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2012-05-18 10:47+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Culture indienne — Dhrupad
La maison des couleurs — 2012-05-17
Nirmalya Dey, chant dhrupad
Céline Wadier, tampura, chant dhrupad
Pandit Mohan Shyam Sharma, pakhawaj
Raga Adbhut Kalyan
Raga Abhogi
Raga Sohini (“Adi Shiva”)
J'assistais ce soir à mon cinquième concert de dhrupad, après les Gundecha Brothers, Wasifuddin Dagar (!), Sayeeduddin Dagar et Arnaud Didierjean. Le concert de ce soir (non amplifié !) avait lieu dans une belle demeure, “La maison des couleurs”.
Ce concert de Nirmalya Dey est certainement un des deux meilleurs concerts de dhrupad auxquels j'aie assisté, l'autre étant celui de Wasifuddin Dagar. Si dans le cas de ce dernier, le plaisir avait été le plus intense pendant les parties improvisées élaborées autour de la composition, lors du concert de ce soir, ce seront les autres parties qui me procureront le plus d'agrément.
Le premier raga est Adbhut Kalyan. On trouve aussi
l'orthographe sans le h, qui est me semble-t-il une mauvaise transcription
de अद्भुत
कल्याण. Klari saura sans doute mieux que moi
expliquer pourquoi ce Raga de la famille Kalyan est merveilleux,
étonnant, remarquable, étrange, surnaturel
(d'après mon dictionnaire de
hindi). En effet, mes capacités pour reconnaître les notes à l'oreille sont
pour le moment assez limitées : si cela sonne drôlement bien, c'est un
Sa, un Pa ou à la rigueur un Ma (do, sol ou
fa) ; la semaine dernière, en cours de dhrupad, j'ai même pris un
Ga (mi) pour un Sa. Hors contexte, pour distinguer entre
le Sa et le Pa, j'ai encore un peu de mal... En savoir
plus sur ce Raga avant d'aller au concert m'aurait évité de me poser des
questions, puisque comme le disait Klari à la sortie du concert, il n'y a
ni Ma ni Pa dans ce raga. Et effectivement, d'après mes appareils de mesure, sur
la vidéo ci-liée,
la vînâ (accordée en la) de Bahauddin Dagar n'utilise que les notes
Dha-Ni-Sa-Re-Ga (non altérées) pendant son Alap sur ce Raga Adbhut
Kalyan. (Ananth, le fils d'un collègue indien qui m'accompagnait,
m'expliquait qu'un autre chanteur, Uday Bhawalkar, lui avait dit après un
concert à Chennai qu'il décidait parfois au tout dernier moment le raga
qu'il chanterait, au moment même d'accorder le tampura ! J'espère qu'un
jour j'arriverai à entendre en concert un raga que j'aurai déjà un peu
pratiqué...)
Pour revenir au concert de ce soir, j'ai beaucoup apprécié l'Alap de Nirmalya Dey. J'aime sa façon de prendre son temps, de caresser les notes avec douceur, de passer le relais à Céline Wadier (ma prof). J'apprécie la continuité de l'ensemble puisqu'à plusieurs reprises j'ai eu l'impression qu'il commençait sa phrase sur la note qu'elle avait chantée en dernier. J'aime sa façon de chanter les notes aiguës en les nasalisant à divers degrés (la bouche étant plus ou moins fermée). On entend assez peu de pppp, la subtilité passant davantage par le mouvement mélodique que par les nuances extrêmes. Si les syllabes chantées sont comme toujours un peu les mêmes (Re-Ne-Na, Ri-Na...), il arrive souvent à surprendre, par exemple en retardant la dernière syllabe, créant une attente qui est apaisée pour l'auditeur qui sait être tout petit peu patient. Il surprend aussi parfois en introduisant un petit Gamak, une sorte d'accent apparemment obtenu en plaçant sa langue d'une façon particulière (palatalisation ?). (Cela n'a aucun rapport avec les ornementations aussi appelées Gamakas dans le chant carnatique, celles-ci consistant en une oscillation de faible amplitude de la hauteur de la note autour de la note juste.)
À la fin de l'Alap est intervenue une section dans laquelle un rythme s'insinue dans le chant. Les interventions de Nirmalya Dey et Céline Wadier utilisent le même type de rythmes, mais du point de vue mélodique, il me semble qu'ils font tous les deux des choses assez différentes. Le contraste est assez intéressant. C'est une des parties du concert que j'ai aussi beaucoup appréciées. Ce type de section rythmique (Jor) est à rapprocher du Tanam de la musique carnatique (cf. mon compte-rendu d'un récent concert d'Aruna Sairam), lequel Tanam intervient après le Ragam Alapana et avant la composition (Pallavi). Finalement, il y a donc une certaine unité entre les styles classiques de musique du Nord et du Sud de l'Inde... Une différence cependant, de taille : un long développement de musique carnatique dépasse rarement la demi-heure, tandis que le premier développement de dhrupad de Nirmalya Dey a fait 1h20...
Ce premier raga s'est terminé avec une composition sur un cycle standard à douze temps joué par le percussionniste Mohan Shyam Sharma (que j'avais déjà vu accompagner Wasifuddin Dagar et Sayeeduddin Dagar). J'apprécie le tempo lent de cette composition, la façon dont le chanteur arrive à l'heure à la fin des cycles rythmiques et la conclusion paisible de la composition par évanouissement du son (très élégant) du pakhawaj. J'éprouve cependant quelques difficultés à être tout à fait enthousiasmé par cette composition peu développée, le son du percussionniste étant aussi un peu trop fort pour que je puisse entendre dans les meilleures conditions la voix du chanteur. (N'ayant pas assisté à des concerts de dhrupad ces derniers temps, je suis presque surpris de ne pas entendre d'improvisations de type sargam dans lesquelles le chanteur prononce le nom des notes. Cette forme d'improvisations, très présente dans la musique carnatique et dans le khyal, serait donc absente du dhrupad.)
Je préfèrerai la deuxième composition sur le Raga Abhogi. Ce développement (omettant la section Jor) fera environ 35 minutes. Le cycle rythmique est cette fois-ci un peu plus tordu : 14 temps, qui se divisent apparemment en 5+5+4. Il me faut quelques minutes avant d'être certain d'avoir saisi la structure, mais j'apprécie d'autant mieux la suite !
Le concert s'est terminé par une dernière composition commençant par les mots Adi Shiva et précédée d'une courte improvisation vocale de forme assez libre. Le texte fait manifestement référence à Shiva, dont le nom Parameshwara sera aussi prononcé. Quelques autres divinités comme Sarasvati (et peut-être Hanuman) seront également mentionnées. Le rythme est beaucoup plus rapide. J'ai donc tendance à considérer que chaque temps compte en fait pour ½, et je perçois une structure qui avec la convention habituelle de ce blog serait décrite comme 2½+2½, chaque moitié du cycle comptant pour 2½ étant divisée en 5, ce cycle de 5 ne comprenant que 3 frappes franches. Ce que j'entends, c'est donc ...+1+1+½+1+1+½+1+1+½+... que j'aurais arbitrairement tendance à parenthéser comme ...+(1+1+½)+(1+1+½)+(1+1+½)+... À la sortie du concert, je me disputaille en mode dialogue de sourds avec Djac Baweur qui me dit que ce que je clappe est un rythme à 7 temps, euh... Après une manœuvre de conciliation de Klari, il apparaît que nous étions en fait d'accord, mais qu'un meilleur parenthésage serait plutôt ...+1)+(1+½+1)+(1+½+1)+(1+½+... En bon mathématicien, j'avais la bonne période de la fonction ; quant à savoir où commence véritablement le cycle, c'est une affaire trop sérieuse pour être abordée par les non-musiciens...
Ailleurs : Klari.
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