Weblog de Joël Riou

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Valérie Kanti Fernando au Centre Mandapa

2015-06-19 12:23+0100 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Centre Mandapa — 2015-05-29

Valérie Kanti Fernando, danse bharatanatyam

Harikrishna Kalyanasundaram, chorégraphies

Alarippu (Ragamalika, Khandachapu Tala)

Varnam (Ashtaragamalika, Adi Tala)

Devi Stuthi “Jai Durge” (Raga Kirwani, Tishra-nadai Adi Tala)

Javali “Saramaina Matalanta” (Raga Behag, Rupaka Tala)

Thillana (Raga Sindhu Bhairavi, Adi Tala)

Une amie m'avait fait l'éloge de Valérie Kanti Fernando lorsque je me préparais à passer quelques jours à Chennai fin 2013/début 2014. Disciple de Guru Harikrishna Kalyanasundaram qui enseigne le style de Thanjavur à Mumbai, elle allait passer son arangetram quelques mois plus tard. Je ne l'avais pas rencontrée lors de ce séjour, mais j'avais retenu son nom. Quand j'ai vu qu'elle était programmée au Centre Mandapa, j'ai regardé quelques extraits d'une de ses vidéos et quand je suis arrivé au premier extrait d'Abhinaya, j'ai été transporté en une fraction de secondes dans son univers narratif. J'ai immédiatement arrêté le visionnage en me disant qu'il serait plus intéressant de la voir danser en vrai : je préfère mille fois le spectacle vivant aux vidéos ! En me dirigeant vers le Centre Mandapa, j'avais les plus hautes attentes ; je m'attendais à un récital exceptionnel. Je n'ai pas regretté le voyage ! Cela faisait longtemps que je n'avais pas été autant ému par un récital solo ! Comme je vais tenter de la décrire plus bas, la conception de la danse proposée dans ce récital est parfaitement en phase avec mes attentes en tant que spectateur. J'ai apprécié aussi l'humilité et la sincérité de la danseuse dans sa démarche.

Valérie Kanti Fernando
Valérie Kanti Fernando ©Jihane Habachi

La première pièce du récital est un Alarippu. Avant de l'interpréter, la danseuse s'est prosternée devant la statue de Shiva située sur le côté de la scène et a salué certaines directions. Sur le délicieux rythme à cinq temps (Khanda Chapu), la danseuse exécute une chorégraphie très géométrique. Les types d'expressions qu'utilisera la danseuse au cours du récital seront très variés. J'apprécie que l'on ne voie jamais la danseuse, mais toujours le personnage qu'elle incarne ; quand il n'y a pas de personnage à incarner ou d'émotion à suggérer, j'aime la façon qu'ont certaines danseuses de proposer un visage neutre, comme un masque. Dans cet Alarippu, le mot masque s'applique pour ainsi dire littéralement. Les yeux étaient les seules parties mobiles du visage. L'absence de mouvement du reste du visage, comme si la danseuse portait un masque, mettait davantage en valeur les mouvements d'yeux, qui m'ont semblé d'une précision et d'une netteté rarement observées ! Au fur et à mesure que la pièce progresse, le caractère gracieux de la danse se fait davantage sentir. (Dans sa danse pure, j'apprécie tout particulièrement son sens du legato : les frappes de pieds sont précises et acérées, mais quand la musique le permet, les mouvements de mains remplissent les silences du temps musical.)

Intervient ensuite la pièce principale du récital, le Varnam. Selon certains maîtres de danse (je pense très fortement à Padma Bhushan C. V. Chandrasekhar), la seule chose qu'il devrait être permis de faire dans un Varnam serait d'exalter les sentiments d'une héroïne dans sa relation amoureuse et dévotionnelle avec une divinité. Nonobstant le respect dû aux aînés, je ne suis pas exactement de cet avis. J'ai certes appris à apprécier ces Varnam, mais très peu de danseuses parviennent à maintenir mon attention pendant toute la durée de ces pièces très développées quand elles sont uniquement centrées sur les sentiments de l'héroïne. La plupart des chorégraphies de Varnam intègrent néanmoins quelques digressions narratives (qu'il n'est pas toujours aisé de comprendre...). Certaines s'écartent radicalement de ce schéma. Mon premier grand émerveillement en la matière était venu d'un Varnam de la danseuse Srithika Kasturi Rangan qui mettait en scène des épisodes du Ramayana.

Le Shiva Varnam interprété par la danseuse Valérie Kanti Fernando est résolument narratif. Chacune des quatre sections de la première partie du Varnam représente un épisode mythologique en lien avec Shiva. Ils sont séparés par des passages rythmiques (jati). Le premier de ces jatis est très long et très complexe, mais me semble-t-il de très bon goût ! Les jatis se terminent par une formule rythmique très élaborée, toujours la même, d'une redoutable complexité !

Le premier épisode narratif est tiré du Shiva-Purana. Il s'agit de montrer que Shiva est le Dieu suprême. Shiva se présente sous la forme d'une colonne de lumière. Brahma et Vishnu sont mis au défi : pourront-ils atteindre les extrémités de cette colonne. Ils s'en vont chacun de leur côté (Brahma prenant l'apparence d'un cygne), mais ils n'y parviennent évidemment pas.

Le deuxième épisode est plus abstrait. Il évoque la présence de Shiva sous la forme d'un yogi ou d'un érudit. C'est celui qui apporte la connaissance.

Les troisième et quatrième épisodes m'ont semblé être des merveilles de chorégraphie, de mise en scène et d'interprétation. Le troisième épisode met en scène la vie de Markandeya, un épisode que j'avais déjà vu dansé par Janaki Rangarajan. L'épisode évoque sa naissance et le destin fatal qui est prévu pour lui. Mais l'enfant est un grand dévôt de Shiva et le jour où il est prévu que le dieu de la Mort vienne le prendre, Shiva intervient pour le sauver du lacet qui allait l'étouffer. Le lacet (une sorte de lasso) est l'arme qu'utilise Yama, le dieu de la mort, pour cueillir les vies arrivées à leur terme. Ce passage m'a semblé particulièrement bien interprété. Ceci demande à la danseuse de grandes qualités expressives et une faculté de passer d'un personnage à un autre, des qualités qui doivent être couplées à une subtile mise en espace. Il faut que les spectateurs puissent saisir plus ou moins consciemment quand la danseuse interprète tel ou tel personnage, mais il faut que ce soit fait de façon suffisamment subtile pour que le lorsque la danseuse incarne Markandeya, on ait l'illusion de continuer à voir le terrifiant Yama, et inversement, quand la danseuse incarne Yama, la souffrance de Markandeya doit rester présente dans notre esprit. Quand elles sont interprétées de façon aussi remarquable, ces scènes constituent certainement ce que je préfère voir dans toute la danse bharatanatyam.

Les qualités d'interprète précédemment évoqués ont été encore davantage mises à contribution dans la représentation du quatrième épisode qui est celui du barattage de la mer de lait, un des plus beaux mythes hindous. Dans l'iconographie, il est tellement caractéristique que l'usure du temps ne peut pas l'effacer complètement, comme sur ce temple situé à quelques centaines de mètres au Sud du temple Hoysaleshwara à Halebid :

Photo 459
Barattage de la mer de lait, Temple de Shiva, Halebid

La danseuse a magnifiquement bien interprété cette scène grandiose de la mythologie. Le serpent Vasuki est enroulé autour du mont Mandara. Les dieux et les démons se sont mis de part et d'autre du serpent et tirent pendant de longues années afin d'extraire de la mer de lait l'amrita, la liqueur d'immortalité. Dans un premier temps, c'est un terrible poison qui se répand dans l'univers. Pour éviter la destruction de toute vie, Shiva doit intervenir. Il absorde tout le poison, mais le poison s'arrête au niveau de son cou en lui laissant une marque bleue. C'est ce qui vaut à Shiva le nom de Nilakantha, celui qui a la gorge bleue. (Quand le texte de certains compositions de danse utilisent ce nom, certaines chorégraphies font de très brèves références à l'absorption du poison par Shiva. J'aime ce type de références en général, et à cet épisode en particulier, mais plutôt que de le voir évoqué en un ou deux gestes, je préfère de très loin en voir des représentations très élaborées comme c'était le cas dans ce Shiva Varnam !) Dans la version présentée par la danseuse, il y avait un détail que je ne connaissais pas par mes lectures et que j'ai trouvé intéressant : quand Shiva boit le poison, son épouse Parvati intervient pour bloquer le poison au niveau de son cou.

La transition s'opère ensuite pour la deuxième grande partie du Varnam. Cela faisait un moment que j'avais intégré par mon expérience de spectateur la structure en deux grandes parties des Varnam, mais avant ce récital, je ne l'avais jamais perçue de façon aussi nette et consciente. Dans cette deuxième partie Charanam, la musique et la danse se font plus enjouées. Les jatis ou passages rythmiques ne sont plus accompagnés de syllabes rythmiques, mais par un véritable chant (n'utilisant pas de texte poétique, mais le nom des notes chantées). Ces séquences rythmiques s'insèrent d'autant plus harmonieusement dans la structure mélodique de la musique qu'ils ne sont plus délimités par les austères formules rythmiques Dhalang... ginatom comme dans la première grande partie.

Dans ce flot de musique et de danse, on perçoit l'évocation de Shiva comme Tripurantaka, celui qui a détruit la triple-ville de Tripura. La version du mythe présentée est quelque peu différente de celle que je connais par mes lectures et que par le hasard du calendrier, j'aurai l'occasion d'essayer de pratiquer avec d'autres le week-end suivant lors d'un stage avec la danseuse Sucheta Chapekar qui nous transmettra l'Abhinaya-Pada “Aghatita, Saye, Shivalila” du roi Serfoji II de Thanjavur (1799-1832), lequel met aussi en scène la grandiose scène dans laquelle Shiva détruit le triple-démon Tripurasura. Le texte de cette composition et la chorégraphie montrée par Sucheta Chapekar sont très conformes à l'iconographie :

Shiva Tripurantaka
Shiva Tripurantaka ©Clinton Steeds

Par leur ascèse, les trois démons avaient obtenu les faveurs de Brahma. Comme tant d'autres démons, ils lui ont demandé l'invincibilité. Ils ont ensuite conquis les trois mondes et se sont crus invulnérables, mais en leur accordant ce don, Brahma avait ajouté des clauses en petits caractères : ils ne pourraient être détruits que dans des circonstances invraisemblables ; en particulier, pour pouvoir être détruits, il faudrait qu'une flèche les atteigne tous les trois en une seule fois ! C'est évidemment ce qui se produira, et si Shiva aura le premier rôle dans cet exploit, tous les divinités seront de la partie. Les roues du char de Shiva sont la Lune et le Soleil. Le cocher est Brahma et les chevaux sont les quatre Veda, etc. D'une seule flèche, Shiva détruit simultanément la triple-ville de Tripura.

La version du mythe présentée dans ce Varnam chorégraphié par Guru Harikrishna Kalyanasundaram est plus métaphorique. Si j'ai bien suivi, Shiva annihile l'arrogance sans utiliser la moindre arme. Il ne s'agit pas seulement de l'arrogance des trois démons Tripurasura, mais aussi de celle de tous les dévôts. Peut-être s'agit-il là d'une influence de Patanjali auquel la chorégraphie fait allusion un peu plus loin, ainsi qu'à Vyaghrapada. Ils assistent à la danse Tandava de Shiva. Certains passages sont particulièrement impressionnants ; sauf erreur de ma part, c'est dans cette section que l'on verra la danseuse adopter quelques postures typiques de Shiva exigeant une certaine souplesse (et qu'Anusha Cherer avait aussi représentées quelques jours plus tôt). Elle exécute aussi des rotations sur les genoux, ce que je n'avais que très rarement vu.

La pièce suivante Jai Durge représente la dévotion à la Déesse sous la nom de Durga sur un rythme utilisant des subdivisions ternaires du cycle à huit temps Adi Tala. La danseuse montre Durga dans certaines postures caractéristiques et il m'a semblé reconnaître une évocation de la mort du démon Shumbha.

Le Varnam et la pièce précédente mettaient en scène des divinités ou des démons dans des scènes grandioses de la mythologie indienne. Cela reposait sur une très solide mise en scène et exigeait un certain travail d'expression du visage. Bien que ces scènes fussent très élaborées, elles n'exigeaient cependant peut-être pas tout-à-fait le même travail d'expression, du visage notamment, que celui que l'on peut observer dans des pièces de pur Abhinaya, comme certains Padams, Javalis ou Ashtapadis qui prêtent aux personnages des sentiments bien plus humains... C'est de cela qu'il s'agira principalement dans le Javali “Saramaina Matalanta” dû à Swati Tirunal que la danseuse a interprété ensuite. Comme dans beaucoup de pièces composées par ce poète, il sera question de Krishna. Près de trois semaines après ce récital, je ne me souviens pas de beaucoup de détails précis, mais je garde l'impression d'un émerveillement devant le talent d'interprétation de Valérie Kanti Fernando dans cette pièce très expressive. Une jeune femme attend son bien-aimé Krishna. Elle veille, elle allume une bougie. Elle attend toute la nuit et ne sait trop comment agir quand il arrive enfin... Peut-être lui reproche-t-elle son inconstance quand la danseuse évoque le son de sa flûte qui enchante le cœur des bergères (le texte de la composition utilise le nom Kamakoti qui prend tout son nom quand on sait que Kama signifie Amour et koti 1,00,00,000, c'est-à-dire dix millions, en tout cas beaucoup !). La chorégraphie identifie aussi très clairement Krishna à Vishnu, puisque seront notamment représentés la conque et le disque, l'aigle Garuda qui est sa monture, et le serpent Shesha.

Le récital se termine par un Tillana dont la chorégraphie comportait si je me souviens bien ce qui constitue à mon goût la plus belle image de toute l'iconographie indienne : Vishnu couché sur le serpent Shesha.

Un immense bravo et un grand merci à la danseuse pour ce récital !

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Anusha Cherer au Centre Mandapa

2015-06-12 13:45+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Centre Mandapa — 2015-05-19

Anusha Cherer, danse bharatanatyam

Shambhu Natanam (Khandachapu Tala)

Ananda Nadamitan Pada (Adi Tala)

Ardhanarishwara Ashtakam (Raga Megh, Adi Tala)

Jaya Durge (Adi Tala)

Shringara Lahari (Adi Tala)

Tillana (Raga Amritavarshini, Adi Tala)

Ce récital de bharatanatyam d'Anusha Cherer que je voyais danser pour la première fois n'avait pas la forme traditionnelle Margam : cela a été un récital thématique sur le thème de Shiva & Shakti. Toutes les pièces du récital ont été consacrées à ces divinités. Aucune des pièces n'était de danse pure, mais pourtant la technique a joué un rôle très important dans la plupart des pièces du récital ; les gestes signifiants évoquent divers aspects ou attributs des divinités, mais ne racontent pas véritablement d'histoire. On est davantage dans l'évocation que dans la narration. Je n'avais malheureusement pas pu assister à un autre de ses récitals il y a quelques mois qui était centré sur le thème de Krishna, pour lequel le répertoire de pièces d'Abhinaya est vaste : dans la mythologie hindoue, le personnage de Krishna apparaît bien plus terreste ou humain que Shiva... Il existe cependant dans le répertoire quelques pièces élaborées de pur Abhinaya mettant en scène Shiva ; il est par exemple possible de raconter sa rencontre avec Parvati. Il n'y a pas eu de pièce de ce type dans le récital d'Anusha Cherer. C'est a priori dommage, mais au final, cela ne m'a pas tant gêné puisque l'avant-dernière pièce du récital sera émotionnellement aussi passionnante que bien des pièces élaborées d'Abhinaya. La technique de la danseuse mise en valeur dans les pièces les plus vives révèle une exquise association entre un haut du corps élégant et une échelle d'intensité rarement observée dans les frappes de pieds. J'ai déjà eu l'occasion d'être presque horrifié par des frappes de pieds uniformément violentes (cf. le récital d'odissi de Lingaraj Pradhan et Sanjukta Dutta). Dans son récital, Anusha Cherer a fait au contraire un usage intéressant de la dynamique, certaines frappes de pieds étant davantage marquées que d'autres, et ce de façon intéressante dans le contexte de la pièce interprétée. Le fait de centrer un récital sur un thème donné fait courir le risque de présenter un propos qui se répète quelque peu au cours du récital. Malgré le thème commun de Shiva et Shakti pour toutes les pièces, le récital d'Anusha Cherer a été ainsi construit que je n'ai pas éprouvé de sentiment de déjà vu pendant le spectacle.

La première pièce du récital est Shambhu Natanam chorégraphié par Vidhya Subramanian ; celle-ci l'avait d'ailleurs interprétée lors de ses récitals aux Musée Guimet. Le rythme à cinq temps est très marqué dans cette pièce, les pieds répétant souvent les pas correspondant aux syllabes ta-ka-ta-ki-ta. J'ai été étonné par une partie du texte de présentation décrivant Shiva comme destructeur des trois mondes : la chorégraphie et le texte le décrivent semble-t-il davantage en destructeur de la triple ville de Tripura.

La pièce suivante évoque joyeusement Shiva. Comme dans la pièce précédente, les mouvements du haut du corps sont très souvent accompagnées de frappes de pieds Tattu Muttu utilisant cette fois-ci quatre subdivisions plutôt que cinq. Shiva est représenté en yogi, avec sa chevelure et sa peau de tigre. On le voit aussi écraser le démon de l'ignorance Apasmara. Le chant de son épouse Parvati est comparé à celui d'un oiseau. Dans le détail de la chorégraphie, j'ai particulièrement apprécié un très élégant rond de jambe à terre se terminant en pirouette. La pièce s'est terminée sur une pose exigeant une certaine souplesse. Dans une des pièces du récital, je ne sais plus si c'est celle-ci ou une autre, la danseuse a adopté une autre pose caractéristique de Shiva qui est rarement représentée : la danseuse se tient droite, la jambe gauche est tendue vers le côté (opposé) et elle attrape son pied avec sa main. Je n'avais vu cette prouesse que deux fois avant ce récital. (Les circonstances ont fait que j'ai eu dans les jours qui suivirent ce récital d'autres occasions d'observer, voir de tenter d'adopter cette position...)

Anusha Cherer
Anusha Cherer ©Gaëlle Devulder

La pièce suivante Ardhanarishwara Ashtakam a été chorégraphiée par Rama Vaidyanathan. L'introduction de l'enregistrement musical de cette pièce est une des plus belles musiques qu'il m'ait été donné d'entendre lors d'un récital de danse. Il s'agit d'un duo de flûtes. La pièce dansée met ensuite en scène un duo de personnages, Shiva et Parvati, et la danseuse passe élégamment d'un personnage à l'autre. La danse de Shiva est accompagnées d'onomatopées tandis que les sons les plus mélodieux accompagnent celle de Parvati. Ils sont unis, mais différents. Parvati porte de la poudre rouge sur le front tandis que celui de Shiva est recouvert de cendres. Le sourire de Parvati contraste avec le regard foudroyant de Shiva. L'un est le lingam, l'autre est le yoni. La pièce comporte des moments de danse extrêmement vifs !

Vient ensuite Jaya Durge (chorégraphie de Vidhya Subramanian), une pièce en Adi Tala (8 temps) mais ayant comporté une introduction rythmique en Khanda Chapu (5 temps). La pièce représente Durga comme victorieuse de Mahishasura et de Shumbha. Elle identifiée à la connaissance symbolisée par les quatre Veda. La chorégraphie évoque les armes qu'elle porte à ses huit bras. Le caractère dévotionnel de cette composition est représenté par de joyeux rites d'adoration. La pièce se termine sur une pose caractéristique de la Déesse portant le trident, un des pieds montant à la hauteur de l'autre genou (retiré).

Dans les pièces précédentes, la danseuse a fait preuve de très belles qualités d'interprétation dans des chorégraphies aux rythmes très vifs. Cependant, en général, ce ne sont pas ces pièces-là qui m'impressionnent le plus. La pièce qui va suivre et chorégraphiée par U. S. Krishna Rao n'est pas exactement une pièce de pur Abhinaya comme le sont la plupart des Padam et les Ashtapadi. Le rythme est en effet très important dans cette pièce Shringara Lahari (Adi Tala). Néanmoins, le tempo est lent et la musique méditative créée une atmosphère propice à l'exaltation des sentiments qui lient Parvati à Shiva. Cette magnifique pièce a été à mon goût la plus émouvante du récital. Parmi les détails de la chorégraphie, je retiens le chant de Parvati qui a séduit Shiva, son visage en forme de Lune et la comparaison entre ses cheveux et un essaim d'abeilles.

Le récital s'est conclut par un Tillana en Adi Tala et Raga Amritavarshini, celui-là même qu'avait interprété Vidhya Subramanian au Musée Guimet. Le texte et la chorégraphie évoquent Muruga, le fils au beau visage de Shiva et Shakti. En me relisant, je constate que je ne l'avais déjà pas trop mal compris au premier visionnage :-) mais cette fois-ci cela m'a semblé absolument limpide. La monture de Muruga est le paon, et ainsi la danse d'Anusha Cherer se métamorphose en celle d'un paon dans la fin de la pièce. Ce passage-là était absolument irrésistible !

Anusha Cherer
Anusha Cherer ©Gaëlle Devulder

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Sreyashi Dey et ses filles au Centre Mandapa

2015-06-10 15:35+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Centre Mandapa — 2015-05-16

Sreyashi Dey, Ishika & Kritika Rajan, danse odissi

Navadurga

Gitagovinda

Bilahari Pallavi

Mokshya

Il me semble que tous les interprètes d'odissi ou presque que j'avais vu jusqu'à ce récital appartenaient à la lignée du guru Kelucharan Mohapatra. La diversité de styles ou d'écoles qui existent dans d'autres danses classiques de l'Inde est beaucoup moins visible dans la danse odissi. Il était donc particulièrement intéressant pour moi de voir ce récital de Sreyashi Dey qui est une disciple de Guru Gangadhar Pradhan. Elle était accompagnée pour ce spectacle par ses deux filles jumelles Ishika & Kritika Rajan.

La première pièce est Navadurga : il s'agit de présenter neuf aspects de la Déesse. Je retiens surtout la forme guerrière de la Déesse soulignée par la mise en scène. La Déesse est interprétée par la mère tandis que les deux filles jumelles de Sreyashi Dey interprètent les deux démons Shumbha et Nishumbha qui sont vaincus par la Déesse. Plus loin, quand elle est présentée sous le nom de Mahishasuramardini, une des jumelles représente le tigre qui sert de monture à Durga quand elle tue Mahishasura.

Sreyashi Dey interprète ensuite une longue séquence d'Abhinaya intitulée tout simplement Gita-Govinda. Il ne s'agira pas de représenter un seul Ashtapadi de cette œuvre qui en compte vingt-quatre, mais d'en interpréter huit extraits ! C'est la première fois que je vois ça ! Il y a là une énorme différence de conception de l'Abhinaya entre l'école de cette interprète et toutes les autres que j'ai pu voir, que ce soit en odissi ou en bharatanatyam. Habituellement, une seule (ou éventuellement deux) chansons extraites du Gita-Govinda peuvent être interprétées et chacune est très élaborée, s'étendant sur une bonne dizaine de minutes, et les répétitions du texte permettent à l'interprète d'élaborer et d'exalter les sentiments de Radha. Dans ce récital, à part le refrain, chaque ligne du texte des chansons n'a été me semble-t-il été prononcée qu'une seule fois. Si je n'ai pas été autant ému que par d'autres interprétations, notamment quand la danseuse a dansé Sakhi He, j'ai apprécié son style gracieux et élégant. L'interprétation, forcément plus littérale du fait de l'absence de répétitions, m'a semblé très lisible. Cependant, j'ai davantage eu le sentiment que l'interprète racontait une histoire plus qu'elle ne l'incarnait.

Les deux filles Ishika & Kritika interprètent ensuite en duo un Pallavi en Raga Bilahari dont je me surprends à reconnaître la gamme ascendante ressemble beaucoup à celle du Raga Bhupali (hindustani). Il s'agit d'une pièce de danse pure dont la difficulté technique augmente progressivement jusqu'à devenir un déluge de virtuosité !

Ce beau récital se conclut par Mokshya, une pièce dans laquelle, si j'ai bien entendu le texte, Sreyashi Dey invoque successivement Agni (le Feu), Vayu (le vent), Surya (le Soleil), Chandra (la Lune) et Prithivi (la Terre) avant de retourner au son primordial Om.

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