Weblog de Joël Riou

« Première semaine à Delhi | “Nrityaganga” par Sucheta Chapekar »

Praveen Kumar, Renjith Babu, Bala Devi Chandrashekar

2015-07-23 12:00+0530 (दिल्ली) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XIV

La danse est très présente sur les scènes à Delhi, mais je ne suis pas allé voir beaucoup de spectacles. J'ai vu le meilleur avec Praveen Kumar et le pire avec Bala Devi Chandrashekar.

India International Centre, Delhi — 2015-07-16

Praveen Kumar, bharatanatyam

Je n'ai malheureusement pas pu assister à l'intégralité de ce récital. Arupa Lahiry, avec qui je prends des cours ici à Delhi, m'avait dit qu'il fallait absolument que je voie ce danseur. Le cours que nous avions en fin d'après-midi ne nous a permis que d'assister à la fin de son récital. Nous sommes arrivés à la fin de son Varnam, apparemment centré sur la Déesse ; je n'ai pu véritablement apprécier que son travail sur la danse pure dans la fin de cette pièce principale.

Pour conclure son récital, Praveen Kumar a interprété ensuite deux pièces d'Abhinaya. Ces deux Padam m'ont semblé très intéressants dans la mesure où les thèmes narratifs ont été abordé du point de vue d'un héros, et non pas d'une héroïne. Dans le premier des deux Padam, il incarnait un homme marié qui était amoureux d'une autre femme, laquelle le rejetait. Il lui disait qu'elle avait un cœur de pierre et qu'il allait se rendre à Kashi (Varanasi) pour expier ses péchés. Dans le deuxième, le thème classique de l'amour maternel de Yashoda pour le jeune Krishna est traité de façon alternative : c'est son père adoptif (Nanda) qui lui dit : Ne va pas jouer en dehors de la maison.... Le talent de Praveen Kumar pour l'expression des sentiments des personnages qu'il incarne est exceptionnel. Ses mouvements ont une certaine lenteur, mais qu'est-ce qu'ils sont habités !

India International Centre, Delhi — 2015-07-16

Renjith Babu, bharatanatyam

Les 16 et 17 juillet se tenait au India International Centre un festival consacré à des danseurs masculins. Après Praveen Kumar, c'est Renjith Babu qui est entré en scène (accompagné d'une bande-son, contrairement à Praveen Kumar qui disposait d'un orchestre comportant notamment Subbulakshmi au nattuvangam). Il se produira en octobre au Musée Guimet en duo avec son épouse Vijna. Son programme est entièrement consacré à Shiva. Bien sûr, c'est un grand athlète, plus exactement un yogi (il enseigne le yoga). En vrai, je n'ai pas eu l'impression de voir un robot danser comme j'avais pu en avoir le sentiment sur certaines vidéos. Le haut du corps n'est pas aussi raide que sa formation dans le style Kalakshetra pouvait le laisser augurer. Cependant, les lignes du corps sont loin d'être idéales. Dans ses Tirmanam (mouvements ressemblant un peu à ceux de la nage crawl), la main suit un chemin étrange, comme s'il attrapait une balle sur le côté avant d'aller droit devant. Ce mouvement sur le côté, vraiment choquant vu de face quand le danseur le faisait en vitesse lente, disparaissait heureusement quand la vitesse accélérait.

Ce qui me gêne dans ce spectacle qui a comporté plusieurs pièces, c'est que j'ai eu l'impression de voir toujours la même chose du début à la fin. Il est possible de représenter de très diverses manières Shiva, mais tout m'a semblé monotone. N'ayant pas pris de notes, il m'est absolument impossible d'isoler après coup quelque passage qui se distingue. Les passages de danse pure m'ont certes semblé bien exécutés (le danseur intégrant les redoutables Sharakkau Adavus, ce qui est relativement rare) ; les rythmes m'ont semblés très compliqués, mais je n'ai pas trouvé très passionnant l'agencement des mouvements. Dans la deuxième partie (rapide) du Varnam, la vitesse des mouvements faisait que j'avais davantage l'impression d'assister à une démonstration sportive qu'à de la danse. Ce qui m'a le plus gêné, c'est que je n'ai nullement été ému par les aspects expressifs de sa danse. Que ce soit dans la danse pure ou dans l'expression, j'ai eu le sentiment de voir une juxtaposition un peu forcée d'éléments peu susceptible de m'émouvoir. Ce spectacle n'a pas été particulièrement désagréable à regarder, mais le frissonomètre est désespérément resté à zéro.

Ailleurs : Leela Venkataraman

India Habitat Centre, Delhi — 2015-07-22

Bala Devi Chandrashekar, bharatanrityam

Tripura: The Divine Feminine

Ce récital est sans doute le plus mauvais récital de danse bharatanatyam auquel j'aie assisté. Je n'y serai pas allé si une autre passionnée de danse indienne de passage à Delhi ne m'y avait invité ; je retiendrai davantage les personnes rencontrées ce soir-là et le restaurant parsi qui suivit plutôt que le récital de Bala Devi Chandrashekar...

Son récital est annoncé comme étant un récital de bharatanrityam. Il s'agit en effet du style introduit par Padma Subramanyam dont elle est une disciple. Le texte des compositions est tiré du Tripura Rahasya. Le thème du programme est celui de Balatripurasundari, la forme suprême de la Déesse. De trop longs discours ont précédé les différentes pièces du programme. Ces annonces étaient assez prétentieuses, l'oratrice ayant dit plusieurs fois que le travail pour chacune des pièces présentées correspondait à celui d'une thèse... La Déesse est sans doute un des thèmes les plus subtils de toute la mythologie hindoue, mais si l'on se fie au résultat observé, affirmer cela revient à déconsidérer très fortement les diplômes de doctorat ou de master.

La musique enregistrée de récitation d'un Shloka qui a retenti était beaucoup trop forte. Le son a heureusement été un peu baissé.

La danseuse a interprété une premièce pièce qui comportait semble-t-il trois parties, une sur Tripura dont elle a représenté le bindu en forme de Om, le trident (de façon peu convaincante). Plus loin, elle a représenté Amba en tant que mère. Après un Swaram (section accompagnée de notes solfiées), quelques autres noms de la Déesse ont été prononcés, comme Kali, Bhubaneshwari, etc. La Déesse a été représentée portant la conque et le disque.

Dans la pièce suivante Todaya Mangalam accompagnée du son des hautbois indiens et entrecoupée de passages de danse pure, elle continue à évoquer la Déesse qui apporte la connaissance, qui porte le trident et dont la monture est le tigre. S'ensuit un Shloka et un Alarippu hétéroclite en Tala Mallika (j'ai identifié des sections à 3, 5 et 7 temps).

Est intervenu ensuite un Javali en Adi Tala censé représenter les neuf rasas ou émotions classifiées dans l'esthétique indienne.

Une pièce essentiellement de danse pure étrangement présentée comme un dhrupad a suivi. De même que j'ai déjà eu l'occasion de le signaler, je trouve très déplorable que l'on utilise le nom dhrupad pour un type de composition qui n'a rien à voir avec la façon dont le chant dhrupad est représenté sur scène. Le récital s'est conclu avec un Mangalam un peu long...

Ce récital a bien comporté quelques moments plutôt agréables. Les seuls que je retiens sont ceux qui mettent en valeur les mouvements de hanches spécifiques du style de Padma Subramanyam. Pour le reste, cela me semble être le summum de tout ce qu'il ne faut pas faire :

  • Du point de vue conceptuel, je suis tout-à-fait pour que l'on présente les pièces au public avant de les interpréter, mais il faut trouver un juste milieu. Les explications étaient beaucoup trop longues et complètement incompréhensibles ! (Par exemple, dans le drôle d'Alarippu qui a été présenté, je n'ai pas bien vu le lien annoncé avec les signes du zodiaque et quelques autres éléments, notamment les chakras, qui avaient été péniblement énumérés avant.)
  • Les positions des mains dans les passages signifiants m'ont semblé extrêmement disgracieuses, soit qu'elles furent trop flottantes soit qu'elles furent au contraire trop forcées. La posture caractéristique de la Déesse avec deux mains en Pataka (la droite tournée vers le haut et la gauche vers le bas) semblait contrainte. Quand elle représentait semble-t-il le tigre comme sa monture, son bras était complètement tendu vers l'avant à la hauteur des épaules, ce qui est très étrange. La danseuse a souvent utilisé une pose dans laquelle une des mains était en Alapadma au-dessus de la tête. Le placement de cette main était manifestement très approximatif, puisque lorsque cette pose revenait, la main était loin de revenir à la même place. Il en allait de même pour de nombreuses autres poses...
  • La danse m'a semblé très paresseuse. Dans ses Ginatom, la main ne fait même pas semblant d'aller chercher derrière. Quand elle parvient à esquisser le mouvement, au mieux, elle va dans une des diagonales. Ce n'est pas le plus vilain reproche que l'on puisse faire (je fais largement pire !), mais toute la danse était ainsi molle. De même que dans les aspects évocateurs, il n'y a dans la danse pure aucune précision dans le placement des mains. Si ses Khuditta Metti sont plutôt gracieux au niveau des mains, ils manquent complètement de vigueur au niveau des pieds. Ce qui m'a semblé le plus choquant dans ce récital, c'est l'absence totale de tenue dans les pas marchés. Ses pas manquent totalement d'articulation : elle lève à peine les talons pour marcher. Elle ne marche pas du tout comme une danseuse...
  • Son visage est toujours souriant, le regard quelque peu crispé. Aucune émotion ne vient troubler son visage (ni le spectateur que je suis). Le seul bref moment d'Abhinaya dans ce récital n'a duré que quelques secondes lorsqu'elle a évoqué la Déesse comme une mère. Je n'ai rien contre les programmes thématiques, mais pour rendre un récital de bharatanatyam intéressant, il faut condescendre à laisser s'exprimer davantage des sentiments humains par les personnages que l'on montre. Il ne fait nul doute à mes yeux que le thème de la Déesse le permettait. Il est dommage qu'il n'y en ait pas eu davantage, et que le peu qu'il y a eu ait manqué de subtilité.

Je trouve très étonnant d'avoir eu à constater dans ce programme des défauts qui seraient immédiatement signalés à des danseurs débutants par tout professeur de bharatanatyam qui se respecte.

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