Weblog de Joël Riou

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Kalpana au Centre Mandapa

2019-06-22 14:11+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Centre Mandapa — 2019-04-11

Kalpana, bharatanatyam

Emmanuelle Martin, chant carnatique

Venkat Krishnan, mridangam

Offrande de fleurs et Shloka “Mūṣikavāhana” (Raga Natai, chorégraphie de Kalanidhi Narayanan)

Muruga Kautwam (Raga Shanmukhapriya, Chatushra Ekam Tala, chorégraphie de Muthuswamy Pillai)

Jatiswaram (Raga Vasanta, Rupaka Tala, composition du Thanjavur Quartette, chorégraphie de Muthuswamy Pillai)

Kalaitooki (Raga Harikamboji, Adi Tala, composition de Marimuttu Pillai, chorégraphie de Muthuswamy Pillai)

Kṛṣṇakarṇāmṛtam (Shloka) “Rāmo nāma babhūva” (Ragamalika, poème de Bilvamangala, chorégraphie de Kalanidhi Narayanan)

Kriti “Sukhi Evaro” (Raga Kanada, Adi Tala, composition de Tyagaraja)

Tillana (Raga Shankarabharanam, Adi Tala, composition de Pooci Srinivasan Iyengar, chorégraphie de Muthuswamy Pillai)

Annapūrṇāstotram (deux shlokas) (poèmes d'Adi Shankaracharya, chorégraphie de Kalanidhi Narayanan)

J'ai déjà eu plusieurs fois l'occasion de voir danser Kalpana (notamment en 2015, 2017). Je respecte son parcours auprès de ses gurus V. S. Muthuswamy Pillai et Kalanidhi Narayanan, et son travail de professeur qui lors de spectacles de ses élèves m'a permis de voir des chorégraphies de Muthuswamy Pillai et de son fils Kuttalam M. Selvam : j'avais déjà eu l'occasion de voir ce style chez Mallika Thalak, Nancy Boissel, Ofra Hoffman, mais ce fut un récital d'élèves de Kalpana qui en 2015 qui me fit franchir le pas et envisager sérieusement de recevoir l'enseignement de Guru Kuttalam M. Selvam à Chennai, auprès de qui je prends des cours plusieurs semaines par an depuis. Je lui suis donc reconnaissant pour cela ainsi que pour quelques unes de ses initiatives, comme par exemple une Master-class avec Malavika Klein, la doyenne des danseuses et danseurs de bharatanatyam en France, à laquelle j'ai eu le privilège de pouvoir participer.

Je voudrais rappeler que si je suis ici souvent critique sur certains aspects de récitals auxquels j'assiste, il ne s'agit aucunement d'attaques personnelles : je tente de rendre compte de mon expérience esthétique, qui relève de mon ressenti lors d'un spectacle tout en étant indissociable de connaissances progressivement acquises au fil des années sur la forme artistique. Ainsi, certaines de mes remarques sont plutôt objectives puisque l'on peut considérer qu'elles reposent sur des faits (est-ce que les pas de danse sont exécutés de façon musicale ?) et d'autres sont plus subjectives (place d'une pièce comme Eppadi manam dans le répertoire). Sur ce qui est de nature plutôt objective, il peut m'arriver de me tromper (et je revendique le fait d'écrire mes billets avec une clarté suffisante pour qu'il soit au moins possible de pointer une erreur factuelle), et sur ce qui est plus subjectif, il peut exister plusieurs opinions, et je serais ravi de discuter de tels différends esthétiques.

Ce double préambule ayant été fait, venons-en au récital du 11 avril. J'aurais sincèrement aimé apprécier ce récital, mais je n'ai pas pu le regarder sans éprouver un certain malaise.

La première double pièce du récital était accompagnée par la chanteuse Emmanuelle Martin pour qui j'ai la plus grande admiration. Cependant, j'ai peu goûté la première chorégraphie intitulée Offrande de fleurs qui m'a semblé très austère, quasiment funèbre, à l'exact opposé de l'atmosphère pleine de vie habituellement créée par un Pushpanjali. Cette offrande était accompagnée d'un Alap, donc sans pulsation rythmique régulière, et la chorégraphie consistait principalement en une salutation aux points cardinaux entrecoupée de longs moments d'immobilité. La danseuse a ensuite interprété le Shloka Mūṣikavāhana dédié à Ganesh, celui dont le véhicule est une souris.

Les trois pièces suivantes utilisaient des musiques enregistrées dans lesquelles on pouvait entendre le magnifique chanteur Madurai T. Sethuraman. Dans le Muruga Kautwam et encore plus particulièrement dans le Jatiswaram, j'ai été très gêné par le manque de musicalité dans l'interprétation des passages techniques. Pour moi, le bruit des pas fait partie intégrante de la composante musicale de la danse bharatanatyam, et il ne s'agit pas là de frapper tous les pas comme une brute. Au minimum, les mouvements doivent être exécutés en rythme, mais je pense qu'idéalement, on devrait pouvoir entendre la composition rythmique des enchaînements rien qu'en écoutant les pas. Le génie du chorégraphe Muthuswamy Pillai réside à mon avis autant dans sa façon particulière de créer des adavus et d'utiliser l'espace que dans la complexité de ses compositions rythmiques. Je ne peux apprécier ce dernier aspect quand les mouvements de pieds “diditai” sont escamotés ou à peine esquissés, et toujours inaudibles. La plupart du temps, les pas ne sont pas du tout frappés, et pour certains adavus, certains pas qui devraient être accentués sont silencieux et d'autres bizaremment plus frappés. Cela m'aurait peut-être moins perturbé si mon placement m'avait permis de voir les pieds de la danseuse à tout moment, mais cela m'a procuré une sensation vraiment très étrange de dissonance cognitive entre les motifs rythmiques que je percevais dans la musique enregistrée, les mouvements de bras que je voyais et les pas que j'entendais ou non. Pour moi, c'est une frustration énorme : le génie du chorégraphe n'est pas avec nous pendant la représentation. Cela dit, c'est un aspect du bharatanatyam qui pose problème avec beaucoup de praticiens de cette danse en France...

La pièce Kalaitooki a certainement été la pièce la mieux réussie dans ce début de ce récital. La pièce évoque Shiva, qui a le pied levé, lorsqu'il danse au temple de Chidambaram. Il est le père de Muruga. C'est aussi Ardhanarishwara ; il porte la Ganga et la Lune. Sa danse est accompagnée par le tambour de Nandi, Narada, les thalams de Brahma, etc. Le texte et la chorégraphie évoquent aussi l'apparition de Shiva sous la forme d'une colonne de lumière infinie dont Vishnu et Brahma furent mis au défi d'atteindre une extrémité. La chorégraphie représente Vishnu tentant de rejoindre le bas, mais semble-t-il pas la tentative de Brahma d'atteindre le haut.

J'avais déjà eu l'occasion de voir Kalpana danser la pièce suivante “Rāmo nāma babhūva” deux fois à la suite. Il était agréable ici d'entendre Emmanuelle Martin plutôt qu'une musique enregistrée : c'est ce qui m'a procuré le plus de plaisir dans ce récital. Néanmoins, l'accompagnement au mridangam par Venkat Krishnan m'a semblé assez étrange dans cette pièce, puisqu'à certains moments il a introduit une pulsation régulière alors que cela ne servait à mon avis ni le discours musical ni la chorégraphie. Le musicien, très bon rythmicien, a peu d'expérience avec la danse, et le rôle du mridangam dans un Shloka n'a rien à voir avec le rôle habituel d'un percussionniste lors d'un récital de chant, puisqu'il s'agit plus ou moins de créer des effets qui soulignent de façon relativement discrète certains points-clefs de la chorégraphie. L'interprétation de Kalpana m'a paru très convaincante dans ce poème dont la chorégraphie évoque l'histoire de Rama jusqu'à l'enlèvement de Sita. Il y a bien eu quelques maladresses, comme des transitions parfois un peu floues entre les différents chapitres. Aussi, alors que Yashoda raconte l'histoire de Rama à son fils adoptif, j'ai trouvé assez peu claire l'intervention du jeune Krishna qui semble tenter de venir au secours de Rama : je ne vois pas comment on est censé comprendre que c'est Krishna qui intervient. Pour le reste, la pièce m'a semblé très bien interprétée.

La récital s'est poursuivi par l'interprétation d'une composition de Tyagaraja par Emmanuelle Martin, s'enchaînant avec un solo élaboré de Venkat Krishnan au mridangam.

Jusqu'ici, en termes de pièces de danse accompagnées par de la musique interprétée en direct, le récital avait comporté deux Shlokas comme “Mūṣikavāhana” et “Rāmo nāma babhūva”. Les pièces de ce type ne nécessitent pas un travail énorme de mise en place dans la relation entre la danse et la musique : il s'agit surtout pour la chanteuse d'être attentive à préserver le flot de la danse sans le brusquer ni le ralentir. C'est une tâche tout autre de mettre en place une pièce combinant la danse et la musique dans un cadre rythmique précis comme dans un Thillana, ce qui a été le cas ici. Par rapport aux autres pièces de danse pure, Kalpana frappe souvent ses pas de façon beaucoup plus forte et plus nette. Néanmoins, dans les parties conclusives des enchaînements, là où le rythme est le plus intéressant, ses pas se font malheureusement beaucoup plus hésitants, et tombent parfois manifestement à côté. La composition qui est semble-t-il de Pooci Srinivasan Iyengar a un Pallavi qui commence par (nadr) dim dim tana dhirana..., avec les syllabes nadr qui sont prononcées en anacrouse (avant le premier temps). Le manque de clarté des phrases conclusives a fait que je n'ai pas réussi à savoir si l'intention était de finir les enchaînements juste avant le premier temps, ou bien juste avant l'anacrouse. La partie d'Abhinaya du Thillana dédiée à Padmanabha a été omise. À la place, des séquences accompagnées d'onomatopées rythmiques récitées ont été interprétées. Il est très dommage que le percussionniste n'ait pas été en mesure de jouer et réciter ces parties tout en regardant la danseuse : il avait constamment le nez dans ses notes. Bref, le travail de répétition n'a pas été optimal pour cette pièce ; si l'orchestre avait également comporté une personne jouant des thalams (nattuvangam artist), le résultat aurait sans doute été plus convaincant, parce que le rôle de cette personne est entre autres de faire le lien entre la danse et les autres musiciens...

Le récital s'est conclu par deux Shlokas dédiés à la Déesse extraits de l'Annapūrṇāstotram, semble-t-il “Nityānandakarī...” et “Urvī sarvajaneśvarī bhagavatī...” dont j'avais déjà eu le plaisir d'apprécier les interprétations de Shakuntala (en 2011 et à d'autres reprises entretemps).

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