« Une cérémonie à Belur Math | Une journée pluvieuse »
2012-07-19 18:24+0530 (কলকাতা) — Culture — Musique — Culture indienne — Dhrupad — Voyage en Inde XI
Ce mercredi était une date que j'avais notée soigneusement dans mon agenda avant de partir en Inde. J'avais bien fait puisque les concerts de la ITC Sangeet Research Academy n'étaient pas annoncés dans le journal. J'avais repéré les lieux la veille, ce qui me donna l'occasion de signer le registre d'entrée de l'académie pour pouvoir demander à l'accueil dans quelles conditions avaient lieu les concerts que je ne voulais manquer sous aucun prétexte : pas la peine de réserver à l'avance, c'est gratuit.
Dans la journée, je me suis contenté de marcher autour de M. G. Road (oups, je commence à prendre cette mauvaise habitude indienne de réduire le nom des rues à leurs initiales, ici celles de Mahatma Gandhi). J'observe encore une fois la spécialisation de certains quartiers tout entiers dans un type de commerces ou de travaux. Un de ceux-là est dédié au recyclage des boîtes métalliques destinées à contenir de l'huile de moutarde. Dans College Street, près de l'université, il n'y a que des librairies et des bouquinistes à perte de vue. Je déjeune à l'Indian Coffee House. L'escalier qui y mène est franchement miteux, mais la grande salle du premier étage est plus accueillante. Malgré l'interdiction, les jeunes gens y fûment. Les étudiants qui partagent ma table ont l'air de parler de littérature. Manifestement, c'est aussi un lieu de rendez-vous pour jeunes amoureux.
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ITC Sangeet Research Academy, Kolkata — 2012-07-18
Sanchita Chowdhury, chant dhrupad
Apurbalal Manna, pakhawaj
Raga Yaman (Tivra tal)
Raga Behag (Dhamar)
Raga Shankara (Sultal)
Je suis le premier à m'asseoir sur la moquette de la salle de spectacle de l'ITC Sangeet Research Academy qui se remplira complètement dans les minutes précédant le début de premier concert, les hommes et les femmes étant séparées par l'allée centrale. Je suis donc au premier rang pour écouter la chanteuse de dhrupad Sanchita Chowdhury qui a commencé à étudier avec son père Pandit Amar Nath Dey et qui poursuit son travail avec Ustad Fariduddin Dagar. Le moins que l'on puisse dire est que le public est connaisseur. Quelques éminents membres de l'académie s'installent en effet entre le public et l'estrade. Je crois reconnaître Arshad Ali Khan et bien sûr Uday Bhawalkar.
La chanteuse a réglé sa shrutibox Radel sur le la (grave) et est
accompagnée par deux tampuras d'hommes et un tampura de femme (plus petit)
actionnés par un jeune homme et deux jeunes femmes. Le raga principal est
Yaman. La chanteuse doit malheureusement s'interrompre assez fréquemment
pour tousser. J'apprécie tout particulièrement son Alap. J'aurai un peu
plus de mal à rentrer dans la composition dédiée à Shiva (Mahadev
)
du fait de ma difficulté à sentir le tala à 7 temps.
Je perçois un peu mieux les temps forts de la composition suivante sur
le Raga Behag dont je n'ai compris qu'un seul mot : Jamuna
. Le
premier et le sixième temps de ce tala Dhamar sont particulièrement
accentués par la chanteuse et le percussionniste (qui insiste pour ne pas
être appelé Pandit
). Curieusement, je n'éprouve pas la même
sensation lors du onzième temps.
Le concert se terminera avec une bonne demi-heure de retard avec une
composition sur un rythme rapide à cinq temps (Sultal), le thème étant
Ganapati
. Il m'est difficile de revenir plus en détail sur ce
concert qui m'a beaucoup plu puisque comme me le dira mon voisin qui
assiste à ces concerts du mercredi depuis les années 1980, en chantant
Behag après Yaman, puis Shankara après Behag, la chanteuse chasse les
impressions suscitées par le raga précédent, d'autant plus qu'après un
court entr'acte, un autre chanteur va monter sur scène...
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ITC Sangeet Research Academy, Kolkata — 2012-07-18
Pandit Uday Bhawalkar, chant dhrupad
Apurbalal Manna, pakhawaj
Raga Bageshri (Chautal)
Alors qu'il y a au plus trois personnes dans la salle comble qui n'entendent peut-être pas le bengali ou le hindi, le directeur de l'académie Ravi Mathur fait un petit discours pour présenter deux étrangers qui mènent des recherches à l'académie : l'uruguyao-chilien Victor et l'américaine Amy qui prépare un rapport sur l'enseignement de maître à disciple (Guru-shishya) qui est pratiqué à l'académie. Il annonce aussi que Pandit Uday Bhawalkar sera dorénavant un des gurus enseignants à l'académie (10 jours par mois). Les tampuras de ses disciples (une jeune femme et un jeune homme aveugle) étant accordés, Pandit Uday Bhawalkar prononce un bref discours dans un hindi suffisamment simple pour que j'aie l'impression de comprendre. Il est très heureux d'enseigner à l'académie et de donner ce concert dans lequel il va interpréter le Raga Bageshri.
Que dire à propos de ce concert !? C'ést évidemment pour moi un des tout meilleurs concerts de l'année (voire davantage). Il m'a autant ému que les deux fantabullissimes concerts vécus depuis janvier (Janáček par Grimal et al., la Pastorale de Beethoven par le COE). C'est aussi comme lire Pagli, le chef d'œuvre d'Ananda Devi.
Je ne suis aucunement malheureux que ce concert se soit réduit à un seul Raga (25 minutes d'Alap, une partie rythmique de 35 minutes et une composition faisant un peu moins d'un quart d'heure).
Dans son Alap, Uday Bhawalkar navigue entre les notes du raga Bageshri
(dont je n'ai pas deviné les altérations
). Les phrases sont incroyablement longues. Dans une même phrase,
il peut inclure de longues notes tenues, des glissandis très étendus dans
le temps et qui font imperceptiblement passer d'une note à une note
voisine. À cela peuvent s'ajouter des allers-retours entre deux notes, une
plongée dans le grave et bien d'autres figures, toutes accompagnées par une
fascinante gestuelle des deux mains (cf. cette vidéo dans
laquelle il chante le Raga Gunkali). La continuité de l'ensemble est
impressionnante. Des syllabes différentes peuvent comme se fondre l'une
dans l'autre dans un même élan.
La plus longue des trois grandes parties du Raga est celle dans laquelle le chanteur fait entrer une pulsation rythmique dans son chant (et dans son genou gauche).
Je ne suis pas mécontent de savoir clapper Chautal pour mieux apprécier
la composition Hare Raghubir
qui conclut magnifiquement ce concert !
Elle est manifestement dédiée à Rama, le héros du Rāmāyaṇa puisqu'outre le
nom Raghubir, j'ai distinctement entendu les noms de lieux Ayodhya et Lanka
ainsi que les noms de personnages Sita, Shatrughna et Vibhishana. Ayant une
tendresse toute particulièrement pour Rāmāyaṇa j'ai naturellement adoré
cette composition notamment pour la reprise des mots Hare Raghubir
au début de certains cycles rythmiques venant parachever l'improvision
ayant précédé avec une très longue syllabe Ha
. Si le cycle à 12
temps était fixe, le tempo utilisé était très variable d'un cycle à
l'autre : je n'avais jamais remarqué cela auparavant ! Je me demande comment
le chanteur et le percussionniste font pour se coordonner ou s'il y a là
une sorte de jeu de questions et réponses ou de défi
lancé par le
percussionniste au chanteur ?
⁂
J'ai les chevilles quelque peu engourdies après avoir été assis au même endroit pendant plus de trois heures. Il commence à être tard pour dîner, certains restaurants étant déjà fermés. Je quitte Tollygunge pour Park Street où je continue mon exploration des restaurants bon marché. On ne mange pas mieux dans un restaurant à 500 roupies que dans un restaurant à 100 roupies, à mon avis. Un de ces restaurants sert de savoureux plats simples, j'ai déjà testé le Chana Masala et le Dal Makhani).
Le métro fermant autour de 22h, je marche pour la première fois depuis le début de ce voyage entre Park Street et Chandni Chowk, passant ainsi devant la mosquée Tipu Sultan.
Série de photographies : 2012-07-18, Kolkata.
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