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2012-11-25 12:19+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne
Auditorium du Musée Guimet — 2012-11-23
Lavanya Ananth, bharatanatyam
Murali Parthasarathy, chant
M. S. Sukhi, mridangam
Kalaiarasan Ramanathan, violon
Parthasarathy Kalyamurthy, nattuvangam
Nrithya Samarchitha
Mon premier grand choc lié à la danse indienne remonte à il y a deux ans et demi : je voyais à Chennai un récital de Srithika Kasturi Rangam dans lequel la pièce principale était avant tout narrative. Le bharatanatyam pouvait raconter une histoire que je pouvais comprendre. Les mouvements et expressions n'étaient pas seulement des mouvements gracieux ou rythmiques dont le sens resterait caché. Au contraire, je pouvais véritablement ressentir ce que la danseuse exprimait. Bref, c'est au cours de ce récital que je dois pouvoir prétendre être devenu un rasika. Si les pièces que je considère comme étant véritablement narratives sont assez rares, j'ai appris entretemps à me satisfaire de pièces qui soient au moins évocatrices : dédiées à une divinité, elles en illustrent certains aspects en mettant éventuellement en scène une jeune femme amoureuse de cette divinité.
Il me fallut attendre plus d'une année pour éprouver des sentiments aussi élevés à l'égard d'une danseuse, cette fois-ci sur le sol français, au Centre Mandapa. Il s'agissait de Lavanya Ananth. Suivront Mallika Thalak, Nancy Boissel. Pour ce qui est du Musée Guimet, mes goûts n'avaient pas été satisfaits par les premiers récitals que j'y avais vus, mais l'année dernière, j'y ai été ébloui par Meenakshi Srinivasan.
Quand j'ai vu que Lavanya Ananth était programmée au Musée Guimet, je n'ai pas hésité une seule seconde, j'ai réservé une place pour chacune des deux dates. Arrivé vendredi et samedi soir avec une certaine avance, j'ai pu m'installer tranquillement au premier rang de l'auditorium. Les quatre musiciens se sont installés, tous vêtus d'une tenue typique du Sud de l'Inde : un dhoti blanc. Ils ont joué une petite introduction musicale avant que la danseuse entre en scène. Le son de tampura est semble-t-il émis par une tablette tactile actionnée par le chanteur, qui joue à un jeu de questions et réponses avec le violoniste.
La première pièce du récital, intitulée Netanjali (?), commence par de la danse pure qui fait immédiatement ressentir l'extrême musicalité de la danseuse ! Contrairement à l'usage, cette première pièce n'est apparemment pas une offrande de fleurs, mais les mouvements des mains évoquent toutefois assez souvent les fleurs de lotus. À cette danse essentiellement rythmique s'enchaîne une évocation de Shiva comme la danseuse l'avait préalablement annoncé au micro, dans un français gracieusement raffiné. La pièce semble mettre en scène une dévote de Shiva dont quelques particularités sont soulignées dans la chorégraphie. On peut reconnaître son bras gauche en forme de trompe d'éléphant associé au geste protecteur de la main droite. On voit aussi son chignon tressé, le feu que peut déclencher son troisième œil, les cendres que l'on se met sur le front. Quelques mouvements en rythme d'un des pieds me font penser que Shiva est en train de piétiner le démon de l'ignorance.
Entre les pièces s'insèrent des solos du violoniste, parfois accompagné du percussionniste. Kalaiarasan Ramanathan est sans doute aucun le meilleur violoniste de musique carnatique que j'aie vu ! C'est en tout cas le premier que je voie faire des doubles-cordes ! Que ce soit dans ses solos ou dans le reste du programme, ce musicien m'a beaucoup impressionné.
La pièce principale du récital est un Varnam. Je ne saurais dire si c'était le même que lorsque j'avais vu Lavanya Ananth au Centre Mandapa. En tout cas, le thème est le même. L'héroïne se livre à sa confidente. Elle demande que cette amie aille dire à Shiva-Nataraja de la rejoindre. Ce n'est pas une pièce que je qualifierais de narrative (après un deuxième visionnage, ayant perçu davantage d'éléments narratifs, je suis un peu moins de cet avis). L'accent n'est pas particulièrement mis sur les sentiments de l'héroïne (Bhakti-sringara, l'amour dévotionnel). J'ai en effet compris la scène la plus intense de ce Varnam comme une réminiscence de la légende entourant les amours de Shiva et Parvati (aussi appelée Durga ou Shakti). On voit ainsi la déesse dans une posture ascétique destinée à lui procurer un époux, ce qui sera rendu possible par l'action conjointe du Printemps et du dieu de l'Amour. Le printemps est évoqué par les amours des animaux et le butinage de fleurs par des abeilles (à moins qu'il ne s'agisse de papillons) ; ceci me rappelle un passage du récital de danse odissi d'Arushi Mudgal. J'ai également été sidéré par l'évocation d'un étang de lotus qui éclosent sous l'effet de la lumière (de la Lune ? ou du Soleil ?) et qui se dirigent vers l'astre par tropisme. L'autre point culminal émotionnel de cette pièce et de ce récital réside dans l'apparition du dieu de l'amour, l'archer qui décoche ses flèches dans toutes les directions, installant le sentiment amoureux dans le cœur de diverses créatures (la musique, en particulier l'accompagnement rythmique du mridangam atteint aussi des sommets à ce moment-là ; la composition est due à ce percussionniste, qui a composé plusieurs des autres musiques du programme). Plus loin, il me semble reconnaître la déesse fluviale Ganga descendant sur les cheveux de Shiva, une impression confirmée par le texte chanté qui mentionne cette descente de Ganga. Que j'aime cette évocation joyeuse de Shiva ! La pìece se termine magnifiquement sur une apparition de Shiva dans sa forme Nataraja battant le rythme cosmique. (Le samedi, je n'ai pas retrouvé cette fin, peut-être que je confonds avec une des autres pièces au programme.)
La danseuse devant changer de costume, l'intermède musical suivant est prolongé. Il ne permet pas vraiment de se remettre de ses émotions puisque c'est encore ce cher violoniste qui officie... (Le samedi, le violoniste et le percussionniste se sont livrés à un fort délectable jeu de questions et réponses sur un rythme à quatre temps.)
La pièce suivante Devarnama est espiègle. Elle évoque les
amours de Krishna avec les bergères (le texte en kannada est dû à Purandara Dasa). Il
aime le beurre, et aussi la bergère qui le baratte, puisque, nous dit et
nous montre la danseuse, il veut la toucher en des endroits... très
déplacés !
. Il en enlace une autre au bord de la rivière, etc. Ce
Krishna est-il un enfant, un jeune homme ou bien le dieu Vishnu ?
Dans la pièce suivante Javali, il est encore question de l'amour pour Vishnu, cette fois-ci sous le nom de Venkateshwara, la forme qui réside sur la colline voisine de Tirupati. Le texte télougou commençant par Shikavane Ivanu est de Padma Subhramaniam Iyer. Le chanteur, excellent, se met me semble-t-il particulièrement en valeur avec ce chant. Il m'inspire une très grande sympathie : toujours souriant, il semble aussi fasciné que moi par la danseuse. Dans cette pièce, une jeune femme a été séduite par un jeune homme. Elle se dispute avec ses amies à ce propos. Elle cèderait volontiers à ses charmes. En effet, peut-être s'agit-il de Venkateshwara ? Le dieu de l'Amour (ici appelé Manmadha) ayant décoché ses flèches, son cœur bat très fort, insupportablement fort. Elle est brûlante. Devant ses amies, elle feint, mais au moment de sortir de scène, elle fait discrètement signe au jeune homme de la rejoindre...
La pièce suivante évoque Surya, le dieu du Soleil. Je pense que ce n'est
que la deuxième fois que je vois ce dieu évoqué dans la danse
bharatanatyam. La première fois, c'était par Urmila
Sathyanarayanan au Musée Guimet il y a un an et demi. Le Raga, tout
comme le Tala, est Malika
, bref une guirlande de ragas (modes) et
de talas (rythmes). Les différentes périodes la journée sont associées au
trois dieux de la trinité hindoue, Brahma pour le matin, Vishnu pour la
journée et Shiva pour le soir. Parmi les images que je retiens, celle du
char céleste de Surya tiré par sept chevaux blancs et surtout la superbe
scène finale dans laquelle la nuit couvre Shiva ascète. Il convient de
souligner la qualité de l'attention du public de vendredi qui s'est gardé
d'applaudir à des endroits inappropriés. Il aurait ainsi été tentant
d'applaudir juste avant cette courte scène finale, mais on pouvait
comprendre que la pièce n'était pas finie puisque Shiva n'avait pas encore
fait son apparition pour donner tout son sens à cette journée de Surya...
(Le samedi, le public était apparemment plus connaisseur puisque les
passages rythmiques (jatis) étaient salués par des
applaudissements, comme je l'ai vu faire en Inde, mais en applaudissant à
ce moment-là, ce public a un peu gâché cette fin... C'est comme applaudir
pendant les pianissimi à la toute fin de La
Walkyrie...)
Ce récital de plus de deux heures s'est conclu par un Tillana donné en bis. C'est la première fois que je vois cette danseuse dans ce type de pièce, qui termine traditionnellement les récitals de bharatanatyam. Pourtant, j'ai le sentiment d'avoir déjà entendu cette musique (le répertoire des Tillana semble assez restreint). Il s'agit principalement de danse pure, mais quelques images évoquent Krishna, mais aussi Kama.
J'espère que j'aurai encore beaucoup d'occasions de revoir cette danseuse qui n'a cessé de se métamorphoser sur scène, passant d'un personnage à un autre. Même quand elle montrait quelques mouvements pour présenter chaque pièce, son visage passait subitement d'une expression à une autre. Cela relève du prodige. Même à quelques mètres de distance, le mystère reste pour moi entier.
Je me disais ces jours derniers qu'il me manquait tes commentaires sur les concerte et opéras ! Tu t'es spécialisé dans la danse indienne ? bon dimanche -
Ce mois-ci, j'ai vu tellement de spectacles que je n'ai pas vraiment eu le temps de faire des billets. Cela dit, question opéras, vu la programmation de l'Opéra de Paris, il ne faut pas s'attendre à ce que je fasse régulièrement des billets sur les opéras qui s'y jouent. Et question ballets, tout le monde a déjà tout dit sur le ridicule ballet de Marie-Agnès Gillot et sur le superbe Cunningham...
Je ne me suis pas « spécialisé » dans la danse indienne. J'accorde un intérêt égal au bharatanatyam et à la danse classique européenne... Il faudrait que tu en voies un jour, je suis sûr que les costumes te plairaient !
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