« Gustav Leonhardt aux Bouffes du Nord | Prix Biblioblog 2011 »
2011-03-02 10:50+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Opéra
Opéra Bastille — 2011-03-01
Torsten Kerl, Siegfried
Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, Mime
Juha Uusitalo, Der Wanderer
Peter Sidhom, Alberich
Stephen Milling, Fafner
Qiu Lin Zhang, Erda
Elena Tsallagova, Waldvogel
Katarina Dalayman, Brünnhilde
Philippe Jordan, direction musicale
Günter Krämer, mise en scène
Jürgen Bäckmann, décors
Falk Bauer, costumes
Diego Leetz, lumières
Otto Pichler, chorégraphie
Orchestre de l'Opéra national de Paris
Vladimir Dubois, cor solo
Siegfried, Wagner
Cette soirée de première avait plutôt mal commencé. Il y a eu un embouteillage à l'entrée de la porte 15. On a éteint les lumières alors qu'il restait une bonne vingtaine de personnes à placer (et ce n'étaient pas des retardataires : cela a bouchonné bien vingt minutes avant le lever de rideau). Avec le bruit de tous les fantômes qui cherchaient leurs sièges, je n'ai pas vraiment pu apprécier dans de bonnes conditions les premières minutes de musique qui évoquent notamment le Dragon.
Depuis L'Or du Rhin, le géant Fafner a en effet pris cette forme et veille sur le trésor qu'il a récupéré. Lors de La Walkyrie, Siegfried a été conçu par Siegmund et Sieglinde et il pu vivre grâce à l'aide prodiguée par Brünnhilde qui avait suivi l'ordre d'aider Siegmund que Wotan avait pourtant retiré. Elle en avait été punie ainsi : elle sommeillerait dans un endroit inaccessible aux peureux jusqu'à ce que Siegfried vienne la libérer.
C'est ainsi que va se conclure Siegfried. Avant cela, on aura eu un aperçu de son enfance avec Mime qui l'a recueilli dans le but de l'utiliser pour s'octroyer l'Anneau. Le jeune homme, vif, n'est pas très heureux avec lui. À la fin du premier acte, il forge Notung, l'épée de Siegmund que Wotan avait brisée et que Mime avait été incapable de reconstituer jusque là.
Au deuxième acte, il tue Fafner. En léchant quelques gouttes de sang du géant restées sur l'épée, il obtient la connaissance du langage des oiseaux. L'un d'entre eux lui fait un résumé de la tétralogie et lui explique que c'est le moment d'aller rejoindre sa future épouse.
Enfin, au troisième acte, il l'a réveille. Il l'a prend d'abord pour sa mère. Il ne comprend pas ce qui lui arrive. Il a peur. Il l'aime. Brünnhilde lui fait la suite du résumé, puis hésite à accepter son amour. Quand elle a renoncé à son statut d'autrefois pour celui de simple mortelle, les deux amoureux peuvent enfin être unis.
(J'ai résumé très grossièrement l'intrigue. Parmi les personnages
principaux, il faut aussi mentionner Wotan qui est Le Voyageur
qui
vient mettre son grain de sel un peu partout. Il vient fichtre les jetons à
Mime au premier acte. Il embête Alberich et Fafner au deuxième. Au
troisième, il réveille Erda de son sommeil infini, décide de laisser
Siegfried accomplir son destin, mais trouve quand même le moyen de le
contrarier en lui barrant provisoirement le chemin menant au séjour de
Brünnhilde ; il est vrai que Siegfried se comportait avec lui de façon un
peu fruste.)
Si je n'avais vraiment pas aimé les deux premiers volets de cette production Günter Krämer, je suis plus enthousiasmé par celui-ci. (Cela dit, je m'inquiète un peu sur la cohérence de l'ensemble des opéras de la tétralogie. Si pour le moment, on retrouve des éléments communs (l'escalier conduisant au Walhalla, les lettres Fraktur, le grand miroir), au niveau des costumes, on aura un peu tout vu. Peut-être faut-il y voir une dégradation progressive du statut des personnages (et des dieux en particulier) au fur et à mesure qu'on avance ?)
Le décor du premier acte représente l'endroit où vivent Mime et
Siegfried. Comme nous sommes chez les Nibelungen, on voit sur la gauche une
sorte de village de nains de jardins. Les deux semblent vivre en marge du
monde. Mime n'inspire pas confiance, le look de Siegfried fait un peu
junkie. On voit d'ailleurs une plantation de cannabis sur la
droite. Quand Wotan vient voir Mime pour lui demander l'hospitalité en
l'échange de la réponse à trois questions, il est habillé en clochard et à
l'attitude de Mime, il est manifeste qu'il sent très mauvais. Quand Wotan
se sera fait reconnaître, il enlèvera son pardessus pour laisser paraître
un costume grisâtre et un pantalon crotté. Plus tard, il paraîtra en noir
avec chapeau. Dans ce décor, il y a aussi un ascenseur par lequel descend
l'ours ami de Siegfried pour venir sur scène. On voit aussi un écran de
télévision noir et blanc, qui lorsque Mime voudra apprendre la peur à
Siegfried (parce que dans la malédiction de
brâhm...^W^W^W
prédiction funeste de Wotan, la tête de Mime
sera prise par celui qui ne connaît pas la peur), ceux qui ont de bons yeux
ou des jumelles verront un film mettant en scène quelque reptile. À la fin
de l'acte, le décor va se surélever pour laisser paraître la magnifique
forge située en-dessous. Le chant des soufflets
est facile à
reconnaître puisqu'on voit Siegfried actionner un soufflet avec le pied !
On entend un très joli motif joué par les cordes quand l'acier fond : des
notes détachées alternent, puis les notes deviennent liées. (On le réentend
au deuxième acte, je ne sais plus dans quel contexte, joué par des
instruments à vents.) Petit incident de mise en scène quand Siegfried
travaille le métal sur l'enclume en rythme comme le demande la partition :
il a cassé le marteau. Torsten Kerl en a saisi un autre, mais il ne faisait
plus du tout le même bruit !
Lors du deuxième acte, le sol est recouvert de feuilles. Des petits hommes verts (complètement nus) trimbalent le trésor de l'Or du Rhin en procession. Quand ils ouvrent les caisses, ce sont en fait des armes qu'ils sortent. Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris tous ce qui se passait au niveau du décor, mais c'était certainement très-esthétique. Il m'a paru plausible que la sorte de dais un peu gris que l'on voit onduler au début de l'acte sur toute la largeur de la scène représente le dragon, mais je n'en suis pas sûr. Quand Fafner est tué et que Siegfried lèche son épée, on ne voit pas de sang ; je trouve que c'est un peu dommage. Je n'ai pas trouvé très convaincante la façon dont on a fait jouer le rôle de l'oiseau à un enfant (qui essaie de se faire comprendre de Siegfried en faisant des gestes des mains). Pourquoi n'avoir pas fait jouer ce rôle par la chanteuse Elena Tsallagova ? Quand les flammes qui entourent Brünnhilde sont évoquées, on les voit projetées sur un écran.
Visuellement, le début du troisième acte était très beau. Les nornes
parées de voiles sont installées à des tables comme dans une bibliothèque
(lumières vertes, la couleur qui domine cet opéra, jusqu'à avoir été
choisie pour être la couleur du programme, après l'or et le rouge pour les
deux précédents) et lisent ce qui doit être le livre de l'avenir. La scène
entre Siegfried et Wotan se passe à l'avant-scène, rideau baissé, ce qui
permet la mise en place du décor de la dernière scène. Il y a à ce
moment-là un temps mort dans la mise en scène : on a l'impression qu'il n'y
a pas que Brünnhilde qui doit être réveillée, mais aussi Siegfried. On
retrouve l'escalier qui conduisait au Walhalla aperçu dans les opéras
précédents. Le feu est visible sur les trois grosses lettres Ger
qui
jonchent l'escalier. Brünnhilde est installée à mi-hauteur sur une petite
plate-forme posée sur une marche. Il n'y a pas de cohérence avec le moment
où on l'a quittée dans La Walkyrie puisqu'elle s'était alors
réfugiée sous une table (un mouvement que je n'avais pas compris dans
l'instant...) Étant entendu que c'est un escalier qui relie la terre aux
nuées, qu'elle soit alors dans une position intermédiaire et que, devenue
résolument une simple mortelle, elle finisse, à la fin de l'opéra, en bas
de l'escalier avec Siegfried n'est pas si mal trouvé que ça.
Si je me suis plus facilement laissé convaincre par cette production, outre ses qualités, c'est peut-être aussi parce que l'essentiel de mon attention était tournée vers la musique. Je m'y étais préparé depuis janvier, voir notamment cette entrée. En lisant Le Voyage Artistique à Bayreuth, je me suis familiarisé avec les motifs principaux que l'on entend dans la tétralogie 1. La difficulté par rapport à un opéra isolé est que beaucoup de motifs ont déjà été introduits lors des opéras précédents et que Wagner en réutilise évidemment beaucoup !
Bien que lors des deux volets précédents je m'étais préparé aussi un tout petit peu en les visionnant en DVD, cette préparation plus poussée a complètement changé mon expérience de spectateur. C'est un contentement d'une nature très différente de ceux, plus immédiats, que peut me procurer l'écoute d'autres musiques, c'est plus contenu, mais c'est au moins aussi bon ! Quand on a le dictionnaire en tête, presqu'à chaque instant, quand l'orchestre s'anime, on comprend l'idée que le compositeur veut évoquer. Quand Mime et Wotan se posent à l'un et à l'autre des questions au premier acte, la réponse est déjà dans la musique au moment où la question est posée ! Quand on veut nous faire comprendre que le Voyageur est Wotan, on entend le motif du Walhalla (qui me semble dans Siegfried évoquer plus souvent Wotan que le Walhalla). Le motif qui traverse tout l'opéra et qui a été annoncé dès la fin de La Walkyrie, c'est le motif de Siegfried, gardien de l'épée :
Il y en a tant d'autres qui sont beaux qu'il n'y aurait aucun intérêt à les citer tous. Parfois, on entend un déluge de motifs où l'on ne sait pas très bien quand celui-ci ou celui-là commence ou finit. D'autres fois, on sent que le compositeur s'est amusé à en dévoyer quelques uns : ce qui m'a frappé lors de cette écoute, c'est l'aspect peu glorieux que prend à un moment donné du premier acte le motif de la Compassion (qui s'est surtout appliqué à Sieglinde vis-à-vis de Siegmund lors de La Walkyrie) : façon de nous dire que Mime n'était pas sans arrière-pensées quand il a recueilli Siegfried.
Sur l'interprétation de l'orchestre, j'ai été parfois un peu dubitatif lors du premier acte (par exemple, du côté des cuivres lors de la première mention du Walhalla). Lors des deux derniers actes, je me suis régalé comme jamais ! (Ceux qui doutent que Philippe Jordan puisse faire jouer l'orchestre ff seront peut-être surpris par le superbe crescendo qui accompagne le Salut au monde de Brünnhilde.)
Du côté du chant, cela a semblé assez inégal. J'ai été tout particulièrement impressionné par Stephen Milling (Fafner) et Katarina Dalayman (Brünnhilde). J'ai bien aimé Elena Tsallagova (L'oiseau), Qiu Lin Zhang (Erda) et Peter Sidhom (Alberich). Le Mime de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke était plus que convaincant, mais il y a par exemple quelques moment du premier acte où les choix ou les impératifs d'interprétation m'ont un peu déplu (c'est parfaitement subjectif). À propos de Torsten Kerl (Siegfried) et Juha Uusitalo (Der Wanderer), si leur chant était intéressant à écouter quand l'orchestre était silencieux ou presque, quand le volume de l'orchestre se faisait plus fort, je ne les entendais pratiquement pas.
Les huées qui ont accompagné l'arrivée de l'équipe de production lors des saluts m'ont vraiment fait mal au cœur. C'est un peu tard pour acheter des places pour les représentations qui vont suivre (sur Internet, il n'en reste qu'à 160€ et 180€), mais cela vaut peut-être le coup de tenter les places à 5€.
PS: (Après la représentation du 11 mars où j'ai eu une place debout puis un strapontin au parterre.) La mise en scène paraît beaucoup plus belle et convaincante depuis le parterre. Ainsi, on n'est pas gêné par les quelques baissers de rideaux réduisant la profondeur lors de plusieurs scènes puisque celle-ci se fait moins sentir en vue rasante. Par ailleurs, le décor du deuxième acte, juste beau, devient intelligent : la sorte de dais représente la forêt, le bas flottant de ce dais délimite horizontalement la forêt et le monde souterrain, l'antre du dragon. Torsten Kerl (Siegfried) et surtout Juha Uusitalo (Der Wanderer) étaient en meilleure forme que lors de la première.
Ailleurs : David, Palpatine, Zvezdo, Paris — Broadway, Klari.
[1] Rétrospectivement, je pense que la méthode la plus simple pour ce faire serait de visionner un DVD ou d'écouter des CD en (re)lisant simultanément l'analyse musicale des opéras qui est faite dans Le Voyage Artistique à Bayreuth : tout apparaît clairement. Au besoin, on peut s'aider de l'aide-mémoire que je me suis fait. Retrouver en quelques secondes un motif dans le livre n'est pas très facile (que ce soit avec un vieux livre de 1903 ou un long fichier PDF). Par ailleurs, dans la réduction pour piano et voix de ce livre, si comme moi on est pas doué, on ne voit pas forcément immédiatement où est la substantifique moëlle du motif. J'ai essayé de ne garder que ce qui est important. Il n'est pas exclu que je me sois parfois trompé.
Quelle belle idée que ton aide-mémoire ! le film sur l'écran de TV est Siegfried de Fritz Lang (voir David). J'étais au parterre à proximité des hueurs et j'étais également très gênée ! L'orchestre est grandiose !
De Fritz Lang, je crois bien n'avoir vu que _Le tombeau hindou_...
Alors tu peux commencer une rétrospective ! c'est passionnant !
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