Weblog de Joël Riou

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La Bayadère à Bastille

2012-03-23 11:50+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Culture indienne

Opéra Bastille — 2012-03-22

Ludwig Minkus, musique, réalisée et adaptée par John Lanchbery

Marius Petipa, Sergueï Khoudekov, livret

Rudolf Noureev, chorégraphie et mise en scène d'après Marius Petipa

Ezio Frigerio, décors

Franca Squarciapino, costumes

Vinicio Cheli, lumières

Fayçal Karoui, direction musicale

Aurélie Dupont, Nikiya

Josua Hoffalt, Solor

Ludmila Pagliero, Gamzatti

Allister Madin, Le Fakir

Yann Saïz, Le Grand Brahmane

Stéphane Phavorin, Le Rajah

Christine Peltzer, Aiya, servante de Gamzatti

Alexis Renaud, L'Esclave

Florimond Lorieux, L'Idole dorée

Charline Giezendanner, Danse Manou

Sabrina Mallem, Julien Meyzindi, Danse indienne

Héloïse Bourdon, Première variation

Charline Giezendanner, Deuxième variation

Aurélie Bellet, Troisième variation

Ballet de l'Opéra

Élèves de l'École de danse de l'Opéra

Orchestre de l'Opéra national de Paris

La Bayadère, ballet en trois actes (production créée pour le Ballet de l'Opéra national de Paris le 8 octobre 1992)

J'avais été émerveillé la première fois que j'avais vu La Bayadère, il y a deux ans. Je viens de voir ce ballet pour la deuxième fois. Ce qui m'a le plus marqué lors de cette représentation du 22 mars (diffusée en direct dans certains cinémas), c'est avant tout la musique du premier acte. Dans les deux derniers actes, à part quelques numéros émouvants (Variation de la corbeille à fleurs de Nikiya, L'entrée des ombres), Minkus a comme à son habitude pondu du zimbadaboum-ertata festif. Dans le premier acte, au contraire, il s'est absolument surpassé. J'ai été tout étonné d'être ému en premier lieu par la musique au cours de ce premier acte. L'Orchestre de l'Opéra de Paris dirigé par Fayçal Karoui est en état de grâce. Absolument tous les pupitres sont formidables. Les cordes, les vents, les cuivres, les timbales, le triangle, j'espère que je n'oublie personne. De ma place acoustiquement idéale au dernier rang du deuxième balcon, j'entends les différentes voix orchestrales (quoi, du contrepoint chez Minkus ?!). Les instruments à vents sont absolument fabuleux, et parmi eux, le flûtiste solo est un génie du phrasé. Les équilibres entre ces instruments à vents qui se répondent m'a procuré un plaisir auquel je ne m'attendais absolument pas ! Le plus merveilleux est que l'orchestre est en symbiose avec ce qui se passe sur scène. Quel sens de la dramaturgie dans cette direction d'orchestre ! Quel science des nuances, des ralentissements/accélérations et du phrasé !

Côté danseurs, j'apprécie tout particulièrement Josua Hoffalt (Solor), nommé danseur étoile il y a peu ; cela faisait longtemps que j'en entendais parler par d'autres balletomames, mais la première fois qu'il m'avait vraiment ébloui, c'était lors de reprise d'Onéguine en décembre dernier. Dans ce grand rôle, il a été magnifique du début à la fin. J'ai également beaucoup aimé revoir Aurélie Dupont (Nikiya), même si je l'avais trouvée plus bouleversante dans le rôle de Tatiana. Ludmila Pagliero joue bien son rôle dans le premier acte (essentiellement de la pantomime). Je n'ai pas été très séduit par sa variation dans le deuxième acte (ce que j'ai préféré dans ce passage, ce sont les adorables glissandis de la harpe !). Je dois avouer avoir été un tout petit peu ému pendant ses fouettés (qu'elle a curieusement finis bien en avance sur la musique). À part ça, très belle idole dorée de Florimond Lorieux, superbe Charline Giezendanner dans la danse Manou et dans la deuxième variation du troisième acte. Dans la danse indienne du deuxième acte (que je ne trouve plus si penjabie que ça, à la réécoute/revisionnage), Sabrina Mallem m'a semblée é-pa-tan-te. Elle avait dû manger du lion...

Il y a deux ans, je me faisais déjà la remarque évidente que l'Inde montrée dans ce ballet était une Inde phantasmée... La vision qui en est donnée, au-delà de certains clichés, est somme toute assez intéressante. Du point de vue religieux, c'est un drôle de syncrétisme. Un des personnages est le grand brâhmane, et dans le premier tableau du premier acte, d'autres sont appelés les hindous. Pourtant, leur rituel associé au feu évoque plutôt le zoroastrisme. La danse des poignards fait penser au sanglantes flagellations de l'Achoura. L'idole dorée, je ne sais pas très bien d'où elle vient (Noureev aurait-il vu les films de Spielberg ?). Je lis sur Wikipedia que la position des mains du danseur est censée évoquer le lotus. Peut-être, en tout cas, ce n'est pas ainsi que s'y prennent les danseuses de bharatanatyam ! En effet, la position des mains du danseur ressemble à la position de yoga Jnana Mudra et aussi au mudra Hamsâsya (tête de cygne) qui ne semble pas admettre le lotus comme sens possible. Le mudra indien typique serait plutôt Alapadma (lotus épanoui) ou encore le mouvement des deux mains représentant l'éclosion de la fleur de lotus.

Un gros détail m'a intrigué. Lors du deuxième acte, Solor fait son entrée en scène à dos d'éléphant (factice). Son entrée est donc bien plus triomphale que celle du Rajah. Cela a de quoi étonner puisque dans le récit de voyage de François Bernier (1656-1669) publié chez Chandeigne sous le titre Un libertin dans l'Inde moghole, on peut lire la description d'un voyage du Grand Moghol Aurangzeb. Toute sa cour l'accompagnait et s'il était à dos d'éléphant, à cheval ou porté par ses hommes, ses courtisans devaient le suivre à cheval, ce qui ne laissait pas de les fatiguer.

L'histoire est censée se passer à Golconde, un fort situé non loin de Hyderabad dans l'enceinte duquel on trouve évidemment des mosquées, mais aussi un temple de Kali :

Temple de Kali, Golconde

Le décor du temple du premier acte n'a pas grand chose à voir avec un seul des nombreux temples que j'ai vus en Inde. Pendant le deuxième acte, tout dans les décors évoque l'Inde islamique. On ne distingue certes pas de calligraphies comme on en voit souvent en Inde, mais d'autres éléments sont utilisés, comme les formes géométriques (qui était également visibles sur le décor du temple). Voici quelques exemples vus au fort de Gwalior :

Fort de Gwalior

Si on trouve dans les décors peu de représentations florales aussi riches et colorées que celle située au centre de la photographie suivante prise au Fort rouge de Delhi, les motifs en arabesques qui apparaissent sur le bord sont beaucoup utilisés dans le décor d'Ezio Frigerio :

Fort rouge, Delhi

Les arabesques apparaissent également dans la décoration suivante qui orne une voûte du mausolée d'Akbar à Sikandra, près Agra :

Mausolée d'Akbar, Agra

Voici un autre exemple de voûte, cette fois-ci en extérieur, sur le pavillon à l'entrée du tombeau de Safdarganj à Delhi :

Tombeau de Safdarganj, Delhi

Idem, avec un cadrage plus large :

Tombeau de Safdarganj, Delhi

Le décor du deuxième acte est assemblage complexe de voûtes dans ce genre-là, mais aussi de variantes arrondies de celle-ci, dont tout le Taj Mahal est orné :

Taj Mahal, Agra

(Lors de mon voyage de l'été 2009, j'avais regroupées certaines photographies en plusieurs séries, notamment Fleurs, Motifs/arabesques, Calligraphies. C'était mon premier voyage en Inde en compagnie de mon réflex, j'avais réussi quelques photos, pas comme lors de mon dernier voyage où je les ai toutes ratées sauf une.)

De quoi voulais-je parler, déjà ? Ah, oui, La Bayadère. À la fin des saluts, Brigitte Lefèvre est montée sur scène, a commencé par saluer les (télé)spectateurs et a remercié Ludmila Pagliero d'avoir remplacé une autre danseuse (Mathilde Froustey qu'elle n'a pas nommée et dont le nom était encore sur les affiches de la représentation ; l'Opéra aurait quand même pu en imprimer de nouvelles...). Je me suis dit qu'elle n'était pas montée sur scène juste pour ça. Quand elle a commencé à dire qu'elle allait lire un message de Nicolas Joel, j'ai compris... Quelques secondes plus tard, Ludmila Pagliero était nommée danseuse étoile. Cette danseuse a manifestement de fervents admirateurs. Je n'en fais pas partie. (Je partage le sentiment exprimé par Amélie.)

Abasourdi par cette nouvelle, je suis consterné par ce que je vois en attendant mon train à Châtelet : un contrôle de police. Trois policiers ont malmené verbalement un jeune homme au prénom bien de chez nous (ce qui aurait fait plaisir à Éric Zemmour), mais qui cumule le délit de sale gueule à celui d'écouter de la musique un peu fort. Pour ça, on l'a menacé d'une amende de 135€. Cela se passe de commentaire.

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Commentaires

1. 2012-03-24 22:07+0100 (genoveva)

Tu as raison ! le chef arrive à trouver des nuances dans la musique de la Bayadère et ça change tout ! cet après-midi j'ai vu François Alu qui a été éblouissant dans l'idole dorée !


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