« Planning de décembre 2012 | Tchaikovski/Haydn par l'Orchestre des Concerts gais »
2012-12-01 13:44+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Au cours de ce mois de novembre j'aurai vu pas moins de six spectacles
de bharatanatyam. Parmi eux, je garderai notamment en mémoire le récital de Lavanya Ananth, parce qu'outre leur qualité
artistique exceptionnelle, les deux représentations que j'ai vues m'ont
donné l'impression de progresser quelque peu dans la connaissance de cette
danse, en tant que spectateur. Le langage de cette danse commence
à me parler à un point tel que dans un solo dont elle interprète tous les
rôles (rarement plus de deux en même temps ceci dit), une danseuse de
bharatanatyam peut me procurer davantage d'émotions que le Ballet de
l'Opéra ne peut me le faire ressentir au cours d'une représentation
moyenne
: il faut Myriam Ould-Braham dans La
Bayadère ou Aurélie Dupont et Evan McKie dans
Onéguine, par exemple, pour me faire atteindre un tel niveau
de plaisir.
Paradoxalement, plus j'ai l'impression de mieux comprendre cette danse et d'avoir donc des raisons d'être exigeant, mieux je sais apprécier les aspects de la danse que je ne valoriserais pas a priori. C'est dans cet état d'esprit que je suis allé voir Ofra Hoffman au Centre Mandapa :
Centre Mandapa — 2012-11-29
Kuttalam M. Selvam, chorégraphies
Bragha Bessell, chorégraphie du Padam
Ofra Hoffman, bharatanatyam
Pushpanjali
Alarippu
Varnam
Padam
Tillana
L'offrande de fleurs (Pushpanjali) évoque une jeune femme dévote de Shiva-Nataraja. Suit un Alarippu qui sur une musique rythmique me semble être essentiellement de la danse pure (non narrative). Intervient ensuite le Varnam, la pièce principale du récital qui met en scène une jeune femme qui se languit de Murugan (le deuxième fils de Shiva). La danseuse a magnifiquement évoqué le rendez-vous donné au beau jeune homme sous un arbre. Ce qui m'a suscité le plus grand étonnement est que j'ai pour ainsi dire eu en permanence la sensation de lire un livre écrit dans une langue que je comprenais presque parfaitement. J'ai trouvé tout à fait limpide cette narration faisant appel à des éléments chorégraphiques aussi bien intuitifs que codifiés.
Mon autre motif d'étonnement vient du plaisir que m'ont procuré les
jatis dansés dans les deux premières pièces et aussi, peut-être
encore davantage, ceux du Varnam. Les jatis sont ces
passages rythmiques de danse pure
. On ne peut pas dire que ceux-ci
étaient particulièrement virtuoses (j'en ai vu de beaucoup plus rapides),
mais il y avait là une singulière beauté simple et sincère à laquelle j'ai
été réceptif alors que j'accorde en général plus d'attention à l'expression
et à la narration. J'ai aussi beaucoup aimé la suite de pas de transition
que la danseuse a répété au fond de la scène au début de chaque
séquence.
Dans la musique de ce Varnam, je me suis délecté de la
répétition de la voyelle i
à la fin de chacun des vers des strophes
qui accompagnaient l'évocation par la danseuse du beau regard de
Murugan.
La musique avant tout mélodique du Padam qui a suivi n'est pas
perturbée par des passages rythmiques. Dans cet adage
, la danseuse
évoque l'espiègle Krishna. J'ai particulièrement aimé les exquis mouvements
et positions des mains signalant qu'il est question d'un personnage féminin
(une bergère). Parmi les scènes représentées, celle où Yashoda, la mère
adoptive de Krishna, lui demande d'ouvrir la bouche parce qu'elle le
soupçonne d'avoir mangé du sable : quand le divin Krishna ouvre la bouche,
Yashoda voit apparaître d'univers tout entier.
Le Tillana a mis en scène un personnage féminin et Shiva-Nataraja faisant résonner le tambour Damaru.
⁂
Centre d'animation Curial — 2012-11-30
Mallika Thalak, bharatanatyam
Kalikautam (chorégraphie de M. K. Saroja)
Alarippu (chorégraphie de V. S. M. Selvam)
Ardhanarishwara (transmis par Rama Vaidyanathan)
Padam (chorégraphie de Kalamandalam Kshemavathy)
Tillana
Le lendemain, je me suis dirigé vers le Centre d'animation Curial, situé dans un quartier de Paris dans lequel je ne m'étais jamais aventuré. Mallika Thalak est une de mes danseuses de bharatanatyam préférées, parce qu'elle me semble exceller par son expression et par la beauté de ses mouvements. J'avais hâte de revoir cette danseuse qui m'avait éblouie quand je l'avais vue au Centre Mandapa et que je n'avais plus vue danser depuis tout juste un an.
Dans les deux premières pièces, la danseuse me paraît un tout petit peu moins à l'aise que lorsque je l'avais vue interpréter ces mêmes pièces il y a un an, mais je prends un certain plaisir à revoir l'offrande symbolique de fleurs et l'évocation de la féroce déesse Kali dans la première et dans la deuxième pièce à apprécier cette danse pure accompagnée d'une musique entièrement rythmique.
Bien sûr, j'aurais aimé voir des chorégraphies toutes nouvelles, mais comme je le disais à elendae avant le début du spectacle, je ne pourrais jamais lui en vouloir de choisir de danser une nouvelle fois Ardhanarishwara, cette superbe chorégraphie qui évoque la divinité androgyne mi-Shiva mi-Parvati portant ce nom. C'est un véritable régal ! Pour la moitié droite, la danseuse évoque la chevelure de Shiva, les cendres qu'il a mises horizontalement sur son front, son ardent regard, son collier de crânes et quelques autres traits virils de cette divinité que je n'identifie pas exactement. Pour la moitié gauche, c'est la grâce féminine de Parvati qui est montrée. La danseuse se métamorphose continuellement, passant de la moitié gauche à la droite et réciproquement. Parfois, la transformation se fait au prix d'un tour de la danseuse sur elle-même : elle est Parvati, entame une rotation et quand elle reparaît, elle est Shiva. D'autres fois, le plus souvent en fait, la transformation se fait de façon beaucoup plus subite, alors que la danseuse fait face au public. Même si je ne connais pas de source iconographique ou mythologique appuyant ce fait, j'ai aimé sa façon de représenter un serpent enroulé autour de la cheville de Shiva. J'ai apprécié aussi le fait que les lumières soient réglées de façon à ce que la moitié gauche de la danseuse paraisse bleue tandis que sa moitié droite était rouge, tout comme dans les représentations picturales colorées d'Ardhanarishwara. En revoyant cette pièce, je découvre des détails importants qui m'avaient échappé les deux premières fois, notamment l'évocation du printemps, des animaux, du butinage des fleurs, etc. J'ai apprécié les jatis dansés dans cette pièce ; j'étais tout étonné d'arriver à me repérer intuitivement dans le cycle à 8 temps grâce aux syllabes rythmiques qui étaient initialement très régulières avant que des variations plus tordues apparaissent.
La quatrième pièce de ce récital a été pour moi une très belle
découverte. Pour avoir vu une pièce du même type la veille, j'ai reconnu
immédiatement qu'il s'agissait d'un Padam, une sorte
d'adage
qui évoque ici aussi l'enfance espiègle de Krishna (qui est
bien sûr souvent reconnaissable au fait qu'il joue de la flûte). Celui-ci
se vante de porter de nombreux bijoux (une bague sur chacun de ses dix
doigts), etc. Dans l'épisode le plus développé de cette chorégraphie, on
voit une femme en train de baratter avec application du lait pour obtenir
du beurre qu'elle met dans une jarre qu'elle accroche dans un coin de la
pièce, à une hauteur qui la rende inaccessible à un enfant. Le jeune
Krishna fait ensuite son apparition et ayant vérifié que personne ne
l'observe, il tente d'atteindre le pot de beurre, mais n'y arrive pas lors
de ses premières tentatives. Puis, par quelque tour de son cru, il y
parvient enfin et peut se goinfrer du beurre qu'il aime tant. (C'est en
souvenir de cette légende que pendant la fête de Krishna Janmashtami des
équipes de dévots de Krishna s'organisent en pyramides humaines, le but du
jeu étant d'atteindre un pot de beurre préalablement suspendu très haut.)
Voir cette danseuse dans une pièce résolument narrative mettant en valeur
l'étendue de son talent expressif a été pour moi un réel délice !
La dernière pièce au programme est un beau Tillana qui se termine avec Shiva-Nataraja, le Seigneur de la danse, battant le rythme du monde avec le tambour Damaru.
J'encourage vivement ceux qui sont disponibles le 14 décembre d'aller voir ou revoir ce programme au Centre Mandapa !
On peut admirer la série de neuf
photographies de la danseuse dans les Navarasa, les neuf saveurs
codifiées de la danse indienne.
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