« Wagner, la musique qui rend fou ! | Gustav Leonhardt aux Bouffes du Nord »
2011-02-28 01:13+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Opéra
Opéra national de Lorraine, Nancy — 2011-02-27
Isabelle Druet, Carmen
Chad Shelton, Don José
Changham Lim, Escamillo
Claudia Galli, Micaëla
Pascale Beaudin, Frasquita
Sylvia de La Muela, Mercédès
Jean-Vincent Blot, Zuniga
Philippe-Nicolas Martin, Moralès
Olivier Grand, La Dancaïre
Julien Dran, Le Remendado
Sandra Stauch, Denis Pigot, figurants
Claude Schnitzler, direction musicale
Carlos Wagner, mise en scène
Rifail Ajdarpasic, décors
Patrick Dutertre, costumes
Ana Garcia, chorégraphie
Fabrice Kebour, lumières
Orchestre symphonique et lyrique de Nancy
Chœur de l'Opéra national de Lorraine
Chœur de l'Opéra-Théâtre de Metz Métropole
Jeune ensemble vocal du Conservatoire régional du Grand Nancy
Carmen, Georges Bizet
Ce week-end, pour la première fois, j'ai pris un TGV pour aller assister à une représentation d'opéra. J'aurais sans doute mieux fait de faire l'aller-retour dans la journée, mais j'avais l'ambition de visiter un peu la ville. Le mauvais temps du samedi a limité mon ardeur exploratrice et je me suis contenté de visiter le musée des Beaux-Arts et quelques librairies, où j'ai presque réussi à me retenir d'acheter quoi que ce soit vu que je n'ai ajouté à mon bagage que sept gnossiennes (dont je découvre avec surprise que c'est de la musique essentiellement non mesurée !).
Dimanche après-midi, après avoir fait bombance (samedi soir, je m'étais
déjà régalé dans dans un restaurant pakistanais où j'ai pu faire
l'expérience que si on a l'audace de demander un biryani assez
épicé
, on peut manger un plat qui ramone la gorge et les voies
respiratoires ; aucun problème de toux à prévoir pour la représentation !),
après avoir mangé, disais-je donc, je me suis rendu à l'Opéra de Lorraine,
situé Place Stanislas, et dont l'architecture extérieure, comme pour bon
nombre de bâtiments aperçus, est désespérément carrée. (Dans la ville, dans
l'ensemble, on voit des rues se croisant à angles droits entourées
d'immeubles de faible hauteur. Un nombre invraisemblable d'édifices
religieux est à signaler.)
En arrivant, première bonne surprise : le programme ne coûte que 2€. Si quelques institutions parisiennes pouvaient adopter de tels tarifs (quitte à renoncer au papier glacé malodorant), je ne pense pas que quiconque s'en plandrait.
Si dès septembre dernier, j'avais décidé de venir, c'était pour assister à une des représentations de la série (à Metz et à Nancy) au cours de laquelle Isabelle Druet ferait sa prise du rôle de Carmen. (Je ne l'avais alors vue que dans Armide. Depuis, je l'ai vue dans Cadmus et Hermione et en récital.) Quelques commentaires lus ces derniers jours à propos de la mise en scène, de l'orchestre et des chanteurs (hors rôles de Carmen et Don José) avaient de quoi m'alarmer, mais mon impression a été toute contraire puisque j'ai été véritablement ravi par cette représentation.
Le fond de la salle et le rideau sont rouges, comme pour nous préparer aux grandes émotions qui vont suivre. Les sièges sont confortables (à peu près le modèle de ceux du parterre du TCE, si ce n'est qu'ils sont rabattables). À première vue, il semblerait qu'à moins peut-être d'être tout en haut, on a toutes les chances d'avoir une bonne visibilité.
Ce qui me frappe le plus dans cette production, c'est le noir qui se
décline dans tous ses aspects. L'atmosphère est très obscure. Pour une
fois, je ne me plaindrai pas d'un manque de luminosité puisque j'y voyais
très bien (premier balcon de côté, avec vue sur la moitié gauche de
l'orchestre, sur la harpe installée dans la loge de la préfète
, si
j'ose ainsi appeler la loge qui se trouve en face de la loge réservée à
Monsieur le préfet (cf. photo ci-contre).
Si des décalages se font parfois sentir, il m'a malgré tout semblé que l'orchestre symphonique et lyrique de Nancy a fait une prestation plus qu'honorable. J'ai entendu quelques détails dans la musique que je n'avais encore jamais soupçonné. Le jeu des choristes, comédiens, chanteurs et danseurs m'a aussi paru très bien réglé (on ne saurait reprocher aux plus jeunes enfants leurs hésitations dans le placement). À Paris, on ne voit pas toujours des productions dont les détails de mise en scène soient aussi fignolés... (Exemples qui viennent à l'esprit : Luisa Miller et La Fiancée vendue par Gilbert Deflo, Francesca Da Rimini par Giancarlo Del Monaco, La donna del lago par Lluís Pasqual.)
Visuellement, c'est donc le noir qui domine (même si à l'exception de Carmen, les cigarières sont en blanc, et les militaires sont en bleu). La structure du décor, unique, semble à tout moment appropriée. Au premier acte, les cigarières et les militaires sont séparés par une barrière métallique coulissante. Plus tard, au quatrième acte, un pan de décor viendra tourner et réaliser une autre séparation entre la corrida d'Escamillo (dont on n'entend que la clameur) et la scène de la mise à mort de Carmen, absolument inoubliable, comme le dit le directeur de l'Opéra de Metz Métropole dans l'intéressant reportage vidéo ci-lié (qui permet aussi d'admirer les lumières, mieux que je ne le pouvais depuis ma place situé sur le côté opposé). La cruauté est également au centre de cette production. Au troisième acte, les contrebandiers ne trafiquent pas de la marchandise ordinaire, puisque ce sont des passeurs. On voit ainsi avec effroi des familles prendre place dans de grandes caisses en bois. La cruauté prend aussi la forme d'un authentique feu lors de l'immolation du lieutenant à la fin du deuxième acte (mes souvenirs se brouillent, je ne suis pas tout à fait sur de l'identité de la victime). On voit aussi les contrebandiers traiter de façon peu amène trois malheureux douaniers.
Pour apprécier cette mise en scène, il faut cependant être capable
d'accepter l'utilisation de quelques arrêts sur images
fixant
certains personnages tandis que d'autres font évoluer l'action par ailleurs
et ne pas craindre l'intrusion de quelques éléments anachroniques sur
scène. L'amour de Don José au deuxième acte est ainsi représenté par des
ballons en forme de cœur. Lors de l'entrée d'Escamillo, on voit des flashs
d'appareils-photos modernes. Les caisses des contrebandiers sont poussées
par des transpalettes (la version intelligente de ce qui s'est vu dans le
Giulio Cesare passé à Garnier récemment). Dans
le duo puis trio des cartes, quand Frasquita et Mercédès disent à leur
cartes Parlez, mes belles de l'avenir... Dites-nous qui nous trahira
,
elles portent le jeu de cartes à leurs oreilles comme elles feraient d'un
téléphone portable.
Bref, c'est peu dire que j'ai adoré cette mise en scène, du début à la fin, où Don José, transformé en boucher puis en taureau, gagne son duel contre une Carmen qui a passé le costume d'un torero. Pour ma part, je pardonnerai volontiers à Carlos Wagner d'avoir remplacé la fleur jetée par Carmen à Don José par un cigare ! (Cela dit, un cigare, c'est 100% végétal, non ?)
Lors de ces deux heures et demie de musique qui ne sont pas interrompues
par des passages parlés, puisqu'on a choisi la version avec récitatifs
chantés, j'ai apprécié la prestation de tous les chanteurs. Pour celle
d'Isabelle Druet, c'est une évidence. L'ayant vue dans des rôles ou
situations plus joyeux
, j'attendais avidemment de la voir incarner
ce rôle qui change dramatiquement dès la fin du deuxième acte. Certes, dans
cette production, on a construit une Carmen beaucoup moins sexy
que celles incarnées par Anna Caterina Antonacci à Londres ou à l'Opéra Comique. S'il est aussi vrai que la gestique et les
poses que la mise en scène lui font prendre paraissent parfois un peu
forcées (quoique moins que ce à quoi se laisse souvent aller Natalie
Dessay), cela reste on ne peut plus convaincant. En Don José, Chad Shelton
l'est également. À la fin de son air La fleur que tu m'avais
jetée, il réalise un aigu cristallin sur Et j'étais une chose à
toi
, un si bémol aigu [...] en falsetto
explique le
chef Claude Schnitzler dans la vidéo sus-liée. Ce qui m'a aussi marqué, à
la toute fin de cet air sur la syllabe t'ai
de Carmen, je
t'aime
(qu'on entend à 11:30 dans le reportage), c'est la ressemblance
avec l'harmonie du Cygne de Lohengrin. (Quand je vous dis que la
wagnérite, c'est une véritable maladie, il faut me
croire.) L'Escamillo de Changham Lim n'est pas du tout catastrophique comme
je le craignais. Sa diction est tout ce qu'il y a de plus intelligible et
si sa voix était un peu couverte lors de son premier air, c'était tout
simplement parce que l'orchestre impétueux a joué un peu trop fort. J'ai
aussi été scotché par l'interprétation de Claudia Galli dans le rôle de
Micaëla. Il est vrai que sa voix a mis un petit moment à s'échauffer et que
les mouvements que lui imposait la mise en scène faisaient parfois
faiblir sa voix. Pourtant, au troisième acte, lors de l'air Je dis que
rien ne m'épouvante, elle a été sen-sa-tion-nelle. L'émotion du
personnage s'est traduite dans son interprétation sans nuire en rien à la
justesse et à l'intelligibilité du chant. Elle détrônerait presque dans mon
panthéon personnel Anna Moffo dont je chéris l'interprétation de cet air.
(Le récitatif qui se trouve au début de cet air a malheureusement été
complètement gâché par un odieux chœur de tousseurs.)
C'est flou, mais c'est la moins pire des photographies prises lors des saluts.
Sur la Place Stanislas, c'est tout comme s'il ne s'était rien passé au cours de l'après-midi !
(Les quelques autres photographies
sont là.)
PS: Dans ce compte-rendu déjà trop long, j'ai oublié de préciser que les airs de Carmen avaient été interprétés dans des tempi plutôt lents.
PS2: De belles photographies du spectacle sur le site du décorateur.
J'ai vu ce spectacle 2 fois, la première lors de la Générale, la seconde pour une représentation, environ 10 jours plus tard. J'ai pu constater une énorme différence entre les deux. J'avais passé une bonne soirée lors de la Générale, mais j'y trouvais un paquet de défauts. J'ai vraiment bien fait d'y retourner, car là, tout s'était amélioré dans ma perpection des décors, des voix et de la mise en scène. Un grand bravo donc ! Et un grand merci à toi Joël pour nous faire partager des impressions et tes émotions...
Merci d'être passé !
Ah!! Enfin je trouve quelqu'un qui parle d'opéra!! et qui en parle bien!
en ce qui concerne la mise en scène,je ne sais pas trop quoi en dire d'après tes propos.Il aurait fallu que je sois au spectacle pour pouvoir vraiment dire mon ressenti.D'après ce que tu en dis j'avoue avoir un peu grincé des dents (par exemple,les cartes utilisées comme téléphone portable..ça me laisse songeuse).Mais il est difficile de dire sans avoir vu donc je me tairai.
En tout cas tu m'as permis de découvrir la mezzo Isabelle Druet (hélas, une seule vidéo d'elle mais elle y est superbe!! ) Une diction parfaite,un timbre de voix réel de mezzo soprano,et un jeu plein d'humour (la Grande Duchesse) .Quand elle arrive sur scène,elle n'a aucune tenue mais dès que le chef a levé sa baguette elle EST la grande Duchesse...Chapeau! Ce n'est pas donné à tout le monde cette présence scénique!
Merci pour ton passage ici !
Oui, je me repasse souvent cette vidéo d'Isabelle Druet...
Sur les éléments en apparence un peu bizarres de la mise en scène, tu as raison, sans avoir vu une mise en scène, il est difficile de la critiquer ! et donner un exemple pour en ridiculiser une (comme je le lis parfois ailleurs ; mais je ne prétends pas être complètement innocent en la matière) n'est à mon avis pas une bonne méthode : cela dépend tellement de la façon dont l'idée est mise en pratique et de l'attitude et des goûts du spectateur. Là, à mon goût, ça passait très bien.
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