphie représente sa monture, qui est un paon. L'héroïne est séparée de Kumara auquel elle écrit un mot. Elle demande de l'aide à son amie. Autour d'elle, la nature (les oiseaux, les biches, les abeilles, etc) lui rappellent son amour pour lui. Il s'agit là d'un des plus beaux moments de ce Varnam avec l'intervention du dieu de l'Amour, Kama, qui vient lancer cinq flèches sur elle. Chacune de ces flèches est ornée d'une fleur spécifique et produit un effet particulier sur les différents sens de l'héroïne. Une d'entre elles atteint sa vision, ce qui produit en elle un émerveillement. Une autre atteint son odorat. Une autre encore semble atteindre son sens du goût : elle brûle tellement d'amour pour lui qu'elle éprouve de la répulsion pour la nourriture. Dans le Varnam s'insèrent de très beaux passages rythmiques (jatis) et la fin de la pièce revient en détail sur un épisode mythologique que je ne suis pas certain d'avoir bien compris. Kumara se serait semble-t-il déguisé pour séduire Valli qui allait devenir une de ses deux épouses.
La pièce qui a suivi est un délicieux Padam. Une jeune femme se moque du dieu Kama (appelé ici Manmatha dans le texte de la composition). Un épisode bien connu de la mythologie indienne raconte l'intervention de Kama, qui en lançant ses flèches a fait naître en Shiva un amour pour Parvati. Dans cette pièce, la jeune femme dit à Kama qu'en lui lançant des flèches, il se trompe de cible : il la confond avec Shiva. Elle énumère divers attributs de Shiva (son chignon tressé, le croissant de Lune, etc.) et en montrant à Kama la partie correspondante de son apparence elle lui explique la méprise qu'il commet. Elle n'est pas Shiva, elle n'est qu'une pauvre femme. Je me suis particulièment délecté du moment où la jeune femme évoque la trace que Shiva porte au cou (qui lui vaut le nom de Nilakantha, celui qui a la gorge bleue, un nom qui n'est semble-t-il pas mentionné dans le texte chanté). La chorégraphie rappelle même brièvement d'où vient cette marque ! Lors du barratage de la Mer de lait, un poison s'est répandu dans les airs et Shiva l'a bu. Le poison n'étant pas descendu plus bas que sa gorge, il y a laissé une marque. Plus loin, la chorégraphie évoquait les oreilles d'un éléphant et la dénégation de la jeune femme expliquant à Kama qu'il ne s'agissait que de pans de son sari. Dans l'instant, je n'ai pas compris ce que cela signifiait (ayant eu l'impression d'entendre Vinayaka dans le texte chanté, j'ai cru qu'il s'agissait d'une référence à Ganesh). En réalité, Kama confondait le vêtement de la jeune femme avec la peau de bête portée par Shiva. Je connaissais la peau de tigre sur laquelle l'iconographie la plus standard représente Shiva assis en méditation, mais j'ignorais que Shiva portait sur ses membres supérieurs une peau d'éléphant...
La plus belle pièce du récital m'a semblé être le magnifique Tillana que la danseuse a chorégraphiée elle-même. Les mouvements utilisent davantage les diagonales de la scène que des cercles, mais l'ensemble est néanmoins très réjouissant. J'ai particulièrement apprécié la référence à Vishnu dans la deuxième partie du Tillana. Le texte chanté comporte le nom Padmanabha et la chorégraphie représente effectivement Vishnu dans sa position de méditation sur l'Océan cosmique, un lotus émergeant de son nombril. Ce thème iconographique est pour moi le plus beau de toute l'iconographie hindoue. J'apprécie tout particulièrement qu'il soit illustré dans la danse bharatanatyam et ce d'autant plus que cette image permet de nombreuses interprétations ou variantes chorégraphiques. Dans cette interprétation, on peut reconnaître la présence de Lakshmi, mais je retiens surtout la façon de représenter le lotus sur lequel se tient Brahma. L'iconographie traditionnelle est évidemment statique et il y a lieu de se demander si véritablement la tige du lotus sort du nombril de Vishnu ou si animée d'un mouvement contraire elle s'enfonce dans l'eau avec ses ramifications... En voyant cette chorégraphie, j'ai eu comme l'impression que c'était cette deuxième hypothèse qui était envisagée.
Le récital s'est conclu par un Abhanga, un chant marathi en l'honneur de Vishnu (sous le nom de Vittala). Le texte et la chorégraphie mettant en valeur la recherche d'Unité ou d'Union (avec la divinité). Ceci était illustré notamment avec une goutte d'eau qui rejoignait d'océan ou avec une maison qui bien après sa construction s'effondrait pour s'unir de nouveau à la terre. La conclusion de la pièce mettait en scène une des voies que le dévôt peut suivre pour tenter de s'unir avec la divinité : une adoration joyeuse s'exprimant par une danse exaltée. Un extrait de cette chorégraphie par d'autres interprètes est visible ici.
2014-05-01 14:37+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Opéra — Danse — Danses indiennes — Planning
Des billets rendant compte de concerts reviendront bientôt... En attendant, voici mon programme de spectacles pour le mois de mai :
2014-03-27 10:42+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes
Auditorium du Musée Guimet — 2014-03-14
Gayatri Sriram, danse bharatanatyam
Minal Prabhu, nattuvangam
Balasubramanya Sharma, chant
G. Gurumurthy, mridangam
Jayaram Kikkeri, flûte
Prasanna, ganjira, percussions
Murugan Krishnan, lumières
Isabelle Anna, voix off
Surya Kautwam
Ardhanarishwara
Varnam
Ashtapadi
Tillana
Mira Bhajan
Le vendredi 14 mars, j'ai renoncé à aller écouter les Gurre-Lieder de Schönberg joués à la Salle Pleyel par un effectif pléthorique de musiciens pour me diriger vers le Musée Guimet où allait se tenir le récital de bharatanatyam de Gayatri Sriram dont j'avais pu apprécier les qualités dans la danse narrative au NCPA de Mumbai en juillet 2011. Je ne l'ai pas regretté !
(Full disclosure: La danseuse m'ayant contacté quelques semaines avant le récital pour me suggérer de venir, je lui avais demandé de m'indiquer les thèmes qui seraient évoqués dans les différentes pièces de ce programme. La danseuse m'ayant fait une réponse très détaillée, j'ai pu assister à ce programme dans de meilleures conditions que d'ordinaire ; habituellement, je ne découvre les pièces qu'au fur et à mesure qu'elles sont exécutées par les danseuses et je n'arrive pas toujours à bien déchiffrer la pantomime...)
Le programme est intitulé Mukti Marga ; il s'agit d'un ensemble de pièces explorant le thème de l'adoration de la divinité. La première pièce est un Surya Kautwam, un type de pièces dans lequel le rythme domine la musique dont le tempo est plutôt rapide. Cette pièce évoquant le Soleil (Surya) comporte des passages de danse pure exécutés à des vitesses variables. J'apprécie d'y reconnaître quelques enchaînements (adavus) que j'ai appris et je me délecte de voir la danseuse présenter des figures géométriques non seulement dans sa gestuelle, mais aussi dans son placement et par les quarts de tour qu'elle effectue sur elle-même. Dans cette pièce, les différentes heures du jour sont associées aux différents dieux de la Trinité hindoue. Si je n'ai pas reconnu Vishnu, il m'a bien semblé reconnaître Brahma et Shiva (dont était représenté le Lingam). L'image la plus marquante était celle de Surya représenté comme cocher d'un attelage de sept chevaux.
La pièce suivante Ardhanarishwara m'a paru particulièrement réussie. La danseuse évoque Shiva avec la moitié droite de son corps et son épouse Parvati avec sa moitié gauche. J'ai particulièrement apprécié le cycle rythmique utilisé dans cette pièce, Rupaka Tala. Ce cycle à trois temps était interprété de façon délicieusement lente, ce qui sied bien à une pièce comme Ardhanarishwara dans laquelle la danseuse se métamorphose continûment de Shiva à Parvati et réciproquement. L'alternance entre la voix du chanteur et les onomatopées rythmiques peuvent se jouer à diverses échelles dans le cadre d'un récital de bharatanatyam : à l'échelle du récital dans son ensemble par l'alternance entre pièces narratives et pièces de danses pure, à l'échelle d'une pièce par l'alternance entre passages narratifs et passages de danse pure. Cette alternance a pris dans cet Ardhanarishwara une forme qui m'a semblé inédite : vers la fin de la pièce, cette alternance pouvait s'entendre à l'échelle du cycle rythmique, deux des trois temps étant utilisés par le chanteur solfiant des notes tandis que le dernier temps l'était par les onomatopées rythmiques (à moins que ce ne soit le contraire).
Le Varnam, pièce principale du récital, est dédié à Krishna. Il est composé d'une alternance entre passages narratifs et passages de danse pure (jatis). Le premier de ces jatis m'a semblé particulièrement original dans la mesure où malgré la dominante rythmique et le tempo plutôt rapide de la musique, la danse était narrative : elle évoquait l'enfance de Krishna. Ce procédé est assez rare, je ne me souviens distinctement avoir vu que deux danseuses l'utiliser : Shantala Shivalingappa (kuchipudi) et Rukmini Vijayakumar. Les jatis qui suivront seront moins originaux dans leur forme que celui-ci, mais certains détails distinctifs me plairont particulièrement. Par exemple, dans l'un d'entre eux, j'apprécierai la façon de la guru Minal Prabhu d'utiliser un tempo très variable au cours des cycles rythmiques (Adi Tala) et dans un autre j'apprécierai le caractère étonnamment mélodique de la musique.
Je n'ai pas saisi absolument tous les aspects narratifs de ce très riche Varnam. Les premiers chapitres de cette pièce racontent l'enfance de Krishna et la séduction qu'il exerce sur les bouvières (gopis). Il danse avec elles après les avoir attirées avec sa flûte. La danseuse utilise ses capacités d'expression pour évoquer les sentiments éprouvés par une de ces femmes : alors qu'elle est séparée de la divinité avec laquelle elle cherche à s'unir, elle se désole et ne parvient même plus à manger. Certains exploits du jeune Krishna sont évoqués. Sauf erreur de ma part, on le voit tuer le démon Kamsa, soulever le mont Govardhana sur son petit doigt ou encore danser sur le serpent Kaliya. Cependant, le passage qui m'a fait la plus forte impression est celui qui raconte très en détail la naissance de Krishna. Celui-ci a été adopté par Yashoda qui est souvent mise en scène dans les chorégraphies de bharatanatyam, mais ce Varnam représente ses parents biologiques Vasudeva et Devaki. Le démonique roi Kamsa avait été frappé d'une malédiction : le huitième enfant de Vasudeva et Devaki le tuerait. À la naissance de Krishna, Vasudeva s'en va secrètement échanger Krishna avec la fille à laquelle Yashoda vient de donner naissance. En illustrant délicieusement l'amour filial, la danseuse représente le trajet de Vasudeva. Partant de sa demeure, il porte le bébé Krishna sur sa tête et se dirige vers la campagne où il vient déposer Krishna dans son nouveau berceau.
La fin du Varnam représente Krishna tel qu'il se manifeste dans le Mahabharata. La scène du jeu de dés dans laquelle il vient au secours de Draupadi est représentée très brièvement, ce qui m'a quelque peu frustré, temporairement... Je n'ai pas très bien compris sur le moment les dernières minutes du Varnam qui illustraient la Bhagavad-Gita, ce dialogue entre Arjuna et Krishna dans lequel Krishna parvient à convraincre à Arjuna de prendre les armes. À un moment, Arjuna demande à Krishna de se montrer dans sa forme universelle. Je présume que cela devait être le sens du passage le plus impressionnant (et assez indescriptible !) de ce Varnam, lequel se conclut par la majestueuse mise en mouvement du char d'Arjuna dont Krishna est le cocher (une des images classiques associées au Mahabharata dans l'iconographie hindoue). J'aurais aimé apprécier davantage ce passage, mais j'étais perturbé par la musique. À force de voir et d'entendre des Varnam, il me semble distinguer une règle générale énonçant que les dernières minutes de musique se doivent d'être joyeuses. Ce Varnam n'échappait pas à cette règle et je trouvais cela curieux dans le contexte de la Bhagavad-Gita qui est certes une révélation spirituelle mais aussi une harangue belliqueuse. Ainsi, quand une musique joyeuse accompagnait les mouvements d'un archer, je me suis réellement demandé s'il s'agissait d'Arjuna ou bien du dieu de l'Amour (Kama, qui lance des flèches florales), et ce d'autant plus qu'avant le début du Varnam la voix off avait comparé Krishna à Kama — je ne tiendrai pas rigueur à Isabelle Anna d'avoir ainsi contribué à ma confusion puisqu'il y a quelques mois une autre de ses très pertinentes interventions m'avait fait permis d'apprécier une magnifique scène d'un récital de Janaki Rangarajan que je n'aurais pas comprise sans cette explication préalable...
Il convient de signaler que pendant ce récital, l'orchestre incluait un musicien qui utilisait des percussions électroniques (et d'autres instruments, y compris le morsing, la guimbarde indienne). J'avoue avoir une certaine méfiance pour cette pratique, puisque j'estime que le mridangam et les instruments mélodiques (violon, flûte, vînâ, etc.) offrent déjà une large palette d'effets spéciaux pour accentuer certains moments dramatiques. En utilisant des effets électroniques ou des bruitages, le risque est à mon avis grand de polluer l'atmosphère pour virer au kitsch ridicule, ce que j'ai eu l'occasion de subir lors d'un récital du danseur Zakir Hussain. Heureusement, lors du récital de Gayatri Sriram, cet accompagnement a été sobre et de bon goût.
Le récital s'est poursuivi avec deux Ashtapadi extraits du
Gita-Govinda. Il s'agissait des deux derniers de ces
Ashtapadi (ou cantilènes), les vingt-trois- et vingt-quatrièmes
cantilènes qui se trouvent dans le douzième (et dernier) chant de ce texte
poétique de Jayadeva (dont j'ai particulièrement apprécié la traduction de
Jean Varenne ; les extraits ci-dessous viennent de la traduction de Gaston
Courtillier que j'ai sous la main). Ils exaltent l'amour entre Radha et
Krishna. Dans ce type de pièce, la musique est extrêmement mélodique et la
danseuse passe l'essentiel du temps assise dans une attitude lascive en
exprimant par le regard et des gestes les sentiments des personnages. Dans
le 23e Ashtapadi, Krishna invite Radha : Un temps, à présent,
suis Nārāyaṇa, suis-moi, qui t'aie suivie, ma petite Rādhā.
. Celle-ci
n'a pas fait que le rejoindre quand on arrive au 24e Ashtapadi
où Radha lui répond en lui demandant d'arranger ses divers ornements :
“Mortification des essaims d'abeilles, le fard effacé par le baiser de
tes lèvres, avive-le sur les yeux bien-aimés, qui décochent les flèches
d'Amour.” Elle dit, et le fils de Yadu folâtrait, joie du cœur.
Il est
difficile de résumer l'impression visuelle faite par ces deux pièces, tant
la tentation fut grande de se laisser emporter dans le flux continu de la
danse. Je retiens cependant l'application de Krishna pour parer Radha à son
réveil et lui jeter des fleurs.
Le récital admet une première fin avec un Tillana
particulièrement technique. Je dois avouer l'avoir davantage écouté que
regardé : j'étais très perturbé par le cycle rythmique particulièrement
compliqué sur lequel il était composé... Cela fait un certain temps que
j'arrive à clapper Adi Tala ou Rupaka Tala, mais d'autres types de cycles
sont parfois utilisés et certains n'ont pas de petits noms, comme Adi
Tala
, qui est un diminutif de Chatusra-nadai Chatusra-jati
Triputa Tala
, qui signifie que ce cycle à huit temps (subdivisés
en quatre) se clappe comme ceci ×‒‒‒×o×o
(clap-rien-rien-rien-clap-ondulation-clap-ondulation), ondulation
correspondant à un mouvement de rotation de la main vers le côté et
rien
indiquant des temps pendant lesquels on compte avec
les doigts pour s'y retrouver. Je n'ai pas retenu le détail du nom
technique du Tala utilisé pendant ce Tillana, mais cela ressemblait à un
gigantesque nom à rallonge. J'ai eu l'impression que c'était un cycle à
neuf temps (j'ai griffonné ×‒‒‒‒×o×o
sur mon carnet), mais
singulièrement plus compliqué qu'Adi Tala parce que les cinq premiers temps
n'étaient semble-t-il pas subdivisés de la même manière que les quatre
derniers. Que l'on puisse danser sur un tel rythme, cela semble relever du
prodige...
Après une brève salutation traditionnelle, le public a beaucoup applaudi la danseuse qui est revenu danser sur un Mira Bhajan. Du fait des échanges que j'avais eus avec la danseuse, je savais qu'une pièce de ce nom figurait au programme, mais j'ignorais le thème précis. Bien sûr, le nom Mira Bhajan renvoie à la poétesse du XVIe siècle Mirabaï (qui est le personnage principal du roman La Princesse mendiante). Un temple a même été érigé en l'honneur de cette dévôte de Krishna à Chittorgarh (un endroit que j'ai beaucoup apprécié).
Sortie du temple de Mirabai, Chittorgarh
Le thème général du poème était bien entendu Krishna, mais quand la
pièce a commencé j'ignorais complètement quel aspect de cette divinité
serait mis en valeur, et puis l'incroyable est arrivé : je reconnais
Yudhishthira, l'aîné des Pandavas dans le Mahabharata, en train de
perdre au jeu de dés contre Shakuni. Il perd sa couronne, se perd lui-même,
puis son épouse Draupadi, laquelle est forcée, alors qu'elle a ses règles,
tremblante comme un bananier dans la tempête
, de rejoindre les
hommes dans la salle où se tient la partie de dés. Dushasana la tire par
les cheveux. Plus loin, Duryodhana se découvrira obscènement la cuisse en
la regardant. Entretemps, après un débat sollicité par Draupadi pour savoir
si Yudhishthira avait le droit de faire de Draupadi l'enjeu d'un pari après
s'être perdu lui-même, Dushasana tente d'humilier davantage Draupadi en
tirant sur son sari. Celle-ci ayant adressé une prière à Krishna, son sari
se rallonge miraculeusement au fur et à mesure que Dushasana tire dessus.
Cette scène est sans doute une des plus bouleversantes de l'épopée
indienne... Si j'avais été un peu frustré par l'évocation très brève de
cette scène dans le Varnam, j'ai été émerveillé par la forme
développée qu'elle a prise dans cette dernière pièce. Le moment le plus
extraordinaire de cette pièce a été celui pendant lequel la danseuse a
représenté presque simultanément trois personnages : Draupadi, Dushasana
tirant sur son sari et Krishna faisant apparaître d'un geste ondulatoire de
nouvelles longueurs de tissu tout en arborant un visage d'une sereine
tranquilité. C'était véritablement magnifique !
2014-03-07 10:40+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Opéra — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Dhrupad — Planning
2014-01-24 14:06+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Opéra — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
J'ai vu singulièrement plus de spectacles en 2013 qu'en 2012, à savoir plus de deux cents... Un certain nombre d'entre eux m'ont fait passer des moments exceptionnels. Si je ne devais retenir que l'exceptionnel parmi l'exceptionnel, je garderais les spectacles suivants (dans l'ordre chronologique) :
Voici quelques autres spectacles qui m'ont procuré beaucoup de plaisir. La sélection est évidemment très subjective. Je me suis limité à 10, mais beaucoup d'autres spectacles auraient pu figurer dans cette liste !
2014-01-19 14:00+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Planning
Il est un peu tard pour présenter un planning de spectacles de janvier, et un peu tôt pour faire le bilan du mois, mais ce billet tentera de faire les deux.
⁂
Opéra Garnier — 2014-01-08
Ballet du Théâtre du Bolchoï
Orchestre Colonne
Igor Dronov, direction musicale
Leonid Desyatnikov, musique
Alexeï Ratmansky, chorégraphie
Jérôme Kaplan, décors et costumes
Vincent Millet, lumières
Guillaume Gallienne, consultant dramaturgique
Lukas Geniusas, piano
Svetlana Shilova, Catherine Trottman, chant
Diana Vishneva, Coralie
Vladislav Lantratov, Lucien
Ekaterina Shipulina, Florine
Artem Ovcharenko, Premier danseur
Yegor Simachev, Camusot
Alexandr Fadeechev, Le Duc
Yan Godovsky, Le Maître de ballet
Illusions perdues, ballet en trois actes d'après le livret de Vladimir Dmitriev inspiré du roman éponyme d'Honoré de Balzac
J'ai apprécié certains aspects de la musique de ce ballet interprété par le Ballet du Théâtre Bolchoï. J'ai toutefois été étonné que la musique soit bien souvent une superposition entre une musique assez sérieuse et une musique moqueuse, comme si une partie de l'orchestre se mettait à caqueter. (Ceci n'est pas une critique de l'orchestre que j'ai trouvé excellent, mais de la curieuse composition de Leonid Desyatnikov.)
J'ai aimé voir les magnifiques danseurs Vladislav Lantratov et Diana Vishneva dans les rôles principaux (et revoir Ekaterina Shipulina exécuter une vingtaine de fouttés), mais je n'ai été aucunement ému par l'histoire.
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Maison de l'Inde, Cité universitaire — 2014-01-11
Jérôme Cormier, chant dhrupad
Gérard Hababou, pakhawaj
Joël, chant dhrupad
Raga Gunkali
Le pakhawaj imposait d'accorder le tampura en la, ce qui me permit de chanter bien que ma gorge ne fût pas tout à fait remise de mon utilisation d'un encens anti-moustiques à la fin de mon séjour à Chennai... La dernière fois, nous étions quatre à accompagner notre professeur de chant dhrupad. Cette fois-ci, j'étais tout seul, et cela fait drôle de savoir que c'est sans filet...
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Chez Malavika — 2014-01-11
Pauline Reibell, bharatanatyam
Kâmala
J'ai apprécié ce spectacle de danse bharatanatyam de Pauline Reibell (qui est comme ma prof disciple de Sucheta Chapekar). Le spectacle s'intitule Kâmala, qui est le nom de la fleur de lotus, dont l'éclosion sera évoquée de diverses manières au cours du spectacle. Celui-ci commence par le son originel Om, suivi de la note de référence Sa du solfège indien, bientôt rejointe par les autres notes de la gamme que la danseuse chante dos au public. Elle prononce ensuite en joignant le geste à la parole un vers essentiel de l'Abhinaya Darpanam sur les danses indiennes :
यतो हस्तस्ततो दृष्टिर्यतो दृष्टिस्ततो मनः ।
यतो मनस्ततो भावो यतो भावस्ततो रसः ॥
Ce qui se transcrit ainsi :
yato hastastato dṛṣṭiryato dṛṣṭistato manaḥ
yato manastato bhāvo yato bhāvastato rasaḥa
Là où va la main va le regard, etc. Après l'avoir prononcé en
sanskrit, la danseuse en a proposé une traduction. La fin du vers est
étonnamment traduite par Jaillit la joie
. Le geste effectué par la
danseuse évoque effectivement la joie, mais il me semble qu'il s'agit plus
généralement de l'émotion esthétique (Rasa).
La bande-son alterne entre musique plutôt mélodique, silences, passages rythmiques et bruits urbains dans lesquels s'insèrent des réflexions sur divers sujets. La partie la plus développée du spectacle évoque Ardhanarishwara, la forme androgyne mi-Shiva mi-Parvati. Les deux divinités sont surtout représentées l'une par son attitude féminine et l'autre par l'action du tambour Damaru. Cette représentation se prolongeait peut-être dans deux passages rythmiques dans lesquels une seule de ses mains était animée d'un mouvement, le passage utilisant la main droite étant semble-t-il plus viril que celui utilisant la main gauche.
Dans la séquence suivante, la fleur de lotus semble éclore, attirée par le Soleil. La danseuse représente ensuite trois divinités associées au lotus : Lakshmi, Sarasvati, Govinda. Je suis alors ravi de la voir représenter Padmanabha. Plus loin, adoptant une pose demandant un certain sens de l'équilibre, la danseuse représente semble-t-il un poisson ; l'interprétation de cette pose par la danseuse est plus courbe que ce que j'ai pu voir récemment à Chennai.
Le récital est quelque peu austère, mais j'ai apprécié la beauté de certains mouvements convergeant vers des postures signifiantes et je me suis aussi délecté de la pièce narrative évoquant l'espiègle Krishna qui est intervenue avant le Tillana concluant le récital.
⁂
Salle Pleyel — 2014-01-16
Roland Daugareil, violon solo
Orchestre de Paris
Christoph von Dohnányi, direction
Le songe d'une nuit d'été (Ouverture), Mendelssohn
Martin Helmchen, piano
Concerto pour piano nº3 et ut mineur op 37 (Beethoven)
Symphonie nº9 La Grande (Schubert)
Superbe concert de l'Orchestre de Paris ! tout comme la dernière fois que j'avais vu Christoph von Dohnányi diriger cet orchestre, dans Le Château de Barbe-Bleue. Placé cette fois-ci à l'arrière-scène, je le vois diriger des épaules l'Ouverture du Songe d'une nuit d'été. Le grand moment du concert a été pour moi l'interprétation du Troisième concerto pour piano de Beethoven par le pianiste Martin Helmchen que j'avais déjà trouvé formidable comme accompagnateur de Juliane Banse lors d'un récital de Lieder. Comme beaucoup d'autres spectateurs, j'ai été captivé par son interprétation de ce concerto ! Beaucoup de rubato dans son jeu et dans celui de l'orchestre... Certains passages sont très virtuoses, mais je n'ai jamais l'impression d'être noyé dans un déluge de notes. Tout semble très clair !
Après l'entr'acte, j'ai beaucoup aimé l'interprétation de la symphonie “La Grande” de Schubert, notamment le deuxième mouvement, mais à chaque écoute, je trouve toujours cette symphonie un petit peu longue...
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2014-01-12 17:40+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XII
Je reviens ravi de mon court à Chennai pour la Saison de décembre. Je ne saurais trop recommander à quiconque aime la danse bharatanatyam d'y aller (les autres styles indiens n'étant que très modestement représentés). Je n'y retournerai pas tous les ans, d'une part parce qu'un séjour aussi bref en Inde est quelque peu dispendieux et d'autre part parce que l'ensemble des artistes présents ne doit pas beaucoup changer d'une année sur l'autre. Cependant, je retenterai l'expérience dans quelques années, c'est certain.
La plupart de mes journées commençaient très tôt. Pendant les premiers jours, je n'avais aucun mal à m'endormir, mais une fois réveillé sans raison vers 5h du matin, je n'arrivais plus à me rendormir. Les jours suivants, j'ai été réveillé tous les matins vers 5h par le son des nadaswarams du temple jouxtant l'hôtel moins onéreux que j'avais préféré au premier. Je n'avais dès lors plus qu'à attendre 7h que le restaurant Saravana Bhavan le plus proche ouvre afin d'y déguster des Appams servis avec du lait de coco.
Les spectacles de danse n'ayant lieu que l'après-midi, il a bien fallu que j'assiste le matin à quelques concerts de musique carnatique (et à des conférences-démonstrations à la Music Academy ou au Sri Krishna Gana Sabha). Il m'est apparu au cours de ce voyage que je n'aimais pas véritablement la musique carnatique. Les raisons m'ont été révélées lors de l'intéressante conférence-démonstration des violonistes Ganesh & Kumaresh. J'apprécie que le chant soit ornementé, c'est ce qui m'a attiré vers le dhrupad, mais le chant carnatique est beaucoup trop ornementé à mon goût. Les Alap sont trop courts et ne font pas entendre les notes de la gamme de façon progressive, puisqu'au bout d'un quart de seconde, le chanteur aura eu le temps de les jouer toutes avec déjà d'infinies combinaisons d'ornementations. Certains interprètes arrivent néanmoins à donner un caractère méditatif à leur chant. Ce fut le cas de T. M. Krishna et plus encore de Dr M. Balamuralikrishna. Me donner une petite chance d'entendre Dr M. Balamuralikrishna en concert faisait partie des raisons principales de mon séjour. Je suis heureux de l'avoir entendu, même si cela n'a duré que 10 minutes. En dehors de ce moment exceptionnel, je retiendrai surtout le concert matinal de Padmavathy Ananthagopalan & Jayanthi Kumaresh qui ont interprété avec leurs Vînâs un Ragam Thanam Pallavi, la forme musicale la plus élaborée dans la musique carnatique et la plus proche de la forme que prennent les Ragas dans la musique dhrupad.
La raison principale de mon séjour à Chennai était bien sûr la danse. En tout, j'aurai assisté à plus d'une trentaine de spectacles de danse (sur 52 spectacles vus en 12 jours). Cela commençait souvent par un récital au Narada Gana Sabha à 14h après lequel je filais au Sri Krishna Gana Sabha pour les récitals de 16h et 17h30 dans la petite salle, après lesquels j'enchaînais avec le spectacle du soir dans la grande salle du Sri Krishna Gana Sabha, ou dans une autre salle. À l'issue du festival du Sri Krishna Gana Sabha, je me suis tourné vers le Bharatiya Vidya Bhavan.
Pour ce qui est de la danse, j'ai été heureux de prendre un cours avec Srithika Kasturirangan qui porte une lourde responsabilité dans mon intérêt pour le bharatanatyam. En assistant à des récitals, j'ai découvert des styles de bharatanatyam extrêmement variés, du plus austère (C. V. Chandrashekhar) au plus exubérant (Nivedita Gopinath) en passant par l'art de la narration la plus lisible qui soit de Bhavya Balasubramanian, la grâce de Meenakshi Srinivasan, le style tout à fait unique de Padma Subramanyam (dont le travail sur les karanas peut néanmoins être admiré chez Janaki Rangarajan). Parmi les expériences allant vers la danse contemporaine, si j'ai été sensible aux tentatives de Rukmini Vijayakumar, j'ai un peu moins accroché à celles de Leela Samson et je suis resté complètement réfractaire à la démarche d'Anita Ratnam. Ce spectacle d'Anita Ratnam est la seule véritable déconvenue subie au cours de ce séjour, et ce d'autant plus qu'en assistant à ce mauvais spectacle, j'ai perdu une occasion de revoir Alarmel Valli. Mon grand autre regret est de n'avoir pas vu Bragha Bessel dont tout le monde loue les qualités exceptionnelles en Abhinaya, mais ce n'est, je l'espère, que partie remise.
La trentaine de récitals de danse auxquels j'ai assisté m'ont donc à peu près tous apporté des satisfactions ; je ne peux pas toutes les citer ici. Les plus grandes émotions ne sont pas toujours venues des danseuses les plus connues : la qualité d'un spectacle ne se mesure pas au prix des places (qui est souvent de zéro roupie !). Cependant, s'il y avait un seul spectacle en lequel je fondais de grandes espérances, c'était bien celui de Rama Vaidyanathan. Jusque là, je ne l'avais vue qu'en vidéo. Je m'attendais à ce que soit extraordinaire et assister à son récital au Bharat Kalachar m'a comblé au delà de toutes mes espérances !
2014-01-10 17:08+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XII
The Indian Fine Arts Society, Balamandir German Hall, Chennai — 2014-01-03 à 08:30
Ensemble Amirtha Vahini, chant
Il n'y avait pas beaucoup de spectacles programmés pendant cette matinée. La seule possibilité que j'aie trouvée était d'aller au Balamandir German Hall à 8h30. On était moins nombreux dans le public que sur scène où avaient pris place sept femmes et un homme qui chantaient sans accompagnement instrumental. Elles chantaient déjà avant que je fusse arrivé. Leurs chants sont semble-t-il en l'honneur de Krishna et sont pour la plupart en Adi Tala (les chanteuses ne le clappant pas toutes de façon synchronisées avec la leader). J'apprécie que les chants soient ornementés de façon beaucoup plus raisonnable que ne l'est le chant carnatique. Quelques délicieux glissandis exécutés entre certaines notes interprétées sur un tempo plutôt lent, cela me plaît davantage que les ornementations fractales de certains chanteurs ! Malgré leurs imperfections et leur absence totale de prétention, ces chants interprétés par un chœur m'ont beaucoup ému.
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The Indian Fine Arts Society, Balamandir German Hall, Chennai — 2014-01-03 à 09:00
M.V. Narasimhachari, chant
Jayanthi Keshav, violon
Thiruvidaimarudur Radhakrishnan, mridangam
Quelques minutes après la fin du premier concert, le public n'est pas beaucoup plus nombreux pour le concert de M. V. Narasimhachari. La voix du chanteur âgé ne s'est pas tout à fait enfuie, lui permettant tout juste d'assurer le concert, ce qui me met assez mal à l'aise. La brièveté ou l'absence totale d'Alap dans l'interprétation des premières compositions m'a décidé à partir après un petit quart d'heure.
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Pour la soirée, j'avais deux possibilités. La première était d'assister à un dance drama de Kalakshetra au Narada Gana Sabha. Après avoir vu une autre chorégraphie de Rukmini Devi dans le récital de C. V. Chandrashekhar, je me suis dit que je risquais de m'y ennuyer et ce d'autant plus que je ne connais pas bien le thème mythologique du dance drama Rukmini Kalyanam qui était programmé (pour cette raison, j'aurais bien aimé voir Sabari Moksham, mais c'était complet).
L'autre possibilité, c'était d'aller à l'ouverture du festival de danse de la Music Academy. Après avoir fui le concert mentionné ci-dessus, je suis passé vers 9h30 à la Music Academy pour acheter une bonne place. La vente commençait à 10h. J'étais le premier dans la file, bientôt rejoint par une japonaise, Naoko. Un agent de sécurité nous a dit de passer outre et d'aller sans attendre au bureau de la Music Academy où on nous a dit de rebrousser chemin parce qu'ils étaient débordés. J'ai finalement acheté mon billet et Naoko son abonnement (season ticket), comme quoi, c'est possible.
Le soir venu, je suis arrivé bien en avance à la Music Academy. Ayant payé ma place 850 roupies, je suis passé par l'entrée VIP et ai découvert que tout le petit monde ou presque du bharatanatyam à Chennai était déjà là ou en train d'arriver : Padma Subramanyam, Sudharani Raghupathy, les Dhananjayan, Shobana, les critiques Sunil Kothari et Leela Venkataraman, et bien d'autres non identifiés. J'aperçois aussi des membres de la Chidambaram Dance Company de Chitra Visweswaran. Si le public était invité à venir plus tôt, c'est parce que la Music Academy avait attribué à cette danseuse le prix Natya Kala Acharya qu'allait lui remettre C. V. Chandrashekhar après la cérémonie de l'allumage de la lampe. Parmi les discours faits à cette occasions, trois ont été remarqués. Tout d'abord, l'entrepreneur Sreedhar Potarazu, époux et père de danseuses, a expliqué qu'il finançait le festival de la Music Academy non pas par mécénat, mais par dévotion aux Arts. C. V. Chandrashekhar a de son côté exprimé son inquiétude sur la forme du récital de bharatanatyam Margam (structuré en Alarippu, Varnam, Padam, etc). Selon lui, de trop nombreuses danseuses utilisent leurs récitals pour raconter des histoires. Il veut bien que l'on raconte des histoires, mais il faudrait laisser cela aux chorégraphies de groupes (Dance Dramas). Si je me fie aux spectacles vus pendant la saison, ses inquiétudes me semblent assez largement infondées ; et ce n'est de toute façon pas moi qui reprocherait à une danseuse de raconter une histoire dans son récital... Les arguments qu'il a produits incluaient la défense de la poésie tamoule qui est utilisée dans certains types de pièces et il a aussi défendu l'importance de l'expression des sentiments de la nayika dans les Varnam alors que celle-ci suit un chemin spirituel vers la divinité.
Le discours d'acceptation de Chitra Visweswaran a été très émouvant. Elle a rendu hommage aux personnes grâce auxquelles elle est devenue ce qu'elle est. Elle a aussi exhorté à une prise de conscience des difficultés auxquelles sont confrontés les danseurs (pas de protection sociale, pas de retraite). Elle a appelé à une réflexion sur le rôle que l'État, les entreprises et la Music Academy pourraient jouer pour améliorer la situation.
La cérémonie s'est éternisée et la demi-heure prévue a été très vite dépassée. Le récital prévu ensuite a commencé avec 40 minutes de retard !
Ailleurs : The Hindu.
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The Music Academy, T.T.K. Auditorium, Chennai — 2014-01-03 à 18:00
Aishwarya Nityananda, danse bharatanatyam
Pushpanjali
Varnam
Devanama
Padam
Tillana
Le récital d'Aishwarya Nityananda donné en ouverture du festival m'a semblé remarquable. Après une prière à Ganesh dont la danseuse a mis en valeur le gros ventre, elle a interprété un Varnam (Rupaka Tala) du Tanjore Quartet en l'honneur de Brihadeshwarar, la forme de Shiva qui réside à Tanjore.
La danse d'Aishwarya Nityananda semble appartenir à la plus pure tradition. Le thème de son Varnam (Rupaka Tala) a certainement fait plaisir à C. V. Chandrashekhar. Si les qualités expressives de la danseuse sont indéniables, son interprétation me paraît exceptionnelle pour une autre raison. Dans le bharatanatyam, il faut bien admettre que certains éléments de narration très courants finissent par devenir des lieux communs, mais dans ce Varnam la danseuse a repris certains de ces éléments pour les développer davantage que cela se fait habituellement, et élaborant des gestes nouveaux pour ces situations connues, elle renforce l'esthétisme et la poésie de ces scènes. Par exemple, après un premier jati ressemblant fortement à un Alarippu, l'héroïne adresse une prière à Shiva-Nataraja qui se laisse entrevoir et puis elle décide de confectionner une guirlande de fleurs. Au lieu de gestes vus et revus, la danseuse élabore sur ce thème. On la voit ainsi aller remplir des seaux d'eau au puits, puis arroser des fleurs et enfin seulement préparer les guirlandes de fleurs. Plus loin, entrant dans le temple, elle entend le son des tambours et des nadaswarams. Après son offrande de fleurs, Shiva lui apparaît sous une forme qui lui fait peur : certes Ganga coule de son chignon et il arbore le croissant de Lune, mais elle est effrayée par sa chevelure, les cendres et la peau de tigre. Quand il semble qu'il veuille lui prendre la main, elle s'enfuit. On retrouve ensuite l'héroïne dans une scène bucolique. Allongée au bord de l'eau, elle regarde une abeille butiner un lotus. Cette scène est extrêmement stylisée et la musique se fait presqu'impressionniste grâce au son de la flûte. L'héroïne voit aussi des couples d'oiseaux et d'antilopes. Elle refuse de continuer à voir ce qui la dégoûte. Elle cherche ensuite à s'unir à celui qui porte le tambour Damaru et dont la virilité quelque peu hautaine semble comporter une part de vantardise. L'héroïne est montrée en train de se faire belle. La scène est extrêmement riche en détails. Elle se regarde dans le miroir, se met un collier, des boucles d'oreilles, des bracelets. La danseuse portait évidemment des bracelets depuis le début de son récital, mais c'est tout comme s'ils n'avaient paru qu'au moment où l'héroïne qu'elle incarne les a mis ! L'héroïne enfile ensuite très soigneusement un sari, mais elle ne semble pas satisfaite. Elle jette tous ses ornements et supplie la divinité. Dans le dernier chapitre joyeux du Varnam, on voit l'héroïne s'émerveiller devant la vision de Shiva ascète réduisant Kama en cendres et semble-t-il aussi devant celle de l'épisode mythologique qui vaut à Shiva le nom de Nilakantha. Il me semble ainsi voir la danseuse évoquer le barattage de la Mer de Lait et montrer Shiva en train de boire le poison qui en a résulté, mais je n'en suis pas tout à fait certain, la chorégraphie n'incluant pas de geste spécifique pour signifier que Shiva en a conservé une marque à la gorge.
La danseuse a fait preuve d'une grande musicalité dans son interprétation et ses jatis étaient souvent assez complexes. Le Varnam a même comporté une scène assez vive dansée sur les genoux. La pièce suivante Devanama (composée par Purandara Dasa) évoquait Vishnu. La divinité est apparue plusieurs fois sous le nom de Rama dans le texte, et dans la chorégraphie, mais la pièce est surtout centrée sur l'avatar Krishna, et plus particulièrement sur l'épisode que constitue la Bhagavadgita. On voit ainsi Krishna en cocher. L'archer Arjuna refuse de combattre ceux avec qui il partage des liens familiaux. Krishna se montre à lui dans sa forme universelle. L'Univers tout entier apparaît. Arjuna en est émerveillé et repart au combat. La fin de la pièce comporte une très belle pose de Vishnu-Padmanabha sur le serpent Shesha.
Les deux dernières pièces m'ont paru bien moins passionnantes que les précédentes. L'avant-dernière était un Padam sur le même thème que celui présenté la veille par Janaki Rangarajan. L'interprétation d'Aishwarya Nityananda souffre beaucoup de la comparaison. Si elle n'avait pas annoncé préalablement le thème du Padam, je n'aurais sans doute rien compris à la pièce. Le Tillana n'était pas très enthousiasmant non plus. Il se réduisait à de la danse pure. Fait étonnant, le récital ne s'est pas terminé par la salutation traditionnelle.
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The Music Academy, T.T.K. Auditorium, Chennai — 2014-01-03 à 19:45
Sutra Dance Company de Ramli Ibrahim, danse odissi
Krishna: Love Re-invented
À la lecture du programme du festival de danse de la Music Academy, il apparaît que les spectacles programmés en soirée sont des ensembles plutôt que des récitals solos. Le premier de ces spectacles est Krishna: Love re-invented dansé par la Sutra Dance Company de Ramli Ibrahim (Malaysie). Si les cinq premières minutes du spectacle m'ont paru réellement enthousiasmantes, l'ensemble me paraît consternant et je suis étonné qu'un aussi prestigieux festival programme un tel spectacle certes bien dansé mais dénué de substance. (Cela dit, j'ai déjà vu pire à l'Opéra de Paris !) La troupe est composée de quatre danseurs solistes : Ramli Ibrahim, un jeune homme interprétant Krishna et deux danseuses que les costumes ne distinguent pas des cinq autres danseuses du corps de ballet.
Le costume des danseuses comporte moins de tissu que le costume traditionnel de la danse odissi : elles n'ont que le corsage et le pantalon. Le sujet du ballet est on ne peut plus érotique. Pendant plus d'une heure, on nous montre Krishna en train de danser avec les gopis. Ce serait superbe si le ballet s'arrêtait à la fin du premier des cinq ou six tableaux, mais à force de revoir toujours la même chose tableau après tableau mon émerveillement a laissé la place à la lassitude.
Le premier tableau mettait en scène deux dévôts de Krishna : un homme (Ramli Ibrahim) et une femme (la prima ballerina). Les danseurs et danseuses de la compagnie dansent un style que l'on ne peut pas confondre avec un autre style que l'odissi. La cambrure des corps est tout à fait caractéristique. La lascivité des poses et des mouvements de transition met résolument en valeur l'aspect Lasya de la danse. Ce qui me plaît le plus, c'est le travail sur le placement du corps de ballet, très homogène : en danses indiennes, c'est la première fois que je vois ça (les danseuses de la Chidambaram Dance Company vues récemment développant davantage leur singularité).
Si le premier tableau était superbement travaillé, les suivants étaient très décevants, le sujet ayant été épuisé dès le premier tableau. Pour rendre le ballet plus substantiel, il aurait fallu par exemple explorer le Gita-Govinda ou narrer des exploits du jeune Krishna... Il faut néanmoins reconnaître une certaine audace dans les portés intégrés à la chorégraphie, sans doute à l'extrême limite de ce qui doit être acceptable en termes de pudeur sur une scène indienne.
2014-01-06 22:26+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XII
Sri Parthasarathy Swami Sabha, Vidya Bharathi Kalyana Mandapam, Chennai — 2014-01-02 à 08:30
Dr. T.S. Sathyavathi
Lecture Demonstration: An aesthetic approach to pallavi and its facets
Mon avant-dernière journée à Chennai a commencé par une remarquable
lecture-demonstration au Vidya Bharati Kalyana Mandapam que les
rickshaws qui le connaissent appellent simplement Vidya Bharatai
et
qu'il ne faut donc pas confondre avec Bharatiya Vidya Bhavan
qui se
trouve aussi à Mylapore. La conférence est intitulée An aesthetic
approach to pallavi and its facets. Après avoir chanté une courte et
intense prière à Bhagavata
, T. S. Sathyavathi a illustré ce qu'il
fallait faire (ou ne pas faire) selon elle dans la partie Pallavi
d'un Ragam Thanam Pallavi. Parmi ses idées, celle d'apporter du plaisir
(pleasure) à l'auditeur plutôt que de créer une tension
(pressure). Tous les efforts de l'interprète doivent aller dans
cette direction, mais il ne faut pas que ces efforts soient apparents. Elle
a présenté de nombreux exemples d'une grande difficulté technique, mais a
insisté pour que l'interprète ne soit pas trop démonstratif et que le
battements du tala et de ses subdivisions ne soient pas trop forcés :
allier souplesse et précision. Par exemple, la chanteuse est passée tout
naturellement de temps divisés en quatre doubles croches à des quintolets
et puis plus loin, elle rendra très naturel un redoutable Talamalika,
une guirlande de talas dans lequel chaque cycle rythmique était obtenu en
mettant bout à bout plusieurs talas (en l'occurrence quatre :
3+???+4+5).
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Sri Parthasarathy Swami Sabha, Vidya Bharathi Kalyana Mandapam, Chennai — 2014-01-02 à 10:00
Kunnakudy M. Balamuralikrishna, chant
M.A. Sundareswaran, violon
Thiruvarur Bakthavathsalam, mridangam
K.V. Gopalakrishnan, kanjira
La matinée se poursuit dans la même salle avec un concert de Kunnakudy M. Balamuralikrishna. Alors que j'arrivais à clapper immédiatement des talas pas tout à fait évidents avec l'oratrice de la lecture-demonstration précédente, je suis perdu quand je regarde Kunnakudy M. Balamuralikrishna, même quand il chante une composition dans le tala le plus courant (Adi). Le chanteur ne suit manifestement pas la même recherche esthétique que T. S. Sathyavathi. C'est très divertissant, je ne regrette pas d'être resté jusqu'au Tillana conclusif, mais je n'ai pas trouvé très transcendant ce concert.
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Le temps est venu de parler d'un sujet important : la nourriture. J'ai
pris la plupart de mes repas dans des restaurants comme Saravana Bhavan et
d'autres du même type. Je ne suis allé qu'une fois dans un restaurant de
luxe (Benjarong, un restaurant thaïlandais qui me permet de me remémorer à
chaque passage à Chennai ce que signifie véritablement l'adjectif
piquant
appliqué à la cuisine). En cas de petit creux, je prenais
des petits cakes nature vendus à tous les coins de rue pour 5 roupies.
La plupart des salles de spectacle disposent d'une cafétéria. Il ne m'a pas semblé qu'il y en ait une à la Music Academy et celle du Narada Gana Sabha n'étant ouverte qu'en soirée, je ne l'ai pas testée. J'ai souvent pris des cafés au Sri Krishna Gana Sabha, mais leurs plats ne sont pas terribles. Parmi les meilleurs cuisines que j'ai testées, celle du Brahma Gana Sabha (Sivagami Petachi Auditorium) est très bonne, tout comme celle du Mylapore Fine Arts Club, dont je n'ai malheureusement pas eu le temps de goûter au thali. La meilleure cantine a été pour moi indiscutablement celle du Vidya Bharati Kalyana Mandapam. La salle est grande et les murs sont recouverts de portraits de chanteurs de musique carnatique comme M. S. Subbulakshmi, Dr. M. Balamuralikrishna ou Aruna Sairam. J'y ai pris des vadas en arrivant le matin et je n'ai eu alors aucune hésitation sur l'endroit où je prendrais mon déjeuner. Après le concert de Kunnakudy M. Balamuralikrishna, je me suis installé dans cette cantine où des feuilles bananier étaient alignées pour servir le thali à volonté (un peu plus de 200 roupies). Un des meilleurs que j'aie goûtés !
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Kartik Fine Arts, Bharatiya Vidya Bhavan - Main Hall, Chennai — 2014-01-02 à 16:30
M. Thamayanthi, danse bharatanatyam
À 16h30, je suis allé au Bharatiya Vidya Bhavan. L'entrée étant gratuité ce jour-là, j'ai assisté aux trois récitals de danse qui y étaient programmés afin d'être sûr d'avoir une très bonne place pour le dernier récital (de Janaki Rangarajan). La première danseuse est M. Thamayanthi, disciple d'Urmila Satyanarayanan. J'ai aimé son style très esthétique comportant des équilibres et une gracieuse utilisation de positions assises ou allongées.
Les deux premières pièces (un Pushpanjali en l'honneur de Shiva
et un Alarippu rythmiquement compliqué dont la musique utilisait
un tala à sept temps). S'ensuit un Varnam en Adi Tala dont je n'ai
pas saisi la cohérence globale. Le premier jati ressemble à un
Alarippu. Les mouvements semblent complexes, les bras et les
jambes allant souvent dans des directions opposées. La jeune femme brûle
d'amour. Elle va à la rivière se laver les cheveux et les arranger en
chignon. Elle brûle toujours et cherche l'union. Des épisodes mythologiques
sont ensuite évoqués. Il me semble discerner que quelqu'un est réduit en
cendres (Kama par Shiva ?) et plus loin j'ai l'impression de voir une
évocation de certains ou peut-être de tous les avatars de Vishnu, ce qui me
paraît étrange, mais les apparitions de Krishna en flûtiste et du mot
Gopala
dans le texte lèvent mes doutes. Après un jati très rapide,
on voit les abeilles butiner des fleurs et alors que l'héroïne se réveille
après son sommeil, le Varnam se termine de façon joyeuse.
Le récital se conclut par deux délicieuses pièces en Adi Tala. La première décrit l'émerveillement d'une mère en voyant son enfant ; elle ne peut faire aucune tâche ménagère, puisqu'elle revient toujours auprès de l'enfant, pour lui donner des fruits, par exemple. Le récital se conclut sur un Tillana composé par Dr M. Balamuralikrishna, pas celui en Behag entendu déjà plusieurs fois, mais plutôt semble-t-il celui en Kadanakuthoohalam. La pièce évoquait Krishna et comportait un très bel équilibre.
En allant me dégourdir les jambes, je salue une dernière fois le violoniste Kalaiarasan qui filait jouer dans une autre salle et qui m'a demandé mon numéro de téléphone !
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Kartik Fine Arts, Bharatiya Vidya Bhavan - Main Hall, Chennai — 2014-01-02 à 18:00
Vaijayanthi Narendran, danse bharatanatyam
Comme l'avant-veille, j'ai assisté à un récital d'une disciple de Krishnakumari Narendran. Le récital de Nivedita Gopinath était centré sur Vishnu (via son avatar Rama). Celui de Vaijayanthi Narendran est consacré à Shiva. Les discours en tamoul de Krishnakumari Narendran sont toujours aussi interminables. Les chorégraphies présentées par Vaijayanthi Narendran sont un peu moins hors normes que celles dansées par Nivedita Narendran. La première pièce commence par un jati très long mettant en scène le tambour Damaru de Shiva. Après une évocation du tambour, de la vînâ, de la flûte et de l'écriture, la suite de la pièce montre de nombreux attributs de Shiva (chignon, troisième œil, trident, Ganga, Nataraja, Damaru).
La deuxième pièce commence par le mantra Om Namah Shivaya dans laquelle la danseuse évoque la danse de Shiva en montrant plus ou moins les mêmes attributs que dans la pièce précédente. La vélocité de la danseuse est impressionnante. Presque trop, on n'en a pour ainsi plus le temps de distinguer les éléments évocateurs ou narratifs de la chorégraphie... Comme dans le récital de Nivedita Gopinath, les conventions du bharatanatyam semblent exploser avec l'insertion d'un passage de divertissement champêtre sans paroles dans lequel le son de la vînâ prend le dessus.
La pièce suivante utilise une musique de Papanasam Sivan et évoque semble-t-il l'amour filial de Yashoda pour Krishna.
La dernière pièce avait un titre ressemblant à Pandheri-yatra et m'a semblé évoquer un voyage en bateau et exprimer une dévotion (bhakti) vishnouïste.
Malgré la vitesse extrême des mouvements qu'elle a exécutés, la danseuse n'a trahi aucun signe de fatigue.
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Kartik Fine Arts, Bharatiya Vidya Bhavan - Main Hall, Chennai — 2014-01-02 à 19:30
Janaki Rangarajan, danse bharatanatyam
Margam
Un des récitals que j'attendais le plus en venant à Chennai était celui de Janaki Rangarajan, que j'avais déjà eu l'occasion de voir au Musée Guimet il y a quelques mois. Le chanteur est K. Hariprasad et le nattuvangam sera joué par Jaishri, ce qui à tout pour me plaire. L'orchestre ne comporte pas de violon, seulement une flûte (et bien sûr aussi un mridangam).
Après une prière au Tout Puissant, la danseuse qui porte un élégant costume associant blanc, vert et rose a interprété un Alarippu suivi d'une prière et d'une offrande de fleurs à Shiva. Le dieu était représenté avec son chignon, des cendres et la peau de tigre. Étrangement, pour représenter Shiva-Nataraja, après avoir fait prendre à ses deux mains leur position habituelle, elle a dirigé vers le côté opposé non pas sa jambe gauche mais sa jambe droite. La pièce de cette disciple de Padma Subramanyam s'est terminée par une superbe pose, qui est probablement un karana (le centième ?), qui ressemble un peu à la représentation iconographique d'un des pas du nain Vamana (incarnation de Vishnu). La danseuse se tient sur la jambe droite qui est tendue, tandis que la jambe gauche est parfaitement horizontale, pointée vers le côté et tenue par la main gauche, la main droite restant décontractée.
La pièce principale du récital est un Varnam. L'héroïne est éprise de Padmanabha (Vishnu). Les jatis comportent quelques mouvements très courbes et incorporent peut-être quelque(s) karanas. Au cours des trente-deux spectacles de danse que j'ai vus à Chennai, j'ai eu de très nombreuses occasions de voir Kama lancer ses flèches florales. La représentation qu'en a fait Janaki Rangarajan est sans doute la plus belle que j'aie vue. L'héroïne exécute des rites d'adoration d'une statue. Elle brûle de la séparation avec son bien-aimé. Par ses magnifiques mouvements d'yeux, la danseuse exprime la détresse de l'héroïne. Celle-ci se pare. Elle se coiffe les cheveux, se maquille, souligne le contour de ses paupières. Des couples d'oiseaux paraissent, des abeilles butinent, l'héroïne pense à celui aux yeux de lotus (Krishna flûtiste), ce qui donne à la danseuse l'opportunité d'exécuter des délicats mouvements de sourcils. Elle brûle toujours de cette détresse et puis Padmanabha apparaît enfin. L'héroïne le supplie, mais elle ne pourra semble-t-il adorer que son image.
Plus que par sa structure classique assez peu narrative, si j'ai trouvé remarquable ce Varnam (en Rupaka Tala), c'est par le travail exceptionnel de la danseuse dans l'expression de son visage et dans la beauté de sa gestuelle, que ce soit dans les passages rythmiques (jatis) ou dans les parties exprimant les sentiments de l'héroïne.
La pièce suivante est un Padam. Si je verrai par hasard une
autre danseuse interpréter une pièce sur le même thème le lendemain, je
pense que Janaki Rangarajan est la première danseuse que je voie à
présenter le thème d'une héroïne (nayika) trahie par son amie
(sakhi). L'amie sert d'intermédiaire entre l'héroïne et son
amoureux (une divinité, qui était ici Muruga). On voit l'héroïne rédiger
une lettre que la sakhi est censée transmettre à l'amoureux. Dans
ce Padam, quand l'amie
revient, l'héroïne remarque que son
maquillage est ruiné, son rouge à lèvres dégouline de partout. Alors que la
sakhi avait toujours été pour moi un personnage assez abstrait que
je n'arrivais jamais à distinguer dans la chorégraphie, je l'ai vu pour la
première fois dans ce Padam. Elle fallait voir la sakhi
ayant perdu toute contenance, pleine de honte, peu fière d'avoir trahi la
nayika. Cela n'a duré que deux ou trois secondes, mais c'était
magnifique. La pièce se termine avec l'expression des regrets de la
sakhi.
Le récital s'est terminé par un Tillana composé par Padma Subramanyam louant la beauté des créatures de Dieu. Les mouvements d'yeux de la danseuse sont encore éblouissants dans cette pièce qui se termine par un bel équilibre.
Alors que je m'apprête à aller féliciter la danseuse, je suis ravi de me
retrouver nez à nez avec Jaishri à qui j'ai déjà eu l'occasion quelques
jours plus tôt d'exprimer toute mon estime pour sa façon de jouer du
nattuvangam. Arrivé à la loge, je suis accueilli par un Are you
Joël?
. Je ne suis pas sûr de m'en être complètement remis...
2014-01-03 16:10+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XII
The Mylapore Fine Arts Club, Chennai — 2014-01-01 à 09:30
Lalgudi G.J.R. Krishnan, violon
Lalgudi Vijayalakshmi, violon
Trichy B. Harikumar, mridangam
V. Suresh, ghatam
Pour ce premier concert de l'année, j'ai probablement entendu ce qui se
fait de mieux en violon carnatique : les frère et sœur Lalgudi G. J. R.
Krishnan et Lalgudi Vijayalakshmi, disciples de leur père Lalgudi
Jayaraman. Le concert a été agréable, mais n'a pas atteint les sommets de
celui des joueuses de vînâ Padmavathy Ananthagopalan & Jayanthi
Kumaresh. Ils ont interprété de nombreuses compositions en Adi Tala (et
Rupaka Tala) de grands compositeurs (Tyagaraja, Muthuswami Dikshitar et
leur père). Leur concert a aussi comporté un Ragam Thanam Pallavi en Raga
Desh sur un cycle rythmique à neuf temps (XxxxxXoXo
). La première
ligne du Pallavi a été chantée par Vijayalakshmi avant que les
deux musiciens l'interprètent avec leurs violons. J'ai nettement préféré ses
improvisations à celles de son frère, moins émouvantes. Le concert s'est
conclu par un Tillana composé par leur guru.
⁂
Sri Krishna Gana Sabha, Kamakoti Gana Mandir Hall, Chennai — 2014-01-01 à 16:00
M.S. Ananthashree, danse bharatanatyam
J'ai passé l'après-midi et la soirée au Sri Krishna Gana Sabha. J'y ai d'abord vu M. S. Ananthashree qui si elle n'est pas la plus élégante des danseuses que j'aie vues a cependant une très bonne technique. Après une prière chantée à Ganesh, elle a interprété Sabai Anjali/Tirupavai (?) avec son costume qui ressemble davantage à une robe qu'aux costumes les plus courants qui comportent un pantalon. Elle y fait une offrande de fleurs à la sculpture de Nataraja présente sur scène puis en tant que jeune femme éprise de Krishna, elle adresse une prière à Narayana.
Son Varnam est en Rupaka Tala. Il met en scène l'héroïne et Thyagaraja Swamy (la forme de Shiva résidant à Tiruvottiyur, près de Chennai). Frappée par les flèches de Kama, elle brûle de la séparation alors qu'autour de la rivière, elle voit des couples d'oiseaux et d'antilopes, ainsi que des abeilles butinant des fleurs. Elle prépare soigneusement un collier de fleurs pour son bien aimé. La danseuse évoque ensuite les Arts en mentionnant le Dieu aux quatre visages, les quatre Vedas, le tambour, la parole, la beauté du son, le rythme (qu'elle bat avec les doigts). Les jatis de ce Varnam sont très complexes d'un point de vue rythmique.
La pièce suivante est un Padam (Rupaka tala) dans lequel une mère tente de détourner sa fille de Shiva dont elle est éprise. La raison est semble-t-il qu'elle veuille garder Shiva pour elle-même... Le récital s'est conclu avec un Tillana (Adi tala).
⁂
Sri Krishna Gana Sabha, Kamakoti Gana Mandir Hall, Chennai — 2014-01-01 à 17:30
Sweta Prachande, danse bharatanatyam
Le récital suivant a été merveilleux. La jeune danseuse Sweta Prachande a d'abord appris le bharatanatyam auprès de Sucheta Chapekar (la guru de ma prof) et comme elle me l'a dit après le spectacle elle s'est installée depuis plusieurs années à Chennai où elle continue sa formation avec Priyadarshini Govind.
Le chanteur souffre quelque peu de la comparaison avec la Dream Team de
musiciens qui l'entourent. Au violon, mon ami
Kalaiarasan, au
mridangam, le maître G. Vijayaraghavan et K. S.
Balakrishnan au nattuvangam. La première pièce est une magnifique évocation
de Shiva. La souplesse et le petit gabarit de la danseuse lui permettent de
rendre particulièrement impressionnante la pose de Shiva-Nataraja. Cette
pièce a été une des toutes meilleurs pièces de bharatanatyam que j'aie vues
au cours de ce séjour.
Le Varnam n'a pas été proportionnellement aussi riche en émotions que la première pièce, mais la danseuse y a très bien évoqué Shiva et la Déesse (dans son aspect guerrier), tandis que l'héroïne dévôte de Shiva cherchait à s'unir à lui. Pour accompagner cette danse, la musique était d'une rare beauté. Les jatis composés par G. Vijayaraghavan et dansés par Sweta Prachande étaient un régal autant pour les yeux que pour les oreilles. Dans les parties narratives, les frappes du mridangam étaient d'une rare pertinence. Une pause dans le Varnam a été rendue nécessaire pour que la danseuse puisse remettre un bijou d'oreille qui était tombé, ce qui a donné lieu à un délicieux petit solo rythmique. Après que l'on a vu l'héroïne se laver les cheveux à la rivière, le Varnam s'est conclu par une célébration joyeuse de la nature accompagnée de plusieurs jathis utilisant des notes solfiées (sargam).
Après un superbe solo du violoniste, la danseuse a interprété un Javali (Rupaka tala) dans laquelle l'héroïne est en colère contre un jeune homme au visage de lotus qui n'a pas été nommé. Le voit-elle aller avec une autre ? Plus loin, elle s'endort et rêve de s'unir avec lui dans un lieu rempli de fleurs, mais le rêve se transforme semble-t-il en cauchemar quand elle voit un serpent...
La danseuse interprète ensuite une pièce Tirakadi (?) sur une chanson tamoule en Adi Tala. Elle évoque l'amour maternel dans une atmosphère bucolique, alors que les abeilles butinent et que les oiseaux volent. Elle cueille des fruits pour son enfant, mais il pleure quand même. Il finit par s'endormir bercé par elle et la musique s'évanouit dans un superbe decrescendo.
Le récital se conclut par le Tillana évoquant Krishna en flûtiste composé en Raga Behag (Adi Tala) par Dr M. Balamuralikrishna. Ç'aurait été parfait si le chanteur ne s'était emmêlé les pinceaux dans les subtilités rythmiques de la composition et n'avait être recadré à plusieurs reprises par le nattuvanar.
(J'aurais bien aimé que la danseuse interprète une pièce chorégraphiée par Sucheta Chapekar...)
⁂
Sri Krishna Gana Sabha, Dr. Nalli Gana Vihar, Chennai — 2014-01-01 à 19:30
Zakir Hussain, danse bharatanatyam
Madhuram
Autant l'accompagnement musical du récital précédent était beau et pertinent, autant celui du récital du danseur Zakir Hussain a manqué de subtilité. Tous les détails narratifs étaient accompagnés de bruitages divers produits par le percussionniste. Par l'expression de son visage, le danseur avait un petit air de Charlie Chaplin. La scène était décorée d'élément vishnouïstes. La conque et le disque étaient figurés au fond de la scène où était aussi suspendue une flûte ornée d'une plume de paon. Des jarres (contenant du beurre) étaient suspendues côté jardin.
Une femme a annoncé ce programme Madhuram dans un discours en tamoul apparemment plein d'humour. Entre deux pièces, le danseur fera aussi un très long mais néanmoins éloquent discours en tamoul.
Après une offrande de fleurs, le danseur a développé des thèmes liés à l'enfrance de Krishna. On le voit soulever le mont Govardhana, manger du beurre en cachette, dompter le serpent Kaliya. On le voit aussi semble-t-il tuer Kamsa. Après une évocation de son rôle de cocher dans le Mahabharata, le programme se termine par une scène d'adoration joyeuse.
Une scène particulièrement comique peut-être comparée à un épisode de l'opéra Siegfried dans lequel Siegfried joue de la musique avec son cor après avoir lamentablement échoué à produire du beau son avec un roseau. De même, les premières tentatives de Krishna avec sa flûte n'étaient pas très concluantes, mais une fois qu'il est parvenu à en tirer de la musique, les créatures (oiseaux et antilopes) en sont tout émoustillés.
Agréable retour en rickshaw avec un chauffeur qui maîtrise mieux le hindi que l'anglais...
2014-01-02 14:40+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XII
Sri Krishna Gana Sabha, Dr. Nalli Gana Vihar, Chennai — 2013-12-31 à 09:30
G. Vijayaraghavan, mridangam
K. S. Balakrishnan, nattuvangam
Lecture Demonstration: Rythms & vibrations in jathis
Comme l'avant-veille, je suis allé au Sri Krishna Gana Sabha pour assister à une lecture-demonstration. Celle-ci a été précédée du lancement d'un livre de Dr Kanak Rele sur le Mohiniyattam. C. V. Chandrashekhar a fait à cette occasion un discours d'éloge de la danseuse qu'il connaît depuis de nombreuses années.
La conférence a été magnifique. Le titre en était Rythms & vibrations in jathis. L'orateur est le maître du mridangam G. Vijayaraghavan, accompagné de K. S. Balakrishnan au nattuvangam. Après un discours en anglais qu'il avait fait l'effort de préparer, il a continué sa démonstration en tamoul. Il expliquait quelques notions, ce à quoi je ne comprenais rien, mais la démonstration qui suivait était suffisamment éloquente. Il commençait par faire une présentation orale d'un jathi (suite d'onomatopées rythmiques qui accompagnent des passages de danse pure dans un récital de bharatanatyam). Ensuite entraient en scène le danseur A. Lakshman et ses disciples (dans diverses configurations) qui exécutaient des pas de danse, le musicien utilisant son mridangam et les onomatopées rythmiques étant alors prononcées par son acolyte K. S. Balakrishnan qui utisaient aussi le nattuvangam. Concernant les syllabes utilisées, il a expliqué que l'on pouvait mélanger aux onomatopoées rythmiques le texte d'un vers, ou même n'utiliser que du texte, en particulier des mantras. De nombreux grands maîtres de danse ou danseurs étaient présents, il y avait notamment C. V. Chandrashekhar, Dr. Padma Subramanyam ou encore Anita Ratnam. Il y a eu quelques objections suivies d'un débat sur l'utilisation de mots ou de mantras dans les jathis. Les exemples qui ont suivi ont grandement mis en valeur la souplesse rythmique que s'autorise ce mridangiste. Les jathis qu'il interprète comportent des changements de tempos qui peuvent intervenir à divers endroits du cycle rythmique (les exemples donnés étant en Adi Tala ou sur un cycle voisin ne comportant que 7 temps, 3+4 au lieu de 4+4). Beaucoup d'accelerandos et de ritardandos ! Le temps paraît élastique quand il dirige ! Il est de l'avis que le mridangam doit avoir un rôle dans les émotions (bhava) que vont éprouver les spectateurs. Je crois bien qu'il y parvienne !
Priyadarshini Govind posera la question de la différence entre les anciens jathis et les nouveaux. Si j'ai bien compris le point-clef (dans les rares mots anglais qui surgissaient dans le flot de texte tamoul), la différence serait qu'autrefois on n'utilisait que des rythmes utilisant des nombres binaires. De nos jours, on s'autorise des découpages utilisant des nombres impairs. Le musicien reçoit un vibrant hommage de Padma Subramanyam qui explique aussi semble-t-il qu'elle a trouvé des inscriptions anciennes qui mentionnaient l'utilisation de nombres impairs et elle se félicitait que par sa recherche indépendante le musicien soit arrivé à la même conclusion !
Le programme ayant pris du retard à cause des embouteillages, je ne suis pas resté pour les démonstrations suivantes. Je me suis enfui en prenant bien garde à ne pas marcher sur les pieds des maîtres de danse...
⁂
Narada Gana Sabha, Sadguru Gnanananda Hall, Chennai — 2013-12-31 à 14:00
Uma B. Ramesh, danse bharatanatyam
J'aurais bien voulu revoir Radhica Giri que j'avais vue en 2009, mais quand le spectacle du Narada Gana Sabha a commencé, j'ai compris qu'il y avait eu un changement de programme puisque c'était Uma B. Ramesh qui dansait. Ce changement de programme était annoncé dans le journal The Hindu, mais je n'avais pas vérifié ce fait, et il ne faut pas se fier uniquement à ce journal pour se renseigner sur les spectacles, puisque certains des spectacles que j'ai vus n'y étaient pas référencés...
Le programme a comporté une prière chantée à Ganesh, suivi d'un Toreyamangalam évoquant Rama (reconnaissable à son arc) et Sita, Padmanabha (dans une pose étrangement pas fléchie du tout) et Krishna avec flûte et plume de paon. Les jathis sont superbes, puisque le mridangam et le nattuvangam sont joués par les conférenciers de la démonstration ci-dessus ! Cependant, je me lasse de l'expression de la danseuse, toujours identique.
Dans le Varnam, l'héroïne se languit de (Maha)Vishnu. S'il n'y avaient les merveilleux jathis, je me serais vraiment ennuyé. L'attitude de dévotion/admiration de l'héroïne est quasiment constante pendant tout le Varnam (probablement transmis par son guru C. V. Chandrashekhar). Je respecte la démarche, tout est exécuté de façon très propre, mais ce n'est vraiment pas le style de bharatanatyam que je cherche. Plutôt que de la danse, mon plaisir de spectateur vient bien davantage du magistral accompagnement musical non seulement du mridangam mais aussi du violon.
La pièce suivante en Khanda Chapu Talam (équivalent de Sultal) est un Padam évoquant les exploits du jeune Krishna (qui soulève le mont Govardhana et qui danse sur le serpent Kaliya) et ses bêtises (voler du beurre). Je retrouve cependant la même attitude qui me lasse dans ces chorégraphies, la danseuse ayant très souvent les bras dirigés vers l'avant.
La pièce suivante est un Kirtana (Rupakatala) de Bragha Bessell qu'a
déjà dansé Meenakshi Srinivasan quelques jours plus tôt.
La divinité qui était en procession était en fait Padmanabha (Vishnu). Je
comprends les faux indices qui m'avaient fait penser qu'il s'agissait de
Ganesh (une attitude particulière au début de la pièce et un bout de texte
qui semble être Ganapati
), mais je ne comprends comment j'aurai vu
manquer de la voir la posture typique de Padmanabha que l'on voit à fin,
c'est dire si je devais être fatigué à mon arrivée depuis l'Arabie
Saoudite...
Le récital s'est conclu par deux pièces en l'honneur de Vishnu (le thème de ce récital, visiblement) : Javali (à 7 temps) évoquant une héroïne amoureuse de celui qui a des yeux de lotus et Tillana évoquant Mahalakshmi et Mahavishnu.
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Kartik Fine Arts, Bharatiya Vidya Bhavan - Main Hall, Chennai — 2013-12-31 à 16:30
Nivedita Gopinath, danse bharatanatyam
Je me rends ensuite au Bharatiya Vidya Bhavan pour y assister à trois spectacles à la suite. Les annonces se font en tamoul uniquement et sont extrêmement longues. La guru s'excusera auprès de moi d'avoir utilisé le tamoul quand je la féliciterai dans le hall à l'issue du spectacle, mais je suis davantage surpris par l'usage quasi-généralisé de l'anglais dans les annonces. La guru (Krishnakumari Narendran) raconte donc en tamoul l'histoire du Ramayana que sa disciple Nivedita Gopinath va interpréter. (Je ne connais pas le tamoul, mais je reconnais les noms propres...) La première pièce évoque la naissance de Rama et de ses frères, l'épreuve de l'arc de Shiva réussie par Rama. S'ensuit un hommage aux arts (4 Vedas, parole, vîna, tambour) et la pièce se conclut semble-t-il par le mariage de Rama et Sita.
Le style de cette danseuse est tout simplement extraordinaire, et il est remarquable également qu'une personnalité comme Padma Subramanyam y ait assisté ! La pièce est très vive, très contrastée et interprétée avec une joie de danser assez incomparable ; une forme de rusticité tout à l'opposé de ce que j'ai vu dans le récital précédent s'y fait remarquer également.
S'ensuit une pièce sur un thème dans le prolongement du prédécent puisqu'il y sera question du Sundarakhanda, le livre des merveilles du Ramayana racontant la visite du singe Hanuman à Lanka, où il rencontre Sita et lui explique qu'il a sauté par dessus l'océan. Sita lui donne un anneau avec lequel elle s'était attaché les cheveux (je ne me souvenais plus de ce dernier détail).
Je n'ai en revanche rien compris à la dernière pièce dansée, elle aussi précédée d'un éloquent discours en tamoul.
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Kartik Fine Arts, Bharatiya Vidya Bhavan - Main Hall, Chennai — 2013-12-31 à 18:00
A. Lakshman & disciples, danse bharatanatyam
Le récital d'une danseuse a été remplacé par ce programme Swati Maalika par le danseur A. Lakshman et huit danseuses au nombre de ses disciples. Le première pièce était un Pushpanjali suivi d'un shloka sur Padmanabha. La pose finale montrait le guru en Vishnu-Padmabha entouré de disciples dont deux figuraient les têtes du serpent et une autre Lakshmi lui massant les pieds. Les danseuses ont eu l'occasion de se mettre davantage en valeur dans les pièces suivantes, notamment le kriti Bhave Gopala très développé évoquant l'enfance de Krishna : les conditions complexes de sa naissance, son goût pour le beurre, ses talents de bouvier (et de dompteur de buffles ?), la danse sur le serpent Kaliya (à cinq têtes, représentées chacune par une danseuse). On le voit aussi voler les vêtements de jeunes filles se baignant à la rivière. Après une évocation du Rasalila, la pièce se termine avec Padmanabha accompagné de Lakshmi. La pièce suivante évoque la désse guerrière, puis A. Lakshman interprète un Javali dans lequel une fille demande à Krishna d'attendre qu'elle soit plus grande. Cet agréable programme se termine par un Tillana.
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Kartik Fine Arts, Bharatiya Vidya Bhavan - Main Hall, Chennai — 2013-12-31 à 19:30
Leela Samson & Spanda, danse bharatanatyam
Disha
Si le programme de neo-bharatham
d'Anita
Ratnam m'avait profondément déplu, celui conçu par Leela Samson avec
huit jeunes danseurs (autant d'hommes que de femmes) de son ensemble
Spanda était plus convaincant. S'ils venaient danser ce programme au
Théâtre de la Ville, ils y auraient certainement un certain succès. Les
mouvements des danseurs font tous partie du vocabulaire de base du
bharatanatyam. L'ancienne directrice de Kalakshetra les a utilisés pour
présenter une recherche du mouvement originel
développée sur trois
pièces. Je crois que le seul élément non abstrait a été une courte
évocation de Shiva-Nataraja. Tout le reste est de la danse pure utilisant
la géométrie des diagonales de la scène du Bharatiya Vidya Bhavan. Les
danseurs tournent lentement sur eux-mêmes sans changer de placement. Dans
une autre pièce, ils utilisent beaucoup de suites de mouvements (adavus).
Dans la dernière, j'ai l'impression de voir un serpent constitué par les
danseurs se déplacer comme dans l'archéo jeu vidéo où on joue un serpent
qui ne doit pas se mordre la queue. (Il est à noter que la musique
n'utilisait pas de tala, comme s'il n'y avait qu'un seul temps, subdivisé
en quatre doubles croches.)
S'ensuivent deux pièces d'Abhinaya, la première étant un solo de Leela Samson en hommage aux musiciens indiens morts au cours de la année 2013 finissante. La musique était un Thumri de Vasundhara Komkali. La deuxième était un Padam évoquant une jeune femme se languissant de Krishna.
Le programme s'est terminé par une vive pièce très rythmique de danse pure que j'ai trouvée un peu longue.
2014-01-01 14:25+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XII
Narada Gana Sabha, Narada Gana Sabha - Mini Hall, Chennai — 2013-12-30 à 08:30
Padmavathy Ananthagopalan, vînâ
Jayanthi Kumaresh, vînâ
R. Ramesh, mridangam
Trichy Krishnaswamy, ghatam
J'ai passé toute la nuit à combattre des moustiques. Presque tous ceux que j'ai massacrés étaient déjà imbibés de sang... Je me suis rendu très tôt à la petite salle du Narada Gana Sabha. Une cérémonie religieuse était en train de se terminer. Tout le monde s'en allait ; j'étais donc le premier arrivé pour le concert de 8h30 de Jayanthi Kumaresh (déjà appréciée deux fois à Paris en 2009 et en 2012) et de son octogénaire guru Padmavathy Ananthagopalan qui est aussi sa tante.
Elles ont commencé par interpréter deux compositions assez courtes en Adi Tala. Les derniers cycles rythmiques des compositions sont utilisées pour des improvisations des percussionnistes. La partie principale du concert a été consacrée à un Ragam Thanam Pallavi (un vrai raga on ne peut plus développé), le premier que j'entends en musique instrumentale et un des tout premiers que j'entends (le premier était d'Aruna Sairam, et j'en ai entendu un, enregistré, dans le programme de danse d'Anita Ratnam). Ce type de pièce en trois parties est assez semblable à ce qui se fait dans la musique hindoustanie et dhrupad en particulier. Il ne s'agit pas de Rudravina comme dans le dhrupad, mais de Saraswativina. Sinon, la structure est la même. Elles ont commencé par un Alap. Les configurations évoluent. L'une peut développer son Alap tandis que l'autre (la disciple) reproduit les fins de phrases. Elles peuvent aussi laisser entendre le silence entre les phrases ou encore jouer à un jeu de questions et réponses. Le même type de combinaisons se reproduisent dans le Thanam, l'équivalent de Jor/Jhala en dhrupad. La pulsation entre en scène, mais les percussionnistes n'ont pas encore commencé à jouer. Enfin, la composition (Pallavi) intervient. Celle-ci est d'abord chantée par Jayanthi Kumaresh avant que les deux musiciennes l'interprètent, puis développent des improvisations. Parmi ces improvisations, on a pu entendre un jeu de questions de réponses entre Jayanthi Kumaresh et les percussionnistes (ceux-ci tentant de reproduire autant que possible le phrasé), et les deux percussionnistes se sont également livrés à un duo avant le retour de la composition en conclusion.
À part peut-être la brève apparition de Balamuralikrishna il y a quelques jours, aucun concert de musique carnatique ne m'a autant ému que celui-ci et c'est très certainement le meilleur concert de musique indienne instrumentale auquel j'aie assisté ! Le reste du public a manifestement beaucoup apprécié le concert aussi, une bonne moitié de spectateurs clappant le tala de façon énergique !
⁂
Narada Gana Sabha, Sadguru Gnanananda Hall, Chennai — 2013-12-30 à 14:00
Rasika Kumar, danse bharatanatyam
Venant des États-Unis, disciple de Maithili Kumar et de C. V. Chandrashekhar, Rasika Kumar est une danseuse très grande par la taille. Après une prière, la danseuse a dansé une pièce intitulée Mallavi (?) suivie de Devistuti évoquant la Déesse sous plusieurs aspects : la connaissance via les 4 Vedas ou l'aspect guerrier (Mahishasuramardini). La pièce principale est un Varnam évoquant une femme qui est séparée de celui qu'elle a aimé dans le passé, Sundareshwara (la forme de Shiva résidant à Madurai). Les jatis sont très propres, très bien exécutés, la grande taille de la danseuse ne nuisant pas à la vitesse. Pourtant, je ne suis vraiment enthousiasmé par ce Varnam dont je crois pouvoir dire qu'il est dans le style Kalakshetra (comme celui interprété par C. V. Chandrashekhar). Les passages narratifs sont plutôt délicieux, comme lorsqu'elle repense aux moments où elle jouait de la musique avec son bien-aimé. La visite du temple de Madurai donne l'occasion à la danseuse de suggérer le hautbois indien (Nadaswaram), ce que je n'avais encore jamais vu faire. Ceci étant, les sentiments éprouvés par l'héroïne n'évoluent pas vraiment.
J'ai préféré le Padam chorégraphié par Bragha Bessell. Une jeune femme se pare pour accueillir Krishna, elle brûle d'amour, mais alors qu'elle l'invite chez elle, le chant du coq annonce le jour. Elle essaie bien de dire au coq de chanter un peu plus loin pour qu'on ne l'entende pas, mais il est trop tard.
Je garde du Tillana le souvenir de mouvements d'yeux très géométriques, assez semblables à ceux que l'on trouve dans les Alarippu.
⁂
Kartik Fine Arts, Bharatiya Vidya Bhavan - Main Hall, Chennai — 2013-12-30 à 16:30
Hema Nandhini Raguraman, danse bharatanatyam
Je me rends pour la première fois au Bharatiya Vidya Bhavan, près du
temple de Mylapore. La salle a paraît-il été rénovée récemment, mais au
parterre, personne n'a pensé à mettre les fauteuils en pente. Même au
deuxième rang, la tête d'une personne assise devant peut perturber la vue
des pieds de la danseuse. La danseuse Hema Nandhini Raguraman vivant
Malaysie est très talenteuse, mais ses pièces ont été introduits de
commentaires beaucoup trop brefs pour que des spectateurs même un peu
habitués puissent vraiment comprendre où elle voulait en venir. Ce n'est
que vers la fin de son Varnam centré sur Shiva et Meenakshi, quand
le texte disait Adbhuta
que j'ai compris que c'était un
Navarasavarnam évoquant les neufs émotions classifiées. Après ce
qui m'a semblé être une évocation de Nilakantha (Celui qui a la gorge
bleue), il ne me restait plus qu'à apprécier le sentiment de Paix émanant
de la Déesse. (Le violoniste Kalaiarasan, qui jouait déjà dans le spectacle
mentionné précedemment, a été excellent !)
Après avoir interprété un Shringarapadam, la danseuse a dansé un Kirtana lui aussi consacré aux Navarasa (m'a-t-il semblé). Le placement de la danseuse sur scène était très géométrique comme si elle délimitait neuf cases. C'était très furtif, et sans une certaine habitude, vu l'absence d'annonce, je n'aurais vraiment rien compris. Le récital s'est conclu par un Tillana très technique et comportant quelques sauts (la longue tresse de cheveux de la danseuse vole dans toutes les directions...).
⁂
Kartik Fine Arts, Bharatiya Vidya Bhavan - Main Hall, Chennai — 2013-12-30 à 18:00
Lavanya Ananth, danse bharatanatyam
J'avais été émerveillé les deux premières fois que j'ai vu Lavanya Ananth (en 2011 et en 2012. Si l'artiste a indiscutablement une personnalité, une très grande musicalité, un engagement et une présence scéniques, je n'ai trouvé ce récital que bon, alors que je m'attendais à de l'inoubliable. La faute en revient à la pièce principale du récital évoquant la forme de Shiva séjournant à Tanjore (Brihadeshwara). Les jatis étaient tous très élégants, mais les sentiments exprimés par l'héroïne ne m'ont pas semblé évoluer beaucoup au cours de la pièce, la jeune femme regarde au loin dans une attitude toujours identique qui m'a malheureusement un peu lassé.
La pièce suivante est Jagadotarana. Elle montre de façon délicieusement convaicante Yashoda en train de s'occuper du très jeune Krishna. Celui-ci ouvre la bouche et elle y voit l'univers tout entier. Il est aussi celui qui porte le mont Govardhana et ce sera un cocher dans le Mahabharata.
Je n'ai pas saisi tous les détails annoncés dans la pièce suivante (Abhinaya) dans laquelle une femme demande à Krishna de l'épouser comme il le lui avait promis quand ils étaient enfants.
La dernière pièce est en l'honneur de Surya (le Soleil). Aux différentes heures du jours sont successivement associées les divinités Brahma, Vishnu et Shiva. (Je n'ai pas bien reconnu Shiva, mais Vishnu et Shiva se distinguaient très bien.)
Un des grands points forts de ce spectacle était la présence du violoniste Kalaiarasan qui en était comme moi à son troisième spectacle de danse du jour ! S'il avait été excellent dans les deux spectacles précédents, il a été tout simplement génial dans le récital de Lavanya Ananth !!!
2014-01-01 13:04+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XII
Sri Krishna Gana Sabha, Dr. Nalli Gana Vihar, Chennai — 2013-12-29 à 09:30
Sadanam Harikumar
Lecture Demonstration: Melapadam
Je ne l'ai pas reconnue tout de suite, mais la session de conférences tenue au Sri Krishna Gana Sabha est dirigée par Priyadarshini Govind. Je suis allé à cette lecture-demonstration parce que Sadanam Harikumar était annoncé comme étant un danseur et que le titre Melapadam contenait Padam (un type de pièces de pur Abhinaya). J'ai eu tout faux puisque l'orateur accompagné de deux percussionnistes (mridangam et tambour frappé par des baguettes) a expliqué que dans la kathakali (Kerala), après les pièces principales, on peut interpréter un Melapadam dans lequel le chanteur chante sur le raga de son choix le vingt-troisième Ashtapadi du Gita-Govinda. Ce chant est un intermède purement musical (comme j'en ai demandé la confirmation lors du temps réservé aux questions). Personne ne sait au juste comment cette tradition s'est installée. L'orateur tente d'innover en utilisant d'autres Ashtapadis. Le chant étant très beau, mais je n'ai pas réussi à me repérer dans le cycle rythmique à 10 temps très particulier utilisé et ce malgré le schéma descriptif tracé à la craie sur un tableau.
⁂
Sri Krishna Gana Sabha, Dr. Nalli Gana Vihar, Chennai — 2013-12-29 à 10:25
Prashant Shah, danse kathak
Rukmini Vijayakumar, danse bharatanatyam et danse contemporaine
Lecture Demonstration
La deuxième lecture-demonstration était dansée. La danseuse
Rukmini Vijayakumar a commencé par présenter un extrait d'une pièce de
bharatanatyam dans le but de démontrer qu'il était possible d'inclure de
l'Abhinaya dans les passages rythmiques (jatis) qui sont des intermèdes de
danse pure dans les pièces narratives. J'ai troujours trouvé assez
saugrenue l'interruption du flot narratif que constituent les jatis. Dans
cette pièce dédiée à Shiva, la danseuse a présenté un bharatanatyam assez
spectaculaire, comportant des sauts, des pas
rotatifs exécutés sur
les genoux, des karanas et dans deux de ses jatis, elle a fait la
démonstration attendue, le premier montrant Shiva muni de ses attributs
(trident, peau de tigre, etc) et sous la forme de Nataraja (écrasant le
démon Apasmara avec son talon). Le deuxième jati évoquait l'aigle Garuda.
La pièce montrait aussi la forme androgyne Ardhanarishwara, Parvati
séduisant Shiva, ainsi que l'archer Kama lançant des flèches florales.
L'intégration d'Abhinaya dans les jatis a évidemment tout pour me plaire
(comme je l'ai apprécié chez Shantala Shivalingappa),
mais les maîtres de danse présents dans la salle ont paru dubitatifs... La
lecture-demonstration se poursuivait avec une interventon du
danseur de kathak Prashant Shah qui a parlé de ses collaborations à
l'étranger et il les a illustrées d'extraits vidéo. Le plus convaincant le
montrait en train d'éxécuter des pas très rythmiques avec une danseuse de
flamenco. Pendant que les problèmes techniques du vidéoprojecteur étaint
résolus, le danseur a essayé de nous faire des dictées rythmiques avec des
frappes de pieds. Tout le monde a été très vite largué...
Rukmini et Prashant ont ensuite interprété un duo mêlant kathak et danse contemporaine (la danseuse ayant appris plusieurs styles de danse). Les danseurs n'ayant répété que la veille, la pièce a été largement improvisée, mais elle m'a semblée extrêmement convaincante (davantage que certaines créations de l'Opéra de Paris, par exemple). Là encore, certains maîtres de danse sont perplexes, expriment la déception de n'avoir pas vu un duo kathak/bharatanatyam. Une question plus constructive sur la musique a été posée par C. V. Chandrashekhar. La musique était une piste d'un album d'Anoushka Shankar. La danseuse expliquait qu'il était très important de très bien connaître la musique pour avoir des repères et ainsi mener à bien le travail de préparation.
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Narada Gana Sabha, Sadguru Gnanananda Hall, Chennai — 2013-12-29 à 14:00
Bhavya Balasubramanian, danse bharatanatyam
À défaut d'être bouleversant d'un point de vue émotionnel, ce récital de la danseuse Bhavya Balasubramanian Ramachandan (résidant au Botswana) est une merveille dans l'art de la narration. Est-il possible de raconter une histoire par des gestes de façon plus lisible qu'elle ne l'a fait ? Le style de la danseuse inclut aussi des poses assez prolongées très esthétiques.
La danseuse est très gracieuse et sa danse inclut souvent une sorte d'ondulation allant des épaules jusqu'aux hanches qui me fait penser à Padma Subramanyan (une de ses gurus). Après un Pushpanjali, elle a dansé un Varnam (Adi Tala) dans lequel l'héroïne est amoureuse de Shiva. Il a trois yeux, le croissant de Lune, le serpent, un collier de rudraksha, des cendres, la peau de tigre, le feu et il est aussi Nataraja, le Seigneur de la danse. Frappée par les flèches de Kama, l'héroïne brûle de la souffrance de la séparation. Rien n'y fait, même après s'être aspergée d'eau, elle brûle toujours. Elle ne peut manger. S'ensuit une évocation du printemps : des gouttes de rosée issues de la lune, des abeilles qui butinent, des couples d'oiseaux, d'antilopes et même des serpents (ce qui ne manque pas d'effrayer l'héroïne). De son côté, elle est seule, et demande à son amie d'aller chercher Shiva. Celui-ci apparaît et on le voit réduire en cendres Kama qui avait perturbé son ascèse. Dans tout ce qu'elle fait, l'héroïne est déconcentrée par l'attente, l'espoir de voir Shiva. Ceci se produit pendant ses rituels religieux ou ses tâches ménagères. Ainsi, par exemple, en rêvassant un peu trop longtemps, elle fait brûler la nourriture qu'elle faisait cuire dans une marmite. On assiste ensuite à une adoration du lingam de Shiva, puis homme et femme sont réunis dans la divinité androgyne Ardhanarishwara. S'ensuit une célébration joyeuse qui culmine en la récapitulation de ce qui a précédé et en une évocation des Arts (musique et écriture).
La pièce d'Abhinaya suivante évoque la Déesse sous le nom de Tripurasundari. Au cours de cette pièce, la danseuse a inséré une magnifique narration de la naissance de Ganesh. Il est né de la seule volonté de Parvati, qui lui demande de garder sa maison et de ne laisser entrer quiconque sous aucun prétexte. Obéissant, Ganesh refuse l'entrée à Shiva qui lui tranche la tête. Voyant la détresse de Parvati, Shiva prend conscience de son erreur et s'en va. La première créature qu'il voit est un éléphant. Il lui coupe la tête qu'il emporte avec lui afin de réaliser une greffe d'organe. Le jeune homme ressuscite et prend l'apparence bienveillante de Ganesh. La pièce se conclut par l'évocation de la Déesse de la parole à laquelle sont associés les quatre Vedas.
Dans la pièce suivante Om Namo Narayana, la danseuse évoque des incarnations de Vishnu. Outre Narayana sur le serpent Shesha, il m'a semblé distinguer le sanglier Varaha et Krishna est apparu à la fin en flûtiste. En fait, la pièce développe surtout le destin de Narasimha, et ce de façon élaborée. Il est descendu sur terre en créature mi-homme mi-lion pour tuer un arrogant démon. Enfin, la pièce célèbre Vishnu dans une joyeuse adoration (bhakti).
Le récital s'est conclu par un magnifique Tillana dans lequel le style de la chorégraphe Padma Subramanyam transparait. Cette pièce illustre un vers énonçant en substance qu'un peu de Lasya suffit à rendre Devi heureuse et qu'un peu de Tandava contente Shiva. Les aspects féminins et masculins de la danse étaient ainsi harmonieusement confrontés dans cette pièce.
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Sri Krishna Gana Sabha, Kamakoti Gana Mandir Hall, Chennai — 2013-12-29 à 16:00
Manasa Harini, danse bharatanatyam
La danseuse Manasa Harini est très jeune et talentueuse. La première pièce est un Pushpanjali en l'honneur de Ganesh, suivie d'un Shiva Kautwam chorégraphié semble-t-il par Chitra Visweswaram (je ne garantis rien, les annonces ayant été faites en tamoul). Le Varnam est centré sur la Déesse sous le nom de Meenakshi. Son aspect guerrier est mis en valeur. Shiva fait aussi quelques apparitions en Nataraja ou pour réduite Kama en cendres. Après quelques épisodes narratifs que je n'ai pas tous bien compris, la pièce se termine sur le sentiment de paix. La pièce suivante est un Kirtana de Purandaradasa évoquant l'espiègle enfant Krishna. Il mange de la cendre et quand il ouvre la bouche, Yashoda voit Narayana sur le serpent Shesha et est presque horrifiée par cette vision. La dernière pièce est très bien dansée. Elle comporte des sauts et évoque très joyeusement les Arts avec les thèmes de l'écriture, du tambour, du tala, de la vînâ et du sargam, mais d'un point de vue musical, il m'a semblé que flûtiste et violoniste ont massacré le Tillana de Balamuralikrishna (en Raga Behag me semble-t-il).
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Sri Krishna Gana Sabha, Kamakoti Gana Mandir Hall, Chennai — 2013-12-29 à 17:30
Purushothaman, Jayalalitha, danse bharatanatyam
Le jeune homme Purushothaman et la jeune femme Jayalalitha exécutent de pièces de leur guru. Les chorégraphies sont assez peu intéressantes. En particulier, dans le Varnam j'ai l'impression de voir et revoir toujours la même séquence, le personnage féminin dévoué à Shiva ne semblant nullement évoluer d'un point de vue émotionnel au cours de la pièce...
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Sri Krishna Gana Sabha, Dr. Nalli Gana Vihar, Chennai — 2013-12-29 à 19:30
Dr. Padma Subramanyam, danse bharatanrityam
Padma Subramanyam a développé un style qui lui est propre appelé Bharatanrityam. Grâce à ce spectacle programmé en soirée par le Sri Krishna Gana Sabha, j'ai eu le privilège de la voir dans son style inimitable. Elle était accompagnée de six danseuses. La musique est on ne peut plus joyeuse, je n'imagine pas d'autre orchestration que la vînâ et surtout la flûte pour l'accompagner comme c'était le cas ce soir-là. La première pièce Sathgurudarshakham était semble-t-il un hommage au Sathguru (Gnanananda ?) qui donne son nom à la grande salle du Narada Gana Sabha. Le texte et la chorégraphie évoque la connaissance (Shruti, Smrithi, Purano), la démarche d'un renonçant, le bain, puis Shiva et semble-t-il Ganesh. Le style de Padma Subramanyam utilise peu de pas, l'essentiel se passe dans le haut du corps et surtout au niveau du visage, plein de bienveillance ou d'ironie.
La pièce suivante Gopalkumara évoque le jeune Krishna. Elle est dansée par trois jeunes disciples. La plus délicieuse image est celle de la représentantion de Krishna en bouvier, deux danseuses figurant les bœufs aux côtés de la troisième qui incarne Krishna...
La pièce principale, la plus d'eveloppée, évoquait Vishnu sous le nom de Padmanabha. Padma Subramanyam prend parfois cette position de Vishnu couché sur le serpent Shesha, mais ses jambes sont très peu fléchies. La conclusion de la pièce offre une superbe image représentant Padmanabha, une danseuse prenant la posture de Vishnu couché, une autre figurant Lakshmi tandis que quatre autres représentent différentes têtes du serpent Shesha.
La pièce suivante est un Ashtapadi dansé par Padma Subramanyam. Elle évoque l'amour de Radha pour Krishna.
La dernière pièce (dansée par toutes si je me souviens bien) utilise une traduction en tamoul du Bhaja Govindam d'Adi Shankara. La composition et la chorégraphie rendent la pièce bien plus joyeuse que les interprétations classiques de la version sanskrite. L'ironie est également plus apparente dans l'affirmation selon laquelle la connaissance est bien inutile en l'absence de l'amour pour Krishna.
2013-12-30 12:55+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XII
Je commence à avoir mes petites habitudes à Chennai. Des Appams avec
lait de coco au petit déjeuner, une Lec-Dem le matin, le programme de danse
de 14h au Narada Gana Sabha à l'issue duquel je file pour assister à ceux
du Sri Krishna Gana Sabha. J'arrive à ne même plus stresser quand j'ai à
peine plus de vingt minutes devant moi pour aller d'une salle à une autre.
Pourtant, monter dans un rickshaw ouvre la porte à l'imprévu. Cela peut
être sordide : par exemple, je ne sais pas ce qui est le pire entre la vue
de ce mendiant ayant une plaie ouverte au pied et la réaction du
rickshaw-wallah réagissant par un cinglant Tricks!
. Pour contourner
les nombreux sens interdits, le chauffeur peut prendre les détours les plus
invraisemblables qui soient. Je suis tombé plusieurs fois sur des
chauffeurs qui ne connaissaient pas le Sri Krishna Gana Sabha. Ce fut
ennuyeux la toute première fois que j'y suis allé... mais comme j'ai appris
à connaître le chemin, je peux maintenant l'indiquer au chauffeur.
The Music Academy, Kasturi Srinivasan Hall, Chennai — 2013-12-28 à 08:05
Dr. Subas Pani
Lecture Demonstration: Music and mantras in Gita Govinda
Come les fois précédentes, le chairman de cette
lecture-demonstration est Dr. Pappu Venugopalarao, mais cette
fois-ci Sudha Ragunathan n'est pas présente. Le visage d'Archana qui chante
la prière est resté caché derrière l'ecran de l'ordinateur portable du
conférencier posé sur le pupitre. Il aura fallu qu'un spectateur signale le
problème pour que l'on puisse enfin voir le visage de Subas Pani. Sa
conférence sur le Gita-Govinda et la manière de le chanter est peu
intéressante. Ses opinions se font d'ailleurs démolir quand la parole est
donnée au public pour des questions et réponses. À ce jeu, le
chairman n'est pas en reste... Une personne présente dans la salle
a tenté de les réconcilier en disant que le chairman avait un
point de vue de scholar
tandis que l'orateur adoptait celui du
devotee
...
⁂
The Music Academy, T.T.K. Auditorium, Chennai — 2013-12-28 à 09:15
T.V. Sankaranarayanan, chant
Mysore M. Nagaraj, violon
Mannargudi A. Easwaran, mridangam
B. Shree Sundarkumar, kanjira
Après la conférence, je me dirige immédiatement vers la grande salle de la Music Academy pour le concert de T. V. Sankaranarayanan. Je ne suis pas certain d'avoir d'autre occasion d'assister à un concert à la Music Academy. J'ai choisi celui-ci parce que j'avais un trou dans mon emploi du temps et je pense avoir fait une bonne pioche !
Dans les compositions (utilisant des cycles rythmiques à 6, 7 ou 8
temps), le chant alterne entre T. V. Sankaranayanan et un autre chanteur,
plus jeune, qui l'accompagne. Les improvisations en Sargam sont
particulièrement enthousiasmantes. Les Alap le sont aussi. Comme
Balamuralikrishna, ce chanteur n'utilise pas les syllabes
habituellement utilisées par les chanteurs carnatiques, mais des mots ayant
un sens. Sans utiliser un vers tout entier, T. V. Sankaranayanana utilise
des mots qui trahissent certainement le courant religieux auquel il
appartient : Hari
, Narayana
, Govinda
, Rama
. Il
est impressionnant de voir la salle pleine malgré l'heure matinale se lever
d'un seul mouvement pour consacrer au chanteur expérimenté une
standing ovation !
⁂
En passant dans un quartier musulman, j'ai réussi à mettre la main sur un exemplaire du Musalman, le tout dernier journal au monde à être mis en forme à la main par des calligraphes ! J'ai bien eu peur que ce jounral en ourdou ait fermé puisqu'au 324 de la Triplicane High Road, il n'y avait rien qui ressemblât à un journal. J'ai suivi le sens des numéros décroissants qui correspond à l'ordre croissant de l'ancienne numérotation de la rue. Et là, autour du 324, je vois un marchant de journaux qui me dit que je suis habillé comme un nawab (ayant mis une sorte de sherwani). Il m'offre l'exemplaire du jour. Je passe devant le siège du journal que je prends en photo, mais ne sachant pas très bien ce que j'aurais pu dire si j'étais entré, j'en suis resté là.
⁂
Sri Krishna Gana Sabha, Kamakoti Gana Mandir Hall, Chennai — 2013-12-28 à 16:00
Vidhya Dinakanam, danse bharatanatyam
Excellent récital d'une jeune danseuse de bharatanatyam ! Les chorégraphies sont également magnifiques. La première pièce est un kirtana Ganesh Vandanam. Il s'agit d'une offrande de fleurs à Ganesh dont la danseuse met en valeur la trompe, les oreilles et le fait qu'il soit un scribe (selon certaines légendes, il aurait écrit le Mahabharata sous la dictée du sage Vyasa). Cette danse est très rythmée !
La pièce suivante est consacrée à la déesse Shakti, qui symbolise les quatre Vedas, qui est adorée par Brahma, Vishnu et Shiva. La pièce est extrêmement vive ! L'impression procurée par le trident et la peau de tigre n'en est que plus saisissante, et plus que tout, les yeux de la danseuse donnent à son regard une intensité sidérante.
La pièce principale du récital est un Varnam (chorégraphié le nattuvanar Sri Narendra Kumar) en l'honneur de Shiva (Om Namah Shivaya). Son chignon est très stylisé par ses deux mains que la danseuse maintient en hauteur de façon très prolongée ! Elle suggère aussi le serpent, Ganga, ses cheveux puissants, le tambour Damaru. La pièce met ensuite en scène la dévotion à Shiva par des offrande de fleurs, le fait de verser du lait sur le lingam et l'offrande de feu.
Le plus grand moment du Varnam est celui mettant en scène le jeune Markandeya, dévôt de Shiva. Il est attaqué par le dieu de la mort Yama qui est venu sur sa monture (un buffle assez rustique). Alors qu'il est sur le point d'être étranglé, Shiva intervient pour récompenser la dévotion de Markandeya. La divinité résidant à Chidambaram est ensuite montrée (Nataraja), ainsi que la rivière Ganga, et plus étrangement Vishnu sur le serpent Shesha (c'est tellement beau à voir que j'apprécie son apparition même si je ne comprends pas ce qu'il fait là !). Plus loin, Shiva est représenté assis, portant Damaru.
La séquence suivante évoque la nature : poissons, oiseaux, antilopes allant s'abreuver à la rivière. Le Varnam se conclut par une récapitulation de tout ce qui a été montré jusque là.
Intervient ensuit un Padam évoquant une héroïne séparée de Muruga. Si le travail de la danseuse sur les yeux était jusque là exceptionnel, on est passé dans une autre dimension quand je me suis rendu compte que d'authentiques larmes coulaient depuis l'œil droit de la danseuse...
Le récital continue avec une magnifique évocation d'Ardhanarishwara. Il me semble que la composition de Muthuswami Dikshitar est à six temps. Pendant certaines séquences de la pièce, la danseuse utilisait les trois premiers temps du cycle pour évoquer la composante masculine (Shiva) de la divinité androgyne et les trois derniers temps pour évoquer la composante féminine (Parvati).
Le récital s'est terminé par un éloge de Nandi (commençant par de la danse pure avant que n'intervienne le shloka).
⁂
Sri Krishna Gana Sabha, Kamakoti Gana Mandir Hall, Chennai — 2013-12-28 à 17:30
Deepika Potarazu, danse kuchipudi
La danseuse de kuchipudi Deepika Potarazu est disciple de Vempati Chinna Satyam et de Vempati Ravishankar (nattuvanar). Il ne m'a pas beaucoup ému, mais j'ai trouvé ce récital délicieux. La position du dos de cette danseuse de kuchipudi me semble plus courbée que dans le bharatanatyam où il est censé rester droit. La première pièce est un éloge de Ganesh. La pièce principale est un Tarangam incluant le traditionnel numéro de danse sur plateau de laiton, très bien exécuté. Cette pièce évoque l'espiègle Krishna qui vole du beurre et fait d'autres bêtises qui suscitent des réprimandes mais aussi de l'admiration de la part de Yashoda et des autres femmes de Vrindavan. La représentation de Krishna en flûtiste inclue des mouvements de doigts sur la flûte (la plupart des danseuses le représentent avec des doigts immobiles). Sa position décontractée est soulignée par de délicats mouvements de hanches.
Le magnifique Padam qui suit est sur un thème voisin : l'héroïne demande à son amie de lui ramener Krishna (sous le nom de Venugopalan).
Le Tillana final m'a semblé un peu long et répétitif, malheureusement.
(Je remarque que toutes les entrées de la danseuse se sont faites par le côté jardin, près de l'orchestre.)
(Dans le maquillage de cette danseuse de kuchipudi et d'autres danseuses de bharatanatyam vues ces derniers jours, je remarque la présence d'un point suggérant un grain de beauté sous la commissure gauche des lèvres.)
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Sri Krishna Gana Sabha, Dr. Nalli Gana Vihar, Chennai — 2013-12-28 à 19:30
Anita Ratnam, danse neo-bharatam
Lamentable spectacle ! Comment une danseuse aussi talentueuse qu'Anita
Ratnam peut elle se fourvoyer ainsi dans un programme intitulé
Neelam et annoncé comme étant du Neo-bharatam
. Je dirais
plutôt Nullo-bharatam
. La pièce (qui utilise de la musique
enregistrée provenant de sources diverses) est centrée sur Vishnu et m'a
semblé bien déprimante, alors que son avatar Krishna inspire plutôt une
dévotion joyeuse, en principe. Je n'ai pas tellement envie de détailler mes
impressions, mais le plus grand défaut de cette pièce est qu'il y avait
très peu de danse, exécutée de façon très très lente. Je n'ai rien contre
la lenteur ou même l'illusion de l'immobilité quand le regard exprime
quelque chose, ce qui n'était pas le cas ici... En vitesse normale, il
devait y avoir pour dix minutes de danse maximum. L'autre gros défaut
résidait dans les atroces interludes de flûte (jouée en direct) entre les
quatre parties de la pièce. Toutefois, je retiens une plutôt bonne
impression de la dernière partie qui revenait sur des épisodes du Ramayana
(arc de Shiva, exil en forêt de Rama et Sita, celle-ci devant enlever ses
bijoux, la biche dorée, l'enlèvement, l'intervention de Jatayus, la
construction du pont, la flèche lancée par Rama pour tuer Ravana).
Cependant, on était davantage dans l'évocation plutôt que dans la
narration. Bref, ce spectacle a été une énorme déception pour moi.
2013-12-29 13:41+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XII
Cette journée fut exceptionnelle ! Dès que j'ai eu l'idée de faire ce voyage il y a un an et demi, et plus tard quand j'ai réservé mes billets d'avion, j'ignorais qui chanterait ou danserait pendant les 12 jours que j'allais passer à Chennai. Pour ce qui est du chant, j'espérais avoir une chance d'entendre Dr M. Balamuralikrishna et en matière de danse, je rêvais de voir Rama Vaidyanathan. Tout est accompli.
Bharat Kalachar, Y.G.P. Auditorium, Chennai — 2013-12-27 à 10:30
Mohan Santhanam, chant
Mysore V. Srikanth, violon
Srimushnam Raja Rao, mridangam
S.V. Ramani, ghatam
Le matin, je suis allé écouter Mohan Santhanam parce qu'il fut le premier chanteur à me faire véritablement apprécier la musique carnatique (c'était en 2011). Ce concert ne m'a pas émerveillé, mais je l'ai trouvé réjouissant. Mohan Santhanam a chanté sept compositions précédées ou non d'un Alap. Elles utilisaient des cycles rythmiques variés que je reconnaîs et clappe de mieux en mieux : Adi Tala (8 temps, qui en paraît parfois 16 quand le tempo est lent), 5 temps (répartis comme dans le Sultal de la musique du Nord) et 7 temps (découpé en 2+5 contrairement à Tivratal). Un des ragas les plus développés (en Adi Tala) comportait une composition en l'honneur de Rama.
Je suis parti peu avant la fin du concert, après le duo rythmique entre le mridangam et le kanjira. Ceci, avant de me préparer pour le concert suivant pour lequel j'ai passé ma plus belle kurta.
⁂
Sri Krishna Gana Sabha, Dr. Nalli Gana Vihar, Chennai — 2013-12-27 à 16:30
Dr. M. Balamuralikrishna, chant
Il n'a chanté que pendant 10 minutes, de 16h39 à 16h49, mais elles furent magiques. Quand j'avais réservé des places pour des spectacles en soirée, on m'avait dit de venir vers 14h pour le concert gratuit de Dr M. Balamuralikrishna, programmé de 16h30 à 17h30. J'étais un des tout premiers à arriver et j'ai ainsi pu m'installer au onzième rang, les dix premiers étant réservés aux invités. À 16h, la salle était pleine à craquer, des dizaines de personnes étant debout sur les côtés et d'autres regardant la retransmission proposée sur un écran en dehors de la salle.
Jusque là, on s'activait beaucoup sur la scène pour préparer cette
journée spéciale Classical to Global
. En particulier, un ensemble de
danseuses faisaient un petit raccord de leur performance un peu plus tard
dans l'après-midi.
Vers 16h, quelques discours se sont tenus et la session a été inaugurée par Sa Sainteté Sri Kanchi Kamakoti Peetathipathi Jagadguru Jayendra Saraswathi Swamigal qui a prononcé un discours en tamoul depuis la chaise surélevée qu'occupait cette homme âgé et fatigué.
L'Alap du chanteur de 83 ans a commencé. Je ne saurais le décrire au-delà de la simple observation qu'il a utilisé les syllabes d'un vers dans son improvisation. Je n'ai été nullement frustré que son concert n'ait duré que dix minutes. Les spectateurs avaient été avertis du fait qu'il ne chanterait qu'un Alap. C'est un sentiment de contentement que j'ai ressenti en voyant le vieil homme s'en aller en marchant avec difficulté. Si la voix est intacte, le corps est usé et je mesure le privilège que j'ai d'avoir entendu ce chanteur.
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Sri Krishna Gana Sabha, Dr. Nalli Gana Vihar, Chennai — 2013-12-27 à 17:00
Oystein Baadsvik, tuba
Numéro de cirque sans intérêt d'un tubiste norvégien repoussant les limites techniques du tuba. Si on voulait se moquer de la musique occidentale entre deux présentations des arts classiques indiens, on ne s'y prendrait pas autrement.
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Bharat Kalachar, Y.G.P. Auditorium, Chennai — 2013-12-27 à 19:00
Rama Vaidyanathan, danse bharatanatyam
J'ai vu beaucoup de danseuses de bharatanatyam, mais rien ne peut préparer le spectateur à la merveille de perfection dans tous les aspects de la danse qu'atteint la danseuse Rama Vaidyanathan ! Elle est extraordinaire !
Le récital a commencé par un Ragam du violon suivi d'une prière en l'honneur de Ganesh.
La première pièce est originale pour plusieurs raisons. La musique est celle d'un Alarippu. C'est la précision du rythme qui est mis en valeur, et au lieu de mettre en mouvement progressivement son corps comme on le fait habituellement dans les pièces ainsi nommées, la danseuse utilise cette musique pour évoquer la très précise géométrie de l'architecture des temples hindous. Ses mouvements sont très géométriques, très carrés. Sur les vidéos que j'avais vus d'elle, la qualité première de la danseuse me semblait être son expression et sa gestuelle souple et élégante. Ici, elle fait preuve de qualités opposées ! Dans la suite de la pièce, la danseuse évoque la déesse qui se trouve dans le sanctuaire, la représentant en Mahishasuramardini avec le trident, en cavalière, sous la forme de Kali ou de Sarasvati. Les mouvements se font progressivement de plus en plus gracieux alors que la musique s'est fait mélodieuse avec le shloka. Le sentiment de Paix domine la fin de la pièce alors qu'une dévôte offre des fleurs à la divinité dans une position d'adoration qui me semble proche de l'arabesque (tout comme dans le récital de Narthaki Nataraj). L'équilibre de la danseuse dans cette position est magnifique et la lenteur avec laquelle elle a interprété ce mouvement était très émouvant. Vers la fin de la pièce, la danseuse exécute une sorte de récapitulation des mouvements évocateurs présentés jusque là.
Dans son Varnam, Rama Vaidyanathan incarne une jeune femme éprise de Srinivasa (Vishnu). Le premier jati (passage rythmique) utilise une agréable combinaison de postures féminines et de mouvements habituels et j'ai particulièrement apprécié la façon de la danseuse de se transformer pour passer d'une posture à une autre. Ensuite, à une certaine heure de la journée (je reconnais les mouvements qui précise l'heure qu'il est, mais je ne sais pas encore lire l'heure...), la jeune femme se prépare. Elle se pare de colliers, bagues, bracelets, fleurs. Ensuite, alors que les abeilles butinent et qu'elle pense aux yeux de lotus de Srinivasa magnifiquement montrés par la danseuse, le feu brûle dans le cœur de l'héroïne. Le jati suivant est extrêmement gracieux. Un personnage féminin (l'amie de l'héroïne sans doute) semble parler au beau jeune homme qu'est Srinivasa. Elle lui dit qu'elle l'aime, mais lui ne veut pas. Il l'embête ensuite en lui lançant de l'eau (semble-t-il), mais elle ne veut pas jouer à ça, et puis elle se ravise, peut-être que si, en fait. Touchée par les flèches florales de Kama magnifiquement stylisées par la danseuse, les mains de la danseuse suggèrent l'union des deux personnages. Plus tard, pensive alors qu'elle observe un couple d'oiseaux délicieusement évoqué par Rama Vaidyanathan, elle pleure du fait de la séparation. Assise dans une position lascive, elle dort, mais elle ne le sait pas. Elle pense que Srinivasa lui prend la main, mais ce n'est qu'un rêve. La dernière séquence comporte de nombreux jatis accompagnés de swaras (notes solfiées) et une récapitulation des épisodes précédents.
La pièce suivante est sur musique composée par Balamuralikrishna ! La gopika est très sarcastique. Elle se barricade chez elle, refusant les fleurs que le flûtiste Krishna voudrait lui donner. Elle lui dit non. Elle sait bien qu'il en offre à toutes les filles. Va chez elles, pas chez moi !
La pièce suivante est ravissante de poésie. Elle développe la comparaison entre les sentiments amoureux et les couples d'oiseaux, un thème classique de la poésie indienne ancienne qui apparaîssait déjà dans le Varnam. L'héroïne dit au coucou de ne pas chanter coucou trop près d'elle parce que cela lui rappelle qu'elle est séparée de son amoureux. Pour représenter le couple de coucous, la danseuse utilise le mudra approprié et montre aussi de façon très poétique leurs délicats mouvements de becs quand elle leur donne à manger. Cela pourrait paraître kitsch exécuté par d'autres danseuses, mais par elle, c'était merveilleux. La pièce se termine par un signe d'espoir. Comme la monture de son amoureux est l'aigle Garuda (que la danseuse a montré de façon majestueuse !), l'héroïne peut voir cet oiseau comme un intermédiaire pour aller vers Lui.
La dernière pièce Shivoham est une superbe évocation de Shiva composé par le nattuvanar Karaikuddi Sivakumar (qui a aussi composé les jatis du Varnam). Elle évoque Ganga, Nataraja, la danse très Tandava de Shiva avec le tambour Damaru. Elle montre aussi le feu, le tigre, l'antilope qu'il porte, etc. Après une récapitulation de ces attributs, la pièce se finit de façon apaisée.
Parmi les qualités de la danseuse que je ne soupçonnais pas et dont elle a fait preuve pendant tout le récital, je retiens la beauté des courbes dans sa façon de passer d'une position à une autre, souvent en équilibre sur un pied.
J'étais sur un petit nuage en sortant de l'auditorium alors que je venais d'entendre la douce voix de Rama Vaidyanathan que j'étais venu féliciter. Elle m'a demandé si j'étais un danseur !?
⁂
Vite, il est déjà temps de filer vers une autre salle de spectacle !
2013-12-28 15:20+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XII
The Music Academy, Kasturi Srinivasan Hall, Chennai — 2013-12-26 à 08:05
Srikumar Karaikudi Subramanian
Lecture Demonstration: The structure and logic of gamakas - A computer synthesis approach
Jeudi matin, comme la veille, je suis allé assister à une Lec.-Dem. à la Music Academy. Le but de la conférence était d'expliquer comment synthétiser par ordinateur de la musique carnatique en respectant le système complexe d'ornementations (gamakas) qu'elle comporte. Plusieurs problèmes se présentent. Le premier est de savoir comment représenter conceptuellement ce qui se passe dans une ornementation. L'idée de l'orateur a été d'additionner deux composantes : une appelée Stage décrivant un mouvement mélodique global d'une note à une autre et une autre composante appelée Dance décrivant des oscillations de faible amplitude. L'autre problème est celui de déterminer une façon raisonnable d'ornementer une mélodie en s'appuyant sur un catalogue d'exemples pour un Raga donné. La réponse doit d'ailleurs dépendre de la vitesse à laquelle la musique est jouée.
Le public a été impressionné par les exemples de musique synthétique fournis (imitant le son de la vînâ). T. M. Krishna (entendu la veille) était impressionné pointait également les limites actuelles qu'il faudrait dépasser. Il y a eu une controverse amusante pour savoir si une mélodie particulière devait être notée Pa-ma-Ga-ma ou Pa-ma-Ga-Ga : le chant est tellement ornementé que l'on ne sait plus quelles notes on joue au juste !
⁂
Cela aurait peut-être pu arriver avec une autre danseuse, mais le fait est que mon intérêt pour la danse bharatanatyam a pris une autre dimension depuis le récital de Srithika Kasturi Rangan en février 2010. Je l'ai donc contactée il y a quelques jours afin de lui demander de me donner un cours, ce qu'elle a gentîment accepté. J'ai eu un peu de mal à trouver l'endroit parce que j'ai eu le malheur d'y aller en rickshaw. J'avais pourtant bien pensé à lui dire de ne pas prendre le flyover, mais je n'avais pas pensé aux sens interdits qui allaient nous bloquer. Si j'ai pu suivre jusqu'à un certain point où nous étions sur le plan que j'avais téléchargé sur mon portable, subitement à force de tourner dans tous les sens ni moi ni le chauffeur ne savions où aller... Arrivé sur place, les deux heures passées avec elle furent passionnantes.
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Narada Gana Sabha, Sadguru Gnanananda Hall, Chennai — 2013-12-26 à 14:00
Narthaki Nataraj, danse bharatanatyam
Comme les jours précédents, j'ai assisté au programme de danse bharatanatyam du Narada Gana Sabha de 14h. Ce récital de Narthaki Nataraj a été superbe !
L'orchestre est composé du nattuvangam, du mridangam, du violon et de la flûte. Le chanteur ouvre le programme avec une prière chantée en l'honneur de Ganesh que j'entends pour la troisième fois de puis mon arrivée.
La première pièce dansée Suladhi est en trois parties. La première ressemble à une offrande de fleurs à Narayana (Vishnu) qui est superbement mis en valeur couché sur le serpent Shesha dans une longue pose qui est exécutée par la danseuse avec une souplesse que je n'ai ancore jamais vue et que pourraient lui envier des danseuses plus jeunes... La deuxième partie évoque Krishna-Keshava montré avec sa flûte, sa plume de paon dans les cheveux et jouant avec les gopis portant des jarres d'eau sur leur tête. La dernière partie narre de façon très fine le mariage de Sita et Rama après que ce dernier a brisé l'arc de Shiva.
Vient ensuite le Varnam. La structure de ces pièces élaborées m'apparaît de plus en plus claire à force d'assister à des récitals. En particulier, le chapitrage m'apparaît maintenant évident, chaque chapitre commençant par des grappes de pieds et des mouvements d'yeux exécutés au fond de la scène. Vient ensuite un jati (danse pure rythmique) qui est annoncé par l'invariable même suite d'onomatopées rythmiques (qui dépend sans doute du Tala cependant). Au cours du développement narratif qui suit, un deuxième jati est inséré, mais il est souvent exécuté sur des notes solfiées (Sargam) plutôt que sur des onomatopées rythmiques.
Ce Varnam évoquant Shiva sous sa forme résidant à Tanjore
(Brihadeeswarar) est ainsi divisé en sept parties. La première évoque Shiva
avec ses attributs habituels (chignon, peau de tigre, Ganga) et la danseuse
prend aussi la pose du Seigneur de la danse. La deuxième montre semble-t-il
Parvati tentant de séduire Shiva alors que celui-ci est en ascèse. Elle
évoque aussi les Arts : l'écriture, la musique, le rythme, le tambour. La
troisième est consacrée à la forme guerrière de la Déesse qui lui vaut le
nom de Mahishasuramardini. Peut-être était-il question aussi du jeune
Markandeya, mais ce fut trop furtif pour que j'en sois certain. La
quatrième comporte un jati en 12/8
, chacun des temps d'une suite de
4 étant subdivisé en trois. La partie narrative évoque la nature, des
couples d'oiseaux, des poissons, ce qui donne lui à un magnifique équilibre
prolongé de la danseuse dans une position qui n'est pas trop éloignée d'une
arabesque, le haut du corps et une jambe tendue étant alignées pour former
une ligne horizontale. La cinquième est centrée sur le plaisir esthétique
procuré par la danse (Nataraja) et la musique (Sarasvati). La sixième
évoque une femme désespérée par la séparation. La septième montre le
butinement des abeilles, une dévôte du Shiva (la position des mains
correspondant au lingam apparaît souvent) et curieusement il me semble
aussi que Krishna fait quelques apparitions en joueur de flûte...
J'ai beaucoup apprécié ce Varnam, mais j'aurais aimé le comprendre davantage et surtout en mieux saisir la cohérence globale... Précédées l'une d'un solo de flûte et l'autre d'un solo de violon, deux pièces de pur Abhinaya ont ensuite été présentés par la danseuse. La première montre une héroïne en train de décrire les qualités de son amoureux et en particulier ses yeux en forme de lotus. On la voit aussi se parer pour lui. J'ai particulièrement aimé la façon de représenter la jeune femme se mirant dans un miroir. Dans l'autre Padam, une jeune femme est abandonnée par sa famille, celui qu'elle aime, Muruga, est devenu tout pour elle. La chorégraphie met particulièrement en valeur la monture de Muruga : le paon. Après l'avoir refusée, Muruga finit par l'accepter.
Le récital s'est terminé par un Tillana évoquant Krishna dansant avec les gopis à Vrindavan, ainsi que Vishnu-Padmanabha couché sur le serpent Shesha.
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Narada Gana Sabha, Sadguru Gnanananda Hall, Chennai — 2013-12-26 à 16:00
Hyderabad Brothers, chant
H.N. Bhaskar, violon
Tanjore Murugabhoopathy, mridangam
S.V. Ramani, ghatam
Je suis parti après avoir écouté les Hyderabad Brothers pendant une demi-heure. Ils sont très avares en Alap, et le chant n'étant pas très enthousiasmant (à part à la rigueur dans les sections de Sargam), j'ai fui. Avant de fuir, je m'étais éloigné d'une spectatrice qui clappant le tala faisait aussi tinter ses bracelets...
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Brahma Gana Sabha, Sivagami Petachi Auditorium, Chennai — 2013-12-26 à 19:00
C.V. Chandrashekhar, danse bharatanatyam
Dans la soirée, je me dirige vers le Brahma Gana Sabha pour le récital de C. V. Chandrashekhar. Depuis ma place au balcon, je remarque la présence de Chitra Visweswaram dans le public. Peu avant, à la cantine (fameuse) de cette salle, je me retrouve par hasard nez à nez avec Jaishri que j'ai vue jouer admirablement bien du nattuvangam deux fois ces derniers jours et je m'empresse de la féliciter.
Après une prière, la première pièce dansée est une offrande de fleurs à Sri Ganapati (kriti de Thyagaraja) dont le danseur évoque du bras gauche la trompe et du droit les oreilles. Il met aussi très bien en valeur sa démarche de pachyderme. Il évoque ensuite les arts avec la vînâ et le tambour. (Je ne suis pas fan du violoniste portant des lunettes de soleil dont le violon sonne comme un hautbois indien !)
La pièce principale du récital est un Varnam chorégraphié par
Rukmini Devi, fondatrice de l'institution Kalakshetra. Comme ce style est
austère ! L'ensemble me semble très aride, et donc difficilement
intelligible. Le Varnam est centré sur Shiva. Au début, on voit une femme
portant un plateau préparer des rituels en l'honneur de Shiva (dont le
chignon est suggéré). Plus loin, on verra semble-t-il Rati l'épouse de Kama
supplier Shiva de ressusciter son époux que Shiva avait réduit en cendres.
Le texte chanté semble rarement en rapport avec ce qui est montré, puis que
le chanteur chante en boucle pendant de longues minutes Thyagaraja
Swami
alors que la danse de Shiva est évoquée. Après un retour à la
prière initiale, il me semble que la prière de Rati est exaucée puisque
l'on voit un beau jeune homme portant un arc... (Si cela se trouve, ce
Varnam n'avait aucun rapport avec Kama et Rati, mais ce que j'ai vu me
semble cohérent avec cette histoire.)
Si la chorégraphie est austère, l'expression du visage du danseur était très convaincante. Je n'ai pas parlé des jatis, mais ils étaient parfaitement exécutés, ce qui est impressionnant compte tenu de l'âge du danseur (78 ans !).
Deux Padam ont suivi. Le premier évoquait (sur un rythme à cinq temps) l'amour filial pour Muruga qui commence à marcher et faire des bêtises (comme voler le croissant de Lune de son père, etc). Le deuxième était sur un kriti de Purandaradasa : Yashoda demandait à Krishna de ne pas aller au-delà du seuil de la maison.
Le Tillana conclusif évoquait la déesse Annapurna de Varanasi. Lors de la salutation finale, le danseur s'est couché à plat ventre sur la scène !
2013-12-26 18:16+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XII
Étant sorti au milieu d'un concert ennuyeux au possible, je trouve le temps de finir ce billet sur les spectacles vus hier :
The Music Academy, Kasturi Srinivasan Hall, Chennai — 2013-12-25 à 08:05
Ganesh & Kumaresh, violon
Lecture Demonstration: Creative possibilities in ragas with special focus on instruments
Après des appams en guise de petit-déjeuner, ma journée a commencé avec
une Lec.-Dem. à la Music Academy. Tous les matins y ont lieu des
conférences-démonstrations. À mon grand étonnement, la salle était pleine
et les enfants ont même été invités à monter sur scène autour du duo de
violonistes formé par Ganesh et Kumaresh. Le chairman qui dirige
la session est accompagné de la chanteuse Sudha Ragunathan (qui n'a pas pu chanter la veille...). Après une prière chantée
par une apprentie chanteuse carnatique, la conférence a commencé. La langue
utilisée est un curieux mélange d'anglais et de tamoul. Une des conclusions
des conférenciers est que la musique indienne a cette particularité d'être
non visuelle
: elle n'est que pur son et se transmet par voie orale.
Une de leurs opinions a déclenché une vive controverse. Ils affirment que
la musique pure a sa place en musique carnatique et qu'on peut composer de
la musique sans que ce soit la mise en musique d'un poème. Ils s'opposent à
l'idée que l'auditeur qui entend la musique instrumentale éprouverait les
sentiments exprimés dans le texte (même s'il n'est pas chanté !). Ils
donnent des exemples de mélodies sur lesquelles des poèmes différents sont
chantés et expliquent qu'ils ont eux-mêmes écrit des compositions
volontairement semblables à des compositions chantées préexistantes, mais
néanmoins différentes. Pour eux si une émotion est transmise par la musique
instrumentale, c'est seulement la vertu du Raga (mode musical), pas celle
du texte. Ayant l'honneur de conclure ces sessions,
Sudha Ragunathan s'opposera à eux, expliquant
qu'il y aurait bien un jour un poète pour mettre en texte sur leur musique.
Ils réclament de leur côté une plus grande considération de la part des
chanteurs qui concentrent sur eux 99.99% de l'attention en matière de
musique carnatique. Le sage chairman leur a gentîment suggéré
d'agree to disagree...
Une partie de leur conférence était dédiée à la façon d'innover en
musique carnatique en utilisant les possibilités spécifiques de chaque
instrument. Ils en ont fait la démonstration avec leurs violons et dans
leur explications ils suggéraient de façon amusante Pourquoi ne pas
jouer (à deux) simultanément des notes différentes sur un rythme
identique ?
. Ils ne vont pas jusqu'à suggérer de la polyphonie ou de
l'harmonie à l'occidentale, mais tout en restant dans le raga, une note et
un de ses harmoniques seront ressentis comme une seule note par les
auditeurs.
Je sais beaucoup de gré aux conférenciers d'avoir expliqué très clairement un point qui me confirme dans ma préférence pour la musique hindustani (et dhrupad en particulier) plutôt que pour la musique carnatique. Les instruments utilisés dans le Nord (sarod, sitar, sarangi, etc.) permettent de maintenir les cordes en vibration de façon prolongée, alors que les instruments du Sud (vînâ, flûte, etc) émettent des sons très brefs (comme le clavecin par rapport au piano). Ils pensent que cela a influencé la musique vocale du Nord et du Sud. (Ainsi, dans un Alap de musique carnatique, les notes défilent à toute vitesse alors que dans le chant dhrupad, on prend davantage son temps...)
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Narada Gana Sabha, Sadguru Gnanananda Hall, Chennai — 2013-12-25 à 10:15
T.M. Krishna, chant
H.N. Bhaskar, violon
Karaikudi Mani, mridangam
Bangalore N. Amrit, kanjira
Alors que j'allais réserver un billet au Narada Gana Sabha, je me suis rendu compte du fait qu'allait y avoir lieu un concert du chanteur T. M. Krishna, un des plus connus. J'avais a priori prévu autre chose, mais j'ai préféré tenter ma chance dans la file d'attente des derniers minutards pour ce concert gratuit (comme le sont tous ceux de ce chanteur). Les spectateurs ayant retiré un passe gratuit sont entrés et à l'heure du début du concert, les autres ont pu s'installer aux rares places vacantes. Des spectateurs étaient même assis sur le tapis de scène autour de l'estrade.
J'ai apprécié ce concert de T. M. Krishna qui n'a pas chanté de courtes
compositions (l'exact contraire du saxophoniste Kadri
Gopalnath...). Les (cinq) ragas ont été assez développés et le Ragam
(équivalent de l'Alap) avait toujours un caractère méditatif. Pas de course
à la virtuosité gratuite. On a le temps d'entendre les ornementations
(gamakas). Le chanteur utilise le silence de façon pertinente et il laisse
régulièrement le violoniste tenir une note évanescente, ce qui est du
meilleur effet. Le chanteur a la particularité de s'exclamer très souvent
comme quelques spectateurs indiens le font parfois pour marquer leur
appréciation. Il gratifie ainsi parfois le violoniste ou les
percussionnistes de Shabash!
mais aussi et surtout de Ah-Ah!
, qu'il s'accorde souvent à lui même, ou peut-être simplement à la beauté
de la musique...
Concernant la forme prise par ses ragas, il commençait par un Ragam (complété par un Ragam du violon dans le quatrième raga). Les chanteurs carnatiques utilisent habituellement des syllabes spécifiques pour leurs improvisations (comme dans le dhrupad), mais dans certains ragas, T. M. Krishna a systématiquement utilisé le texte d'un poème. Il a en revanche omis la partie Thanam qui s'insère parfois entre le Ragam et la composition (Pallavi).
La troisième composition était semble-t-il dédiée à Shiva qui était nommé Chandrashekaran. Les notes solfiées (Sargam) interprétées dans ce raga ont donné lieu à un des points culminants de ce concert, le chanteur créant puis libérant une certaine tension musicale par un vertigineux crescendo étendu sur plusieurs cycles rythmiques.
Dans le quatrième raga, le cycle rythmique était un Adi Tala lent qui paraissent donc avoir 16 temps plutôt que 8. C'est dans ce raga que les deux percussionnistes, mridangam et kanjira (tambourin) se sont livrés à un duo rythmique. Ce très beau concert s'est conclu par un raga commençant par un Alap utilisant quelques syllabes du Gayatrimantra suivi d'une composition commençant par Vaishnabhajan.
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Narada Gana Sabha, Sadguru Gnanananda Hall, Chennai — 2013-12-25 à 14:00
Vyshnavie Sainath, danse bharatanatyam
En début d'après-midi, je suis allé au Narada Gana Sabha pour assister à un récital de bharatanatyam de Vyshnavie Sainath, fille et disciple de Rajeswari Sainath. Ce programme est très original dans sa structure : il est entièrement consacré à la dévotion envers Vittala (un des noms de Vishnu répandu dans le Maharashtra) et la musique est composée de six Abhhangs, des chants dévotionnels spécifiques à la culture marathi (et que des chanteurs carnatiques comme Aruna Sairam ont introduit dans les concerts de musique carnatique). Outre un chanteur, l'orchestre comporte nattuvangam, mridangam, tabla, flûte et violon (Kalaiarasan !).
Je ne possède pas les repères culturels propres à la culture marathi pour apprécier tous les détails et la poésie de ce programme qui évoque le parcours spirituel d'une dévôte jusqu'au Moksha. La première partie était dansée sur une estrade au fond de la scène et était très lente, ce qui permettait d'apprécier le détail des mouvements. Dans la seconde partie, la dévôte pense au dieu résidant à Pandharippur. Non loin du temple passe une rivière. (Un magnifique karana exigeant une certaine souplesse a accompagné la fin de cette partie.) Dans une autre séquence, pensive au clair de lune, elle brûle de son absence. Plus loin, dans la forêt, alors que des oiseaux passent, elle guette des signes pouvant l'encourager dans son chemin vers Vittala. Arrivée à Vrindavan, elle entend la flûte de Krishna, mais elle ne le voit pas et pour l'atteindre, il lui faut traverser la rivière Yamuna. Après avoir traversé la rivière, Vittala apparaît enfin (la danseuse étant sortie un instant de la scène pour se parer d'un signe distinctif sans ambiguïté au niveau du front).
Si je ne suis pas resté concentré pendant tout le récital à cause de la fatigue, j'ai trouvé magnifique la toute dernière séquence (même si elle a été carrément hors style). Cette sixième partie évoque l'adoration (bhakti) vishnouïste de façon très impressionnante ! Cela commence par une offrande de fleurs (authentiques) sur toute la surface de la scène dans des mouvements joyeux faisant penser à ceux que l'on trouve dans les Tillana. De façon tout-à-fait exceptionnelle, des mouvements de hanches étaient incorporés à cette danse. Dans la partie centrale de cette partie, il y avait même une séquence qui étant ni plus ni moins de la danse kathak ! Les mouvements de hanches et la dévotion reprenaient ensuite de plus belle et progressivement la danse s'abandonnait complètement dans le rythme de plus en plus entraînant de la musique ! Épatant !
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Chennaiyil Thiruvaiyaru, Kamaraj Memorial Hall, Chennai — 2013-12-25 à 16:45
Begum Parveen Sultana, chant hindustani
Begum Parveen Sultana, chanteuse originaire de l'Assam, chantait au Kamaraj Memorial Hall, accompagnée d'un tabla et d'un harmonium. Plutôt que de laisser cette tâche à la jeune femme assise près d'elle, elle a joué elle-même du tampura. Le premier raga interprété a été Madhuvanti. Elle a commencé par un Alap, puis une sorte de continuation d'Alap accompagnée par le tabla (mais cela ne correspondait pas vraiment à l'idée que je me fais des sections Jor ou Jhala). J'ai été très content de reconnaître les notes du raga, en particulier le Ga Komal (très oscillant) et le Tivra Ma. Vinrent ensuite Raga Puriya Dhanashree, un Mira Bhajan, Raga Rajeshwari et un Bhajan sur le Raga Mishra Bhairavi. Je n'ai pas détesté ce concert, mais il ne m'a pas non plus passionné. Par exemple, dans le Raga Rajeshwari, j'ai aimé le bel Alap, tout comme la composition, mais celle-ci étant vraiment très courte, la litanie de l'harmonium qui la répétait sans cesse m'a passablement ennuyé et dans son improvisation sous la forme de Sargam, la chanteuse faisait à mon avis preuve d'une virtuosité excessive. Si on n'entend plus le nom des notes et si mon oreille ne me donne même pas une vague idée d'où elles sont situées, c'est que cela va peut-être un peu trop vite pour moi... (Il faut aussi souligner que la sonorisation mal réglée ne mettait pas vraiment en valeur le timbre de la voix de la chanteuse.)
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Chennaiyil Thiruvaiyaru, Kamaraj Memorial Hall, Chennai — 2013-12-25 à 19:30
Shobana, danse bharatanatyam
Spectacle consternant ! Tout d'abord, les spectateurs qui faisaient pourtant la queue bien avant l'ouverture des portes n'ont pas tous pu entrer avant le début du spectacle, non seulement dans la prière chantée mais aussi dans le premier numéro dansé. Si de mon côté j'ai pu rejoindre ma place rapidement, le passage incessant d'autres spectateurs dans mon champ de vision était très gênant. La première partie de ce spectacle ressemblait à un numéro de cirque, l'entrée en scène de l'actrice-danseuse Shobana déclenchant des applaudissements hystériques (bon, ok, à Paris, on fait pareil lors de l'entrée en scène des étoiles dans les grands ballets classiques). Elle interprète un numéro de danse pure. Une autre danseuse plus jeune et plus convaincante à mes yeux représente la danse de Krishna sur le serpent Kaliya et le jeu de sa flûte qui ensorcelle les gopis. Le Varnam interprété par Shobana ensuite est consternant. Je ne sais dans quelle friperie elle a dégoté son sari négligé ! Pour ce qui est de la danse, les mouvements expressifs étaient exagérés et la danseuse apparaissait trop souvent en lieu et place du personnage qu'elle devait interpréter, et ce pas uniquement quand elle s'arrêtait complètement de danser pour faire signe à des spectateurs de ne pas la filmer... Les jatis (mouvements rythmiques rapides) étaient beaucoup trop compliqués (et pas du tout musicaux, à se demander si le son et l'image étaient synchronisés). La sonorisation était affreuse. Le son des percussions couvrait complètement la voix de la chanteuse, ce qui m'empêchait de saisir quelques mots au passage pour essayer de comprendre l'histoire que ce fichu Varnam était censé raconter... Le pire était lors des fins systématiquement en crescendo des jatis. Ce mridangam me cassait littéralement les oreilles. Affreux...
Vînt ensuite Ashtapadi, une danse de groupe de six danseuses. Cinq d'entre d'elles figuraient les gopis qui entouraient la dernière, kitchissimement déguisée en Krishna avec une authentique plume de paon dans les cheveux... La première partie de cette pièce représentait la Rasa-danse, dans laquelle Krishna danse avec les gopis, chacune ayant l'impression de danser seule avec lui, toutes étant rendues amoureuses par l'intervention de l'archer Kama. La deuxième partie évoquait joliment la rivière Yamuna.
Après un intermède musical, Shobana est revenue interpréter un nouveau Varnam, nettement plus convaincant que le premier. Le costume bleu était plus chic que le premier (qui était plus ou moins beige), mais il n'était pas mis tout à fait correctement... Dans cette pièce, la danseuse a raconté plusieurs épisodes du Ramayana, mais comme je le disais ce matin à Srithika Kasturi Rangan, Shobana danse beaucoup moins bien qu'elle ! Parmi les épisodes, il y avait celui où Rama casse l'arc de Shiva pour épouser Sita (après que d'autres ont lamentalement échoué). Dans un autre, Lakshmana se moque de la démone Shurpanakha. On voit ensuite Sita réclamer qu'on lui rapporte l'antilope dorée qu'elle a aperçu ; il s'agissait d'une ruse de Ravana pour qu'il puisse enlever Sita alors que Rama et Lakshmana se sont éloignés d'elle. Captive, Sita donne son anneau à Hanuman pour que celui-ci puisse prouver à Rama qu'il a bien vu Sita. Enfin, Rama tue Ravana. C'était bien beau, cela a manifestement dû demander beaucoup de travail à la danseuse, mais après quelques minutes, j'ai compris pourquoi je ressentais un malaise en voyant Shobana rendre grotesques tous les personnages par son expression : cela peut paraître incroyable, mais c'est vraiment tout comme si les personnages étaient interprétés par Mr. Bean !
Le récital s'est conclu par un Tillana exécuté par Shobana et quelques autres danseuses.
Bref, amis rasikas, évitez à tout prix d'assister à des spectacles organisés par Chennaiyil Thiruvaiyaru ! (Je me rends compte que j'ai oublié de préciser que le fond de la scène comportait des écrans géants sur lesquels défilaient des signes publicitaires !)
2013-12-25 13:37+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XII
Hier, je crois avoir faire l'expérience autant du meilleur que du pire de la Saison de Décembre...
Sri Krishna Gana Sabha, Dr. Nalli Gana Vihar, Chennai — 2013-12-24 à 07:00
Sengalipuram Brahmasri Vittaldas Jayakrishna Dikshithar Maharaj, Namasankirthanam
La journée commence plutôt bin avec du Namasankirthanam.
Quelques brâhmanes torses nus ont pris place sur la scène de la grande et
confortable salle du Sri Krishna Gana Sabha qui est très bien remplie
malgré l'heure matinale. Les musiciens incluent cinq percussionnistes (un
tabla, quatre mridangam, un ghatam), deux harmoniums, une vingtaine de
chanteurs dont le rôle sera d'accompagner le meilleur d'entre eux dans
cette cérémonie vishnouïste. Le maître est enguirlandé de fleurs plusieurs
fois et un ventilateur est placé juste derrière lui ! Des effigies grandeur
nature de quelques maîtres spirituels ont été placées sur le côté de la
scène. La première partie de ce programme qui durera environ deux heures
est chantée. Les vers évoquant quelques divinités sont prononcés par le
maître, puis repris par le chœur tandis que le public bat des mains en
rythme. Le chant est plutôt beau, et carrément sublime à un moment
particulier ayant suivi une prière à Ganesh : tous prononçaient le nom
Ram
de façon continue.
La deuxième partie avait l'air d'être une sorte de conférence illustrée de chant ou de chant commenté. Les commentaires étant en tamoul uniquement, j'ai trouvé le temps un peu long...
⁂
Je me suis ensuite dirigé vers la station de trains de Mylapore pour descendre à Thiruvanmiyur afin d'acheter un billet pour un dance-drama à Kalakshetra. Je voulais voir Sabari Moksham qui raconte le troisième livre du Ramayana, mais tous les billets avaient déjà été vendus. En me promenant dans l'enclave de cette école de danse, j'aurai au moins pu apercevoir quelques classes de danse bharatanatyam. Je me demande comment les professeurs et élèves font pour s'y retrouver dans la mesure où la vigoureuse battue rythmique des professeurs frappant un morceau de bois s'entend depuis une distance plus grande que celle qui sépare les différents bungalows.
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Narada Gana Sabha, Sadguru Gnanananda Hall, Chennai — 2013-12-24 à 14:00
Priya Venkatraman, danse bharatanatyam
J'avais déjà vu Priya Venkataraman à Paris dans le
cadre d'un récital de danse bharatanatyam synchronisée
. Dans la
grande salle peu remplie du Narada Gana Sabha, elle donnait en début
d'après-midi un récital solo. Le chanteur Sri K. Hariprasad est le même que
lors du récital de Meenakshi Srinivasan de la veille (et
le percussionniste est le même que lors du récital de Sanjana Prasad, le
monde des musiciens de Chennai est petit !). La sonorisation étant mieux
réglée, j'apprécie bien davantage son chant. Il a commencé par la même
prière à Ganesh, puis a interprété un Pushpanjali qu'il a composé
lui-même en l'honneur de Ganesh. La danseuse ne m'enthousiasme pas. Tout
est exécuté très proprement, mais il y a quelque chose qui manque pour que
je sois complètement séduit. Le regard de la danseuse et son sourire
manquent de concentration. Je m'ennuie beaucoup pendant le Varnam
qui évoque le jeune Krishna. Dans l'évocation de jeux d'eau, j'ai toutefois
aimé la façon de représenter une jeune femme en train de se baigner dans la
Yamuna (pendant que Krishna lui chippe ses vêtements...).
Le chanteur interprète maqgnifiquement Ashtapadi (je présume qu'il s'agit du texte de Jayadeva). Radha souffre de la séparation et ne peut s'empêcher de penser à Lui : tout ce qu'elle voit lui rappelle Krishna.
Le récital s'est conclu par un Tillana dans lequel la danseuse évoquait un personnage féminin puis Shiva et Parvati.
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Sri Krishna Gana Sabha, Kamakoti Gana Mandir Hall, Chennai — 2013-12-24 à 16:00
Janane Sethunarayanan, danse bharatanatyam
Sinitha Purushothaman, danse bharatanatyam
Smrithi Krishnamurthy, danse bharatanatyam
Le grand frisson de la journée est venu d'un récital de trois disciples d'Anita Guha. Le nattuvanar est la même Jaishri (Ramanathan) que lors du récital de Meenakshi Srinivasan. Outre une chanteuse, l'orchestre comporte aussi un violon, une flûte et un mridangam.
Le récital commence par un Alarippu mettant en scène les trois danseuses. Leurs mouvements s'accélèrent progressivement alors qu'elles vont évoquer des thèmes shivaïtes. La belle image de fin pourrait être celle de Muruga accompagné de ses deux épouses, mais il ne s'agit que d'une conjecture de ma part.
Les trois danseuses ont ensuite interprété un magnifique Varnam. La première partie évoquait le jeu de séduction entre Shiva et Parvati, cette dernière obtenant les faveurs de Shiva par l'ascèse. Le dieu Kama est curieusement absent de cette chorégraphie. La deuxième partie évoquait la Déesse. Shakti a ainsi été représentée de façon très picturale par les trois danseuses alignées (chacune montrant des attributs particuliers), et fait original, elles se déplaçaient latéralement en formation ! L'aspect guerrier de la Déesse (Mahishasuramardini) était mis en valeur, mais la partie la plus magique du Varnam est venue de l'évocation de Sarasvati et surtout des Arts en général, via l'évocation de la beauté du son, la vînâ, le tambour, etc. Le plus beau moment a été l'évocation du Tala, que les danseuses suggéraient par des claps et surtout un magnifique Jati qui n'était accompagné que par le mridangam (et occasionnellement par les cymbales). Ni onomatopées rythmiques, ni chant ni violon ni flûte ! C'est un des jati les plus délicieux que j'aie vus ! Enfin, toujours dans l'évocation des Arts, les danseuses montraient les Navarasa, les neuf saveurs ou émotions classifiées. Au lieu de mettre en valeur chacune d'entre elles dans des épisodes successifs d'un Varnam comme cela se fait usuellement, les Rasa étaient montrés par les différentes danseuses dans une succession rapide. Par exemple, une danseuse prenait la forme de Shiva pour suggérer la Colère.
(Il est à noter que des bijoux ornant les cheveux d'une danseuse sont tombés sur la scène, la rendant quelque peu dangereuse à cause des parties pointues de ces bijoux. Les danseuses ont néanmoins réussi à éviter de se faire mal.)
Une autre merveilleuse pièce a suivi. La texte chanté était un Bhajan de Tulsidas. Les trois danseuses jouaient le rôle des trois épouses Kaushalya, Sumitra et Kaikeyi de Dasharata, père de Rama. S'il est relativement courant en bharatanatyam de représenter l'amour maternel de Yashoda pour Krishna, j'ai trouvé intéressant que l'objet de cet amour soit Rama.
Le récital s'est conclu par un Tillana évoquant un peu sommairement Vishnu sous le nom de Padmanabha.
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Chennaiyil Thiruvaiyaru, Kamaraj Memorial Hall, Chennai — 2013-12-24 à 19:30
Sudha Ragunathan, chant
Lakshman Shruti Orchestra
Imaginez que vous allez voir Parsifal et qu'une fois installé à
votre siège on vous dit que le Parsifal est malade et qu'on jouera des
chansons d'Annie Cordy en remplacement. C'est à peu près ce qui m'est
arrivé avec les dangereux escrocs de Chennaiyil Thiruvaiyaru. Avant
d'arriver, je me méfiais déjà de ce Sabha qui laisse à penser que c'est
tout comme si on avait confié la programmation d'une salle de musique
classique occidentale à TF1. Quand le rideau de scène s'est levé (très en
retard), des chaises étaient disposées pour un orchestre
et pas
vraiment pour un concert de musique carnatique. Certes, Sudha Ragunathan,
malade, ne pouvait pas chanter, mais le minimum aurait été de rembourser les
spectateurs (surtout que l'entrée était à 500 roupies minimum). On a
enguirlandé la chanteuse qui s'excusait de ne pas chanter et le réalisateur
K. Balachander dont je me demande bien ce qu'il faisait là, et puis des
chanteuses sont venus interpréter des chansons insipides. Je suis parti après
un peu plus de vingt minutes de supplice.
2013-12-24 13:07+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XII
Je suis arrivé à Chennai lundi midi après un long trajet en avion via Riyadh en Arabie Saoudite. Bien qu'ayant eu plus de 7 heures de correspondance, j'ai failli rater le deuxième avion puisque la porte d'embarquement ne s'est jamais affichée sur les écrans et qu'elle ne correspondait pas à celle donnée lors de la correspondance. À bord, la nourriture est indienne et singulièrement plus épicée au départ de Riyadh que de Paris.
Sorti de l'aéroport, je n'ai vu aucun panneau indiquant la station de trains locaux Tirusulam. Après avoir marché un peu, j'ai demandé mon chemin. J'ai craint un moment que l'homme à qui je l'ai demandé ne m'aiguille vers un taxi, mais il allait aussi prendre un train pour rentrer chez lui et a été très sympathique, merci Kartik. Pour 5 roupies, je me suis donc retrouvé au centre-ville de Chennai en à peine un quart d'heure. Il m'a fallu davantage de temps pour m'extraire de la station Mambalam et me diriger vers mon hôtel en rickshaw. Cela peut sembler extravagant, mais il semble qu'il ne soit plus nécessaire de négocier le prix des courses : sans qu'on le leur demande, les chauffeurs mettent le compteur (numérique) en route !
Après être passé rapidement à la Music Academy et au Narada Gana Sabha pour prendre des renseignements, je me suis dirigé vers Bharat Kalachar pour acheter des billets. Cela a été un peu compliqué, le guichet qui devait ouvrir à 14 heures était fermé parce que la pause déjeuner n'etait pas encore finie. Je suis revenu une demi-heure plus tard, et toujours personne. Chaque personne que je voyais me disait que ce n'était pas possible, et, me voyant insister, elle me disait d'aller vers le portail bleu, où en insistant encore, on m'a dit de monter au troisième étage, etc, pour enfin revenir au point de départ, où après quelques minutes supplémentaires d'attente j'ai pu obtenir mes billets pour voir Meenakshi Srinivasan le soir-même ainsi que Rama Vaidyanathan (ouf, s'il y avait une raison pour mon voyage, la voir en faisait partie !).
Sri Krishna Gana Sabha, Kamakoti Gana Mandir Hall, Chennai — 2013-12-23 à 16:00
Sanjana Prasad, danse bharatanatyam
Après être tombé sur un rickshaw-wallah qui ne connaissait pas le Sri
Krishna Gana Sabha, j'arrive enfin à cette salle. Même si le guichet
n'était pas censé être ouvert (on m'avait dit au téléphone qu'il ouvrait à
16h30), j'arrive à obtenir des billets pour voir Padma Subramanyam (!) et
Anita Ratnam. Le concert de Dr. M. Balamuralikrishna prévu quelques jours
plus tard est Free
(comme j'aime la manière de cet homme de
prononcer ce mot), mais il faudra venir tôt...
Pas de problème en revanche pour entrer au Kamakoti Gana Mandir Hall du Krishna Gana Sabha où va danser Sanjana Prasad, disciple de Padmapriya Prakash (Dubaï). Le guru est au nattuvangam et l'orchestre composé d'une chanteuse (excellente), d'un mridangam et du meilleur violoniste accompagnateur de danse que le bharatanatyam connaisse : Kalaiarasan Ramanathan. Si je ne l'avais pas reconnu à son visage, j'aurais certainement reconnu son jeu singulier, comportant de nombreuses doubles cordes (comme je l'avais remarqué quand il accompagnait Lavanya Ananth). Le fait de l'avoir reconnu montre mon niveau d'addiction au bharatanatyam, mais ce qui est encore plus étonnant, c'est que le violoniste assurait avoir l'impression de m'avoir déjà vu quelque part quand nous avons échangé quelques mots à l'issue du récital !
Le récital a commencé par une introduction chantée. Les pièces de danse seront ensuite introduites en tamoul. Le première pièce peut être considérée comme un Pushpanjali. Elle commence par de la danse pure accompagnée d'onomatopées rythmiques. Même si au cours du récital, la très jeune danseuse (pas plus de 15 ans à mon avis) n'exécutera pas parfaitement les mouvements de danse pure (les bras ne sont pas toujours bien tendus, par exemple), j'apprécie la vivacité de ces jatis et elle s'avère étonnamment douée pour son âge pour l'Abhinaya. Elle évoque ainsi une offrande de fleurs à Ganesh (aux grandes oreilles), fils d'Uma. Des rituels de dévotion sont montrés, comme l'offrande de prasad et l'aarti. Elle a aussi comme il se doit salué son guru et la salle (qui était plutôt bien remplie).
La pièce principale du récital d'une heure était un Varnam en l'honneur de la Déesse. Elle est présentée sous la forme de la déesse guerrière Meenakshi, compagne de Shiva au regard foudroyant. Elle la représente en train de tuer le démon Mahishasura. Les jatis (passages rythmiques) insérés dans la pièce sont applaudis par le public. La danseuse à également rendu hommage à la déesse des arts en évoquant l'écriture, la pensée, le chant, la flûte et la vina. J'extrapole peut-être, mais il m'a semblé qu'elle évoquait également la syllabe Om vers la fin du Varnam qui prenait l'apparence d'un Tillana.
Après un Ragam du violon, la danseuse a interprété une adorable pièce d'hommage à Shiva, le texte chanté commençant par Karunarasa Kamakoti... Chandrashekara.
Shivastuti, une autre pièce dédiée à Shiva a suivi, évoquant Ganga, son chignon, la lune, le serpent (très impressionnant), le tigre. Les jatis prenaient une intéressante forme de jeu de questions et réponses entre le nattuvangam et la danseuse.
Le récital se terminait par un Tillana en l'honneur de Krishna (et Bhubaneshvari ?).
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Bharat Kalachar, Y.G.P. Auditorium, Chennai — 2013-12-23 à 19:00
Meenakshi Srinivasan, danse bharatanatyam
Après avoir dîné rapidement, je me suis dirigé vers Bharat Kalachar pour assister à la fin d'un récital de chant de Gayathri Venkatraghavan qui se concluait par le même Tillana (pas vraiment mieux chanté). J'étais là bien sûr plutôt pour assister au récital de danse bharatanatyam de Meenakshi Srinivasan (déjà appréciée lors de son passage au Musée Guimet). Elle était accompagnée d'un chanteur nommé Hariprasad, d'une violoniste (Shrilakshmi ?), de Jaishri (nattuvangam) et de Vedakrishnaran (mridangam).
La première pièce dansée après la prière à Ganesh est une magnifique évocation de Shiva. Est-il possible de danser le bharatanatyam plus gracieusement que ne le fait Meenakshi Srinivasan ? Une certaine dureté n'aurait pas nui dans l'évocation de la peau de tigre ou la virilité de la danse de Shiva, mais je ne vais pas bouder mon plaisir de la voir aller chercher sa main très loin derrière avec autant de grâce. La danseuse évoque merveilleusement bien le tambour Damaru ou encore la descente de la rivière Ganga. Il m'a semblé qu'elle a pris pendant quelques instants la forme androgyne d'Ardhanarishwara, ou encore celle du dévôt Markandeya attaqué par Yama. Elle a enfin évoqué les arts en suggérant le chant et le jeu du tambour.
J'aurais aimé adorer le Varnam féministe qu'elle a dansé, puisqu'il était centré sur le personnage de Sita, épouse modèle et pourtant rejetée par Rama à cause de l'influence de la rumeur publique (Sita ayant été captive du démon Ravana). Enceinte de jumeaux, elle se réfugie dans la forêt et se souvient des bons moments passés avec Rama. Il l'avait conquise en brisant larc de Shiva. S'il était très beau à regarder, je n'ai pas trouvé ce passage très convaincant. Ensuite, un jeu de balle était semble-t-il suggéré entre Sita et Rama (j'aimerais la référence au texte de Valmiki parce que je n'en ai aucun souvenir...). Mon manque de sommeil a eu raison de ma concentration pendant le reste de la pièce qui ne m'a pas donné l'impression de progresser d'un point de vue narratif. Les jatis étaient beaux, cependant.
La pièce suivante, chorégraphiée par Bragha Bessel, était semble-t-il un Padam. Deux jeunes femmes voient passer une procession au loin. Elles ne reconnaissent pas la divinité. Ce n'est pas Indra couvert de mille yeux, ni la Lune (Chandran), ni Shiva au troisième œil, ni Surya, ni le difforme Kubera. (L'énumération vient de la présentation, je ne les ai pas tous identifiés en observant la danse, et sans la présentation, je n'aurais reconnu que Shiva.) Sans préciser de qui il s'agissait, la présentation se concluait en disant qu'à la fin, elles reconnaissaient la divinité. En fait, à sa démarche de pachyderme et à ses grandes oreilles, il était évident pour moi dès le début que c'était Ganesh ! ce qui était confirmé à la fin. (En fait, pas du tout, cf. cette autre entrée.)
Le récital s'est conclu par un merveilleux Tillana en Raga Sindhu Bhairavi, et il s'agit semble-t-il du même que celui qui avait conclu son récital à Paris, cf. mon billet. Je ne vais pas répéter les louanges que j'avais faites alors. L'image que je regarde est celle de la façon qu'a eu la danseuse de se métamorphoser pour évoquer successivement Krishna et son amante : magnifique !
2013-12-20 12:17+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Dhrupad
J'ai déjà eu l'occasion de revenir sur le spectacle Sangama de Shantala Shivalingappa ainsi que sur le passage à Paris de la Chidambaram Dance Company. Voici un bref récapitulatif des autres spectacles vus au cours du mois de novembre :
Cité de la musique — 2013-11-08
Ensemble Intercontemporain
Matthias Pintscher, direction musicale
Hidéki Nagano, piano
L'Asie d'après Tiepolo pour ensemble (Hugues Dufourt)
L'Origine du monde pour piano et ensemble (Hugues Dufourt)
Le Palais du silence, drammaturgia d'après Claude Debussy, Lucia Ronchetti (création)
Grégoire Simon, alto
Les Chardons d'après van Gogh pour alto et orchestre de chambre (Hugues Dufourt)
La musique de Hugues Dufourt m'a bien plu, mais je me serai bien contenté d'entendre une seule de ses œuvres, ce qui aurait évité que son style déclenche en moi une certaine lassitude. Sans m'émerveiller, la création de Lucia Ronchetti m'a semblé plutôt plaisante à écouter et si en musique contemporaine mon regard tend à prendre parfois le dessus sur mes oreilles, ce qu'il était donné à voir était plutôt esthétique, comme quand les musiciens à cordes ont recouvert leurs instruments d'un voile et ont frotté les cordes avec leur archet à travers ce voile. Les vents ont aussi soufflé dans des bouteilles. Trois percussionnistes s'activaient autour du piano. Un d'entre eux était même allongé sous l'instrument qu'il tapotait avec des baguettes. À la fin de l'œuvre, de façon tout à fait inattendue, le chef d'orchestre a utilisé les touches du piano !
Si la musique ne m'a pas déplu, je dois avouer que ce qui m'a le plus ému dans ce concert, ce fut le ballet des machinistes chargés des changements de configuration de chaises, pupitres, instruments, etc.
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Auditorium du Musée d'Orsay — 2013-11-14
Quatuor Takács
Edward Dusinberre, Károly Schranz, violons
Geraldine Walther, alto
András Fejér, violoncelle
Quatuor à cordes nº3, Sz. 85, Bartók
Quatuor nº2 “Lettres intimes”, Janáček
Quatuor nº1 en mi mineur ”De ma vie”, Smetana
Concert plutôt décevant. J'ai aimé le troisième quatuor de Bartók et au cours du concert j'ai particulièrement aimé le jeu du second violon, mais si l'interprétation du Quatuor “Lettres intimes” de Janáček a comporté quelques très beaux moments, je n'ai pas eu le même sentiment de miracle musical permanent que lorsque j'avais découvert cette œuvre avec David Grimal et quelques autres au Théâtre des Bouffes du Nord.
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Salle Pleyel — 2013-11-15
Anne Sofie von Otter, mezzo-soprano
Robert Getchell, ténor
David Lefort, ténor
Jean-Christophe Jacques, baryton
Geoffroy Buffière, basse
Orchestre philharmonique de Radio France
HK Gruber, direction
Les sept péchés capitaux (Weill)
Petite musique de Quat'sous (Weill)
Surabaya Johnny (Weill)
I am a stranger here myself (Weill)
Speak low (Weill)
The Saga of Jenny (Weill)
Très beau concert 100% Weill du Philharmonique de Radio France ! Je
retiens surtout de ce concert l'irrésistible chant d'Anne-Sophie von Otter
dans la partie la plus légère
du programme. Alors que je m'étais
replacé au tout premier rang après l'entr'acte, je ne m'attendais pas à
ressentir un tel émerveillement quand la chanteuse est venue interpréter
Surabaya Johnny et d'autres chansons. Son attitude scénique est en
phase avec les personnages qu'elle joue, mais elle me convainc surtout par
la beauté de son chant, magnifiquement ornementé.
Ailleurs : Bladsurb, Paris — Broadway, Palpatine.
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Mairie du vingtième arrondissement — 2013-11-17
Camille, élève de Jyotika Rao, bharatanatyam
Prestar (hommage à la Déesse)
Kasturitillakam
Au cours du festival du livre de l'Inde, quelques animations étaient proposées. Cela m'a permis de découvrir le style de Sucheta Chapekar, la guru de ma prof de bharatanatyam. Une de ses élèves les plus avancées présentait une pièce dans son style propre, Prestar, un hommage à la Déesse (sous trois formes : Sarasvati, Lakshmi, Durga). D'un point de vue musical, la particularité de ce style est d'utiliser non pas la musique carnatique mais la musique hindustani. Le tala utilisé était assez original (9 temps). Je retiens surtout la beauté des mouvements dans les shlokas.
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Mairie du vingtième arrondissement — 2013-11-17
Jérôme Cormier, chant dhrupad
Gérard Hababou, pakhawaj
Anne-Marie, Joël, Leïla, Michèle, chant dhrupad
Raga Bhupali
Un peu plus tard, j'ai participé avec d'autres élèves du cours de dhrupad de Jérôme Cormier à une présentation de ce style de chant, ou plutôt de la façon dont nous le pratiquons en cours. Nous avons chanté un Alap dans le Raga Bhupali, puis du Sargam ; nous essayions de reproduire les phrases qu'il chantait. Enfin, nous avons chanté une composition en Chautal (dont le premier des trois vers est Tane Talevare Tare), Jérôme Cormier improvisant seul pendant certains cycles rythmiques. (Sur la vidéo ci-dessous, on entend Ustad H. Sayeeduddin Dagar chanter le premier vers de cette composition.)
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Chez Malavika — 2013-11-22
Bithika Mistry, odissi
Mangalacharan (en l'honneur de Ganesh)
Mangalacharan (en l'honneur de Sarasvati)
Pallavi (Shringararasa)
Abhinaya (Gita-Govinda)
Megh-Pallavi
Dashavatar
Salutation à Ganesh
Récital de danse odissi en petit comité. La musique enregistrée sur CD a posé problème. D'une part, j'en ai trouvé l'orchestration un peu surchargée. D'autre part, au début du récital, au lieu de la musique d'un Mangalacharan en l'honneur de Sarasvati, c'est un Mangalacharan en l'honneur de Ganesh qui a retenti. La configuration des lieux ne permettant pas vraiment à la danseuse de couper court à la confusion, elle n'a pas eu d'autre choix que d'interpréter une pièce qu'elle n'avait pas prévu de danser ! De même, la piste Moksham n'était pas disponible ; le récital ne s'est donc pas conclu comme l'usage le veut. Mon impression sur ce récital est globalement assez mitigée. Si la jeune danseuse a d'indéniables qualités, je n'ai pas été très ému par ce récital, qui n'a pas laissé beaucoup de place au travail sur l'expression du visage. J'ai néanmoins apprécié la pièce Dashavatar qui évoque les incarnations de Vishnu.
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Salle Pleyel — 2013-11-24
Gidon Kremer, violon
Martha Argerich, piano
Sonate pour violon et piano nº5 (Mieczysław Weinberg)
Sonate pour violon et piano nº10 (Beethoven)
Sonate pour violon nº3 (Mieczysław Weinberg)
Sonate pour violon et piano nº8 (Beethoven)
J'ai beaucoup aimé le jeu de la pianiste Martha Argerich, que je voyais pour la première fois sur scène. J'ai un peu moins apprécié la prestation du violoniste Gidon Kremer dans la première partie du concert, mais la seconde a été magnifique. La sonate pour violon nº3 de Weinberg a été pour moi une très belle découverte.
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Salle Gaveau — 2013-11-26
Orchestre Colonne
Krystof Maratka, direction
Drupopisy, atelier d'instruments de musique populaire des pays Tchèques, Krystof Maratka (création)
Laurent Petitgirard, direction
Daniel Vagner, alto
Concerto pour alto (Bartók)
Récitatif de la Fantaisie chromatique (Bach, arrangement de Kodály)
Symphonie nº4 (Beethoven)
La création de Drupopisy de Maratka a beaucoup plu. Cette œuvre évoquant les pays tchèques de façons aussi variées qu'amusantes grâce à des mélodies d'apparences paysannes et de combinaisons inattendues d'instruments et de techniques non standard. Les musiciens des sections de cordes ont presqu'autant tapé du pied et des mains qu'utilisé leur archet !
Le concert pour alto de Bartók a été merveilleusement bien interprété par l'alto solo de l'orchestre, Daniel Vagner. Le deuxième mouvement était particulièrement émouvant. Tous mes efforts pour sécher mes larmes ont été ruiné par son interprétation en bis d'un arrangement de Bach par Kodály.
Si le périlleux troisième mouvement ne m'a pas tout à fait convaincu, j'ai toutefois été enthousiasmé par l'interprétation de la Quatrième symphonie de Beethoven par l'orchestre après l'entr'acte.
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Conservatoire de Paris, Salle d'art lyrique — 2013-11-27
Peter Lanckweerdt, Roméo
Jeanne Baudrier, Juliette
Pierre-Emmanuel Lauwers, Mercutio
François Aulibé, Tybalt
Fanny Alton, Audrey Boccara, Alice Cocagne, Hélène Davière, Marie Jolly, Dan Kim, Fatoumata Niang, Soa Ratsifandrihana, Julia Sanz, Nicole Stroh, Mathieu Durand, Sungyeop Kim, Gaëtan Lhirondelle, Damien Sengulen, danseurs comédiens
Naruko Tsuji, piano
Raphaël Pagnon, Julie Le Gac, altos
Junior Ballet
Musiciens du Conservatoire
Sergueï Prokofiev, musique
Vadim Borisovsky, arrangement pour piano et deux altos
Paul Chalmer, chorégraphie
Roméo et Juliette
J'ai été séduit par cette version de Roméo et Juliette réduite pour durer un peu plus d'une heure. Certains spectateurs semblaient déçus de n'avoir pas vu plus de danse. Il est vrai que la musique de Prokofiev (redoutablement réduite pour alto(s) et piano) a souvent servi d'interludes. Cela ne m'a pas gêné puisque j'étais venu en grande partie pour entendre cette musique. En dehors des solistes, les comédiens-danseurs du CNSMDP ne dansent pas (ou très très peu). Ils étaient néanmoins très convaincants dans leur expression et leur interprétation du texte. Si ce Roméo et Juliette est réduit en durée, l'histoire est présentée de façon cohérente. La danse est essentiellement réservée aux quatre solistes. J'ai particulièrement apprécié les interprètes des rôles de Juliette et de Mercutio. Les moments les plus remarquables à mon goûts sont intervenus lors des très beaux adages mettant en scène Roméo et Juliette.
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Auditorium du Musée d'Orsay — 2013-11-28
Quatuor Pražák
Pavel Hůla, violon, direction
Vlastimil Holek, violon
Josef Klusoň, alto
Michal Kaňka, violoncelle
Sérénade pour trio à cordes en do majeur, op. 10 (Ernö Dohnányi)
Quatuor à cordes nº6, Sz. 114, Bartók
Quatuor à cordes nº3 en si bémol majeur, op. 67 (Brahms)
Valse en ré majeur, op. 54 (Dvořák)
Je crois me souvenir que j'ai beaucoup apprécié ce concert. Parmi les musiciensi du quatuor Pražák j'ai particulièrement aimé le jeu de l'altiste Josef Klusoň. L'engagement des musiciens, notamment dans le Sixième quatuor de Bartók m'a plu. Cependant, l'image que je retiens de ce concert est l'atmosphère joyeuse du bis qu'ils ont donné : la Valse en ré majeur op. 54 de Dvořák. À cause du thème très envahissant de cette valse, comment peut-on se souvenir de ce qui a précédé ?
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Cité de la musique — 2013-11-30
Orchestre de chambre de Paris
Accentus
Toby Spence, ténor
Thomas Zehetmair, direction
Offertorium “Intende voci” (Schubert)
Julia Bauer, soprano
Alain Buet, basse
Le Christ au mont des Oliviers (Beethoven)
Si je suis content d'avoir découvert l'oratorio de Beethoven, je n'ai pas pris beaucoup de plaisir en assistant à ce concert. En particulier, je me suis longtemps demandé dans quelle langue chantait le ténor Toby Spence...
2013-12-12 10:30+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
La compagnie de danse “Chidambaram”, basée à Chennai, a passé quelques jours à Paris au mois de novembre. Cela m'a donné l'occasion de voir un programme pour un ensemble de six danseurs au musée Guimet et deux récitals au Centre Mandapa par une des danseuses de la compagnie (Arupa Lahiry) et sa directrice (Chitra Visweswaram).
Auditorium du Musée Guimet — 2013-11-16
Chidambaram Dance Company
Arupa Lahiry, Sai Santosh Radhakrishnan, Sharma Viswanath, Jai Quehaeni Reddy, Gayathri Rajaji, Divya Shruti, bharatanatyam
Chitra Visweswaram, chorégraphies
R. Visweswaram, G. N. Balasubramaniam, musique
Sukanya Ravindhar, nattuvangam
B. Srikanth, chant
Venkatasubramaniam, mridangam
R. Thiagarajan, flûte
Anubhuti
Trimurti — anjali
Keertanam — Saama Gaana Lole
Navarasa varnam
Abhinaya — Dasar Kreeti
Thillana
Ce programme intitulé Anubhuti était pour moi une première, parce que je n'avais jamais vu de pièces de bharatanatyam véritablement conçues pour un ensemble de danseurs. Après une introduction musicale mettant en valeur le flûtiste et le chanteur, la première pièce Anjali a commencé par un Ragam interprété par le flûtiste. Les danseurs (cinq danseuses et un danseur) sont ensuite entrés en scène. Ils ont commencé par un passage de danse pure synchronisée. L'originalité de la chorégraphie m'a semblé plus flagrante dans les passages évoquant les divinités de la Trimurti. Je n'ai pas reconnu celui consacré à Brahma, mais j'ai bien reconnu Vishnu couché sur le serpent Shesha et ai particulièrement apprécié le passage consacré à Shiva. Il apparaissait sous sa forme de Seigneur de la danse (Nataraja). Le danseur de la compagnie jouait son rôle tandis que les autres danseuses s'organisaient autour de lui de façon à créer une image saisissante. Une des danseuses était ainsi au sol et jouait le rôle du démon de l'ignorance Apasmara qui est écrasé par le pied droit de Nataraja. Une autre danseuse était située à la gauche de Shiva et représentait vraisemblablement Parvati.
La deuxième pièce était consacrée à la forme androgyne Ardhanarishwara (mi-Shiva mi-Parvati). Elle était conçue de façon cyclique, s'ouvrant et se refermant sur l'image de Sarasvati jouant de sa vînâ. La chorégraphie rend hommage à la musique en louant la beauté du son et en évoquant plusieurs instruments de musique comme la vînâ, la flûte et aussi semble-t-il le violon. Le cœur de la pièce évoque les aspects féminins et masculins d'Ardhanarishwara, évoqués respectivement par une danseuse et un danseur. Les attributs usuels de Shiva sont évoqués comme le serpent, le tambour Damaru et surtout la chevelure que la chorégraphe Chitra Visweswaram a une façon bien particulière de représenter par de vifs mouvements dyssymétriques.
La pièce principale du programme est un Navarasa varnam dont le thème principal est celui de la Déesse. Le titre Navarasa renvoie aux neuf saveurs ou sentiments mis en valeur dans les différents épisodes constituant ce Varnam : courage, amour, émerveillement, rire, dégoût, colère, peur, compassion, paix. Je suis particulièrement saisi pendant le premier passage de danse pure par la vigueur des frappes de pieds synchronisées des cinq danseurs présents sur scène à ce moment. La première partie narrative représente la courageuse déesse Meenakshi sous la forme d'une guerrière qui sait monter à cheval et décocher des flèches avec son arc. La deuxième évoque une femme (Parvati) brûlant d'amour pour Shiva dont la chorégraphie évoque son chignon tressé, les cendres dont il est couvert, ses marques horizontales sur le front ainsi que son tambour Damaru. Plus loin, alors que Parvati se comporte comme une servante auprès de lui, l'ascèse de Shiva est perturbée par une flèche d'amour lancée par Kama et il le réduit en cendres. Plus loin, le dieu de la mort tente d'étouffer le jeune Markandeya, lequel est sauvé par Shiva en récompense de sa dévotion (un épisode que j'avais déjà vu dans le récital de Janaki Rangarajan). Ces passages étaient particulièrement saisissants et l'utilisation de plusieurs danseurs pour représenter chacun des rôles était très convaincante. Je n'ai pas identifié tous les épisodes narratifs suivants, mais dans la suite j'ai particulièrement aimé l'évocation de Shiva sous le nom de Nilakantha (qui boit du poison pendant le barattage de la mer de lait), la représentation de l'adoration de la déesse et la fin apaisée de cette pièce.
La pièce principale de ce récital Navarasa varnam m'a semblé particulièrement réussie dans la mesure où l'impression produite par l'ensemble des danseurs était sans doute supérieure à celle qu'aurait pu produire chaque danseur individuellement. La pièce suivante mettait davantage en valeur les qualités individuelles de quatre danseuses. Des danseuses qui pouvaient paraître assez discrètes dans les ensembles précédents m'ont paru étonnamment à l'aise dans les solos narratifs constituant cette pièce. Le thème de cette pièce est Krishna. La musique de Purandara Dasa est connue, je suis certain d'avoir déjà entendu le refrain qui se transcrit plus ou moins en Shikavane Ivanu. Chacune des danseuses incarnait une femme confrontée à la nature divine de Krishna rendue malicieusement innocente dans la personne d'un enfant espiègle. La première le grondait parce qu'il lui demandait comment naissent les enfants. La deuxième se fait enlacer par lui alors qu'elle portait des jarres pleines d'eau. Une troisième se fait chiper du beurre qu'elle vient de baratter. La quatrième (interprétée par Arupa Lahiry) couche l'enfant, s'endort, rêve qu'elle passe la nuit avec lui et comprend à son réveil que son rêve a été influencé par Krishna dont elle tenait la main. À la fin de son solo, chaque danseuse venait se joindre aux précédentes sur la droite de la scène dans des postures suggérant la dévotion et l'émerveillement devant les qualités du jeune enfant Krishna.
Le récital s'est conclu par un Thillana interprété par les six danseurs de la compagnie. La délicieuse musique de cette pièce a été composée par le chanteur R. Visweswaram dont Chitra Visweswaram est la veuve. La présentation de la pièce évoque une fusion de la musique et de la danse. J'ai particulièrement apprécié le moment où il est fait hommage aux notes (Swaras) de la gamme, qui m'ont semblé comme incarnées par les différents danseurs.
Lors des saluts, Chitra Visweswaram qui avait assisté au spectacle depuis le premier rang est montée sur scène. Il fallait vraiment la voir lancer des fleurs à ses danseurs pour les féliciter. Les fleurs n'étaient pas réelles, elle utilisait le mudra Alapadma, mais d'une façon tellement énergique que l'illusion était parfaite.
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Centre Mandapa — 2013-11-18
Arupa Lahiry, bharatanatyam
Chitra Visweswaram, chorégraphies
Descente de Ganga
Varnam (Raga Charukesi) (composé par Lalgudi Jayaraman)
Padam
Tillana (Raga Rasikapriya) (composé par R. Visweswaram)
Une des danseuses qui m'avaient particulièrement impressionné lors du programme de la Chidambaram Dance Company dansait deux jours plus tard au Centre Mandapa. J'avais bien envie d'y aller, mais j'avais déjà prévu d'aller écouter Written on Skin à l'Opéra Comique. Quand je suis arrivé dans la salle, à une place aveugle sans l'opportunité de replacement qui s'était fait habituelle dans cette salle, j'ai passé un coup de fil au Centre Mandapa pour me réserver une place et j'ai filé.
Après une introduction musicale, la danseuse est venue interpréter une première pièce. C'est celle qui m'a le plus marqué. Je l'avais d'ailleurs déjà vue sur cette vidéo :
Grâce au texte chanté et à la chorégraphie, j'avais reconnu qu'il était question des trois dieux de la Trimurti (à partir de 4') : Brahma (Pitamaha : l'Aïeul, dont la chorégraphie dit qu'il a quatre têtes), Vishnu (sur le serpent Shesha) et Shiva. La chorégraphie évoque ensuite la rivière Ganga, mais j'ignorais la raison pour laquelle ces trois dieux lui étaient associés ici. C'est devenu plus clair quand la danseuse a introduit la pièce avant de l'interpréter. Brahma est celui qui verse l'eau de la Ganga, laquelle tombe sur le pied de Vishnu avant de se perdre dans la chevelure de Shiva. Elle paraît alors sous la forme d'une jeune femme qui prend le nom de Bhagirathi suite à l'ascèse de Bhagiratha (qui réclamait que les cendres des 60000 fils de Sagara soient purifiées). J'ignorais que parmi les légendes liées à la descente de Ganga sur terre, ils s'en trouvaient qui fissent intervenir non seulement Shiva, mais aussi Brahma et Vishnu. Cela fut pour moi une belle découverte.
La pièce principale du récital était un Varnam évoquant une jeune femme se languissant de Krishna aux yeux de lotus. Elle lui est dévouée, exécutant des rites d'adoration d'une statue le représentant qu'elle orne d'une guirlande de fleurs. Cependant, elle lui reproche de ne pas venir la voir. Elle brûle d'amour pour lui. Elle aime le son de sa flûte. La pièce semble se terminer par une évocation de la danse Rasalila dans laquelle les bouvières (gopis) dansent avec Krishna.
La pièce suivante a été un magnifique Padam, un des types de pièces de bharatanatyam que j'affectionne le plus. Comme le sentiment d'amour (Shringara rasa) a été magnifiquement mis en valeur dans cette pièce par la danseuse ! La jeune femme se souvient du moment où, autrefois, le jeune Muruga (Kartikeya) l'avait enlacée. Ayant épousé Valli et Deivayani, l'aurait-il oubliée ? La pièce de forme cyclique se termine comme elle avait commencée par l'image de la jeune femme rêvassant.
Ce très beau récital s'est terminé par le même Tillana que deux jours plus tôt, interprété par la seule Arupa Lahiry. La musique étant enregistrée, je soupçonne que la voix était celle du défunt R. Visweswaram, ce qui n'était pas pour me déplaire.
⁂
Centre Mandapa — 2013-11-19
Chitra Visweswaram, bharatanatyam
Sukanya Ravindhar, nattuvangam
B. Srikanth, chant
Venkatasubramaniam, mridangam
R. Thiagarajan, flûte
Prière chantée
Ardhanarishwara
Theruvil Varanu
Ashtapati
(Scène de jalousie)
Jagadotarana
Le lendemain, un colis suspect bloque la station de RER B Orsay-Ville. Je me dirige à pieds vers la station suivante (Le Guichet) où j'entends que le trafic est coupé jusqu'à Lozère. Je continue jusqu'à cette station où je dois encore attendre assez longtemps avant de pouvoir monter dans un RER. Un collègue arrivera juste à temps pour le coup d'envoi du match France-Ukraine au Stade de France et de mon côté, grâce à la bonne heure de marge que j'avais prévu, je suis arrivé tout juste à 20h30 au Centre Mandapa après avoir couru depuis le métro, et le temps de saluer une de mes danseuses préférées dans le hall, puis Arupa Lahiry (qui avait dansé la veille), j'entrai dans la salle bien pleine. Je choisis donc de me déchausser et de m'asseoir sur le dernier coussin disponible tout devant.
Le spectacle commence par une prière chantée (à Ganesh ?). Malgré l'exiguïté de la scène, les musiciens de la Chidambaram Dance Company ont pris place sur la gauche de la scène. Je n'ai pas vu de micro, cela devait donc être une des premières fois que j'aie entendu de la musique carnatique non amplifiée.
Le programme de danse est entièrement constitué de pièces de pur Abhinaya : les pièces sont narratives et ne laissent aucune place à la danse pure ou à la virtuosité. Le costume de Chitra Visweswaram est un peu négligé (pas très bien repassé). Peu importe, ce qui compte, ce sont les émotions qu'elle va exprimer dans son programme.
La première pièce est centrée sur Ardhanarishwara, la forme androgyne mi-Shiva mi-Parvati. La danseuse évoque le tambour Damaru, le serpent, etc, pour la moitié Shiva et pour l'autre moitié, elle met surtout en valeur la féminité en utilisant l'attitude typique correspondante. La pièce met aussi en scène la déesse Sarasvati et des rites d'adoration des divinités.
Dans la deuxième pièce Theruvil varanu, une jeune femme est amoureuse de Shiva. Elle attend, elle pense qu'il va venir...
Pour moi, le moment le plus intense du récital est intervenu avec la troisième pièce intitulée Ashtapadi. Elle mettait en scène différentes phases que peut prendre l'amour d'une jeune femme (pour Krishna). La chorégraphie évoque le printemps, les abeilles qui butinent, des offrances de fleurs, l'ivresse procurée par le sentiment amoureux, mais aussi le désespoir de la séparation, le dégoût qu'elle engendre, et enfin d'heureuses retrouvailles avec Krishna, représenté en flûtiste. Cela a été une des pièces de bharatanatyam les plus émouvantes que j'aie eu l'occasion de voir.
La pièce suivante évoquait le sentiment de jalousie d'une femme qui observe avec mépris sa rivale qui aurait reçu de beaux vêtements de son amant.
Le récital s'est conclu avec Jagadotarana que Chitra Visweswaram a dansé assise sur un tabouret. Il m'est difficile de résumer cette pièce exaltant les sentiments maternels de Yashoda pour l'espiègle Krishna. Elle commençait par le sommeil de Krishna bercé par Yashoda. Divers épisodes de la vie du jeune garçon étaient ensuite évoqués, mais j'y ai été globalement moins réceptif, la narration n'étant pas assez lisible pour que je puisse la bien comprendre.
Le public n'a pas réussi à obtenir un bis de la danseuse, celle-ci expliquant qu'on ne pouvait plus rien danser après Jagadotarana...
2013-12-02 11:39+0100 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Onyx, Saint-Herblain — 2013-11-09
Shantala Shivalingappa, interprétation, chorégraphie, direction artistique
Savitry Naïr, conseillère artistique
Ezra Belotte-Cousineau, création film
Nicolas Boudier, lumières et direction technique
Shantala Shivalingappa, Nicolas Boudier, espace scénique
Denis Chapellon, régie générale et lumières
Baptiste Klein, régie vidéo et son
B. P. Haribabu, natuvangam (cymbales) et pakhawaj (percussions)
J. Ramesh, chant
N. Ramakrishnan, mridangam (percussions)
K. S. Jayaram, flûte
Sangama (kuchipudi)
Shantala Shivalingappa, chorégraphie
“De Bois”, Felix-Antoine Coutu et Jean-Michel Coutu, musique
Medley
Sidi Larbi Cherkaoui, chorégraphie
Olga Wojciechovska, musique (Olga Wojciechovska (violon), Tsubasa Hori (piano), Gabriele Miracle (percussions))
Flare (extrait de Play)
Pina Bausch, chorégraphie
Ferran Savall, voix et guitare
Pedro Estevan, percussions
Marion Cito, costume
Solo
Shantala Shivalingappa, chorégraphie
Shift
Il m'est déjà arrivé de prendre des TGV ou des avions pour assister à des opéras ou des concerts, mais la danse n'avait jamais constitué à elle seule le motif d'un de mes voyages avant le week-end du 11 novembre au début duquel j'ai fait un aller-retour à Nantes pour assister au programme Sangama de Shantala Shivalingappa.
Au cours de mes voyages en Inde, j'ai eu l'occasion de visiter le village de Devprayag et la ville d'Allahabad. Il s'agit de deux sites remarquables pour la confluence que l'on peut y observer entre deux rivières. Chacune de ces confluences est appelée Sangam. L'Alaknanda et la Bhagirathi se rejoignent à Devprayag pour former une rivière que l'on appelle Ganga à partir de cette confluence :
Devprayag, confluence entre la Bhagirathi et l'Alaknanda donnant naissance à la Ganga
La Yamuna se jette dans la Ganga à Allahabad. Lors de l'Ardh Kumbh Mela de janvier 2007, des dizaines de millions de pélerins venaient se baigner à Allahabad. Sur la phographie ci-dessous, la Yamuna vient de la droite et la Ganga de la gauche :
Si le titre du spectacle de danse de Shantala Shivalingappa s'appelle Sangama, c'est sans doute parce qu'y confluent la danse indienne kuchipudi dont Shantala Shivalingappa est spécialiste et la danse contemporaine qu'elle connaît aussi pour avoir travaillé avec plusieurs grands chorégraphes.
La salle de spectacle Onyx est située en périphérie de Nantes, à Saint-Herblain, entre un Ikea et un Decathlon. Cela reste accessible en tramway. Quand il fait déjà nuit et qu'il pleut, la salle de spectacle en forme de Kaaba imaginée par Jean Nouvel n'est pas très engageante :
Une fois passé le hall et les escaliers sombres et austères, les sièges de la salle paraissent très confortables, et mon placement idéal : la pente des gradins commençait au rang où je me trouvais, je pouvais ainsi voir les pieds de la danseuse qui resteraient cachés aux spectateurs de la poignée de rangs situés devant moi.
Venons-en au spectacle lui-même. Posé sur un petit socle suspendus depuis les cintres, une statue de Shiva-Nataraja est présente sur le côté droit de la scène. Les musiciens s'installent du côté gauche et interprètent une Prière chantée à Vani, déesse des Arts. Vani est un des noms de la déesse Sarasvati (cf. ce précédent billet). Les musiciens en charge de la partie mélodique sont un chanteur et un flûtiste. Pendant l'Alap du flûtiste, je m'émerveille des possibilités inattendues de cet instrument en terme de glissando.
La première pièce dansée est intitulée Ganapati Vandana. Cette pièce, comme les autres pièces de kuchipudi interprétées dans ce récital par Shantala Shivalingappa était déjà au programme de de son spectacle Svayambhu (que j'ai vu en 2010). J'ignore si les chorégraphies sont exactement les mêmes ou s'il s'agit de pièces nouvelles du même nom, en tout cas je n'ai pas eu d'impression de déjà-vu. Si la danse n'a peut-être pas changé, mon regard, lui, a indiscutablement évolué depuis trois ans ! Je suis immédiatement conquis par la gestuelle de la danseuse au sari violet qui a une délicieuse et inimitable façon de tourner sur elle-même. Elle évoque notamment les oreilles et la trompe de Ganesh, ainsi que sa démarche de pachyderme. La musique alterne entre poème et onomatopées rythmiques. Le sens de la pièce n'est jamais perdu de vue, même dans les passages qui s'approchent de la danse pure. Dans ces passages très rythmiques (appelés jati dans le bharatanatyam, j'ignore s'ils ont le même nom dans le kuchipudi), la musique est souvent composée par des vers du poème prononcés à une certaine vitesse par le chanteur et ce de façon synchronisée avec les mouvements rapides de la danseuse, lesquels ne sont pas dénués de signification, mais au contraire illustrent le sens du poème. Cela va un peu vite pour que je puisse tout suivre, mais en voyant cette pièce j'ai été plus d'une fois émerveillé par ce remarquable procédé. J'ai aussi été agréablement surpris de voir par moment la danseuse bouger ses lèvres pour prononcer silencieusement le texte du poème.
Comme dans Svayambhu, la pièce principale de ce récital est Tarangam, en l'honneur de celui qui est né de lui-même, ici Shiva. La pièce commence par un mantra sanskrit en l'honneur de Shiva sous le nom de Mahadeva. Dans la première pose qu'elle a présentée, la danseuse utilise ses deux mains pour évoquer le lingam de Shiva. De nombreux autres attributs seront évoqués, comme son chignon, son tambour Damaru, sa forme terrible Bhairava, sa forme ascétique, la descente de Ganga qui après être passée par le chignon de Shiva prend l'apparence d'une jeune femme. J'ai aussi aimé la façon de la danseuse de représenter le serpent qu'il porte avec cinq têtes (je ne connaissais pas cette représentation polycéphale sans doute liée au fait que cinq soit le nombre caractéristique de Shiva). La danseuse a aussi pris la forme de Shiva-Nataraja, et ce sans se limiter à la pose caractéristique associée puisqu'elle a développé sa danse très virile. Cette pièce a comporté une section de danse sur un plateau en laiton, une spécificité du style kuchipudi dans laquelle s'élabore un jeu de questions et réponses élaboré entre les cymbales et les mouvements de la danseuse. Les dernières minutes de la pièce m'ont particulièrement plu. Elles représentaient l'adoration joyeuse (bhakti) de Shiva, une forme du culte plus souvent associée à Krishna et que j'étais très content de voir ici associée à Shiva.
Après ces pièces de danse kuchipudi, les deux percussionnistes se sont livrés à un duo rythmique de toute beauté, sur le Tala Adi (à 8 temps) si je me souviens bien. Est projeté ensuite un film d'Ezra Belotte-Cousineau montrant des extraits de répétitions ou de représentations mettant en scène Shantala Shivalingappa seule ou avec d'autres danseurs et chorégraphes, notamment Sidi Larbi Cherkaoui. J'ai beaucoup de mal à m'émouvoir en visionnant de si courts extraits hors contexte. Ce n'est pas toutefois pas désagréable à regarder et ce d'autant plus qu'avant la fin de la projection la danseuse a paru derrière le rideau pour traverser la scène et commencer la partie danse contemporaine de son programme dont je ne suis pas tout à fait certain d'avoir parfaitement compris le découpage. D'après mes archives, il semblerait que j'aie déjà vu certaines de ces pièces en 2008 dans son programme Namasya, mais cela remonte à trop loin pour que j'en aie gardé un souvenir précis.
La première pièce (Medley ?) commence par un passage accompagné de deux percussionnistes et d'onomatopées rythmiques dans lequel les lumières ne laissent paraître que la silhouette de la danseuse. Ensuite, la musique se fait hispanisante et la chorégraphie me fait beaucoup penser à Pina Bausch, quoique les mains de la danseuse utilisent des codes indiens (comme le mudra Alapadma) ; la danseuse m'a paru extrêmement investie dans ce passage très convaincant.
À partir du moment où la danseuse passe résolument au sol et utilise des mouvements pouvant faire penser au hip hop (sans le côté acrobatique), je crois pouvoir penser que l'on est passé à Flare de Sidi Larbi Cherkaoui, la pièce qui m'a le moins convaincu. Cela dit, il m'est toujours difficile d'accrocher à des pièces aussi courtes extraites de programmes plus élaborés (en l'occurrence Play, cf. ce billet de Bladsurb qui l'a vu en entier), puisque j'ignore le sens qu'elle avait (ou non) dans l'ensemble.
La pièce qui suit ne peut semble-t-il pas être attribuée à 100% à Pina Bausch, mais plus vraisemblablement à travail commun de la danseuse et de la chorégraphe. Ce Solo est en effet très indo-bauschien, des mouvements de mains très indiens étant incorporés au style de la chorégraphe allemande. À cette très belle pièce s'enchaîne une autre, Shift, chorégraphiée par la danseuse elle-même. La danseuse abandonne la robe noire qu'elle portait pendant le Solo de Pina Bausch pour interpréter sa pièce dans le silence, puis en musique. La danseuse y évoque notamment une femme qui se regarde dans un miroir. Cette chorégraphie est la plus influencée par le kuchipudi.
Si j'aurais peut-être préféré voir un peu plus de kuchipudi, j'ai été néanmoins content de voir ces pièces de danse contemporaine, toutes exécutées avec engagement par la danseuse.
J'ai déjà dit plus haut que la salle n'est pas très accueillante extérieurement. Le hall est sombre et les escaliers conduisant à la salle un peu branlants, mais l'accueil y est néanmoins très chaleureux. Un petit buffet était même prévu pour les spectateurs à la fin du spectacle ! Comme le programme distribué mentionnait une rencontre avec les artistes à l'issue de la représentation, je suis resté dans le hall, qui s'est vidé progressivement. Quand j'ai posé la question, une employée de la salle m'a dit que la rencontre étant semble-t-il annulée, mais elle m'a très gentiment permis de descendre avec quelques autres personnes au sous-sol pour voir la danseuse et son adorable mère Savitry Nair. J'ai ainsi eu le privilège de discuter avec elle et de la complimenter sur quelques aspects qui m'avaient particulièrement plu dans sa danse kuchipudi. J'ai été heureux de voir qu'elle y était très sensible.
2013-12-01 11:18+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XII — Planning
Et puis, le 22 décembre, j'embarque sur un avion pour Riyadh (Arabie saoudite) puis un autre qui devrait arriver à Chennai (Inde) au cours de la matinée du lundi 23. Ce n'est pas pour faire du tourisme que j'entreprend ce douzième voyage en Inde, mais pour assister à des spectacles ayant lieu dans le cadre de la December Season.
La December Season est un des deux plus grands festivals artistiques au monde. Avant d'aller à Edinburgh cet été, je pensais que c'était le plus grand. À mon avis, il y a débat parce que le festival “Fringe” d'Edinburgh aurait abrité 2695 spectacles en 2012, alors que sur le site Kutcheris, au moment où j'écris ce message, plus de 2800 spectacles sont recensés !
La Saison de Chennai est un festival de musique et de danse consacré quasi-exclusivement aux styles du Sud de l'Inde : danse bharatanatyam et musique carnatique (chant principalement). Quand j'ai réservé mes billets d'avion et mon hôtel près de la stratégique T.T.K. Road (entre T. Nagar et Mylapore), je n'avais aucune idée des artistes qui chanteraient ou danseraient pendant mon séjour. J'avais néanmoins deux grands espoirs. Le premier et le plus urgent est d'entendre Dr M. Balamuralikrishna (83 ans), un des plus importants chanteurs carnatiques ; il est l'inventeur de nouveaux ragas, comme on peut le voir sur cette vidéo dans laquelle il chante un raga à trois notes (Sa-Ga-Pa) !
Parmi les danseuses de bharatanatyam que je n'ai pas encore vues, s'il n'y en a qu'une seule dont je rêve de voir un récital, c'est Rama Vaidyanathan :
Les principaux organisateurs de spectacles (sabhas) ont annoncé leurs programmes ces derniers jours. Je me retrouve ainsi avec une liste de 1138 spectacles devant se tenir pendant les 12 jours de mon séjour à Chennai ; en effet, plusieurs sabhas, comme Bharat Kalachar, Krishna Gana Sabha, Narada Gana Sabha, Music Academy ou Chennaiyil Thiruvaiyaru, proposent des programmes de musique et de danse s'étendant souvent du matin au soir ! Je n'ai pas encore fini de me perdre dans l'exploration de ces programmes, mais je sais par avance que je vais me régaler, puisque si je me débrouille bien, je devrais pouvoir entendre Dr M. Balamuralikrishna, Mohan Santhanam, Sudha Raghunathan, Jayanthi Kumaresh, etc, et voir danser Rama Vaidyanathan, Meenakshi Srinivasan, C. V. Chandrashekhar, Alarmel Valli, Padma Subramanyam, etc. Peut-être ferai-je une expédition à Thiruvanmiyur au Sud de Chennai pour voir un Dance Drama par les danseurs de la fondation Kalakshetra ?
2013-11-12 18:53+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Je voudrais avec ce billet faire une présentation du bharatanatyam. Il s'agit d'un des styles de danses classiques de l'Inde. Une partie de ce que je vais dire pourrait aussi s'appliquer avec certaines variations à des styles apparentés (kuchipudi, odissi, mohiniattam), mais je vais me limiter au style que je connais le mieux. Ma pratique du bharatanatyam n'étant que balbutiante, tout ou presque tout ce que je sais (ou crois savoir) sur le bharatanatyam vient de mon expérience assidue de spectateur (voir la rubrique danses indiennes de ce blog). Ma présentation ne sera pas celle d'une personne ayant une connaissance de cette danse par la pratique ; ce ne sera pas non plus un discours idéalisé et intellectualisant comme celui de Katia Légeret dans cette intéressante émission sur France Culture. Je pense en effet qu'il est possible d'apprécier cette danse et d'en acquérir une certaine compréhension sans être danseur ni philosophe. Je me place donc résolûment du point de vue du spectateur.
Si les inventeurs du mot ont pris soin de le doter d'une respectable
étymologie, le nom bharatanatyam
(ou plus précisément
bharatanātyam) a été formé au XXe siècle. Le style est
issu d'une danse pratiquée dans les temples du Sud de l'Inde et dans les
cours royales. Comme pour les autres styles classiques cités plus haut, le
texte de référence est le doublement millénaire Naṭyaśastra. La
danse est passée des temples au théâtre au XXe siècle et de nos
jours elle est le plus souvent représentée dans le cadre d'un récital
mettant en scène une unique danseuse. (La proportion d'hommes étant très
faible parmi les danseurs de bharatanatyam, j'utiliserai la forme
féminine de ce nom.)
Si la musique n'est pas enregistrée, les musiciens s'installent côté
cour, c'est-à-dire du côté gauche de mon point de vue (celui du
spectateur). L'orchestre
comprend en général quatre musiciens.
La partie mélodique est assurée par un chanteur et un instrument
d'accompagnement (violon, flûte ou vînâ). La partie rythmique l'est par un
percussionniste, qui utilise un tambour à deux faces (mridangam),
et par le nattuvanar, qui utilise des cymbales appelées
nattuvangam. C'est le nattuvanar qui possède le rôle le
plus important puisqu'il est le chef d'orchestre et qu'il est aussi bien
souvent le maître de danse ou guru de la danseuse. La tradition des hommes
maîtres de danse (qui ne dansaient pas forcément eux-mêmes) est en voie de
disparition. Ainsi, de nos jours, le rôle de nattuvanar est le
plus souvent assuré par une femme.
Il est assez courant que le Seigneur de la danse (Shiva-Nataraja, voir plus bas) soit représenté par une sculpture placée du côté droit de la scène, et il n'est pas rare que l'on fasse brûler de l'encens.
Un récital de bharatanatyam est constitué d'une suite de
pièces. La plupart d'entre elles font entre 5 et 10 minutes environ, mais
certaines peuvent être plus élaborées (une demi-heure ou plus). En première
approche, on peut distinguer deux types de pièces : les pièces de danse
pure
et les pièces narratives.
Les pièces de danses pures n'ont pas de contenu narratif. Bien que tous les mouvements utilisés puissent avoir un sens dans un contexte narratif, la danse pure n'aspire qu'à mettre en valeur la beauté du mouvement. Néanmoins, une pièce qui est principalement de danse pure possède en général un sens global dans la succession des pièces qui constituent un récital. Ainsi, la première pièce d'un récital est une pièce principalement de danse pure dans laquelle on pourra voir la danseuse mimer une offrande de fleurs (Pushpanjali). Le début du récital comporte aussi très souvent un Alarippu : dans ce type de pièce, différentes parties du corps de la danseuse se mettent progressivement en mouvement (yeux, tête, bras, pieds, mains...) et le rythme de la danse s'accélère petit à petit, comme sur cette vidéo de la danseuse Rama Vaidhyanathan :
L'aspect rythmique joue un rôle prépondérant dans la musique des pièces de danse pure. La musique est en effet constituée principalement des syllabes ou onomatopées rythmiques prononcées par le nattuvanar qui actionne en même temps ses cymbales. Dans des pièces de danse pure appelées Jatiswaram, plutôt que les syllabes rythmiques, on entend le nom des notes du solfège indien. Ces notes (ou swaras) sont Sa, Re, Ga, Ma, Pa, Dha, Ni. La musique utilise alors un mode particulier, ou plus précisément un Raga de la musique carnatique, le style de musique classique du Sud de l'Inde. Avant que la danse proprement dite ne commence, la pièce débute parce qu'on appelle le Ragam Alapana (ou simplement Ragam). Il s'agit d'une improvisation mélodique sans accompagnement rythmique. (Cette improvisation se distingue de l'Alap, son homologue dans la musique du Nord de l'Inde : elle est plus courte et n'a pas non plus la même structure.) Au début de la vidéo suivante d'Apoorva Jayaraman, disciple de Priyadarsini Govind, le Ragam est interprété par la flûte :
Comme c'est souvent le cas dans les pièces de bharatanatyam, la
musique de cet extrait comporte en fait plusieurs Ragas (cinq, si
j'en crois la notation disponible à cette
adresse). On dit ainsi que le Raga est Malika pour
signifier qu'il s'agit d'une guirlande de ragas
.
Les pièces de danse bharatanatyam que je trouve les plus passionnantes sont les pièces narratives. En théorie, des histoires de toutes sortes peuvent être racontées, mais en pratique, de nos jours, les thèmes retenus sont liés à la religion hindoue. Les pièces peuvent rendre hommage aux divinités en évoquant leurs exploits et leurs attributs, mais il s'agit là mon avis davantage d'une évocation que d'une narration. Les pièces résolument narratives racontent des épisodes de la mythologie hindoue (tirés des épopées et des Purāṇa). Parmi les pièces narratives élaborées, celles mettant en scène la dévotion pour une divinité sont les plus fréquentes et le plus souvent cette dévotion est symbolisée par l'amour d'une jeune femme (nayika) pour cette divinité qui est dans la plupart des cas Shiva, son fils Muruga ou Krishna.
Dans ces pièces, la danseuse doit faire preuve de ses qualités en abhinaya, l'art de l'expression. Il faut en effet un certain talent à la danseuse pour suggérer par ses mouvements, attitudes et expressions quel est le personnage qu'elle interprète à un instant donné, ce qu'il fait et ce qu'il ressent, et ce sans l'aide d'aucun accessoire ni costume spécifique, la tenue de la danseuse étant invariablement la même. Une difficulté supplémentaire est que la danseuse interprète tous les personnages (qui sont le plus souvent au nombre de deux).
Pour que l'histoire puisse être comprise, la danseuse utilise divers mouvements et poses. Certains mouvements sont très intuitifs, comme la façon de mimer l'éclosion de fleurs. Le chorégraphe de la Variation de l'Idole dorée dans La Bayadère l'a bien compris quand il a voulu faire couleur locale, comme on peut le voir sur cette vidéo d'Emmanuel Thibault :
D'autres mouvements des danseuses de bharatanatyam obéissent à
une codification. Sur la vidéo ci-dessus, on peut ainsi remarquer la
position des mains (mudra) utilisée par le danseur :
Hamsasya ou Tête de cygne
, cf. cet
article du journal The Hindu. (Il est amusant de constater que
les danseurs de l'Opéra n'utilisent pas tous la même position des mains dans
cette variation. Mathias Heymann fait
comme Emmanuel Thibault, mais Wilfried Romoli et Alessio Carbone
joignent le pouce au majeur et non à l'index, ce qui n'est semble-t-il pas
un mudra répertorié...) Un autre exemple courant de cette
codification est donné la position de la main évoquant le
croissant de Lune :
Croissant de Lune
(Chandrakala), photographie d'Aruna pour Wikipedia.
Cette codification est une des difficultés importantes qui se posent au spectateur. On peut très bien apprécier le bharatanatyam de façon naïve sans vraiment chercher à en comprendre le sens, je l'ai fait pendant plusieurs années, mais il est alors difficile de faire complètement abstraction du fait flagrant que la danse a un sens et que celui-ci reste caché.
Une problématique semblable se pose quand on va voir un ballet classique ou un opéra dans une langue étrangère (on notera qu'avec beaucoup de chanteurs, même Français, le français sonne comme une langue étrangère). Si on peut suivre le texte des opéras grâce au surtitrage, il est cependant préférable d'avoir une connaissance préalable de la trame narrative. Il en va de même pour les ballets, ne serait-ce que pour savoir que l'héroïne de La Bayadère s'appelle Nikiya et qu'elle est amoureuse de Solor ; rien dans le ballet qui se présente aux yeux des spectateurs ne permet de soupconner que tels sont leurs noms ! (À l'inverse, quand on entend l'opéra Lohengrin pour la première fois, on pourrait aimer partager avec Elsa von Brabant le fait d'ignorer le nom du héros.)
Avec le bharatanatyam, une difficulté supplémentaire se pose : en entrant dans la salle, le spectateur ne sait a priori pas quels thèmes narratifs seront traités au cours du récital ; c'est dommage, et j'estime qu'une plus grande publicité pourrait être donnée à ces thèmes préalablement aux représentations. Le spectateur n'est cependant pas totalement démuni. Plusieurs éléments peuvent l'aider à comprendre. Avant le début de chaque pièce, il est pour ainsi dire systématique qu'une voix off prononce un résumé de la pièce qui va suivre. (En Inde, ces annonces se font en général en anglais, même à Chennai. Il ne m'est arrivé qu'une ou deux fois d'entendre des annonces en tamoul.) Parmi les informations données, on pourra aussi entendre le nom du raga et du cycle rythmique (tala), le compositeur de la musique, le poète, le chorégraphe, etc. Il est heureux que les explications données par la voix off soient souvent accompagnées d'une démonstration par la danseuse des mouvements de bras et de mains les plus significatifs. Ceci permet au spectateur d'assimiler le sens de nouveaux mouvements et de les reconnaître quand la danseuse les utilisera dans son interprétation de la chorégraphie. Le spectateur peut aussi s'aider des mots prononcés par le chanteur. Les danses narratives sont en effet accompagnées d'un poème chanté. La langue est le plus souvent le tamoul, le télougou ou le sanskrit. Comme les thèmes traités par le bharatanatyam sont liés à la religion hindoue, être familier avec la mythologie hindoue favorise beaucoup la compréhension. Il n'est cependant pas suffisant de connaître le nom des divinités principales (comme Shiva ou Vishnu), puisqu'un nom ou épithète spécifique de la divinité peut être utilisé (comme Mahadeva, Svayambhu, Pashupati, Nilakantha, Padmanabha, Govinda, Hari, etc.). Suivant les noms utilisés, il est intéressant de savoir comment la divinité est représentée dans l'iconographie puisque l'on peut alors la reconnaître dans la posture de la danseuse.
Par exemple, à partir de 4'40" sur la vidéo ci-dessus, on peut voir Meenakshi Srinivasan évoquer un lotus qui en éclosant se métamorphose en Krishna, dans sa représentation la plus courante en tant que joueur de flûte (laquelle lui sert à ensorceller le cœur des bergères) :
Cette vidéo est celle de l'invocation de Krishna que Meenakshi Srinivasan avait dansé au début de ses récitals au Musée Guimet en 2012 (cf. mon billet). Cette vidéo illustre une caractéristique quelque peu déroutante des pièces évocatrices ou narratives du bharatanatyam. Bien que plutôt narratives, ces pièces comportent des passages de danse pure (jati) et il faut en fait considérer ces pièces comme une alternance entre la danse narrative et la danse pure. Du point de vue musical, cela correspond essentiellement à la domination de l'une ou de l'autre des composantes mélodique ou rythmique. Dans les parties narratives, on entendra plutôt des vers extraits d'un poème tandis que dans les passages de danse pure, on entendra plutôt des onomatopées rythmiques. Sur la vidéo ci-dessus, l'alternance entre danse pure et danse expressive se fait de façon très harmonieuse, mais le contraste entre ces deux composantes de la danse peut parfois paraître très abrupt.
La plupart des récitals de bharatanatyam comportent une pièce nettement plus développée que les autres et souvent appelée Varnam. On peut y observer l'alternance entre danse narrative et danse pure comme sur la vidéo précédente, mais à une toute autre échelle, puisqu'un Varnam dure en général plus d'une demi-heure. Les pièces narratives les plus élaborées traitent un thème, soit d'une façon continue, soit sous la forme d'épisodes bien délimités mais ayant tous un rapport avec un thème plus général. Dans mon expérience de spectateur, l'exemple fondateur fut le Varnam de Srithika Kasturi Rangan vu en février 2010 à Chennai et qui était constitué de six épidodes du Rāmāyaṇa. Un autre exemple fut Panchakanya de Gayatri Sriram au NCPA de Mumbai en juillet 2011 : les vies de cinq personnages féminins de la mythologie étaient évoquées, et notamment celle de Draupadi, le principal personnage féminin du Mahābhārata. Un thème très courant de Varnam, déjà évoqué plus haut, est celui d'une jeune femme éprise d'une divinité. Le sentiment général exprimé par la danseuse est alors l'Amour (Sringara), mais l'attitude changeante de l'héroïne dans sa relation avec la divinité permet à la danseuse d'exprimer des sentiments très variés au cours d'une pièce aussi développée que l'est un Varnam.
Ces différents sentiments ou saveurs (Rasa) sont classifiés et sont au nombre de neuf (ou huit suivant que l'on inclue ou non le sentiment de Paix). Certaines pièces de bharatanatyam sont basées sur la mise en valeur des neuf rasas (Navarasa). C'est le cas de Navarasa Mohana dans laquelle Rama Vaidhyanathan fait preuve de ses éblouissantes qualités d'expressions en explorant les réactions de neuf types de personnes voyant Krishna alors qu'il entre à Mathura pour tuer Kamsa :
De cette notion de Rasa dérive le nom donné aux personnes
capables de ressentir et d'apprécier les sentiments exprimés par la
danseuse : ce sont les rasikas. En Inde, quand une petite
introduction est faite avant un concert de musique carnatique ou un
spectacle de danse, l'orateur s'adresse souvent aux membres de
l'association organisatrice et aux spectateurs en disant quelque chose
comme Good evening, members and rasikas.
. Il ne faut donc
pas s'étonner de lire la mention Rasikas are welcome.
dans
les annonces de spectacles. (Accessoirement, il semble que cela signifie
aussi que le spectacle est gratuit.)
Si la plupart des pièces narratives comportent des passages de danse pure, il existe aussi des pièces de pure abhinaya, certaines étant appelées Padam ; elles sont souvent interprétées vers la fin du récital. La musique est alors résolument mélodique et le tempo modéré. Ce type de danse se compare assez bien avec l'adage en danse classique occidentale. La vitesse est mise entre parenthèses : les qualités d'expression priment, et ce sont les danseuses les plus expérimentées qui s'y révèlent les plus convaincantes. N'ayant vu que trop rarement ce type de pièces, mon échantillon n'est sans doute pas très représentatif, mais il m'a semblé que les thèmes liés à Krishna avaient une certainte importance dans ce type de pièces. Un thème particulièrement délicieux est celui de l'amour filial de Yashoda pour l'espiègle Krishna. Dans la vidéo ci-dessous, la danseuse fait l'éloge de Vishnu qui est ici appelé Narayana ; elle commence par le représenter couché sur l'Océan cosmique (cf. plus bas) puis fait l'éloge de sa beauté sous la forme de Krishna (qui joue de la flûte, qui est paré de bijoux, etc) :
Les récitals de bharatanatyam se terminent presqu'invariablement par une pièce de danse pure appelée Tillana. Le rythme est assez vif, les mouvements sont circulaires. La beauté du mouvement et la joie qu'elle procure laissent une agréable impression finale aux spectateurs. S'il est en principe constitué essentiellement de danse pure, le Tillana peut aussi être narratif. Les deux vidéos ci-dessous sont les deux parties d'un très réjouissant Tillana du répertoire carnatique (composé par Oothukadu Venkata Kavi) qui met en valeur l'espiègle enfant Krishna qui vient à bout du serpent Kaliya qui empoisonnait les eaux d'un étang situé près de la rivière Yamuna :
Dans cette dernière partie, je décris quelques images classiques de l'iconographie hindoue qui sont fréquemment utilisées dans le bharatanatyam.
La divinité la plus importante dans le bharatanatyam est Shiva. Sous le nom de Nataraja, c'est le Seigneur de la danse. Il est souvent présent sur scène sous cette forme :
On ne le voit pas forcément très bien sur cette petite sculpture un peu cheap, mais la main droite supérieure porte le tambour Damaru, symbole de création. La main gauche supérieure porte le feu, associé à la destruction. Le bras gauche inférieur fait penser à la trompe d'un éléphant. La main droite inférieure fait un signe de protection. La jambe gauche est levée et avec le talon du pied droit, Nataraja écrase Apasmara, le démon de l'ignorance.
Sur la vidéo ci-dessous, on peut voir la danseuse Nikolina Nikoleski prendre la pose caractéristique de Shiva-Nataraja, et à partir de 5'20", détail intéressant, on la voit écraser le démon de l'ignorance avec son talon :
Cette vidéo évocatrice de Shiva mérite d'être vue en entier. Le morceau de musique utilisé est très connu (Bho Shambho) ; on peut lire à son propos un billet du blog Music to my ears.
Statue de Shiva en arrière-plan, Haridwar
La sculpture en arrière-plan sur cette photographie est une des représentations les plus courantes de Shiva et de ses attributs. Ces attributs sont également mis en valeur dans la vidéo ci-dessus. Dans son bras gauche, il porte le trident auquel est accroché le tambour Damaru. Un serpent est enroulé autour de son cou. Il porte un collier de Rudraksha. Un troisième œil est situé au milieu de son front. Ses cheveux forment un chignon tressé dans lequel on distingue le croissant de Lune. Certains concepteurs de fontaines ajoutent un jet d'eau symbolisant la rivière Ganga s'échappant du chignon de Shiva, comme au temple Shri Durgiana à Amritsar :
Shiva, Temple Shri Durgiana, Amritsar
Une des plus belles images de l'iconographie hindoue est à mon avis celle de Vishnu couché sur le serpent Shesha (ou Ananta) qui flotte sur l'Océan cosmique. De son nombril émerge un lotus sur lequel se tient Brahma, ce qui vaut à Vishnu le nom de Padmanabha :
Vishnu couché
sur le serpent (détail d'un gopuram du temple Kapaleeshwarar à
Chennai).
On peut noter que Lakshmi, l'épouse de Vishnu, est en train de lui faire un massage. Par ailleurs, Vishnu porte dans sa main droite supérieure le Disque (Cakra).
Cette image a été réinterprétée par Amruta Patil dans son magnifique roman graphique Parva (premier volume d'une trilogie sur le Mahābhārata) :
Couverture de Parva d'Amruta Patil
(Ce livre peut constituer une très bonne introduction à l'iconographie hindoue.)
La représentation de Vishnu couché est une des plus élégantes qui soient dans le bharatanatyam. Elle apparaissait au début de la vidéo de Padam un peu plus haut. C'est aussi celle que l'on voit sur cette photographie du maître de danse C. V. Chandrasekhar :
C. V.
Chandrasekhar évoquant Vishnu-Padmanabha, photographie chipée sur le site
de The Hindu.
Krishna est un des avatars de Vishnu, un des plus populaires avec Rama. Dans la littérature indienne, il peut être le très jeune garçon espiègle qui commet des bêtises (comme voler du beurre ou manger du sable) et qui inspire de tendres sentiments à Yashoda, sa mère adoptive. C'est aussi celui qui enchante les bouvières (gopis) par le son de sa flûte. Parmi elles se trouve Radha, dont le Gîta-Govinda de Jayadeva narre les amours avec Krishna, un thème souvent utilisé dans le bharatanatyam et qui peut être considéré comme une métaphore de la dévotion à la divinité. Enfin, Krishna est le cocher d'Arjuna dans le Mahābhārata (ceci lui vaut le nom de Parthasarathy). Quelques uns de ces aspects ont déjà été évoqués plus haut, alors je me contenterai de l'image suivante, parfois évoquée dans des chorégraphies de bharatanatyam, et qui montre Krishna en train de soulever le mont Govardhana avec un seul doigt afin d'abriter les bouviers qui subissaient les pluies lancées par le dieu Indra, furieux que les villageois délaissent son culte :
Krishna soulevant le mont Govardhana, Krishna Temple, Vrindavan, Uttar Pradesh
Sarasvati peinte par Raja
Ravi Varma.
Divinité associée à Brahma, Sarasvati est la déesse de la connaissance et des arts. À ce titre, il est assez courant qu'elle soit évoquée au début d'un récital de bharatanatyam. Dans ce que l'on peut considérer comme une version indienne d'Apollon musagète (Balanchine), on peut ainsi voir la danseuse suggérer la vînâ dont Sarasvati joue ou encore un stylet dont on peut se servir pour écrire.
Depuis que le Théâtre de la Ville ne propose plus de spectacles de danses indiennes, il faut se tourner vers des institutions un peu spécialisées :
2013-11-01 06:30+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Auditorium du Musée Guimet — 2013-10-19
Vaibhav Arekar, Anuya Rane, bharatanatyam, nattuvangam
Arun Gopinath, chant
Kiran Gopinath, mridangam
Smt. Kamala, violon
Shankara Shiva Shankara
Danse de Shiva
Bhakti
Shakti
Narmade Hara Hara
Ce spectacle de bharatanatyam a commencé par une intervention du
chanteur qui a interprété une composition sur le Tala Adi (8 temps)
précédée du Ragam (une brève introduction au mode musical). La première
pièce de danse (introduite cette fois-ci par un Ragam du violon) était
intitulée Shankara Shiva Shankara et mettait en scène les deux
danseurs qui ont évoqué certaines aspects de Shiva. On observe des éléments
très classique (le croissant de Lune, la déesse Ganga jaillissant de son
chignon) et des épithètes un peu plus rares sont aussi illustrés :
Nilakantha (la gorge bleue), Pashupati (le gardien du troupeau). Cette
évocation est suivie d'un moment de danse pure assez élaboré, dont la
vitesse s'est progressivement accélérée et qui a comporté une offrande de
fleurs d'autant plus symbolique que la divinité n'était pas représentée sur
scène par une sculpture. J'ai beaucoup apprécié cette pièce qui associait
de façon intelligente les deux danseurs. Dans les passages de danse pure,
s'il est essentiellement agi de danse synchronisée
, il m'a semblé
déceler une certaine originalité dans le placement des deux danseurs.
Cette première pièce m'a mis dans de très bonnes dispositions pour la suite, je pensais même que j'étais sur le point de faire l'expérience d'une conception du bharatanatyam qui réponde à mes envies, mais mes espoirs de voir ces deux danseurs interpréter ensemble des pièces narratives élaborées ont été vains puisque la danse n'a plus comporté que des solos...
Vaibhav Arekar s'installe à sa place avec les musiciens pour diriger la suite du récital avec les cymbales (nattuvangam) tandis qu'Anuya Rane, s'exprimant dans un délicieux français, présente les pièces qu'elle va interpréter. Sa première pièce est une Danse de Shiva. C'est un type de pièce que j'affectionne tout particulièrement. Elle met en valeur l'aspect viril de la danse, la danseuse étant comme possédée par le Seigneur de la danse Nataraja. De tout le récital, c'est la pièce qui m'a le plus marqué. La danseuse a évoqué le serpent enroulé autour du cou de Shiva, son croissant de Lune, son tambour Damaru, la déesse Ganga. La danseuse a bien sûr utilisé la pose caractéristique du Seigneur de danse Nataraja. Vers la fin de la pièce, elle a également évoqué les arts en suggérant une vînâ et un tambour, ainsi que Vishnu et Brahma qui sont associés dans la représentation classique de Vishnu-Padmanabha, magnifiquement mise en valeur par la danseuse.
La pièce suivante est aussi dédiée à Shiva. Elle est résolument narrative. Dans ce type de pièce appelé Nindastuti, la dévôte n'est pas représentée comme étant amoureuse de la divinité, mais elle apparaît comme une amie de la divinité et elle en fait l'éloge d'une façon ironique. Placée devant une image du dieu pour lequel elle accomplit quelques rites (aarti), elle raille son indifférence, se moque du fait que sa monture soit un taureau (Nandi) plutôt qu'un char tiré par des chevaux. Il ne possède pas la Lune toute entière, mais seulement un croissant. Dans sa pose Nataraja, il ne trouve même pas d'endroit pour poser son deuxième pied ! J'ai apprécié cette délicieuse pièce qui a mis en valeur les qualités d'expression de la danseuse.
La dernière pièce interprétée par Anuya Rane était consacrée à Shakti, le principe féminin qui peut prendre plusieurs formes, dont Uma/Parvati, Sarasvati, Lakshmi, Durga/Kali. Je retiens notamment la forme terrifiante de Kali et l'évocation de la victoire de Durga sur Mahishasur qui lui vaut le nom de Mahishasuramardini, une scène qui est représentée dans les grottes sculptées de Mahabalipuram :
Le moment le plus intense de la narration de cet exploit de Durga est celui où elle utilise son trident pour venir à bout du démon. Ce fut d'autant plus impressionnant pour moi que j'étais assis au premier rang et qu'elle a maintenu les yeux grand ouverts pendant de longues secondes en regardant précisément dans ma direction.
Après ces trois solos dansés par Anuya Rane, le chanteur et le
percussionniste se sont livrés à un délicieux jeu de questions et réponses
sur un cycle rythmique à 8 temps (Adi Tala). Les deux danseurs ont ensuite
échangé leurs rôles et Vaibhav Arekar a interprété la pièce principale de
ce récital : Narmade Hara Hara. Elle évoque la longue
circumambulation des pèlerins autour de la rivière Narmada : ils commencent
du côté de Bharuch au Gujarat sur la rive Nord, puis remontent jusqu'aux
sources de la rivière, et progressant en laissant toujours la rivière sur
leur droite, ils peuvent redescendre jusqu'à son embouchure, revenant ainsi
à leur point de départ (mais sur l'autre rive). Les différentes séquences
de cette pièce racontent diverses histoires liées à la rivière et au
parcours des pèlerins. Cela commence tout naturellement par le mythe de la
naissance de la rivière, fruit des gouttes de sueur du danseur cosmique
Shiva-Nataraja (qui est donc évoqué pour la troisième fois au cours de ce
programme !). Cette évocation fut un véritable régal ! Vaibhav Arekar ne
fait pas ses frappes de pieds à moitié ! On voit ensuite les pèlerins
effectuer des rites en l'honneur de la rivière au début de leur pèlerinage.
En remontant aux sources de la Narmada, ils seront plus tard témoins d'un
miracle : les chutes d'eau font prendre aux rochers la forme de
lingams. J'ai oublié le lien de la légende suivante avec la
Narmada, mais le danseur a évoqué le démon Bhasmasura qui avait obtenu par
ses austérités le privilège de transformer en cendres quiconque il
toucherait. Les dieux utilisèrent une ruse pour l'éliminer. Ainsi,
l'enchanteresse Mohini intervint et lui demanda de reproduire les
mouvements de danse qu'elle ferait, ce qu'il accepta sans se méfier, mais
il mourut quand, reproduisant la chorégraphie de Mohini, il dut toucher son
propre front. Quand les pèlerins passent près de l'hermitage d'Anasuya, la
légende de cette femme est évoquée : les trois dieux de la Trinité hindoue
vinrent lui demander de leur servir un repas toute nue, ce qu'elle ne put
qu'accepter, mais elle les transforma préalablement en de très jeunes
enfants. La fin de la pièce comportait un message politique déplorant la
construction du grand barrage venant troubler le cours naturel de la
Narmada. J'ai trouvé très intéressante cette pièce au sujet tout à fait
original. Cependant, si le danseur a été exceptionnel dans certains
passages narratifs ou évocateurs, d'autres m'ont moins convaincu (parfois,
il n'était même pas évident pour moi de savoir s'il représentait un
personnage féminin ou masculin). J'ai aussi été troublé par une certaine
perplexité à propos de la structure de la pièce. Celle-ci était constituée
d'une alternance entre récitatifs
et passages dansés. Pendant ces
récitatifs, le danseur exécutait des mouvements plus proches du théâtre que
de la danse tandis qu'Anuya Rane racontait l'histoire correspondant à ce
que nous montrait le danseur. La fonction de ces récitatifs n'était pas
très claire. Parfois, il s'agissait d'une explication de ce qui allait être
développé dans la danse, et parfois, et à vrai dire le plus souvent, la
narration était concentrée dans ces récitatifs et la danse perdait son
caractère narratif et se transformait en surplace émotionnel à la manière
des airs d'opéra baroque... Néanmoins, ce fut une très belle pièce de
bharatanatyam !
2013-10-31 14:15+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Opéra — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Cité de la musique — 2013-10-05
Françoise Lasserre, direction musicale et conception du projet
François Rancillac, mise en scène
Sabine Siegwalt, dramaturgie, scénographie et costumes avec la collaboration de Parvesh & Jai
Charlotte Delaporte, assistanat de la mise en scène et travail du mouvement
Dominique Fortin, lumière
Baptiste Chapelot, direction technique
Madhup Mudgal, composition du prélude
Arushi Mudgal, danse odissi
Dávid Szigetvári, Orfeo
Claire Lefilliâtre, Musica, Messagiera
Nitya Urbanna Vaz, Euridice
Dagmar Saskova, Ninfa
Aude Priya, Proserpina
Jean-Christophe Clair, Speranza, Pastore, Spirito
Jan Van Elsacker, Pastore, Spirito
Johannes Weiss, Pastore, Spirito
Hugo Oliveira, Caronte, Pastore, Spirito
Geoffroy Buffière, Plutone
Akadémia
Laurent Stewart, clavecin
Emmanuel Mandrin, orgue
Thomas Dunford, archiluth, guitare
Quito Gato, théorbe, guitare
Flora Papadopoulos, harpe triple
Lucas Peres, lirone
Sylvia Abramowicz, ténor de viole
Sylvie Moquet, basse de viole
Yuka Saïto, basse de viole
Matthieu Lusson, violone
Flavio Losco, Jose Manuel Navarro, violons
Etienne Mangot, violoncelle
Frithjof Smith, Josue Melendez, cornets
Claire Michon, Michel Quagliozzi, flûtes
Thierry Gomar, percussion
Murad Ali, sarangi
Sanjeev & Ashwani Shankar, shehnai
Mithilesh Jha, tabla
Mohan Shyam Sharma, pakhawaj
Michel & Marie-Thérèse Guay, tanpura
Neemrana Vocal Ensemble
Nadya Balyan, chef de chœur
Sparsh Bajpal, Priyanka Mukherjee, Ashwani Parameshwar, Ramya Roy, sopranos
Nadya Balyan, Isabelle Faure Jaitly, altos
Prabhat Chandola, ténor
Bhanu Sharma, basse
Antoine Redon, producteur exécutif pour la Fondation Neemrana
Valérie Déal, régie surtitrage
Orfeo par-delà le Gange (Monteverdi)
Depuis son passage au Musée Guimet il y a un an, j'avais bien retenu le nom de la danseuse Arushi Mudgal. Ainsi, lors de la sortie de la brochure 2013/2014 de la Cité de la musique, quand je vis qu'elle participerait avec d'autres artistes indiens à une production de l'opéra Orfeo de Monterverdi, j'incluai immédiatement ce spectacle à mon abonnement.
Le spectacle a commencé par un prélude magnifiquement dansé par Arushi Mudgal sur une musique de son père Madhup Mudgal. Sa danse était au début très lente, comme souvent dans le style odissi, ce qui permet de bien apprécier les moindres mouvements de mains, et puis elle s'est accélérée tandis que la danseuse se transformait en Shiva-Nataraja, le danseur cosmique dont les pas sont rythmés par son tambour Damaru. Cette danse très virile valait à elle seule le déplacement ! La raison de cette évocation de Shiva dans ce spectacle intitulé Orfeo par-delà le Gange était évidemment qu'il joue un rôle majeur dans la descente de la déesse Ganga sur terre, puisqu'après avoir été emprisonnée dans la chevelure de Shiva, Ganga peut finalement jaillir. Après que la danseuse a représenté cette descente de Ganga, l'action s'est déplacée au bord de la rivière. La danseuse évoque alors des rites effectués par les dévôts comme l'offrande de feu (aarti). Après avoir évoqué les divers personnages impliqués, la danseuse prend résolument la forme d'un personnage féminin, celui qu'elle incarnera jusqu'à la fin du spectacle. La fin de ce prélude (dont la danse est très étrangement influencée par la danse kathak) est marquée par l'intrusion du personnage d'Orfeo, qui, habillé en costume européen, comme venu d'un autre univers, enlace impulsivement cette Eurydice indienne sans son consentement.
La musique indienne laisse alors la place à la musique de Monteverdi (sans la fanfare qui aurait quelque peu cassé l'ambiance). Je suis alors très impressionné par l'ensemble Akadémia dirigé par Françoise Lasserre, et plus encore par la chanteuse Claire Lefilliâtre qui incarne le rôle de la Musique. Que son chant est beau et délicieusement ornementé...
J'ai trouvé la mise en scène sans artifice très bien menée. Le projet
prend tout son sens dans la deuxième partie du spectacle quand Orphée
descend aux Enfers. Sur sa route, il rencontre Charon, qui est habillé en
brâhmane et porte les marques sectaires shivaïtes. Les spectateurs des
premiers rangs peuvent humer d'abondantes vapeurs d'encens. L'entrée au
royaume de Pluton se fait sur une musique rituelle des temples d'Inde
(jouée par deux shehnai, la variante nord-indienne du
nadaswaram). Orphée entre en fait dans un temple de Shiva et la
divinité est conforme à l'iconographie traditionnelle : il porte bien sûr
un chignon tressé, un serpent est enroulé autour de son cou et son
apparence est aussi conforme à l'épithète de Nilakantha (celui qui a la
gorge bleue, référence au mythe du barattage
de la mer de lait). De façon plus étrange, ses mains sont aussi peintes
en bleu et il semble qu'il porte un cordon sacré réservé aux deux fois
nés
(comme les brâhmanes).
Ne connaissant pas très bien l'œuvre de Monteverdi, j'ai été très étonné par le caractère secondaire du rôle d'Eurydice. Elle doit avoir au plus deux ou trois répliques ! Alors que dans la version de Gluck, elle est en quelque sorte co-responsable avec Orphée de l'issue fatale (dans la version sans happy ending), puisqu'en disant à Orphée à quel point elle est désespérée de ne pas le voir tourner son regard vers elle, elle l'incite à enfreindre la condition qu'il devait respecter pour retrouver Eurydice. Chez Monteverdi, Eurydice est muette et Orphée est seul responsable de sa triste fin, emporté par les furies, avant que les musiciens de l'ensemble Akadémia ne soient rejoints par le son des tampuras indiens.
Du point de vue vocal, ma plus forte impression est venue comme je l'ai dit plus haut de Claire Lefilliâtre, et aussi de l'interprète du rôle d'Orfeo (Dávid Szigetvári), mais les autres chanteurs (qu'ils soient solistes ou du Neemrana Vocal Ensemble) ont également fait de très belles prestations.
Ailleurs : Bladsurb.
2013-10-19 13:30+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Opéra — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
J'ai déjà eu l'occasion de revenir sur des spectacles de juin et juillet vus à Budapest (Blanche Neige, Hámos Júlia, Isabelle Druet, Parsifal, Die Meistersinger von Nürnberg), à Montpellier, Salzburg ou München, mais quelques autres n'avaient pas encore fait l'objet d'un compte-rendu, fût-il succint. Il n'est jamais trop tard...
Salle Pleyel — 2013-06-02
Orchestre Colonne
Laurent Petitgirard, direction
Der Freischütz, ouverture (Weber)
Le Chasseur Maudit (Franck)
Guillaume Tell, ouverture (Rossini), extraits
Un charmant et court concert dans lequel de très jeunes spectateurs furent invités à diriger des extraits de l'ouverture de Guillaume Tell de Rossini. Cela valait surtout le déplacement pour Le Chasseur Maudit de César Franck ; sinon, je ne me serais pas levé aussi tôt un dimanche matin !
⁂
59 Rivoli — 2013-06-02
Célinn et l'Arbre des Songes
Ce concert avait lieu dans un endroit inattendu, le 59 Rivoli, un squat d'artistes légalisé. J'y étais allé pour écouter l'octuor Célinn et l'Arbre des Songes dont fait partie ma prof de chant dhrupad. Le programme était entièrement constitué de compositions de chant dhrupad arrangées par Pierre Tereygeol. L'écoute fut aussi plaisante qu'étonnante. Le plus surprenant fut pour moi l'utilisation des instruments à vents dans la composition Paravati en Raga Puriya (cf. les extraits chantés Nirmalya Dey).
⁂
Opéra Garnier — 2013-06-03
Vello Pähn, direction musicale
Orchestre de l'Opéra national de Paris
Ballet de l'Opéra
Igor Stravinski, musique (Suite pour orchestre, 1919)
Maurice Béjart, chorégraphie
Costumes d'après les maquettes de Joëlle Roustan
Roger Bernard, lumières
Mathias Heymann, L'Oiseau de feu
Allister Madin, L'Oiseau Phenix
L'Oiseau de feu
Claude Debussy, musique (Prélude à l'Après-midi d'un faune, 1894)
Vaslav Nijinski, chorégraphie (1912) réglée par Ghislaine Thesmar
Léon Bakst, décors et costumes
Jérémie Bélingard, Le faune
Eve Grinsztajn, La nymphe
L'Après-midi d'un faune
Claude Debussy, musique (Prélude à l'Après-midi d'un faune)
Jerome Robbins, chorégraphie (1953) réglée par Jean-Pierre Frohlich
Jean Rosenthal, décor et lumières
Irene Sharaff, costumes
Perry Silvey, réalisation lumières
Myriam Ould-Braham, Mathias Heymann
Afternoon of a Faun
Maurice Ravel, musique (1928)
Sidi Larbi Cherkaoui, Damien Jalet, Marina Abramovič, conception
Sidi Larbi Cherkaoui, Damien Jalet, chorégraphie
Marina Abramovič, scénographie
Riccardo Tisci, costumes
Urs Schonebaum, lumières
James O'Hara, Emilios Arapoglu, assistants des chorégraphes
Aurélie Dupont, Marie-Agnès Gillot, Alice Renavand, Muriel Zusperreguy, Letizia Galloni
James O'Hara, Vincent Chaillet, Marc Moreau, Alexandre Gasse, Daniel Stokes, Adrien Couvez
Boléro
Il aura fallu que je voie trois fois ce programme de ballets pour trouver la distribution idéale. Les conditions idéales sont réunies le soir de la dernière. Tout d'abord, l'orchestre est en très grande forme, ce qui n'a pas été le cas tous les soirs. Dans L'Oiseau de feu de Béjart, Mathias Heymann a été tout simplement extraordinaire le soir de cette dernière représentation. Dans le corps de ballet, François Alu se distinguait aussi, comme à chacune de ses apparitions...
Jérémie Bélingard dansait dans L'Après-midi d'un faune de Nijinski. Son interprétation fut sans doute plus terre à terre que celle de Nicolas Le Riche, mais je l'ai préférée.
Alors qu'Afternoon of a Faun de Jerome Robbins m'avait paru inintéressant et ennuyeux au possible avec d'autres interprètes, Myriam Ould-Braham et Mathias Heymann en ont livré une interprétation passionnante ! Myriam Ould-Braham utilise ses cheveux d'une façon très sensuelle et certaines ondulations de pieds suggèrent un décor aquatique au jeu du faune et de la nymphe.
Pour finir, je n'ai pas été passionné par le Boléro de Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet. Les costumes et le maquillage transformaient les danseurs en des créatures indifférenciées, anonymes. Aucune progression dans la tension à l'approche de la fin de la musique. C'était cela dit assez joli à regarder, surtout grâce à la scénographie de Marina Abramovič comportant un grand miroir permettant d'avoir une vue de dessus de la scène et ainsi d'apprécier les mouvements de rotation. Lors de cette dernière cependant, beaucoup de balletomanes présents n'ont eu d'yeux que pour James O'Hara (qui remplaçait Jérémie Bélingard dans ce ballet). Alors que les autres danseurs pouvaient parfois donner l'impression de retenir leurs mouvements, James O'Hara semblait s'abandonner complètement dans la danse, rendant la chorégraphie bien plus convaincante !
⁂
Salle Pleyel — 2013-06-06
Philippe Aïche, violon solo
Orchestre de Paris
Yutaka Sado, direction
Divertissement pour orchestre de chambre (Ibert)
Boris Berezovsky, piano
Variations sur un thème de Paganini, pour piano et orchestre, op. 43 (Rachmaninov)
Chœur de l'Orchestre de Paris
Lionel Sow, chef de chœur
Luisa Miller (Ouverture), Verdi
I Lombardi alla Prima Crociata (Gerusalem!, O Signore, dal tetto natio), Verdi
Ernani (Esultiamo), Verdi
Il Trovatore (Le fosche notturne spoglie), Verdi
Nabucco (Ouverture, Gli arredi festivi, Va, pensiaro, sull'ali dorate), Verdi
Aida (Marche des trompettes), Verdi
Ce fut un très beau concert ! Un chef survolté (Yutaka Sado), un
pianiste superlatif (Boris Berezovsky), de très beaux chœurs de Verdi, et
pour conclure le concert, un renfort de six trompettes (à la forme
inhabituelle) pour le bis attendu : la Marche des Trompettes
d'Aïda.
⁂
Théâtre des Champs-Élysées — 2013-06-08
Erin Wall, soprano
Mark Padmore, ténor
Hanno Müller-Brachmann , baryton
Maîtrise de Radio France
Sofi Jeannin, chef de chœur
Chœur Symphonique de Birmingham
Simon Halsey, chef de chœur
Orchestre Symphonique de Birmingham
Andris Nelsons, direction
War Requiem, Britten
J'ai pris un énorme plaisir à découvrir ce War Requiem de Britten, dirigé par Andris Nelsons, un chef dont j'avais déjà eu l'occasion d'apprécier le travail dans Tristan et Isolde. J'ai apprécié les délicieuses dissonances présentes dans cette œuvre qui me donnait l'impression d'être parfois modale, parfois chromatique. La qualité du texte (et de ses interprètes, notamment Mark Padmore) est aussi à souligner...
⁂
Salle Pleyel — 2013-06-18
Jerusalem Quartet
Alexander Pavlovsky, violon
Sergei Bresler, violon
Ori Kam, alto
Kyril Zlotnikov, violoncelle
Quatuor à cordes nº1 en ut mineur, op. 51 nº1 (Brahms)
Amihai Grosz, alto
Quintette à cordes nº1 en fa majeur, op. 88 (Brahms)
Quatuor à cordes nº3 en si bémol majeur, op. 67 (Brahms)
Salle Pleyel — 2013-06-19
Jerusalem Quartet
Alexander Pavlovsky, violon
Sergei Bresler, violon
Ori Kam, alto
Kyril Zlotnikov, violoncelle
Quatuor à cordes nº2 en la mineur, op. 51 nº2 (Brahms)
Amihai Grosz, alto
Ohad Ben Ari, piano
Sonate pour alto et piano nº1 en fa mineur, op. 120 nº1 (Brahms)
Quintette à cordes nº2 en sol majeur, op. 111 (Brahms)
Ces deux concerts du Jerusalem Quartet concluaient une série de huit concerts de musique de chambre de Brahms (cf. épisodes précédents #1/#2 #3/#4 et #5/#6). De ces deux concerts, je retiens surtout sa magnifique conclusion avec le quintette à cordes nº2. Je retiens également l'indécence quasi-pornographique que peut revêtir l'interprétation d'une corde à vide par un violoncelliste.
⁂
Théâtre des Champs-Élysées — 2013-06-20
Anna Caterina Antonacci, Pénélope
Roberto Alagna, Ulysse
Vincent Le Texier, Eumée
Edwin Crossley-Mercer, Eurymaque
Marina de Liso, Euryclée
Julien Behr, Antinoüs
Sophie Pondjiclis, Cléone
Jérémy Duffau, Léodès
Khatouna Gadelia, Mélantho
Marc Labonette, Ctésippe
Antonin Rondepierre, Le Pâtre
Chœur Lamoureux
Patrick Marco, chef de chœur
Orchestre Lamoureux
Fayçal Karoui, direction
Pénélope, Fauré
Effet Alagna oblige, le Théâtre des Champs-Élysées était très plein. Cependant, si Roberto Alagna (Ulysse) m'a fait une très bonne impression dans cette œuvre très wagnérienne de Fauré, l'héroïne de la soirée a indiscutablement été Anna Caterina Antonacci (Pénélope).
⁂
Gare au Théâtre, Vitry-sur-Seine — 2013-06-22
Chœur et orchestre du Balkansambl
Sophie Ménissier, chorégraphie
Khizim (Danses d'inspirations tsiganes)
Elise Kusmeruck, violon
À un jet de pierre de la gare de Vitry-sur-Seine se trouve une salle de
spectacle où se tenait ce jour-là une journée tzigane. J'ai ainsi pu
entendre avec plaisir le Chœur et orchestre du Balkansambl interpréter des
chansons dans des langues qui ne sont pas vues d'un très bon œil en ce pays
par les gouvernements récents... Un groupe de danseuses se sont jointes par
la suite à l'ensemble pour interpréter Khizim, un ballet que j'ai
trouvé extrêmement bien conçu et interprété. La mise en scène était
remarquable. Je n'avais vraiment pas l'impression d'assister à un spectacle
amateur
! Le ballet comportait des ensembles dans lesquels étaient
insérés des solos de danseuses évoquant des destins individuels de femmes.
Le récital de la violoniste Elise Kusmeruck m'a un peu moins intéressé dans
la mesure où la plupart des morceaux joués avec quelques autres musiciens,
s'ils étaient très rapides et indéniablement virtuoses, étaient aussi un
peu trop répétitifs à mon goût.
⁂
Centre Jean Bosco — 2013-06-30
Élèves de Jyotika Rao, bharatanatyam
Invocation de Saraswati, Durga et Lakshmi
Alarippu
Saraswati Kautwam
Shiva Kautwam
Shabdam
Rangadwara
Toreyamangalam (?)
Tillana
J'ai assisté au spectacle de fin d'année des élèves de la prof de bharatanatyam de l'association où je prends des cours de dhrupad (et où je prends aussi des cours de bharatanatyam depuis la semaine dernière...). Le programme avait la structure formelle d'un récital. Avant chaque pièce, pour permettre aux spectateurs d'en comprendre le sens, une danseuse montrait les mouvements les plus significatifs. La plupart des chorégraphies étaient exécutées de façon synchronisées par deux danseuses. Le programme comportait aussi un Alarippu en l'honneur de Ganesh exécuté par trois très jeunes danseuses, et deux solos : un Saraswati Kautwam qui était dansé sur un rythme particulièrement vif et une pièce narrative élaborée apparemment intitulée Shabnam évoquant les espiègleries de Krishna. Dans cette pièce, j'ai particulièrement apprécié la façon de représenter Vishnu sous le nom de Padmanabha, c'est-à-dire qu'alors qu'il est couché, de son nombril émerge un lotus sur lequel Brahma est assis. Même si elle n'a pas dansé de pièce narrative, j'ai revu avec grand plaisir l'élève la plus avancée qui m'avait tant impressionné il y a quelques mois. Que j'ai hâte qu'il lui soit donné la possibilité de donner un récital !
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Opéra Bastille — 2013-07-04
Carolyn Carlson, chorégraphie
Olivier Debré, décors et costumes
René Aubry, musique
Patrice Besombes, lumières
Colette Malye, assistante de la chorégraphe
Ballet de l'Opéra
Émilie Cozette, Hervé Moreau
Signes
Assister à ce ballet à été un supplice pour moi. La musique et la chorégraphie répétitives m'ont beaucoup ennuyé. Même le tableau Les couleurs de Maduraï m'a déplu... Je n'ai pas vraiment vu le rapport avec cette ville d'Inde.
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Centre d'animation de la Place des Fêtes — 2013-07-05
Élèves de l'association Triloka, bharatanatyam
Kalaimmamani MK Saroja, chorégraphies
Smt. Lavanya Ananth, chorégraphies
Subramanyam Kautwam (chorégraphie de MK Saroja)
Nritanjali (chorégraphie de Lavanya Ananth)
Shiva Kirtanam (chorégraphie de Lavanya Ananth)
Varnam (chorégraphie de MK Saroja)
Madhura Ashtakam (chorégraphie de Lavanya Ananth)
Ambashtuti (chorégraphie de Lavanya Ananth)
Tillana (chorégraphie de MK Saroja)
Il s'agissait du spectacle de fin d'année des élèves de bharatanatyam de Shalini (association Triloka). Les chorégraphies étaient de Smt. MK Saroja ou de Lavanya Ananth. Presque toutes les pièces étaient dansées de façon synchronisée par un ensemble de danseuses d'effectif variable. Beaucoup de pièces de danse pure, mais aussi quelques pièces évoquant certaines divinités. La multiplicité des danseuses n'est exploitée d'un point narrative que dans certains passages du Varnam et en particulier dans sa fin qui m'a beaucoup ému : l'union de Shiva et Meenakshi est célébrée tandis que Vishnu, placé en retrait avec deux spectateurs assiste à la scène. Le niveau des danseuses était globalement bon, voire très bon, mais dans les ensembles, une d'entre elles m'a sidéré par la beauté, l'exactitude et la vérité de ses mouvements. Quand elle mimait les mouvements de prêtres lors de l'aarti (offrande du feu), j'avais vraiment l'impression d'y être !
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Place Stalingrad — 2013-07-07
Vasantha, “bharatanatyam”
Sharmila Sharma, kathak
Tulika Srivatsava, odissi
Revati, odissi
La société internationale pour la conscience de Krishna organisait un simulacre de la fête de Rath Yatra (qui se déroule à Puri, dans l'état indien d'Odisha). Place Stalingrad, en attendant que le char arrive, une petite scène était installée. La partie “bharatanatyam” ne méritait pas ce nom, puisque c'était plutôt du Bollywood... La danse kathak était plus convaincante. Des deux danseuses d'odissi, j'ai préféré la deuxième interprète, Revati, extrêmement gracieuse dans cette danse dont la lenteur permet d'apprécier les moindres détails des mouvements.
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Opéra Garnier — 2013-07-15
Pierre Lacotte, adaptation et chorégraphie
Jean-Madeleine Schneitzhoeffer, musique
Ludwig Wilhelm Maurer, musique du pas de trois de l'acte I
Adolphe Nourrit, livret
Marie-Claire Musson, décors d'après Pierre Ciceri
Michel Fresnay, costumes d'après Eugène Lami
Philippe Hui, direction musicale
Amandine Albisson, La Sylphide
Florian Magnenet, James
Valentine Colasante, Effie
Stéphane Phavorin, La Sorcière
Mickaël Lafon, Gurn
Natacha Gilles, La Mère d'Effie
Laurène Levy, Marc Moreau, Pas de deux des Écossais
Laurène Lévy, Laura Hecquet, Marie-Solène Boulet, Trois Sylphides
Ballet de l'Opéra
Orchestre de l'Opéra national de Paris
La Sylphide, ballet en deux actes d'après Philippe Taglioni
Pour moi, la Sylphide, c'est Amandine Albisson. Bien sûr, j'ai été très impressionné par Evgenia Obraztsova (et moins par Mélanie Hurel et Ludmila Pagliero). Le premier acte de ce ballet me plait toujours autant (j'aurai assisté au total à cinq représentations de la série !). Avec d'autres interprètes qu'elle, le deuxième acte (blanc) a eu tendance à m'ennuyer du fait de se narration plus ténue, mais Amandine Albisson, par ses qualités d'expression m'a autant passionné dans ce deuxième acte.
La représentation du 15 juin était la dernière de Stéphane Phavorin en
tant que premier danseur de l'Opéra. Il a encore une fois été magnifique
dans le rôle de la Sorcière. Ayant eu la possibilité de prendre une place
dans la loge de l'Impératrice
, je lui lancé un bouquet lors des
saluts enthousiastes du public à son égard. J'avoue que je ne suis pas
mécontent qu'il ait donné ce bouquet à Amandine Albisson...
Stéphane Phavorin ©Isabelle Aubert
Amandine Albisson, Stéphane Phavorin, Florian Magnenet ©Isabelle Aubert
Merci à la photographe !
Ailleurs : Les Balletonautes.
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Centre Mandapa — 2013-07-18
Hakilée Tula, kathak
Magali-Uma, bharatanatyam
Guruvandana (chorégraphie de Jai Kishan Maharaj)
Nritta Tintal Vilambit
Louange à Murugan (chorégraphie de MK Saroja)
Alarippu (chorégraphie de Vidya et MK Saroja)
Ardhanarishwara
Ambashtuti (chorégraphie de MK Saroja)
Thumri
Nritta Tintal
Ce programme associait de façon curieuse deux danseuses de styles très différents : bharatanatyam et kathak. De la partie bharatanatyam, je retiens surtout un passage extrêmement impressionnant dans le premier jati d'Ambashtuti (une telle vigueur est du jamais vu pour moi) ; le deuxième jati était au contraire dans un genre plus gracieux. De la partie kathak, je retiens le Tumri évoquant le réveil de Radha ayant le sentiment d'être délaissée par Krishna, un thème souvent traité dans le bharatanatyam et que je voyais pour la première fois mis en scène dans la danse kathak.
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Théâtre des Bouffes du Nord — 2013-07-24
Vincent Planès, piano
Roger Padullès, Tamino
Dima Bawab, Pamina
Malia Bendi Merad, La Reine de la Nuit
Betsabée Haas, Papagena
Thomas Dolié, Papageno
Vincet Pavesi, Sarastro
Alex Mansoori, Monostatos
Abdou Ouologuem, magicien
Jean Dauriac, figuration
Peter Brook, mise en scène
Peter Brook, Franck Krawczyk, Marie-Hélène Estienne, adaptation
Christophe Capacci, conseiller artistique
Philippe Vialatte, lumières
Une Flûte Enchantée, librement adaptée d'après la partition de Mozart et le livret de Emanuel Schikaneder
J'avais été émerveillé par le travail de Peter Brook quand j'avais assisté à la création de sa Flûte enchantée en 2010. En en faisant l'expérience à nouveau avec une distribution différente, j'ai passé un très bon moment, mais je n'ai pas été autant ému que lors de la première. La surprise engendrée par certains choix du metteur en scène ne fonctionne plus aussi bien avec moi, malheureusement, et ce indépendamment de la qualité des interprètes.
2013-09-22 16:51+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Auditorium du Musée Guimet — 2013-09-21
Janaki Rangarajan, bharatanatyam, chorégraphies
Smt. Nandini Sharma Narayanan, chant
Vedakrishnaram, mridangam
Prasanna Kumar, nattuvangam
Kandadevi Vijay Raghavan, violon
Samviksana — une exploration
Alarippu
Shivoham
Varnam
Kuruyadunandana
Tillana
Samedi, pendant que les balletomanes parisiens assistaient à la première de la reprise de La Dame aux camélias à l'Opéra de Paris, j'allais à l'auditorium du Musée Guimet pour la deuxième représentation du récital de bharatanatyam de Janaki Rangarajan, intitulé Samviksana — une exploration. En visionnant des extraits du DVD Rasaanubhavan, je me disais que si elle dansait comme sur la vidéo, elle entrerait certainement dans le club très fermé de mes danseuses de bharatanatyam préférées. Cela n'a pas loupé, bien qu'elle ait dansé des pièces toutes différentes.
Le récital a commencé par un Alarippu, une pièce de danse pure dans laquelle les mouvements de la danseuse se sont faits progressivement de plus en plus rapides, suivie de Shivoham, une chorégraphie accompagnant un texte philosophique non-dualiste d'Adi Shankara ; si le sens du texte ne m'est pas complètement étranger, son expression chorégraphique m'a quelque peu échappé.
Je n'ai en revanche pas eu de problème pour comprendre le sens du Varnam, la pièce principale du récital. La musique est de Ponnayya Pillai (XIXe siècle) et la chorégraphie est de la danseuse. Comme beaucoup de Varnam, celui-ci représente une héroïne (nayika) qui se languit d'une divinité, en l'occurrence Shiva, sous le nom de Brihadesvara, lequel réside dans le grand temple de Tanjore :
Le Varnam est divisé en plusieurs séquences. Au début de chacune d'entre elles, la danseuse règle son tempo avec des frappes de pieds et des mouvements d'yeux. Ceci est la préparation pour un jati, une suite de pas de danse pure accompagnée ici soit par des onomatopées rythmiques soit par des swaras, c'est-à-dire des notes dont le nom (Sa, Re, Ga, Ma, Pa, Dha, Ni) est prononcé par la chanteuse. J'apprécie tout particulièrement la transition intervenant à la fin des jatis où le rythme s'efface en faveur de la mélodie. En Inde, le public applaudit souvent les jatis, ce qui gâche le plaisir musical que devrait me procurer cette transition. Quand la mélodie du violon et du chant reprend le dessus, on passe de la danse pure à la danse narrative, la composante de la danse que je préfère (qu'il s'agisse de danses indiennes ou non...).
Les parties narratives étaient de deux sortes. Les plus nombreuses évoquaient les sentiments de la nayika. Tantôt dévôte, elle éxecute des rituels shivaïtes (magnifiquement accompagnés par le son du violon), tantôt amoureuse, elle supplie Shiva de la rejoindre. L'amour est évoqué par l'éclosion de lotus, le butinement des abeilles, et semble-t-il l'évocation de couples d'oiseaux. Les qualités d'expression de la danseuse sont un véritable délice (et ce d'autant plus que j'avais pu prendre place au premier rang). Totalement submergée par ses sentiments, ardente, elle souffre de l'absence de Shiva. Sa nourriture perd tout son goût et lui paraît insupportable. Plus tard, on la voit se faire belle puis être exaucée. Dans les dernières scènes, à nouveau seule, sa tristesse relative sera associée à l'expression d'un certain contentement.
Les quelques scènes qui n'étaient pas centrées sur les sentiments de l'héroïne évoquaient des exploits de Shiva. Le plus impressionnant racontait une légende associant le sage Markandeya, le dieu de la mort Yama et Shiva. La littérature sanskrite évoque Yama comme étant armé d'un lacet dont il se sert pour retirer la vie. La danseuse a ainsi représenté Yama arrivant par la droite de la scène, elle a mis en valeur son terrifiant lacet qu'il a lancé vers le côté opposé, où le jeune Markandeya a été représenté en train de se débattre avec le lacet fermement enroulé autour du cou. Shiva est alors intervenu pour le sauver en récompense de sa dévotion. (Il faut remercier la voix-off Isabelle Anna d'avoir dit quelques mots à ce propos dans sa présentation du Varnam : ce qui m'a semblé limpide m'aurait sans doute paru incompréhensible sans cette explication préalable.) Dans une autre scène, il m'a semblé (mais je peux me tromper) que la danseuse évoquait le rôle de Shiva dans le mythe du barratage de la mer de lait qui lui vaut le nom de Nilakantha (celui qui a la gorge bleue) : quand il avale le poison qui allait détruive l'univers, celui-ci s'arrête au niveau du cou et lui laisse une marque bleue. D'autres attributs de Shiva ont aussi été représentés, comme la peau de tigre ou le troisième œil pouvant réduire ses ennemis en cendres.
Je n'ai pas compté le nombre de passages narratifs dans ce Varnam très élaboré : il y en a eu tellement ! Bien que centré sur la situation classique de la nayika se languissant d'une divinité, la palette de couleurs émotionnelle (rasas) utilisée dans ce Varnam est très riche ! Les jatis ont également été très nombreux. Ces passages rythmiques ont été très variés et exécutés avec une grande musicalité. Leur virtuosité, réelle, n'était pas écrasante puisque chacun de ces jatis était plutôt bref. L'ensemble m'a paru très harmonieux, entre la vivacité des mouvements des bras et des frappes de pieds (particulièrement appuyées dans les postures plus masculines) et l'insertion tout en fluidité de poses très courbes. Rarement un Varnam ne m'aura autant émerveillé et ému...
La pièce suivante Kuruyadunandana est narrative. Le texte est tiré du dernier chant du Gîta-Govinda de Jayadeva évoquant les amours Radha et Krishna. Pendant presque toute la durée de la pièce, Radha est assise ou allongée de façon lascive sur la scène. Le travail de la danseuse dans l'expression, jusque dans les moindres détails, est superbe, comme lorsqu'un sourcil de Krishna est animé d'un mouvement quand il aide Radha à se maquiller, à tresser ses cheveux ou à les arranger en chignon.
Le récital se termine avec un Tillana qui m'a semblé assez original. D'une part, les syllabes utilisées par la chanteuse sont les noms des notes de la gamme indienne, ce qui est inhabituel dans ce type de pièces, et d'autre part, la gestuelle de la danseuse et ses mouvements dans l'espèce scénique me semblent aussi sortir de l'ordinaire. La pièce se conclut sur un mantra suivi de la syllabe Om.
L'accueil du public ayant été très chaleureux, la danseuse a prononcé quelques mots, exprimant à quel point elle aimait Paris et son public. La prochaine fois, elle essaierait de le dire en français, même si elle ne se sent pas assez intelligente pour cela (elle est pourtant docteure en génétique moléculaire). Enfin, elle a dansé une pièce supplémentaire de danse pure accompagnée des onomatopées rythmiques du nattuvanar.
Ailleurs : Danzine.
2013-04-07 16:32+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Centre d'animation de la Place des Fêtes — 2013-04-05
Surya & Vanishree, bharatanatyam
Kalaimmamani MK Saroja, chorégraphies
Muthuswamy Pillai, chorégraphie de Jatiswaram Mallika
Sangeeta Isvaran, chorégraphie de Bho Shambho
Vidya, adaptation des chorégraphies pour duo
Geneviève Motard, lecture des textes
Subramanyam Kautwam
Mathura Mathura
Jatiswaram Mallika
Netrandi Neretille
Bho Shambho
Yen Palli Kondir
Tillana Mohana
N'étant pas disponible pour la deuxième représentation de ce programme prévue au Centre Mandapa le 20 avril, j'ai fait la connaissance des escalators géants de la Place des Fêtes pour voir ce duo de bharatanatyam au Centre d'animation voisin. La présentation de ce spectacle est très soignée. Chaque pièce est introduite par une lecture convaincante des textes poétiques qui seront illustrés sur scène. Le nom des chorégraphe est aussi donné. Toutes ces informations sont d'ailleurs dans la feuille distribuée à l'entrée. Sur le papier, le programme était vraiment très alléchant. Je m'attendais à être bouleversé, mais je n'ai trouvé ce spectacle que bon. En effet, comme pour le spectacle de Priya Venkataraman vu il y a quelques jours, les deux danseuses Surya et Vanishree ne dansent ensemble pour ainsi dire que dans les pièces de danse pure ; le duo introductif Subramanyam Kautwam était le seul duo comportant une part narrative. Les chorégraphies prévues pour une danseuse soliste ont été adaptées pour un duo par Vidya. Ce travail d'adaptation est néanmoins assez intéressant. Le plus souvent, les deux danseuses exécutent les mêmes mouvements, mais le duo explore diverses combinaisons de symétries. Parfois, elles sont côte à côte et exécutent exactement les mêmes mouvements, parfois c'est comme s'il y avait un miroir au milieu de la scène. D'autres fois, l'une est de face tandis que l'autre est de dos. Les symétries sont parfois pensées dans le temps plutôt que dans l'espace, une danseuse exécutant les mêmes mouvements que l'autre avec un retard volontaire, comme en écho. Ces pièces de danse pure sont rafraîchissantes et les mouvements des bras et des mains, très affutés, sont parfaitement synchronisés avec la musique.
Je n'ai pas été totalement convaincu par les pièces ayant une composante narrative. Les chorégraphies font davantage allusion à des épithètes caractérisant les divinités qu'elles ne racontent une histoire ayant une certaine unité. Les strophes choisies évoquent en un nombre réduit de mots de nombreux faits associés à une divinité. D'une part certains vers sont répétées ce qui induit des répétitions (avec des variations) dans la chorégraphie, et d'autre part il est difficile à la danseuse de représenter tout ce que dit le texte de façon convaincante. J'ai eu le sentiment que beaucoup d'éléments narratifs étaient présents de façon trop furtive dans les chorégraphies. Alors que je connais très bien les histoires qui étaient racontées, bien souvent je n'étais pas tout à fait sûr de savoir où on en était... Ces difficultés, qui viennent à mon avis davantage des chorégraphies que des interprètes, se posaient moins dans les pièces dansées par Vanishree que dans celles dansées par Surya (Netrandi Neretille mettant en scène les amours de Murugan et Yen Palli Kondir évoquant Vishnu par l'image du dieu couché sur le serpent Ananta et par les exploits de son avatar Rama). Dans Mathura Mathura dansé par Vanishree, j'ai aimé l'apparition de l'archer Kama, le dieu de l'amour qui était nommé Madana dans le texte chanté. J'ai été tout étonné de reconnaître les gestes de mains qui signifient que les yeux de Krishna sont la soleil et la lune. Parmi les originalités de la chorégraphie ou de son interprétation, j'ai apprécié que la danseuse approfondisse la pose traditionnelle représentant Krishna comme flûtiste. Je crois en effet que c'est la première fois que je vois une danseuse agiter délicatement ses doigts pour mieux signifier que Krishna joue d'une flûte.
La pièce la plus convaincante du récital était à mon avis Bho Shambho, dansée par Vanishree. Je suis toujours ravi d'entendre cette musique en hommage à Shiva dans un récital de bharatanatyam. Je pense avoir déjà vu des chorégraphies et interprétations illustrant de façon plus frappante l'aspect viril de cette divinité. Toutefois, je me suis délecté des passages évoquant son tambour Damaru, son œil foudroyant, la descente de la déesse fluviale Ganga, etc. La fin de la pièce dans laquelle la danseuse tourne rapidement sur elle-même en récapitulant les divers aspects de Shiva était très impressionnante.
2013-03-31 21:41+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Espace Reuilly — 2013-03-31
Priya Venkataram et ses danseurs, bharatanatyam
Malari
Vidyadhara
Ashtapati
Anandanatanaprakash
Tillana
J'ai assisté pour la première fois à un spectacle de ballet de danse bharatanatyam, organisé par l'Ambassade de l'Inde, qui a réussi à rassembler plus de deux cents personnes à l'Espace Reuilly. Le nombre de saris et de shalwar-kameez dans le public donnerait presque l'illusion que le spectacle a lieu en Inde.
Habituellement, un spectacle de bharatanatyam est le récital d'une danseuse unique. Idéalement, la présence de plusieurs interprètes devrait permettre de faire incarner chaque personnage par un interprète différent, au lieu qu'une unique danseuse passe d'un personnage à un autre en permanence. J'ai une méfiance a priori pour les spectacles de danse indienne mettant en scène plusieurs danseurs ou danseuses en raison de la difficulté de réunir des danseurs et danseuses dont le talent soit aussi homogène qu'excellent, et non seulement dans la danse pure comme ce sera le cas dans le programme de cet après-midi mais aussi dans l'art de l'expression et de la narration...
Le spectacle présenté par le groupe de trois danseurs et quatre danseuses (parmi lesquelles Priya Venkataraman) m'a à la fois satisfait et déçu. La seule pièce véritablement narrative a été la troisième Ashtapati qui présente la coquette Radha éprise de Krishna, mais c'est un solo ! Mes espoirs de voir la multiplicité des interprètes utilisée pour soutenir la narration sont décus. À peine entrée en scène dans une pose typiquement féminine, Priya Venkataraman se métamorphose en Krishna...
Dans les autres pièces, les danseurs font essentiellement ce que l'on appelle de la danse pure, sur une musique essentiellement rythmique. La première pièce Malari et la quatrième Anandanatanaprakash évoquent des thèmes shivaïtes sans être tout à fait narratives. Les mouvements des danseurs et danseuses sont synchronisés ou asymétriques et leur placement sur scène est précis. Cela me rappelle parfois des scènes du corps de ballet de l'Opéra de Paris... Les danseuses mettent l'accent sur les poses typiquement féminines, ce que ne font pas les danseurs dont la danse aurait sans doute pu être plus masculine pour la représentation de Shiva.
Dans ce qu'ils font, les sept danseurs et danseuses sont très convaincants, quoique cela reste de la danse pure et que les mudras ne soient pas toujours exécutés de la même façon par les différents interprètes, tel doigt étant tendu chez l'une et replié chez l'autre. La fin de la première pièce est particulièrement saisissante : sur une musique dont la partie vocale est un shloka, un danseur et une danseuse représentent de très belle façon le couple Shiva-Parvati.
À mon avis, la plus belle pièce de ce programme a été la quatrième intitulée Anandanatanaprakash (?). Il y est encore question de Shiva, mais d'une façon un peu plus approfondie. J'ai l'habitude de voir les divers attributs de Shiva représentés par une seule danseuse. Dans ce programme, les différents aspects (le chignon tressé, son regard foudroyant, son tambour, sa danse, le croissant de lune, etc) peuvent prendre la forme de tableaux humains élaborés. Le plus beau à mon goût est celui qui représente la descente de la rivière Ganga. Trois danseuses sont sur scène. La première représente Ganga sautant du chignon de Shiva, tandis que les deux autres représentent l'écoulement de la rivière depuis les montagnes jusqu'à la plaine. Le texte chanté de la musique enregistrée et les interprètes ont également montré Shiva comme Seigneur des Arts : la poésie, la musique, la danse, la sculpture. Je me serais presque cru dans Apollon musagète.
Comme la deuxième pièce Vidyadhara qui comportait de la danse pure par différentes combinaisons de danseurs sur des musiques aux cycles rythmiques différents, la dernière pièce est un Tillana assez développé mettant en valeur les qualités individuelles et collectives des danseurs dans des mouvements rythmiques sans sens apparent. Il a fallu attendre la fin de ce Tillana pour voir une brève évocation de Krishna sur une musique mélodique dans laquelle le chanteur prononçait le nom des notes (Sargam).
Ce fut un fort beau spectacle (un peu court, à peine plus d'une heure et demie, entr'acte compris), mais j'attends davantage d'émotions d'un programme de bharatanatyam...
2012-12-27 00:17+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Théâtre de la Ville — Place du Châtelet — 2012-12-26
Akram Khan, directeur artistique, chorégraphe, interprète
Tim Yip, conception visuelle
Jocelyn Pook, conception musique
Michael Hulls, conception lumières
Histoires imaginées par Karthika Nair & Akram Khan et écrites par Karthika Nair, PolarBear & Akram Khan
Ruth Little, dramaturgie
Zoë Nathenson, direction d'acteurs
Sreya Andrisha Gazi, voix d'Eshita
Eesha Desai, voix de Jui
Animation visuelle conçue par Yeast Culture
Sander Loonen (Arp Theatre), création décor
Kimie Nakano, responsable des costumes
Fabiana Piccioli, direction technique
Nicolas Faure, création sonore
Sander Loonen, vidéo
Giles Metcalfe, régie plateau
Jose Agudo, direction des répétitions
Mashitah Omar, direction de tournée
Farooq Chaudhry, production
Desh
Quand j'étais abonné au Théâtre de la Ville, je n'arrivais jamais à obtenir de places pour les spectacles d'Akram Khan, sauf une fois, pour son duo avec Juliette Binoche. Étant allé sur le site du théâtre par hasard le jour de la mise en vente des places pour son solo Desh, j'ai pu obtenir sans aucune difficulté une place au deuxième rang. Cette place me permet d'apprécier de près les mouvements du danseur, mais perturbe quelque peu ma lecture de la fin des phrases des sous-titres du fait de la grande taille de la spectatrice assise devant moi au premier rang. A priori, les sous-titres n'étaient pas vraiment nécessaires puisque le texte anglais était très compréhensible et que le texte prononcé dans des langues indiennes n'était pas traduit (il y avait du bengali, et sans doute aussi un peu d'ourdou ou de hindi sinon je n'aurais pas eu l'impression de comprendre parfois quelques bribes).
Le danseur évoque en effet le Bangladesh, le pays natal (Desh) de son père. Le père et le fils ne se comprennent pas, le fils étant né en Angleterre. On trouve dans la pièce des références à la culture populaire du Bengale, à son cadre naturel, mais aussi à l'histoire du Bangladesh. Il est me semble-t-il notamment question de la guerre de libération du Bangladesh (quand le Pakistan oriental est devenu indépendant).
La musique est un étonnant alliage. J'ai peut-être halluciné, mais il m'a semblé entendre des chants celtiques se mélanger à des chansons bengalies. Quelques passages musicaux répétitifs dans le genre de Philip Glass aussi. Des sons d'origine urbaine sont également mixés à l'ensemble. Cette composante était particulièrement saisissante quand le danseur évoquait une rue grouillant de véhicules et de mendiants.
Comme interprète, Akram Khan paraît invraisemblablement doué. La souplesse de ses mouvements de mains m'a fait penser à ceux de Ryszard Cieślak sur cette vidéo. L'ensemble est parfois un peu trop tourbillonnant à mon goût et certaines idées sont un peu trop étirées dans le temps. Le danseur a utilisé quelques mouvements de danse indienne, mais de façon très fugitive, en dehors de deux ou trois suites de pirouettes assez typiques. J'ai parfois à peine eu le temps de me rendre compte qu'il se mettait à faire un peu kathak qu'il était déjà passé à autre chose.
Outre de la danse et la narration, l'intérêt de ce spectacle vient de la scénographie, très travaillée, et des vidéos projetées qui en quelque sorte dialoguent avec le danseur. Cela ajoute beaucoup à la poésie du spectacle, très captivant, mais qui ne m'a pas particulièrement ému.
Ailleurs : Bladsurb.
2012-12-01 13:44+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Au cours de ce mois de novembre j'aurai vu pas moins de six spectacles
de bharatanatyam. Parmi eux, je garderai notamment en mémoire le récital de Lavanya Ananth, parce qu'outre leur qualité
artistique exceptionnelle, les deux représentations que j'ai vues m'ont
donné l'impression de progresser quelque peu dans la connaissance de cette
danse, en tant que spectateur. Le langage de cette danse commence
à me parler à un point tel que dans un solo dont elle interprète tous les
rôles (rarement plus de deux en même temps ceci dit), une danseuse de
bharatanatyam peut me procurer davantage d'émotions que le Ballet de
l'Opéra ne peut me le faire ressentir au cours d'une représentation
moyenne
: il faut Myriam Ould-Braham dans La
Bayadère ou Aurélie Dupont et Evan McKie dans
Onéguine, par exemple, pour me faire atteindre un tel niveau
de plaisir.
Paradoxalement, plus j'ai l'impression de mieux comprendre cette danse et d'avoir donc des raisons d'être exigeant, mieux je sais apprécier les aspects de la danse que je ne valoriserais pas a priori. C'est dans cet état d'esprit que je suis allé voir Ofra Hoffman au Centre Mandapa :
Centre Mandapa — 2012-11-29
Kuttalam M. Selvam, chorégraphies
Bragha Bessell, chorégraphie du Padam
Ofra Hoffman, bharatanatyam
Pushpanjali
Alarippu
Varnam
Padam
Tillana
L'offrande de fleurs (Pushpanjali) évoque une jeune femme dévote de Shiva-Nataraja. Suit un Alarippu qui sur une musique rythmique me semble être essentiellement de la danse pure (non narrative). Intervient ensuite le Varnam, la pièce principale du récital qui met en scène une jeune femme qui se languit de Murugan (le deuxième fils de Shiva). La danseuse a magnifiquement évoqué le rendez-vous donné au beau jeune homme sous un arbre. Ce qui m'a suscité le plus grand étonnement est que j'ai pour ainsi dire eu en permanence la sensation de lire un livre écrit dans une langue que je comprenais presque parfaitement. J'ai trouvé tout à fait limpide cette narration faisant appel à des éléments chorégraphiques aussi bien intuitifs que codifiés.
Mon autre motif d'étonnement vient du plaisir que m'ont procuré les
jatis dansés dans les deux premières pièces et aussi, peut-être
encore davantage, ceux du Varnam. Les jatis sont ces
passages rythmiques de danse pure
. On ne peut pas dire que ceux-ci
étaient particulièrement virtuoses (j'en ai vu de beaucoup plus rapides),
mais il y avait là une singulière beauté simple et sincère à laquelle j'ai
été réceptif alors que j'accorde en général plus d'attention à l'expression
et à la narration. J'ai aussi beaucoup aimé la suite de pas de transition
que la danseuse a répété au fond de la scène au début de chaque
séquence.
Dans la musique de ce Varnam, je me suis délecté de la
répétition de la voyelle i
à la fin de chacun des vers des strophes
qui accompagnaient l'évocation par la danseuse du beau regard de
Murugan.
La musique avant tout mélodique du Padam qui a suivi n'est pas
perturbée par des passages rythmiques. Dans cet adage
, la danseuse
évoque l'espiègle Krishna. J'ai particulièrement aimé les exquis mouvements
et positions des mains signalant qu'il est question d'un personnage féminin
(une bergère). Parmi les scènes représentées, celle où Yashoda, la mère
adoptive de Krishna, lui demande d'ouvrir la bouche parce qu'elle le
soupçonne d'avoir mangé du sable : quand le divin Krishna ouvre la bouche,
Yashoda voit apparaître d'univers tout entier.
Le Tillana a mis en scène un personnage féminin et Shiva-Nataraja faisant résonner le tambour Damaru.
⁂
Centre d'animation Curial — 2012-11-30
Mallika Thalak, bharatanatyam
Kalikautam (chorégraphie de M. K. Saroja)
Alarippu (chorégraphie de V. S. M. Selvam)
Ardhanarishwara (transmis par Rama Vaidyanathan)
Padam (chorégraphie de Kalamandalam Kshemavathy)
Tillana
Le lendemain, je me suis dirigé vers le Centre d'animation Curial, situé dans un quartier de Paris dans lequel je ne m'étais jamais aventuré. Mallika Thalak est une de mes danseuses de bharatanatyam préférées, parce qu'elle me semble exceller par son expression et par la beauté de ses mouvements. J'avais hâte de revoir cette danseuse qui m'avait éblouie quand je l'avais vue au Centre Mandapa et que je n'avais plus vue danser depuis tout juste un an.
Dans les deux premières pièces, la danseuse me paraît un tout petit peu moins à l'aise que lorsque je l'avais vue interpréter ces mêmes pièces il y a un an, mais je prends un certain plaisir à revoir l'offrande symbolique de fleurs et l'évocation de la féroce déesse Kali dans la première et dans la deuxième pièce à apprécier cette danse pure accompagnée d'une musique entièrement rythmique.
Bien sûr, j'aurais aimé voir des chorégraphies toutes nouvelles, mais comme je le disais à elendae avant le début du spectacle, je ne pourrais jamais lui en vouloir de choisir de danser une nouvelle fois Ardhanarishwara, cette superbe chorégraphie qui évoque la divinité androgyne mi-Shiva mi-Parvati portant ce nom. C'est un véritable régal ! Pour la moitié droite, la danseuse évoque la chevelure de Shiva, les cendres qu'il a mises horizontalement sur son front, son ardent regard, son collier de crânes et quelques autres traits virils de cette divinité que je n'identifie pas exactement. Pour la moitié gauche, c'est la grâce féminine de Parvati qui est montrée. La danseuse se métamorphose continuellement, passant de la moitié gauche à la droite et réciproquement. Parfois, la transformation se fait au prix d'un tour de la danseuse sur elle-même : elle est Parvati, entame une rotation et quand elle reparaît, elle est Shiva. D'autres fois, le plus souvent en fait, la transformation se fait de façon beaucoup plus subite, alors que la danseuse fait face au public. Même si je ne connais pas de source iconographique ou mythologique appuyant ce fait, j'ai aimé sa façon de représenter un serpent enroulé autour de la cheville de Shiva. J'ai apprécié aussi le fait que les lumières soient réglées de façon à ce que la moitié gauche de la danseuse paraisse bleue tandis que sa moitié droite était rouge, tout comme dans les représentations picturales colorées d'Ardhanarishwara. En revoyant cette pièce, je découvre des détails importants qui m'avaient échappé les deux premières fois, notamment l'évocation du printemps, des animaux, du butinage des fleurs, etc. J'ai apprécié les jatis dansés dans cette pièce ; j'étais tout étonné d'arriver à me repérer intuitivement dans le cycle à 8 temps grâce aux syllabes rythmiques qui étaient initialement très régulières avant que des variations plus tordues apparaissent.
La quatrième pièce de ce récital a été pour moi une très belle
découverte. Pour avoir vu une pièce du même type la veille, j'ai reconnu
immédiatement qu'il s'agissait d'un Padam, une sorte
d'adage
qui évoque ici aussi l'enfance espiègle de Krishna (qui est
bien sûr souvent reconnaissable au fait qu'il joue de la flûte). Celui-ci
se vante de porter de nombreux bijoux (une bague sur chacun de ses dix
doigts), etc. Dans l'épisode le plus développé de cette chorégraphie, on
voit une femme en train de baratter avec application du lait pour obtenir
du beurre qu'elle met dans une jarre qu'elle accroche dans un coin de la
pièce, à une hauteur qui la rende inaccessible à un enfant. Le jeune
Krishna fait ensuite son apparition et ayant vérifié que personne ne
l'observe, il tente d'atteindre le pot de beurre, mais n'y arrive pas lors
de ses premières tentatives. Puis, par quelque tour de son cru, il y
parvient enfin et peut se goinfrer du beurre qu'il aime tant. (C'est en
souvenir de cette légende que pendant la fête de Krishna Janmashtami des
équipes de dévots de Krishna s'organisent en pyramides humaines, le but du
jeu étant d'atteindre un pot de beurre préalablement suspendu très haut.)
Voir cette danseuse dans une pièce résolument narrative mettant en valeur
l'étendue de son talent expressif a été pour moi un réel délice !
La dernière pièce au programme est un beau Tillana qui se termine avec Shiva-Nataraja, le Seigneur de la danse, battant le rythme du monde avec le tambour Damaru.
J'encourage vivement ceux qui sont disponibles le 14 décembre d'aller voir ou revoir ce programme au Centre Mandapa !
On peut admirer la série de neuf
photographies de la danseuse dans les Navarasa, les neuf saveurs
codifiées de la danse indienne.
2012-11-26 21:54+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Pour rattraper mon retard, je m'essaie ici au genre de la microniquette de spectacles (mais il y en a onze d'un coup, comme pour le Bartók-Maraton à venir).
Opéra Garnier — 2012-11-01
Ars Nova Ensemble Instrumental
Chœur Accentus
Ballet de l'Opéra
Laurence Equilbey, direction musicale
Morton Feldman, musique (Extraits des premier, troisième, quatrième et cinquième mouvements de Rothko Chapel)
Anton Bruckner, musique (Kyrie et Agnus Dei de la Messe nº2 en mi mineur, version de 1882)
György Ligeti, musique (Continuum pour clavecin solo, 1970)
Marie-Agnès Gillot, chorégraphie
Olivier Mosset, décors
Walter Van Beirendonck, costumes
Madjid Hakimi, lumières
Laurence Equilbel, dramaturgie musicale
Florence Clerc, assistante de la chorégraphe
Laëtitia Pujol
Alice Renavand
Vincent Chaillet
Sous apparence
Philippe Nahon, Jérôme Polack, direction musicale
John Cage, musique origine (etcetera)
Merce Cunningham, chorégraphie
Décors et d'après les maquettes originales de Jasper Johns
Lumières réalisées par Davison Scandrett
Robert Swinston, Jennifer Goggans, répétitions
Stéphanie Romberg, Florian Magnenet
Fabien Révillion
Un jour ou deux
À part les lumières, l'engagement des danseurs et les superbes solos d'alto, tout est raté dans le ballet de Marie-Agnès Gillot. Le ballet de Cunningham, en revanche, contient quelques moments de grâce, notamment quand certains mouvements dansés entrent en conjonction avec les tapotis des musiciens : ç'eut été encore mieux s'il avait été possible de voir Stéphanie Romberg et Hervé Moreau le même soir...
Salle Pleyel — 2012-11-08
Philippe Aïche, violon solo
Orchestre de Paris
Paavo Järvi, direction
Le Tombeau de Couperin, version pour orchestre (Ravel)
Andreas Haefliger, piano
Concerto pour piano en ut mineur, nº24, KV 491 (Mozart)
La Vie antérieure, pour piano et orchestre, Karol Beffa (création)
Le Sacre du Printemps, Stravinski
Magnifique interprétation du Tombeau de Couperin (superbes instruments à vent !). Le concerto de Mozart agréable sans plus. Très belle création de Karol Beffa à la très belle fin apaisée un chouilla étirée (gâchée par le bis monstrueux du pianiste). J'aurais aimé que les tempi du Sacre du printemps fussent parfois un peu plus rapides, mais c'était amusant à regarder depuis le premier rang de l'arrière-scène à côté des Wagner-Tuben... Et puis, il y avait Giorgio Mandolesi au basson...
Salle Cortot — 2012-11-10
Marina Chamot-Leguay, flûte
Livia Stanese, violoncelle
Romain Descharmes, piano
Sarah Jouffroy, mezzo
Une flûte invisible pour flûte, mezzo et piano (Saint-Saëns)
Sonate pour flûte et piano (Poulenc)
Chansons madécasses pour flûte, mezzo, violoncelle et piano (Ravel)
Sonate pour violoncelle et piano (Poulenc)
Sonates pour violoncelle, flûte et piano, op. 86 (Nikolaï Kapustin)
Cette flûtiste est sensationnelle !
Chez Malavika — 2012-11-10
Malavika Klein
Abhinaya
Je ne révèlerai pas ici l'âge de la danseuse, qui devant un petit comité a dansé deux pièces d'un bharatanatyam des plus traditionnels avant d'en présenter sa propre conception, pour ainsi dire sans musique, dans des scènes de la mythologie indienne. Tout le monde a été surpris par l'évocation de l'humiliation de la démone Śūrpaṇakhā par Rāma et Lakṣmaṇa.
Amphithéâtre de la Cité de la musique — 2012-11-11
Lous Landes Consort
Hugo Reyne, flûte à bec
Sébastien Marq, flûte à bec
Marc Minkowski, basson
Pierre Hantaï, clavecin, orgue
Introduzzione à tre en do majeur, TWV 42 (Telemann)
Sonate en trio VI en ré mineur (Giuseppe Sammartini)
Suite pour deux flûtes à bec (Jacques Hotteterre)
Suite en do majeur, extrait des Pièces en trio (1692), Marin Marais
Sonate en trio V en fa majeur (Giuseppe Sammartini)
Prélude pour clavecin en fa majeur, BWV 880, Johann Sebastian Bach
Sonate pour deux flûtes et basse continue en do majeur, BWV 1039, Johann Sebastian Bach
Les tringles des sistres tintaient de Carmen (Bizet)
Une configuration rare : un clavecin, un basson et deux flûtes. Des musiciens qui prennent un certain soin au moment de s'installer de façon à ce que chacun puisse se voir et se synchroniser sur la respiration de l'autre. Quelques aimables plaisanteries de Marc Minkowski. Un inattendu bis extrait de Carmen.
Théâtre du Châtelet — 2012-11-11
Chris Behmke, Tony
Elena Sancho Pereg, Maria
Yanira Marin, Anita
Andy Jones, Riff
Pepe Muñoz, Bernardo
Jerome Robbins, idée originale
Arthur Laurents, livret
Stephen Sondheim, paroles
Joey McKneely, mise en scène et chorégraphie
Donald Chan, supervision musicale et direction
Paul Gallis, décors
Renate Schmitzer, costumes
Peter Halbsgut, lumières
Rick Clarke, réalisation sonore
Hannelore Uhrmacher, maquillages
West Side Story, Bernstein.
Si West Side Story est le chef-d'œuvre des comédies musicales, je crois que ce genre n'est pas fait pour moi. L'interprétation de la musique m'a beaucoup moins convaincu que lors de mes autres auditions au concert des Danses symphoniques extraites de cette œuvre. Le livret est beaucoup plus intelligent que ce que j'imaginais a priori. Les danseurs ne manquent pas d'énergie...
Mairie du vingtième arrondissement — 2012-11-17
Élèves de Jyotika Rao, bharatanatyam
Lors du salon du livre de l'Inde organisée par l'association Les Comptoirs de l'Inde à la mairie du XXe (la maire et même l'ambassadeur de l'Inde étaient présents à l'inauguration), j'ai assisté à plusieurs spectacles et écouté un entretien de Jean-Claude Carrière, toujours aussi intarrissable à propos de l'Inde (et de Buñuel).
Le spectacle qui m'a le plus étonné par sa qualité mettait en scène des élèves de Jyotika, qui donne des cours de bharatanatyam aux Comptoirs de l'Inde. Malgré la brièveté de la présentation (plusieurs pièces chorégraphiques faisant en tout une demi-heure), j'ai eu l'occasion d'être sidéré par la qualité d'une des chorégraphies et de son interprétation. Je savais que ce mouvement était possible, pour l'avoir déjà vu sur Youtube, mais je ne l'avais vu en vrai : pendant que ses bras et ses jambes évoquaient le Seigneur de la danse Shiva-Nataraja, la danseuse a monté et rabaissé son talon avec une certaine vigueur pour figurer, me semble-t-il, que Shiva-Nataraja était en train d'écraser le démon de l'ignorance (si vous ne visualisez pas la scène, allez voir cette image). À d'autres moments, je ne voyais plus une danseuse, mais tout simplement Shiva dans sa très virile danse cosmique.
Cité de la musique — 2012-11-20
Ensemble Intercontemporain
Susanna Mälkki, direction musicale
Ionisation (Varèse)
Speicher III-IV-V (Enno Poppe)
Poème électronique pour bande magnétique (Varèse)
drawing tunes and fuguing photos, Benedict Mason (création)
#9 pour ensemble (Mauro Lanza)
Basses du Chœur de Radio France
Denis Comtet, chef de chœur
Ecuatorial pour chœur d'hommes et ensemble (Varèse)
Varèse ne ressemble à aucun autre compositeur ! J'ai aussi adoré les œuvres récentes ou tout-à-fait nouvelles de Benedict Mason et Mauro Lanza, mais j'ai été moins convaincu par celles d'Enno Poppe.
Gaveau — 2012-11-21
Antoine Tamestit, alto
Suite nº1 en sol majeur, BWV 1007
Hora Lunga (Ligeti)
Suite nº3 en ut majeur, BWV 1009
Élégie (Stravinski)
Suite nº5 en ut mineur, BWV 1011
Rapide et sauvage. La beauté du son est sans importance de la Sonate pour violon seul op. 25 nº1 (Hindemith)
Grâce à Klari, j'ai assisté à un récital d'un altiste jouant sur un des douze altos fabriqués par Stradivarius. Le point culminant du concert à été pour moi l'interprétation de la troisième suite pour un instrument qui à l'époque de Bach n'était sans doute pas le violoncelle actuel (en 2006, j'ai eu l'occasion de voir Sigiswald Kuijken jouer les trois premières suites au violoncella da spalla). Pourquoi pas à l'alto, si les spectateurs en sortent tout retournés ?
Salle Cortot — 2012-11-24
Sylvie Dusseau, violon
Serge Soufflard, alto
Benoît Grenet, violoncelle
Variations Goldberg, BWV 988, arrangement de Dmitry Sitkovetsky
Malgré toute la sympathie et l'admiration que chacun de ces musiciens, individuellement, m'inspire, je pense que ce concert était raté. Quelques beaux moments, mais peut-être n'aurais-je pas dû écouter préalablement l'enregistrement des Variations Goldberg par le claveciniste Pierre Hantaï ni subséquemment le transcendant Aria (sur Youtube) dans la même transcription que celle qui a été interprétée dans ce concert ?
Salle Pleyel — 2012-11-25
Academy of St Martin in the Fields
Coriolan, ouverture en ut mineur op. 62, Beethoven
Murray Perahia, piano, direction
Concerto pour piano nº3 et ut mineur op 37 (Beethoven)
Symphonie nº103 en mi bémol majeur Roulement de timbales
(Haydn)
Quel orchestre !!! J'aime ces ensembles formés de musiciens qui manifestement s'écoutent les uns les autres, comme Les Dissonances ou le Chamber Orchestra of Europe. Pendant les premières secondes de l'ouverture Coriolan, jouée sans chef, j'ai eu un choc semblable à l'audition de l'ouverture Egmont par le COE ! Superbe concerto nº3 de Beethoven avec le pianiste Murray Perahia dont j'apprécie dans le troisième mouvement les sauts de kangourous sur le clavier (©Saint-Saëns) et la façon dont l'orchestre les imite. Le meilleur moment était peut-être le deuxième mouvement, intensément lent, qui permet d'entendre des vents assez orgiaques (aah, ce basson !!).
La symphonie de Haydn commençait dans le style de Beethoven, mais assez
vite, le doute n'était plus possible, c'était bien du Haydn
:-)
2012-11-25 12:19+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Auditorium du Musée Guimet — 2012-11-23
Lavanya Ananth, bharatanatyam
Murali Parthasarathy, chant
M. S. Sukhi, mridangam
Kalaiarasan Ramanathan, violon
Parthasarathy Kalyamurthy, nattuvangam
Nrithya Samarchitha
Mon premier grand choc lié à la danse indienne remonte à il y a deux ans et demi : je voyais à Chennai un récital de Srithika Kasturi Rangam dans lequel la pièce principale était avant tout narrative. Le bharatanatyam pouvait raconter une histoire que je pouvais comprendre. Les mouvements et expressions n'étaient pas seulement des mouvements gracieux ou rythmiques dont le sens resterait caché. Au contraire, je pouvais véritablement ressentir ce que la danseuse exprimait. Bref, c'est au cours de ce récital que je dois pouvoir prétendre être devenu un rasika. Si les pièces que je considère comme étant véritablement narratives sont assez rares, j'ai appris entretemps à me satisfaire de pièces qui soient au moins évocatrices : dédiées à une divinité, elles en illustrent certains aspects en mettant éventuellement en scène une jeune femme amoureuse de cette divinité.
Il me fallut attendre plus d'une année pour éprouver des sentiments aussi élevés à l'égard d'une danseuse, cette fois-ci sur le sol français, au Centre Mandapa. Il s'agissait de Lavanya Ananth. Suivront Mallika Thalak, Nancy Boissel. Pour ce qui est du Musée Guimet, mes goûts n'avaient pas été satisfaits par les premiers récitals que j'y avais vus, mais l'année dernière, j'y ai été ébloui par Meenakshi Srinivasan.
Quand j'ai vu que Lavanya Ananth était programmée au Musée Guimet, je n'ai pas hésité une seule seconde, j'ai réservé une place pour chacune des deux dates. Arrivé vendredi et samedi soir avec une certaine avance, j'ai pu m'installer tranquillement au premier rang de l'auditorium. Les quatre musiciens se sont installés, tous vêtus d'une tenue typique du Sud de l'Inde : un dhoti blanc. Ils ont joué une petite introduction musicale avant que la danseuse entre en scène. Le son de tampura est semble-t-il émis par une tablette tactile actionnée par le chanteur, qui joue à un jeu de questions et réponses avec le violoniste.
La première pièce du récital, intitulée Netanjali (?), commence par de la danse pure qui fait immédiatement ressentir l'extrême musicalité de la danseuse ! Contrairement à l'usage, cette première pièce n'est apparemment pas une offrande de fleurs, mais les mouvements des mains évoquent toutefois assez souvent les fleurs de lotus. À cette danse essentiellement rythmique s'enchaîne une évocation de Shiva comme la danseuse l'avait préalablement annoncé au micro, dans un français gracieusement raffiné. La pièce semble mettre en scène une dévote de Shiva dont quelques particularités sont soulignées dans la chorégraphie. On peut reconnaître son bras gauche en forme de trompe d'éléphant associé au geste protecteur de la main droite. On voit aussi son chignon tressé, le feu que peut déclencher son troisième œil, les cendres que l'on se met sur le front. Quelques mouvements en rythme d'un des pieds me font penser que Shiva est en train de piétiner le démon de l'ignorance.
Entre les pièces s'insèrent des solos du violoniste, parfois accompagné du percussionniste. Kalaiarasan Ramanathan est sans doute aucun le meilleur violoniste de musique carnatique que j'aie vu ! C'est en tout cas le premier que je voie faire des doubles-cordes ! Que ce soit dans ses solos ou dans le reste du programme, ce musicien m'a beaucoup impressionné.
La pièce principale du récital est un Varnam. Je ne saurais dire si c'était le même que lorsque j'avais vu Lavanya Ananth au Centre Mandapa. En tout cas, le thème est le même. L'héroïne se livre à sa confidente. Elle demande que cette amie aille dire à Shiva-Nataraja de la rejoindre. Ce n'est pas une pièce que je qualifierais de narrative (après un deuxième visionnage, ayant perçu davantage d'éléments narratifs, je suis un peu moins de cet avis). L'accent n'est pas particulièrement mis sur les sentiments de l'héroïne (Bhakti-sringara, l'amour dévotionnel). J'ai en effet compris la scène la plus intense de ce Varnam comme une réminiscence de la légende entourant les amours de Shiva et Parvati (aussi appelée Durga ou Shakti). On voit ainsi la déesse dans une posture ascétique destinée à lui procurer un époux, ce qui sera rendu possible par l'action conjointe du Printemps et du dieu de l'Amour. Le printemps est évoqué par les amours des animaux et le butinage de fleurs par des abeilles (à moins qu'il ne s'agisse de papillons) ; ceci me rappelle un passage du récital de danse odissi d'Arushi Mudgal. J'ai également été sidéré par l'évocation d'un étang de lotus qui éclosent sous l'effet de la lumière (de la Lune ? ou du Soleil ?) et qui se dirigent vers l'astre par tropisme. L'autre point culminal émotionnel de cette pièce et de ce récital réside dans l'apparition du dieu de l'amour, l'archer qui décoche ses flèches dans toutes les directions, installant le sentiment amoureux dans le cœur de diverses créatures (la musique, en particulier l'accompagnement rythmique du mridangam atteint aussi des sommets à ce moment-là ; la composition est due à ce percussionniste, qui a composé plusieurs des autres musiques du programme). Plus loin, il me semble reconnaître la déesse fluviale Ganga descendant sur les cheveux de Shiva, une impression confirmée par le texte chanté qui mentionne cette descente de Ganga. Que j'aime cette évocation joyeuse de Shiva ! La pìece se termine magnifiquement sur une apparition de Shiva dans sa forme Nataraja battant le rythme cosmique. (Le samedi, je n'ai pas retrouvé cette fin, peut-être que je confonds avec une des autres pièces au programme.)
La danseuse devant changer de costume, l'intermède musical suivant est prolongé. Il ne permet pas vraiment de se remettre de ses émotions puisque c'est encore ce cher violoniste qui officie... (Le samedi, le violoniste et le percussionniste se sont livrés à un fort délectable jeu de questions et réponses sur un rythme à quatre temps.)
La pièce suivante Devarnama est espiègle. Elle évoque les
amours de Krishna avec les bergères (le texte en kannada est dû à Purandara Dasa). Il
aime le beurre, et aussi la bergère qui le baratte, puisque, nous dit et
nous montre la danseuse, il veut la toucher en des endroits... très
déplacés !
. Il en enlace une autre au bord de la rivière, etc. Ce
Krishna est-il un enfant, un jeune homme ou bien le dieu Vishnu ?
Dans la pièce suivante Javali, il est encore question de l'amour pour Vishnu, cette fois-ci sous le nom de Venkateshwara, la forme qui réside sur la colline voisine de Tirupati. Le texte télougou commençant par Shikavane Ivanu est de Padma Subhramaniam Iyer. Le chanteur, excellent, se met me semble-t-il particulièrement en valeur avec ce chant. Il m'inspire une très grande sympathie : toujours souriant, il semble aussi fasciné que moi par la danseuse. Dans cette pièce, une jeune femme a été séduite par un jeune homme. Elle se dispute avec ses amies à ce propos. Elle cèderait volontiers à ses charmes. En effet, peut-être s'agit-il de Venkateshwara ? Le dieu de l'Amour (ici appelé Manmadha) ayant décoché ses flèches, son cœur bat très fort, insupportablement fort. Elle est brûlante. Devant ses amies, elle feint, mais au moment de sortir de scène, elle fait discrètement signe au jeune homme de la rejoindre...
La pièce suivante évoque Surya, le dieu du Soleil. Je pense que ce n'est
que la deuxième fois que je vois ce dieu évoqué dans la danse
bharatanatyam. La première fois, c'était par Urmila
Sathyanarayanan au Musée Guimet il y a un an et demi. Le Raga, tout
comme le Tala, est Malika
, bref une guirlande de ragas (modes) et
de talas (rythmes). Les différentes périodes la journée sont associées au
trois dieux de la trinité hindoue, Brahma pour le matin, Vishnu pour la
journée et Shiva pour le soir. Parmi les images que je retiens, celle du
char céleste de Surya tiré par sept chevaux blancs et surtout la superbe
scène finale dans laquelle la nuit couvre Shiva ascète. Il convient de
souligner la qualité de l'attention du public de vendredi qui s'est gardé
d'applaudir à des endroits inappropriés. Il aurait ainsi été tentant
d'applaudir juste avant cette courte scène finale, mais on pouvait
comprendre que la pièce n'était pas finie puisque Shiva n'avait pas encore
fait son apparition pour donner tout son sens à cette journée de Surya...
(Le samedi, le public était apparemment plus connaisseur puisque les
passages rythmiques (jatis) étaient salués par des
applaudissements, comme je l'ai vu faire en Inde, mais en applaudissant à
ce moment-là, ce public a un peu gâché cette fin... C'est comme applaudir
pendant les pianissimi à la toute fin de La
Walkyrie...)
Ce récital de plus de deux heures s'est conclu par un Tillana donné en bis. C'est la première fois que je vois cette danseuse dans ce type de pièce, qui termine traditionnellement les récitals de bharatanatyam. Pourtant, j'ai le sentiment d'avoir déjà entendu cette musique (le répertoire des Tillana semble assez restreint). Il s'agit principalement de danse pure, mais quelques images évoquent Krishna, mais aussi Kama.
J'espère que j'aurai encore beaucoup d'occasions de revoir cette danseuse qui n'a cessé de se métamorphoser sur scène, passant d'un personnage à un autre. Même quand elle montrait quelques mouvements pour présenter chaque pièce, son visage passait subitement d'une expression à une autre. Cela relève du prodige. Même à quelques mètres de distance, le mystère reste pour moi entier.
2012-10-20 15:15+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Auditorium du Musée Guimet — 2012-10-19
Arushi Mudgal, danse odissi
Sawani Mudgal, chant et nattuvangam
Srinivas Satapati, flûte
Pradipta Kumar Moharana, mardal
Isabelle Anna, voix off
Mangalacharan (chorégraphie de Kelucharan Mohapatra)
Ahlad (chorégraphie d'Arushi Mudgal)
Ashtapati (chorégraphie de Kelucharan Mohapatra)
Shivam Tandaram Stotram (chorégraphie de Kelucharan Mohapatra)
Vasant (chorégraphie de Madhavi Mudgal)
Oriya Champu (chorégraphie de Kelucharan Mohapatra)
Bhairavi Pallavi
J'avais semble-t-il déjà eu l'occasion de voir de la danse odissi avant ce récital d'Arushi Mudgal au Musée Guimet. En 2008, Arushi Mudgal et sa tante-guru Madhavi Mudgal avaient dansé au cours d'un concert de Madhup Mudgal (le père d'Arushi) aux Abbesses. Si je me souviens très bien du chant khyal de Madhup (j'avais même acheté un CD), sans mes archives j'aurais complètement oublié que deux danseuses odissi l'accompagnaient.
Odissi
est le nom d'un style de danse et de musique originaire de
l'état d'Odisha (anciennement appelé Orissa). En dehors du spectacle de la
famille Mudgal sus-mentionné, la première fois que j'en ai entendu parler
devait être lors de ma visite du Temple du Soleil à
Konarak en août 2008. À proximité de l'entrée du temple (dont une bonne
partie s'est écroulée et dont l'intérieur a été comblé pour éviter de
nouveaux dégâts), on peut voir un pavillon de danse, ou plutôt ce qu'il en
reste :
Lors de ma visite, j'avais trouvé curieux que la fonction de ce bâtiment
soit la danse vu qu'il n'y a aucun espace dégagé à l'intérieur. En
revanche, tout autour, les sculptures représentent des danseuses adoptant
des positions très variées, accompagnées de percussionnistes utilisant un
instrument proche du pakhawaj (c'est le terme employé par Isabelle Anna,
voix off du récital d'Arushi Mudgal, tandis que dans sa présentation, le
responsable de la programmation Hubert Laot a utilisé le mot
mardal
).
L'accompagnement musical m'a paru d'une très grande qualité. Le début d'un certain nombre des pièces ressemblait à un Alap. La chanteuse Sawani Mudgal et le flûtiste Srinivas Satapati se passent le relais. La fluidité de leurs majestueux glissandi descendant souvent assez bas dans le grave me fait penser aux musiques du Nord de l'Inde. Quand la danseuse sera entrée en scène après l'apparition du rythme imposé par le percussionniste et la chanteuse (qui joue aussi des cymbales), la musique et la danse pourront alterner des moments expressifs ou narratifs et des passages plus rythmiques, ce qui me rappelle la structure musicale des pièces de bharatanatyam. Les gestes et postures de la danse odissi empruntant aux mêmes sources que le bharatanatyam, je n'ai au début du récital pas l'impression d'observer une danse qui lui soit fondamentalement différente.
La première pièce s'appelle Mangalacharan et est une offrande de fleurs ainsi qu'une invocation de Ganesha, reconnaissable à sa trompe. La deuxième Ahlad (?) chorégraphiée par la danseuse elle-même sur une musique de son père, est très virtuose ! En quelques minutes, la danseuse exécute une sorte de catalogue d'attitudes pour des héroïnes. Le tempo de la musique et les mouvements de la danseuse varient entre deux extrêmes, du très lent au très rapide. Pendant une phase de cette pièce, utilisant les syllabes prévues à cet effet, la chanteuse dicte des rythmes au percussionniste qui les reproduit immédiatement pour accompagner la danseuse dont les mouvements épousent ces rythmes.
Les pièces qui suivront seront plus narratives. Dans Ashtapati (inspiré par le Gita-Govinda de Jayadeva, poète sanskrit originaire d'Odisha), la danseuse évoque Radha qui a attendu Krishna toute la nuit. La chorégraphie évoque les paroles violentes qu'elle lui lance quand il arrive enfin.
La pièce du récital que j'ai préférée a été Shivam Tandaram Stotram. Elle évoque Shiva, au chignon tressé d'où s'écoule Ganga, au regard foudroyant, celui qui joue du tambour Damaru, celui qui porte férocement son trident, etc. Pendant ces développements extrêmements vifs, tout le corps de la danseuse est en mouvement, produisant des combinaisons que je n'avais jamais vues, comme lorsqu'elle fera des tours entiers sur elle-même en sautillant sur un pied tout en maintenant le reste du corps dans une position évoquant Shiva. Tout ceci contribue à une atmosphère tout à fait fantastique. Et puis, soudainement, la chorégraphie n'évoquera plus Shiva mais son épouse Parvati. La danse se fera alors beaucoup plus douce, évoquant par exemple le lotus. Avant la fin de la pièce, Shiva fera un retour fracassant. (Sur la chaîne YouTube d'Arushi Mudgal, on peut la voir danser des extraits d'Ardhanarishwar, une superbe chorégraphie évoquant cette forme androgyne mi-Shiva mi-Parvati. Se métamorphosant sans cesse, la danseuse oscille entre son côté droit (Shiva) et gauche (Parvati).)
La pièce suivante Vasant évoque le printemps sur des extraits du Ṛtusaṃhāra du poète sanskrit Kalidasa, un thème que ce poète évoque aussi dans le Kumarasambhava au moment de la rencontre de Shiva et Parvati, au printemps, quand l'archer Kama décoche ses flèches sur toutes les créatures pour animer leur passion amoureuse. Dans le Kumarasambhavan, Kama-Cupidon se fait réduire en cendres par le troisième œil de Shiva, furieux d'avoir vu son ascèse perturbée. Dans cette chorégraphie, Kama peut décocher ses flèches librement. La musique composée par Madhup Mudgal est magnifique. La flûte peut imiter le son les abeilles butinant les fleurs, tandis que les mains de la danseuse évoquent le vol des oiseaux. Les animaux ne sont bien sûr pas les seuls êtres animés de sentiments amoureux. Le personnage féminin incarné par la danseuse l'est également, et manifestement à la fin de la pièce, la chaleur est insoutenable.
L'avant-dernière pièce du programme s'appelle Oriya Champu. Sans l'introduction de la pièce par la voix off, je pense que je n'aurais strictement rien compris à la narration. La confidente de Radha se moque d'elle. Radha ne mériterait pas Krishna, celui qui a dompté le serpent Kaliya tandis que que Radha a peur des serpents. Krishna fait quelques apparitions en flûtiste.
S'il n'y avait pas eu un bis très virtuose, le récital se serait terminé sur Bhairavi Pallavi, une pièce en hommage à Durga. La forme n'est pas sans me rappeler les Tillana qui concluent les récitals de bharatanatyam. Le rythme y a une grande importance. La danseuse frappe sans ménagement ses pieds contre le sol pour faire tinter ses grelots de cheville. On retrouve également des épisodes de dictées rythmiques entre la chanteuse, le percussionniste et la danseuse. La fin de la pièce est d'une extrême beauté : après avoir exploré toute une palette d'expressions, de mouvements, de vitesses, la danse se termine dans un apaisement absolu, la danseuse prenant une pose de méditation tandis que la chanteuse Sawani Mudgal prononce la syllabe Om.
La seule chose qui m'ait retenu d'adhérer totalement à ce récital est le manque de narration, un des aspects de la danse que je privilégie. Je pourrais sans doute apprécier davantage les parties narratives ou évocatrices de ce type de pièces si je savais un peu mieux reconnaître les différentes postures, mais dans ce récital, les pièces ont dû faire chacune en moyenne un peu plus de dix minutes, ce qui est un peu court pour présenter un développement narratif élaboré.
Ceci étant dit, j'ai rarement eu l'impression de voir une danseuse solo se défoncer autant pendant toute la durée d'un récital, sans pour autant faiblir aucunement dans le bis exécuté à une allure folle. Si les mouvements les plus rapides étaient plus rapides que ceux que j'ai pu voir dans des récitals de bharatanatyam, les mouvements les plus lents étaient aussi plus lents, et au-delà du plaisir immédiat à voir une danseuse virevolter à toute allure, ma plus grande source d'émerveillement est venue au cours de ce récital de cette grâce en suspension.
Ailleurs : les photographies de Tempus fugit, Danse et... danses.
2012-07-06 00:09+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Centre Mandapa — 2012-07-05
Nancy Boissel, bharatanatyam
J'ai assisté ce soir à mon centième spectacle pour le compte de l'année
2012, le dernier avant les vacances d'été. La danseuse Nancy Boissel, qui
est installée à Chennai, remerciera le public nombreux du Centre Mandapa
d'avoir pris le risque de passer une heure avec elle
. Le risque
était pour moi limité puisque j'avais bénéficié d'une invitation suite à l'annulation d'un précédent spectacle.
Au cours de son programme (d'environ 1h20), la danseuse a mis en valeur ses qualités dans tous les aspects de la danse bharatanatyam. Elle n'a pas oublié non plus de remercier ses maîtres Sri Selvam Pillai et Sangita Ishwaran (si j'ai bien entendu).
L'introduction musicale de la première pièce (une offrande de fleurs au dieu Shiva-Nataraja) me met immédiatement dans de bonnes dispositions puisque l'on y entend le morsing, une sorte de guimbarde.
On rentre dans le vif du sujet avec la pièce principale du récital, le Varnam. Le thème est tout à fait traditionnel : une jeune femme se languit de Muruga, le fils à six têtes de Shiva. Elle demande à son amie d'intercéder en sa faveur. Elle se rend dans la forêt dans l'espoir de l'y rencontrer, mais elle souffre : elle reste désespérément seule. Et puis, tout semble changer. Un archer (Kama ?) lance deux flèches. Les amants semblent réunis. La pièce se conclut avec une héroïne qui se retrouve seule à nouveau. N'était-ce qu'un rêve ?
Dans cette pièce narrative se sont insérées, comme le veut cet art, des
passages essentiellement rythmiques pendant lesquels la narration se
suspend. Ils sont en général très nettement délimités puisque la musique se
réduit au nattuvangam (cymbales) et aux syllabes rythmiques dites
par le nattuvanar. Ce fut le cas ici dans certains de ces passages
rythmiques, mais d'autres ont eu un accompagnement musical tout différent
s'insérant avec davantage de fluidité dans le reste : une voix chantée
faisant du sargam, c'est-à-dire que le chanteur (de cette musique
enregistrée) prononçait le nom des notes. Pendant un de ces passsages de
danse pure
, il m'a semblé que la danseuse évoquait les arts : la
sculpture, la musique.
Jusque là, j'ai trouvé le récital très convaincant. La narration est très lisible. Le rythme est très bien marqué par les grelots de cheville. Le plus souvent, ceux-ci bruissent sur les temps forts de la musique et puis soudainement, cela peut s'inverser ! Cette complexité rythmique contribue à me faire apprécier les moments de danse pure. Du côté de l'expression, j'ai parfois la sensation que certaines attitudes sont un tout petit peu surjouées, mais j'admets que ma perception est sans doute déformée par le fait que je fusse assis au tout premier rang (il faut bien que les spectateurs du fond voient quelque chose aussi !).
Avec la pièce suivante, on a tout simplement touché au sublime ! La
musique est bien connue : c'est Bho Shambho (cf. le billet de
blog de Suja sur ce morceau). Le texte comme la chorégraphie évoquent
de nombreux aspects de Shiva : sa puissance symbolisée par ses cheveux, son
chignon tressé d'où jaillit la rivière Ganga, son troisième œil, le tambour
(Damaru), son bras protecteur en forme de trompe d'éléphant, etc. Les
images sont tellement nombreuses ! Toutes mouvantes, elles s'enchaînent
merveilleusement bien sur cette musique dont les battements rythmiques à
faire s'écrouler les murs rappellent les pas du danseur cosmique
Shiva-Nataraja. Au cours des quelques dizaines d'autres récitals de
bharatanatyam auxquels j'ai assisté précédemment, je ne crois pas avoir
atteint un tel état émotionnel. En tout cas, pour une pièce conçue comme
abstraite
(au sens où elle évoque les aspects d'un dieu plutôt que
de raconter une histoire), il est certain que je n'avais jamais véçu ça.
(Quand je pense que derrière moi, des spectatrices ronchonnaient à
l'annonce du fait que ce serait une pièce dédiée à Shiva, comme s'il
n'y avait pas plein d'autres dieux que Shiva
.)
La pièce suivante est un adage
en l'honneur de Muruga. Son père
Shiva y fait quelques apparitions tout comme une dévôte de ce dieu. Cette
pièce met surtout en valeur la composante expressive de la danse.
Enfin, le récital se conclut par un Tillana. La musique est là encore très connue puisque j'ai souvent entendu cette mélodie rythmée caractéristique à la fin d'autres récitals. Quelques agréables variations musicales seront toutefois ajoutées, apparemment. Le Tillana est une pièce de danse pure, toute en rondeur, courbes et joie. En effet, plus qu'à l'introspection, c'est à la joie que nous invite cette pièce, et ce récital dans son ensemble, comme l'espiègle apparition de Krishna joueur de flûte le confirmera à la fin de ce Tillana !
Le Tillana s'est enchaîné tellement rapidement avec les salutations coutumières de fin de récital que personne n'a osé applaudir. J'ai attendu que la danseuse ait salué le dieu de la danse pour applaudir le premier et déclencher un mouvement qui ne manquait pas d'enthousiasme...
Avec Srithika Kasturi Rangam, Lavanya Ananth, Mallika Thalak, Meenakshi Srinivasan, et maintenant Nancy Boissel, il commence à y avoir du monde dans mon panthéon de danseuses de bharatanatyam !
2012-06-19 09:41+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danses indiennes — Budapest
Liszt Ferenc Kamaterem Concert Hall, Budapest — 2012-06-16
Ilona Prunyi, piano
Ádám Banda, violon
Ditta Rohmann, violoncelle
Trio en si bémol majeur, op. 97 (Beethoven)
Samedi soir, je suis allé au Liszt Ferenc Kamaterem Concert Hall, à quelques pâtés de maison de l'appartement, lequel se trouve aussi tout près d'une rue dont les bâtiments sont criblés d'impacts de balles...
Je suis arrivé un tout petit peu en avance au concert qui avait lieu dans le cadre du festival Múzeumok Éjszakája. J'ai ainsi pu entendre depuis l'extérieur de la salle des frappes de mains sur les cuisses et des pieds sur le sol d'un groupe de 14 jeunes danseurs que j'ai vus ensuite quand j'ai pu me faufiler vers un siège à la faveur d'une brève ouverture de la porte entre deux numéros dansés. Les quelques minutes de danse que j'ai vues étaient particulièrement virtuoses, la jeunesse et la souplesse des danseurs d'une vingtaine d'années aidant.
C'était plus impressionnant que ce que Klari et moi avons pu voir sur la place devant la Maison Gerbeaud au cours de l'après-midi où différents ensembles de danses folkloriques se succédaient sur une scène aménagée pour l'occasion. De façon tout à fait inattendue, on a aussi pu voir quelques minutes de danse kathak !
Pour revenir au concert de musique de chambre, la salle de cent places est très belle. Les murs sont d'un blanc immaculé. Au fond de la scène, une peinture monochrome représente notamment Apollon et sa lyre. La pause entre les deux spectacles et le départ de certains spectateurs me permet de me replacer au premier rang, juste en face de la chaise du violoniste Ádám Banda. Cela me permettra aussi d'apprécier le jeu de la violoncelliste qui sera assise à droite. Le clavier du piano sera également en plein dans mon champ de vision. Pendant que l'accordeur de piano finit son œuvre, j'aperçois un petit groupe de jeunes à dreadlocks entrer pour écouter un trio de Beethoven !
Grâce aux indications de Klari, je savais que le violoniste Ádám Banda était assez jeune. La violoncelliste Ditta Rohmann appartient à la même génération (j'apprends en lisant sa biographie qu'elle a déjà joué dans le Chamber Orchestra of Europe et contrairement à ce que son nom peut faire penser, elle est née en Hongrie). Au piano, Ilona Prunyi doit avoir plus de deux fois l'âge des deux précédents. Un certain sentiment d'irréalité s'était emparé de moi quand elle était sortie de la coulisse dans sa très sobre robe bleue à pois blancs. Toutefois, la différence d'âge entre les musiciens ne semble absolument pas un obstacle à leur bonne entente. Les thèmes se passent de l'un à l'autre. Parfois, je suis incapable de dire si certains accords sont le fait de notes jouées en double corde par le violon ou s'ils combinent le son des instruments des deux jeunes musiciens. La façon dont le violoncelle reprend délicatement certaines notes des thèmes joués par le violon est un véritable ravissement pour moi. La violoncelliste a un jeu un peu plus rond que celui du violoniste dont les accents étaient plus marqués, tout comme ses adorables grimaces, que je n'ai vues que de profil.
Au delà des deux jeunes musiciens assis au premier plan, j'ai été frappé par la cohésion du trio tout entier. De ce point de vue-là, la fin du premier mouvement a été absolument merveilleuse. La pianiste dispose par ailleurs d'une sidérante technique pour jouer les crescendos !
S'il ne m'eût pas déplu que le concert durât plus longtemps, j'ai été content qu'aucun bis ne vienne effacer le souvenir de l'unique œuvre qui venait d'être jouée. J'ai été très heureux de pouvoir continuer grâce à ce concert inattendu ma découverte progressive de la musique de chambre de Beethoven.
2012-04-28 11:45+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Auditorium du Musée Guimet — 2012-04-27
Isabelle Anna, Anuj Mishra, danse kathak
Vikash Mishra, tabla
Juber Alam, chant, harmonium
Navin Mishra, sitar
Pandit Arjun Mishra, chorégraphie
Il y a quatre ans, j'avais assisté à un programme de
danse kathak
à la Cité de la Musique au cours des Vingt-quatre heures du Raga. Cette institution que
j'apprécie n'a malheureusement pas toujours la main heureuse (cf. la partie
indienne de la nuit soufie). Le caractère lamentable de
cette prestation avait de quoi dissuader de façon définitive de revoir du
kathak... En choisissant d'aller voir le duo d'Isabelle Anna et Anuj Mishra
au musée Guimet, j'accordais une seconde et dernière chance à ce style de
danse de me convaincre. Si je n'accrochais pas cette fois-ci, j'arrêtais
les frais. Le moins que l'on puisse dire est que, de façon tout à fait
inattendue, j'ai adoré ce spectacle !
Cette danse est très différente du bharatanatyam ! En gros, deux types de pièces se sont succédé. La forme qui a ma préférence est celle des pièces qui mettent le plus en valeur l'expression et la narration, comme la première qui était un duo entre les deux danseurs. La musique est chantée en ourdou, une langue qui se confond pour mes oreilles avec le hindi (je ne suis pas assez connaisseur pour reconnaître le vocabulaire d'origine plus arabo-persane que sanskrite). C'est dans ces pièces expressives (et tout particulièrement la première) que j'ai le plus apprécié la partie mélodique de la musique (voix et sitar). Comme ce type de musique (et de danse...) a beaucoup été imité dans les films indiens, cela a un léger air de Bollywood, mais de très haut de gamme, avec un certain raffinement et des improvisations en plus. En effet, le chanteur ne se prive pas d'insérer quelques ornementations et de solfier certaines suites de notes.
La première pièce, très sensuelle, représentait l'amour des deux personnages incarnés par les deux danseurs. Formant une sorte de douce pantomime continue, les mouvements sont fluides et majestueux. Si quelques mouvements des mains sont communs avec le bharatanatyam (comme la représentation de l'éclosion du lotus), c'est semble-t-il davantage à leur caractère universel qu'à une codification commune qu'il faut l'attribuer. On est plus dans la pure et simple expression des sentiments que dans un discours obéissant à une stricte grammaire. Quelques uns des mots du texte que je peux comprendre soulignent certains mouvements expressifs de la danseuse. C'est elle qui m'a le plus ému ! Qu'il est beau de voir sa robe tournoyer en faisant des ondulations pendant ses pirouettes, une robe qui se met à flotter onctueusement quand la rotation s'arrête et qui tombe majestueusement sur ses jambes en formant des plis réguliers !
L'exaltation est poussée à son paroxysme dans les frénétiques épisodes rythmiques qui s'insèrent dans ces pièces expressives (c'est un point commun avec le bharatanatyam d'insérer des numéros rythmiques de danse pure dans les pièces narratives). Je pense qu'il est impossible d'apprécier ces moments sans clapper le tal (c'est-à-dire battre la mesure) d'une façon ou d'une autre et de ressentir ainsi dans son corps la pulsation des danseurs et du tabla. Les danseurs effectuent souvent une pirouette complète sur un temps rythmique. Les mouvements de pieds se font sur des divisions de ces temps, tout comme les mouvements du cou (qui sont assez communicatifs avec le spectateur que je suis, je n'y peux rien...). Je suis en transe quand je sens que mon clappage du tal est parfaitement synchronisé avec le tabla et les mouvements de pieds de danseurs (sur des doubles croches, au moins !)...
L'autre forme privilégiée de pièces est la danse pure exécutée sur une musique essentiellement rythmique (j'ai une certaine empathie pour le joueur de sitar dont le rôle se réduit à répéter ad lib. la même petite mélodie sur un rythme immuable ; cela présente au moins l'intérêt de donner un repère dans le cycle rythmique ; cela dit, certaines courtes pièces ont mélangé des tals différents, il existe donc des guirlandes de tals comme il existe des guirlandes de ragas, Ragamalika !). Très extravertis, ces passages sont de véritables morceaux de bravoure pour les danseurs. La forme est différente de ce qu'on peut voir dans le bharatanatyam ou le kuchipudi. Le rôle du nattuvanar est primordial dans ces deux danses du Sud : celui qui joue des cymbales est en quelque sorte le chef d'orchestre. Dans certains passages rythmiques du kuchipudi, on trouve un jeu de questions et réponses entre la danseuse et celui qui est souvent son guru : il joue une phrase rythmique que la danseuse doit reproduire immédiatement en actionnant ses grelots de pieds (dont les orteils pincent un plateau en laiton !) tout en réalisant des mouvements de danse pure avec le haut du corps. Dans le bharatanatyam, la part d'improvisation est très certainement moindre puisqu'il n'y a pas de questions et réponses, la danseuse exécutant les mouvements en même temps que le nattuvanar joue des cymbales. J'ignore s'il en est toujours ainsi, mais dans le programme de kathak de ce soir, un des deux danseurs (ou les deux en même temps) venaient au micro annoncer une longue séquence rythmique : tout en clappant le tal avec une main, ils prononçaient les syllabes rythmiques indiennes standards ou bien les numéros des temps (en hindi ou en anglais). Cette séquence était ensuite reproduite par le tabliste et suivait un fou numéro de danse pure exécuté sur ce rythme par un des danseurs (ou dans au moins un cas, crois-je me souvenir, par son partenaire). Pour moi, cela a été un plaisir enivrant de les voir. Je pense qu'il faudrait passer à un autre niveau de compréhension de cette danse pour véritablement apprécier à sa juste valeur le subtil raffinement qui doit certainement se cacher derrière cette virtuosité. Pour le moment, c'est un plaisir plus immédiat, moins intellectuel que cela peut l'être avec le bharatanatyam, et c'est déjà pas mal !
Le travail sur l'expressivité (y compris dans les numéros rythmiques) et
la narration est beaucoup plus saisissant et émouvant chez Isabelle Anna.
Ses solos ont mis l'accent sur ces pièces lyriques
, dont faisait
partie l'adorable évocation des jeux (d'eau, rien à voir avec
Bruno Mantovani) de Krishna qui charme les bergères grâce au son de sa
flûte. J'ai aimé aussi son évocation de l'amour d'une courtisane.
Les solos du danseur étaient tournés principalement vers la danse pure.
Il a ainsi exécuté des numéros de claquettes indiennes
avec ses
grelots de chevilles et de vertigineuses suites de pirouettes. Le comble a
été une triple série de pirouettes enchaînées : 34+34+34=103 (ce n'est pas
moi qui ai fait l'addition !). Les deux ou trois dernières pirouettes
étaient un peu moins rapides que les précédentes, mais c'était le délire
dans la salle, le tal étant clappé sonorement par le public ! Anuj Mishra a
toutefois cherché à ajouter une part expressive dans une petite suite de
courtes pièces rythmiques. Celles-ci évoquaient la nature : l'antilope, la
vache, le lion, le cheval. Sa pièce la plus développée et la plus
convaincante dans cet aspect de la danse évoquait le paon. Cela reste moins
subtil et raffiné que la danse d'Isabelle Anna (qui a aussi fait de fort
belles pirouettes !), mais j'apprécie que ce danseur n'ait pas été que
virtuose !
Parmi les moments dont je me souviendrai sans doute longtemps, il y a eu ce duo dans lequel les danseurs et les musiciens m'ont donné l'impression qu'un cycle rythmique à onze temps pouvait comme aller de soi. Je n'en reviens pas ! J'aimais notamment la façon dont les temps étaient accentués et divisés lorsque l'on s'approchait de la fin d'un cycle, l'entrée dans le cycle suivant étant annoncée par les mêmes paroles du chanteur.
Un autre moment de transe à été le jeu de questions et réponses (rythmiques) auquel se sont livré les danseurs. Ce type d'improvisations fait partie des pièces que je trouve les plus délectables dans la musique et la danse indienne, quelle que soit la configuration. Un des plus mémorables avait été celui de deux percussionnistes accompagnant Sri Mohan Santhanam à Chennai en août dernier. Un autre plus récent associait Jayanthi Kumaresh et son percussionniste. Les deux danseurs ayant chacun des grelots de chevilles, ils peuvent très bien jouer à un tel jeu de questions et réponses. Les phrases rythmiques sont d'abord assez longues (je ne sais plus combien de temps comportait le cycle rythmique). Puis tout semble s'accélérer parce que la question et la réponse qui suit immédiatement se font de plus en plus courtes au point de ne plus comporter qu'une ou deux frappes de pied.
Exceptionnellement en mode ninja (contraint et forcé puisque le placement était libre), une place se libérant opportunément par le lapin posé à une spectatrice par une de ses amies, j'ai de façon inattendue été extrêmement bien placé au quatrième rang. Mes jumelles n'ont donc pas été nécessaires. Je me délecte par avance des très probables opportunités prochaines de revoir Isabelle Anna dans l'intime salle du Centre Mandapa (qui était fort bien représenté au premier rang de l'auditorium !). À la fin du spectacle, très émue par l'accueil du public (standing ovation), elle a remercié le père de son partenaire, Pandit Arjun Mishra (gharana de Lucknow) qui a chorégraphié et conçu ce programme.
Deux représentations de ce spectacle étant prévues, à l'heure où j'écris ces lignes, peut-être est-il encore possible d'acheter des billets pour assister à la représentation de ce samedi à 20h30 ?
Je n'avais été que moyennement convaincu par les premiers spectacles que j'avais vu à l'Auditorium du Musée Guimet (Urmila Sathyanarayanan et Priyadarshini Govind), mais après la superbe Meenakshi Srinivasan, c'est la deuxième fois de suite que je ressors très enthousiaste de cette salle.
2012-02-12 16:22+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Auditorium du Musée Guimet — 2012-02-10
Meenakshi Srinivasan, bharatanatyam
Jayashree Ramanathan, nattuvangam
Vasudha Ravi, chant
V. Vedakrishnaram, mridangam
Kalaiarasan Ramanathan, violon
Invocation de Krishna
Varnam (Raga Mallika)
Meera Bhajan (Raga Yaman)
Ashtapadi (Raga Bihag)
Tillana (Raga Sindhu Bhairavi)
Si j'avais été déçu par les précédents récitals de bharatanatyam auxquels j'avais assisté au musée Guimet (et davantage par celui de Priyadarshini Govind que par celui d'Urmila Sathyanarayanan), celui qu'a donné Meenakshi Srinivasan vendredi m'a véritablement enthousiasmé. C'est d'autant plus remarquable à mes yeux que les pièces les plus développées qu'elle a dansées appartiennent à un genre qui n'a en général pas ma préférence.
Le récital en cinq parties, intitulé Madhuram Madhavan, est entièrement consacré à Krishna qui ensorcelle les cœurs de bergères dans l'Invocation qui intervient après un prélude musical. Je ne connais pas le terme technique correspondant, mais la danse a commencé comme un adage, ce qui permet à la danseuse de mettre en valeur ses qualités d'expression (un aspect de la danse que je privilégie par rapport à la virtuosité de frénétiques suites de pas). La fluidité et la beauté de la chorégraphie est étonnante. Une comparaison littéraire de Krishna avec un lotus se traduit ainsi par un mouvement continu qui fait éclore un lotus qui se métamorphose en Krishna.
Déplaçant un micro vers le centre de la scène, la danseuse vient ensuite
présenter le Varnam, la pièce principale du récital. Elle le fait
dans un français presqu'impeccable. En résumé, la saveur (Rasa) de
ce récital est l'Amôr
. Effet tragi-comique involontaire, il ne
s'agit bien sûr pas de La Mort mais de l'Amour. C'est bien dans cette
ambiance d'adoration joyeuse de la divinité que, par sa danse
rafraîchissante, Meenakshi Srinivasan avait plongé le spectateur dans la
pièce introductive. Elle va s'incarner ici dans le personnage d'Andal. Au cours de cette
pièce très développée, on verra la danseuse exprimer dans son jeu les
émotions successivement éprouvrées par le personnage. Elle appelle Krishna.
Ardente, elle souffre d'être séparée de lui, elle perd goût à tout. Les
tintements de ses bracelets lui font mal. On croit apercevoir une
apparition de Krishna observant la jeune femme. Elle semble reprendre vie.
Ayant comme une vision elle lui fait une déclaration d'amour : elle veut
s'unir à lui. Le personnage redevient triste. Elle se sent seule. Elle
reprend espoir ! Où dont est-il ? C'est grâce à la prière qu'elle s'unit à
lui, l'archer Kama ayant décoché quelques flèches ! (Pendant ces dernières
scènes, la style de la musique a quelque peu changé, devenant plus vive à
la manière d'un Tillana). La pièce se termine comme elle avait commencé :
la jeune femme retrouve son miroir et enlève la guirlande ou le collier qui
symbolisait son union avec Krishna.
Au cours de ce Varnam, pas moins de cinq ou six passages rythmiques se sont insérés dans la danse narrative. S'ils ont souvent été très virtuoses (quels bras !), c'est d'abord la variété et l'intelligence de l'ensemble qui me frappe. Une fois même, le mouvement rythmique s'insérait tellement bien au reste de la pièce (et à la musique dont la partie mélodique ne s'éclipsait pas derrière le son des nattuvangam) qu'il en résultait une impression de continuité. Parmi les éléments qui m'ont beaucoup plu, il y a eu la façon de la danseuse de présenter des figures très asymétriques.
La pièce suivante est également cyclique. Mirabai est assise. Peut-être joue-t-elle d'un tampura ou d'un autre instrument à cordes de sa main droite comme elle est représentée dans l'iconographie. Elle retrouvera cette position après la parenthèse qu'a constituée son chant d'amour-dévotion à Krishna. Cette adoration est particulièrement exaltée. La danseuse effectue parfois des pirouettes en laissant tourner ses bras horizontalement dans une attitude d'abandon de soi typique de la bhakti dans sa forme la plus joyeuse. On voit par ailleurs la danseuse esquisser des comparaisons bucoliques, associant Krishna-Govinda aux oiseaux, aux poissons ou au lotus.
La suite du programme est très audacieuse puisque la danseuse reste couchée ou assise pendant toute la durée (ou presque) de la pièce suivante. Il s'agit de la représentation du réveil de Radha après une nuit d'amour avec Krishna. Leur jeu amoureux continue alors que Radha s'étire, demande à être ointe par Krishna de divers onguents. J'avais sorti mes jumelles pour bien apprécier le jeu et l'expression du visage de la danseuse pendant cette pièce aucunement ennuyeuse alors même que la musique prolongeait admirablement bien le peu d'énergie et les bâillements du personnage à son réveil.
Le programme s'est terminé par un Tillana. Ce type de musique avait déjà été entendue pendant le Varnam. La composition musicale utilisée dans de Tillana est de toute beauté. Les phrases musicales sont interprétées par la chanteuse et reproduites par le violoniste, tous les deux excellents. La pièce est inspirée du Rasa-Lila, la danse des gopis avec Krishna. Si c'est effectivement le point de départ de cette pièce, Krishna n'est progressivement plus uniquement le charmant flûtiste dont la position des pieds typique évoque la décontraction. C'est plus généralement de Hari-Vishnu qu'il s'agit et certains de ses multiples noms sont prononcés ! Presque furtivement, je crois voir un Vishnu tel que le représente l'iconographie. Il porte le disque dans la main droite et ce disque est animé d'un mouvement rotatif (tout comme dans le temple Shri Bhagavad-Gita de Vrindavan par exemple). Ce Tillana est semble-t-il très développé et pourtant je ne me suis ennuyé à aucun instant tant la danseuse évite de réduire ce type de pièces aux lieux communs auxquels il se réduit parfois (grands tours en ronds et danse pure stéréotypée sur une musique rythmée).
Le public en redemandant avec enthousiasme, la danseuse et les musiciens ont interprété une pièce supplémentaire. La musique est de Muthuswami Dikshitar. On s'écarte des thèmes krishnaïtes des pièces qui ont précédé. Il est ici question de l'abandon de la conscience de la danseuse alors que Shiva dans sa forme Nataraja du Seigneur de la danse effectue sa danse cosmique sur l'immanquable rythme du tambour, élément iconographique particulièrement mis en valeur par l'interprète. Les diverses positions (dont la position standard Shiva-Nataraja) ainsi que la façon de passer d'une position à une autre sont superbes. On retrouve aussi parfois le mouvement de rotation de la danseuse sur elle-même signifiant son abandon. Par ailleurs, la chorégraphie de cette pièce évoque différents aspects de Shiva. Je n'ai aucune certitude, mais il m'a bien semblé reconnaître l'évocation de sa puissance, de sa forme androgyne Ardhanarishwara, de Nilakantha (celui qui a la gorge bleue, référence au poison avalé par Shiva lors du barattage de la Mer de lait) ou encore de la descente de la Ganga perdue dans le chignon tressée de Shiva. Malgré l'effort que doit constituer un récital de danse de deux heures, l'interprète n'a aucunement paru faiblir dans l'exécution des passages rythmiques insérés dans ce bis.
Bref, cette danseuse entre directement dans mon Top 4 en compagnie de Srithika Kasturi Rangam, Lavanya Ananth et Mallika Thalak.
Ailleurs : Mille et une nuits à Paris.
2011-11-18 01:31+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Centre Mandapa — 2011-11-17
Laxmi Myriam Quinio, bharatanatyam
Pushpanjali (chorégraphie de Smt. P. Subrahmanyam)
Jatiswaram (chorégraphie de Smt. P. Subrahmanyam)
Jagado Dharana
Shabdam (chorégraphie de V. S. Muttuswamy Pillaï)
Yaro Iver Yaro
Sri Devi Kirthana (chorégraphie de V. S. Muttuswamy Pillaï)
Bho Shambho (chorégraphie de Smt. P. Subrahmanyam)
Thillana Sindhubhairavi (chorégraphie de Dominique Delorme)
Krishna Damodara
Il ne faut pas faire la fine bouche. S'il ne m'a pas autant transporté que celui de Mallika Thalak il y a quelques jours, le récital de bharatanatyam de Laxmi Myriam Quinio m'a semblé assez remarquable.
La jeune danseuse commence son récital par deux pièces très vives : Pushpanjali et Jatiswaram. Elles sont presque trop éblouissantes par la vitesse d'exécution de ce qui dans le Jatiswaram est de la danse pure.
La pièce Jagado Dharana raconte quelques jeux entre Krishna et sa mère adoptive Yashoda. Plus loin, il y aura une pièce mettant en scène la rencontre entre Rama et Sita. Ces deux chorégraphies me décoivent légèrement par la façon un peu superficielle d'aborder ces deux thèmes. La similitude entre les deux conclusions (Yashoda voyant la forme universelle de Krishna, Rama reconnaissant en Sita la déesse Sri-Lakshmi) rend peut-être une des deux pièces redondante dans un même récital. Si l'interprète a été fort heureusement toujours du bon côté, elle n'était pas à mon goût assez loin de la frontière qui distingue une danseuse qui joue un rôle et un personnage incarné par une danseuse. Avant que les chorégraphies ne fassent de la danseuse un personnage, j'aurais aimé voir comme un masque de neutralité qui pourrait ensuite prendre vie subitement.
Entre ces deux pièces narratives étaient intercalée une pièce dans
laquelle une jeune femme se languit de Muruga. Cette pièce m'a semblé la
plus convaincante lors de ce début de récital. On verra ainsi Kama, le dieu
Amour, lui décocher quelques flèches. L'amour pour le dieu lui sera
tellement insupportable que le chant du rossignol lui sera pénible et que
le lait de vache la fera vomir. Il se trouve que dans le Manuel
traditionnel du Bharata-Nâtyam, Le Danseur Cosmographe de Katia
Légeret, je lisais récemment qu'à tel mudra était associé de multiples
sens, parmi lesquels vomir
. Je n'imaginais pas que je le verrais
sitôt utilisé en ce sens ! (Avant chacune des pièces narratives, la
danseuse montrait quelques mouvements en les expliquant de sa douce
voix.)
Les deux pièces suivantes évoquent successivement la dévotion pour la déesse-mère et pour Shiva. Dans la première, on verra l'évocation de différentes formes de la déesse : Parvati, Lakshmi, Saraswati (joueuse de vînâ), Kali (qui tire la langue), etc.
La pièce concernant Shiva m'a enthousiasmé au plus haut point. C'est aussi celle dont la musique me semblait la plus intéressante. Le texte était le typique Bho Shambhu/Shiva Shambhu Svayambhu, mis en musique d'une façon différente de ce que je connaissais déjà. Parmi les images frappantes, celle de Shiva en yogi, et surtout celle représentant Shiva-Nataraja. La façon qu'a eu la danseuse de prendre cette dernière pose est tout à fait unique. La jambe gauche est tendue vers l'avant et opère lentement une rotation vers la droite tandis que les mains prennent les poses habituelles. L'amplitude, la vélocité et la fluidité de certains mouvements de pieds et de jambes trahissent la formation multiple de la danseuse, en particulier dans la technique classique (européenne). Certains passages étaient ainsi très impressionnants.
Après un charmant Thillana qui ne se réduisait pas à de la danse pure (puisque l'on pouvait reconnaître quelques dieux vers la fin), la danseuse a interprété une pièce supplémentaire dont le texte chanté commençait par Krishna Damodara. Cette pièce m'a plu peut-être encore davantage que le Bho Shambhu. On y voyait plusieurs aspects de Krishna. L'enfant volait du beurre et se faisait réprimander. Plus grand, il jouait de la flûte et dansait avec les gopis. La danse avec les gopis était absolument extraordinaire. Par la vitesse d'exécution et une combinaison inédite de mouvements simultanés de toutes les parties du corps, on aurait presque dit que la danseuse se démultipliait comme la tradition explique que Krishna donne l'impression à chacune des nombreuses gopis qu'il ne danse qu'avec elle seule. Il sera également fait référence à Vishnu couché sur le serpent Shesha, et si ce n'est pas la première fois qu'en évoquant cette image je vois une danseuse montrer Lakshmi en train de lui masser les pieds, ce soir ce fut fait de la plus belle des manières.
Plutôt que les multiples pièces de longueur intermédiaire vues dans ce récital intitulé Sringaram (qui a quand même duré presque deux heures !), j'aurais peut-être préféré voir une pièce plus développée (Varnam). Cela dit, je reste très satisfait de ce spectacle.
2011-11-13 21:21+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Centre Mandapa — 2011-11-13
Mallika Thalak, bharatanatyam
Kalikautam (chorégraphie de M. K. Saroja)
Alarippu (chorégraphie de V. S. M. Selvam)
Ardhanarishwara (transmis par Rama Vaidyanathan)
Ashtapadi (transmis par Rama Vaidyanathan)
Tillana (chorégraphie de V. S. M. Selvam)
Comme hier, je suis allé au Centre Mandapa pour assister à un récital de bharatanatyam. Le public a été moins nombreux et c'est bien dommage.
J'avais déjà eu l'occasion de voir danser Mallika Thalak dans le
spectacle Gangâ. J'avais noté qu'elle faisait aussi du
bharatanatyam (et qu'elle avait un port de tête exquisement
gracieux
), mais ce n'est qu'hier que j'ai fait le rapprochement avec
le nom de la danseuse programmée ce soir.
Je resors complètement émerveillé par sa danse. Ma théorie depuis un moment est que chaque danseuse a son style propre. Celui de Mallika Thalak me semble caractérisé par une incroyable beauté dans le geste et l'expression. J'étais déjà transporté avant même qu'elle effectue le moindre pas dans la première pièce en hommage à Kali qui a débuté par des mouvements de la moitié haute du corps. Elle a ensuite développé ce Kalikautam (orthographe incertaine) en évoquant principalement les aspects féroces de la déesse Kali.
La deuxième pièce, Alarippu, était exécutée sur une musique purement rythmique. La danseuse ne cherche pas à faire une démonstration de vitesse. Cela reste résolument fluide et extrêmement beau.
La pièce principale est Ardhanarishwara. Elle évoque cette forme androgyne mi-Shiva mi-Parvati. La danseuse alterne ainsi entre le côté droit (Shiva à l'œil foudroyant) et le côté gauche (la gracieuse Parvati). Sans jamais devenir mécanique ou perdre sa beauté, la danse s'est également faite virtuose dans certains passages rythmiques au très vif tempo.
La pièce suivante Ashtapadi a été assez développée. Elle racontait les jeux amoureux de Radha et de Krishna. Celui-ci, charmant Radha et les autres bouvières par la flûte n'hésitait pas à éclabousser celle qu'on avait précédemment vu se parer et se maquiller.
Le récital s'est conclu sur un charmant Tillana, ni trop long ni trop court, ni trop lent ni trop rapide...
La présentation des différentes pièces était faite par le père de la
danseuse malabare
. C'était un vrai plaisir de l'écouter raconter les
pièces et la philosophie sous-jacente à sa manière, tout en s'amusant de ne
pas être l'impresario de la danseuse, mais seulement son père.
La danseuse et son père ont rendu un hommage particulier aux chorégraphes de ces pièces et encore davantage aux personnes qui les lui ont transmises. Si cela tend à se perdre de nos jours, la transmission orale se fait traditionnellement de guru à disciple...
2011-11-12 23:29+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Centre Mandapa — 2011-11-12
Sabine Pandaredattil et al., bharatanatyam
En Inde, j'ai eu l'occasion de remarquer que le public n'avait pas forcément le même respect pour l'art et la façon de l'exprimer que, disons, des wagnériens. Les nuisances viennent par exemple des téléphones portables : les gens décrochent et répondent comme si de rien n'était.
Il est plus rare que ces nuisances viennent de l'entourage-même de la
danseuse comme ce fut malheureusement le cas ce soir. Tout d'abord, la
première rangée de places était couverte de feuilles où était écrit
réservé
. Ces places resteront vacantes, le clan s'étant installé au
deuxième rang (plus confortable).
Le plus gênant, ce furent les photographies avec flash prises tout au long du spectacle. Comment peut-on mépriser à ce point la personne en charge des lumières et les spectateurs en flashant à tout va, y compris quand la scène est dans la pénombre ? Il faut ajouter à cela les clic-clics hystériques des appareils-photos et la projection de lumière test que ces appareils doivent lancer avant la prise en vue pour se régler.
Il faut aussi tenir compte de la concurrence de la danse réalisée entre le premier rang et la scène par une jeune fille tout aussi inconsciente que ses parents de la gêne que cela pouvait occasionner pour les spectateurs, sans parler des danseurs.
C'est qu'il y avait plusieurs danseurs et c'est là un autre problème
avec ce spectacle. En Inde, j'ai appris à me méfier des spectacles annoncés
comme Bharatanatyam par les disciples de Guru Smt. X
. Je n'ai rien
contre le principe des démonstrations d'une école de danse, j'ai apprécié
celles que j'ai vues à l'Opéra de Paris pour ce qu'elles étaient. Je
n'aurais rien contre le principe pour ce spectacle de danse bharatanatyam,
si cela avait été clairement annoncé.
Je m'attendais à voir un récital de Sabine Pandaredattil (installée en France depuis une vingtaine d'années) et je n'ai vu qu'une succession de pièces courtes (avec deux mini-Varnam) dansées par la guru et ses élèves, et ce dans différentes configurations. Les élèves étaient au nombre de quatre : un jeune homme et trois jeunes filles.
Le jeune homme était tout-à-fait convaincant (notamment en Shiva). C'est la première fois que je vois sur une scène un danseur de bharatanatyam de ce niveau (les autres que j'ai vus étaient beaucoup plus jeunes). Ses frappes de pieds contre le sol étaient un instrument à part entière. Ses passages rythmiques furent ainsi particulièrement spectaculaires, les effets étant en outre amplifiés par sa grande taille. Par ailleurs, ses mouvements de mains et d'yeux m'ont bien plu aussi.
Une des trois jeunes femmes sortait assez nettement du groupe. Outre ses mouvements fluides et en rythme, sa maîtrise de son expression faciale faisait toute la différence. Elle s'est distinguée dans un duo avec une autre élève qui évoquait l'enfance de Krishna, avec bien sûr l'épisode du pot de beurre. Je ne regardais plus qu'elle. Elle ne doit plus être très loin du niveau qui lui permettrait de se produire en solo... J'ignore son nom tant les annonces faites au micro et dans un français trébuchant étaient incompréhensibles.
J'ai accueilli ces prestations d'élèves avec une certaine bienveillance.
Pour le reste, j'ai eu de quoi être déçu par la performance de Sabine
Pandaredattil elle-même. Dans ses solos et autres pièces avec ses élèves,
je n'ai vu que de la danse pure
: une succession de pas qui ne
racontaient pas d'histoire ni n'exprimaient d'émotion que je puisse
déchiffrer. Il n'y avait pratiquement que des passages purement rythmiques.
Entre ceux-ci, certaines séquences de pas étaient curieusement répétées
plusieurs fois. Au bout de la troisième reprise, j'avais vraiment
bien compris que la Ganga descendait du chignon tressé de Shiva ou encore
que du nombril de Vishnu-Padmanabha émergeait un lotus ! Merci, mais une
seule fois, cela m'aurait bien suffi ! Je ne fais pas le détail des pièces
successives (qui évoquèrent principalement Shiva, mais aussi Subhramaniam,
Ganesha et Vishnu). J'ai été également déçu par son Tillana qui était
exécuté sur un rythme étonnamment lent pour une pièce de ce type, en
général bien plus vive.
2011-11-06 00:24+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Centre Mandapa — 2011-11-05
Shakuntala, bharatanatyam
Muthuswami Pillai, chorégraphie
Bhakti, la lumière du cœur, Poèmes de Rumi
C'est un récital un peu à part auquel j'ai assisté ce samedi au centre Mandapa. Il était intitulé Bhakti, la lumière du cœur, et à la danse bharatanatyam devaient être associés des poèmes de Rumi. L'idée d'associer le bharatanatyam à une autre culture fait penser au programme Bhârata/Bach dansé par Maria-Kiran il y a quelques années, mais la réalisation sera toute différente.
Le récital sera en réalité en trois parties. Après que l'on a fait brûler de l'encens et allumé la lampe, un prélude musical se fait entendre : une invocation de Shiva. La danseuse entre ensuite en scène (elle n'en sortira plus avant la fin du récital, ce qui contribuera à une atmosphère étonnante que personne n'osera troubler par des applaudissements) pour des offrandes de fleurs. J'ai le plaisir d'entendre une guimbarde dans la musique enregistrée, cela faisait longtemps... Le style de la danse comporte beaucoup de tours de la danseuse sur elle-même. Le rythme est très rapide. Cela semble une façon de concevoir le voie de la Bhakti, sous la forme d'une sorte d'adoration joyeuse de la divinité qui permettrait d'atteindre l'Unité. La danse évoque les oreilles de Ganesh et la danse de Shiva-Nataraja.
Avant de danser la pièce suivante, la danseuse dévoile un peu du
dictionnaire de la danse en montrant des mouvements associés à un petit
texte qui résume la pièce. Il sera question d'une dévôte de Subramaniam
(aussi appelé Muruga, Skanda ou Kartikeya) qui s'adresse à lui en disant
Pourquoi tardes-tu à venir me donner ta bénédiction ?
. La narration
et l'illustration est entrecoupée d'assez longs passages de danse pure. La
chorégraphie n'est pas des plus belles que j'aies vues. Elle demande une
très grande rapidité d'exécution. Cependant, les mouvements et poses prises
par les mains sont réalisés avec une grande précision. Dans cette pièce
comme dans la précédente, malgré la vitesse, l'ensemble reste ainsi très
lisible.
Ayant enlevé ses grelots de chevilles et ayant passé une blanche
tunique, le récital prend une toute autre direction. Il ne s'agit plus
véritablement de danse bharatanatyam. La seule musique sera le silence et
un doux accompagnement de flûte. La danseuse se transforme en une
comédienne qui déclame des poèmes du mystique soufi Rumi tout en soulignant
le sens par des mouvements des bras et des mains qui appartiennent au
bharatanatyam. La plupart de ces poèmes sont structurés autour d'un mot ou
d'un groupe de mots qui est repété de nombreuses fois à la fin ou au début
des vers. Ainsi, dans le poème commençant par Toi qui ignores l'amour,
dors !
, toutes les phrases se terminent par la même injonction
Dors !
. Dans le suivant, ce sera Reviens à l'origine de ta propre
origine !
. Ensuite, alors que le poète se demande Qui est à la
porte ?
, il ne cesse de répéter Où m'enfuir ?
. Dans
l'avant-dernier, ce sera Donne quelque chose au derviche !
(qui suit
notamment une autre injonction comme Délivre de son moi celui qui est
attaché à lui-même
). Dans le dernier, divers reproches d'une femme à
son amant seront introduits par Souviens-toi
.
Certains de ces poèmes posent des questions d'une façon suffisamment
large pour n'être absolument pas hors-sujet dans un récital de
bharatanatyam appelé Bhakti
. La forme que cela a pris était à tout
le moins surprenante, mais j'ai trouvé que cela avait été une très bonne
manière de faire entendre ce texte tout en l'accompagnant d'une pantomime
sur un fond musical dépourvu des rythmes habituels de la musique
carnatique. Cela m'a davantage convaincu que ce que j'avais vu faire au
Théâtre des Bouffes du Nord par Nahal Tajadod et Jean-Claude Carrière il y
a deux ans. La performance physique est aussi impressionnante, parce qu'il
doit être bien difficile de ne pas perdre son souffle alors qu'il faut en
même temps réciter les vers et les accompagner d'autant de mouvements !
En troisième partie du récital, la danseuse a remis ses grelots pour
deux pièces de bharatanatyam. Les pièces de la première partie étaient
plutôt rapides. Celles-ci furent plus lentes. En particulier,
l'avant-dernière pièce du récital sera comme un adage évoquant les
différents aspects de la fille du roi des monts (Parvati). Je dis Parvati
parce que c'est le nom qui m'est venu en premier quand avant de se remettre
à danser, l'interprète a fait un résumé de la pièce accompagné de
mouvements chorégraphiques. Les noms qu'elle a employés étaient plutôt
Gauri, Uma, Shankari, Kaumari et Annapurna, mais cela revient au même...
Elle a fait un petit clin d'œil aux connaisseurs en mentionnant que les
seins de la déesse étaient en forme de Kumbha
.
Le récital s'est conclu par une pièce mettant en scène les dieux assistant à la danse cosmique de Shiva. Cette pièce a commencé par un travail chorégraphique centré sur les bras et les mains, et puis les pieds se sont aussi mis en mouvement. J'ai rarement vu ce fait souligné, mais ici, pour évoquer la danse cosmique de Shiva, la danseuse a mis un accent particulier sur les battements du tambour (Damaru).
2011-10-02 21:56+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Centre Mandapa — 2011-10-02
Vidyà, bharatanatyam
Smt. M. K. Saroja, chorégraphies
Le Centre Mandapa a fait sa rentrée il y a quelques jours. Ce dimanche, Vidyà a proposé un récital de bharatanatyam, la danse qu'elle enseigne au centre. La première fois que j'ai vu de la danse bharatanatyam, c'était dans un spectacle qu'elle avait chorégraphié : Bhârata/Bach (interprété par Maria-Kiran).
Après une introduction purement musicale, la première pièce Sarasvati-stuti a commencé. Il s'agissait d'un hommage à la déesse de la connaissance, Sarasvati. Comme pour les autres pièces présentées, la chorégraphie est de Smt. M. K. Saroja dont Vidyà est une disciple. À part quelques éléments courants (lotus) ou faciles à reconnaître (Sarasvati jouant de la vina), je n'ai guère reconnu que le Shiva ascète à l'abondante chevelure.
Dans le Varnam, la pièce principale du récital, une jeune femme se languit de Murugan. Ce type de sujet n'est pas mon préféré. Dans le cas présent, il permet néanmoins d'apprécier le dieu Amour lançant ses flèches.
La pièce suivante est liée au mouvement de la bhakti. La chanson Pashuram dûe à Peri Alwar raconte en effet la Krishna-Lila. Cette pièce est divisée en trois parties. Dans la première, on se réjouit de la naissance de Krishna. Dans la deuxième, Yashoda, sa mère adoptive le couche dans un luxueux lit. Dans la troisième, elle défie la Lune de jouer avec son fils.
L'avant-dernière pièce du récital est un Thillana et la dernière un Mangalam qui est un hommage au guru.
La danseuse n'étant plus toute jeune, sa danse ne présente pas la même fraîcheur et la même vivacité que celle de danseuses plus jeunes, comme Lavanya Ananth que j'avais vue dans la même salle il y a quelques mois. Les passages rythmiques, quoique parfois manifestement très difficiles, n'étaient pas les plus virtuoses que j'ai vus, mais ceci était largement compensé par les aspects expressifs de la danse, notamment dans la triple-pièce autour de Krishna.
2011-08-22 20:07+0530 (சென்னை) — Danses indiennes — Voyage en Inde X
Samedi matin, je suis allé visiter le temple Parthasarathy que je n'avais pas eu l'occasion de visiter auparavant, faute d'arriver pendant les horaires d'ouvertures (la plupart des temples du Tamil Nadu ferment entre midi et 16h environ). Pour y accéder, j'ai traversé un quartier fait de ruelles et d'habitations près de la station Tiruvelikeni.
Le temple, dédié à Krishna comme cocher d'Arjuna, est assez étendu. Les
fidèles se mettent à plat ventre devant les divinités. La queue pour le
Darshan
au sanctuaire principal est très longue. J'ai donc pris un
ticket Quick Darshan
. Ce ticket n'est pas une plaisanterie puisque
je me suis retrouvé immédiatement à une dizaine de mètres du but.
Finalement, on finit par s'approcher d'un Krishna moustachu dont la tiare
est recouverte de guirlandes de fleurs..
Beaucoup de piliers sculptés et de sculptures sur les gopurams : Hanuman, Krishna portant le mont Govardhana, Vishnu sur le serpent Shesha, Krishna et Arjuna sur leur char, divers avatars de Vishnu. De façon plus originale, on voit au moins deux fois une sculpture représentant un bébé couché sur une feuille avec la jambe droite relevée jusqu'au menton. Cela me fait penser à une vision que le sage Markandeya décrit aux Pandavas dans le Mahabharata, mais il faudra que je vérifie.
En sortant du temple, une très mauvaise surprise m'attend : mes chaussures ont été volées au Free Chappel (sic) Stall. La perte n'est pas énorme (100 roupies environ), m'enfin j'ai dû marcher deux kilomètres pour rentrer et trouver une boutique de chaussures. J'ai bien essayé de prendre un rickshaw, mais il est tombé en panne au bout de deux cents mètres. Comme j'étais du côté de Marina Beach, j'ai pu faire l'expérience que tenter d'y aller pieds nus vers midi était une folie tant le sable était brûlant (tout comme certains passages de la route...). Je me suis accordé une pause à la basilique où se trouve la tombe putative de l'apôtre Thomas.
⁂
Dimanche, je me suis balladé le long de la plage de Chennai Beach en partant de la rue qui passe derrière la basilique Saint-Thomas. À cet endroit, la plage sert principalement de lieu d'aisance pour les pêcheurs... Plus haut, des gamins font des acrobaties dans le sable. Quelques téméraires se baignent.
En fin d'après-midi, je voulais assister à un programme de
bharatanatyam. Je me disais bien que Disciples of Smt. Sangeeta
Sivakumar
, c'était une pioche risquée. Cela dit, si on ne tente jamais
ce type de programme, on n'a aucune chance de voir en action un corps de
ballet de bharatanatyam comme il en existait autrefois. Cependant, je ne
m'attendais pas à trouver une trentaine de filles de 8-12 ans toutes
habillées, coiffées, fardées et couvertes de bijoux dans l'auditorium de
cette école. Le premier problème est que cela a commencé par des chansons
par un groupe de cinq fillettes aux voix sur-aiguës. Après dix minutes
d'acclimatation, ces chansons sur Shiva ou Yashoda (la mère adoptive de
Krishna) n'étaient pas trop désagréables à écouter, mais en interlude il y
avait deux garçons qui jouaient du clavier (à l'unisson ! il faut qu'on
m'explique l'intérêt) sur succession de notes. Ça, c'était le supplice
absolu, je ne comprends même pas qu'on puisse appeler cela de la musique !
Comment peut-on faire jouer ces trucs affreux à des enfants ?!
Je ne restais que parce que les danseuses allaient bien finir par monter en scène. C'est effectivement ce qu'elles ont fait, toutes ensemble, en désordre, juste pour faire un petit salut et s'en aller. Ensuite, le programme proprement dit a commencé par un Pushpanjali de la guru (qui avait déjà dansé un peu en arrière-plan des chanteuses, prenant des poses correspondant aux chansons). Par rapport à tout le reste, c'est évidemment d'un autre niveau, mais ce n'est pas exceptionnel non plus. En deuxième partie, une toute jeune danseuse en costume rose présente quelques mouvements évoquant Ganesha. En troisième partie de programme, une danseuse un peu plus expérimentée présente une pièce autour de Shiva-Nataraja. On la voit notamment lui présenter des offrandes et évoquer la puissance de Shiva. Cette pièce comporte même des passages purement rythmiques. Curieusement, vers la fin, elle évoque aussi Krishna flûtiste. Cette pièce n'était pas mal du tout, compte tenu des conditions du spectacle. Cela a été la plus intéressante vue en ce début de programme. Ensuite, des ensembles de danseuses (7 puis 5) sont venues présenter des mouvements plus ou moins synchronisés, puis la guru est revenue danser un Padam sur Shiva. Je me suis éclipsé pendant cette pièce que je trouvais peu intéressante. (J'ai quand même tenu plus d'une heure...)
De l'autre côté de la rue, il y avait le temple de Ramakrishna Mutt. J'ai vu de la lumière et entendu du bruit. Je suis entré. Sur les tapis étaient installés des dévôts. Les hommes à gauche, les femmes à droite. Dans l'allée, on peut se servir dans des caisses contenant des bréviaires. En bleu, la version tamoule. En jaune, la version en alphabet devanagari. Je prends la version jaune. Reste à trouver la page dans cet ensemble en trois parties et deux volumes de tailles inégales. Heureusement, la pagination est continue et vraisemblablement synchronisée entre les deux versions. Le chanteur principal (que je ne vois pas d'où je suis) annonce les numéros de page en tamoul et en anglais avant de commencer. Il est accompagné par les fidèles, par ce qui est vraisemblablement un harmonium (mais qui sonne presque comme un orgue) et des percussions. Le rythme est très facile à suivre : ce sont des bhajans. Comme on célèbre Krishna ces jours-ci, ce sont des bhajans en l'honneur de Krishna. Dans le bréviaire, je suis étonné de ne voir mentionnés dans l'index que des divinités hindoues et des noms importants du mouvement Ramakrishna. Vu le caractères censément syncrétique de ce mouvement, je m'attendais à trouver au moins un chapitre sur Jésus et un autre sur Mahomet...
2011-08-22 18:37+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde X
Narada Gana Sabha, Chennai — 2011-08-19
Kumari Sukanya Kumar, bharatanatyam
Vendredi après-midi, je me suis rendu au Narada Gana Sabha Mini-Hall, une salle que je connaissais déjà. Il s'y est tenu un festival de quelques jours : le dixième festival annuel de musique et de danse sur des composition de Dr. Rukmini Ramani. Celle-ci était installée au premier rang. Ayant pris place de l'autre côté de l'allée, je l'ai vue bénir la jeune danseuse qui était venue recueillir sa bénédiction en lui présentant ses grelots de chevilles et en se prosternant à ses pieds.
Le programme interprété sur une musique enregistrée n'a duré qu'une heure, mais la danseuse m'a semblé faire preuve de grandes qualités.
La première pièce évoquait Shiva-Nataraja avec et sans les pieds et dans sa chorégraphie elle a représenté un éléphant de la plus belle des manières.
Dans la deuxième, elle a inséré des passages rythmiques alors même que la musique restait mélodique (contrainte du festival...). La pièce représentait des oiseaux, une jeune femme et a évoqué divers arts : écriture, sculpture, danse (shiva-Nataraja), musique (flûte, vîna). Shiva a aussi été représenté sous la forme du lingam.
Tout ce que je sais du Varnam, la pièce principale, est qu'elle était sur le raga Vasanta. Cette fois-ci, la musique enregistrée contient de vraies parenthèses rythmiques. La pièce semble centrée sur Shiva : son troisième œil, sa puissance, son chignon d'ascète. Élément original de la chorégraphie : une courte suite de pas qui sera répétée quatre fois au cours du Varnam. L'aspect narratif de la pièce m'échappe. À un moment, une femme s'écroule. Est-elle morte ? Se lamente-t-elle ? En tout cas, la pièce se termine avec la danseuse en équilibre dans la pose Shiva-Nataraja.
Dans la pièce suivante, la danseuse évoque l'enfance de Krishna et son
rôle de cocher dans le Mahabharata. Ensuite, dans une pièce au
rythme rapide, elle a évoqué la déesse Devi et notamment ses aspects
furieux
. L'avant-dernière pièce était une sorte de divertissement
dans lequel l'intrigue semblait reposer sur des sortes d'haltères, mais je
n'ai pas compris où cela allait. Enfin, dans son Thillana, la danseuse a
encore une fois évoqué Shiva.
Si la technique de la danseuse m'a plu, je suis déçu d'être autant passé à côté des aspects narratifs des chorégraphies.
2011-08-15 15:32+0530 (திருவண்ணாமலை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde X
Khincha Auditorium, Bharatiya Vidya Bhavan, Bangalore — 2011-08-13
Smt. Subhashini Vasanth, bharatanatyam
Samedi soir, je suis allé au Bharatiya Bidya Bhavan sur Racecourse Road à Bangalore pour assister au récital de bharatanatyam de Smt. Subhashini Vasanth. Ce récital, gratuit, était organisé par l'Indian Council for Cultural Relations. Le thé, le café et les petits gâteaux étaient offerts avant le spectacle.
Étant arrivé en avance, j'ai assisté à la préparation de la scène. On a installé un Shiva-Nataraja doré flanqué de deux servantes sur le côté. On les a décorés de fleurs oranges et blanches et on a allumé la lumière.
Le récital a été précédé d'un petit discours en kannada, puis d'un numéro purement musical : une prière dans laquelle les noms de quelques divinités étaient prononcés.
La danseuse est entrée en scène pour une pièce presqu'uniquement rythmique. Il s'agissait de rendre hommage à Shiva-Nataraja et de lui offrir (au sens propre) des fleurs. Bizarrement, quand elle évoque Shiva-Nataraja, le seigneur de la danse, la danseuse n'utilise que ses mains et ses bras. Ce sera une constante jusqu'à la fin du récital : à aucun moment, elle ne lèvera la jambe gauche au-dessus du genou droit. C'est la première fois que je vois ça.
Le Varnam, la pièce principale, est centré sur une Nayaki, une femme qui se languit de Shiva. Apparemment, elle arrive à ses fins. La danseuse est accompagnée d'un joueur de nattuvangam qui m'a fait une très bonne impression dans les nombreux passages rythmiques de danse pure, le joueur de mridangam m'ayant moins convaincu. La chanteuse et la flûtiste jouaient aussi très harmonieusement. Malheureusement, on n'entendait la vîna (un instrument que j'apprécie beaucoup) que dans ses solos du fait d'un mauvais réglage des micros. Lors de ce Varnam, la danseuse va évoquer plusieurs aspects de Shiva. De façon opposée aux passages rythmiques rapides, il y aura aussi une sorte d'adage. Je n'ai pas très bien compris la fin où le texte et la chorégraphie semblaient évoquer l'onde de l'Océan (Sagara).
Ce type de sujets (femme se languissant de Krishna ou de Shiva) n'est pas parmi mes préférés. Tout est centré sur l'attitude de la jeune feme. Il n'y a pas vraiment d'histoire puisque c'est essentiellement du sur-place. Il y a du remplissage avec les passages rythmiques (pas toujours très synchro). Ce n'est ni abstrait ni narratif. Bref, ce n'est pas ma tasse de thé.
Dans la pièce suivante où l'interprète âgée de vîna peut enfin se mettre
en valeur, la danseuse devient une dévôte de Devi qui se plaint auprès de
la Déesse : Ne suis-je qu'une marionnette pour Toi ?
. Beaucoup de
travail au sol dans cette pièce où est représenté le culte ordinaire.
L'avant-dernière pièce présente des scènes du Ramayana sur un Bhajan de Tulsidas. Après un prologue dans lequel le poète Tulsidas est inspiré par Saraswati, la première scène est le Janaki Swayamvaram : l'épreuve que Rama réussit pour obtenir la main de Sita, fille de Janaka. Dans cette épreuve, les prétendants doivent bander l'arc de Shiva. Seul Rama est représenté, et sa réussite est montrée de façon très furtive. Je n'ai pas bien situé la deuxième partie de la pièce où il était question de la croissance d'un enfant et où apparaissait aussi une femme vieille ou bossue. Cela pourrait être Manthara, mais présenter la naissance des fils de Dasharatha après le mariage de Rama serait curieux d'un point de vue chronologique. C'est pourtant cette pièce que j'ai le plus appréciée.
Le récital s'est conclu par un Thillana, de la danse pure rythmée évoquant Krishna joueur de flûte. La musique de cette pièce s'est enchaînée avec celle de Vande Mataram, tandis que la danse passait de la rapidité d'exécution à l'adage.
Ce n'était pas un des meilleurs récitals de bharatanatyam auxquels j'aie assisté. D'une part, le style des pièces n'étaient pas ceux que je préfère. D'autre part, la très-honorable prestation de la danseuse n'était pas exceptionnelle.
⁂
Je suis retourné au même restaurant que la veille. À l'entrée, il est impressionnant de voir plus d'une trentaine de poulets embrochés par cinq en train de rôtir. La veille, juste après le coucher du soleil, la plupart des client étaient manifestement musulmans. Le lendemain, un peu plus tard dans la soirée, il y avait hindous et musulmans. Curieusement, les plats du Sud de l'Inde (dosa, appam, idli, etc) n'y sont pas servis avec du sambhar avec avec d'autres plats (masalas divers).
À la table devant la mienne, un quatuor d'hommes d'apparence ordinaire
mangeaient. Quand ils sont partis, le premier s'est avéré être un nain. Le
deuxième était en béquilles. Le troisième normal
et le quatrième,
qui était le plus souvent dans mon champ de vision s'est déplacé vers le
côté de la banquette. Il m'a paru encore plus petit que le nain. Puis il a
touché le sol. L'explication est venue : il n'avait pas de jambes...
How unexpected!
2011-07-25 14:32+0530 (पुणे) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde X
Dance Theatre Godrej, National Centre for the Performing Arts, Mumbai — 2011-07-23
Gayatri Sriram (disciple de Smt. Minal Prabhu), bharatanatyam
Panchakanya
Avant-hier soir, je suis allé au NCPA pour voir Panchakanya, le récital de bharatanatyam de Gayatri Sriram (chorégraphié par sa guru Smt. Minal Prabhu). La première impression n'a pas été extraordinaire. Il y avait pourtant un effectif musical inhabituellement fourni : mridangam, nattuvangam, voix, flûte, sitar. Mais par ailleurs, on laissait entrer n'importe comment les retardataires. D'autres sortaient, re-rentraient, voire dans un cas, re-sortaient pour de bon en cours de route. Bref, difficile de se concentrer sur le spectacle.
La pièce introductive est une invocation de la déesse, Devi. Elle s'enchaîne avec la première partie du programme Panchakanya proprement dit. La première des cinq (Panch) jeunes femmes (Kanya) est Ahilya (sic). Les cinq femmes évoquées successivement étant des personnages du Ramayana (quatre) ou du Mahabharata (une seule), je connaissais déjà très bien leur histoire qui a de toute façon été rappelée avant chaque partie. Pourtant, je n'ai à peu près rien saisi de la partie concernant Ahalya (et je ne suis même pas certain d'avoir bien compris où était la transition par rapport à la pièce introductive). J'ai vaguement cru comprendre qu'il y avait une femme dévôte et qu'à la fin elle était en quelque sorte prise en flagrant délit d'adultère (Indra ayant pris la forme de son époux Gautama). A priori, rien sur la malédiction qui l'avait transformée en pierre avant que Rama ne la libère.
Je commençais à avoir de gros doutes et puis est venue la partie
consacrée à Draupadi. Elle comptait deux scènes. La première était celle de
son svayamvar : une cérémonie au cours de laquelle une jeune femme
choisit
son époux. En l'occurrence, le choix devrait se porter sur
celui qui montrerait son adresse à l'arc. C'est Arjuna qui l'emporte. Il me
semble que la danseuse a plusieurs fois souligné le fait que celui-ci était
un brâhmane, en tout cas au moins un deux-fois-né, reconnaissable à son
cordon sacré. Alors en fuite après l'incendie de la maison de laque, Arjuna
se cachait en se faisant passer pour un brâhmane. La deuxième scène est
celle du jeu de dés. Yuddhishthira a tout perdu contre Duryodhana (qui
faisait jouer un tricheur à sa place), y compris lui-même et Draupadi.
Duryodhana envoie Duhshasana la chercher. Elle refuse de se laisser faire,
mais il la traîne de force par les cheveux (c'est beaucoup moins soutenable
que la dernière scène du premier acte du Crépuscule des Dieux où
Siegfried ayant pris les traits de Gunther malmène Brünnhilde). Ensuite, il
tire sur son sari, mais de nouveaux mètres de tissu apparaissent
prodigieusement au fur et à mesure. Elle avait en effet adressé une prière
à Krishna. Cette deuxième scène du jeu de dés était tout particulièrement
bien chorégraphiée et très émouvante.
Comme dans tout le programme, la musique semble le résultat d'un très
bon travail visant à accompagner la dramaturgie. Cela se voit dans le
texte, que je ne comprends pas, mais qui contient suffisamment de
mots-clefs pour qu'il soit évident que les mots employés collent à
l'action. L'utilisation des différents instruments et les choix de
dynamique permettent de souligner les passages importants. De façon assez
originale, les passages purement rythmiques
sont accompagnés non pas
seulement du mridangam et du nattuvangam (auxquels s'ajoutent la voix de la
guru dictant le rythme), mais aussi de la voix du
chanteur, absolument extraordinaire (je n'ai jamais entendu un chant d'une
telle qualité lors d'un récital de bharatanatyam, à part Aruna Sairam, mais
c'était dans un contexte un peu particulier.
Il s'agit donc d'un récital de bharatanatyam dans un style très
narratif, comme j'en ai rarement vu. C'est cependant moins dansant que ne
l'était Srithika Kasturi Rangam. Cela dit, les passages
rythmiques de danse pure
étaient très bien.
Après Draupadi, c'est au tour de Sita. Là encore, l'histoire est parfaitement claire. Elle est découverte dans un sillon de terre par Janaka, qui l'élève. Lors de son svayamvar, Rama l'obtient en bandant l'arc de Shiva. J'avais déjà vu plusieurs fois cette scène particulière lors d'autres récitals. Ici, comme dans l'ensemble du récital, cela pèche un peu par la consision du propos. Il aurait été intéressant (et sans doute plus divertissant) de ne pas montrer seulement Rama en train de réussir l'épreuve, mais aussi de souligner la difficulté de la tâche en montrant quelques autres en train d'échouer plus ou moins lamentablement (le même problème se posait aussi avec l'épreuve réussie par Arjuna). Le plus beau passage de cette partie est intervenu ensuite. Alors qu'elle est dans la forêt avec Rama et Lakshmana, elle aperçoit une antilope dorée (en fait un démon qui a pris cette forme pour la tromper) ; elle demande à Rama de la lui capturer. Lakshmana finit par y aller aussi. Laissée seule, elle est enlevée par Ravana, que la danseuse a caractérisé en suggérant la présence de multiples têtes. Là, il y a eu une brutale ellipse, puisqu'on s'est retrouvé presqu'aussitôt à la fin de la guerre entre les démons d'un côté et Rama et les singes de l'autre. C'est seulement par les lumières qu'a été suggéré l'épreuve du feu que s'inflige Sita pour prouver sa vertu (cela a été presque furtif, pas du tout spectaculaire). Ensuite, la rumeur publique s'empare du bon sens de Rama qui envoie son frère abandonner Sita dans la forêt. Le public mumbaïte a laissé échapper quelques applaudissements lorsque Sita est brièvement sortie de scène (en pensant sans doute que cela signifiait la fin de la pièce) pour revenir aussitôt en ayant donné naissance à ses deux fils jumeaux. La fusion finale de Sita avec la Terre au moment où Rama venait la reprendre n'a été malheureusement suggérée que par les lumières.
C'est Tara, une autre femme du Ramayana, qui a été évoquée ensuite. Cela m'a semblé moins clair, la seule scène bien identifiable a été celle où Rama tue d'une flèche le singe Valin au cours du duel entre Valin et son frère Sugriva.
La dernière femme évoquée est Mandodari, l'épouse de Ravana. Essentiellement, on la voit jouir du luxe de Lanka, puis se lamenter de la mort de Ravana après qu'il a été tué par Rama.
Bien qu'il ne m'ait pas semblé entièrement satisfaisant, j'ai beaucoup apprécié ce récital, qui s'est conclu par les salutations traditionnelles dans un Mangalam.
2011-06-29 01:23+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Centre Mandapa — 2011-06-28
Lavanya Ananth (disciple de Sri Rajaratnam Pillai, Smt. K. S. Sarosa et Padmabushan Smt. Kalanidhi Narayanan), bharatanatyam
Je suis allé aujourd'hui pour la première fois au Centre Mandapa, à l'occasion d'un récital de bharatanatyam de Lavanya Ananth. Ce spectacle a été une de mes toutes meilleures expériences de spectateur de ce style de danse.
La salle de spectacle accueille environ 40-50 personnes. La scène est d'une étendue assez réduite, mais est toute entière offerte à la danseuse puisque la musique est enregistrée. Une sculpture de Shiva-Nataraja et quelque bâtonnet d'encens sont néanmoins sur le côté droit de la scène, comme il est de coutume.
(L'orthographe des noms des différentes pièces sera approximative... La
première est Netanjali, une pièce de danse pure
comportant
quelques passages purement rythmiques. La première impression est
fabuleuse. La danseuse ne fait pas preuve de virtuosité gratuite. Si sa
danse s'accélèrera parfois jusqu'à ne laisser paraître que furtivement
certaines poses, elle n'est jamais heurtée ou saccadée. Quand il le faut,
elle sait en effet maintenir ses pieds presqu'immobiles alors que le haut
du corps travaille, mais dans ses pas, elle fait également preuve d'une
éblouissante musicalité (et ce malgré l'écho qui brouille quelque peu
l'audition de la musique). À cette pièce s'enchaîne la deuxième,
Ambashtuti, qui évoque plusieurs formes de la déesse (sous les
noms de Parvati, Kali, Sarasvati, Mohini, etc.). Sans être exactement
narrative, cette pièce illustre différents aspects de la déesse de façon
très visuelle. On la voit tour à tour sous une forme séduisante, terrible,
guerrière ou musicienne (Sarasvati, joueuse de vîna). (Quelques passages
rythmiques très dynamiques dans cette pièce.) Si le spectacle s'était
arrêté là, j'en eusse déjà été fort satisfait !
La pièce principale est bien sûr un Varnam. Il est question d'une jeune femme qui se languit, non pas de Krishna, mais de Shiva-Nataraja. C'est donc une version shivaïte de l'assimilation de la dévotion à une relation amoureuse, ou encore d'un parallèle avec les amours divines. La jeune femme a d'abord l'impression d'être délaissée. Un archer, est-ce Kama-Cupidon ? lance ses traits. La fin évoquant le foisonnement printanier de la nature est assez tumultueux. Je ne l'ai pas reconnue dans le développement, mais dans l'introduction était évoquée parmi les créatures de la nature, celle du paon. Peut-être s'agissait-il d'une référence à une légende liée au temple Kapaleshwarar assimilant Parvati éprise de Shiva à une paonne ? Seul regret par rapport à ce Varnam, le passage rythmique beaucoup trop long qui est intervenu peu après le début.
La pièce suivante est intitulée Jagadotarana. Elle évoque l'enfance de Krishna à travers le personnage de Yashoda, la mère adoptive de Krishna. La façon dont la danseuse passe successivement d'un personnage à l'autre est stupéfiante. Son attitude, l'expression de son visage, son regard passant d'un extrême à l'autre à chaque changement de personnage. Tantôt elle est la mère, qui joue avec le très jeune enfant ou le gronde, tantôt elle est une sorte de narrateur extérieur, tantôt elle semble évoquer des exploits du jeune Krishna relatés notamment dans le Harivamsha (j'ai cependant été surpris que l'épisode du pot de beurre n'ait pas été évoqué). Sait-elle que son fils est le Dieu universel ? Apparemment non, elle est tout à son amour maternel.
Comme dans la pièce précédente, la suivante ne contiendra pas de passages rythmiques. Celle-ci évoque encore un amour avec un Dieu, cette fois-ci Padmanabha (dont j'ignorais avant de rechercher à l'instant ce nom sur Wikipedia que c'était un des noms de Vishnu). La fille est vraiment trop jeune. Elle repousse le dieu fort entreprenant. Elle lui dit néanmoins qu'il pourra revenir, quand elle sera plus grande...
La dernière pièce du récital m'a semblée superbe. On retrouve quelques brefs passages rythmiques insérés dans une évocation d'Ardhanarishvara, une représentation androgyne de Shiva et Parvati (dont je me souviens avoir vue lors d'une visite à la galerie des bronzes au Government Museum à Chennai lors de mon deuxième voyage en Inde). La moitié gauche est Parvati, la moitié droite est Shiva. Dans cette pièce (dont la partie chantée est sur un texte d'Adi Shankara), la danseuse a montré de façon saisissante le contraste entre les deux parties. Cela m'a permis de valider quelques éléments du bharatanatyam que j'avais conjecturés depuis un certain temps déjà, comme la façon de représenter la chevelure de Shiva comme une menaçante ondulation des mains de part et d'autre de la tête (exécutée ici bien évidemment uniquement du côté droit).
Je n'ai pas vu passer le temps lors des quelque deux heures du récital ! J'espère que j'aurai à nouveau l'occasion de voir cette danseuse, ou à défaut d'autres ayant des styles semblables.
2011-06-19 23:31+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Au bout de l'Allée des Berges, Sucy-en-Brie — 2011-06-19
Brigitte Chataignier, Hélène Marionneau, Mallika Thalak (Compagnie Prana), danse
Brigitte Chataignier, direction artistique et chorégraphique
Zéno Bianu, texte, voix
Alain Kremski, musique, piano et bols chantants
Denis Gambiez, réalisation sonore
Philippe Lacroix, scénographie
Joe Ikareth, costumes
Sylvain Labrosse, régie plateau
Brigitte Prost, aide dramaturgie
Gangâ
Je suis retourné au festival de l'Oh ce dimanche après-midi. Cette fois-ci, c'est à Sucy-en-Brie, à un kilomètre environ de la station de RER. J'arrive un peu avant une conférence-débat Les paysans indiens face aux techniques modernes avec Esha Shah, ingénieure environnementale et anthropologue, qui s'est intéressée au phénomène du suicide des paysans en Inde. Dans son exposé, elle a présenté quelques aspects de la Révolution verte en Inde, entreprise à partir du milieu des années 1960. Elle a expliqué que paradoxalement, ce ne sont pas les paysans les plus pauvres qui se suicident : ce sont plutôt ceux qui, ayant terrains, machines et main d'œuvre, n'arrivent plus à exporter du fait de la concurrence internationale et ne parviennent plus à rembourser leurs dettes. Des expérimentations prometteuses ont été faites pour retourner à une agriculture sans pesticides, mais cela reste encore très minoritaire.
La dernière représentation du spectacle Gangâ a lieu ensuite. Le décor s'inscrit dans le cadre naturel de ce bord de Marne. Avant la représentation, les danseuses balayent le praticable en bois avec des balais de brindilles typiquement indiens. Au piano électronique, Alain Kremski, dont j'avais tant aimé Melancolia créé à Pleyel il y a un mois, se dégourdit les doigts en jouant quelques mesures de la Première Gymnopédie (Satie).
Le spectacle commence. Il met en scène trois danseuses en kurta-pyjamas (jaune, bleu et rouge) et un récitant-poète. Le texte, quasiment chuchoté, est une poésie rimée évoquant la Gangâ dans un style dépouillé et hermétique. Il ne m'en reste presqu'aucun souvenir, si ce n'est une énumération de villes et villages où passe la Gangâ (ou certains de ses affluents, puisque Kedarnath apparaissait dans cette liste). À de nombreux moments, vu l'extrême lenteur des mouvements, on est vraiment à la limite de la danse. Il faut quand même noter la difficulté qu'il doit y avoir à maintenir certaines postures pendant de longues secondes, alors que le vent s'immisce dans cette représentation en plein air.
La chorégraphe Brigitte Chataignier (que j'avais trouvée plus
convaincante en danseuse de mohiniattam) utilise dans sa
chorégraphie contemporaine
des éléments issus des danses indiennes :
mouvements rythmiques des pieds, langage des mains et des bras (évocation
des poissons, des éléphants, etc). Curieusement, quand elle prend une
posture qui ne peut vraisemblablement être que celle de Shiva-Nataraja, son
bras gauche est orienté vers le bas alors qu'usuellement, il serait être
tourné vers la droite, quasi-flasque, faisant penser à une trompe
d'éléphant. Dans une scène parlée (mais inaudible) dans une langue
indéterminée, il semble que les danseuses reproduisent
une scène de lavandières travaillant au bord de la rivière. Plus loin, on
les verra danser de façon plus enjouée sur une musique enregistrée
Bollywood, circa 1950 ; ce sera le seul passage que l'on pourrait qualifier
de pas de trois
.
Parmi les moments saisissants, celui où la danseuse en bleu Hélène Marionneau trempe sa longue chevelure dans un mini-bassin carré placé au fond de la scène, puis se dresse, projetant ses cheveux vers l'arrière, décochant de multiples gouttelettes. La troisième danseuse (en jaune) Mallika Thalak m'a semblé particulièrement à l'aise avec les éléments de la chorégraphie provenant du bharatanatyam, en commençant par un port de tête exquisement gracieux.
La réalisation sonore de Denis Gambiez reproduit l'ambiance de scènes
réelles enregistrées au bord de la Gangâ. J'ai trouvé que cela avait une
importance un peu trop grande par rapport à la musique interprétée par
Alain Kremski. Celle-ci se termine tout en beauté par l'utilisation de
bols chantants
, des instruments à percussions tout en résonance.
Globalement, le spectacle m'a un peu plu, mais sans m'enthousiasmer au plus haut point.
2011-06-15 02:57+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Le Moulin Brûlé, Maisons-Alfort — 2011-06-14
Sanjip Dasgupta, sarod
Raga Desh
Brigitte Chataignier, danse
Deux pièces de Mohiniattam
À la suite de deux exposés épuisants (51 transparents en deux heures) et bien que faisant ainsi je manquais le cocktail de cette école d'été (sic), je me suis précipité à Maisons-Alfort pour aller écouter une conférence à propos de la Ganga comme me l'avait suggéré un des organisateurs, par ailleurs lyricomane.
La conférence a lieu au Moulin Brûlé, situé sur l'île de Charentonneau au bord de la Marne. Elle est précédée par deux programmes culturels.
Cela commence par un Raga de la saison des pluies (la post-traduction en français a été plus que fantaisiste sur ce point-là !) : Raga Desh, interprété au sarod par Sanjip Dasgupta, originaire de Kolkata. Le début fait penser à une traduction dans cet instrument de ce qui se fait dans la musique vocale hindustani. Pendant la première partie, les suites de notes jouées commencent systématiquement par les mêmes deux premières notes (du grave vers l'aigu). Les notes suivantes se compliquent au fur et à mesure que l'on avance. L'interprète utilise une technique élaborée de vibrato. Dans la musique carnatique, j'ai très souvent vu des violonistes jouer une note, puis faire monter le son vers l'aigu ou le grave en faisant glisser amplement le doigt de la main gauche vers le haut ou vers le bas. Il me semble que le geste n'était jamais que dans une seule direction. Ce que fait l'instrumentiste de ce soir est plus évolué : après avoir fait vibrer la corde, il peut déplacer le doigt dans une direction pour faire baisser la hauteur, puis, sans relancer la vibration de la corde, faire repartir son doigt dans l'autre direction. Plus tard, l'interprétation se fait plus virtuose et le musicien est rejoint par un tabliste (que la faible amplification de l'instrument ne permettra pas véritablement d'entendre). La sonorité du sarod (que je n'avais entendu qu'au disque) est une très belle découverte.
Ensuite, la danseuse Brigitte Chataignier entre en scène pour interpréter deux courtes pièces de Mohiniattam, la danse traditionnelle féminine du Kerala (que je n'avais vue qu'une fois lors des vingt-quatre heures du Raga). Comme il m'avait semblé la première fois, les mouvements et posture des mains rappellent ceux du bharatanatyam. Les pieds semblent avoir essentiellement un rôle rythmique (grelots aux chevilles), l'essentiel étant fait par le haut du corps. On est très loin de la recherche d'effets et de vitesse que l'on observe parfois dans le bharatanatyam. De façon amusante, il semble que comme dans la danse/théâtre du Kerala, le kathakali, un effort particulier soit porté sur l'expression faciale, par le contrôle le plus individualisé que possible des muscles faciaux (permettant de faire bouger un sourcil en maintenant le reste du visage impassible...). La première pièce était sur le Raga Cakravaka et se finissait par une prière à Shiva et Parvati, des divinités qui ont été presque furtivement évoquées dans la chorégraphie.
La deuxième pièce est un Padam (Raga Ahari ?). L'annonce du thème m'a presque fait sursauter tant il est typique : une femme se languit de Vishnu auprès de sa confidente (le Dieu est désigné par un nom inconnu de moi, peut-être parce que c'était en malayalam ?). Ce dernier sera évoqué dans la chorégraphie sous la forme où on le voit couché sur l'océan cosmique. Quand le dieu Kama lui lancera des flèches, on se serait cru dans Armide et Renaud, ballet à l'intérieur du ballet Flammes de Paris. La femme se fera ensuite aussi belle que possible pour aller à la rencontre du Dieu. Cette danse étant lente et dépourvue de spectaculaire, il me semble a priori extrêmement délicat de l'interpréter de façon convaincante. Pourtant, j'ai été assez convaincu par cette danseuse.
La conférence, qui devrait être faite par Veer Bhadra Mishra, est faite par un autre responsable de la Sankat Mochan Foundation : Prof. S. N. Upadhyay. Il commencera par expliquer le sens religieux de la Ganga pour les hindous (expliquant curieusement que les habitants de Varanasi n'en sont pas, puisqu'ils pratiqueraient le Sanatana Dharma). Sur les transparents de la présentation, on peut lire un certain nombre de śloka sanskrits avec ou non une traduction en anglais. (Il y avait une traduction simultanée en français sur écouteurs, mais j'ai préféré écouter la VO.) Du côté de la mythologie, il a fait référence à la légende suivante qui est notamment racontée dans le premier livre du Rāmāyaṇa (pour plus de détails, voir mon résumé...) :
Ils se dirigent maintenant vers Mīthilā, le royaume de Janaka. Durant ce trajet, Viśvāmitra raconte de nombreuses histoires, notamment celle de la traversée des mondes de la Gaṅgā pour rejoindre l'océan. Le roi Sagara avait obtenu de Bhṛgu une nombreuse descendance par ses austérités : sa première épouse eut un fils Asamañja et sa deuxième épouse préféra donner naissance à soixante mille fils. Sagara voulut célébrer un sacrifice de cheval, mais Indra vola le cheval, ce qui devait plonger Sagara dans le malheur. Il demanda à ses fils de retrouver le cheval : ils parcoururent la surface de la terre, puis creusèrent, creusèrent, à tel point que la terre (identifiée à l'épouse de Viṣṇu) se mit à crier. Aux extrémités des mondes souterrains, ils rencontrèrent les énormes éléphants gardiens des points cardinaux. Mais Brahmā avait tout prévu : les soixante mille fils de Sagara devaient être brûlés par l'ardeur de Viṣṇu qui avait pris la forme du sage Kapila. Le petit-fils Aṃśumān de Sagara par Asamañja était un homme bon, son grand-père lui donna la mission de retrouver ses soixante mille oncles et de retrouver le cheval du sacrifice. Il fallait procéder aux rites funéraires de ces soixante milles hommes ; la solution fut trouvée par Bhagīratha, le petit-fils d'Aṃśumān : satisfait de son ascétisme, Brahmā fit tomber les eaux de Gaṅgā sur la chevelure de Śiva. Guidée par Bhagīratha, Gaṅgā finit par s'écouler sur la terre et atteindre l'océan et les mondes souterrains pour submerger les cendres des fils de Sagara.
L'embouchure de la Ganga, au Sud de Kolkata, est justement voisine de l'île de Gangasagar. Il s'y trouve un temple qui fait référence à cette légende (mais je n'ai pas encore eu l'occasion d'y aller). C'est aussi pour cette raison qu'une des deux rivières qui confluent à Devprayag pour former la Ganga s'appelle la Bhagirathi.
Il a expliqué l'état désastreux de pollution de la Ganga (et du Varuna
et de l'Assi) autour de Varanasi, la principale source de pollution étant
les nombreuses évacuations d'égoûts directement raccordées au fleuve. Il a
expliqué le projet de sa fondation de construire une canalisation passant
sous les ghats et dans laquelle les égoûts se déverseraient plutôt que dans
le fleuve, cette canalisation acheminant les eaux usées jusque sur un
terrain situé au Nord Est de la ville (au prix peut-être du détournement
d'un petit bras du fleuve, je ne suis pas sûr d'avoir bien compris), ce
terrain (appartenant au gouvenement) pouvant accueillir un certain nombre
de bassins de décantation et de retraitement (par des moyens
naturels
). La raison pour laquelle Veer Bhadra Mishra n'était pas
présent était justement qu'il devait discuter auprès du gouvernement
central de ce projet. Un autre projet-test de retraitement des eaux usées a
également été évoqué : sous-dimensionné, il sera situé en amont du fleuve,
non loin de la Banaras Hindu University.
Le Festival de l'Oh (centré cette année autour de la Ganga) continue ce week-end...
2011-04-30 02:00+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Cela faisait un peu plus d'un an que je n'avais pas vu de bharatanatyam. Je suis donc allé au musée Guimet pour en voir. Avant cela, je suis allé voir l'exposition Lucknow, une cour royale en Inde (organisée par le Los Angeles Country Museum of Art) qui présente des pièces assez variées (des miniatures, accrochées presque bord à bord sur les murs, ce qui vu l'affluence empêche de les apprécier sereinement, des objets de la vie quotidienne richement ouvragés, des photographies datant d'avant la révolte de 1857-1858, et quelques unes datant d'après, comme la Residency ravagée...). J'ai été surpris de voir Qaisar Bagh, photographié 1864-1865, que je n'ai pas vu lors de mon séjour à Lucknow : forcément, il a été détruit par les Anglais. Quelques photographies ou peintures représentant La Martinière/Constantia. Quelques unes des œuvres montrées avaient été en leur temps commandées par le colonel Polier, qui fut un des premiers occidentaux à avoir connaissance à la littérature indienne ancienne, en particulier le Mahabharata, et sa version de l'épopée a été publiée par Georges Dumézil (Gallimard). Pour ce qui est des miniatures, il était évidemment difficile de faire aussi intéressant que l'exposition à la BnF il y a un an. C'est surtout la diversité des types d'œuvres qui fait l'intérêt de cette exposition. (Par exemple, à un moment j'ai craint qu'on ne montre que Lucknow avant la mutinerie, mais plus loin, on trouve aussi comme je le dis plus haut quelques photographies montrant des monuments détruits.)
⁂
Auditorium du Musée Guimet — 2011-04-29
Urmila Sathyanarayanan, bharatanatyam
Swamimalai Kalidas Suresh, chant et nattuvangam
Dhananjayan, mridangam
J. B. Sruthi Sagar, flûte
Le récital d'Urmila Sathyanarayanan ne m'a convaincu qu'à moitié. La première pièce Pushpanjali évoquait Surya, le dieu du Soleil. Cette pièce semble commencer par un lever du Soleil, lent et solennel, la danseuse étant de dos, presqu'immobile. Par la suite, on voit Surya éclairer successivement diverses directions de l'espace. La pièce se finit élégamment sur la chevauchée du Soleil sur son char céleste.
La pièce qui m'a le plus déçu est la pièce principale du récital, le Varnam, dans lequel une femme se languit de Krishna (sujet on ne peut plus classique dans le bharatanatyam). Dès le début de la première pièce, le style de la danseuse s'était affirmé, sans exubérance, renvoyant assez souvent à l'iconographie, mais plus tournée vers la pantomime que vers la danse. On voit la jeune femme choisir un sari pour se faire belle pour Krishna, reconnaissable à sa flûte. Plus tard, elle se maquille. Je ne suis pas très convaincu par cette pièce dans laquelle s'insèrent quelques passages rythmiques (le premier est arrivé de façon très abrupte quelques secondes seulement après le début du Varnam).
Entre cette pièce et la suivante, le temps pour la danseuse de changer de costume, on a inséré un interminable intermède musical (de flûte). Entre les pièces suivantes, il faudra encore supporter ces intermèdes. Le percussionniste s'est fait extrêmement discret au cours du récital. En revanche, le chanteur et joueur de nattuvangam m'a plu.
Dans la pièce dansée suivante Padam, une courtisane se prépare à accueillir un client. Que ce soit Shiva, Vishnu ou Brahma, qu'il paye 6000 pièces d'or ! Quand elle aura vu Shiva, elle changera d'attitude et se laissera séduire. Dans cette pièce, la danseuse travaille beaucoup au sol, comme on imagine la courtisane confortablement installée sur un sofa.
Une autre pièce suit, Javali, évoquant l'amour d'une héroïne
pour Srinivasa (il eut été sympathique d'expliquer que c'est un des noms de
Vishnu...). Curieusement, le dieu Kama (homologue de Cupidon) est tout
simplement appelé Cupid(on)
dans la présentation. Dans cette pièce,
on verra la représentation de Vishnu couché sur l'océan cosmique et
l'héroïne viendra lui masser les pieds (tout comme le fait Lakshmi dans
l'iconographie). Cependant, j'ai déjà vu plusieurs fois cette même
représentation de Vishnu évoquée de façon plus élégante par d'autres
danseuses (notamment par la courbe du bras pour évoquer les têtes du
serpent Ananta/Shesha). Comme dans la pièce précédente, une part
significative de la danse-pantomime se fait au sol.
La pièce où le talent particulier de la danseuse s'est le mieux exprimé est peut-être le Padam sur un sujet que je n'avais encore jamais rencontré dans le bharatanatyam, celui de l'amour d'une mère pour sa jeune fille. On est encore plus complètement dans la pantomime. Il n'y a pas vraiment de pas de danse et peu de gestes semblent appartenir à quelque codification que ce soit. Très mignon.
Traditionnellement, un récital se finit par un dynamique Thillana. Celui-ci, s'il n'a pas manqué de mérites, était vraiment beaucoup, beaucoup, beaucoup trop long.
Et après la fin, la danseuse vient également présenter ses hommages aux musiciens, à la divinité tutélaire (Shiva-Nataraja) et au public. Cette partie, souvent complètement formelle, a été beaucoup plus développée que d'ordinaire puisqu'on a en vérité assisté à une petite pièce supplémentaire évoquant, sur un chant dévotionnel vishnouïste, le culte ordinaire : prière, offrandes. La danseuse a même eu l'idée amusante d'insérer une apparition d'un Krishna espiègle venant mettre un peu de pagaïe dans la cérémonie.
Le récital a été inhabituellement long : un peu plus de deux heures ! C'est à tempérer par le fait que les intermèdes musicaux ont été trop longs et pas extraordinairement passionnants. Si j'étais très déçu à l'issue du Varnam, les pièces suivantes ont fait remonter mon intérêt et ont eu le mérite de me faire partir sur une bonne impression.
2010-05-04 00:30+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Théâtre de la Ville — Les Abbesses — 2010-05-03
Padmini Chettur, danse, chorégraphie, décor
Anoushka Kurien, danse
P. Akila, danse
V. Aarabi, danse
Preethi Athreya, danse
Maarten Visser, musique
Jan Maertens, lumières, décor
Vivek Narayanan, texte
Gilles Richard, direction technique
Beautiful Thing 1
Après Paperdoll en 2006 et Pushed en 2008, c'est Beautiful Thing 1, la dernière création de Padmini Chettur que je viens de voir aux Abbesses (première représentation). La pièce dure à peine plus d'une heure. Comme les fois précédentes, les bruits sont de Maarten Visser, mais si ceux de Pushed étaient parfois oppressants, à la limite du supportable, les sons de Beautiful Thing 1 ne font pas mal aux oreilles.
Les trois premiers quarts d'heure (environ) m'ont consterné. Il n'y a
absolument aucun contact entre les cinq danseuses. Équipées d'un micro,
elles prononcent des mots (left, elbow, hip,
etc.) en rapport avec les parties du corps qu'elles mettent en mouvement.
Comme dans les pièces précédentes, c'est très lent. Quelques phrases
énoncées comme des platitudes, comme I do not like or dislike those who
see me... even when I am on stage
(ou quelque chose d'approchant).
À un moment donné, les lumières s'éteignent presque totalement. Les cinq
danseuses vont réaliser une diagonale à reculons, très, très, len-te-ment.
Les mains vont commencer à s'effleurer. C'est à partir de là que je trouve
que cela devient un peu intéressant. La musique
fait alors penser à
des mécanismes en mouvement. Les danseuses se transforment plus ou moins en
automates.
Puis, alignées face au public, elles vont prononcer simultanément des mots (comme lotus, bird, death) tout en réalisant avec les mains et les bras des mouvements typiques de la façon dont ces éléments sont traditionnellement codifiés dans le bharatanatyam. On assiste ainsi à une sorte de lecture d'un dictionnaire pendant quelques minutes.
Enfin, les danseuses ayant enfilé un vêtement supplémentaire, elles vont s'amuser à tirer sur le leur, celui de la voisine, ce qui produit de drôles de contorsions (toujours en lenteur). L'une après l'autre, elles se retrouveront à plat ventre. On retrouve un final du genre de celui de Paperdoll avec un long travail au sol, alors que les lumières et les bruits s'évanouissent dans un très long fondu au noir.
Ailleurs : Bladsurb.
2010-05-01 00:36+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Théâtre de la Ville — Les Abbesses — 2010-04-30
Shantala Shivalingappa, chorégraphie, direction artistique
Savitry Nair, conseillère artistique
Nicolas Boudier, lumières
Shantala Shivalingappa, Nicolas Boudier, espace scénique
B. P. Haribabu, natuvangam (cymbales) et pakhawaj (percussions)
J. Ramesh, chant
N. Ramakrishnan, mridangam (percussions)
K. S. Jayaram, flûte
Swayambhu (kuchipudi)
Je reviens de la deuxième représentation du nouveau récital de kuchipudi de Shantala Shivalingappa Swayambhu (Celui qui est né de lui-même, un des noms de Brahmâ, mais aussi de Shiva). La première fois que j'ai vu du kuchipudi, c'était en juin 2007 pour Gamaka, un autre spectacle de cette danseuse (vu aux Abbesses et à l'amphithéâtre Bastille). Quelques autres spectacles de ce style de danse ont suivi, en Inde, à Chennai, au cours desquels Radha Prasanna s'était tout particulièrement distinguée.
Le kuchipudi est un peu aux danses indiennes ce que le bel canto est à l'opéra. Les mouvements sont amples, beaux, élégants et semblent moins voués à une forme narrative que peut l'être parfois le bharatanatyam.
Pour la première fois depuis longtemps aux Abbesses, ma place est au tout premier rang, au centre. Les conditions sont donc idéales pour apprécier ce récital.
Le spectacle commence par une invocation de Vani, la déesse des arts. La flûte, puis la voix et enfin les percussions se font entendre. Suit une pièce dédiée à Ganesha, celui qui écarte les obstacles. Sa trompe et ses oreilles sont évoquées avec sobriété par la danseuse.
La pièce la plus importante et la plus éblouissantes de ce récital est le Tarangam, dédié à Shiva. C'est celle que j'ai préférée. Elle commence par la récitation d'un mantra en sanskrit typique du shivaïsme. Quelques aspects et attributs de Shiva sont évoqués : ses cheveux, le croissant de Lune, le serpent, sa fureur. Cette pièce comporte bien sûr des passages pendant lesquels la musique devient purement rythmique. Une des originalités de la danse kuchipudi est représentée brillamment. Il s'agit de la danse sur un plateau en laiton auquel la danseuse impose des mouvements de rotation par à-coup qui lui permettent d'avancer, de reculer, de tourner sur elle-même, tout en présentant une chorégraphie avec la partie haute du corps. Le rythme qu'un des deux percussionnistes dicte aussi bien de la voix (en utilisant un système de correspondances avec certaines syllabes) que du pakhawaj (je n'ai pas très bien vu la différence avec le mridangam), la danseuse le reproduit. La complexité de certains passages semble particulièrement ardue. À partir de là, je suis déjà rassasié et pleinement satisfait par ce que j'ai vu ; le reste, c'est du bonus. (Je ne sais plus si c'est dans cette pièce-là ou dans une autre, mais j'ai été impressionné par la faculté de la danseuse d'incorporer des sauts à sa danse. Il me semble que c'est inhabituel dans les danses indiennes, en tout cas pour des sauts de cette amplitude.)
Les deux percussionnistes enchaînent avec un duo rythmique, à la fin duquel la danseuse interviendra depuis l'arrière de la scène, cachée derrière un voile. La pièce qui suit est narrative. La déesse Padmavati raconte à son époux Venkateshwara un mauvais rêve qu'elle a fait au cours duquel ils se disputaient. Si les premières pièces semblaient tout à fait dans la tradition, certains éléments de la chorégraphie de celle-ci sont probablement originaux. Si la façon de représenter une personne couchée (usuellement Vishnu) est typique, la danseuse me semble avoir intelligemment détourné cette figure pour représenter le sommeil de Padmavati. Certains épisodes sont très picturaux, comme celui où Padmavati s'embrouille entre ses différents produits de beauté, ce qui lui fait une drôle de tartine sur le visage. Cette pièce distrayante se finit par une sortie au son d'un épisode rythmique.
L'avant-dernière pièce est un Tillana : un morceau rapide de danse
pure
, accompagné de la voix qui répète une succession de syllabes
n'ayant pas de sens particulier. Cependant, cette pièce trouve le moyen
d'évoquer Kumara (un des fils de Shiva). Je connais mal son iconographie
(au-delà de ses représentations à six têtes). Néanmoins, il m'a bien semblé
reconnaître le paon, sa monture.
Dans la dernière pièce, on entendra même la voix de la danseuse, puisque dans cette pièce lente (Pasayadân, extrait d'une version de la Bhagavad-Gita en marathi : Dyaneshwari), elle chante le texte tout en dansant !
Je n'ai pas vraiment parlé du décor. Il est minimaliste. Je n'en dis pas plus, mais arriver à créer d'aussi beaux effets avec une telle économie de moyens, c'est une performance qui mérite d'être soulignée. Bref, un très beau spectacle (que je recommanderais vivement s'il restait la moindre place), utilisant quelques éléments apparemment originaux tout en respectant la tradition.
2010-02-27 11:28+0530 (मुंबई) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde VIII
Experimental Theatre, National Centre for the Performing Arts, Mumbai — 2010-02-26
Aruna Sairam, chant
Priyadarshini Govind, bharatanatyam
Brindavani Venu
La personne qui m'invite au TIFR avait suggéré que nous allassions au
National Centre for the Performing Arts. J'avais déjà parcouru leur site Web, mais n'avais pas tilté
quand j'avais vu Brindavani Venu, Experimental Theatre
. Derrière cet
intitulé qui évoque la flûte de Vrindavan (celle de Krishna) et le nom de
la salle (250 places environ), se cachait un récital conjoint de la
chanteuse carnatique Aruna Sairam et de la danseuse de bharatanatyam
Priyadarshini Govind que j'ai déjà eu l'occasion de voir deux fois à
Paris.
Ma collègue, abonnée au NCPA, s'était fait dire au téléphone qu'il n'y
aurait aucune difficulté à acheter des places à l'entrée. Pourtant, il y
était écrit House full, thank you.
. Heureusement, elle a pris en
main la chasse aux places surnuméraires d'autres spectateurs, et nous avons
pu racheter trois places (5€), une autre collègue et amie, Supriya, étant
aussi de la partie.
Le spectacle durera environ trois heures. Pendant la première moitié,
Aruna Sairam chante, accompagnée d'un violon, d'un tampura, d'un mridangam
et d'un gattam (sorte de cruche). La performance vocale était remarquable.
Un raga mohanam, puis une pièce appelée Kapali
(en référence au
temple de Mylapore) sur le même raga et un morceau du grand compositeur
Muthuswami Dikshitar. La chanteuse étant originaire du Maharashtra, elle a
intégré au récital un chant dévotionnel marathi. Son récital s'est terminé
par un superbe Tillana en l'honneur de Krishna. Dans chacune de ces pièces,
la chanteuse et les instrumentistes laissaient le temps à l'atmosphère
particulière de chaque chanson de s'installer, se suspendre et s'éteindre
en douceur.
Après un court entr'acte, Priyadarshini Govind et ses musiciens se sont installés sur scène. Elle est accompagnée d'un mridangam, de nattuvangam, d'un violon et d'une voix. J'ai déjà eu l'occasion d'entendre la vocaliste lors de mon récent séjour à Chennai. Apparemment, c'est habituellement elle qui accompagne Priyadarshini Govind. Je n'y avais pas particulièrement fait attention, mais peut-être l'accompagnait-elle déjà pour les deux spectacles que j'avais vus au Théâtre de la Ville. La première pièce est en l'honneur de Muruga/Karthikeya, le deuxième fils de Shiva, celui qui est né pour combattre le démon Mahisha. La deuxième pièce consiste en de la danse pure. La danseuse s'est excusée par avance de ce qu'il n'y aurait pas de Varnam, c'est-à-dire de véritable pièce principale, le durée du récital étant trop brève pour cela. Pendant les passages purement rythmiques, elle n'est pas exactement en rythme.
Viennent ensuite trois pièces de longueur moyenne. Les deux premières mettent en scène les amours illicites de Nayikas. Dans la première, une dévôte de Shiva est tentée par Krishna. Elle a juré de ne servir que Shiva, elle rabroue Krishna en lui disant de ne pas la déranger alors qu'elle prie Shiva, mais ses yeux lui disent oui. Dans la deuxième, une femme mariée fait la valise de son mari qui s'en va à la ville voisine, quand elle a fermé la porte d'entrée, elle ouvre celle de derrière pour laisser entrer son amoureux. La Lune brille pour eux deux seulement, mais la femme s'inquiète. Il devra partir quand l'astre de la nuit sera dominé par celui du jour. L'autre lui demande pourquoi elle s'inquiète sachant que son mari est loin et que son beau-père âgé ne voit plus très clair. Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris, mais la morale est apparemment sauve à la fin quand on apprend que l'amoureux n'était autre que Venkateshwarar.
La dernière pièce est celle qui a eu le plus de succès. Elle consiste en un dialogue entre Yashoda et le vilain Krishna, son fils adoptif. Yashoda reçoit beaucoup de plaintes des gopis qui se plaignent des espiègleries de Krishna. La seule solution est qu'il reste à la maison. Elle lui promet des sucreries et même du beurre (dont Krishna est friand). Quand il comprend l'enjeu, Krishna s'en détourne, alors Yashoda lui explique que s'il sort, il va rencontrer des bêtes sauvages au mont Govardhan, comme des tigres, des serpents et des éléphants. Krishna n'en a même pas peur, il pense pouvoir les amadouer sans la moindre difficulté.
Cette pièce, tout comme les deux précédentes, est manifestement faite pour plaire immédiatement à un public peu habitué au bharatanatyam. La musique se fait presqu'impressionniste pour évoquer les rencontres de Krishna avec les animaux. Les tigres et les serpents sont facilement reconnaissables, les éléphants sont suggérés par le mouvement de leurs oreilles.
Cette deuxième partie, légèrement décevante, s'achève par un Tillana très connu, où l'on verra la danseuse répondre aux dictées rythmiques.
Après cela, Aruna Sairam et ses musiciens reviennent sur scène et interprètent la chanson qui accompagne la chorégraphie spécialement réalisée pour l'occasion : Brindavani Venu, où il sera question de Krishna, joueur de flûte. Il est rare de voir une aussi belle chorégraphie accompagnée par une vocaliste aussi talentueuse !
2010-02-17 17:40+0530 (मुंबई) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde VIII
R. K. Swamy Auditorium, Mylapore, Chennai — 2010-02-13
Nethra Gururaj (disciple de Guru Nagamani Srinivasa Rao), bharatanatyam
Dimanche soir, je suis allé une dernière fois au festival de danse de Sri Parthasarathy Swami Sabha. On a annoncé les récompenses nombreuses déjà reçues par la danseuse, puis après un prélude musical, quelle fut ma surprise quand une jeune fille d'une douzaine d'années à peine entra en scène. Je ne comprends pas grand'chose aux chorégraphiques (les annonces se limitant à indiquer le nom de la chanson, le compositeur, le raga et le tala). Dans la première, il semble qu'il soit principalement question de Krishna et dans la deuxième, le Varnam, de Shiva. Indépendamment de l'âge de la danseuse, c'est très impressionnant de technique et de vitesse. Elle exécute une figure que je n'avais encore jamais vue et qui semble être ce qui se rapproche le plus des pointes de la danse classique européenne parmi ce qu'il se puisse faire pieds nus : les bras tendus vers le haut, une jambe relevée à la hauteur d'un genou, le poids du corps reposant en équilibre sur la pointe d'un pied tendu.
Je devrai malheureusement manquer la fin de ce spectacle en raison d'une quinte de toux qui me fit choisir de m'éclipser discrètement plutôt que de déranger tout le monde.
À la fin du Varnam, une grande dame du bharatanatyam, Padma Shri Sudharani Raghupaty (le bharatanatyam conserve bien, visiblement) a été appelée pour faire un discours dans lequel elle a chaudement félicité la danseuse en devenir, sa guru Nagamani Srinivasa Rao et l'organisateur du festival.
⁂
Je suis arrivé à Mumbai mardi après-midi après 28h de train (2h de plus
que prévu). J'étais en 2AC
, pour la première fois. Par rapport
à la 3AC
, on a plus de place parce que les couchettes ne sont
empilées que sur deux niveaux et elles sont séparées par des rideaux.
Depuis ma chambre, j'ai une très belle vue sur la baie de Mumbai.
2010-02-14 12:25+0530 (சென்னை) — Culture — Danse — Danses indiennes — Voyage en Inde VIII
On m'avait prévenu qu'à la veille du mois de Mashi commençant à la
nouvelle Lune, il y aurait une fête spéciale se déroulant pendant toute la
nuit dans les temples de Shiva (Shivaratri). En arrivant vendredi en fin
d'après-midi à Mylapore, il était difficile de circuler vu la densité du
traffic. J'achète un camera ticket
au temple Kapaleeshwarar en
prévision de mon retour d'un spectacle de danse au R. K. Swamy Auditorium
(bharatanatyam par Neeraja Srinivasan, un spectacle très bon mais moins
marquant que les quelques uns de niveau assez exceptionnel que j'ai eu
l'occasion de voir pendant ces deux semaines à Chennai). Les allées à
l'intérieur de l'enceinte du temple sont pleines de monde. La queue menant
au sanctuaire est très longue. On se prosterne à plat ventre à certains
endroits, des petites bougies produisent un peu de lumière à l'entrée de
certaines parties du temple. Plus tard, la divinité est montée sur un char,
poussé par une sorte de locomotive.
Une des informations qui ont le plus fait l'actualité dans les médias
indiens jusqu'à hier soir est liée à une phrase de Shah Rukh Khan à propos
de joueurs de cricket pakistanais. Plutôt favorable à leur égard, les
abrutis du Shiv Sena (qui s'étaient déjà fait remarquer il y a un an quand
ils voulaient empêcher les femmes d'aller seules boire un verre) et
d'autres ont considéré que ce discours était antipatriotique. La sortie de
son dernier film My Name is Khan
a été menacée, des affiches ont été
saccagées, divers incidents se sont produits à Mumbai, mais le public est
venu en masse voir le film.
Dès l'annonce de l'attentat commis
hier à la German bakery à Pune, la polémique fait rage. Elle
vise les autorités fédérales qui n'auraient pas tiré les leçons de 26/11
(les attaques de grands hôtels et de la gare VT à
Mumbai) et la police du Maharashtra qui aurait alloué trop de forces à
la protection des cinémas jouant le film de Karan Johar avec Shah Rukh
Khan. Ces critiques me paraissent infondées, parce qu'à mon avis, il est
rigoureusement impossible d'empêcher quiconque de déposer un colis piégé
dans un endroit très fréquenté sans en même temps annihiler toutes les
libertés publiques, celles-là même que l'on protège en prenant des mesures
pour empêcher les nuisances du Shiv Sena. Cet attentat intervient
précisément au moment où les discussions bilatérales avec le Pakistant
étaient relancées.
2010-02-11 22:44+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde VIII
R. K. Swamy Auditorium, Mylapore, Chennai — 2010-02-11
Krishna Chidambaram (disciple de Guru C. V. Chandrasekar), bharatanatyam
Sixième soirée au R. K. Swamy Auditorium. J'y suis aussi allé mardi dernier pour du kuchipudi, mais le spectacle était de qualité très moyenne. Ce soir, le programme était très alléchant vu que le guru de Krishna Chidambaram est C. V. Chandrasekar, un des plus grands danseurs et enseignants de bharatanatyam, aujourd'hui très âgé. Il joue du nattuvangam (cymbales). À ses côtés, une chanteuse, un mridangam, une flûte, un violon. La salle est pleine. J'ai encore trouvé le moyen de m'installer au premier rang, au centre, mais je me suis retrouvé relégué au second quand des chaises surnuméraires ont été disposées devant. La scène est tellement décorée de fleurs qu'il en exhale des parfums.
Cela n'est pas l'habitude dans ce festival, mais pour une fois, les annonces sont faites en tamoul. Il m'est donc significativement plus difficile de saisir de quoi il s'agit d'autant plus que la danse est très technique, trop à mon goût. C'est exécuté parfaitement, tout à fait dans le rythme, mais cela reste très abstrait, presque mécanique. La première pièce est un Pushpanjali dédié à Rama, puis vient un Jatiswaram. Cette deuxième pièce sera la seule à comporter un passage purement rythmique.
Ce spectacle ne comporte pas une partie principale, mais deux ! La
première est Siva Astapati. Principalement, il s'agit
de Shiva. Le texte répète souvent le mot Shankara
et on voit la
danseuse prendre révérencieusement la pose Nataraja. Est évoqué le retour
de Rama à Ayodha en passant par Rameshwaram où il vénère un lingam de Shiva
pour se faire pardonner du meurtre de brâhmane qu'il a commis en tuant
Ravana (il ne me semble pas que cet épisode figure dans le Ramayana). Dans
un autre tableau, il me semble reconnaître Kama (Amour) frappant Shiva
d'une flèche censée le faire aimer Parvati. Shiva le réduit en cendres et
Rati son épouse vient implorer le pardon de Shiva, qui le lui accorde.
Dans la deuxième pièce principale, il est aussi question du Ramayana. Les thèmes ressemblent à ceux déjà présentés par Srithika Kasturi Rangam. On verra apparemment la cérémonie qui permet à Dasharata d'obtenir quatre fils. Il y aura aussi la scène où Rama soulève l'arc de Shiva après que d'autres auront raté. Une originalité de cette chorégraphie est d'avoir aussi représenté Sita, anxieuse à l'idée de se retrouver mariée à un autre que Rama. Les caprices de Kaikeyi, responsable de l'exil de Rama, seront ensuite évoqués, puis très furtivement la rencontre de Guha. Une fois dans la forêt, on trouve l'épisode de l'antilope magique à la poursuite de laquelle part Rama à la demande de Sita. Une ellipse, puis on voit arriver des singes, mais la chorégraphie me semble assez confuse.
L'avant-dernière pièce est Javeli. C'est encore très abstrait, tout comme la dernière, un Tillana dédié à Rama.
Si ce spectacle était impressionnant par la technique, je suis néanmoins un peu resté sur ma faim. Si j'avais un dictionnaire des codes du bharatanatyam, j'aurais sans doute davantage apprécié.
Comme la danseuse a resté sur scène pas loin de deux heures, il n'y a plus beaucoup de trains et le suivant étant prévu une demi-heure plus tard, je décide de prendre un bus jusqu'à Indira Nagar. La zone à l'Est de la voie de chemin de fers m'est devenue difficile d'accès parce qu'un petit pont s'est apparemment effondré, ou on l'aura fait tomber. Des travaux sont en cours. Toujours est-il qu'à moins de traverser des maisons, il faudrait faire un détour d'un ou deux kilomètres pour passer à sec. Il m'a pourtant semblé voir un passage praticable. J'ai gagné du temps, mais ma chaussure gauche a fait connaissance avec les immondices du slum...
2010-02-09 10:47+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde VIII
R. K. Swamy Auditorium, Mylapore, Chennai — 2010-02-08
Radha Prasanna (disciple de Guru Madhava Peddi Murthy), kuchipudi
Encore un très beau spectacle au festival de danse de Sri Parthasarathy Swami Sabha. Cette fois-ci, il s'agit de kuchipudi. La danseuse Radha Prasanna est aussi spécialiste de bharatanatyam et cela se voit.
Le spectacle commence par une prière puis la danse commence avec une assez longue pièce dédiée à Ganesh, celui qui repousse les obstacles. La pièce suivante évoque le personnage de Satyabhama, la plus belle des soixante mille gopis de Krishna.
Par rapport au bharatanatyam, les mouvements sont beaucoup plus arrondis. On trouve aussi des passages purement rythmiques, qui reviennent d'ailleurs plus fréquemment.
Avant le début de la pièce principale, on rappelle le parcours de Guru Madhava Peddi Murthy (Siva Foundation) lui-même disciple d'un récipiendaire du Padma Bhushan.
La difficuilté des pièces va croissante. La pièce principale, homologue
du Varnam, est le Tarangam, qui signifierait ondes
. C'est d'ailleurs
par des mouvements ondulatoires que commence cette pièce, qui évoque la
danse de Krishna à Vrindavan. On voit aussi Vishnu couché et il me semble
même que Lakshmi lui masse les pieds. La spécificité du kuchipudi est de
comporter des passages dansés sur un plateau de laiton. C'est assez
impressionnant. Les orteils pincent les bords. La danseuse avance, tourne,
recule en rythme et avec une grande facilité tout en accompagnant les
pulsations de mouvements des bras. La difficulté explose sur la fin. La
guru réalise avec sa voix et les cymbales une dictée rythmique frénétique
que la danseuse reproduit accompagnée des autres instruments : morsing
(guimbarde),, vîna, mridangam.
La pièce suivante évoque la danse cosmique de Shiva, sur un texte sanskrit d'Adi Shankara. Du point de vue musical, on entend un mélange harmonieux de passages rythmiques pendant lesquels la mélodie de la vîna et de la voix d'un chanteur reste en suspension.
La pièce qui vient ensuite est un hommage à Venkateshwarar et la grande Unité qui inclut tous les êtres de la Création, qu'il soient rois ou intouchables. Musicalement, c'est une superbe interprétation de la chanson Brahman Okate.
Encore une pièce dédiée à Venkateshwarar sur une composition de Sri
Rajaji. Un dévôt s'adresse à la divinité et lui dit Viens et
bénis-moi.
.
Ce spectacle de haut niveau se termine comme il s'est ouvert par une prière.
2010-02-05 11:12+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde VIII
R. K. Swamy Auditorium, Mylapore, Chennai — 2010-02-04
Srithika Kasturi Rangan (disciple de Guru Ambika Kameswar), bharatanatyam
Comme lundi et mardi, en rentrant du Chennai Mathematical Institute en bus, j'ai pris un train local pour la station Tirumailai, la plus proche de Mylapore et de son temple Kapaleeshwarar. Le timing étant plutôt serré pour manger avant de rejoindre le R. K. Swamy Auditorium, je n'ai guère d'autre possibilité que de manger une troisième fois au restaurant Saravana Bhavan du coin. Il n'y a pas que les dosas qui y soient bons : puris, parathas, sambar vada, etc. Leur kulfi est excellente. Ayant un petit peu d'avance, je décide de passer par l'intérieur de l'enceinte extérieure du temple Kapaleeshwarar. On y a construit un passage couvert le long de l'enceinte intérieure. De nuit, les sculptures sont moins visibles, seules luisent les lettres Om Shiva Shiva du gopuram (où l'on pourra aussi voir un lingam et une paonne, symbole du couple Shiva-Parvati). En faisant le tour, les incroyants étant défendus d'entrer dans l'enceinte centrale, je découvre qu'il s'y trouve une étable (un des noms de Shiva est Pashupati, celui qui garde le troupeau, une métaphore que l'on trouve aussi dans le christianisme), ce qui est cohérent avec le fait que mardi soir, traversant le parking en face du gopuram, un moment d'inattention et je me fusse retrouvé encorné par un bovin poursuivi des assiduités de quelque congénère.
Le récital de 17h45 n'est pas encore fini quand j'arrive à la salle après avoir reconnu la rue à prendre au repère olfactif que constitue le grossiste en café qui s'y trouve. Je m'installe entre deux pièces et peux assister au fort déplorable Tillana final. La musique est catastrophique, la chorégraphie maladroite, et la danseuse, non dénuée de possibilités, fait ce qu'elle peut. Dans ce festival, on trouve du bon et du moins bon.
⁂
Je me replace au premier rang, dans une place laissée libre au centre. Le récital de Sritikha Kasturi Rangan (30 ans) va commencer. On annonce que ce récital sera un hommage à la grande chanteuse M. S. Subbulakshmi dont on donne quelques repères biographiques. Sa photographie enguirlandée se dresse en dessous de la traditionnelle sculpture du seigneur de la danse.
Le spectacle commence par un Pushpanjali. Vient ensuite une des chansons d'Adi Shankara (un des grands penseurs de l'hindouïsme) : Bhaja Govindam, dédié à Krishna, fameusement chanté par M. S. Subbulakshmi. Le chant est assuré par Guru Ambika Kameswar (qui joue aussi des cymbales et a signé les chorégraphies) et une autre chanteuse. Si elle a parfois du mal à aller chercher les aigus, sa prestation vocale est néanmoins remarquable. Dans ces pièces introductives, la danseuse montre une grande maîtrise dans l'exécution précise de mouvements pourtant rapides.
La pièce principale qui va suivre, le Varnam, est la plus belle pièce de bharatanatyam que j'aie vue. Il s'agit bien d'une pièce ou d'un ballet dont la danseuse jouerait tous les rôles. Le scénario est extrait des six premiers livres du Ramayana de Valmiki. La chanson s'appellerait Bhavayami Raghuramam. Quelques uns des épisodes de l'épopée seront ainsi représentés. Si connaître l'épopée aide beaucoup à identifier les scènes, les différents tableaux parlent d'eux-mêmes. Le public paraît d'ailleurs plus réactif que d'ordinaire ; peut-être est-ce qu'il comprend aussi paradoxalement mieux ce qui se passe sur scène que si on lui avait préalablement introduit les différentes scènes au micro.
La première scène que je reconnais est celle où Rama gagne la main de Sita en soulevant et bandant sans effort l'arc de Shiva qui était en possession de Janaka, le père plus ou moins adoptif de Sita. Avant lui, de grands gaillards se seront fait mal au dos en ratant lamentablement l'épreuve.
Une ellipse et Rama se retrouve en exil (avec Lakshmana et Sita) et traverse une rivière à bord de la barque de Guha, qui est souvent considéré comme un des tout premiers dévôts (bhakta) de Rama.
Le tableau le plus poétique est celui qui met en scène Jatayus. Que ces mouvements évoquant ceux du vautour sont gracieux ! Avant de succomber à ses blessures, il informe Rama de l'enlèvement de Sita par Ravana.
L'armée des singes part ensuite à la recherche de Sita en direction des quatre points cardinaux.
Le singe Hanuman prend avec lui un bijou de Rama. Il retrouve Sita prisonnière et triste. Elle s'illumine quand elle reconnaît l'ornement de Rama qui se réjouit aussi au retour de Hanuman.
Dans le dernier tableau, Rama est face à l'Océan qu'il devra franchir pour rejoindre Sita.
La pièce suivante est rythmée par le mantra (Om) Namah Shivaya
sur un texte aussi dû à Adi Shankara. Différents aspects de Shiva sont
représentés comme Nataraja, le seigneur de la danse, ou celui qui a les
cheveux tressés (superbe évocation de la descente de Ganga).
Vient une chanson de Mirabai dédiée à Hari et enfin un Tillana dédié à
la joie cosmique où entre des passages de danse pure
, on verra un
Vishnu couché sur l'Océan cosmique.
Quel beau spectacle ! Tout, dans la musique, la danse, l'expression du visage, l'attitude, etc, était de très haut niveau, à mon avis aussi bon que les spectacles des danseuses les plus connues qui vont se produire jusqu'à Paris !
2010-02-03 10:56+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde VIII
R. K. Swamy Auditorium, Mylapore, Chennai — 2010-02-02
Srimati K. R. Rekha (disciple de Guru Dr. Padma Subramaniam), quatre étudiantes, son fils, bharatanatyam
Mardi soir, je suis retourné au R. K. Swamy Auditorium. On annonce K. R.
Rekha, son nom étant précédé du titre Srimati
plutôt que
Kumari
, signe la danseuse sera expérimentée, ce qu'elle montre assez
rapidement. Ses parures brillent ostensiblement. Mauvaise surprise : les
musiques sont enregistrées. Si le spectacle de la veille m'avait déjà
semblé audacieux par ses innovations chorégraphiques qui restaient
néanmoins dans la tradition, l'audace de la danseuse de ce soir va s'avérer
bien plus grande, quitte à sacrifier la tradition au point qu'après les
deux premières pièces, je me demandais s'il s'agissait bien de
bharatanatyam, avant que quatre de ses élèves entrassent en scène et
exécutassent quelques mouvements correspondant aux codes habituels, et ce
avec plus ou moins de réussite. Le style de la danseuse, comme ses formes,
est tout en rondeurs, fait d'amples mouvements et de poses évanescentes
évoquant furtivement quelques divinitées (en l'occurrence des formes de
Shiva). La musique n'est pas très carnatique non plus, encore un peu
d'audace et nous eussions entendu des chansons bollywoodiennes. Dans une
des pièces, la danseuse interprète le rôle de Yahoda accompagnée du divin
Krishna mimé par son fils.
La dernière pièce est le clou du spectacle. Sans que je comprenne les détails d'interprétation, la danseuse représente le moksha, le salut qui se peut obtenir par l'adoration du bienheureux Krishna. La musique qui rythme cette chorégraphie est la marche nuptiale du Songe d'une nuit d'été de Mendelssohn !
2010-02-02 11:17+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde VIII
R. K. Swamy Auditorium, Mylapore, Chennai — 2010-02-01
Kumari Pallavi Vijay (disciple de Guru Meenakshi Chittaranjan), bharatanatyam
Je suis arrivé en Inde dans la nuit de dimanche à lundi. La
correspondance à Bruxelles (alors recouverte de neige) a été limite.
L'avion d'Europe Airpost avait une bonne heure de retard. À Bruxelles, je
dois chagner de terminal, ce qui est assez long en marche et tapis
roulants. Enfin, le plus pénible et le plus long est de revoir repasser les
contrôles de sécurité, surtout s'il faut d'abord trouver quelqu'un qui
entende suivant le cas le flamand, l'anglais ou le français et que la
machine se met à bipper sans raison et que l'agent de sécurité réalise des
contrôles plus approfondis avec nonchalance. Une employée me dit ensuite de
courir pour rejoindre la porte d'embarquement. Une fois dans l'avion, on
aura encore une heure d'attente parce qu'un passager a égaré son
passeport... Le service sur ce vol Jet Airways est très-convenable. Ce qui
l'est moins, c'est la sélection de disques dans la rubrique Western
classical
des ordinateurs de bord, dans la mesure où elle contient une
majorité de trucs dans le genre Vanessa-Mae. Je trouve
néanmoins des symphonies de Haydn, ce qui me fait remarquer une
ressemblance étonnante entre le premier mouvement de la symphonie nº88 et
un des morceaux de Casse-Noisette.
⁂
Lundi soir, je me rends au R. K. Swamy Auditorium pour le festival de danse de Sri Parthasarathy Swami Sabha. Dans ce festival que j'ai déjà fréquenté l'année dernière, on ne sait jamais à l'avance de quel niveau sera le récital.
Le deuxième programme de ce jour commence par un morceau chanté, ce qui met aussitôt en valeur les grandes qualités de la chanteuse. Entre ensuite en scène la frêle et rose silhouette de Pallavi Vijay dont j'apprendrai plus tard qu'elle n'a que seize ans. Avec un faux air de nonchalance, elle exécute un Pushpanjali évoquant Natajara, le seigneur de la danse. Le varnam, la partie principale d'un récital de bharatanatyam est dédié à Vishnu aux multiples formes. Les différentes évocations dansées, accompagnées musicalement par une voix, un violon, un mridangam (un type de percussions) et des cymbales choquées par Guru Meenakshi Chittaranjan, qui fait aussi entendre sa voix dans les parties purement rythmiques insérées dans le varnam. L'hommage à Vishnu commence par une pose correspondant à Vishnu couché sur l'Océan cosmique, puis vient un épisode du Ramayana où Rama ranima Ahalya qui avait été changée en pierre. Un exemple des bienfaits de la dévotion est donné par une légende puranique que je ne connaissais pas : un éléphant est sauvé de l'attaque d'un crocodile parce qu'il est un dévôt de Vishnu. Cet épisode est très pittoresque. On a vraiment l'impression de voir l'éléphant et le crocodile que la chorégraphie suggère. La façon de représenter l'éléphant est différente de celles vues jusques à maintenant, cette chorégraphie insistant davantage sur les oreilles que sur la trompe. Un autre avatar, le nain Vamana, vient ensuite, de ses trois pas, mettre un terme à la domination du démon Mahabali. Enfin, c'est Venkateshwar, la forme de Vishnu résidant à Tirumala qui est évoquée.
Après cette partie, quelques minutes de violon tout en vibrato, aux improvisations cependant moins assurées que dans les autres parties.
Plus tard, la danseuse revient pour évoquer la plainte faite par une gopi à
Yashoda à propos de son fils adoptif Krishna. Elle lui dit en substance :
Votre fils est un vilain garçon. C'est la créature la plus dépravée de
l'univers. En pleine nuit, il m'a séduite, je l'ai rejoint et il m'a embrassée,
et sans que je m'en rendisse compte, il faisait la même chose à de nombreuses
autres que moi en même temps.
.
Ce très beau récital s'est terminé par un Tillana, lui aussi dédié à Krishna.
2009-08-29 12:33+0530 (दिल्ली) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde VII
Chinmaya Mission Auditorium, Delhi — 2009-08-28
Sharanya Chandran, bharatanatyam
Hier matin, j'ai visité le musée de la Cour suprême. J'ai ensuite fait le tour de l'enceinte d'où je pouvais voir grouiller les avocats et des ouvriers repeindre le dôme blanc. En Inde, tout mur est susceptible de servir d'urinoir ; les murs d'enceinte de la Cour n'échappent pas à la règle.
J'ai déjeuné au restaurant Parikrama qui a la particularité d'offrir un mouvant panorama sur la ville. En effet, il tourne sur lui-même : le temps d'un repas, on a le temps de faire presqu'un tour complet. On peut légitimement se demander comment construire un ascenseur qui conduise à un étage en rotation. En fait, c'est le tapis en forme de couronne qui tourne, la partie centrale, les murs et fenêtres ne bougent pas. La première chose qui frappe, d'en-haut, c'est la verdure dans la ville de New Delhi, noyée sous les arbres dont n'émergent que de hauts bâtiments.
L'après-midi, je suis descendu à Central Secretariat d'où j'ai rejoint le mémorial Indira Gandhi. En chemin, on passe devant des bâtiments du ministère de la défense et tout près, au sommet d'une blanche maison, flotte un anachronique Union Jack. Dans le mémorial, on peut voir de nombreuses coupures de presse liées à l'action d'Indira Gandhi. On peut aussi y observer des décorations dont quelques une furent écrites en français, comme un diplôme de doctorat de l'Université de Paris. Parmi les livres exposés, un livre d'arithmétique en français et quelques uns, en anglais, sur la Révolution française. Ses derniers pas sont recouverts de cristal.
J'ai poursuivi ma marche jusqu'au tombeau de style moghol de Safdarjang, en grès rouge et au dôme blanc. Non loin de là se trouve le jardin Lodi qui semble être un paisible et bel endroit. Je ne suis pas resté très longtemps, juste le temps de m'approcher du mausolée de Muhammad Shah. J'avais en effet une adresse à trouver dans les environs.
J'ai trouvé assez facilement le bâtiment de la mission Chinmaya, un mouvement religieux fondé par un guru mort il y a une quinzaine d'années. Un récital de bharatamatyam était prévu ; il avait été annoncé dans le mensuel First City. L'auditorium est rapidement plein. Le récital de Sharanya Chandran, fille et disciple de Geeta Chandran (directrice de la Natya Vriksha Dance Company) commence. Elle est accompagnée de cinq musiciens : mridangam, cymbales (Geeta Chandran), chant, flûte, violon (la formation typique pour cette danse). Les premières parties, y compris la principale, Varnam, évoquent Krishna, le joueur de flûte, danseur attirant l'amour, la dévotion et la jalousie des gopis. La dernière partie met en scène la danse cosmique de Shiva Nataraja. Le spectacle se révèle d'excellente qualité. À la fin, comme il est de coutume, on remet des guirlandes de gleurs et des cadeaux aux artistes, et c'est Swamini Guru Priyananda, devant qui ils viennent se prosterner qui les leur remet après qu'elle a fait l'éloge de ce récital qui perpétue les traditions de l'Inde et dont les interprètes parcourent le monde pour les mieux faire connaître.
2009-03-24 00:27+0100 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Théâtre — Cinéma — Culture indienne
On n'imagine pas toujours les pépites que l'on peut découvrir parfois en cliquant sur le bouton Play dans Dailymotion.
Docteure, chevalière des arts et des lettres, danseuse de kuchipudi et de bharata-natyam, bouleversante Draupadi dans The Mahabharata de Peter Brook (version longue !), directrice de la Darpana Academy of Performing Arts qui créa Phèdre de Racine en hindi, combattante de la cause des femmes indiennes, opposante au controversé chief ministrer du Gujarat Narendra Modi, divorcée, athée, visiblement passionnée par tout ce qu'elle entreprend, Mallika Sarabhai est impossible à résumer.
Quelques vidéos :
2009-02-23 11:55+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde VI
Ce week-end, je suis resté à Chennai. J'ai visité la cathédrale St. Thomas, qui est bâtie au-dessus de la tombe putative de l'apôtre du Christ. L'entrée de la tombe est située à l'arrière de la cathédrale ; des photographies montrent le précédent pape visitant la tombe. Un mini-musée expose un morceau de l'arme qui l'aurait tué.
Abirami Chidambaram Community Hall, Kotturpuram, Chennai — 2009-02-21
Revathy Ramachandran, bharatanatyam
Samedi, en fin d'après-midi, je suis allé à l'ouverture du quatorzième festival annuel de danse organisé par l'association Nayaki. La cérémonie a commencé par une prière de Miss V. Deepika, disciple de Sudha Raghunathan. Le Managing director d'Ashok Leyland a fait un discours (en tamoul) ; un prix d'excellence a été remis à la compositrice et interprète Dr. Rukmini Ramani ; diverses personnes se sont succédé au micro pour faire son hagiographie, vantant notamment son travail de thèse de doctorat sur son père Papanasam Sivan, grand compositeur de musique carnatique. Des récompenses ont été données à beaucoup de monde, comme à Mrs Lakshmi Ranganathan pour avoir allumé la flamme au cours de la cérémonie.
Après une heure de congratulations, le spectacle de danse a finalement commencé. La danseuse est Revathy Ramachandran dont j'avais déjà vu une disciple. C'est le premier spectacle payant auquel j'assiste lors de ce séjour, la danseuse est manifestement la plus expérimentée de toutes celles que j'aie vues ; elle a déjà dansé dans de nombreux pays, dont la France. Je n'ai pas saisi le sens de la plupart des parties, le plus souvent consacrées à Shiva. Le varnam, la partie principale du récital, devait raconter une rivalité entre deux dévotes de Shiva. La danseuse était accompagnée de quelques musiciens : mridangam, cymbales, chant et vînâ. La dernière partie était très originale, mais j'en avais déjà vu une similaire par sa disciple. Le joueur de mridangam était à mon avis moins bon que l'autre ; l'échange entre cet instrument et la danse était moins riche.
Abirami Chidambaram Community Hall, Kotturpuram, Chennai — 2009-02-22
N. Vijay Siva, chant
Amritha Murali, violon
Manoj Siva, mridangam
Je suis retourné hier à l'Abirami Chidambaram Community Hall pour le
deuxième jour de ce festival qui en compte neuf. Comme pour la plupart des
soirées qui vont suivre, il n'était plus question de danse, mais uniquement
de musique. Le chanteur N. Vijay Siva était accompagné de la violoniste
Amritha Murali et du joueur de mridangam Manoj Siva. Deux jeunes disciples
jouaient du tanpura. Des problèmes techniques de sonorisation ont perturbé
le début du concert. Le micro du chanteur ne fonctionnait pas pendant les
premières minutes ; sa voix ne portait même pas jusqu'au
quatrième rang, plein centre, où je me trouvais ! En fait, j'ai trouvé la
première demi-heure du concert assez médiocre. Quand la composition
principale (environ une heure) a débuté, j'ai commencé à apprécier. Sans
être extraordinaire, c'était plutôt bien. La manière d'utiliser le violon
est très différente de ce qui se pratique dans la musique occidentale. Une
partie importante du travail de la musicienne était de reproduire en écho
la mélodie chantée par le maître
. La spectacle a duré environ deux
heures et demie, sans entr'acte.
⁂
Un groupe d'avocats sont devenus complètement fous ces derniers jours. Scènes d'émeutes dans et autour de la Haute Cour de Madras. Le Chief Minister, qui se déplace en fauteuil roulant, annonce qu'il commencera une grève de la faim si les avocats et les policiers ne font pas la paix.
2009-02-13 15:55+0530 (சென்னை) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde VI
R. K. Swamy Auditorium, Mylapore, Chennai — 2009-02-12
Shilpa Darshan Kumar (disciple de Guru Revathy Ramachandran), bharatanatyam
Hier soir, je suis retourné au R. K. Swamy Auditorium à Mylapore pour un nouveau spectacle de bharatanatyam, le dernier que je vais voir pour le festival de danse Sri Parthasarathy Swami Sabha. La danseuse Shilpa Darshan Kumar (disciple de Revathy Ramachandran) est sans doute la plus expérimentée de celles que j'aie vues en Inde jusqu'à maintenant. On annonçait au microphone qu'elle s'était déjà produite en Italie, aux États-Unis d'Amérique et à Singapour.
Le public indien n'apprécie pas les spectacles dans le même recueillement que ne le fait le public occidental dans les situations comparables (dans ou musique classique indienne ou européenne). On parle, on bat la mesure un peu bruyamment, on fredonne, on n'a aucune gêne à répondre au téléphone. Hier, un jeune garçon a poussé les limites de la bêtise et du mépris à un point que je n'envisageais pas : courant un peu partout, se rapprochant vraiment très très près de la scène, la gourou s'est même éclipsée de la scène, est passée par les coulisses pour venir lui dire deux mots, ce qui a permis un petit quart d'heure de répit. Je ne comprends pas comment des parents peuvent être aussi peu respectueux pour laisser faire ça.
Le bharatanatyam de la danseuse était très différent de celui de Radhica Giri. Celui de l'une était sobre, solennel, exigeant, ascétique, et malgré tout très gracieux. Celui d'hier était au contraire foisonnant de mouvements complexes de mains, de pieds, exécutés très rapidement. La vitesse était telle que la danseuse a dû perdre en tout cinq ou six clochettes parmi celles accrochées à ses chevilles. À un moment donné, deux ou trois petits mouvements latéraux de pieds ont été nécessaires pour faire table rase de ces obstacles. Après une première pièce, la partie la plus importante du spectacle a été le Varnam, qui était dédié à Subramanian (un des noms de Muruga). Une pièce Om Namah Narayana a ensuite permis à la danseuse de représenter Krishna ou encore Vishnu couché sur l'océan cosmique. Certains exploits de Vishnu devaient aussi être représentés puisqu'un des passages ressemblait à une scène de combat. Ensuite, une autre pièce dont je n'ai pas compris le nom et enfin, un étonnant numéro où les clochettes étaient reines : on a même installé un microphone dédié sur le devant de la scène pour qu'on les entendent mieux. Questions rythmiques du mridangam et réponses de la danseuse.
La gourou, qui jouait des cymbales, a eu un problème sérieux de toux en plein spectacle. Sans que la danse soit perturbée le moins du monde, une jeune femme l'a remplacée et elle s'en est très bien tirée.
2009-02-11 16:22+0530 (சென்னை) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde VI
Narada Gana Sabha, Chennai — 2009-02-09
Disciples de Guru Smt. Vijaya-Lakshmi Chandrasekaran, bharatanatyam
Avant-hier soir, je suis allé dans une autre salle de spectacle de
Chennai, la Narada Gana Sabha (plus précisément, son mini-hall),
pour assister à un nouveau spectacle de bharatanatyam. Dans le journal
The Hindu, les annonces de spectacles en page quatre comportent
souvent l'indication All are welcome
et parfois la plus énigmatique
Rasikas welcome
. M'étant renseigné sur le sens de ce mot, j'ai
compris que cela pouvait se traduire par mélomane
et désigne plus
particulièrement qui apprécie la musique carnatique. Bref, je pouvais
sans problème aller voir ce spectacle. Comme mes expériences en matière de
spectacles gratuits à Chennai le montrent, il n'est pas tout à fait évident
de savoir a priori à quoi va ressembler le spectacle. Je suis
arrivé un peu avant la fin du spectacle précédent où sept étudiants (dont
un très jeune garçon) d'une même gourou dansaient. Les deux danseuses
les moins jeunes qui intervenaient dans le final (avant les salutations
d'usage) semblaient d'un très bon niveau. Pendant que je me replaçais,
l'organisateur félicitait les artistes et des récompenses étaient
distribuées.
Dans le spectacle que je venais voir intervenaient les douze disciples
de gourou Srimati Vijaya-Lakshmi Chandrasekaran ainsi que quelques
musiciens (mridangam, cymbales, chant, flûte). Onze filles ayant environ
entre sept et quatorze ans et un garçon. Le niveau était assez disparate.
Il y a eu un mouvement amusant où une toute petite fille dansait au milieu
de quatre autres plus âgées. Pendant les mouvements les plus complexes
réalisés par les autres, elle prenait la position Nataraja, en alternant le
pied qui vient se porter à la hauteur de la hanche opposée. Vers la fin,
les quatre se prosternent devant la divinité, seigneur de la danse. Une
seule danseuse était d'un niveau très inférieur aux autres ; elle manquait
complètement d'équilibre quand elle se tenait sur un seul pied et elle
n'était vraiment pas loin de s'écrouler. Malgré ces défauts ostensibles, le
spectacle était assez intéressant et varié. Quelques mouvements rythmiques,
quelques pièces qui profitaient de la multitude des danseurs pour réaliser
des sortes de tableaux vivants typiques de l'iconographie hindoue. D'autres
pièces racontaient une histoire, comme des légendes liées à Krishna.
Certaines jeunes danseuses semblaient assez intimidées, d'autres au
contraire avaient des visages faits de détachement et de sérénité dignes de
déesses et dansaient remarquablement bien. Parmi les pièces très
intéressantes, une était dédiée à Shiva et se déroulait sur une musique qui
doit être très connue puisque depuis le début de mon séjour, je l'aurai
entendue trois fois : Shiva Shambhu Svayambhu (Svayambhu
signifie Qui est né de lui-même
; ce nom est notamment appliqué à
Brahma, mais dans la tradition shivaïte, Shiva réalise cinq fonctions dont
les trois premières sont celles souvent attribuées ailleurs à d'autonomes
Brahma, Vishnu et Shiva alors que dans cette tradition, la fonction
destructrice n'est qu'une des formes de Shiva, appelée Rudra-Shiva ; bref,
il n'est pas inconsistant de dire que Shiva est aussi un créateur, s'étant
engendré lui-même).
R. K. Swamy Auditorium, Mylapore, Chennai — 2009-02-10
Radhica Giri (disciple de Guru A. Lakshman), bharatanatyam
Hier, je suis retourné au R. K. Swamy Auditorium où un festival de danse se poursuit. J'ai choisi un jour où un récital d'une unique danseuse était au programme ; j'espérais ainsi voir un spectacle d'un niveau un peu supérieur à la moyenne. Je n'ai pas été déçu. La danseuse, Radhica Giri, est américaine, mais manifestement d'origine indienne. Vu qu'il y avait de la place, je me suis installé au premier rang. Au cours du premier mouvement, Pushpanjali, dédié à Ganesh, elle a intégré une séquence où seule la moitié supérieure de son corps bougeait. Il était saisissant de la voir recueillir l'attention du public par des mouvements aussi simples en apparence et réalisés avec une exquise lenteur. À d'autres moments du spectacle, elle n'utilisait au contraire que ses pieds. La partie principale du spectacle était assez exigeante. Elle racontait une histoire d'amour-dévotion de Venkateshwar et était plus abstraite que bien d'autres pièces sur des sujets similaires que j'aie vues. Le novice que je suis n'y a pas compris grand'chose. Ensuite, une pièce dédiée à Radha et Krishna, un long tillana dédié à Devi et enfin une pièce appelant à la paix universelle.
⁂
La salle de spectacle est située à Mylapore, non loin du temple Kapaleeshwar. Étant arrivé un bon quart d'heure d'avance avant le début du spectacle, je suis passé autour du temple qui est exceptionnellement illuminé de toutes sortes de lumières, de même que l'immense bassin qui le jouxte. Vers le centre du bassin, une sorte de mandapam de lumières est dressé. Sur un des côtés, un paon ; sur un autre, un lingam.
En rentrant du spectacle, j'ai été bien inspiré de repasser près de ce bassin. Une curieuse cérémonie s'y déroulait. Le public affluait sur les marches des ghats autour du bassin et de l'autre côté des grillages. Un gigantesque radeau bariolé, guidé par des cordes tirées par des hommes depuis le bord de l'eau flottait au son de Shiva Shambhu Svayambhu. Au centre du radeau, trois minuscules idoles de divinités non identifiées (Shiva, Parvati, Muruga ?). Je l'ai regardé faire deux ou trois tours du bassin et suis rentré par le dernier train.
2009-02-01 15:44+0530 (சென்னை) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde VI
Vendredi soir, je suis allé à pieds au temple Mahalakshmi que j'avais déjà essayé de visiter. Ce temple est dédié à Lakshmi, l'épouse de Vishnu dans ses différentes incarnations. Un escalier monte sur la gauche au niveau du sanctuaire principal, ce qui permet de monter à l'étage, où d'autres formes de Lakshmi sont visibles. On se retrouve alors au milieu des divinités sculptées en pyramide. Quelques mini-temples se trouvent tout autour. On trouve par exemple une galerie des dix avatars de Vishnu, tous drapés d'un tissu blanc, ou encore une représentation de Hanuman (je présume que c'était lui bien que le nom tamoul soit différent).
Hier, je voulais faire un tour à la société théosophique et éventuellement accéder à sa bibliothèque. Je suis arrivé un peu trop tôt dans l'après-midi, j'ai donc poursuivi mon chemin. Dans les environs de ce lieu, appelés Besant Nagar, toutes les rues s'appelent Besant Avenue, Besant Nagar Road ou quelque chose comme ça, avec éventuellement des numéros, ceci en l'honneur d'Annie Besant, célèbre théosophe. Tout était de toute façon hors la carte de mon guide Lonely Planet. Je me suis retrouvé à nouveau du côté du temple Mahalakshmi et des églises voisines. Le temps était très ensoleillé à Elliot Beach.
Après avoir mangé un masala dosa, je suis retourné à la société théosophique et suis entré dans son parc. Ce lieu est extrêmement paisible. Les noms de quelques pays sont écrits au bord des chemins. On y trouve un temple hindou, une église, et paraît-il d'autres lieux de culte. On peut également s'approcher d'un gigantesque banian. J'ai essayé de rentrer dans l'Adyar Library, mais il s'agit d'une forteresse plus difficile d'accès que la Bibliothèque nationale de France ou la Société asiatique de Kolkata puisqu'il faut deux lettres de recommandation pour y entrer. Je pourrais probablement obtenir la signature d'un récipiendaire récent du Padma Bhushan, mais d'ici à la fin de mon séjour, je n'aurai certainement plus l'occasion de repasser.
R. K. Swamy Auditorium, Mylapore, Chennai — 2009-01-31
Étudiantes de la Natyanrit Academy (disciples de Guru Marinalini Thyagarajan), bharatanatyam
Je suis retourné à Mylapore pour visiter le temple universel de la mission Ramakrishna et retourner au R. K. Swamy Auditorium pour voir un nouveau spectacle de bharatanatyam. Cette fois-ci, les danseuses étaient des étudiantes de la Natyanrit Academy. Elles n'avaient pas plus de treize ou quatorze ans et dansaient soit seules soit en groupe. Un Pushpanjali dédié à Ganesh, des épisodes de la vie de Krishna, une pièce intéressante sur la dieu de la danse, Nataraja, et bien d'autres. Les musiciens n'étaient pas tous parfaitement au point. À un moment donné, leur guru Marinalini s'est absentée pendant un passage musical et à tendu ces cymbales au chanteur. Ce dernier n'a pas cessé de tenter de faire coller un rythme 2+2 sur un rythme qui avait l'air d'être à cinq temps. J'étais étonné de la longueur des cheveux qui tombaient dans le dos des danseuses. Une d'entre elles a perdu sa rallonge de cinquante centimètres en cours de route...
Aujourd'hui, j'ai pris le train jusqu'au terminus Chennai Beach. Je suis passé devant la haute cour de Madras, protégée des regards par une envahissante végétation verte. Peu de restaurants sont ouverts en ce dimanche, je n'ai trouvé qu'un restaurant qui s'avère être un repaire de mangeurs de viande. J'ai dû renvoyer mon biryani aux œufs en cuisine vu qu'il contenait de gros morceaux de poulet.
2009-01-30 12:26+0530 (சென்னை) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde VI
R. K. Swamy Auditorium, Mylapore, Chennai — 2009-01-29
Kumari Seetha Lakshmi (disciple de Guru Natya Kalasarathy
Malathi Thothadri), bharatanatyam
Un grand festival de danse a eu lieu il y a quelques semaines à la Music Academy de Chennai. Je n'ai pas pu en profiter, mais, tous les jours, dans The Hindu, on peut trouver des annonces de spectacles, souvent gratuits, qui ont lieu à Chennai. Hier soir, je suis donc allé au Sri Parthasarathy Swami Sabha Dance Festival qui se tient pendant un mois au R. K. Swamy Auditorium à Mylapore (près du Temple Kapaleeshwarar).
J'ai eu un peu de mal à trouver le lieu du spectacle, la rue n'étant pas référencée dans Google Maps. Je suis arrivé à l'entr'acte séparant deux spectacles, tous les deux de bharatanatyam. Dans ce festival, tous les spectacles sauf un de kuchipudi qui avait lieu la veille appartiennent à ce style. Je me suis retrouvé au premier rang, plein centre.
La danseuse Kumari Seetha Lakshmi (disciple de Guru Natya
Kalasarathy
Malathi Thothadri) n'a certes pas l'élégance des toutes
meilleures danseuses de bharatanatyam, comme celles que l'on peut voir à
Paris, aux Abbesses, mais néanmoins le spectacle était de très bonne tenue.
Accompagnée de cinq musiciens (mridangam, flûte, violon, cymbales, chant)
et d'un tanpura électronique, la danseuse a présenté un programme en cinq
parties. Les deux premières, dont la pièce principale Varnam, étaient
consacrées à Krishna. Le langage dansé m'a semblé globalement plus concret
que ce que je vois d'habitude. Krishna était représenté en joueur de flûte.
Plusieurs épisodes de sa jeunesse étaient évoqués : sa naissance, ses
bêtises (le pot de yaourt renversé), son combat contre un serpent. Je ne
sais plus si c'était dans le Varnam ou dans la pièce introductive, mais le
personnage de Draupadi intervenait aussi, évoquant un épisode de sa
jeunesse dont je ne connais pas l'origine, mais qui trouve un écho dans le
Mahabharata quand Draupadi, maltraitée par les Kaurava, invoque Krishna qui
se porte à son secours.
La troisième pièce était dédiée à Shiva. La danse cosmique de Shiva Nataraja était bien sûr au rendez-vous. La danseuse a pris plusieurs fois la posture caractéristique de cette forme de Shiva (dont une petite sculpture, comme il est de coutume, était visible sur le côté de la scène). Lorsque le pied gauche vient se hisser plus haut que le genou droit, l'équilibre de la danseuse est mis à l'épreuve.
La quatrième pièce était dédiée à Krishna. Elle évoquait la Bhagavad-Gita. Au début, Arjuna tente désespérément de bander son arc, mais il ne peut s'y résoudre. Son cocher Krishna, dont la fonction est mimée par les mouvements de la danseuse, lui livre une partie de son savoir. Krishna apparaît tantôt comme joueur de flûte, tantôt comme une sage divinité, presqu'aussi sereine qu'un Bouddha. Ensuite, on trouve apparemment une histoire à l'intérieur de l'histoire, censée illustrer la véritable dévotion. Le spectacle s'est terminé par une pièce rapide, un Tillana.
⁂
Je suis ensuite allé mangé dans un restaurant du Kerala où j'avais déjà mangé en 2006, près de la Music Academy. J'ai fait l'erreur de commander un Nandu Curry, un curry de crabe, puisqu'aucun instrument du type casse-noix n'était fourni pour briser la carapace. Le manager a écouté mes doléances et accueilli avec curiosité l'idée que l'on puisse utiliser un tel ustensile ; jamais quiconque ne s'était ému à ce sujet auprès de lui. Avec la fourchette, quelques minuscules morceaux de chair étaient accessibles, bref, j'ai surtout mangé la sauce rouge curry avec des pains. Elle s'avère très pimentée ; on doit pouvoir souffrir plus facilement ce piquant comme il accompagne une nourriture solide.
Comme il se faisait tard, plus aucun train local ne circulait, mais j'ai trouvé le moyen de monter dans un rickshaw collectif qui pour un prix modique m'a déposé à une distance raisonnable de ma guest house.
2008-11-29 01:24+0100 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Théâtre de la Ville — Les Abbesses — 2008-11-29
Shantala Shivalingappa, conception, direction artistique et interprétation
Nicolas Boudier, lumières
Alexandre Castres, vidéo
Namasya
Après le récital de bhârata natyam d'hier, je suis retourné cet après-midi aux Abbesses et ai monté les 180 marches du quai de métro à la sortie pour voir un spectacle de Shantala Shivalingappa que j'avais déjà vue deux fois dans le superbe Gamaka (kuchipudi). J'avais acheté une place pour voir Namasya l'an dernier, mais un déplacement au Maroc m'avait contraint à donner ma place. J'avais aussi prévu de la voir dans Bamboo blues, mais cette fois-là, ce fut de la faute de la RATP si je ne pus pas assister au spectacle.
Ce spectacle Namasya n'est pas un récital de danse indienne kuchipudi ; il rassemble quatre soli contemporains issus de collaborations respectives avec Ushio Amagatsu, Pina Bausch, elle-même et sa mère Savitry Nair. Les intervalles permettant à l'interprète de changer de costume sont remplis par des projections de vidéos d'Alexandre Castres montrant la danseuse dans sa spécialité. Bien que le sujet soit très intéressant et photogénique, j'ai trouvé ces images affreuses : floues, mal éclairées, mal cadrées. Il s'est malgré tout trouvé quelques plans réussis.
Dans ces quatre soli, le sens de la danse n'est pas évident. Sans être particulièrement hermétique, la notice du Théâtre de la Ville n'est pas très éclairante non plus à ce sujet.
La première pièce Ibuki est celle que j'ai préférée. Un bien élégant costume blanc, une musique et des mouvements de danse qui pourraient suggérer un cadre naturel dans lequel les plantes et les animaux vivent joyeusement, mais cela pourrait très bien être tout autre chose... Dans cette pièce et dans quelques autres, certains mouvements de mains sont des mouvements de danse kuchipudi. Voir ces mouvements hors contexte est assez troublant.
Dans la deuxième pièce Solo, une danse sensuelle en longue robe noire, peut-être un peu trop longue parce qu'on ne voyait plus les pieds de l'interprète, ce qui est un peu dommage pour de la danse.
Le troisième solo Shift, chorégraphié par l'interprète, m'a
fait l'effet d'un ovni. La notice évoque la lenteur de la gestuelle
découpée dans l'espace. Et qui n'est pas sans rappeler certains motifs de
la statuaire indienne classique
. Le début me faisait plutôt penser à
une bête féroce à l'affût.
Le quatrième solo Smarana, sur une musique indienne classique, présente la particularité de présenter l'interprète principalement de dos, avec un éclairage assez faible.
Le bilan est globalement positif. À l'avenir, j'irai toujours les yeux fermés voir ses spectacles de danse indienne, et j'irai probablement aussi voir ses spectacles de danse contemporaine, mais par curiosité plus qu'autre chose.
Ailleurs : Bladsurb (2007).
2008-11-29 01:45+0100 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Théâtre de la Ville — Les Abbesses — 2008-11-28
Alarmel Valli, chorégraphie et danse bharatanatyam
Latha Ramchand, chant
C. K. Vasudevan, nattuvangam (chants et cymbales)
Sri Ganesh Ramamoorthy, mridangam
Akkarai Subhalakshmi, violon
G. Raghuraman, flûte
The Forgotten Seed
Ce soir, j'ai assisté à un nouveau récital de bhârata natyam : The Forgotten Seed d'Alarmel Valli. Avant que j'arrive au
théâtre, les ennuis RATP s'étaient accumulés. Le RER B s'arrêtait de
nombreuses minutes à chaque gare avant de repartir. La ligne 4 était
perturbée pour cause de passager malade
. On signalait un passager
sur les voies de la ligne 1. La ligne 13 n'était pas non plus en reste.
Heureusement, il restait la ligne 12 pour rejoindre la station
Abbesses.
Le récital s'ouvre sur une pièce dédiée au Soleil. Les mouvements de la danseuse évoquent l'éclosion des lotus, le chant des oiseaux et bien d'autres éléments. Quoique certains mouvements soient très intuitifs, le langage du bhârata natyam m'est encore très largement étranger, mais le problème de langue n'empêche nullement de se laisser enchanter par les mouvements bien plus amples qu'anguleux de cette danseuse.
Comme toujours, les musiciens sont en effectif réduit. Un son de tanpura, un flûtiste, une violoniste, une chanteuse, deux percussionnistes (cymbales et mridangam). La musique, et tout particulièrement le mridangam, concourent admirablement bien à la danse. La variété des sons émis par cet instrument est déroutante.
Avant de commencer le varnam, on prépare un micro afin que la danseuse puisse, dans un français élégant, résumer l'histoire de cette pièce (et plus tard celle des autres) en montrant en même temps les mouvements de mains correspondant aux différentes situations.
Dans ce varnam, l'adoration du dieu prend une double forme : dévotion, amour. Il n'est ni question du Dieu des Juifs, ni de Krishna, mais bien de Shiva, sous la forme du danseur cosmique (Nataraja) ou encore de Nilakantha, celui qui a la gorge bleue (cf. mythe du barattage de la mer de lait). Cette pièce m'a laissé un peu plus perplexe. Si l'action du personnage féminin était parfaitement intelligible, je n'ai pas reconnu les manifestations de Shiva.
Après un entr'acte musical, deux belles pièces. La première s'intitule Lamentations pour un soldat tombé. Elle n'est pas que triste, puisque des moments heureux sont évoqués, quoiqu'avec nostalgie. La deuxième est celle qui donne son nom au récital : La Graine oubliée. À mon avis, c'est la plus réussie. Un jeune couple laisse libre court à son amour sous un laurier. Mais une amie leur dit qu'ils se comportent mal : le laurier fait partie de leur famille, puisqu'ils en ont semé la graine.
Ce très beau récital s'est achevé par un numéro aux rythmes rapides et un court rappel.
Ailleurs : Bladsurb.
2008-09-28 23:22+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Dhrupad
Cité de la musique — 2008-09-28
Vingt-quatre heures du râga. L'Inde : le jour.
Sheik Mahaboob Subahani Sheik Meera Saheb, nadhaswaram
Sheik Kale Eshabimahaboob Sheikmahaboob Subhani, nadhaswaram
Govindarajan Rajamannar, tavil
Sankar Manickam, tavil
Musique rituelle des temples (Inde du Sud)
Ensemble Tala Vathyam
Srikanth Venkataraman, violon
Sri Naga Siva Venkata Subbaraya Phal Parupalli, mridangam
Sukanya Ramgopal, gattam
Panwar Koshal Kumar, tabla
Ensemble rythmique
Neena Prasad, danse
Madhavan Nampoothiri Cheerakattu Parameswaran, chant
Satheesan Paliyam Parambil Madhavan, mridangam
Narayanan Muraleekrishnan Pazhangapparambilvadakkemana, vînâ
Krishnakumar Thrikkur Madom Anatharaman, edaka
Danse mohiniattam du Kerala
Shashank Subbu, flûte
Srikanth Venkataraman, violon
Sri Naga Siva Venkata Subbaraya Phal Parupalli, mridangam
Sukanya Ramgopal, gattam
Flûte bansuri (Inde du Sud)
Sudha Ragunathan, chant
Skanda Subramanian Sundarajan, mridangam
Kannan Sadagopan, violon
Raman Ramakrishnan, morsing
Chant carnatique (Inde du Sud)
Divana
Barkat Khan, chant
Anwar Khan, chant
Mehruddin Langa, satâra, sarangui, morchang
Ghewar Khan Manganiar, kamanchiya
Firoze Khan Manganiar, dholak
Gazi Khan Barana, direction, kartâl
Chant du Rajasthan
Kaushiki Chakraborty, chant khyal et thumri
Vijay Gathe, tabla
Hiranmay Mitra, harmonium
Chant khyal et thumri
Ajay Rathore, danse
Aditi Jain, danse
Jyoti Bharti Goswami, tarant
Ramesh Meena, chant, harmonium
Panwar Koshal Kumar, tabla
Danse kathak de Jaipur
Gundecha Brothers
Ramakant, Umakant Gundecha, chant dhrupad
Akilesh Gundecha, pakhawaj
Nirant Gundecha, tanpura
Chant dhrupad
Je reviens des vingt-quatre heures du râga, qui ont commencé hier à 18h. Ce programme audacieux de la Cité de la musique était divisé en deux parties : Nuit, Jour. Sur les neuf spectacles présentés dans chacune des deux parties, sept étaient communs, je n'ai donc pas jugé utile de suivre les deux programmes !
Je me suis donc levé à une heure invraisemblable pour arriver un peu avant 7h à la Cité de la Musique, porte de Pantin, où j'allais pour la première fois. Les alentours de la salle des concerts sont sobrement décorés à l'indienne. J'hallucine un peu en voyant passer devant moi un marchand ambulant de CD ayant quelques difficultés d'expression, ou comment donner aussitôt l'illusion que l'on se trouve sur un autre continent ; en fait, il s'agit d'un musicien d'un groupe rajasthani qui va se produire. Le contrôle est très moderne : l'ouvreur passe un lecteur de codes-barres sur le billet. Évidemment, mon billet fait bugger le système. On n'arrête pas le progrès.
Entre la scène et la première rangée de fauteuils sont disposés des tapis sur lesquels les plus audacieux s'asseyent. Si j'avais su, j'eusse apporté un coussin. Victime du grand ordinateur Shadok, je dois m'installer au deuxième rang. Vu la taille de la salle, dans les configurations usuelles, je suppose qu'à peu près toutes les places doivent être correctes (à moins d'avoir un basketteur devant soi). Les sièges sont très confortables, en tout cas, bien plus que dans un certain nombre d'autres salles parisiennes.
Les groupes se succèdent : musique rituelle des temples (nadaswaram et tavil), ensemble rythmique, danse mohiniattam du Kerala, flûte bansuri, chant carnatique, chant du Rajasthan, chant khyal et thumri, danse kathak de Jaipur, chant dhrupad. Le programme est très chargé : dix heures de spectacles, deux pauses d'un quart d'heure. La première pause d'un quart d'heure a d'ailleurs été quasi-absorbée par le retard accumulé dans la matinée. J'avais à peine fini mon plateau de samosas et mon lassi quand le spectacle suivant commença.
Ne connaissant pas très bien la musique classique indienne,
j'appréhendais un peu cette journée, par peur de m'ennuyer. Dans
l'ensemble, tout cela était très écoutable. J'ai découvert deux autres
styles de danse : le mohiniattam et le kathak. J'avais déjà entr'aperçu un
peu de kathak à Allahabad, mais cela ne compte pas. Le
mohiniattam semble avoir quelques similitudes avec le bharata-natyam, un
autre style de danse du Sud de l'Inde, mais paraît un peu moins compliqué
et d'exécution moins rapide. La première différence que j'ai remarquée avec
le kathak, c'est que dans cette dernière danse, les danseurs font beaucoup
de pirouettes. L'ensemble des danseurs kathak comportait deux danseuses
(d'âges très différents) et un jeune danseur. Le peu de cohésion entre les
danseurs, leurs manières d'entrer et sortir de scène (ou plutôt de n'en pas
sortir quand il conviendrait) ne faisait pas très pro
(contrairement
aux sept spectacles qui avaient précédé). Ensuite, est venu un entr'acte
musical qui s'est achevé par le son de grelots de cheville approchant. Dans
leur nouveau costume, les trois danseurs ont présenté une deuxième partie
de spectacle bien plus enthousiasmante que la première.
Je n'ai pas encore fait toute la lumière sur le mystère du tampura. Le
son de cet instrument est très important dans la musique classique
indienne, pourtant, on ne le voit pas si souvent en scène. Il s'agit d'un
instrument à cordes. Chacune des cordes est librement actionnée à tour de
rôle, ce qui produit un son métallique fluctuant continûment de façon
curieuse. Si on faisait la même chose avec un violon, on entendrait quatre
notes qui se suivent. Là, toutes les notes se mélangent... Les
instrumentistes de tampura joueront la même suite de notes pendant de
longues dizaines de minutes consécutives et auront tendance à s'ennuyer
ferme. Certains ont eu l'idée de les remplacer par des machines : de fait,
beaucoup d'ensembles utilisent un objet électronique qui ressemble de loin
à un vieux transistor. Il permet de synthétiser les combinaisons dont ils
ont besoin. Ce matin, le joueur de bansuri n'a pas utilisé une de ces
machines, mais son ordinateur portable pour ce faire. S'excusant de ce
qu'il soit difficile de transporter des tampura, il a utilisé un
enregistrement de cet instrument (en insistant pour dire que c'est du real sound
). Le dernier ensemble de la journée comprenait
deux joueurs de tampura, et pourtant, le leader a utilisé au début une
machine, semble-t-il pour accorder les instruments, mais il me semble qu'il
ne l'a jamais éteinte, bizarre.
Dans l'ensemble, les spectacles étaient bons voire très bons. Un d'entre eux m'a semblé excellent. C'était celui de Sudha Ragunathan, qui était accompagnée d'un violon, d'un mridangam (percussion) et d'un morsing (guimbarde). Avant chaque pièce, elle a fait l'effort d'expliquer sa structure et le sens du texte (ce n'était pas le cas par exemple du groupe de chanteurs du Rajasthan, je n'ai pas le début du commencement d'une idée sur ce que signifiaient leurs chansons). Plutôt que d'essayer de décrire de la musique carnatique de Sudha Rahunathan, je renvoie à YouTube.
Vers 17h, il ne restait plus qu'un seul spectacle d'une heure. Je me disais que j'y étais presque, qu'il ne restait plus qu'une heure. La mise en place du dernier ensemble (chant dhrupad) a pris pas mal de temps. Les maestros ont mis un temps fou à accorder les deux tampuras. Une gorgée de thé. Ensuite, ils ont eu un petit problème technique. Nouvelle gorgée de thé. Le machiniste intervient. Gorgée de thé. Pendant ce temps-là, le public cache son impatience. Il ne sait peut-être pas encore que ce dernier spectacle est le plus exigeant et austère de tous et que pour tenir jusqu'au bout, il faudra faire des efforts. Pendant plus de trois quarts d'heure, les deux chanteurs ne sont accompagnés que par le son des tampuras. Le chant évolue tout doucement, quand on croit que l'on va avancer un petit peu, non, on revient en arrière, une petite gorgée de thé au passage (il doit être froid maintenant, mais est-ce bien du thé ?). Tiens, le joueur de pakhawaj (percussion) se dégourdit les doigts, jouera, jouera pas ? allez encore dix minutes à attendre. Je commence franchement à m'ennuyer et à la fin de chaque phrase musicale désespère de constater que ce n'est pas une fin. Ce n'est pas que ce soit désagréable à entendre, non, mais c'est juste trop long pour moi. 18h25, le groupe a très largement dépassé son temps. Applaudissements du public qui a réussi à tenir jusqu'au bout. Applaudissements un tout petit peu trop enthousiastes, parce que, profitant de ce que nous sommes arrivés à la fin du programme, le groupe a le champ libre pour sacrifier à la tradition des rappels. Quand j'ai vu que les tampuras en étaient à se faire réaccorder (ce qui prendrait bien cinq minutes par instrument), j'ai lâchement fui.
PS: (2 octobre) Les vingt-quatre heures du râga ont été diffusées en direct sur Internet. Je viens de recevoir un mail de la Cité de la Musique m'informant que l'on peut revisionner ce programme en intégralité jusqu'au 30 octobre. Apparemment, il faudrait un système d'exploitation de la firme de Redmond pour ce faire, mais c'est assez facilement circumambulable... Enjoy!
2007-07-01 14:17+0200 (Grigny) — Culture — Danse — Danses indiennes — Expositions — Lectures — Culture indienne — Voyage en Inde IV — Mathématiques — Photographies
Le jour de la Fête de la Musique, c'est à dire il y a dix jours, j'ai
été confronté à un grand contraste entre le spectacle auquel j'assistais et
puis ce que j'ai entendu en sortant du théâtre. À l'intérieur du Théâtre de
la Ville, aux Abbesses, Shantala Shivalingappa
offrait un très harmonieux
spectacle de danse kuchipudi. Je ne connaissais pas du tout cette
danse, originaire de l'Andhra Pradesh. Je fus très agréablement surpris par
les mouvements très arrondis de cette danse, semble-t-il plus facile
d'accès que le bharata natyam. Une partie du spectacle comporait
une danse sur un plateau : la danseuse en pinçait les bords avec les
orteils et pouvait se déplacer en donnant l'impression de flotter sur la
scène tout en dansant avec la moitié haute du corps. Divers bracelets de
chevilles étaient utilisés au cours du spectacle, parfois ils étaient
laissés de côté et la musique se faisait très discrète. L'atmosphère sonore
de Montmartre en ce jour particulier pouvait alors se laisser
entr'apercevoir : Boum ! Boum !
. Je sortais de la salle, conquis par
cette danse (qui sera malheureusement absente de la saison 2007-2008 du
Théâtre de la Ville), et que découvris-je : un spectacle de fin du monde
avec l'illusion que des hordes de jeunes descendaient la rue Ravignan sur
de la musique du troisième millénaire. Un peu plus loin, une atmosphère
imprégnée des effluves des stands de frites-saucisses, et une station de
métro salvatrice.
⁂
À la Fondation Henri Cartier-Bresson, j'ai vu deux expositions du travail de Fazal Sheikh. Loin des splendeurs des Gupta, ces expositions, terribles, frappent par les aspects les moins reluisants de l'Inde qu'elles révèlent. La plupart des photographies (noir et blanc) sont des portraits. La première partie s'appelle Moksha (libération du cycle des renaissances) et est consacrées aux femmes, pour la plupart veuves et abandonnées par leur belle-famille (qui, après leur mariage, était devenue leur famille tout court), qui viennent à Vrindavan, tout près de Mathura (que j'ai prévu de visiter en août), pour se consacrer entièrement à l'adoration du dieu Krishna, qui est réputé avoir passé son enfance dans cette région, y avoir séduit des milliers de vachères et y avoir vaincu le démonique Kamsa. Chaque portrait est accompagnés par un résumé de la vie de la femme représentée. L'autre exposition, Ladli, présentait le sort réservé à de nombreuses jeunes filles, jugées indésirables par leurs parents qui auraient préféré avoir des fils, et qui se retrouvent dans des situations sordides : mariées très tôt, exploitées par des maris coureurs de dot ou par des proxénètes, assassinées par leur belle-famille...
⁂
Je viens de passer trois jours dans la charmante ville de Münster en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, pour y parler avec un jeune chercheur et y faire un exposé au colloquium. La ville est vraiment remarquable par les aménagements prévus pour les cyclistes. Dans le centre-ville, je n'ai pas vu une seule voiture. On voit régulièrement d'énormes parkings à vélo. Les pistes cyclables rouges sont larges, très bien conçues, de sorte qu'on n'a pas d'acrobatie à faire pour réaliser des virages, passer de la chaussée au trottoir et inversement. J'ai donc testé un tout petit peu les vélos allemands. Leur pédalier présente la singularité de ne pas pouvoir tourner à l'envers : cela actionne un frein. Cela impose de bien calculer son coup lors des arrêts aux feux pour disposer les pédales de façon à pouvoir repartir facilement (alors qu'avec un tour de pédalier en sens inverse, on pourrait toujours s'en sortir sur un vélo français). La personne qui m'invitait parlant très bien français, elle a insisté pour qu'on discute en français pour entretenir son niveau dans notre langue. En dehors, j'ai dû pratiquer un peu l'allemand, en tout cas infiniment plus que lors de mes précédents brefs séjours en Allemagne. J'arrive à suivre quand les hôteliers, serveurs, etc. me posent des questions, mais j'ai beaucoup plus de mal à leur répondre. Néanmoins, pour acheter des gâteaux à la boulangerie, cela allait très bien... Il était censé y avoir une grande exposition de sculptures dans les rues de Münster, mais tout ne devait pas encore être installé, parce que je n'en ai vue qu'une.
⁂
Je viens de lire un roman étonnant : Le grand roman indien de Shashi Tharoor. Il faut imaginer l'épopée du Mahabharata transposée dans l'Inde du vingtième siècle, à moins que ce ne soit l'inverse. On y trouve les personnages historiques de la période de la lutte pour l'indépendance de l'Inde, sa partition, et les aléas du pouvoir jusque vers le début des années 1980. Les noms des personnages sont tirés de l'épopée. Jawaharlal Nehru est Dhritarashtra, Gandhi est Bhishma (un des fils de la déesse Ganga, appelé ici Gangaji). La fratrie de Duryodhana est remplacée par la seule Priya Duryodhani (Indira Gandhi). La grande bataille du Kurukshetra est l'élection de 1977 où elle fut battue. De nombreuses libertés sont prises, à la fois avec l'épopée, et avec l'histoire. C'est ce que je trouve toujours ennuyeux avec les romans historiques, c'est qu'on ne peut pas toujours bien distinguer l'Histoire des faits imaginés par l'auteur. C'est un bon roman, plein d'humour, mais qui n'est sans doute vraiment intéressant à lire que si on connaît déjà l'histoire du Mahabharata (la manière la plus plaisante d'y remédier si ce n'est pas le cas étant de lire la version de Jean-Claude Carrière).
⁂
Les résultats du Prix Biblioblog du Roman que j'avais évoqué ici viennent de tomber. Il a été décerné à Passage du gué de Jean-Philippe Blondel. À mon avis, tous les livres sélectionnés étaient très bons, mais ce livre-ci faisait parmi de mes préférés, donc je suis très content qu'il ait été choisi.
2007-06-18 00:56+0200 (Grigny) — Culture — Danse — Danses indiennes — Expositions — Culture indienne
Il y a quelques jours, je suis allé voir l'exposition L'âge d'or de l'Inde classique — L'empire des Gupta aux Galeries nationales du Grand Palais. L'empire Gupta se situe en Inde du Nord, autour du cinquième siècle. L'exposition commence par des sculptures en grès, pour la plupart étonnament bien conservées, provenant de sites principalement bouddhiques. Puis, les lieux d'origine, les styles et les types d'œuvres se diversifient, avec notamment Vishnu couché sur l'océan cosmique, Shiva ascète, Arjuna recevant l'arme Pashupata de Shiva, Sita dans l'ermitage de Valmiki, l'armée des singes construisant un pont sur l'Océan vers Lanka, etc. C'était très bien, mais je hais les visites guidées : il y avait un groupe d'une vingtaine de personnes qui s'agglutinaient toujours précisément là où je voulais aller... Heureusement pour eux, leur guide avait vraiment l'air de connaître son sujet.
Théâtre de la Ville — Les Abbesses — 2007-06-15
Maria-Kiran, danse bharatanatyam, conception, chorégraphie
Guru Jamuna Krishnan, chorégraphie, chant et nattuvangam
Ragini Chandershekar, nattuvangam
M. V. Chandershekar, mridangam
Viju Sivanand, violon
La Face cachée
Avant-hier, j'ai assisté au spectacle La Face cachée de Maria-Kiran au Théâtre de la Ville (Abbesses). La dernière fois que je l'avais vue, la musique et les thèmes étaient chrétiens. Cette fois-ci, la musique était indienne et le récital, respectant toujours la structure voulue par le bhârata natyam, comportait comme partie principale un un varnam dédié à Shiva, inspiré par neuf strophes d'un poème de K. N. Dandayudhapani (les organisateurs ont pensé à utiliser les possibilités de sur-titrage de la salle, qu'ils en soient remerciés). Vers la fin, on a eu droit à un petit intermède pédagogique sur le sens de certains mouvements de danse. En effet, avant d'entamer un padam dédié à Krishna, elle disait quelques phrases en rapport avec les amours de Radha et Krishna tout en exécutant les mouvements correspondants. Dans ce contexte, la pose correspondant à Krishna était celle de l'iconographie hindoue : une position décontractée avec une jambe fléchie passant devant l'autre et reposant sur les orteils et les doigts disposés comme sur une flûte traversière (curieusement, il m'a semblé que la jambe gauche passait devant la droite alors que sur la statuette qui se trouve devant moi, c'est le contraire). C'était très clair. Cela m'intéresserait bien de connaître plus de détails sur les codes de cette danse pour mieux la comprendre, mais je ne saurais pas très bien par où commencer.
⁂
Théâtre de la Ville — Place du Châtelet — 2007-06-17
Pina Bausch, mise en scène et chorégraphie
Peter Pabst, décor
Marion Cito, costumes
Matthias Burkert, Andreas Eisenschneider, collaboration musicale
Marion Cito, Daphnis Kokkinos, Robert Sturm, assistants à la mise en scène
Amon Tobin, Alexander Balanescu, avec le Balanescu Quartett, Cat Power, Carl Craig, Jun Miyake, Leftfield, Magyar posse, Nanad Jeliç, René Aubry, Tom Waits, musique
Rainer Behr, Silvia Farias, Ditta Miranda Jasfi, Dominique Mercy, Nazareth Panadero, Helena Pikon, Jorge Puerta Armenta, Azusa Seyama, Julie Anne Stanzak, Michael Strecker, Fernando Suels Mendoza, Kenji Takagi, danse
Vollmond (Pleine Lune), Pina Bausch
Cette après-midi, j'allais pour la première fois au Théâtre de la Ville (Place du Châtelet) pour assister au spectacle Vollmond de Pina Bausch. Un décor réduit à une énorme pierre à cheval sur un couloir d'eau peu profond. Douze danseurs qui rentrent et sortent de scène par toutes les issues possibles. Des bouteilles en plastique, des chaises, des verres, un ballon gonflable, et surtout beaucoup d'eau. Pour moi, c'est assez impossible à décrire, mais ce spectacle de deux heures était absolument fascinant.
2007-01-05 22:54+0530 (इलाहाबाद) — Danses indiennes — Voyage en Inde III
Hier après-midi, je suis allé à Allahabad avec une étudiante en thèse et un post-doc indiens. On a mangé des gulab jamun... Puis nous sommes allés à une foire. Ce Gandhi Shilp Bazar semble être un événement régulier. Tous les mois, de nombreux marchands de différentes régions de l'Inde viennent présenter divers produits. La plupart des stands concernaient les vêtements : kurtas, taies d'oreillers, tuniques, saris... Beaucoup d'autres présentaient des objets dont certains pourraient sans problème être considérés comme des objets d'art. Par exemple, un superbe tableau de bois sculpté et peint représentant une scène du Mahabharata (Krishna conduisant le char d'Arjuna) pouvait trouver un acquéreur pour un peu moins d'un lakh. Bien d'autres belles choses se laissaient regarder.
On trouvait également de quoi manger, des spécialités du Bihar, du
Rajasthan, etc. J'ai pris un masala dosa et goûté des
momos
du Sikkim.
Au milieu de la foire se tenait une scène où des danseurs se
produisaient. Le premier bout de spectacle que j'ai vu était du Kathak (d'après ce
que ma guide m'a dit ; je n'aurais pas su faire la distinction avec le
bharata natyam). Très intéressant. Ensuite, un groupe de danseurs
a pris la place de la danseuse de kathak. Cela ressemblait à une sorte
d'art martial chorégraphié : ils avaient un long morceau de bois (du
bambou ?) et frappaient celui du voisin avec le leur en rythme. Puis, un
des danseurs affrontait
un groupe de plusieurs autres, puis
plusieurs groupes. Étonnant !
On est resté plus longtemps que prévu à la foire. On a quand même pu prendre un des bus de l'institut pour rentrer. Mais il y a eu un embouteillage assez important. Bloqués, on a envisagé de descendre du bus pour rentrer à pieds et nous avons joint le geste à la parole.
Il faut savoir que depuis le 3 janvier et jusqu'au 26 février se tient un événement périodique exceptionnel à Allahabad. Il s'agit du grand rassemblement hindou du Kumbh Mela. Il y en a un tous les douze ans à Allahabad (nom religieux hindou : Prayag). Entre deux Mela se tient un demi-mela, c'est cet Ardh Kumbh Mela qui se tient actuellement. Des millions de pélerins viennent de toute l'Inde pour se baigner rituellement à Sangam, là où les eaux de la Yamuna se mêlent à celles de la Ganga. D'immenses terrains le long de la Ganga sont consacrés à cet événement. En descendant du bus pour continuer à pieds notre route, nous avons entrepris de traverser ces terrains pour rejoindre l'institut qui se trouve de l'autre côté. Depuis ce dédale de chemins ensablés, on voyait des tentes à perte de vue éclairées par de nombreuses lumières. Dans certains secteurs, l'éclairage tape-à-l'œil et l'ambiance musicale un peu trop chargée perturbait la quiétude des lieux... Après avoir franchi plusieurs ponts temporaires sur des bras des fleuves sacrés, nous avons pu rejoindre l'institut. Un chien errant estropié a fait le chemin avec nous pendant trois ou quatre kilomètres.
2006-10-26 21:38+0200 (Grigny) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Lectures — Mathématiques
Jusques à l'année dernière, à chaque fois que je passais à Jussieu au début de l'année universitaire, je me faisais accoster par diverses personnes qui prêchaient pour telle ou telle mutuelle étudiante. Ne voulant pas leur faire perdre leur temps, je disais tout de suite que je n'étais pas concerné, mais on ne me croyait pas, alors je devais expliquer que bien que je fusse étudiant, j'étais déjà affilié à une mutuelle. Cette année, je ne dois plus avoir une tête d'étudiant pour eux ; cela tombe bien, je ne le suis plus.
À l'entrée de ce lieu très fréquenté, il y a toujours autant de
personnes distribuant divers papiers. Le plus souvent, il s'agit de
publicité, parfois de tracts politiques. Mardi dernier, en sortant d'un TD,
je me suis vu remettre une petite carte (format carte de crédit) un peu
bizarre : dessus, on peut lire cliquez, découvrez, expérimentez !
en-dessous du nom d'un site ConnectezVotreVie.com
, avec en
fond une étudiante sans doute charmante écrivant sur son cahier tout en
regardant ailleurs. Bref, sans trop y faire attention, on pourrait prendre
cela pour de la publicité pour un fournisseur d'accès à Internet, un
fabricant d'électro-ménager, etc. Mais, en petits caractères, on peut
cependant lire Site interactif étudiant pour explorer la foi
chrétienne
. Ce matin, je suis repassé au même endroit, on m'a tendu un
nouvel exemplaire de cette carte ; je l'ai rendue en disant que je l'avais
déjà. Je discute un peu avec la jeune femme qui faisait la distribution.
Oui, j'étais allé voir le site. Non, cela ne m'avait pas fait croire en
Dieu. Non, je ne donnerais pas cette carte à quelqu'un d'autre 1. Bien que je m'intéressasse un petit peu aux
religions, j'étais incroyant. Je suis parti peu après qu'elle m'eut dit
Mais vous savez, Dieu, il vous aime. Comment peut-on vivre sans ? Dieu
vous bénisse.
. C'est à mon avis un aspect peu reluisant d'une religion,
celui de conduire certains à se sentir investi de la mission d'attirer de
nouveaux fidèles. Cependant, il y a un mérite que je peux leur reconnaître,
celui de conforter mon incroyance. Ce n'est vraiment pas ce court-métrage qui me
fera changer d'opinion.
⁂
Théâtre de la Ville — Les Abbesses — 2006-10-25
Krishna Devanandan, danse
Preethi Athreya, danse
Ashwini Bhat, danse
Anoushka Kurien, danse
Padmini Chettur, danse, chorégraphie
Maarten Visser, musique
Sumant Jayakrishnan, décors
Paperdoll
Hier soir, je suis allé voir un spectacle de danse. C'était mon baptême de
danse contemporaine. J'avais remarqué par une occurrence de bharata
natyam
dans la description
de ce spectacle
(Paperdoll, de Padmini Chettur) dans le programme du Théâtre de la
Ville ; voilà pourquoi je me trouvais dans cette salle hier. C'était
incontestablement de l'art, mais je suis assez déstabilisé.
L'accompagnement musical était très étrange, lui aussi très contemporain.
Je ne connais rien à cette musique, mais cela devait être un exemple de musique
concrète : une sorte de mélange aléatoire (sans rythme particulier) de
sons bizarres. Pendant le premier quart d'heure, j'essayais d'imaginer des
gouttes de métal liquide coulant d'un robinet que quelqu'un s'amuserait à
ouvrir et à couper. Après, je n'ai plus cherché à donner un sens aux
sons... Dans des tenues approximativement blanchâtres, cinq danseuses se
mouvaient avec extrême lenteur. Bref, au début, je me demandais un peu ce
que je faisais là. Il y avait néanmoins une cohésion assez intéressante
dans ce groupe : dans les mouvements que j'ai trouvés les plus
remarquables, plusieurs danseuses (voire toutes les cinq) étaient liées les
unes aux autres par les mains, assurant l'équilibre harmonieux de
l'ensemble, ou mettaient délicatement leur main en contact avec le visage
de la voisine.
⁂
J'ai passé le début de mon après-midi à retrouver comment montrer que le
groupe alterné sur au moins 5 lettres est un groupe simple. Je prévois en
effet de l'enseigner en TD la semaine prochaine. Après m'être
convaincu que je savais faire, je suis monté à la bibliothèque pour aller
voir comment c'était fait dans les livres canoniques d'algèbre de niveau
licence/maîtrise/CAPES/agrégation. Le Perrin n'était pas
dans les rayons (il y a un gros trou dans la rangée de livres à cet endroit,
je suppose qu'il y a toujours des hordes d'agrégatifs, capessiens, TD-persons qui en ont besoin en même temps). Les livres étant
rangés thématiquement, je regarde les livres avoisinants. Combien grande
fut ma déconvenue lorsque je vis les horreurs que contenaient certains
ouvrages. Dans un livre de cours de l'algèbre, la démonstration me sembla
comporter des erreurs béantes. Dans un autre qui se montrait assez
agréalablement mis en page, je suis tombé sur une erreur grossière dans un
paragraphe qui paraissait se vouloir synthétique.
J'ai également échoué sur un ouvrage en roumain de la période
communiste ; les mathématiques y avaient l'air aisément déchiffrables,
mais je n'ai pas poussé l'ascétisme jusqu'à y chercher le
théorème que je voulais. J'ai vu un
autre livre à la typographie trahissant une époque reculée où dans le
premier chapitre d'analyse, on expliquait la notion de nombre variable
infiniment petit
! Après ces tâtonnements, j'ai consenti à ouvrir une
valeur sûre (le Tauvel), pour y découvrir finalement ce que je voulais. La
démonstration qui s'y trouve est un peu plus directe que celle que j'avais
reconstituée.
En rentrant chez moi en RER, je n'ai pas vraiment pu me mettre à la lecture du roman en cours, ne parvenant pas à évacuer les groupes symétriques de ma tête...
⁂
Pense-bête : il va falloir que je réorganise les catégories (ou plutôt tags) que j'associe aux entrées de blogs, puisqu'en l'état, ce n'est pas satisfaisant du tout.
[1] Prétérition. Je ne pensais pas en parler sur ce blog.
2006-08-20 11:09+0530 (കൊച്ചി) — Danses indiennes — Voyage en Inde II — Thé
Jeudi dernier, je suis allé visiter le musée Napier à Trivandrum, où il y avait notamment de très belles sculptures de diverses époques, le tout au milieu d'un parc. Je n'ai pas fait grand chose l'après-midi.
Avant-hier, j'ai pris le train pour Ernakulam, avec un confort comparable à la deuxième classe en France. Je n'ai pas pris de nourriture à bord, mais cela avait l'air assez bon. Cependant, la seule manière de se débarrasser des restes et des emballages plastiques et métalliques semble être de tout jeter par la fenêtre...
Depuis la gare d'Ernakulam, je me suis rendu sur la presqu'île de Fort Kochi en rickshaw, puisque les différents presqu'îles sont reliées par des ponts et que c'était le moins compliqué puisque j'avais mes bagages. L'hôtel où je suis n'en est pas vraiment un : il n'y a que deux ou trois chambres, mais vraiment très spacieuses et confortables (il y a même une petite cuisine !). J'ai passé mon après-midi à me balader à Fort Kochi et à Matancherry, passant devant de nombreuses églises et mosquées. Il y a notamment l'église Saint Francis, qui est réputée être la plus ancienne église chrétienne d'Inde, construire au XVIe siècle par les portugais (puis passée aux mains des hollandais, puis des anglais avant de revenir aux indiens). Pas très loin, se trouve la basilique Santa Cruz, devant laquelle des jeunes filles en uniformes bleus jouaient au badminton. Après une bonne heure de marche, je suis arrivé dans le quartier juif (il n'y en aurait plus qu'une poignée qui y vivent encore), où se trouve une synagogue, mais je n'ai pas encore pu la visiter (contrairement à ce que les guides indiquent, elle est fermée le vendredi). Dans les rues voisines, de nombreux antiquaires qui tentent de me faire rentrer dans leur boutique... Les distances sont assez longues, il n'est pas évident de faire tous ces trajets à pieds.
Le soir, je suis allé voir un spectacle de Kathakali. On voit les acteurs se maquiller pendant plus d'une heure. Il y avait trois personnages :
Nakrathundi aperçoit Jayanthan et prend l'apparence de Nakrathundi pour le séduire, mais celui-ci refuse ses avances. Elle reprend sa forme de démone et le menace, mais il lui coupe les oreilles, le nez et les seins avant de rejoindre les cieux.
On ne peut pas dire que j'aie adoré ce spectacle. Cependant, les
explication préliminaires avec un des acteurs étaient intéressantes.
L'essentiel des mouvements exécutés par les acteurs (uniquement des
hommes) sont des mouvements complexes du visage, des bras et des mains. La
partie danse
est minime. L'histoire avance vraiment très lentement.
Bref, pour le moment, la danse indienne traditionnelle que je préfère reste
le bharata natyam.
Hier, j'ai passé une journée absolument magnifique. J'ai pris le bateau le matin pour rejoindre l'embarcadère principal d'Ernakulam (le prix de la traversée est dérisoire : 2 roupies et 50 paisas) et ai marché dans la ville puisque j'étais un peu en avance pour la suite du programme. Je suis passé devant un cinéma qui devait projeter Kabhi Alvida Na Kehna, le nouveau film de Karan Johar, avant plein de stars de Bollywood. Je n'ai pas très bien compris ce qui se passait, mais il y avait plein de percussionnistes faisant beaucoup de bruit devant l'entrée. J'ai pris mon petit déjeuner dans une Indian Coffee House, où les serveurs étaient enturbannés.
Vers 10h30, je suis monté dans un minibus qui m'emmenait du côté de Vaikom pour une croisière dans les backwaters, en passant prendre un groupes d'espagnols accompagnés de deux anglais, dont un jésuite (!). Ils venaient de passer trois semaines dans le Karnataka pour construire une école pour intouchables et faisant un peu de tourisme avant de rentrer en Espagne.
On s'est ainsi baladé dans de petites pirogues dans les backwaters, d'où on pouvait voir s'envoler quelques matrins-pêcheurs (mais aussi un sacrément gros rat mort flotter à la surface). On nous a montré une appareilage servant à tisser des ficelles à partir de fibre de coco. On a même bu du jus de coco directement dans le fruit tout juste tombé du cocotier. La technique de découpe du fruit semblait assez dangereuse : il tenait le fruit dans la main gauche et la découpait avec une faucille avec sa main droite. Finalement, c'est plutôt bon, la noix de coco, cela n'a pas du tout le goût que l'on trouve dans les desserts censément parfumés à la noix de coco. On a ensuite rejoint un bateau un peu plus grand (et à moteur) pour prendre le déjeuner (un fort bon thali) avant de poursuivre la croisière dans des eaux un peu plus profondes. വി. ആ. ശശി, le guide était très sympathique. On a visité une petite usine de calcium sur une petite île puis écouté quelques explications sur la médecine de l'Ayurveda en regardant des plans de curcuma, gingembre, curry, basilic, poivre...
À la tombée de la nuit, j'ai repris le bateau pour Fort Kochi et suis allé dîner dans un restaurant très haut de gamme, le Malabar House. J'en ai eu pour 1136 roupies, mais c'était absolument délicieux, le service était impeccable et les plats étaient assez originaux. J'ai rarement aussi bien mangé : j'ai pris des crevettes servies avec des lamelles d'ananas, puis des brochettes de poisson accompagnées d'un feuilleté de pommes de terre, pour finir avec des samosas au chocolat baignant dans un coulis de mangue ! Le thé du Kerala que j'ai pris ensuite était excellent (mais ils trichaient un peu puisqu'il était parfumé avec des feuilles de basilic...).
Le Kerala a une particularité assez surprenante : il y a beaucoup de drapeaux rouges sur lesquels sont imprimés une faucille et un marteau. À Trivandrum, j'ai aussi vu pas mal de tags représentant cet emblème du communisme.
2006-02-14 21:43+0100 (Grigny) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Théâtre de la Ville — Les Abbesses — 2006-02-14
Maria-Kiran, danse bharatanatyam
Claudio Brizi, claviorganum
Gianfranco Borrelli, violon, alto
Milena Salvini, conception et réalisation
Vidyà, chorégraphies
Bhârata/Bach
Je reviens d'un spectacle au thème original : de la danse classique indienne (bhârata natyam) sur de la musique religieuse chrétienne de Bach. Vous imaginez bien qu'avec un tel programme, je ne pouvais pas manquer cela 1.
C'était pour ainsi dire le premier spectacle de danse auquel j'assistais ; je suis assez impressionné. Il y a dans cette danse peu de mouvements spectaculaires ; elle est exécutée avec une certaine solennité, les mouvements de mains semblant assez complexes et codifiés ; malgré cette majesté, des émotions très fortes jaillissaient de l'expression du visage de la danseuse Maria-Kiran. Difficile de résister pendant les évocations de certains épisodes de la Passion 2, en particulier les instants pendant lesquels la Cène était évoquée, je n'avais jamais ressenti cela pendant un spectacle.
L'instrument utilisé par le musicien Claudio Brizi était aussi très original : il s'agissait du claviorganum, une sorte de mélange entre le clavecin et l'orgue. Je n'ai reconnu que peu de morceaux de musique, qui étaient principalement des chorals. Je suis même tout perturbé de n'avoir pas reconnu le Sanctus de la Messe en si mineur...
[1] Au cas où, j'ai mis les mots importants en gras.
[2] Il n'y avait pas d'extraits de la Johannes-Passion ni de la Matthäus-Passion.
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