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2012-02-05 13:38+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Culture indienne — Dhrupad
Klari est formidable. Je me souviens que lorsque je l'ai rencontrée à l'occasion d'un concert Colonne, alors que nous nous installions à nos places, elle me disait qu'elle avait commencé à faire du chant dhrupad. Je ne sais plus très bien ce que je dis alors, mais à l'époque, ma seule expérience du dhrupad était le concert des Gundecha en clôture des vingt-quatre heures du râga et j'en avais plutôt un mauvais souvenir. Peut-être avais-je dit que j'avais cependant eu un gros déclic avec la musique de l'Inde du Nord : le récital de chant Gaayatri Kaundinya à Kolkata quelques mois auparavant m'avait fait apprécier ce type de musique. Il ne s'agissait pas de dhrupad, mais de khyal, qui est une forme de musique vocale plus répandue que le dhrupad.
Et puis, en juin 2011, elle m'a suggéré d'aller écouter Wasifuddin Dagar (cf. nos billets respectifs). Dans la foulée, il y eût le concert de Sayeeduddin Dagar. Après ces deux concerts, il était clair que le dhrupad me plaisait...
⁂
Le temps passe. Parfois, lors d'une discussion d'avant ou d'après concert, Klari me raconte à quel point le dhrupad lui plaît. Je laisse passer une ou deux occasions d'assister à des concerts. Et puis, elle m'annonce une conjonction favorable : sa prof va commencer un nouveau cours et organiser un stage d'initiation avec sa propre prof le week-end qui suit. Hop, je téléphone et je m'inscris. Quelques semaines se passent...
Mercredi dernier, pendant le premier cours (où nous sommes deux élèves),
nous commençons à étudier le Raga Yaman. Rien qu'à
écouter la prof prononcer des phrases musicales pour nous les faire
répéter, j'ai l'impression d'être comme à un concert... et je suis au
premier rang pour entendre le subtil raffinement de ce chant ! Quand il
s'agit de reproduire, la légère tension d'avoir à chanter (jamais fait ça
de ma vie) ajoutée à la froidure subie fait que je dois souvent reprendre
ma respiration très prématurément. Quand les notes sortent, ce ne sont pas
les bonnes, mais ce n'est pour autant pas complètement faux puisque d'après
la prof, je chante des harmoniques. Elle essaie de me guider vers la note
juste en reproduisant ma note puis en faisant du glissando vers la note
Sa
continuellement répétée par son tampura. Quelques exercices
suivent. Certaines ornementations apparaissent. Tiens, une phrase commencée
bouche ouverte se termine progressivement bouche fermée. Tiens, on répète
trois fois la même note mais elle est chantée différemment. Bref, dès la
première heure de cours, on commence déjà à entrevoir certaines directions
qui peuvent être explorées par les chanteurs de dhrupad.
Cela a continué samedi avec le stage d'initiation dirigé la prof de ma
prof. Avant de venir, j'étais loin de m'imaginer à quel point les quelques
heures de ce stage seraient enrichissantes. La prof du jour remarque
immédiatement que je ne chante pas la bonne note et me fait me rapprocher
du tampura de ma prof du mercredi pour que je l'entende mieux. Les
exercices se suivent. On explore la gamme de différentes manières, puis on
commence à travailler quelques phrases d'Alap (Raga Bhimpalasi).
En écoutant les phrases que nous devons répéter, il semble évident que s'il
est possible de faire plein de choses rien qu'avec une ou deux notes. Après
des essais collectifs, chacun des 7 ou 8 élèves répète la phrase seul et la
prof apporte des corrections. De mon côté, j'essaie de faire ce que je
peux. Il faut en effet préciser que je suis le plus béotien des présents,
tous les autres, s'ils sont certes de niveaux très variables, ont suivi des
cours depuis un an minimum... Je prends les remarques et compliments de la
prof pour la part de vérité qu'ils contiennent et surtout pour des
encouragements. Good technique, but wrong notes!
. Chez les autres,
elle va un peu plus loin en soulignant des détails dans les phrasés, et ce
toujours avec bienveillance, expliquant que toutes les variations
involontaires apportées par les élèves sont belles et pourraient être
utilisées, mais il faudrait pour cela qu'elles correspondent à une
intention.
Ces ornementations, donc, de quoi s'agit-il ? Prenez une suite de notes parfaitement justes :
En abscisse, le temps, en ordonnée la hauteur du son. C'est carré, mais c'est affreux. Typique de certaines horreurs entendues depuis quelques années (la première fois que j'ai entendu ça, c'était dans Believe de Cher). Voyez ce que ça donne sur la voix du Président américain.
En vrai, j'imagine que la courbe d'un chanteur normal serait pas mal plus arrondie. Dans le chant dhrupad, j'ai l'impression que non seulement on arrondit mais on réfléchit à la manière d'arrondir :
(PS: pour de vraies courbes tirées d'une composition, voir ce billet.)
De temps en temps, il doit bien y avoir des lignes droites, m'enfin en général tout est courbe et les possibilités sont énormes... et il ne s'agit là que d'un seul des paramètres !
Revenons au déroulé du stage. Nous avons travaillé une composition où ce type de techniques intervenaient. Comme le texte était écrit dans une langue proche du hindi, j'ai pu reconnaître que c'étaient des vers en l'honneur de Krishna. J'en ai eu la confirmation quand la prof a pris le temps d'expliquer le sens de ces vers, un égard que j'ai beaucoup apprécié ! Enfin, le cours s'est achevé paisiblement sur la syllabe ॐ.
À vrai dire, à la fin, j'ai eu un mini-cours particulier, la prof me
faisant travailler toutes les notes de la gamme jusqu'à ce que je les
chante à l'unisson avec elle, et concluant en s'exclamant auprès de la prof
du mercredi : See, the problem is fixed!
. J'ai comme l'impression
qu'il y aura un avant ce samedi 4 février et un après !
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Salle Pleyel — 2012-02-04
Eva-Marie Westbroek, soprano
Orchestre National de Lille
Evelino Pidò, direction
Ouverture des Vêpres siciliennes (Verdi)
Air Tu che le vanità de Don Carlo (Verdi)
Air Ritorna vincitor de Aïda (Verdi)
Ouverture de La Force du destin (Verdi)
Air Pace, pace mio Dio! de La Force du destin (Verdi)
Air Io son l'umile ancella de Adrienne Lecouvreur (Francesco Cilea)
Air Poveri fiori de Adrienne Lecouvreur (Francesco Cilea)
Intermezzo de Manon Lescaut (Puccini)
Air Sola, perduta, abbandonata de Manon Lescaut (Puccini)
Ballet de La Gioconda (Amilcare Ponchielli)
Suicidio! de La Gioconda (Amilcare Ponchielli)
Chanson de Vilja (Lehar)
Air Vissi d'arte de Tosca (Puccini)
J'avais prévu de longue date d'aller ce samedi à la Salle Pleyel pour écouter Eva-Maria Westbroek que j'avais eu l'occasion d'entendre dans Lady Macbeth de Mzensk de Chostakovitch (à l'époque où les classes moyennes pouvaient entrer à l'Opéra Bastille au lieu d'avoir à se contenter de retransmissions au cinéma ; rendez-nous Mortier !). Rarement un concert de musique classique m'aura autant indifféré. C'est probablement dû en partie au fait que je ne connaissais pas ou très mal les airs d'opéra interprétés. J'avais également l'impression que le chef était comme un pantin désarticulé. Pas que les musiciens aient démérités, non, simplement je n'étais pas remis des folles émotions musicales de la journée de dhrupad. J'avais une impression de trop. Trop d'effets sans cause. En particulier, la plupart des œuvres jouées pendant la premières partie étaient fortement atteintes du syndrome de l'hydravion... Et surtout, il n'y avait aucune ornementation comme celles entendues tout au long de la journée. Bref, je me sens tout à coup complètement étranger à cet univers de la musique classique. Heureusement, ce n'est qu'un état transitoire puisque la première partie du récital s'est achevée en m'enthousiasmant grâce à l'air Pace, pace mio Dio! de La Force du destin.
En deuxième partie, j'ai une impression très étrange avec les airs joués. Pas d'hydravion, mais c'est du sucré-émouvant à la sauce Puccini (que je ne déteste pas). Par ailleurs, j'ai l'impression d'entendre des fragments d'opéras découpés à la hache : tous les morceaux joués se terminent au moment précis où la chanteuse finit une phrase.
Dans ce concert, mes plus grandes satisfactions viendront de l'orchestre lors des deux extraits instrumentaux. L'Intermezzo de Manon Lescaut me séduit, notamment grâce au début qui met en valeur des solistes chez les violoncelles, altos et violons. L'œuvre qui me procure un effet tout à fait inattendu est le Ballet de La Gioconda (Ponchielli). Quelle délicieuse musique de ballet ! C'est mignon comme tout, très espiègle, mais cette musique est surtout superbement jouée par l'Orchestre National de Lille !
La chanteuse a interprété deux bis. Le premier était en allemand. Le deuxième était l'air Vissi d'arte de Tosca. Si mes sensations lors de ce concert pâtissent de ma méconnaissance de toute une partie du répertoire opératique et de la juxtaposition avec le dhrupad, au moins, les deux parties de concert se sont achevées sur des airs qui m'ont laissé une très bonne impression !
⁂
Ce matin, il me faut écouter par hasard le duo Wir eilen mit schwachen de la cantate BWV 78 de Bach pour me dire que, quand même, la musique classique europénne, ça peut parfois être presque aussi fin et subtil que le dhrupad !
"Klari est formidable". Mon dieu. L'hommage est flatteur, mais immérité. Ma prof de dhrupad ainsi que sa propre prof sont géniales, moi, je ne fais que transmettre l'info.
"Dans le chant dhrupad, j'ai l'impression que non seulement on arrondit mais on réfléchit à la manière d'arrondir". Tu peux virer le "impression que". L'arrondissage du parcours du petit avion qui vole de note en note est non seulement important, mais ets au coeur de la musique hindoustanie en général, le dhrupad en particulier. Si j'ai bien compris, la forme de la courbe d'approche contribue à identifier certains ragas similaires, basés sur la même gamme. Enfin bon, on a tout le temps de découvrir tout ceci petit à petit.
Bravo pour ton tout premier stage/cours de dhrupad !
(soit dit en passant, c'est vraiment une discipline qui met du temps à se laisser apprécier. Il s'est écoulé environ 6-7 ans entre mon premier concert de musique classique indienne et mon premier cours de dhrupad, une période comparable dans ton cas, je crois. Comme s'il fallait laisser à l'oreille le temps de développer un niveau d'exigence suffisant pour enfin apprécier le dhrupad)
« le petit avion qui vole de note en note » : J'adore !
Mon premier concert de musique classique indienne, c'était en 2006, donc il y a environ 6 ans, mais je n'ai pendant longtemps entendu cette musique que dans le cadre des recitals de danse bharatanatyam. J'ai l'impression de n'apprécier cette musique carnatique un peu au-delà du « Ouais, c'est bô ! » que depuis août dernier.
Concernant la musique du Nord spécifiquement, cela remonte à quatre ans : un CD de sarod, puis un concert de khyal de Madhup Mudgal, le récital de Ravi & Anoushka Shankar et les vingt-quatre heures du râga.
Je te remercie d'avoir posté un billet sur ce sujet, ça va m'éviter de me ridiculiser en société en parlant de "musique groupale" puisque c'est ce que j'avais compris quand on en avait parlé au brunch ^^
Vous avez des loisirs bien originaux et intrigants, ma foi, quand d'autres (comme moi) se contentent pendant leur week-end de quelques dvd et de thé avec des scones, rigueur climatique oblige...(bon et puis quand même Orphée et Eurydice hier soir, je vais pas faire ma Cosette!)
Je suis admirative :-)
@Elendae : pas de panique, hein, quand Grignotages me parle de chat-6, je comprends "chassis". ;-)
Et nous aussi, on apprécie le thé et les scones,faut pas croire
(avec du miel)
Et il parait que les maîtres de dhrupad ont un bon coup de fourchette. Quand ce ne sont pas eux-mêmes de fins cuisiniers !
@Joël : six ans, donc. C'est pas un truc pour les gens pressés !
Cela dit, je suis davantage thé que scones.
Bravo Joël pour cette nouvelle activité ! Comme l'Opéra ne veut plus de moi non plus et que je déteste l'opéra au cinéma, c'est une possibilité !
As I understand (first line of your Salle Pleyel review), you went to Salle Pleyel to listen to Eva-Maria Westbroek. It is a bit surprising to me that there isn't any mention of her in your review. That doesn't sound logical to me. Unless you didn't really like her at all. That could be the case, of course. But so far I didn't hear too many complaints about her singing, in other reveiws. I realise, you say so yourself, you're relatively new into this. But maybe in the future you could give some more attention to the main character of the recital, the singer.
If you look at the first part of the entry, you shall see that this was a completely special day for me. Had this recital been scheduled on any other day, this would have been at least good for me!
As there was only one singer, one may feel that mentioning several times her name would be redundant. As I wrote above, I really liked her "Pace, pace mio Dio!" and "Vissi d'arte".
Très sympathique et intriguant article, surtout après le brunch :) J'ai fait du chant pendant des années, et je crois comprendre ce que veulent dire tes shémas ;)En tout cas j'ai saisi le "Tiens, on répète trois fois la même note mais elle est chantée différemment". Quand on apprends à respirer, à mettre en place sa cage de résonance, son corps... on se rend compte des innombrables possibilités du chant. Et j'ai l'impression que le dhrupad pousse cette idée bien plus loin que le chant européen, et joue beaucoup sur les harmonies : quand un-e chanteur-se chante une même note, le public à force peut en entendre plusieurs.
Ceci-dit, un-e chanteur-se classique ne fait jamais de ligne droit (normalement, le son vibre, le contrôle de la respiration change forcément la note, même infiniment).
Quoique vaguement inspiré par une des phrases que l'on devait chanter, le schéma est bien sûr complètement pifométrique. Je suis ravi que tu l'aie trouvé parlant !
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