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Vidhya Subramanian au Théâtre du Soleil

2017-04-26 10:06+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Salle de répétitions du Théâtre du Soleil — 2017-03-23

Vidhya Subramanian, bharatanatyam

Bhavana Pradyumna, chant

“Jaya Jaya Devi” (Raga Valachi, Adi Tala, composition de Swati Tirunal)

“Jagadhodharana” (Raga Kapi, Adi Tala, composition de Purandaradasa)

“Nagendra Haraya” (Ragamalika, Khanda Chapu Tala, composition d'Adi Shankara)

Javali “Era Ra Ra” (Raga Kamas, Adi Tala, composition de Patnam Subramanya Iyer)

“Chikkavane Ivanu” (Ragamalika, Adi Tala, composition de Purandaradasa)

Javali “Indendu” (Raga Surutti, Mishra Chapu Tala, composition de Subbarama Dikshitar)

Ashtapadi “Kuru Yadu Nandana” (Raga Mishra Khamaz, Mishra Chapu, poème de Jayadeva)

“Rajarajeshwari Ashtaka Tillana” (Ragamalika, Talamalika, composition de Rajkumar Bharati sur un texte d'Adi Shankara)

“Dignified restraint is the hallmark of abhinaya. Even in the best of laughter there is a restraint on the mouth mouvement; even in the height of wonderment there is a limit to the opening of the eyes; even in the white heat of amourous sporting, the dancer has no use for movements of the torso but gestures only through the face and hands. It is this decency, decorum, and dignity that help to impart to bharata natyam its divine character... The divinie is divine only because of its suggestive, subtle quality. In abhinaya, though the artist and the audience have the direct inward experience of the divine, the outward expression which is responsible for creating that experience is only suggestively and subtly so.”

(Guhan, S. (comp. and ed.), Bala on Bharatanatyam, cité p. 101 de Balasaraswati, Her Art & Life de Douglas M. Knight Jr.)

Je n'avais jamais mis les pieds au Théâtre du Soleil avant la fin de l'année dernière. J'y suis retourné plusieurs fois depuis et il convient de noter que parmi toutes les salles de spectacle que j'aie fréquentées en Europe ou en Inde, il s'agit certainement de celle où les spectateurs sont le mieux accueillis. La dernière fois, la personne qui s'occupait de la buvette était un comédien qui avait autrefois participé à un stage avec Kalanidhi Narayanan ; plusieurs décennies plus tard, il en gardait toujours un souvenir émerveillé.

Ce soir, un peu plus d'un an après le décès de Kalanidhi-mami, célèbre enseignante de l'art de l'Abhinaya, sa disciple Vidhya Subramanian présentait un récital en son hommage. Si l'interprétation de Vidhya Subramanian a certainement beaucoup évolué depuis son apprentissage avec elle, il est dommage que le programme et la présentation des pièces n'aient pas précisé clairement quelles étaient les chorégraphies transmises par Kalanidhi.

Lors de ses précédents récitals à Paris, j'avais déjà eu l'occasion de voir danser Vidhya Subramanian au Musée Guimet. J'avais alors été particulièrement impressionné par son interprétation de l'Ashtapadi “Sakhi He”. J'attendais le meilleur de ce récital. Si certains moments ont été très beaux, d'autres m'ont laissé plus perplexe, notamment parce que le spectacle ne se passait pas que sur l'espace scénique, mais un peu aussi dans les gradins...

J'ai particulièrement apprécié les deux premières pièces du récital. La première est une invocation à la Déesse, précédée du Shloka “Saraswati Mahabhage” qui fait plus spécifiquement référence à Sarasvati. Elle est représentée jouant de la vina, apportant la connaissance. Elle a des yeux de lotus. Plus loin, pour évoquer ses grands yeux, la chorégraphie les compare semble-t-il à des yeux de poisson. L'interprétation de la danseuse comporte des pas intéressants comme des ronds de jambe à terre et utilise l'espace de façon assez créative puisque la danseuse est parfois de dos. Le Shloka s'enchaîne avec la composition de Swati Tirunal Jaya Jaya Devi (qui commence en ussi, le texte commençant après le premier temps). La danseuse adopte alors une pose caractéristique de la Déesse. Si la chorégraphie suggère les sept notes de la gamme indienne pour représenter Sarasvati, ce n'est alors qu'un des aspects de la Déesse. Les Dieux lui rendent hommage. Parmi eux, Padmanabha (Vishnu) revêt une importance particulière. Le serpent sur lequel il est couché est montré de façon très impressionnante. Vishnu est aussi représenté avec sa conque et son disque, ainsi qu'en Krishna, le jeune vacher, qui n'est autre que l'Être suprême.

La plus belle pièce du récital a été à mon avis Jagadhodharana, une composition de Purandaradasa. La danseuse interprète tour à tour le jeune Krishna et Yashoda, sa mère adoptive. L'expression de la danseuse se métamorphose de façon saisissante pour passer d'un personnage à l'autre. La première transformation de la danseuse de Krishna en Yashoda m'a semblé particulièrement extraordinaire. Comme la danseuse l'a expliqué en introduisant la pièce, la chorégraphie associe les exploits des différents avatars de Vishnu à des situations anodines entre Yashoda et l'enfant Krishna. L'avatar du poisson (Matsya) suggère une comparaison des yeux de Krishna à ceux d'un poisson. L'avatar de la Tortue (Kurma) porta une montagne pendant le barattage de la Mer de Lait tout comme Yashoda porte Krishna sur son dos. L'Homme-Lion (Narasimha) boit le sang du démon Hiranyakashipu tout comme Krishna se délecte de fromage blanc. La colère de Yashoda (ou de Krishna ?) est comparée à celle de Rama Jamadagnya (Parashurama). Ces séquences sont représentées du point de vue de Yashoda qui s'émerveille innocemment en pensant à Krishna. Plus loin, Krishna est celui que l'on ne peut pas décrire et dont on ne peut mesurer l'étendue. La danseuse développe aussi l'épisode mettant en scène Kaliya. Ce serpent qui infeste les eaux d'un étang ne fait pas peur à Krishna. Yashoda supplie son fils de ne pas y aller, mais Krishna y va quand même et attrape le serpent. Ensuite, pour évoquer sa grandeur, la démarche de Krishna est comparée à celle d'un éléphant. La chorégraphie revient à la situation de jeu entre Yashoda et Krishna. Ils jouent à la balle, ils se tapent les mains. Enfin, Krishna s'allonge sur le flanc de Yashoda qui, amoureusement, le voit fermer les yeux. Dans cette pièce et dans cette toute dernière séquence, l'art de l'Abhinaya de la danseuse m'a semblé magnifique. Ses mains étaient souvent animés de micro-mouvements. Les moindres parties de son corps participaient à l'évocation des sentiments de Yashoda. (Dans la dernière ligne du texte, j'ai été étonné d'entendre Vishnu évoqué sous le nom de Vittala, un nom que je n'ai vu utiliser que dans le Maharashtra, mais il semble que ce mot fasse ici partie de la signature “Purandara Vittala” du compositeur Purandaradasa.)

La pièce suivante est Nāgendra Hārāya. Le texte d'Adi Shankara fait l'éloge de Shiva en s'appuyant sur les cinq syllabes du mantra ॐ नमः शिवाय. Chacune des cinq strophes commence par une des syllabes nā-ma-śi-va-ya et se finit par une référence à cete syllabe. L'entrée en scène de la danseuse se fait sur un rythme à huit temps. La danseuse évoque Shiva qui boit le poison lors du barattage de la Mer de Lait, qui est orné de serpents et porte une peau de tigre. Des offrandes de fleur sont faites à sa forme abstraite du Shivalingam. Le rythme à cinq temps de la composition en Khanda Chapu s'installe ensuite. Chaque strophe est précédée d'une section de danse pure. Divers attributs de Shiva sont représentés comme les cendres sur son corps, son tambour Damaru, sa gorge bleue. Il est vénéré par des sages comme Vaśiṣṭha. Il porte la Lune. Le feu est dans son troisième œil. Ses cheveux sont défaits. Cette pièce est efficace. Dans sa présentation, la danseuse avait indiqué que chaque syllabe du mantra était associé à un des cinq éléments et que par exemple. Je ne suis pas absolument certain que cette référence ésotérique soit particulièrement éclairante pour apprécier la pièce, le lien entre chaque strophe et l'élément correspondant n'ayant rien d'évident...

La danseuse a ensuite interprété trois pièces d'Abhinaya accompagnée par l'excellente chanteuse Bhavana Pradyumna. Il est à mon goût dommage qu'il n'y ait pas eu un accompagnement rythmique, même discret, pendant ces pièces ; cela aurait permis de mettre davantage en valeur la musicalité de la danseuse. Pendant la présentation de ces pièces, j'ai été très étonné que la danseuse dise à propos des Javali : “no deep connotation”. Ces poèmes décrivent l'amour de façon plus explicite, mais il s'agit néanmoins d'un amour avec un dieu, et je lisais dans la biographie de la grande danseuse Balasaraswati qu'elle interprétait les poèmes érotiques avec la même ardente dévotion que dans des pièces purement dévotionnelles. Cette assertion “no deep connotation” de Vidhya Subramanian à propos des pièces qu'elle allait interpréter m'a quelque peu inquiété, mais j'avoue que je ne m'attendais pas au spectacle qui a été donné, en coproduction avec une partie du public.

Dans Era Ra Ra de Patnam Subramanya Iyer, l'héroïne est assise. Elle se pare de boucles d'oreilles, de colliers, bracelets... Quand elle voit l'homme passer, elle l'invite à la rejoindre. Kamadeva l'a transpercée de ses flèches. L'archer s'attaquera plus loin à l'homme (qui n'est autre que Vishnu), lui qui est beau et a des yeux de lotus. Finalement, le souhait de l'héroïne est exaucé.

Dans cette pièce et dans les deux suivantes, la danseuse a peut-être parfois été à la limite du surjeu, mais je ne dirais pas que son interprétation ait été vulgaire. Pourtant, une partie complètement désinhibée du public n'a cessé de rire bruyamment et de glousser bêtement à la moindre allusion érotique. J'ai trouvé cela particulièrement consternant et très irrespectueux envers l'artiste et le reste du public. C'est d'autant plus honteux si on tient compte des transformations sociales qui ont eu lieu au cours du siècle dernier dans le milieu de la danse bharatanatyam. Pour simplifier, le discours dominant a été que les danseuses appartenant à des familles traditionnelles étaient pour ainsi dire des prostituées et que leur danse était vulgaire ; il fallait assainir la danse, pour la rendre respectable et susceptible d'être dansée par des jeunes filles de bonne famille. Cette transformation sociale étant pour ainsi dire achevée (il ne reste aujourd'hui que très peu de gurus appartenant à des familles traditionnelles). Il est bien paradoxal qu'aujourd'hui, des spectateurs et spectatrices se comportent aussi vulgairement en assistant à un récital d'une danseuse indienne de haute caste.

La pièce suivante a donné lieu à de pareils débordements du public, qui cette fois-ci pouffe en assistant à la représentation de ce qui, s'il ne s'agissait du personnage divin de Krishna, serait qualifié d'agressions sexuelles. Dans ces conditions, il m'a été difficile de me concentrer sur l'espace scénique, tant la danse était occultée par le spectacle lamentable venant des gradins. (Je ne sais pas comment l'interprète a ressenti cela. Dans un texte, elle écrit : “The joy of performing sringara in a sensitive, intelligent and aesthetic manner is to be shared and experienced by an equally sensitive, intelligent and aesthetically nurtured spectator.”.)

Dans Chikkavane Ivanu, les gopis assemblées se plaignent des méfaits de Krishna, qui n'est qu'un enfant. L'une raconte qu'il lui a demandé comment on faisait les enfants. Une autre dit qu'alors qu'elle venait chercher de l'eau, il lui a bloqué la route pour l'enlacer et qu'il lui a cassé son pot d'eau. Une autre raconte qu'il lui a touché les seins tandis qu'elle barattait du beurre. La dernière avoue qu'elle a rêvé de lui, et qu'il est réellement venu, puisqu'elle l'a trouvé à ses côtés à son réveil.

La danseuse a ensuite interprété le Javali “Indendu”, qui est une des pièces les plus dansées du répertoire. Elle l'avait déjà dansé au Musée Guimet en 2014, je n'y reviens pas en détail. Je note simplement la belle musicalité de l'interprétation de la danseuse dont les pas marquaient régulièrement les temps forts du cycle rythmique à sept temps Mishra Chapu. Parmi les danseuses qui arrivent à exprimer de façon habitée les sentiments de l'héroïne dans une pièce d'Abhinaya, bien peu arrivent à concilier un abandon nécessaire à l'interprétation et une conscience profonde du cycle rythmique. C'est une qualité que j'ai très rarement observée chez les danseuses. C'était moins évident dans les deux pièces précédentes, mais dans celle-ci, c'était flagrant.

Des récitals de Vidhya Subramanian au Musée Guimet, je retenais surtout son interprétation magnifique de l'Ashtapadi “Sakhi He”. J'aurais aimé être autant ému par son interprétation de “Kuru Yadu Nandana”, le dernier Ashtapadi du Gita-Govinda, mais pour moi, la magie n'a pas opéré. Vu l'état d'esprit dans lequel j'étais, cela ne pouvait de toute façon pas fonctionner sur moi...

Le récital s'est conclu par Rajarajeshwari Ashtaka Tillana, une pièce utilisant une musique nouvelle associant un poème d'Adi Shankara dédié à la Déesse (Shri Rajarajeshwari, la Reine des Reines) et un Tillana. La composition musicale est due à Rajkumar Bharati. La pièce est assez impressionnante, mais elle souffre à mon goût d'une trop grande complexité rythmique. La structure est tellement complexe qu'il y a vraiment de quoi s'y perdre. La pièce est en Ragamalika, c'est-à-dire qu'elle utilise une guirlande de ragas : les différentes sections de la pièce sont dans des ragas différents. Cette pièce est aussi en Talamalika, ce qui en fait une rareté. En général, il existe au moins deux façons différentes d'entendre le mot Talamalika. Si on l'interprète de la même façon que dans Ragamalika, cela pourrait signifier que différentes sections de la pièce seraient dans des cycles rythmiques (talas) différents : je connais ainsi un Alarippu dont la première partie (debout) est en Tishra Ekam, la partie accroupie en Chatushra Ekam et dernière partie en Mishra Chapu. Dans une autre interprétation dont j'avais appris l'existence lors d'une magnifique lecture demonstration de T. S. Sathyavathi, il s'agit de créer un nouveau cycle rythmique de la façon suivante : un cycle rythmique (ou avartana) dans un tel Talamalika est constitué de la juxtaposition de cycles rythmiques appartenant à plusieurs talas. (Par exemple, si on appliquait ce principe en juxtaposent un cycle en Tishra Ekam (3 temps) et un cycle en Chatushra Ekam (4 temps) pour fabriquer un Talamalika, on obtiendrait globalement un cycle à sept temps, qui ressemblerait beaucoup à Tishra Triputa qui est un rythme à 7=3+2+2 temps.) Il me paraît plausible que ce Tillana utilise cette forme-là de Talamalika, mais je ne saurais dire exactement comment il est composé (si ce n'est qu'il y avait un peu de Khanda Chapu). Ce mélange de talas et l'alternance entre la danse pure et les passages évoquant Shri Rajarajeshwari relèvent d'une certaine innovation de la part du compositeur et de la danseuse. Je salue cette créativité, mais au-delà de la satisfaction immédiate apportée par certains instants de la chorégraphie, la complexité structurelle de cette pièce m'a malheureusement davantage tourmenté qu'émerveillé.

Ailleurs : Hiten Mistry.

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