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2013-02-11 13:25+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Théâtre — Culture indienne
Théâtre Claude Lévi-Strauss du Musée du Quai Branly — 2013-02-10
Shizuoka Performing Arts Center
Satoshi Miyagi, auteur et mise en scène
Azumi Kubota, co-auteur
Hiroko Tanakawa, composition
Jumpei Kizu, scénographie
Koji Osako, lumières
Koji Makishima, son
Kayo Takahashi, costumes
Eri Fukasawa, accessoires
Kyoko Kajita, coiffure et maquillage
Masaki Nakano, assistant à la mise en scène
Yoshiji Yokoyama, dramaturgie
Yukio Kato, Fuyuko Moriyama, Yuki Nakamura, Yuzu Sato, Yoichi Wakamiya, Ryo Yoshimi, musiciens
Ayako Terauchi, chef d'orchestre
Kazunori Abe, narrateur
Micari, Damayanti
Kouichi Ohtaka, Nala
Yoneji Ouchi, Varshuneya
Naomi Akamatsu, Kesini
Yudai Makiyama, Pushkar
Hisashi Yokoyama, Kali
Tsuyoshi Kijima, Bhima/chasseur
Miki Takii, Impératrice douairière
Moemi Ishii, Sunanda
Yuya Daidomumon, Rituparna
Yoji Izumi, Sudeva
Yuumi Sakakibara / Momoyo Tateno, Indra
Yu Sakurauchi / Miki Takii, Agni
Miyuki Yamamoto / Asuka Fuse, Varuna
Kotoko Kiuchi / Maki Honda, Yama
Maki Honda / Yuumi Sakakibara, Karkotaka
Mahabharata, épisode du roi Nala
J'ai assisté ce dimanche à la dernière représentation au Quai Branly de Mahabharata par la compagnie japonaise Shizuoka Performing Arts Center inspirée par le théâtre kabuki (je n'y connais rien, mais c'est ce qui est annoncé...). (Quelques autres représentations sont programmées en province.)
Le spectacle de 1h45 ne raconte pas exactement l'épopée du Mahābhārata puisqu'il se concentre sur un conte qui est raconté à quatre des frères Pāṇḍava dans le troisième livre de l'épopée. Lors de l'exil des Pāṇḍava en forêt, ils rencontrent en effet des sages qui leur racontent des histoires qui évoquent des personnages qui peuvent leur servir d'exemples ou de modèles pour leur conduite future. Une de ces histoires est celle de Nala et Damayantī, racontée par le sage Bṛhadásva.
Quelques jours avant d'assister à ce spectacle, je ne me souvenais que des grandes lignes de ce conte. C'est une histoire d'amour qui finit bien. Elle commence par une romance qui naît sans que Nala et Damayantī se soient rencontrés. Le simple fait d'entendre l'éloge de l'autre suffit à faire naître l'amour. Les deux s'échangent des messages par l'intermédiaire d'un cygne comme sur cette représentation fameuse du peintre Raja Ravi Varma :
Comme il était de coutume au temps des épopées, la princesse Damayantī
(fille d'un certain Bhīma, homonyme d'un des Pāṇḍava) doit choisir
son époux au cours d'un cérémonie appelée svayaṃvara dans laquelle
quatre dieux figurent au nombre des prétendants : Indra, Agni, Varuna,
Yama. Bien sûr, la princesse sait d'avance quel homme elle veut épouser,
mais les quatre dieux prennent tous l'apparence de Nala. Damayantī parvient
à désigner son bien-aimé parce que c'était le seul qui transpirait et dont
les pieds touchait le sol. Loin d'être en colère, les dieux bénissent cette
union et donnent quelques pouvoirs surnaturels à Nala. Le couple vit
heureux et engendre deux enfants. Le démon Kali était arrivé en
retard au svayaṃvara et décide de leur nuire. Pour cela, il fait
alliance avec le frère de Nala, Puṣkara qui veut prendre la place de son
frère à la tête du royaume. Comme dans le récit principal du
Mahābhārata, cela se joue dans une partie de dés. Nala, qui à
partir de là est possédé par le démon Kali, perd tout. Il doit partir en
exil avec Damayantī qui a confié ses enfants à ses parents. Nala perd le
dernier vêtement qui lui reste en essayant de capturer un oiseau. Tout
honteux, il abandonne Damayantī dans la forêt après avoir déchiré un pan de
son sari pour se couvrir.
Après avoir été mordu par le serpent Karkoṭaka qu'il avait pourtant délivré du feu, Nala est temporairement transformé en un être difforme nommé Bāhuka. Comme il est expert en chevaux, il se fait engager comme cocher par le roi Ṛtuparṇa.
De son côté, Damayantī se retrouver seule dans la forêt. Alors qu'elle est sur le point de se faire dévorer par un python, un chasseur la sauve, mais celui-ci devenant trop entreprenant avec elle, elle lui lance une malédiction et le chasseur meurt sur le champ. Plus tard, elle rencontre une caravane de marchands qui va être victime d'une attaque d'eléphants sauvages. Les caravaniers tiennent Damayantī pour responsable. Elle doit fuir. Elle finit par arriver dans un royaume dont la reine l'engage pour s'occuper de la princesse Sunandā. Un jour, un visiteur reconnaît Damayantī qui peut retourner chez ses parents. Bhīma, le père de Damayantī envoie des messagers à la recherche de Nala. Nala-Bāhuka entendra le message envoyé par Bhīma et y apportera une réponse qui sera rapportée à Damayantī.
Dès lors, Damayantī établit un plan pour retrouver Nala. Elle fait envoyer un message à Ṛtuparṇa (et à lui seul) annonçant qu'aura lieu le lendemain un deuxième svayaṃvara. La distance entre les deux royaumes est en principe trop grande pour qu'il puisse s'y rendre en si peu de temps. Cela n'est possible que si Ṛtuparṇa est conduit par un cocher de la valeur de Nala. C'est ce qui se produit. Dans des circonstances rocambolesques, le roi Ṛtuparṇa (expert en dénombrement et au jeu de dés) échange son savoir avec celui de Nala dans l'art de la conduite des chevaux. Le char arrive à temps, ce qui est un premier signe du retour de Nala pour Damayantī qui entend ensuite sa servante Keśini lui parler des pouvoirs surnaturels de Bāhuka (les portes s'agrandissent pour le laisser passer, etc.). Elle est définitivement convaincue quand elle goûte à un plat que Bāhuka a préparé.
La fin heureuse est proche. Nala peut mettre un terme à sa difformité physique en se parant d'un vêtement magique que lui avait donné le serpent Karkoṭaka. Comme il est devenu expert en dés, Nala peut récupérer le royaume que lui avait pris Puṣkara auquel il pardonne ses méfaits.
J'ai bien fait de relire les détails de cette histoire telle que la raconte la sanskritiste Madeleine Biardeau dans son édition en deux volumes du Mahābhāratā puisque la version bande-dessinée de l'éditeur Amar Chitra Katha aurait été insuffisante pour me préparer à cette représentation de la troupe japonaise : les moindres détails de cette histoire ont été préservés dans le travail d'adaptation, y compris certains que j'avais eu le temps d'oublier entre ma lecture de samedi et la représentation de dimanche...
J'ai juste été un peu déçu que la narration du spectacle commence avec le svayaṃvara. J'aurais en effet bien aimé voir le cygne intervenir comme messager entre Nala et Damayantī. Le rôle des dieux dans le svayaṃvara a aussi été réduit dans le spectacle puisqu'on ne nous dit pas qu'il ont essayé de troubler le choix de Damayantī en prenant la forme de Nala. Cette déception n'est finalement pas grand'chose. Je me suis délecté d'autres détails, comme la scène où Damayantī se fait reconnaître par un visiteur, la preuve de son identité étant apportée par la présence d'un grain de beauté sur le front qui ne devient visible qu'après qu'on en a enlevé la poussière ; c'est aussi à ce moment-là que la reine du royaume où Damayantī a été recueillie prend conscience qu'elle est sa nièce.
Davantage que ces détails, il était plus important que les caractéristiques de ces personnages soient préservées. Le sous-titre du spectacle a beau être Épisode du roi Nala, le personnage principal est en réalité Damayantī. Quand son mari va tout perdre, elle a la présence d'esprit de confier ses enfants à ses parents. Elle a pleinement conscience du fait que Nala est possédé par un démon (Kali). C'est grâce à cette conviction qu'elle ne doute jamais du sens du devoir de son mari. C'est elle qui organise un plan pour que les deux époux puissent se retrouver. J'ai aimé que le texte de cette adaptation souligne à plusieurs reprises cette clairvoyance de Damayantī.
L'univers esthétique du Shizuoka Performing Arts Center fut assez surprenant pour moi. Une plate-forme de taille relativement modeste est placée sur la scène, pas tout à fait au centre. Les musiciens (tous percussionnistes) prennent place devant leurs instruments le long de deux côtés de la plate-forme. Les comédiens, qui comme les musiciens sont tous habillés en blanc à l'exception du démon Kali qui est en gris, évolueront sur cette plate-forme principale, ou sur une plus petite située à gauche. Les différentes parties du théâtre sont utilisées par la mise en scène : les comédiens peuvent entrer par l'arrière, par le côté gauche et par les allées entre les spectateurs.
Je ne sais pas comment le public ne connaissant pas préalablement
l'histoire de Nala et Damayantī a perçu le conte ; pour ma part, j'ai été
agréablement surpris, même si j'ai eu de quoi être étonné par le contraste
entre d'une part l'esthétisme des costumes et la poésie du conte et d'autre
part les expressions verbales et faciales volontairement exagérées et
grotesques qui se font voir et entendre dans certaines scènes. Il en va de
même des plaisanteries, par exemple quand Damayantī organise son propre
svayaṃvara. On aperçoit alors un rouleau de papier où des
inscriptions en japonais entourent un portrait de la princesse. Un comédien
dit, en français, Je ne sais pas lire.
. Une comédienne lui prend le
papier contenant le message et commence par dire très exactement Flash
spécial ! À tous les rois...
pour que ceux-ci sachent que Damayantī
souhaite se remarier. La scène devient tout à fait délirante quand d'autres
comédiens entrent avec des pancartes vantant les mérites de la boisson
miraculeuse Shizuoka Damayan-Tea.
Le traitement comique de certaines scènes me semble tout à fait approprié. Que Nala-Bāhuka se permette d'arrêter son char pour compter très exactement les feuilles d'un arbre alors que le bon sens voudrait qu'il rejoigne le plus rapidement possible le royaume de Bhīma paraît tout autant incongru dans le texte d'origine que dans cette mise en scène !
Le plus délicieux dans cette production est sans doute sa scénographie et son utilisation d'accessoires et de costumes en papier (avec un peu d'origami) et même de marionnettes. Les figurants-chanteurs-danseurs sont mis à contribution de bien des manières ! Comme tous les détails de l'histoire ou presque sont montrés, les concepteurs du spectacle ont dû trouver d'habiles manières de représenter par exemple les éléphants sauvages, les caravaniers, etc. (On notera aussi la représentation subtile de certains détails : les quatre dieux portent ainsi des chaussures qui donnent l'impression qu'ils ne touchent pas le sol.)
Comme j'ai rapidement compris que les moindres détails de l'histoire
seraient représentés, j'ai pu concevoir des attentes portant sur certains
épisodes du conte et ceux-ci ont été amplement comblés. Le détail qui tue,
cela a été les jets des pétales de fleurs par le démon Kali lors de la
grandiose fête célébrant en fin de spectacle les retrouvailles des deux
amants. Bien sûr, les dieux assistent à cette fête. Dans le texte de
Madeleine Biardeau, on peut lire Une pluie de fleurs tombe du ciel et
les tambours célestes résonnent.
. C'était exactement ça !
Ailleurs : United States of Paris (avec quelques photographies).
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