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2014-09-23 17:40+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
(Billet mis à jour le 2 mai 2015.)
Introduite par Rudolf Benesh (1916-1975) dans les années 1950, la
notation du mouvement Benesh est surtout utilisée dans la danse classique
européenne, et tout particulièrement au Royaume-Uni (on pourra d'ailleurs
lire à ce sujet les
billets du blog Impressions danse portant sur la notation Benesh,
parfois aussi appelée choréologie
). Cette technique de notation
n'est aucunement spécialisée dans ce style : il est possible de l'utiliser
pour toutes sortes de danses. La notation ne remplace en aucun cas
l'apprentissage du style et la transmission de pièces par un professeur,
mais je voudrais néanmoins encourager son utilisation. La notation est
évidemment un support utile pour se remémorer une pièce dont on aurait
oublié certains détails, mais elle permet aussi de mieux comprendre la
chorégraphie et dans le cas de la notation d'enchaînements (adavus), elle
facilite également la comparaisons entre différentes écoles.
Dans ce billet, je voudrais montrer que la notation Benesh est adaptée à la notation de pièces de danses indiennes de style bharatanatyam, et tout particulièrement aux passages de danse pure. Pour cela, j'ai sélectionné un extrait de chorégraphie disponible sur Youtube :
Il s'agit d'un extrait d'un Varnam (ou plus exactement un Svarajati) apparaissant dans le DVD Rasaanubhavam de Janaki Rangarajan (qui est une de mes danseuses préférées, cf. mes billets sur ses récitals au Musée Guimet, au Bharatiya Vidya Bhavan à Chennai et au Centre Mandapa ; je la remercie de m'avoir permis d'utiliser sa chorégraphie dans ce billet). Sur la vidéo ci-dessus, à la fin d'une séquence narrative, on la voit reculer vers l'arrière de la scène et exécuter des pas préparatoires à un Jati tandis que la nattuvanar (Jayashree Ramanathan, que j'apprécie beaucoup !) prononce la suite de syllabes Dhalan–guTakadhikuTakatadhinGinatom–. Le Jati dure une trentaine de secondes sur la vidéo, de 4'42" à 5'14". Voici cette séquence écrite en notation Benesh :
Jati en notation Benesh
(version PDF)
Je tiens à préciser que je suis débutant en notation Benesh et qu'il est donc fort probable que ce texte contienne des approximations, et peut-être même des erreurs !
Le but de ce billet est d'expliquer le sens de la plupart des signes
apparaissant sur la première page de cette partition. (La deuxième page
comporte des signes plus complexes sortant du cache de ce tutoriel
,
notamment en raison des sauts que la danseuse exécute à la fin de la
séquence.)
De même que la musique occidentale, la
notation Benesh s'inscrit sur une portée de cinq lignes (usuellement
tracées en rouge). Ceci laisse la possibilité de combiner sur une même
partition la chorégraphie et tout ou partie de la musique utilisée pour la
danse. Même si la notation de la choréographie se suffit a priori
à elle-même, j'ai préféré adjoindre ici une ligne rythmique
permettant de situer dans le temps les frappes de pieds.
J'ai également indiqué sur une troisième portée les syllabes prononcées
par la nattuvanar Jayashree Ramanathan.
Venons-en maintenant au sujet, à savoir la portée de cinq lignes rouges
ci-dessus. L'idée fondamentale de la notation Benesh est de représenter la
position de la danseuse (ou du danseur) à certains instants-clefs
et
d'indiquer par des lignes de mouvement la façon de passer d'une position à
une autre. On utilise pour cela une représentation schématique du corps de
la danseuse vue de derrière. Les cinq lignes de la portée
représentent successivement, en partant du bas, le sol, les genoux, la
taille, les épaules et le haut de la tête comme sur la figure
ci-dessous :
Représentation du corps sur une portée, p. 19 de Reading dance de Rudolf & Joan Benesh
Commençons par voir comment sont représentées deux positions importantes du bharatanatyam. Sur la figure suivante, je n'ai représenté que les pieds et genoux :
Les pieds sont représentés par des tirets horizontaux. Quand ils sont
côte-à-côte, on obtient un tiret long comme sur les deux positions
ci-dessus. La position assise
(araimandi) correspond au
demi-plié de la danse classique européenne, les croix (plus larges que
hautes) qui représentent les genoux sont donc un peu écartées et placées
plus bas que la ligne des genoux. Comme on ne représente un genou en
notation Benesh que si la jambe n'est pas tendue, ils ne sont donc pas
notés pour la position debout.
Approfondissons maintenant le tiret utilisé pour représenter les pieds. Voici une façon de noter un pas chassé vers la droite :
Trois instants-clefs sont représentés de gauche à droite. Sur le premier, les pieds sont joints. Sur le deuxième, on voit deux tirets écartés. Pour indiquer que c'est le pied droit qui se déplace (vers la droite), on ajoute une ligne de mouvement représentant le mouvement effectué par le pied depuis la position précédente. (Ces principes s'appliqueront de la même façon aux mouvements des mains, qui sont représentées par les mêmes symboles que les pieds.) Sur le troisième instant-clef, on veut indiquer que le pied gauche vient rejoindre le pied droit. Ceci pourrait se noter comme sur le deuxième instant-clef en utilisant une ligne de mouvement, mais il est plus économique d'adjoindre au tiret correspondant au pied gauche un petit trait oblique (qui est dérivé de ce qu'on appelle le symbole de contact). (Exercice : Si le trait oblique était placé au niveau du pied droit plutôt qu'au niveau du pied gauche, à quel enchaînement de mouvements correspondrait la notation ?)
(Sur la figure précédente, j'ai utilisé une ligne de mouvement. En toute
rigueur, il est plus idiomatique de représenter les pas en notation Benesh
par ce qu'on appelle des lignes de locomotion
. Comme leur lecture
est plus difficile, j'ai préféré éviter de les utiliser ici.)
Pour le moment, les pieds sont posés à plat sur le sol. Dans l'exemple suivant, j'ai utilisé un signe spécifique (un tiret auquel un petit rond est adjoint) indiquant que c'est le talon qui touche le sol :
Partant de la position assise, on pose le talon droit sur le côté droit
(deuxième instant-clef), puis on exécute une frappe du pied gauche (notez
la petite ligne de mouvement sur le troisième instant-clef) et on exécute
une frappe du pied droit qui revient à côté du pied gauche
(quatrième instant-clef). Cette suite de mouvements de pieds est très
courante dans le bharatanatyam et est accompagnée lors de la pratique par
les onomatopées rythmiques ou bols di-di-tai
.
Le symbole utilisé dans le dernier instant-clef des deux exemples
précédents est un symbole de fermeture indiquant le mouvement vers une
position fermée
, en l'occurrence pieds joints. On peut utiliser
plusieurs de ces symboles à la suite pour noter des frappes de pieds, comme
dans l'exemple suivant qui est le troisième Tatta Adavu :
Cet exemple permet d'introduire d'autres symboles. Pour la position
assise initiale, j'ai indiqué la position des mains au niveau de la taille
avec le symbole de contact (un trait oblique pour chaque main). J'ai
également indiqué la métrique utilisée dans cet adavu se dansant sur quatre
temps : trois frappes de pieds et un temps vide
. Le dernier temps
vide est indiqué par un signe au-dessus de la portée. Enfin, j'ai utilisé
une barre de répétition comportant une ligne oblique et une ligne droite,
ce qui signifie que la répétition se fait en miroir, en alternant les
côtés : à droite, puis à gauche. (Dans certaines écoles de bharatanatyam,
comme celle de Sucheta Chapekar, guru de ma prof, le troisième Tatta Adavu
se danse sur trois temps au lieu de quatre, sans gap.)
Le signe indiquant les pieds peut être placé verticalement à différents endroits par rapport à la ligne du bas de la portée. Ceci permet de distinguer un pied à plat (ou sur le talon) d'un pied en demi-pointe :
Sur le premier instant-clef, les tirets se confondent avec la ligne de
la portée : les pieds sont en demi-pointe (et dans cet exemple le signe
courbe en-dessous des pieds indique en outre que l'on exécute un petit
saut). Au deuxième instant-clef, les tirets sont placés sous la ligne : les
pieds sont posés à plat. Sur cet exemple, on a ainsi une alternance entre
pieds en demi-pointe et pieds à plats. Cette alternance est typique des
Khudita Metti Adavus accompagnés des bols tai-hat-tai-hi
. La
chorégraphie de Janaki Rangarajan commence d'ailleurs par un des adavus de
cette série. (On pourra noter que sur les deuxième et quatrième
instants-clefs, un signe nouveau apparaît au dessus de la portée : il est
utilisé pour indiquer que l'instant-clef ne tombe pas sur un temps, mais
sur une subdivision d'un temps en deux. D'autres signes sont utilisés pour
des subdivisions en 3 ou 4.)
Pour le moment, tout se passe dans le plan du corps. Deux nouveaux signes sont nécessaires pour indiquer un pied (ou une main) placé à l'avant du plan du corps (un trait vertical) ou à l'arrière du plan du corps (un point) :
De ces symboles sont dérivés les symboles utilisés pour les genoux (et les coudes). Les tirets se transforment en croix et le rond en une croix tournée de 45°.
Il est maintenant possible d'analyser le début de la chorégraphie du Jati de Janaki Rangarajan. Tout d'abord, il me semble important de bien comprendre ce qui se passe d'un point de vue rythmique. Pour cela, il peut être utile de s'imprégner de la pulsation de la mesure à six temps dans les dizaines de secondes précédant le Jati sur la vidéo ci-dessus. Il s'agit de Rupaka Tala qui suivant les théories ou les pratiques diverses comporte au choix six temps ou trois temps. Du point de vue du solfège occidental, on peut dire que le cycle est composé de six croches ou de trois noires. On considérera ici que ce cycle a six temps. (Les personnes qui essaieront de déchiffrer les lignes rythmiques indiquées en bas observeront que je les ai notées en 3/4, c'est-à-dire avec trois noires par mesure. La noter en 6/8 aurait été une mauvaise idée parce que la convention en musique occidentale aurait impliqué que les six croches se répartissent par groupes de trois (6=3+3) plutôt que par deux (6=2+2+2).)
Normalement, si vous avez saisi la bonne pulsation (autour de 104 temps
par minute), quand la nattuvanar a fini de dire Ginatom–
, comptez de
1 jusqu'à 8, puis comptez de nouveau de 1 à 8. Normalement, quand vous
arrivez à 5, vous voyez la danseuse passer de la position assise à la
position debout. (Si ce n'est pas le cas, recommencez en comptant deux fois
plus vite ou deux fois plus lentement...) Une fois ceci acquis, vous pouvez
essayer d'observer le découpage du Jati en
8+8+(3+3+6)+(3+3+6)+5+5+4=54, i.e. comptez de 1 à 8, recomptez de 1 à 8,
puis de 1 à 3, etc. Après le dernier compte de 1 à 4, le chanteur
intervient et la musique redevient mélodique. Le nombre total de temps est
54=9×6, c'est-à-dire qu'après Ginatom–, le Jati s'étend
sur 9 cycles de Rupaka Tala. Toutefois, le découpage que j'ai donné plus
haut est très différent du découpage régulier qui serait donné par le
Tala : 6+6+6+6+6+6+6+6+6=54. Il s'agit là d'une des difficultés rythmiques
du bharatanatyam : les motifs qui se répètent ne commencent pas toujours au
début d'un cycle et ils peuvent enjamber plusieurs cycles. Sans la musique
qui précède, il serait pour ainsi dire impossible de deviner que le cycle
rythmique est Rupaka Tala...
Pendant la phrase initiale Dhalan–guTakadhikuTakatadhinGinatom–,
la danseuse se met en position assise, les mains au centre près du corps
dans le mudra Katakamukha. Dans l'article Notating Indian Dance de
Rudolf & Joan Benesh et Marianne Balchin, Sangeet Natak nº9
(1968) que j'ai pu consulter à la
médiathèque du Centre national de la danse, les auteurs ont l'ambition
de noter les positions des mains par un système de notation qu'ils
esquissent (par exemple P6
avec un point au-dessus du 6 pour le
mudra Shikhara) ; cela me paraît un peu trop optimiste de leur part. Il me
semble préférable de procéder comme dans le chapitre X consacré aux danses
indiennes de Reading Dance, The Birth of Choreology de Rudolf
& Joan Benesh : utiliser une abréviation des noms des mudras, comme Km
pour Katakamukha, Ap pour Alapadma, Pt pour Pataka, Tp pour Tripataka.
(Pour certains mudras comme Pataka ou Tripataka,
il convient de préciser aussi la
façon dont la main est tournée, ce que j'ai indiqué à partir de la quatrième mesure sur la partition.)
La position initiale du Jati se note ainsi :
Les coudes sont écartés et les mains légèrement vers l'avant du corps. (L'écartement des coudes dicte la distance entre les mains et le corps : si les mains étaient davantage vers l'avant, les coudes seraient moins écartés.)
La position précédente est la position de départ d'un des Khudita Metti Adavus que la danseuse exécute pour commencer. Cet adavu consiste en deux répétitions de la séquence suivante :
Les mouvements des pieds correspondants (tai-hat-tai-hi
) ont déjà
été décrits plus haut. Au niveau des mains, la seule variation par rapport
à la position initiale réside dans le symbole utilisé pour la main droite
sur le premier instant-clef. C'est un rond et non un tiret, ce qui signifie
que la main est à l'arrière du corps. Comme le coude n'est pas noté, il
faut comprendre que le bras droit est tendu. La main droite est en
Alapadma, mais la main gauche reste en Katakamukha, c'est pourquoi j'ai
précisé entre parenthèse l'initiale de droite
pour indiquer que le
changement de mudra ne concerne que la main droite. Sur le
troisième instant-clef, la main droite revient à la position initiale, en
Katakamukha. Comme il existe des symboles pour représenter les positions de
la tête, en toute rigueur, on pourrait indiquer sur le premier instant-clef
que la tête se tourne vers la droite (puis se remet de face au troisième
instant-clef), mais ce n'est pas nécessaire dans le style bharatanatyam
puisqu'il est implicite que l'on doit ici regarder la direction indiquée
par la main qui se déplace. (Pour simplifier, j'ai utilisé ici
l'écriture visuelle. Le fait que le bras droit soit tendu derrière
le corps à la hauteur des épaules va impliquer une rotation du torse la
droite. Une autre façon d'analyser ce mouvement correspondant à ce que l'on
appelle l'écriture de base serait d'indiquer d'une part que le
bras se tend sur le côté droit et que le torse se tourne de 90 degrés, mais
cela nécessiterait d'introduire un nouveau signe.
La chorégraphie se poursuit avec une variante debout de la suite de pas di-di-tai vue précédemment :
La bras droit se déplie pour se tendre vers le côté droit, la main s'ouvrant en Alapadma. Une ligne courbe s'étend au-dessus de la portée : c'est le symbole de legato indiquant ici que le mouvement du bras commence en même temps que la danseuse se lève. Sans ce signe, le mouvement du bras commencerait plus tard, juste après la frappe du pied gauche. (D'un point de vue rythmique, on pourra observer qu'au-dessus de la portée, on voit apparaître pour la première fois un trait oblique superposé à un point, il indique une subdivision des temps en 4 : l'instant-clef intervient un quart de temps après le début du temps en cours. Si le signe était tourné de l'autre côté, on serait un quart de temps avant le temps suivant.)
La partition peut en principe être déchiffrée en utilisant les indications déjà données jusque vers le milieu de la mesure 4. On peut observer que la portée servant à noter la chorégraphie comporte des blancs. Cela provient des répétitions (en miroir) dans la chorégraphie. Contrairement aux partitions musicales, en notation Benesh on laisse un espace en blanc pour les parties de la chorégraphie qui sont des répétitions. Par exemple, après la première séquence de 8 temps, j'ai laissé de la place (s'étendant sur 8 temps).
Pour reprendre de façon plus détaillée ce que j'ai esquissé dans ce
billet, je recommande de regarder les six petites vidéos d'introduction à
la notation Benesh qui
sont listées sur cette page. Ces vidéos utilisent le langage de la
danse classique européenne et certaines spécificités du style de la
Royal Academy of Dance, mais si on laisse de côté la courbure
spécifique des bras dans le ballet et quelques autres particularités, la
notation reste la même. Il ne faut pas trop s'inquiéter d'être
un peu perdu quand Anuschka Roes prononce des expressions ésotériques
comme closing in fifth position
: il s'agit de positions des pieds
qui ne sont pas immédiatement utiles pour noter le bharatanatyam.
Rudolf & Joan Benesh ont publié plusieurs livres sur la notation Benesh. Je ne les ai pas tous consultés, mais je peux dire que Reading Dance: The Birth of Choreology (Condor Book, 139 pages) est une lecture très agréable. (Il est assez facile de se procurer ce livre, neuf ou d'occasion.) Joan Benesh ayant pratiqué un peu le bharatanatyam, on pourra lire avec intérêt le court chapitre X qui lui est consacré. (L'article Notating Indian Dance, Sangeet Natak nº9 (1968) auquel j'ai fait référence plus haut est une lecture moins indispensable dans la mesure où cet article se place à un niveau très général qui ne permet pas d'approfondir la question : il n'est pas seulement question du bharatanatyam, mais aussi d'autres styles classiques ainsi que des danses folkloriques d'Inde.)
Un aide-mémoire sur la notation Benesh est disponible sur le site de l'Institut Benesh dépendant de la Royal Academy of Dance.
En français, Grammaire de la notation Benesh : manuel élémentaire d'Éliane Mirzabekiantz permet d'aller plus loin dans la notation Benesh, mais sa lecture me semble un peu plus difficile de prime abord. Le Centre Benesh est une association française promouvant la notation du mouvement. Le BeneshBlog vient d'être lancé.
Outre l'exemple que je traite dans ce billet, vous pouvez télécharger ce fichier PDF contenant une notation des quatre séries d'adavus (Tatta, Natta, Marditha, Khudita Metti) que j'ai apprises avec Arupa Lahiry (disciple de Chitra Visweswaran) à Kolkata et Delhi au cours de mon dernier voyage en Inde. Vous pouvez essayer de les déchiffrer (et constater qu'elles sont peut-être différentes de celles de votre école).
Ensuite, il convient d'avoir un crayon gris, une gomme et du papier à musique (PDF)...
En ce qui me concerne, je ne m'intéresse à la notation Benesh que depuis le printemps 2014. Pour m'entraîner, j'ai commencé par essayer de noter Shri Gana Natha, la première chorégraphie que j'ai apprise avec ma prof Jyotika Rao. Lors des cours que j'ai pris avec la danseuse Arupa Lahiry à Kolkata puis à Delhi cet été, j'ai surtout appris des adavus (par séries complètes). Une fois rentré à l'appartement que je louais, ou sur le chemin du retour, je pouvais essayer de noter les adavus qui me revenaient en mémoire, dans le désordre. Le fait de les noter m'aidait à mieux les comprendre et lors des cours suivants, je pouvais m'assurer que je ne m'étais pas trop trompé dans ma notation. À la fin de la série de cours, j'avais noté les quatre séries d'adavus qu'elle m'avait montrées : Tatta Adavus, Natta Adavus, Marditha Adavus, Khudita Metti Adavus (PDF).
Plus tard, à Pune, après chacune des quatre heures de cours que j'ai eues avec deux disciples de Sucheta Chapekar qui me montraient les mouvements de son Shiva Kautukam, je notais la chorégraphie en notation Benesh, ce qui m'aidait à la comprendre et à la mémoriser, de façon à ne pas être trop ridicule pour le dernier cours quand il s'est agi de montrer à Sucheta Chapekar où j'en étais arrivé et qu'elle me donne des conseils et corrections. Le temps passé à noter les morceaux de chorégraphie était assez réduit en comparaison de la durée des cours et de ma pratique personnelle entre les cours. La chorégraphie d'un peu plus de deux minutes tenait sur trois pages (ce qui est ni plus ni moins le nombre de pages qu'occupait la notation rythmique du texte de la musique, à l'indienne, sous forme de tableau), donc on peut considérer que la notation Benesh est relativement compacte. Par la suite, j'ai noté au fur et à mesure les autres pièces de bharatanatyam que j'ai apprises.
À partir de décembre 2014, j'ai suivi pendant cinq mois le Distance Learning Course 1 du Benesh Institute. Ce cours à distance est très bien fait. Il suppose une certaine connaissance de la terminologie du ballet. Étant aussi balletomane, ce cours m'a aussi permis d'approfondir ma connaissance du vocabulaire du ballet en même temps que la notation Benesh.
Deux grands systèmes de notation de la danse sont utilisés en danse classique ou en danse contemporaine. Outre la notation Benesh, il existe aussi le système de notation Laban, que je n'ai pas regardé en détail, mais il est à noter que la danseuse de bharatanatyam Rukmini Vijayakumar, en plus de son initiation à d'autres styles de danses comme le ballet, a également reçu une formation en notation Laban.
Dans le livre Bharatanatyam édité par Sunil Kothari se trouve un chapitre intitulé Dance Notation of Adavus rédigé par Padma Subrahmanyam. Cent quatorze adavus appartenant à treize familles y sont décrits. Elle y utilise son propre système de notation utilisant de façon très différente que ci-dessus les lignes d'une portée musicale. Ce système de notation n'est pas aussi complet que la notation Benesh puisque seules les positions des pieds y sont notées. Sans les compléments d'information apportés par les lignes de texte et photographies qui les accompagnent, les séquences notées ne peuvent donc pas être comprises.
Une alternative est de représenter la danse comme une suite de petits dessins schématiques, comme cela apparaît par exemple dans le Manuel traditionnel du Bharata-Nâtyam, Le Danseur Cosmographe de Katia Légeret. Un des intérêts de la notation Benesh est de dispenser le notateur de la nécessité de posséder quelque talent que ce soit en dessin !
⁂
Je serais particulièrement intéressé par d'éventuels retours sur ce
billet ou par des informations à propos d'autres personnes ayant utilisé la
notation Benesh (ou un autre système de notation) pour le bharatanatyam ou
d'autres styles de danses classiques indiennes. (Vous pouvez utiliser les
commentaires ci-dessous ou mon adresse email
joel.riou@normalesup.org
.)
2014-09-21 12:21+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Mas Flores de Llum, Los Masos — 2014-09-13
Camille, danse bharatanatyam
Sucheta Chapekar, chorégraphies
Jyotika Rao, reconstitution de la chorégraphie du Varnam
Arundhati Chapekar, chorégraphie du Ranga Dwara
Namaskar
Alarippu (Rupaka Tala)
Prastar (9 temps)
Shiva Kautukam (Chatushra Eka Tala)
Mate Sarasvati (6 temps)
Varnam “Sami yei vara sholadi” (Raga Purvi Kalyani, Adi Tala)
Ranga Dwara (Adi Tala)
Nritya Mangalam (Mishra Tala)
Cela faisait un moment que j'attendais que se présente une occasion de voir un récital solo de Camille, l'élève la plus avancée de ma prof de bharatanatyam Jyotika Rao. La première fois que je l'ai vue danser, il y a deux ans, c'était dans un Shiva Kautukam. Les trois minutes de sa performance m'avaient semblées tout à fait extraordinaires. Depuis, j'ai eu de nombreuses occasions de la voir danser d'autres pièces de danse pure ou comportant une composante pas exactement narrative, mais au moins évocatrice : il s'agit alors de rendre hommage aux dieux en évoquant leurs qualités et hauts faits. La consision des poèmes utilisés dans ce type de pièces, aussi belles soient-elles, ne permet pas d'élaborer une véritable narration. C'est donc avec un intérêt particulier que je l'avais vue pour la première fois danser un Varnam, en duo avec Laure, une autre élève avancée. Pour la première fois, ses qualités de mime étaient utilisées pour représenter des personnages humains.
Revoir ce Varnam interprété en solo au sein d'un récital complet ayant à peu de choses près la forme du Margam serait assurément une tout autre expérience. Je me suis donc dirigé vers le Sud de la France, à quelques dizaines de kilomètres de Perpignan, à Prades, en contrebas du mont Canigou :
Après avoir visité la magnifique église datant de 1610, j'ai entrepris de marcher vers le Mas Flores de Llum situé dans le village voisin de Los Masos. À mi-chemin, j'entends un Namaste provenant d'une voiture avec à son bord deux femmes, dont l'Indienne en sari ayant préparé de délicieuses spécialités indiennes pour les spectateurs du récital. J'ai donc pu m'épargner les quelques kilomètres de marche restants.
Quand l'heure du récital sera venue, la salle sera pleine, la soixantaine de spectateurs ayant pris place sur les chaises ou coussins placés sur le parquet à quelques centimètres des pétales de fleurs délimitant l'espace scénique.
Le récital a commencé par un magnifique Namaskar. Dans cette salutation silencieuse aux maîtres et au public, la danseuse s'excuse auprès de la Terre de la souffrance qui lui sera infligée du fait des frappes de pieds. Cela n'a duré que quelques secondes, mais l'exécutation a été tellement pleine de grâce et de majesté que j'ai presqu'eu du mal à contenir mon émotion.
La première pièce du récital proprement dit a été un délicieux Alarippu à trois temps. Si je reconnais quelques enchaînements (adavus) exécutés, ce que je vois est néanmoins à l'opposé de la froideur géométrique de certaines écoles. De quasi-imperceptibles petits mouvements ajoutent une saveur particulière à ces enchaînements qui paraissent plus courbes et harmonieux. Bref, je crois reconnaître des adavus, mais je me rends compte que je ne les connaissais pas vraiment.
Le récital se poursuit avec Prastar, un hommage à la Déesse que j'ai déjà vu de nombreuses fois. Utilisant un rythme à 9=5+4 temps de musique hindustani, cette pièce évoque Saraswati, la Déesse des Arts représentée avec sa vînâ, la bienveillante Lakshmi, qui apporte la prospérité, et la féroce Durga dont la monture est un tigre.
Vient ensuite Shiva Kautukam. Il s'agit de la pièce que j'ai apprise à Pune avec Sucheta Chapekar et deux de ses disciples. Si la version que je connais est censée être plus masculine, la danse de Camille ne manque aucunement de vigueur ! Si du point de vue rythmique, les deux versions sont identiques, les mouvements de bras et de mains me donnent, comme dans l'Alarippu, le sentiment de voir un tableau harmonieux et raffiné alors que la version que je pratique ne semble n'en être qu'au stade de l'esquisse grossière. Ce que j'ai préféré plus que tout dans cette pièce, plus encore que le Kautukam proprement dit, c'est le Shloka en l'honneur de Shiva qui a précédé. Il évoque l'assemblée de dieux et musiciens célestes qui se sont réunis pour assister à la très impressionnante danse cosmique de Shiva (Tandava).
La pièce suivante sur un poème de Tagore s'intitule Mate
Sarasvati. Du strict point de vue musical, il s'agit à mon goût de la
pièce la moins intéressante du récital, la même mélodie étant
inlassablement répétée en arrière-plan. Ceci permet certainement de se
repérer dans le cycle rythmique à 6 temps, mais c'est à peu près tout. Les
quelques courts moments évocateurs de la chorégraphie représentent
Sarasvati comme Déesse des Arts et de la parole. Elle joue de la vînâ et le
son de la musique déclenche le plaisir esthétique de ceux qui l'entendent.
Les passages de danse pure sont extrêmement développés, très vifs et très
complexes d'un point de vue rythmique ! Ceci fait que cette pièce est sans
doute la plus spectaculaire
du programme.
La pièce centrale du récital est un Varnam dans lequel
l'héroïne se languit de Muruga. Avant ce récital, j'avais déjà vu ce
Varnam interprété par Jyotika Rao au Cendre
Mandapa, et plus récemment en duo par Camille et Laure. Au troisième
visionnage, je découvre toujours de nombreux détails, comme les nombreuses
références au paon, la monture de Muruga. Un épisode complet du
Varnam que je n'avais pas compris a commencé à prendre sens pour
moi : la chorégraphie raconte en effet les raisons de la naissance de
Muruga, né pour tuer le démon Taraka qui ne pouvait être vaincu que par un
fils de Shiva. Je me délecte des nombreux détails de la chorégraphie, comme
l'utilisation de fleurs florales différentes par l'archer Kama, ou par
l'intervention d'un oiseau servant de messager à l'héroïne pour le mot
qu'elle vient d'écrire. Le passage le plus délicieux du Varnam a
été pour moi l'insistance désespérée de l'héroïne auprès de son amie
(sakhi) pour qu'elle aille rapporter ses paroles à Muruga :
Vas-y ! Maintenant, tout de suite ! Mais... vas-y !
.
L'avant-dernière pièce est le très vif Ranga Dwara évoquant Krishna. Il est représenté avec sa flûte et sa plume de paon. Dans cette chorégraphie d'Arundhati, la fille de Sucheta Chapekar, les mouvements de pieds sont particulièrement originaux, et coordonnés avec les mouvements de bras, ils induisaient souvent une courbure particulière du corps.
J'e n'ai pas de souvenir précis de la dernière pièce Nritya Mangalam. Je me serais à vrai dire presque contenté de la présentation des mouvements qui avait précédé et qui était accompagnée de la récitation de vers sanskrits et de leur traduction. J'ai failli applaudir à la fin de cette présentation, mais la pièce proprement dite a ensuite été dansée sur un rythme à 7 temps pour s'achever sur le sentiment de paix (Shanta).
2014-09-19 16:17+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Culture indienne — Dhrupad — Voyage en Inde XIII
Experimental Theatre, National Centre for the Performing Arts, Mumbai — 2014-07-24
Gundecha Brothers
Ramakant, Umakant Gundecha, chant dhrupad
Raga Gujari Todi (Chautal, Sultal, Tivratal)
Raga Megh (Tala à 5 temps)
Raga Madamat Sarang (Sultal)
Le lendemain du double récital de manipuri, je retourne de bonne heure au NCPA pour écouter les Gundecha Brothers. De même que Pandit Nirmalya Dey avec qui j'ai pris des cours à Delhi, ce sont des disciples d'Ustad Zia Fariduddin Dagar. Je n'avais pas du tout accroché au concert qu'ils avaient donné en 2008 en clôture des vingt-quatre heures du Râga à la Cité de la Musique. Il m'avait fallu attendre 2001 et un concert d'Ustad Faiyaz Wasifuddin Dagar pour commencer à apprécier le style dhrupad.
Ce nouveau concert des Gundecha Brothers ne m'a apporté pratiquement aucune satisfaction. J'ai juste été content de comprendre pendant le concert la différence entre le Râga Todi que j'ai pratiqué à Delhi et le Râga Gujari Todi qu'ils ont interprété : la quinte (Pa) est absente de Gujari Todi. (Le tampura était accordé différemment aussi, la corde usuellement accordée sur Pa étant semble-t-il accordée en Ni.)
Sinon, ce concert ne m'a pas procuré de réel plaisir et m'a même souvent agacé. La voix des deux chanteurs commence à décliner. Leurs phrases d'Alap sont très loin d'être aussi belles que celles que j'ai pu entendre Nirmalya (ou d'autres) chanter. Ils se répètent beaucoup aussi. Ces griefs ne devraient toutefois pas m'empêcher d'apprécier le concert. Le véritable problème est que les Gundecha Brothers sont deux : ils n'arrêtent pas de se couper la parole. Un sentiment d'ennui peut s'insinuer en raison de l'absence de respiration entre les phrases qui en résulte. À chaque fois que j'avais l'impression qu'un des deux chanteurs allait peut-être chanter une belle phrase, l'atmosphère était ruinée par une intervention intempestive du frère. Si des interventions de ce genre ne sont pas complètement absentes d'autres duos de dhrupad — cela peut arriver accidentellement — les Gundecha semblent les avoir élevées au rang de système. Si encore la note jouée par l'importun était la même ou au moins formait un accord harmonieux avec la note finissant la phrase précédente, ils ne me casseraient pas les oreilles, mais il semble choisir systématiquement celle qui produira la plus vilaine dissonance.
Dans Gujari Todi, la montée vers le Sa (tonique) n'a pas été amenée de façon à créer une attente particulière. La partie Jor de ce Râga a été le seul moment du concert que j'aie trouvée agréable. La composition sur le Râga Megh utilisait un cycle rythmique à cinq temps que je ne connaissais pas.
Le tout dernier Râga m'a donné l'occasion de reconnaître le texte d'une composition que je connaissais (Tumha Rava Tumha Saheba), mais ils l'ont chantée dans un autre Râga : Madamat Sarang au lieu de Vrindavani Sarang. Leur interprétation a été beaucoup moins mélodieuse que celle d'Uday Bhawalkar quand celui-ci avait enseigné la composition lors d'un stage à Utrecht en mars dernier. Ils ont chanté la composition à trois tempi différents, tous très rapides. Si ce n'est l'accélération du tempo, je n'ai pas remarqué de variations particulières d'une vitesse à une autre. Cette accélération produit un certain effet, mais ce n'est vraiment pas de chance pour moi parce que ce n'est pas ce que je cherche dans la musique dhrupad... J'étais semble-t-il assez seul, le reste du public se levant pour faire aux musiciens une standing-ovation.
Bref, j'espérais mieux pour le dernier jour de mon séjour en Inde.
2014-09-19 14:02+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XIII — Photographies
De retour à Mumbai, j'ai déposé ma valise dans un hôtel (pas excessivement cher, mais chambres minuscules) situé non loin de la gare Chhatrapati Shivaji Terminus :
J'avais déjà fait une très courte étape à Mumbai entre mes séjours au Gujarat et à Pune. Comme c'était le 15 août, fête de l'indépendance de l'Inde, ce monument était illuminé aux couleurs de l'Inde. Je n'avais alors pu photographier que le bâtiment administratif situé en face :
Au cours de l'après-midi, je me suis dirigé vers la cuisine centrale de la Pâtisserie Le15 et ai dégusté quelques fort bons macarons (bien meilleurs que ceux que j'avais mangés à Delhi) :
L'intérieur est beaucoup plus propre que l'extérieur !
Experimental Theatre, National Centre for the Performing Arts, Mumbai — 2014-07-23
Darshana Jhaveri, danse manipuri
Bimbavati Devi, danse manipuri
Danseurs et musiciens de Mumbai, Kolkata et du Manipur
Hommage à Guru Bipin Singh pour le 96e anniversaire de sa naissance
Le soir, j'ai assisté à un spectacle de danses Manipuri au NCPA Mumbai. Alors que je suis assis dans le hall, le critique de danse Dr. Sunil Kothari (qui était présent à Chennai pendant mon séjour lors la dernière saison de danse) me donne du Namaste !
Ce programme célèbre le 96e anniversaire du maître de danse Guru Bipin Singh décédé en 2000. Après une prière dansée par Bimbavati Devi, fille et disciple du maître, Sunil Kothari prononce un bref discours sur la danse Manipuri, qui est reconnue comme une des danses classiques de l'Inde. Le conférencier a souligné que Guru Bipin Singh avait initié une sanskritisation de cette danse. S'appuyant sur les traités sanskrits sur lesquels reposent d'autres styles classiques, il avait introduit dans ce style des éléments (des gestes de mains notamment) qui rendent plus classique le style Manipuri que certains pourraient ne considérer que comme une danse folklorique de l'état du Manipur, voisin de la Birmanie. Cela a été me semble-t-il tout l'enjeu de ce spectacle, en réalité un double spectacle.
Si l'orchestre a été le même pendant toute la représentation, deux troupes ont dansé successivement. La première est formée de danseurs originaires de Mumbai sous la direction de Darshana Jhaveri, elle aussi originaire de cette région, et qui était venue avec ses sœurs apprendre le style Manipuri auprès de Guru Bipin Singh. Si on laisse de côté les costumes spécifiques, ce qui me frappe le plus dans la danse de Darshana Jhaveri (74 ans !) et de ses disciples, ce sont les mouvements de mains, qui tournent en permanence, formant des sortes de spirales. La danse est dénuée de toute utilisation de position de mains (mudras) communes avec les autres styles de danses classiques ! J'ai l'impression de voir quelque chose de tout à fait nouveau pour moi. La danse me paraît complètement indéchiffrable. Les passages censés être plus ou moins narratifs (sur des thèmes liés à Krishna) me sont incompréhensibles, notamment parce que les danseurs n'utilisent pour ainsi dire pas l'expression faciale pour suggérer des sentiments : à un instant donné, je ne sais même pas si c'est Krishna ou Radha que Darshana Jhaveri représente ! Une des pièces est une compétition de virtuosité (sur le cycle rythmique Tivratal) entre les deux interprètes respectifs de Krishna et Radha, Krishna étant reconnaissable à la plume de paon agrémentant son costume. Une partie de la danse est constituée de spectaculaires pirouettes utilisant les genoux comme centre de rotation en contact avec le sol. D'autres mouvements de rotation autour de la scène rappellent les manèges qu'exécutent les danseurs de ballet ! Si avec cette première moitié de représentation, j'ai l'impression d'avoir assisté à un spectacle authentique issu d'une culture très différente, je reste perplexe parce que les codes me sont inconnus, et les aspects qui retiennent le plus l'attention du public (la virtuosité) ne sont pas ceux que je cherche en tant que spectateur de danse ; à certains moments, je n'ai donc pas pu m'empêcher d'éprouver quelqu'ennui.
Les danses de la première partie étaient toutes, ou presque toutes, des pièces chorégraphiées par Guru Bipin Singh que Darshana Jhaveri a remontées. Dans la deuxième partie, Bimbavati Devi, la fille du maître va présenter ses propres chorégraphies. Elle a manifestement poussé beaucoup plus loin que son père la sanskritisation du style Manipuri. Cette deuxième partie de spectacle m'a été beaucoup plus agréable parce que j'ai pu suivre davantage ce que les danseurs voulaient exprimer, mais cette classicisation fait aussi que ce spectacle est sans doute moins fidèle à la tradition et il est paradoxal que ceci vienne de la fille-même du maître dansant avec des disciples de Kolkata et du Manipur plutôt que de la première troupe dirigée par Darshana Jhavari qui est basée à Mumbai !
Ainsi la première pièce Mathura Nartan dansée par Bimbavati Devi évoque les bijoux de Krishna. La deuxième Dashavatar évoque de façon élaborée les avatars de Vishnu. Elle est interprétée par deux hommes. L'essentiel du temps, ils exécutent étrangement les mêmes mouvements narratifs de façon synchronisée. Je n'ai pas reconnu avec certitude tous les avatars, mais j'ai été particulièrement frappé par l'évocation de l'avatar de la tortue (Kurma) qui donne aux deux danseurs l'occasion de représenter le mythe du Barratage de la Mer de lait, les dieux et démons tirant chacun de leur côté sur le serpent Vasuki pour faire tourner le mont Mandara qui repose sur la carapace de la tortue. Depuis le passage du Ballet Royal du Cambodge à la Salle Pleyel en 2010, je n'avais pas revu cette partie du mythe représentée sur une scène de danse.
La pièce suivante est shivaïte : un groupe plus important de trois danseurs et trois danseuses interprète Shiva Bandhana. Elle est particulièrement saisissante par l'utilisation de poses renvoyant à l'iconographie que la multiplicité des danseurs permet de représenter simultanément. On voit ainsi notamment le danseur cosmique Nataraja et celui qui a la gorge bleue (Nilakantha). Shiva porte des cendres sur son front, la rivière Ganga s'écoule de son chignon, il joue du tambour Damaru, il monte Nandi et porte le trident.
L'avant-dernière pièce évoque la terrible Durga au trident et dont la
monture est le tigre. Dans cette chorégraphie très classique
,
Bimbavati Devi représente semble-t-il aussi sa rencontre avec Shiva :
l'archer Kama est réduit en cendres. La dernière pièce dansée par deux
couples évoque le printemps Basanta, avec d'heureux couples
d'oiseaux d'une espèce indéterminée et de perroquets. Cette pièce
s'enchaîne avec une représentation de la célébration de la fête de Holi
avec tous les danseurs, le percussionniste venant exécuter des figures
acrobatiques tout en jouant de son instrument...
2014-09-18 12:38+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XIII
Je suis arrivé à Pune un samedi après-midi. Une voiture m'attendait pour me conduire à l'IISER, un institut de recherche où je passerai la semaine et dont le bâtiment principal a été inauguré il y a quelques mois par le Président de l'Inde. J'y retrouve avec plaisir mes amis Supriya et Amit qui y travaillent depuis quelques mois et j'y donnerai au cours de la semaine plusieurs exposés de mathématiques. Les petits-déjeuners et dîners de la Guest House étaient excellents. Croyant bien faire les deux cuisiniers avaient initialement réduit la quantité d'épices ; je leur ai demandé d'utiliser la quantité normale. Progressivement, les plats devenaient de plus en plus épicés de jour en jour jusqu'à atteindre le parfait dosage.
Le dimanche après-midi, j'ai rendu visite à Sucheta Chapekar (guru de ma prof) et après discussion, il a été convenu qu'au cours de mon séjour j'apprendrais avec deux de ses disciples le Shiva Kautukam qui m'avait tant plu. Elle m'a aussi suggéré d'assister au spectacle qui allait se tenir quelques heures plus tard :
Jyotsna Bhole Sabhagruha, Pune — 2014-08-17
Priya Nimkar Joshi, bharatanatyam, chorégraphies
Sucheta Chapekar, chorégraphie du Tillana
Uttakaad Kavi, compositions
Dr. Sau Kalyani Namjoshi, discours
Manasi, Neha, Ambari, Saniya, Jai, bharatanatyam
Hommage à Ganesh
Offrande de fleurs
Solo
Padam
Tillana “Kalinga Narthana” (Raga Gambhira Nattai)
Une des disciples de Sucheta Chapekar a proposé un programme autour des compositions sur Krishna d'Uttakaad Kavi. Le 17 août était en effet le jour de Krishna Janmashtami, l'anniversaire de la naissance de Krishna.
Après quelques mots d'introduction, Dr. Sau Kalyani Namjoshi et Sucheta Chapekar ont inauguré le programme en exécutant quelque bref rituel propitiatoire sur l'espace scénique. Dr. Sau Kalyani Namjoshi a ensuite prononcé un long discours sur les différents aspects de Krishna. Après avoir salué le public de rasikas et récité un shloka sanskrit, elle a commencé sa conférence en marathi. Je n'ai strictement rien entendu à ce qu'elle disait, mais je pouvais au moins comprendre à quelles épisodes des épopées elle faisait référence en faisant attention aux noms propres qu'elles prononçait, comme Draupadi ou Ashwattaman.
Plus de trois semaines après le récital, les détails se sont quelque peu effacés de ma mémoire, mais je me souviens de la délicieuse première pièce exécutée par quatre jeunes disciples de Priya Joshi. Alternant passages expressifs et passages rythmiques (les césures étant adoucies par les interprètes de la musique enregistrée), elles ont évoqué Ganesh, fils de Parvati, puis de Shiva. Elles ont mis en valeur ses oreilles, sa monture, sa trompe. Priya Joshi a ensuite dansé en solo une offrande de fleurs souhaitant la bienvenue à Krishna si j'en crois le texte que j'entendais (Swagatam Krishna). Une des disciples a ensuite interprété une pièce décrivant à quel point Radha est intoxiquée par les ondes sonores produites par la flûte de Krishna qui parviennent à ses oreilles, tandis qu'autour d'elle abeilles et oiseaux semblent heureux. L'avant-dernière pièce du programme a été interprétée par Priya Joshi, il s'agit d'un Padam évoquant certains sentiments maternels de Yashoda s'en allant chercher de l'eau tandis que Krishna fait le fier avec ses bracelets et colliers.
Si toutes les pièces précédentes m'ont beaucoup plu, le frissonnomètre est monté beaucoup plus haut, à un niveau rarement atteint, pendant la dernière pièce dansée par quatre jeunes disciples. J'ai cru mourir de plaisir en voyant ce Tillana, la seule pièce du programme à avoir été chorégraphiée non pas par Priya Joshi mais par Sucheta Chapekar. J'ai immédiatement reconnu le fameux Tillana “Kalinga Narthanam” (Raga Gambhira Nattai). La chorégraphie est absolument magnifique. Krishna joue à la balle avec ses amis et la balle retombe dans la Yamuna. Krishna se dévoue pour aller la chercher, mais le serpent Kalinga y règne. La chorégraphie montre Krishna en train de dompter le serpent, représenté par trois danseuses représentant chacune une de ses têtes ondulantes. Cette scène est particulièrement impressionnante ! Il s'agit là d'un des plus grands moments de bharatanatyam auxquels j'aie assisté. Il est particulièrement plaisant que ce thème lié à l'enfance de Krishna soit interprété par de jeunes danseuses.
⁂
Les jours suivants, je suis retourné chez Sucheta Chapekar prendre un cours avec deux de ses disciples Mugdha et Prajaksha (qui devaient par ailleurs répéter une chorégraphie de groupe sur le Ramayana, Mugdha interprétant Lakshman et une autre disciple, Yashoda, interprétant (magnifiquement) Rama). Prajaksha me montrait les mouvements tandis que Mugdha marquait le rythme avec un bâton et rectifiait la chorégraphie en cas d'hésitation ou de doute (notamment sur des questions de rythme, quand je constatais des différences avec la partition rythmique que j'avais photocopiée). Chaque soir, je notais en notation Benesh les sections de la chorégraphie que j'avais apprises lors du cours (je reviendrai dans un prochain billet sur cette notation de la danse), ce qui m'aidait à comprendre la chorégraphie et à la mémoriser. Au bord de quatre heures de cours et pas mal de pratique, à quelques hésitations près, je pouvais plus ou moins danser la pièce, ce que mes deux professeures ont constaté lors du dernier cours. Le temps était donc venu de le faire voir à Sucheta Chapekar. Alors que nous n'avions travaillé jusque là qu'avec les bols, je me suis retrouvé à devoir le danser pour la première fois avec un enregistrement de la véritable musique devant la chorégraphe... Étonnamment, je suis arrivé à rester synchro avec la musique jusqu'au bout. Elle a fait quelques corrections à la chorégraphie et m'a donné des conseils et pour finir, elle m'a fait faire le Namaskar.
2014-09-17 13:38+0200 (Orsay) — Voyage en Inde XIII — Photographies
Le lendemain de mon arrivée à Junagadh, je me suis levé avant 4h du matin. J'ai trouvé un rickshaw pour me déposer au pied des marches de Girnar Hill, le point culminant du Gujarat, qui est un site de pélerinage jaïn et hindou. Les hindous portent des chaussures, les jaïns sont pieds nus. J'ai fait comme les jaïns. J'ai commencé à monter vers 4h45. Les marches sont très régulières. Une fois que l'on a trouvé son rythme, on peut s'y tenir. La montée des quelques miliers de marches est très facile. Par chance, la lune est presque pleine, ce qui permet de voir où l'on marche, mais pas grand'chose d'autre à cause de la brume. Je suis arrivé une heure et demie plus tard au niveau du groupe de six temples jaïns. Je m'attendais à ce que ce soit plus facile que Parasnath, mais je fus étonné de constater que ce fut beaucoup plus facile que Pavagadh. À 6h15, les temples ne sont pas encore ouverts. Je grimpe donc un peu plus haut où se trouvent quelques temples hindous. J'avais téléchargé la carte de l'Inde d'OpenStreetMap sur mon téléphone, ce qui m'a été très utile pendant mon voyage, mais je n'avais même pas pensé à zoomer sur la colline :
Si j'avais su que j'étais si près du sommet, je serais sans doute allé jusqu'en haut... J'ai rebroussé chemin au niveau de ce qui devait être le temple d'Ambaji (qui était fermé). Un peu plus bas se trouvait une petite pièce dans laquelle se tenait un prêtre et une sculpture de Vishnu à trois têtes.
En redescendant, je m'arrête au temple श्री गोमुखी गंगा गिरनर
(Shri Gomukhi Ganga Girnar). On peut à peine distinguer Gomukhi
écrit en jugarati sur ce panneau :
Je n'ai pas demandé de détails au prêtre, mais je présume que l'eau qui
s'écoule dans ce temple est considérée comme une Ganga de
substitution
(de même qu'à Rameswaram) :
Revenant à proximité des temples jaïns, je m'approche de deux des temples situés à proximité immédiate du chemin. On me dit assez peu poliment qu'il n'est pas permis de prendre des photographies, y compris de l'extérieur, ce qui me semble assez inédit. En insistant un peu, on concède à me dire que je peux acheter une autorisation pour 100 roupies au bureau situé dans l'enceinte du groupe principal de temples. Quand je reviendrai plus tard observer ces temples, les deux enquiquineurs ne seront toujours pas plus aimables, même en voyant que je suis ostensiblement en possession du précieux sésame.
Dans le groupe principal de temples, l'atmosphère est plus agréable. De petits escargots s'accrochent à la mousse qui s'accroche aux pierres ; dans un temple jaïn, personne ne viendrait attenter à leur vie ! À l'extérieur, la brume est toujours aussi dense ; on n'y voit pas grand'chose ! Néanmoins, les statues qui se dégradent avec le temps et se recouvrent de mousse sont émouvantes.
L'endroit est très paisible. Seule la cérémonie rituelle du matin
perturbe le silence qui règne. Assis dans le temple principal de Neminath,
j'observe la statue noire. D'après l'homme qui m'avait reçu au bureau du
temple, cette statue serait la plus ancienne au monde (60000 ans !),
Believe it, or not!
me dit-il...
Quelques jeunes gens s'approchent de la statue. Deux soufflent de toutes leurs forces dans des conques. Un autre frappe comme un fou sur son tambour. Des cloches résonnent. C'est l'heure du réveil de Neminath ! La statue est aspergée d'eau (et peut-être aussi de lait, mais je n'en suis plus tout-à-fait sûr).
Après ce rituel, le silence revient. Je sors contempler l'extérieur de deux autres temples et me fait une belle frayeur en me retrouvant en situation d'aquaplanning sur le sol en pierres humides. La sensation de perte d'adhérence d'un pied m'est assez familière ; l'autre pied est suffisamment ancré pour éviter la chute. Cette fois-ci, mes deux pieds (nus) avaient perdu toute adhérence avec le sol. Pendant une dizaine de secondes, je ne contrôlais plus rien, mais j'ai étonnamment réussi à ne pas chuter.
Il n'était pas encore midi quand je suis redescendu à Junagadh.
Dans l'après-midi, je me dirige vers un bâtiment abritant un édit d'Ashoka (non pas gravé sur une colonne, mais sur un gros rocher). Cela ne se voit pas sur cette photographie, mais l'arrière du bâtiment s'est écroulée. Il n'est donc pas possible de le visiter...
De retour en ville, malgré les ravages du temps, je continue à admirer l'architecture des bâtiments de Junagadh :
⁂
Le lendemain, j'avais l'intention de faire une excursion à Somnath pour visiter le temple du soleil, mais vers 3 heures du matin, j'ai renoncé à me sortir du lit pour aller prendre le train. Bien que je n'avais pas ressenti de fatigue la veille malgré l'ascension de Girnar Hill, je me suis retrouvé dans un état de grand épuisement et l'appétit coupé. Après une journée de repos, le lendemain à 4h du matin, je n'étais certes pas en pleine forme, mais dans la forme de quelqu'un qui doit prendre un train à 4h36.
De retour à Vadodara, j'ai envisagé de commander une pizza dans un restaurant, mais j'ai heureusement découvert avant qu'il soit trop tard que pour leur Italian Pizza, ils n'utilisaient pas une pâte fine, mais ils ajoutaient des spaghettis à la garniture !
2014-09-11 09:22+0200 (Orsay) — Voyage en Inde XIII — Photographies
Junagadh est une ville extraordinaire. En sortant de la gare, le visiteur est surpris par cette grande porte envahie par la mousse :
Un peu plus tard, après avoir posé ses affaires dans un charmant hôtel, il franchit cette porte et après quelques minutes de marche atteint le but de sa visite à Junagadh :
En voyant une photographie de ce monument de la fin du XIXe
siècle, le mausolée du premier ministre Bahauddin, le voyageur s'était
dit : Je veux voir ça !
. Quelle architecture originale ! Il est
possible de monter au sommet des minarets en utilisant les escaliers à
colimaçon extérieurs (ceci est à déconseiller aux personnes atteintes de
vertiges, surtout par jour de vent).
À côté, Mahabat Maqbara, la tombe du Nawab Mahabat paraîtrait presque commune. Son architecture moghole incorpore pourtant d'étonnants éléments européens.
Pourtant, le voyageur s'étonne, et est même consterné par l'état de conservation des monuments. Depuis l'extérieur, il est en effet possible d'observer l'intérieur, et il convient manifestement de n'y pas poser les pieds, quand bien même quelque porteur de clefs se trouverait là, tant la tombe et le sol autour sont recouverts de plumes fixées par d'autres matières provenant de volatiles.
Le voyageur ne le sait pas encore, mais ce serait en fait un outrage à l'harmonie architecturale de la ville que de tenter quoi que ce soit pour enlever la mousse qui s'insinue sur ces monuments :
⁂
De là, le voyageur s'engage dans le dédale des rues de Junagadh, et est saisi d'émerveillement et d'émotion devant la beauté des bâtiments les plus ordinaires de la ville, tous envahis par la mousse :
Par chance, en suivant la ligne de plus forte pente, il est rassurant de tomber sur un panneau indiquant que la direction vers le fort Uparkot est la bonne :
Les fortifications de cette ville doublement millénaire sont en vue :
La flore n'est pas la seule à avoir trouvé un havre accueillant dans cette ville qui, quoique habitée, semble comme abandonnée :
Après l'entrée dans le fort, ce qui frappe, c'est la présence de signes de pratiques religieuses primitives pour engendrer quelque descendance ou rendre l'avenir favorable, comme ces petits empilements de pierres :
Une sculpture non encore engloutie par la végétation se dresse de façon incongrue au bord d'un chemin.
Parmi les vestiges des temps passés présents sur le fort, voici un des puits en escalier :
Des grottes bouddhiques du deuxième siècle de notre ère, aux sculptures très érodées, dont le style serait un des témoins d'une influence gréco-romaine :
Une mosquée se fond aussi dans la végétation :
Malgré les apparences, la ville est bien vivante :
En descendant la route conduisant au fort, une vie nouvelle semble s'être greffée à quelque vieux bâtiment dont la fonction originelle semble oubliée :
Plus bas, à condition d'en trouver l'entrée, on peut entrer dans le cimetière des Babi Nawabs, dont les mausolées sont sublimés par la mousse et la végétation :
⁂
Depuis le fort, les collines environnantes sont visibles. Celle-ci est peut-être celle de Girnar, qui attire des pélerins jaïns et hindous :
2014-09-06 13:32+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Planning
Après mon séjour en Inde, reprise des activités normales. Voici mon planning de septembre 2014 :
Talents Adamidirigeront l'orchestre Colonne dans un programme assez enthousiasmant a priori (Prokofiev/Chostakovitch/Stavinsky).
2014-09-05 10:13+0200 (Orsay) — Voyage en Inde XIII — Photographies
Je ne me suis pas réconcilié avec Champaner ! Dimanche 10 août, je suis retourné sur ce site classé au patrimoine mondial de l'Unesco dont j'avais un mauvais souvenir depuis ma précédente visite en 2007. Cette journée a probablement été la plus pourrie de toutes celles que j'ai vécues au cours de mes voyages en Inde.
Le matin, je commence par me diriger vers la gare routière de Vadodara en évitant soigneusement la boue des rues. Je me fais d'abord refuser l'entrée à une des extrémités de la gare routière. Obligé de faire un détour de plusieurs centaines de mètres, j'entre enfin dans la plus moderne des gares routières que j'ai vues en Inde. Tout est moderne, mais on chercherait en vain sa destination parmi celles qui défilent (en gujarati) sur les panneaux numériques placés près des plates-formes. La foule de passagers indiens est gérée comme un troupeau de bétail autour des deux ou trois plates-formes du fond où se concentre le mouvement. Plus que partout ailleurs, la loi de la jungle règne, gloire à celui qui verra son bus en premier et pourra se jeter dedans. Un agent de sécurité a eu l'extrême amabilité de m'indiquer le mien. À peine ai-je eu le temps de constater que c'était bien Pavagadh qui était écrit en gujarati à l'avant, je me suis rapproché de la porte d'entrée. Cela poussait de partout, et quand j'ai commencé à monter les marches, le passager précédent s'est écroulé de tout son poids sur moi et surtout sur mon poignet qui s'est retrouvé coincé entre lui et quelque aspérité métallique qui a laissé une marque heureusement pas tout à fait assez profonde pour imiter une tentative de suicide ratée.
Je me suis retrouvé tout à l'arrière du bus, à proximité immédiate d'une femme qui passait son temps à cracher en visant l'arrière du dossier situé de l'autre côté du couloir. La quantité de liquide était impressionnante ; cela s'est mis à couler un peu partout. À un arrêt, alors que j'allais m'asseoir, son mari m'a poussé de toutes ses forces pour m'empêcher de s'asseoir et avec ses chaussures sales il a souillé le bas de mon pantalon blanc. Ma belle kurta blanche de style de Lucknow était encore intacte.
La plupart des visiteurs du dimanche sont venus pour monter au sommet de la colline de Pavagadh. En face, on peut voir des fortifications derrière lesquelles se trouve une mosquée que j'avais déjà visitée en 2007 :
Grâce à un plan que j'avais récupéré avant de venir, j'ai pu visiter d'autres sites musulmans de Champaner, notamment la Jami Masjid :
J'ai continué ma route vers l'Est et après avoir pris un sentier vers le Sud en me fiant à un vieux panneau rouillé, j'ai pu voir la Kamani Masjid :
Plus loin vers l'Est, je suis arrivé à un tombe comportant un joli dôme, mais pour s'en approcher, il m'a fallu éviter soigneusement de marcher dans la boue.
J'ai enfin visité la Khajuri Masjid situé en face d'un pavillon donnant sur un lac. (À moins que ce ne soit le contraire, les panneaux et plans donnant des informations contradictoires.)
J'étais déjà monté au sommet de cette colline en 2007. La difficulté de cette marche et le peu d'intérêt du temple du sommet ne m'incitaient guère à retenter l'expérience. Mon intention était de continuer à visiter les sites musulmans de Champaner. J'ai attendu qu'un rickshaw collectif passe, me suis installé à l'arrière, et quand je suis descendu en face du croisement de la Jami Masjid, j'ai été étonné qu'on ne me fasse payer que 5 roupies pour ce trajet de trois kilomètes environ : j'ai même cru un instant que le signe de mains indiquant le chiffre 5 signifiant 50 roupies, ce que je trouvais au contraire un peu chérot.
J'ai essayé de suivre le panneau indiquant la Nagina Masjid, mais sa tournure tarabiscotée m'a fait me tromper de chemin. Je pensais qu'il fallait aller tout droit vers le Nord, ce que j'ai fait en vain pendant plusieurs dizaines de minutes. J'ai bien vu une mosquée sur ma gauche et un chemin qui pouvait sembler y conduire mais que plusieurs passants m'ont dissuadé de prendre. Le chemin s'arrêtait bien avant d'atteindre la mosquée ; il aurait fallu passer à travers champs. Le seul moyen d'atteindre cette mosquée (et une autre) était de rebrousser chemin jusqu'à l'intersection précédente, et prendre le chemin de terre vers l'Ouest. Qui dit chemin de terre et pluie dit boue. Certes, j'avais vu davantage de sites musulmans qu'en 2007, mais je ne me voyais pas renoncer immédiatement à la vue de la boue. Je me suis lancé sur le chemin étroit et au bout de cent ou deux cents mètres, le milieu du chemin était inondé. Une bande de dix centimètes sur le côté droit du chemin semblait suffisamment ferme pour qu'un piéton s'y engage... mais la pente de cette bande faisait glisser lentement mais dangereusement mes chappals vers la boue... et plouf. En tentant d'extirper la chaussure engloutie, une giclée de boue est montée aussi haut que mon kurta...
J'ai dû abandonner mes chappals, ce qui m'était déjà arrivé à Ujjain en 2012 (je l'avais alors vraiment cherché). Il y avait bien quelques autres sites un peu excentrés que j'aurais pu visiter, mais j'avais dépassé mon quota d'énervement pour envisager autre chose que de rentrer aussi vite que possible.
Je suis donc revenu pieds nus jusqu'à la route principale de Champaner/Pavagadh. J'ai voulu acheter une bouteille d'eau à un stand, mais le tenancier de ce stand n'en avait pas en stock et a envoyé quelqu'un en acheter plus loin. J'ai refusé de rentrer dans cette bulle spéculative et ai finalement acheté une bouteille ailleurs. Je suis ensuite monté dans un jeep collective pour Vadodara, mais j'ai dû attendre une éternité avant qu'elle soit pleine et donc prête à partir. Le pilote ne m'avait pas indiqué très clairement le prix, mais j'avais compris 60 roupies, et à l'arrivée, je voyais bien que c'était de ce montant-là que les autres passagers se défaisaient en partant. Quand il ne restait plus que moi à descendre, je lui ai tendu un billet de cent roupies et il n'a pas voulu me rendre la monnaie. Évidemment, cela l'arrangeait de ne subitement plus comprendre le moindre mot d'anglais. Après lui avoir crié assez fort et assew longuement que je ne m'en irai pas avant d'avoir obtenu satisfaction, il m'a finalement rendu les 40 roupies que j'attendais.
Le rickshaw-wallah que j'ai trouvé de l'autre côté de la rue a été très
sympatique, il a tout de suite compris ce que je voulais quand je lui ai
demandé Chappal ki dukan
. Le marchand de chaussures et de tongues a
involontairement fait une mauvaise blague en me demandant s'il devait
emballer la paire que je venais d'acheter...
Finalement, après cette très désagréable journée, j'ai mangé un des meilleurs dosas que j'aie mangé en Inde (hors Chennai), accompagné de sambhar préparé en utilisant du moringa (drumstick) :
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