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Joël Riou
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Joël Riou
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Bhavya Kumaran à la Music Academy
2023-07-27T14:18:00+05:30
<p>Je ressuscite ce blog après une très longue interruption. Bien sûr,
il y a eu le COVID, qui a pour un temps réduit significativement
les opportunités d'assister à des spectacles. Toutefois,
la raison principale de cette interruption
est liée à ma prise de conscience de plus en plus affirmée du caractère
extrêmement problématique du style de danse bharatanatyam qui est
actuellement le résultat d'un processus d'appropriation culturelle
qui s'est fait au cours du dernier siècle au détriment de la caste
des praticiens et praticiennes originels de cette forme de danse.
Une de mes lectures les plus instructives sur ce processus est
le livre <em>Celluloid Classicism</em> de Hari Krishnan à propos
duquel j'ai écrit ce <a href="https://narthaki.com/info/bookrev/bkrev40.html" class="external-link">compte-rendu</a>
mis en ligne sur Narthaki, qui est le portait
Internet de référence sur le bharatanatyam (et plus généralement les danses
“classiques” indiennes) ; cependant,
les articles qui y sont publiés sont
généralement complètement vides d'un point de vue esthétique et ne font
qu'appuyer le discours dominant.</p>
<p>J'ai acquis la conviction que mes aspirations esthétiques
en tant que spectateur étaient parfaitement alignées avec la volonté
politique que les artistes héréditaires de bharatanatyam soient mieux
représentés. En effet, j'ai souvent observé des
récitals de grandes interprètes qui, plutôt que de s'associer à
des artistes héréditaires compétents pour composer des séquences
techniques de danse, ou ne serait-ce que de puiser
dans le répertoire traditionnel de <em>jatis</em> qu'elles ont
appris auprès de leurs maîtres héréditaires (<em>nattuvanars</em>),
préfèrent commander des compositions rythmiques à des percussionnistes.
J'ai plusieurs fois été horrifié par le caractère anti-musical de certaines
de ces créations. J'ai eu le sentiment que cela participait d'une
entreprise de destruction de la musique et de la danse.</p>
<p>Mes seules satisfactions avec ce style viennent de mon apprentissage
avec le maître héréditaire Kuttalam M. Selvam, et des très rares occasions
d'assister à des récitals, où, sans que les artistes héréditaires soient
forcément physiquement présents, leur apport esthétique est
un minimum audible ou visible.</p>
<div class="spectacle" id="concert-2023-07-26"><p class="concert-venue">Music Academy, Kasturi Srinivasan Hall, Chennai — 2023-07-26 à 18:00</p>
<p class="concert-performer">Bhavya Kumaran</p>
<p class="concert-chef">Sowmya Kumaran, <em>nattuvangam</em></p>
<p class="concert-performer">Murali Parthasarathy, <em>chant</em></p>
<p class="concert-performer">Vedakrishnaram, <em>mridangam</em></p>
<p class="concert-performer">B. Muthukumar, <em>flûte</em></p>
<p class="concert-performer">?, <em>violon</em></p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Alarippu</em> (Mishra Chapu Tala)</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Jatiswaram</em> (Raga Saveri, Rupaka Tala)</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Varnam “Nadani azhaithtuva...”</em> (Raga Kambhoji, Adi Tala)</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Ashtapadi “Yahi Madhava”</em> (Adi Tala, Raga Sindhu Bhairavi)</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Javali</em> (Raga Khamas, Rupaka Tala), composition de Patnam Subramaniam Iyer</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Tillana</em> (Raga Hindolam, Adi Tala), composition de Dandayudhapani Pillai</p>
</div>
<p>J'avais déjà eu l'occasion de voir danser Bhavya Kumaran
en août 2022 lors de sa participation au festival Spirit of Youth de
la Music Academy auquel
j'assiste très régulièrement depuis 2015. Elle avait alors obtenu
le deuxième prix (derrière le très méritant Shabin Bright) et a
été réinvitée pour un récital de la <em>HCL Series</em>. J'avais
beaucoup apprécié ce récital qui m'avait semblé être comme une capsule
temporelle donnant une certaine indication de ce que pouvait être la
danse bharatanatyam il y a 30 ou 40 ans. En effet,
la mère de la danseuse, Sowmya Kumaran, a appris
la danse initiallement auprès de l'artiste héréditaire Jayalakshmi
Arunachalam, puis a émigré aux États-Unis, y a enseigné à sa
fille Bhavya, en maintenant manifestement un grand soin dans la
préservation de la forme traditionnelle du récital <em>Margam</em>,
du vocabulaire des <em>adavus</em> et des particularités du style
de Thanjavur. Cela reste bien sûr problématique, mais il s'agit
manifestement de personnes
qui comprennent la valeur de la contribution esthétique des
artistes héréditaires.</p>
<p>Le récital de ce soir a été de très grande qualité. J'ai été
agréablement surpris que le programme commence par deux types
de pièces qui tendent à disparaître des programmes : <em>Alarippu</em>
et <em>Jatiswaram</em>. Comme dans tout le reste du récital,
la complète maîtrise technique de la danseuse est évidente. Les comptes
de la danse restent modérément complexes et plutôt en vitesse
moyenne, ce qui permet de bien apprécier les moindres mouvements
ornementaux de la danseuse. Une des particularités de certains maîtres
originaires de Thanjavur (comme Guru Herambanathan Pillai) apparaît
dans le Jatiswaram et sera aussi visible dans le Varnam : chaque
<em>korvai</em> est précédé d'une ligne complète de mouvements de tête
<em>(attami)</em> qui procurent une respiration bienvenue dans les
chorégraphies.</p>
<p>Toutefois, ce récital n'est pas exactement ancré dans la même tradition
que celui auquel j'avais pu assister en 2022. En effet, la pièce
principale du récital, le Varnam “Nadani azhaithtuva...”, ainsi que les
deux pièces de pur <em>abhinaya</em> suivantes ont été enseignées
par la danseuse Lavanya Ananth, qui fait partie des rares artistes qui
respectent très fidèlement la forme du Margam.
Tout en gardant certaines spécificités
du style originel de la danseuse, la chorégraphie comporte des
<em>jatis</em> très jubilatoires
de la tradition Vazhuvoor, dont le magnifique
<em>jati off-beat “ta ri tatana ta ri tajono...”</em> composé par
Vazhuvoor Ramiah Pillai : le décalage volontaire entre les ononatopées
récitées et les pas de danse sont très bien mis en valeur par la danseuse.
Les motifs de <em>Tattu Muttu</em> sont relativement complexes, notamment
par l'utilisation de triolets <em>(tishra-nadai)</em>, mais restent
très musicaux. Les sections d'<em>abhinaya</em> de la première partie
du <em>Varnam</em> développent selon le schéma traditionnel l'évolution
du sentiment amoureux de l'héroïne pour le dieu Muruga. Le <em>Pallavi</em>
évoque une jeune héroïne qui s'émerveille de la vue de Muruga, et qui
souhaite l'épouser. Elle croit sentir sa présence, mais ce n'est
qu'une illusion. L'<em>Anupallavi</em> met en scène le sentiment de
séparation amoureuse de l'héroïne, qui entretemps a grandi. Il est
très appréciable que la chorégraphie se focalise résolument sur les
sentiments de l'héroïne, allant ainsi à contre courant de la tendance
actuelle qui consiste à narrer de multiples exploits du dieu concerné
sans rapport évident avec le texte chanté.</p>
<p>Les deux pièces d'<em>Abhinaya</em> qui ont suivi ont été
enseignées par Lavanya Ananth, et s'inscrivent dans le style
de Kalanidhi Narayanan. Chacune des deux pièces commence ainsi par
un prélude accompagné par le percussionniste et les instruments mélodiques
avant que le texte de la composition musicale ne se fasse entendre.
J'ai particulièrement apprécié le caractère espiègle du <em>Javali</em>
dans lequel l'héroïne, touchée par les flèches de Kama, ne peut retenir
son sentiment amoureux pour Venkateshwar.</p>
<p>Le récital s'est conclu par un très beau Tillana dédié à Shiva
(composé par le nattuvanar K. N. Dandayudhapani Pillai).</p>
Joël Riou
http://jriou.org/
joel.riou@normalesup.org
http://jriou.org/blog/01032.html
Anusha Cherer à la Maison de l'Inde
2019-11-02T16:03:00+01:00
<div class="spectacle" id="concert-2019-10-08"><p class="concert-venue">Maison de l'Inde, Cité universitaire — 2019-10-08</p>
<p class="concert-performer">Anusha Cherer, <em>danse bharatanatyam</em></p>
<p class="concert-performer">Bhavana Pradyumna, <em>chant carnatique, nattuvangam</em></p>
<p class="concert-performer">Venkat Krishnan, <em>mridangam</em></p>
<p class="concert-performer">Charles Parameshwaralingam, <em>violon</em></p>
<p class="concert-chef">Dr M. Balamuralikrishna, <em>compositions</em></p>
<p class="concert-chef">Sivaselvi Sarkar, Rama Vaidyanathan, Vidhya Subramanian, Anusha Cherer, <em>chorégraphies</em></p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Pushpanjali</em> (Adi Tala, Raga Arabhi), chorégraphie de Sivaselvi Sarkar</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Varnam “Omkara”</em> (Adi Tala, Raga Shanmukhapriya)</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Ashtapadi “Yahi Madhava”</em> (Adi Tala, Raga Sindhu Bhairavi)</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Thillana</em> (Adi Tala, Raga Kadana Kuthuhalam)</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Mangalam</em></p>
</div>
<p id="e.1030.top">(<em>Full disclosure:</em> Le spectacle dont je rends
compte ici a été organisé par la chanteuse Bhavana Pradyumna avec qui j'ai
eu plusieurs fois l'occasion de collaborer sur plusieurs spectacles.)</p>
<p>Depuis qu'elle s'est installée à Paris il y a quelques années, la
chanteuse carnatique <a href="https://www.bhavanapradyumna.net/" class="external-link">Bhavana Pradyumna</a> organise tous les ans un événement
<em>Nritya Naada</em> où des compositions de danses sont présentées. La
première édition en 2016 était consacrée au répertoire de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/M._S._Subbulakshmi" class="reference-link">M. S.
Subbulakshmi</a>, la deuxième en 2017 (à laquelle je n'ai pas assisté) au
compositeur-chorégraphe <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Madurai_R._Muralidaran" class="reference-link">Madurai
Muralidharan</a>, la troisième en 2018 au compositeur et violoniste <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Lalgudi_Jayaraman" class="reference-link">Lalgudi
Jayaraman</a>. L'édition 2019 est consacrée aux compositions de Dr. M.
Balamuralikrishna que j'eus le privilège d'entendre lors d'<a title="Chennai, Jour 5/12 : Mohan Santhanam, Dr M. Balamuralikrishna, Oystein Badsvik, Rama Vaidyanathan" href="http://jriou.org/blog/00932.html">un
très bref mais néanmoins inoubliable concert en 2013</a>.</p>
<p>Il faut souligner cette initiative, puisque depuis le désengagement du
Théâtre de la Ville et du Musée Guimet des danses classiques indiennes, il
est devenu très rare d'assister à des récitals complets de danse
bharatanatyam qui soient accompagnés de musiciens. Comme lors de l'édition
2018 de <em>Nritya Naada</em>, c'est un <em>Margam</em> relativement fourni
qui est interprété par les musiciens et par la chanteuse.</p>
<p>Certaines des compositions de Dr. M. Balamuralikrishna sont devenues des
classiques du répertoire dansé. C'est le cas d'un certain nombre de ses
<em>Thillanas</em> ainsi que du <em>Pushpanjali</em> en Raga Arabhi qui
fait partie de ce programme. J'avais déjà entendu parler de son Varnam
<em>Omkara</em> parce qu'une danseuse que je connais très bien avait
envisagé de le danser, mais je ne l'avais jamais vu sur scène.</p>
<p>Pour ce programme avec musiciens, la danseuse est Anusha Cherer dont
j'avais déjà apprécié le travail lors de précédents récitals en <a title="Anusha Cherer au Centre Mandapa" href="http://jriou.org/blog/00990.html">2015</a> et <a title="Anusha Cherer au Centre Mandapa" href="http://jriou.org/blog/01011.html">2018</a>. Le programme commence par
le <em>Pushpanjali “jhem jhem tanana”</em> chorégraphié par Sivaselvi
Sarkar, le guru de la danseuse, qui l'avait déjà interprété lors
de son dernier récital au Centre Mandapa. C'est un réel plaisir d'entendre
et de voir cette danse interprétée de façon très musicale.</p>
<p style="text-align: center"><a href="http://jriou.org/images/misc/nritya-naada-2019.jpg"><img alt="Anusha Cherer ©Laurent Lo" title="Anusha Cherer ©Laurent Lo" src="http://jriou.org/images/misc/nritya-naada-2019-moyen.jpg"/></a><br/>
Anusha Cherer ©Laurent Lo</p>
<p>La pièce principale du récital est le <em>Varnam “Omkara”</em> en Raga
Shanmukhapriya et Adi Tala. Le programme ayant été préparé en très peu de
temps (deux semaines), la danseuse a utilisé des jatis qu'elle avait déjà
dansés <a title="Anusha Cherer au Centre Mandapa" href="http://jriou.org/blog/01011.html">lors de son précédent récital au Centre Mandapa</a>.
J'ai en particulier reconnu le tri-kala sur le thème “Ta di nutadimi ta di
nutadimi ta nutadimi ta takundari kitataka” extrait d'un autre
<em>Varnam</em> chorégraphié par Rama Vaidyanathan, la composition
rythmique étant probablement due au défunt Karaikudi Sivakumar. Ses jatis
sont en général très complexes, et j'avoue n'avoir que très rarement réussi
à clapper le <em>tala</em> lors que j'ai entendu ses jatis lors de
spectacles... Ici, la récitation et les <em>thalams</em> sont assurés par
la chanteuse Bhavana Pradyumna dont la récitation m'a semblé très régulière
dans ces <em>jatis</em>. Fait rare en France, les <em>arudis</em> sont bien
exécutés ! Le texte du poème fait l'éloge de celui qui représente la
musique qui est issue du son primordial Om. La ligne d'<em>Anupallavi</em> fait
plus spécifiquement référence à celui qui porte la flûte (Krishna), et le
<em>Muktayi</em> évoque sans ambiguité Vishnu sous la forme de Padmanabha.
Ces lignes de texte ont été très bien interprétées par la danseuse.</p>
<p>Le temps de répétition très court pour ce récital s'est à mon avis un
peu fait sentir dans l'exécution de la deuxième moitié du <em>Varnam</em>.
La deuxième moitié d'un <em>Varnam</em> est en général exécutée à un tempo
supérieur, ce qui rend plus difficile l'exécution des séquences techniques
et rend quasiment impossible la parfaite intelligibilité du sens du texte
exprimé par la danse. La deuxième moitié de ce <em>Varnam</em> est
particulièrement complexe rythmiquement parlant, puisque les <em>Ettugada
Swarams</em> (ainsi que les paroles associées) ne commencent pas au début
du cycle, mais <em>off-beat</em>, et se reconnectent avec une ligne de
<em>Caranam</em>, qui si, elle, démarre bien sur le premier temps, présente
quelques petites difficultés rythmiques. En principe, les phrases
chorégraphiques de ces <em>Swarams</em> devraient donc commencer
<em>off-beat</em>, ce qui n'est pas facile à danser... Je ne saurais dire
qu'elle était exactement l'intention, mais j'ai senti une certaine
hésitation de la danseuse au démarrage de ces <em>Swarams</em>. Je sais à
quel point c'est difficile ! mais il aurait été souhaitable que la
chanteuse aux <em>thalams</em> et le percussionniste donnent des
indications rythmiques plus claires pour permettre à la chanteuse de
démarrer plus facilement au bon moment. J'ai été néanmoins impressionné par
le démarrage parfaitement <em>off-beat</em> de la danseuse lors des
très-redoutables <em>Tatti Metti</em> de la dernière phrase
d'<em>Abhinaya</em> ! Par ailleurs, dans cette deuxième partie de
<em>Varnam</em> dans laquelle des parties du corps de Vishnu sont comparées
à un lotus, j'ai particulièrement apprécié la poésie de la description de
la Nature dans le troisième <em>Ettugada Sahitya</em>. Malgré les
imperfections de cette performance, qui sont très excusables en raison des
courts délais de répétition, j'ai apprécié de pouvoir voir en France un
<em>Varnam</em> dansé avec des musiciens.</p>
<p>La pièce suivante n'est pas une composition de Balamuralikrishna : il
s'agit de l'<em>Ashtapadi “Yahi Madhava”</em>, extrait du
<em>Gita-Govinda</em> de Jayadeva. J'ai eu de nombreuses occasions de le
voir représenter. À chaque fois, c'est une expérience différente. Dans le
style odissi, j'avais apprécié l'interprétation de <a title="Le festival de danses indiennes “Mouvements émouvants”" href="http://jriou.org/blog/00986.html">Mahina
Khanum en 2015</a> dans une chorégraphie de Kelucharan Mohapatra transmise
par Madhavi Mudgal que j'ai eu l'occasion de voir interpréter cette pièce
cet été à Delhi. Anusha Cherer a appris cette pièce lors d'un stage avec la
danseuse Vidhya Subramanian. De même que dans la version de Kelucharan
Mohapatra, la chorégraphie met en scène non seulement les reproches
adressés par Radha à Krishna qui sont contenus dans le texte, mais aussi
des réponses quelques peu fantaisistes de Krishna qui tente de donner une
explication alternative à la présence de marques sur son corps qui
trahissent son infidélité. Par exemple, il prétend que les griffures
laissées par les ongles de l'autre résultent d'une chute dans les ronces
alors qu'il essayait de cueillir des fleurs pour Radha (qui le met en
défaut parce qu'il ne les a pas apportées !). Comme dans son précédent
récital, j'ai été impressionné par l'<em>Abhinaya</em> d'Anusha Cherer.</p>
<p>Il se trouve que ce n'est pas la première fois que je vois une danseuse
française danser cette pièce transmise par Vidhya Subramanian. Ainsi, j'ai
aussi eu deux fois l'occasion de voir Iran Farkhondeh très bien danser
cette pièce. Je suis donc très étonné par le contraste radical entre les
interprétations de ces deux danseuses. Le <q>scénario</q> est le même dans
les deux cas, mais l'incarnation est me semble-t-il complètement
différente. Le point de vue d'Iran Farkhondeh était me semble-t-il
d'incarner le personnage de Radha pendant toute la durée de la pièce, ce
qui extrêmement difficile à interpréter puisque lorsque Krishna fait ses
réponses, la danseuse ne peut se transformer en Krishna : elle doit
continuer à incarner Radha et ne peut nous faire comprendre le discours de
Krishna qu'à travers la réaction de Radha à ces paroles. Le seul sentiment
exprimé est celui de la colère froide de Radha. Au contraire, dans
l'interprétation d'Anusha Cherer, si le point de vue principal est
résolument celui de Radha, la danseuse <q>devient</q> clairement Krishna
quand il répond aux reproches de Radha. J'ai apprécié cette interprétation
qui permet une réconciliation future entre Radha et Krishna : on sait bien
qu'ils vont se réconcilier ! D'ailleurs, dans l'interprétation d'Anusha
Cherer, à la fin de la pièce, quand Radha se détourne de Krishna, on sent
qu'elle hésite quelque peu.</p>
<p>Le récital s'est conclu par un très joyeux <em>Tillana</em> de
Balamuralikrishna. Il faut féliciter la personne qui a présenté les pièces
pour avoir réussi à prononcer le nom du Raga Kadana Kuthuhalam sans la
moindre hésitation ! J'ai particulièrement apprécié la complicité entre la
chanteuse et le violoniste dans l'interprétation de cette composition très
connue. J'ai pris beaucoup de plaisir en voyant Anusha Cherer interpréter
cette pièce. Le moment le plus irrésistible que je retiens est celui, en
début de pièce, où elle a interprété de somptueux <em>Mai Adavus</em> avec
le mudra Tripataka.</p>
<p>Anusha Cherer dansera avec ses élèves <a href="https://compagnie-shantam.blogspot.com/2019/10/spectacle-de-bharatanatyam-par-anusha.html" class="external-link">à
Paris le 14 décembre</a>.</p>
<p style="text-align: center"><a href="http://jriou.org/images/misc/nritya-naada-2019-2.jpg"><img alt="Venkat Krishnan, Aniruddha & Bhavana Pradyumna, Charles Parameshwaralingam, Anusha Cherer" title="Venkat Krishnan, Aniruddha & Bhavana Pradyumna, Charles Parameshwaralingam, Anusha Cherer" src="http://jriou.org/images/misc/nritya-naada-2019-2-moyen.jpg"/></a><br/>
Venkat Krishnan, Aniruddha & Bhavana Pradyumna, Charles Parameshwaralingam, Anusha Cherer</p>
Joël Riou
http://jriou.org/
joel.riou@normalesup.org
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Anuya Rane au Centre Mandapa
2019-10-21T09:15:00+02:00
<div class="spectacle" id="concert-2019-09-27"><p class="concert-venue">Centre Mandapa — 2019-09-27</p>
<p class="concert-performer">Anuya Rane, <em>bharatanatyam</em></p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Mallari</em> (Raga Gambhira Nattai, Mishra Triputa Tala)</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Alarippu</em> (Tishra Ekam Tala)</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Jatiswaram</em> (Raga Chakravakam, Tishra Ekam Tala, composition du Thanjavur Quartette)</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Varnam “Moham aginen inda velaiyil”</em> (Raga Karaharapriya, Adi Tala, composition de Dandayudhapani Pillai)</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Nindastuti</em> (Rupaka Tala)</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Thillana</em> (Raga Revati, Adi Tala, composition de Madurai N. Krishnan)</p>
</div>
<p>J'avais déjà eu l'occasion de voir Anuya Rane danser lors d'un spectacle
avec Vaibhav Arekar <a title="Vaibhav Arekar et Anuya Rane au Musée Guimet" href="http://jriou.org/blog/00918.html">au Musée Guimet en 2013</a>. Cette
fois-ci, elle a interprété en solo un <em>Margam</em>, un récital de format
traditionnel, devant un public malheureusement trop peu fourni dans la
salle du Centre Mandapa.</p>
<p style="text-align: center"><a href="http://jriou.org/images/misc/anuya-rane.jpg"><img alt="Anuya Rane" title="Anuya Rane" src="http://jriou.org/images/misc/anuya-rane-moyen.jpg"/></a><br/>
Anuya Rane</p>
<p>Le récital a commencé par un <em>Mallari</em> en Mishra Triputa (11
temps), dans un enregistrement chanté par Preethy Mahesh, incluant diverses
vitesses y compris le <em>tishra nadai</em>. La danseuse évoque la
procession d'une divinité. La danse technique est musicale, mais dans cette
pièce, la danseuse est parfois quasiment debout pour exécuter des
mouvements que l'on imaginerait davantage exécutés en demi-plié.</p>
<p>Le récital se poursuit avec l'<em>Alarippu</em> à trois
temps. La chorégraphie de la danseuse utilise des éléments de la
chorégraphie traditionnelle, comme des mouvements d'épaules et des yeux,
exécutés en grand, prenant le contre-pied de l'opinion généralement admise
actuellement visant à les rendre aussi petits que possibles. L'utilisation
de l'espace par la danseuse comporte quelque originalité, comme
lorsqu'elle utilise des mouvements en diagonale ou n'utilisant qu'une seule
main à la fois. La composition rythmique présente aussi une surprise dans
la construction du jati de l'Alarippu qui ne se finit pas ici par
l'habituel motif croissant
<q>tadinginatom-takatadinginatom-takadikutadinginatom</q>, mais qui
l'inclut dans une triple formule <q>en accordéon</q> : la formule
croissante habituelle est dite une fois à l'endroit, puis une fois à
l'envers (en décroissant), et une dernière fois à l'endroit de façon
légèrement différente
<q>(tadin-ginatom)(takatadin-ginatom)(takadikutadin-ginatom)</q>.</p>
<p>Après cette entrée en matière, la première pièce véritablement
substantielle est un <em>Jatiswaram</em> traditionnel composé par le
Thanjavur Quartette. Je ne connaissais cette composition en Raga
Chakravakam que par un opportun <a href="http://www.madore.org/~david/weblog/d.2006-01-21.1204.html" class="external-link">effet
Zahir</a>, mon professeur m'en ayant parlé quelques jours auparavant. Dans
cette pièce, j'apprécie la simplicité des marches de transition effectuées
avec épaulement, la beauté des passages techniques, très bien exécutés, et
très clairs rythmiquement.</p>
<p>La pièce principale du récital est le <em>Varnam “Moham aginen inda
velaiyil”</em> en Raga Karaharapriya et Adi Tala composé par le Nattuvanar
Dandayudhapani Pillai. Avant que la composition proprement dite ne
commence, pendant l'<em>Alap</em>, la danseuse incarne l'héroïne qui dans
un rêve croit apercevoir Shiva. À son réveil, elle comprend que ce n'était
qu'une illusion. Comme dans le <em>Jatiswaram</em>, la partie technique de
la danse est très maîtrisée par la danseuse, toujours exacte rythmiquement,
y compris dans les motifs rapides des <em>arudis</em> ponctuant la fin des
<em>Jatis</em>. Dans cette version du <em>Varnam</em>, il y a une double
ration de <em>Jatis</em>. En effet, entre la première et la seconde ligne
du <em>Pallavi</em> intervient habituellement le deuxième <em>Jati</em>
d'un <em>Varnam</em>, mais ici, au lieu d'un jati, il y en a eu deux à la
suite, et de même avant chacune des autres lignes de textes de la première
partie du <em>Varnam</em>, comme le font certaines écoles de bharatanatyam.
Dans le <em>Pallavi</em>, l'héroïne exprime à quel point elle est
intoxiquée, alors qu'elle est touchée par les flèches de Kama. La danseuse
a été très musicale pendant tout le récital, et son <em>Abhinaya</em> m'a
plu, mais j'ai trouvé dommage que les frappes de pieds aient été aussi
violentes quand il s'agissait d'exprimer que l'héroïne était atteinte par
les flèches florales de Kama. Dans l'<em>Anupallavi</em>, la chorégraphie
met en scène la danse de Shiva-Nataraja dans le temple de Chidambaram et
l'héroïne demandant à son amie que le dieu vienne l'enlacer. Plus loin,
elle se plaint du mal que lui fait la lumière reflétée par la Lune. Dans la
deuxième partie du <em>Varnam</em>, l'héroïne souffre de la séparation. De
façon intéressante, une des lignes de texte fait écho au rêve qui avait été
mis en scène pendant l'<em>Alap</em>. Il n'y avait pas eu de <em>Tattu
Muttu</em> dans la première partie du <em>Varnam</em>. Les lignes de textes
de la deuxième moitié ont inclus des <em>Tattu Muttu</em>, qui étaient très
en place rythmiquement, mais malheureusement pas suffisamment accentués à
mon goût, ce qui est étonnant puisque les frappes étaient très bien
appuyées dans les beaux passages techniques de ce <em>Varnam</em>.</p>
<p>La composition suivante est un <em>Nindastuti</em>, dans lequel une
dévote semble critiquer de façon ironique le dieu Shiva. Elle prétend ne
faire que rapporter les commérages que les gens font à propos de lui. La
danseuse avait déjà interprété cette pièce <a title="Vaibhav Arekar et Anuya Rane au Musée Guimet" href="http://jriou.org/blog/00918.html">lors du récital
avec Vaibhav Arekar</a>. Il ne porte qu'un quart de Lune, et même pas la
Lune toute entière. C'est un mendiant, qui mange les restes des repas des
autres. Il n'a pas d'endroit où poser son deuxième pied. Sa monture (le
buffle) lui donne une démarche ridicule. Comme dans le <em>Varnam</em>,
l'<em>Abhinaya</em> de la danseuse est très convaincant !</p>
<p>Le récital s'est conclu par le <em>Tillana</em> en Raga Revati et Adi
Tala composé par Madurai N. Krishnan. J'ai apprécié de voir cette
composition dansée dans un tempo plus raisonnable que dans la chorégraphie
différente que je connais.</p>
<p>Il est devenu rare que l'on voie à Paris un <em>Margam</em> aussi
complet et bien exécuté. Merci beaucoup à la danseuse pour ce récital !</p>
Joël Riou
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Shreema Upadhyaya à la Music Academy
2019-08-31T17:28:00+03:00
<p id="e.1030.top">(<em>Full disclosure:</em> le jour de ce récital, j'ai
eu le plaisir de déjeuner en tête-à-tête avec le guru de la danseuse,
Praveen Kumar, qui souhaitait me rencontrer depuis longtemps. Il ne m'a
alors pas donné d'informations à propos de ce récital que je ne connusse
déjà, comme le choix du <em>Varnam</em> et du <em>Javali</em>. Après le
récital, il m'a demandé de lui envoyer mon <em>feedback</em>. Le billet qui
suit est essentiellement une adaptation en français des observations que je
lui ai envoyées, et qu'il a beaucoup appréciées !)</p>
<p>Depuis 2015, j'essaye de faire en sorte d'être à Chennai au début du
mois d'août afin d'assister au festival <em>Spirit of Youth</em> qui se
tient dans la petite salle de la Music Academy. Tous les soirs du
1<sup>er</sup> au 10 août, de jeunes musiciens et danseurs de moins de 25
ans se produisent. Un jury très discret assiste à toutes les
représentations et décerne des prix qui sont formellement remis lors de la
soirée d'inauguration du Festival de la Music Academy en janvier. Cette
fois-ci, j'ai assisté à sept des dix récitals de danse. Je reviens ici sur
le récital qui m'a le plus marqué, celui de Shreema Upadhyaya, disciple de
Guru P. Praveen Kumar (Bangalore).</p>
<div class="spectacle" id="spirit-of-youth-2019-08-03"><p class="concert-venue">The Music Academy, Kasturi Srinivasan Hall, Chennai — 2019-08-03</p>
<p class="concert-performer">Shreema Upadhyaya, <em>bharatanatyam</em></p>
<p class="concert-chef">Sri. P. Praveen Kumar, <em>nattuvangam, chorégraphies</em></p>
<p class="concert-performer">Sri. Karthik Hebbar, <em>chant</em></p>
<p class="concert-performer">Sri. Gurubharadwaj, <em>mridangam</em></p>
<p class="concert-performer">Sri. Aniruddha, <em>violon</em></p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Shloka</em>, suivi de <em>“Gajamukha...”</em> (Raga Mayamalavagaula, Adi Tala), composition de Vadiraja Swami</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Alarippu</em> (Khanda Chapu)</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Navarasa Shloka</em>, poème d'Adi Shankaracharya</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Varnam “Rupamu Juchi”</em> (Adi Tala, Raga Todi), composition attribuée à Muthuswami Dikshitar</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Javali “Sako Ninna Sneha”</em> (Mishra Chapu Tala, Raga Kapi), composé par Venkatagiri Shastri</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Kirtana “Ododi Vandhen Kanna”</em> (Adi Tala, Raga Dharmavati), composé par Ambujan Krishna</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Thillana</em> (Adi Tala, Raga Thillang), composé par Lalgudi G. Jayaraman</p>
</div>
<p>Après une invocation chantée de Ganesh, le récital a commencé par un
<em>Alarippu</em> en Khanda Chapu qui m'a semblé superbement dansé. J'ai
aussi particulièrement apprécié la récitation par Praveen Kumar qui dans
cet <em>Alarippu</em> comme dans les jatis du <em>Varnam</em> utilise
différentes types d'intonation, parfois plus douce, parfois plus forte que
la normale.</p>
<p>La danseuse a poursuivi avec un <em>Shloka “Sharada...”</em> dédié à la
Déesse, principalement en tant que Saraswati. Le choix d'interprétation
consiste à incarner l'émerveillement (<em>adbhuta</em>) suscité par celle
qui porte la vina.</p>
<p style="text-align: center"><img alt="Shreema Upadhyaya" title="Shreema Upadhyaya" src="http://jriou.org/images/misc/shreema-upadhyaya-1.jpg"/><br/>
Shreema Upadhyaya<br/>(Les photographies ont été prises lors d'un
précédent programme.)</p>
<p>La pièce princiale du récital a été le <em>Varnam “Rupamu Juchi”</em>
qui est, peut-être faussement, attribué à Muthuswamy Dikshitar, qui n'a
jamais rien composé pour la danse. En effet, cette composition n'est pas
prévue pour la danse puisque la deuxième partie de ce <em>Chauka
Varnam</em> ne comportait initialement que des <em>Ettugada Swarams</em> en
plus de la ligne de <em>Caranam</em>. Les paroles (<em>Ettugada
Sahitya</em>) ont été composées par le musicien Tiger Varadacharya dans les
années 1930 à la demande de Rukmini Devi Arundale. Depuis, ce
<em>Varnam</em> fait partie du répertoire de Kalakshetra, et au cours de ce
festival <em>Spirit of Youth</em>, j'ai eu l'occasion de voir une autre
danseuse interpréter ce <em>Varnam</em> de façon probablement
rigoureusement conforme à la volonté de Rukmini Devi, <a href="#e.1030.impressions">cf. plus bas</a>...</p>
<p>La chorégraphie interprétée par Shreema Upadhyaya est celle de son guru
Praveen Kumar. J'ai particulièrement apprécié la musicalité des passages
techniques : Jatis et Swarams, tous magnifiquement chorégraphiés et dansés.
Dans les <em>Tirmanams</em>, Praveen Kumar utilise des intervalles de
silence (<em>karvais</em>) plus longs que ne le font la plupart des
chorégraphes. Il est facile d'aider la danseuse en remplissant le vide
musical avec des frappes des thalams (cymbales), mais Praveen Kumar ne l'a
pour ainsi dire pas fait, son élève étant parfaitement capable de tenir les
silences en reprenant exactement là où il le faut. Visuellement, les
chorégraphies m'ont semblées très belles, notamment par l'utilisation
d'adavus relativement peu utilisés, comme les Nattadavus doublés ou les
adavus n'utilisant qu'une main (comme ceux introduits par Muthuswamy
Pillai). Mon plus grand plaisir est venu du contraste entre les différentes
vitesses dans les mouvements. Par exemple, le troisième Jati était
essentiellement en vitesse moyenne, mais depuis cette vitesse, la danseuse
pouvait accélérer ou au contraire ralentir les mouvements. Au contraire, le
deuxième Jati a commencé à une vitesse exquisement lente, et les mouvements
se sont accélérés vers la fin. J'ai apprécié la musicalité de la danseuse,
capable de produire de beaux contrastes d'intensité sonore pour les
différents pas : c'était particulièrement délectable dans le quatrième Jati
dans laquelle la danseuse accentuait la deuxième syllabe des ta-TAI-tai-ta
(Vishru/Marditha) adavus. L'architecture rythmique de ce dernier Jati de la
première moitié du Varnam était particulièrement intéressante puisque le
premier bloc conclusif comportait des séries de "tadiginatom" (précédés de
karvais), le deuxième bloc était fait de "dikutadiginatom" et le dernier
bloc de "takadikutadiginatom". Aussi, dans toute la danse pure, j'ai
apprécié la beauté de l'inattendu (visuel ou rythmique), qui pouvait
arriver à tout moment, quoique plus particulièrement à la toute fin des
Jatis.</p>
<p>J'ai apprécié l'Abhinaya de la danseuse dans ce récital : très claire et
expressive, sans maniérisme ni sur-ornementation. Au début du
<em>Varnam</em>, l'héroïne admire Shiva. Il porte le croissant de Lune, la
peau de tigre, etc. Elle cherche à se rapprocher de lui. Plus loin, elle
craint son indifférence ou sa colère, lui qui a réduit en cendres Kama.
Dans la première ligne de l'<em>Anupallavi</em>, la danseuse interprète de
façon remarquable deux Sancharis, l'un évoquant le jeune Markandeya et
l'autre le rôle de Shiva en tant que Nilakantha lors du barattage de la
mer de lait. J'ai apprécié que ces Sancharis ne soient pas excessivement
dramatisés. Par exemple, pour le premier Sanchari, elle ne joue que le rôle
de Markandeya : elle ne montre pas Yama, le dieu de la Mort, venu mettre un
terme à la vie du garçon. Elle suggère seulement brièvement la douleur de
Markandeya. Ce n'est pas un combat terrible et très long comme je l'ai
déjà vu (et cela m'a parfois <a title="Janaki Rangarajan au Musée Guimet" href="http://jriou.org/blog/00914.html">très impressionné</a>). Je
souscris complètement à ce choix esthétique, qui demande certes une
attention soutenue des spectateurs, mais qui permet aussi de ne jamais
perdre de vue le sens du texte. C'était magnifiquement fait, mais il va
sans dire qu'il y a quelques années je n'aurais rien compris à ce qui se
jouait là ! (L'investissement du chanteur Karthik Hebbar est à noter,
puisqu'il a chanté les Sancharis, ce qui est assez rare à Chennai, le
violoniste ou flûtiste prenant habituellement le relais pour ces
développements.)</p>
<p>La deuxième ligne de l'<em>Anupallavi</em> nomme Shiva sous le nom de
Tyagaraja, sa forme résidant à Tiruvarur, où je ne suis malheureusement pas
encore allé. En voyant l'abhinaya de la danseuse, je me suis demandé s'il
n'y avait pas quelque ironie dans la frustration de l'héroïne, puisqu'une
toute petite partie du corps de Tyagesha y est visible...</p>
<p>Dans la deuxième moitié du <em>Varnam</em>, s'il y a une chose que je
retiendrai, c'est le sublime <em>Arudi</em> que la danseuse a exécuté la
toute première fois. Cette ponctuation intervient à la fin des Swarams.
Rythmiquement, cela devrait ressembler à quelque chose comme ça :</p>
<p id="e.1030.arudi" style="text-align: center">
<img src="http://jriou.org/images/misc/rupamu-juchi-arudi.png" alt="Arudi" title="Arudi émouvants"/>
</p>
<p>La série de “dit ta -“ rapides était exécutée avec des frappes de pieds
en Araimandi, alors que les mains de la danseuse étaient liées au-dessus de
sa tête. La conclusion de l'<em>Arudi</em> au milieu du cycle avec les
trois dernières syllabes “di di ta” (en vert ci-dessus) se faisait sans
mouvements de pieds, uniquement avec un délicat mouvement d'épaule. C'était
sublimement exécuté. Pour ponctuer tous les <em>Swarams</em> suivants, la
danseuse a refait le même <em>Arudi</em>, mais au lieu de terminer avec
uniquement trois mouvements d'épaules, elle a en même temps fait aussi
trois frappes de pieds. Cela m'a fait croire que l'intention était de faire
à la fois des mouvements d'épaules et de pieds pour conclure
l'<em>Arudi</em> de la deuxième moitié du <em>Varnam</em>. J'ai alors cru
que la première version dansée (sans les pieds, uniquement les mouvements
d'épaule) était une erreur, mais une erreur tellement sublime que cela
méritait à mon avis d'être la façon correcte d'exécuter cet <em>Arudi</em>,
et Bingo ! quand je m'en suis émerveillé auprès du chorégraphe, il a
confirmé que c'était en fait son intention de conclure uniquement avec des
mouvements d'épaule...</p>
<p>Dans le <em>Javali</em> dans lequel l'héroïne est en colère avec son
amant qu'elle soupçonne d'être infidèle, j'ai apprécié l'aptitude de la
danseuse à bien caractériser les différents personnages. Dans toutes les
parties d'Abhinaya de ce récital, y compris la composition d'Ambujam
Krishna dans laquelle l'héroïne cherche Krishna, qu'elle trouve finalement,
j'ai aimé l'aisance avec laquelle la danseuse pouvait suggérer beaucoup
sans utiliser le moindre mouvement ou position des mains, mais en utilisant
uniquement les yeux ou des micro-mouvements du corps.</p>
<p style="text-align: center">
<img alt="Shreema Upadhyaya" title="Shreema Upadhyaya" src="http://jriou.org/images/misc/shreema-upadhyaya-2.jpg"/>
</p>
<p>Le Thillana a été un pur régal pour moi. J'ai été amusé par le caractère
créatif de la seconde série de Mai Adavus dans laquelle la danseuse fait
faire un tour et demi à ses bras tenus, comme si une roue tournait.
Contrairement à ce que suggère la description, c'était très élégant, comme
tout ce qu'a dansé Shreema Upadhyaya. Je me suis particulièrement délecté
d'un adavu que j'ai rarement eu l'occasion de voir (auquel je donne le nom
de <em>crocodile-mouth-opening ta-tai-tai-ta</em>).</p>
<p>De tous les spectacles que j'ai eu l'occasion de voir cet été en Inde,
c'est sans doute celui qui m'a le plus satisfait. Bravo à Shreema Upadhyaya
et à son guru Praveen Kumar pour ce merveilleux moment !</p>
<p style="text-align: center">⁂</p>
<p>Les résultats du concours <em>Spirit of Youth 2019</em> sont tombés
cette semaine. Mes favories étaient Shreema Upadhyaya et Shruthipriya R,
mais le jury a préféré Bristy Rani (disciple de Sheejith Krishna) et n'a
accordé que le deuxième prix à Shruthipriya R.</p>
<p id="e.1030.impressions">Voici très brièvement mes impressions sur les participants que j'ai
vus :</p>
<ul>
<li>2019-08-01, Sneha Mahesh (disciple de Priya Murle) : n'étant pas un
grand admirateur du guru, je n'ai pas
assisté au récital de cette danseuse, dont je crois me souvenir avoir
assisté à l'arangetram ;</li>
<li>2019-08-02, Shruthipriya R. (disciple de Nithyakalyani Vaidhyanathan et
Bragha Bessel) : magnifique récital, chorégraphies très musicales, superbe
technique d'<em>Abhinaya</em> ;</li>
<li>2019-08-03, Shreema Upadhyaya (disciple de Praveen Kumar) : cf.
<a href="#e.1030.top">ci-dessus</a> ;</li>
<li>2019-08-04, Raksha Devanathan (disciple de Indu & Nidheesh) : je
n'ai pas assisté à ce récital ;</li>
<li>2019-08-05, Kalaisan Kalaichelvan (disciple de A. Lakshmanaswamy) :
j'ai particulièrement apprécié l'Abhinaya très mûr de ce jeune danseur, les
chorégraphies très musicales et belles d'A. Lakshmanaswamy, l'utilisation
d'une composition d'Alarippu de Muthuswamy Pillai, mais la technique du
danseur, qui est pourtant très bonne, présente des faiblesses, notamment au
niveau du tala, par rapport à d'autres participants. Très étrangement, le
percussionniste Nellai D. Kannan jouait presque systématiquement à
contretemps des pas de danse, accentuant par exemple la dernière syllabe
“mi” dans les séries de “takadimi” dans les Tattu Muttu ;</li>
<li>2019-08-06, Smrithi Krishnamoorthy (disciple d'Anitha Guha) : je
n'ai pas assisté à ce récital ;</li>
<li>2019-08-07, Tanima Bardhan (disciple de Pranab Das) : très bien fait
dans le carcan esthétique kalakshetrien, mais rien d'original dans ce que
j'ai vu. La danseuse a interprété le même <em>Varnam “Rupamu Juchi”</em>,
mais en suivant semble-t-il très-scrupuleusement la vision esthétique de
Rukmini Devi Arundale. La technique est impeccable, et les chorégraphies
techniques sont musicales, mais sans aucune surprise. Chaque phrase
d'<em>Abhinaya</em> est répétée à l'<strong>identique</strong> deux fois
(pas une fois à droite, puis une fois à gauche, ou une fois avec une main,
puis une autre fois avec deux mains, non, vraiment tout est identique...).
Chaque mot du texte est très clairement exprimé, mais les phrases ne
semblent pas faire sens dans leur globalité. Je suis parti après le
<em>Varnam</em> ;</li>
<li>2019-08-08, Krishnalaxmi (disciple de Jayanthi Subramanian) : très
jeune danseuse, qui montrait des signes de fragilité pendant la
représentation. L'Abhinaya n'est pas aussi mûr et nuancé que chez d'autres
danseuses, par exemple dans son interprétation de <em>Yaro Ivar Yaro</em>,
quand la danseuse incarnant Rama fait les mudras évoquant la beauté de
Sita, on ne comprend pas si Rama s'adresse à elle pour lui faire un
compliment, s'il le pense seulement en lui-même, ou bien s'il partage son
émotion avec ses amis, etc. Dans les Jatis, j'ai beaucoup aimé le style de
récitation très nuancé de Jayanthi Subramanian dont les chorégraphies (à
l'exception du Thillana) m'ont semblés très musicales. Contrairement au 5
août, le percussioniste Nellai D. Kannan m'a fait beaucoup plaisir, et
visiblement son accompagnement a aussi plu au guru de la danseuse ;</li>
<li>2019-08-09, Bristy Rani (disciple de Sheejith Krishna) : Sheejith
Krishna est un chorégraphe qui a parfois des idées de génie. Par le passé,
j'ai vu quelques unes de ses très belles chorégraphies. Dans le <em>Varnam
“Innum en manam...“</em> (Raga Charukeshi, Adi Tala) composé par Lalgudi G.
Jayaraman, dont j'ai appris une autre chorégraphie, je n'ai pas aimé les
Jatis qui sont hyper-longs et hyper-compliqués. Le thème du Trikala Jati
devrait comporter 4 cycles rythmiques en première vitesse, le dernier étant
en tishra-gati (triolets). Après que les trois vitesses ont été exécutées,
le Jati bascule résolument vers le tishra-gati. À la toute fin, je
soupçonne qu'il y a eu un peu de Sankirna-gati (subdivisions en neuf). La
danseuse se sortait relativement bien dans ces chorégraphies techniques,
mais c'était à mon avis loin d'être aussi brillant que chez d'autres
danseuses... L'Abhinaya ne m'a pas particulièrement marqué : trois semaines
après, je n'en ai aucun souvenir. Je suis parti à la fin du
<em>Varnam</em>. Je comprends mal comment le jury a pu la classer première,
mais le jury est souverain : bravo à la gagnante !</li>
<li>2019-08-10, Akshaya Arunkumar (disciple de Shobana Bhalchandra) : Je
n'y suis allé que pour que mon professeur de danse à Paris, qui était de
passage à Chennai, puisse voir le style Dhananjayan dont le guru de la
danseuse a été l'élève. À mon initiative, nous
sommes partis après le <em>Varnam</em> (Raga Anandabhairavi, Adi Tala)
composition du Thanjavur Quartette.</li>
</ul>
Joël Riou
http://jriou.org/
joel.riou@normalesup.org
http://jriou.org/blog/01029.html
Kalpana au Centre Mandapa
2019-06-22T14:11:00+02:00
<div class="spectacle" id="concert-2019-04-11"><p class="concert-venue">Centre Mandapa — 2019-04-11</p>
<p class="concert-performer">Kalpana, <em>bharatanatyam</em></p>
<p class="concert-performer">Emmanuelle Martin, <em>chant carnatique</em></p>
<p class="concert-performer">Venkat Krishnan, <em>mridangam</em></p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Offrande de fleurs et Shloka “Mūṣikavāhana”</em> (Raga Natai, chorégraphie de Kalanidhi Narayanan)</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Muruga Kautwam</em> (Raga Shanmukhapriya, Chatushra Ekam Tala, chorégraphie de Muthuswamy Pillai)</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Jatiswaram</em> (Raga Vasanta, Rupaka Tala, composition du Thanjavur Quartette, chorégraphie de Muthuswamy Pillai)</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Kalaitooki</em> (Raga Harikamboji, Adi Tala, composition de Marimuttu Pillai, chorégraphie de Muthuswamy Pillai)</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Kṛṣṇakarṇāmṛtam (Shloka) “Rāmo nāma babhūva”</em> (Ragamalika, poème de Bilvamangala, chorégraphie de Kalanidhi Narayanan)</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Kriti “Sukhi Evaro” </em> (Raga Kanada, Adi Tala, composition de Tyagaraja)</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Tillana</em> (Raga Shankarabharanam, Adi Tala, composition de Pooci Srinivasan Iyengar, chorégraphie de Muthuswamy Pillai)</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Annapūrṇāstotram (deux shlokas)</em> (poèmes d'Adi Shankaracharya, chorégraphie de Kalanidhi Narayanan)</p>
</div>
<p>J'ai déjà eu plusieurs fois l'occasion de voir danser Kalpana (notamment
en <a title="Le festival de danses indiennes “Mouvements émouvants”" href="http://jriou.org/blog/00986.html#e.986.kalpana">2015</a>, <a title="Armelle et Kalpana au Centre Mandapa" href="http://jriou.org/blog/01009.html">2017</a>).
Je respecte son parcours auprès de ses gurus V. S. Muthuswamy Pillai et
Kalanidhi Narayanan, et son travail de professeur qui lors de spectacles
de ses élèves m'a permis de voir des chorégraphies de Muthuswamy Pillai et
de son fils Kuttalam M. Selvam : j'avais déjà eu l'occasion de voir ce
style chez <a title="Mallika Thalak au Centre Mandapa" href="http://jriou.org/blog/00720.html">Mallika Thalak</a>, <a title="Nancy Boissel au Centre Mandapa" href="http://jriou.org/blog/00820.html">Nancy
Boissel</a>, <a title="Deux récitals de bharatanatyam" href="http://jriou.org/blog/00863.html">Ofra</a> <a title="Ofra Hoffman au Centre Mandapa" href="http://jriou.org/blog/00979.html">Hoffman</a>, mais ce fut
un récital d'élèves de Kalpana qui <a title="Alessandra, Fanny, Iran, Morgane et Kalpana au Centre Jemmapes" href="http://jriou.org/blog/00987.html">en 2015</a> qui me fit
franchir le pas et envisager sérieusement de recevoir l'enseignement de
Guru Kuttalam M. Selvam à Chennai, auprès de qui je prends des cours
plusieurs semaines par an depuis. Je lui suis donc reconnaissant pour cela
ainsi que pour quelques unes de ses initiatives, comme par exemple une
<em>Master-class</em> avec Malavika Klein, la doyenne des danseuses et
danseurs de bharatanatyam en France, à laquelle j'ai eu le privilège de
pouvoir participer.</p>
<p>Je voudrais rappeler que si je suis ici souvent critique sur certains
aspects de récitals auxquels j'assiste, il ne s'agit aucunement d'attaques
personnelles : je tente de rendre compte de mon expérience esthétique, qui
relève de mon ressenti lors d'un spectacle tout en étant indissociable de
connaissances progressivement acquises au fil des années sur la forme
artistique. Ainsi, certaines de mes remarques sont plutôt objectives
puisque l'on peut considérer qu'elles reposent sur des faits (est-ce que
les pas de danse sont exécutés de façon musicale ?) et d'autres sont plus
subjectives (place d'une pièce comme <a title="Alessandra, Fanny, Iran, Morgane et Kalpana au Centre Jemmapes" href="http://jriou.org/blog/00987.html#e.987.eppadi.manam"><em>Eppadi manam</em></a> dans le répertoire).
Sur ce qui est de nature plutôt objective, il peut m'arriver de me tromper
(et je revendique le fait d'écrire mes billets avec une clarté suffisante
pour qu'il soit au moins possible de pointer une erreur factuelle), et sur
ce qui est plus subjectif, il peut exister plusieurs opinions, et je
serais ravi de discuter de tels différends esthétiques.</p>
<p>Ce double préambule ayant été fait, venons-en au récital du 11 avril.
J'aurais sincèrement aimé apprécier ce récital, mais je n'ai pas pu le
regarder sans éprouver un certain malaise.</p>
<p>La première double pièce du récital était accompagnée par la chanteuse
Emmanuelle Martin pour qui j'ai la plus grande admiration. Cependant, j'ai
peu goûté la première chorégraphie intitulée <q>Offrande de fleurs</q> qui
m'a semblé très austère, quasiment funèbre, à l'exact opposé de
l'atmosphère pleine de vie habituellement créée par un
<em>Pushpanjali</em>. Cette offrande était accompagnée d'un <em>Alap</em>,
donc sans pulsation rythmique régulière, et la chorégraphie consistait
principalement en une salutation aux points cardinaux entrecoupée de longs
moments d'immobilité. La danseuse a ensuite interprété le Shloka
<em>Mūṣikavāhana</em> dédié à Ganesh, celui dont le véhicule est une
souris.</p>
<p>Les trois pièces suivantes utilisaient des musiques enregistrées dans
lesquelles on pouvait entendre le magnifique chanteur Madurai T.
Sethuraman. Dans le <em>Muruga Kautwam</em> et encore plus particulièrement
dans le Jatiswaram, j'ai été très gêné par le manque de musicalité dans
l'interprétation des passages techniques. Pour moi, le bruit des pas fait
partie intégrante de la composante musicale de la danse bharatanatyam, et
il ne s'agit pas là de frapper tous les pas comme une brute. Au minimum,
les mouvements doivent être exécutés en rythme, mais je pense
qu'idéalement, on devrait pouvoir entendre la composition rythmique des
enchaînements rien qu'en écoutant les pas. Le génie du chorégraphe
Muthuswamy Pillai réside à mon avis autant dans sa façon particulière de
créer des adavus et d'utiliser l'espace que dans la complexité de ses
compositions rythmiques. Je ne peux apprécier ce dernier aspect quand les
mouvements de pieds <em>“diditai”</em> sont escamotés ou à peine esquissés,
et toujours inaudibles. La plupart du temps, les pas ne sont pas du tout
frappés, et pour certains adavus, certains pas qui devraient être accentués
sont silencieux et d'autres bizaremment plus frappés. Cela m'aurait
peut-être moins perturbé si mon placement m'avait permis de voir les pieds
de la danseuse à tout moment, mais cela m'a procuré une sensation vraiment
très étrange de dissonance cognitive entre les motifs rythmiques que je
percevais dans la musique enregistrée, les mouvements de bras que je voyais
et les pas que j'entendais ou non. Pour moi, c'est une frustration énorme :
le génie du chorégraphe n'est pas avec nous pendant la représentation. Cela
dit, c'est un aspect du bharatanatyam qui pose problème avec beaucoup de
praticiens de cette danse en France...</p>
<p>La pièce <em>Kalaitooki</em> a certainement été la pièce la mieux
réussie dans ce début de ce récital. La pièce évoque Shiva, qui a le pied
levé, lorsqu'il danse au temple de Chidambaram. Il est le père de Muruga.
C'est aussi Ardhanarishwara ; il porte la Ganga et la Lune. Sa danse est
accompagnée par le tambour de Nandi, Narada, les thalams de Brahma, etc. Le
texte et la chorégraphie évoquent aussi l'apparition de Shiva sous la forme
d'une colonne de lumière infinie dont Vishnu et Brahma furent mis au défi
d'atteindre une extrémité. La chorégraphie représente Vishnu tentant de
rejoindre le bas, mais semble-t-il pas la tentative de Brahma d'atteindre
le haut.</p>
<p>J'avais déjà eu l'occasion de voir Kalpana danser la pièce suivante
<em>“Rāmo nāma babhūva”</em> <a title="Kalpana au Centre Mandapa" href="http://jriou.org/blog/01029.html">deux fois à la suite</a>. Il
était agréable ici d'entendre Emmanuelle Martin plutôt qu'une musique
enregistrée : c'est ce qui m'a procuré le plus de plaisir dans ce
récital. Néanmoins, l'accompagnement au mridangam par Venkat Krishnan
m'a semblé assez étrange dans cette pièce, puisqu'à certains moments il
a introduit une pulsation régulière alors que cela ne servait à mon avis
ni le discours musical ni la chorégraphie. Le musicien, très bon
rythmicien, a peu d'expérience avec la danse, et le rôle du mridangam
dans un Shloka n'a rien à voir avec le rôle habituel d'un
percussionniste lors d'un récital de chant, puisqu'il s'agit plus ou
moins de créer des effets qui soulignent de façon relativement discrète
certains points-clefs de la chorégraphie. L'interprétation de Kalpana
m'a paru très convaincante dans ce poème dont la chorégraphie évoque
l'histoire de Rama jusqu'à l'enlèvement de Sita. Il y a bien eu quelques
maladresses, comme des transitions parfois un peu floues entre les
différents <q>chapitres</q>. Aussi, alors que Yashoda raconte l'histoire
de Rama à son fils adoptif, j'ai trouvé assez peu claire l'intervention du
jeune Krishna qui semble tenter de venir au secours de Rama : je ne vois
pas comment on est censé comprendre que c'est Krishna qui intervient.
Pour le reste, la pièce m'a semblé très bien interprétée.</p>
<p>La récital s'est poursuivi par l'interprétation d'une composition de
Tyagaraja par Emmanuelle Martin, s'enchaînant avec un solo élaboré de
Venkat Krishnan au mridangam.</p>
<p>Jusqu'ici, en termes de pièces de danse accompagnées par de la musique
interprétée en direct, le récital avait comporté deux <em>Shlokas</em>
comme “Mūṣikavāhana” et “Rāmo nāma babhūva”. Les pièces de ce type ne
nécessitent pas un travail énorme de mise en place dans la relation entre
la danse et la musique : il s'agit surtout pour la chanteuse d'être
attentive à préserver le flot de la danse sans le brusquer ni le ralentir.
C'est une tâche tout autre de mettre en place une pièce combinant la danse
et la musique dans un cadre rythmique précis comme dans un
<em>Thillana</em>, ce qui a été le cas ici. Par rapport aux autres pièces
de danse pure, Kalpana frappe souvent ses pas de façon beaucoup plus forte
et plus nette. Néanmoins, dans les parties conclusives des enchaînements,
là où le rythme est le plus intéressant, ses pas se font malheureusement
beaucoup plus hésitants, et tombent parfois manifestement à côté. La
composition qui est semble-t-il de Pooci Srinivasan Iyengar a un
<em>Pallavi</em> qui commence par <q>(nadr) dim dim tana dhirana...</q>,
avec les syllabes <q>nadr</q> qui sont prononcées en anacrouse (avant le
premier temps). Le manque de clarté des phrases conclusives a fait que je
n'ai pas réussi à savoir si l'intention était de finir les enchaînements
juste avant le premier temps, ou bien juste avant l'anacrouse. La partie
d'<em>Abhinaya</em> du Thillana dédiée à Padmanabha a été omise. À la
place, des séquences accompagnées d'onomatopées rythmiques récitées ont été
interprétées. Il est très dommage que le percussionniste n'ait pas été en
mesure de jouer et réciter ces parties tout en regardant la danseuse : il
avait constamment le nez dans ses notes. Bref, le travail de répétition n'a
pas été optimal pour cette pièce ; si l'orchestre avait également comporté
une personne jouant des <em>thalams</em> (<q>nattuvangam artist</q>), le
résultat aurait sans doute été plus convaincant, parce que le rôle de cette
personne est entre autres de faire le lien entre la danse et les autres
musiciens...</p>
<p>Le récital s'est conclu par deux Shlokas dédiés à la Déesse extraits de
l'<em>Annapūrṇāstotram</em>, semble-t-il <em>“Nityānandakarī...”</em> et
<em>“Urvī sarvajaneśvarī bhagavatī...”</em> dont j'avais déjà eu le plaisir
d'apprécier les interprétations de Shakuntala (en <a title="Shakuntala au Centre Mandapa" href="http://jriou.org/blog/00716.html">2011</a> et
à d'autres reprises entretemps).</p>
Joël Riou
http://jriou.org/
joel.riou@normalesup.org
http://jriou.org/blog/01028.html
Mythili Zatakia au Centre Mandapa
2019-05-15T12:05:00+02:00
<div class="spectacle" id="concert-2019-05-14"><p class="concert-venue">Centre Mandapa — 2019-05-14</p>
<p class="concert-performer">Mythili Zatakia, <em>danse bharatanatyam</em></p>
<p class="concert-chef">Sandhya Pureccha, <em>chorégraphies</em></p>
</div>
<p>J'ai assisté au récital de bharatanatyam de Mythili Zatakia (24 ans) un
peu par hasard. N'ayant aucune information particulière sur la danseuse, ce
qui m'a décidé à venir est sans doute que son Guru Sandhya Pureccha est une
disciple d'Acharya Parvati Kumar (1921-2012) de Mumbai qui fut aussi le
premier guru de Sucheta Chapekar qui est le guru de mon professeur Jyotika
Rao et avec qui j'ai eu la chance d'apprendre aussi directement à Pune.
Acharya Parvati Kumar est notamment connu pour avoir réintroduit dans le
répertoire du bharatanatyam des compositions en marathi attribuées au roi
Serfoji II qui régna à Thanjavur de 1798 à 1832 et qui est contemporain des
célèbres membres du Thanjavur Quartette dont les compositions constituent
le socle du répertoire de la danse bharatanatyam.</p>
<p>J'allais assister à ce récital en me disant que peut-être Sandhya
Pureccha aurait transmis à son élève des compositions extraites des
Nirupanas attribués à ce roi Serfoji. Quand la danseuse s'est avancée pour
faire son <em>Namaskar</em>, la salutation traditionnelle, j'ai apprécié la
force de sa frappe, mais dès l'instant où la première musique enregistrée a
retenti, j'ai été affligé par l'esthétique musicale sirupeuse, qui sera
constante pendant tout le récital : harmonies saturées des synthétiseurs,
kitchissime extrême des chants qui étaient semble-t-il en sanskrit pour la
plupart, tendance à une <q>bhajanisation</q> de pacotille de textes
d'inspiration dévotionnelle (<em>Vakratunda...</em>, <em>Ekadanta...</em>,
<em>Panchakshara stotra</em> sur le mantra <em>Om Namah Shivaya</em>,
etc.).</p>
<p>S'il y a de quoi être consterné par l'esthétique musicale de ce récital,
je l'ai été encore davantage par l'absence complète d'idée chorégraphique
en termes de danse pure. Certains passages expressifs ou narratifs, en
particulier dans le <em>Panchakshara stotra “Nagendra Haraya”</em>, étaient
tout à fait raisonnables. Pour le reste, je n'ai vu qu'une danseuse
pratiquer quelques <em>adavus</em> (enchaînement de base) en première
vitesse, sur des multiples de quatre temps. C'était d'un ennui total.
Aucune des règles esthétiques que les maîtres de danse se doivent de
respecter n'ont été appliquées... Les phrases chorégraphiques doivent
suivre une certaine grammaire et comporter certaines ponctuations. Il n'y
avait rien de tout cela : aucun polyrythme, aucune séquence conclusive
(Tirmanam) digne de ce nom, des <em>Tattu Muttu</em> qui ne sont pas
chorégraphiés de façon correcte par rapport à la musique, etc. Toutes les
pièces étaient sur le même modèle. Malgré le caractère simpliste des
<q>chorégraphies</q> et la faible vitesse d'exécution, la danseuse m'a
semblé très peu musicale, de nombreuses frappes de pieds tombant très à
côté. Néanmoins, il y avait quelques petits détails intéressants dans la
façon d'exécuter certains adavus, comme par exemple une accentuation très
particulière de la deuxième frappe dans les <em>Ta-tai-tai-ta</em> (aussi
appelés <em>Marditha</em> ou encore <em>Vishru</em> adavus). Cependant,
j'ai peu apprécié le port de tête très narcissique et hautain de la
danseuse dans l'exécution de ses pas.</p>
<p>Il m'est souvent arrivé d'assister à des récitals de bharatanatyam et de
ne pas être satisfait pour diverses raisons plus ou moins subjectives qui
pourraient néanmoins faire l'objet d'un débat esthétique, mais jamais je
n'ai été à ce point consterné par une telle absence d'idée chorégraphique.
La personne qui a mis en espace ce spectacle n'est pas un chorégraphe de
bharatanatyam. Il a été annoncé que les chorégraphies avaient été faites
par Sandhya Pureccha avec la participation de la danseuse. Si c'est le cas,
cela disqualifie complètement ce guru à mes yeux, et la danseuse n'est
alors pas vraiment responsable de ces <q>choix esthétiques</q>. Si les
chorégraphies sont principalement dues à la danseuse, il faudrait qu'elle
prenne conseil auprès de personnes qualifiées... (Après avoir posé la
question à la danseuse, celle-ci prend l'entière responsabilité de ces
chorégraphies.)</p>
Joël Riou
http://jriou.org/
joel.riou@normalesup.org
http://jriou.org/blog/01027.html
Chennai, Jour 15/16 : Medha Hari, Rama Vaidyanathan
2019-01-09T09:22:00+01:00
<div class="spectacle" id="kutcheri-2019-01-05-10-00"><p class="concert-venue">Music Academy, T.T.K. Auditorium, Chennai — 2019-01-05 à 10:00</p>
<p class="concert-performer">Medha Hari, <em>danse bharatanatyam</em></p>
<p class="concert-performer">Jayashree Ramanathan, <em>nattuvangam</em></p>
<p class="concert-performer">K. Hariprasad, <em>chant</em></p>
<p class="concert-performer">Ramshankar Babu, <em>mridangam</em></p>
<p class="concert-performer">Easwar Ramakrishnan, <em>violon</em></p>
<p class="concert-performer">J. B. Sruthi Sagar, <em>flûte</em></p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Ardanari Stotram</em> (Ragamalika, Adi Tala), mis en musique par K. Hariprasad</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Varnam “Intha Kopamelara”</em> (Raga Thodi, Adi Tala), composition de Pandanallur Meenakshisundaram Pillai</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Kirtanam “Eppaddi Manam Thunindhadho”</em> (Raga Huseini, Mishra Chapu), composition d'Arunachala Kavirayar</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Javali “Merakadu Lechi ra ra”</em> (Raga Thodi, Adi Tala)</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Thillana</em> (Raga Purvi, Rupaka Tala), composition de T. Vaidyanatha Bhagavathar</p>
</div>
<p>La danseuse Medha Hari a pour l'essentiel présenté des <q>pièces de
compétition</q>. Le but semble être de faire un maximum de pas en un
minimum de temps. C'est assez impressionnant, mais cela me laisse de
marbre. Il me semble que dans le première pièce sur
<em>Ardhanarishwara</em> qui s'enchaînait à un <em>Pushpanjali</em>, la
danseuse a utilisé une alternance entre Chatushra- et Khanda-nadai Adi
Tala. Dans certains mouvements et positions de la danseuse, disciple
d'Anita Guha, il me semble reconnaître une influence du kuchipudi.</p>
<p>Dans le <em>Varnam</em>, ce sont aussi des jatis de compétition, commis
par le percussionniste. Il y a beaucoup trop de changements de “nadai”.
Malgré la présence de la géniale Jayashree Ramanathan au nattuvangam, je
n'ai pas réussi à apprécier ces jatis. Dans le <em>Varnam</em> en télugu,
je n'ai pas réussi à comprendre qui était l'objet de l'amour de l'héroïne.
Il est semble-t-il nommé dans l'<em>Anupallavi</em> :
<q>Ṣaṇmukharājeśvara</q>. Il ne s'agissait pourtant pas de Muruga (qui a
six têtes). J'ai été rassuré quand la personne qui a enseigné le sens du
texte à la danseuse (Jitendra Hirschfeld) m'a expliqué qu'il s'agissait
d'un <em>zamindar</em> qui avait commandé ce <em>Varnam</em> au Nattuvanar
Pandanallur Meenakshisundaram Pillai pour un spectacle de musique de
chambre. J'ai davantage apprécié la deuxième partie du <em>Varnam</em> dans
laquelle la danseuse a inséré entre chaque Swaram/Sahitya non pas seulement
une ou deux répétitions de la ligne de Caranam pour faire des marches lui
permettant de se replacer, mais un nombre plus important de répétitions qui
lui donnaient le temps d'élaborer de différentes manières autout des
flèches florales lancées par Kamadeva. À chaque fois, c'était une
délicieuse respiration avant d'attaquer la section suivante.</p>
<p>La danseuse a ensuite interprété le <em>Padam “(Y)eppaddi manam...”</em>
transmis par Bragha Bessell et typique de la tradition de Kalanidhi
Narayanan (j'ai vu au moins deux autres de ses disciples l'interpréter :
Lavanya Ananth, <a title="Alessandra, Fanny, Iran, Morgane et Kalpana au Centre Jemmapes" href="http://jriou.org/blog/00987.html">Kalpana Métayer</a>). Je persiste dans mes
réticences à propos de cette pièce dans laquelle Sita reproche à Rama de
l'abandonner pour accomplir son exil en forêt. La danseuse l'a montrée
en train de pleurer toutes les larmes de son corps. Elle montre aussi Sita
en train de rappeler à Rama le serment fait pendant leur mariage. À part
les pleurs vraiment excessifs, la danseuse a me semble-t-il bien interprété
la chorégraphie en accord avec l'intention du poète, mais pour moi, cette
vision est une fiction, puisque la Sita du Ramayana de Valmiki (ou de
Tulsidas) est beaucoup plus forte : elle dit immédiatement à Rama qu'elle
va le suivre dans la forêt et il n'a pas son mot à dire, ce sera ainsi et
puis c'est tout. Il s'agit d'un des rares moments du Ramayana où
véritablement Sita exerce sa volonté de façon autonome, je trouve dommage
de l'effacer quasi-complètement. Dans la chorégraphie, Sita supplie pour
ainsi dire Rama d'accepter qu'elle le suive. Elle retire ses bijoux, salue
les aînés et s'en va avec Rama.</p>
<p>La ligne de <em>Pallavi</em> du Thillana conclusif utilise des Swaras au
lieu d'onomatopées. L'interprétation musicale et la chorégraphie peut
peut-être s'analyser comme une sorte de rubato : le rythme de certaines
répétitions est modifié, quelque passage de la phrase étant ralenti et
d'autres accélérés. Dans le <em>Caranam</em>, les noms des sept notes de la
gamme sont chantés. La danseuse se montre alors très convaincante dans la
représentation des dieux et animaux associés à ces notes.</p>
<p style="text-align: center">⁂</p>
<div class="spectacle" id="kutcheri-2019-01-05-18-00"><p class="concert-venue">Music Academy, T.T.K. Auditorium, Chennai — 2019-01-05 à 18:00</p>
<p class="concert-performer">Rama Vaidyanathan, <em>danse bharatanatyam</em></p>
<p class="concert-performer">S. Vasudevan, <em>nattuvangam</em></p>
<p class="concert-performer">K. Venkateshwaran, <em>chant</em></p>
<p class="concert-performer">Sumod Sreedharan, <em>mridangam</em></p>
<p class="concert-performer">Viju Sivanand, <em>violon</em></p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Kirtana “Perum Kovil Konda”</em> (Raga Sri, Mishra Chapu Tala), composition du Thanjavur Quartette</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Kirtana “Pannagendra Sayanam”</em> (Ashtaragamalika, Rupaka Tala), composition de Swati Thirunal</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Padam “Emakko Chiguruta Dharampal”</em> (Raga Thilang, Mishra Chapu Tala), composition d'Annamacharya</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Javali “Ne nethu sahichu ne”</em> (Raga Paras, Adi Tala), composition de Pattabhiramayya</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Shloka “Vāgarthāviva saṃpṛktau vāgarthapratipattaye । jagataḥ pitarau vande pārvatīparameśvarau ॥”</em> (Kalidasa) suivi de l'<em>Ardhanarishwara Ashtakam</em> (Adi Shankaracharya, mis en musique par O.S. Arun en Raga Megh et Adi Tala)</p>
</div>
<p>En soirée, je suis retourné à la Music Academy pour le rétical de Rama
Vaidyanathan, que j'avais déjà vue il y a <a title="Chennai, Jour 5/12 : Mohan Santhanam, Dr M. Balamuralikrishna, Oystein Badsvik, Rama Vaidyanathan" href="http://jriou.org/blog/00932.html">cinq ans</a>. La
voir en 2013 avait été pour moi une expérience très intense. Cinq ans plus
tard, j'ai beaucoup évolué en tant que spectateur. Il est évident que
Rama-akka a présence scénique hors du commun, et sa technique de danse pure
est assez superlative (par exemple, quel <em>araimandi</em> !). Elle fait
un certain nombre de choses qui pour des raisons esthétiques évidentes
devraient être considérées comme excessives en termes de répétition ou dans
l'intensité des mouvements ; et pourtant, cela fonctionne, et uniquement
parce que c'est Rama Vaidyanathan.</p>
<p>La première pièce doit être une de ses chorégraphies récentes. Elle
présente quelques points communs avec la première pièce qu'elle avait
dansée <a title="Chennai, Jour 5/12 : Mohan Santhanam, Dr M. Balamuralikrishna, Oystein Badsvik, Rama Vaidyanathan" href="http://jriou.org/blog/00932.html">il y a cinq ans</a>. Sur des onomatopées très simples
comme <em>Tom-tatom-takita</em>, elle décrit la géométrie très carrée de
l'enceinte du temple de Brhadishwara à Thanjavur. Puis, alors que la
composition musicale du Thanjavur se faire entendre, la description du
temple se poursuit, avec toutes les références artistiques qu'il peut
comporter et qui procurent l'émerveillement du personnage féminin.
L'interprète s'incarne en danseuse qui effectue une prière pour bénir ses
grelots. Elle admire les sculptures sur les piliers, celle de Nandi. En
prenant l'atmosphère musicale du temple pour inspiration, elle souhaite
aussi acquérir des connaissances musicales lui permettant de maîtriser le
rythme et la mélodie : le chanteur (magnifique) chante alors un Swaram ou
un Thanam. Si la technique de la danseuse est impressionnante, les passages
rythmiques sont un véritable supplice pour moi, parce qu'il y avait
vraiment trop de “dissonance rythmique” entre le cycle rythmique Mishra
Chapu utilisé par la composition mélodie et la rythmique des pas de danse
composée par Dr. Sridhar Vasudevan. Je me suis d'abord demandé s'il y avait
une intension de faire quelque chose de rythmiquement affreux et qui
deviendrait esthétique à la fin de la pièce, l'héroïne devenant réellement
inspirée par le temple, mais le rythme est resté discordant jusqu'à la
fin.</p>
<p>J'ai beaucoup aimé la pièce suivante, qui a été la pièce principale du
récital : <em>“Pannagendra Sayanam”</em>. Cette pièce fait partie du
répertoire de Rama Vaidyanathan depuis un certain temps déjà (<a title="Nehha Bhatnagar au India Habitat Centre" href="http://jriou.org/blog/00995.html">j'ai d'ailleurs déjà vu Nehha Bhatnagar la danser en 2015</a>).
Il s'agit d'une composition de Swati Tirunal (dont on peut lire <a href="http://translationsofsomesongsofcarnticmusic.blogspot.com/2016/03/pannagendra-sayana-sanskrit.html" class="external-link">une
traduction</a>). Les huit parties sont séparées par un <em>Jati</em> ou des
<em>Swarams</em> dont j'ai apprécié la construction rythmique relativement
musicale (si l'on excepte les pas très <em>off-beat</em> exécutés au début
de chacun d'entre eux) : certaines séquences conclusives avaient une
construction traditionnelle et une régularité telles que je pouvais
anticiper la structure des phrases chorégraphiques et donc apprécier encore
davantage leur réalisation. L'héroïne fait l'éloge de Padmanabha et hésite
entre l'amour et la dévotion. Parmi les très beaux moments, je retiendrais
l'idée chorégraphique utilisée pour suggérer la comparaison entre la beauté
de Vishnu et celle de Kama : en faisant face au public dans une position
typique de Vishnu (mains en Tripataka), elle fait un lent
demi-tour (à moins que ce ne soit un tour complet) et se métamorphose en
Kama, puis rembobine le film à l'envers pour redevenir Vishnu. Il s'agit
d'un des quelques trésors d'idées chorégraphiques intéressantes que j'ai
remarquées dans ce récital.</p>
<p>J'ai trouvé intéressante la pièce suivante. Dans ce <em>Padam “Emakko
Chiguruta...”</em>, un groupe de femmes médisent à propos d'une autre. Il y
a peut-être une ambiguité sur le sens précis du texte. Le leitmotiv
chorégraphique de la pièce consiste à représenter une de ces femmes écrire
ostensiblement une lettre en regardant la coupable. Celle-ci a-t-elle écrit
une lettre d'amour ? La chorégraphie suggère astucieusement que sa relation
charnelle laisse sur elle des traces, comme si une lettre d'amour était
écrite sur son propre corps. Les traces de poudre rouge sur son corps
suggèrent qu'elle a pris entre ses bras la statue de l'Être aimé. Ou bien
la statue était-elle en hauteur et de la poudre est retombée sur elle alors
qu'elle essayait de l'atteindre pour lui appliquer la poudre. La rougeur de
ses yeux est expliquée par l'action de déraciner ses yeux qu'elle avait
plantée sur Lui. La comparaison poétique est magnifiquement faite avec
l'action de planter un arbre, puis de le déraciner en le faisant trembler,
ce qui tend à en faire tomber les juteux fruits.</p>
<p>Dans le <em>Javali “Ne nethu sahichu ne”</em>, la danseuse représente
une héroïne trahie par son amoureux. Son sentiment de jalousie est
insurmontable. La rupture semble définitive.</p>
<p>La danseuse a magnifiquement conclu son récital avec une de ses pièces à
succès : <em>Ardhanarishwara</em>. L'<em>Ashtakam</em> d'Adi Shankaracharya
est précédé d'un Shloka de Kalidasa sur l'union entre Shiva et Parvati. Une
séquence de danse pure est insérée dans laquelle la danseuse utilise
alternativement uniquement sa main droite pour représenter Shiva sur un
accompagnement rythmique d'onomatopées ou uniquement sa main gauche pour
représenter Parvati avec un <em>Swaram</em> comme accompagnement mélodique.
Sur chaque des lignes du poème, le contraste est très bien mis en valeur
entre Shiva et Parvati.</p>
<p>Dans ce récital, j'ai particulièrement aimé les pièces <em>“Pannagendra
Sayanam”</em> et <em>“Ardhanarishwara”</em>, qui ne sont pas des
chorégraphies récentes de Rama Vaidyanathan. C'est évidemment une très
grande artiste, mais j'aurais aimé que les chorégraphies élababorent
davantage autour des émotions de personnages humains, ce qui pour moi la
condition pour être véritablement touché par cette danse.</p>
Joël Riou
http://jriou.org/
joel.riou@normalesup.org
http://jriou.org/blog/01026.html
Chennai, Jour 14/16 : Meera Sreenarayanan, Bilwa Rajan, A. Lakshmanaswamy, Methil Devika
2019-01-05T08:58:00+05:30
<div class="spectacle" id="kutcheri-2019-01-04-10-00"><p class="concert-venue">Music Academy, T.T.K. Auditorium, Chennai — 2019-01-04 à 10:00</p>
<p class="concert-performer">Meera Sreenarayanan, <em>danse bharatanatyam</em></p>
<p class="concert-performer">Indira Kadambi, <em>nattuvangam</em></p>
<p class="concert-performer">Bijeesh Krishna, <em>chant</em></p>
<p class="concert-performer">Charudutt, <em>mridangam</em></p>
<p class="concert-performer">Easwar Ramakrishnan, <em>violon</em></p>
<p class="concert-performer">Sujith Naik, <em>flûte</em></p>
<p class="concert-performer">Jitendra Hirschfeld, <em>conseiller artistique pour “Dānikē”</em></p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Shloka (d'Adi Shankara) & Narasimha Kavuttuam</em> (Khanda Chapu)</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Padavarnam “Dānikē...”</em> (Raga Todi, Rupaka Tala), composition de Sivanandam (Thanjavur Quartette), chorégraphie de la danseuse</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Padam “Choodare”</em> (Mishra Chapu Tala, Raha Sahana), composition du Kshetrayya, chorégraphie de Kalanidhi Narayanan</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Ashtapadi “Yahi Madhava”</em> (Adi Tala, Ragamalika), chorégraphie d'Indira Kadambi</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Thillana</em> (Raga Tillang, Adi Tala), composition de Lalgudi Jayaraman, chorégraphie de Smt. Narmada</p>
</div>
<p>Les matinées du festival de la Music Academy sont réservées aux
interprètes de la jeune génération. La première à se lancer a été Meera
Sreenarayanan, qui avait obtenu le prix Spirit of Youth 2015 ex-aequo avec
<a title="Sudharma Vaithiyanathan à la Music Academy" href="http://jriou.org/blog/00998.html">Sudharma Vaithiyanathan</a>. Après un Shloka et un Kavuttuam
consacré à Narasimha dans lequel la danseuse a pour ainsi dire tout le
temps gardé les yeux grand ouverts, on est entré dans le vif du
sujet...</p>
<p>Dans mon <a title="Chennai, Jour 13/16 : Padma Srirangan, Samyuktha R., Shweta Prachande" href="http://jriou.org/blog/01025.html#kutcheri-2019-01-03-16-30">billet
précédent</a> à propos du <em>Varnam</em> en Anandabhairavi dansé par
Shweta Prachande hier, j'avais mentionné que l'objet du désir de l'héroïne
pouvait être un roi et non pas un dieu. C'est ce qui a été très
explicitement fait dans l'interprétation de ce <em>Varnam</em>.</p>
<p>Ce <em>Varnam “Dānikē...”</em> a été créé par la danseuse courtisane
Mannargudi Meenakshi à la cour du roi marathe Sivaji II de Thanjavur (qui
régna entre 1832 et 1855). La grande salle de la Music Academy remplace en
quelque sorte la cour du roi Sivaji II et la danseuse Meera Sreenarayanan
joue en quelque sorte le rôle de Mannargudi Meenakshi qui jouait plus ou
moins son propre rôle en intercédant auprès du roi pour le convaincre de
l'amour d'une autre femme. (Note ajoutée le 2019-02-10 suite à un échange
avec Nrithya Pillai : les experts ne sont pas tous d'accord sur le fait que
la créatrice du <em>Varnam</em> soit Mannargudi Meenakshi. Ceci importe
néanmoins peu pour la lecture du reste de ce billet.)</p>
<p>La chorégraphie de ce <em>Varnam</em> tente de reconstruire l'atmosphère
détendue qui pouvait régner dans ces récitals de cour. La danseuse gardera
pendant toute la pièce une attitude extrêmement séductrice envers le roi
(qui n'est autre le public de 2019). Néanmoins elle obéit à l'étiquette de la cour. Ainsi, la danse a commencé par un <em>Salaam</em>. Les
interactions de la danseuse avec les musiciens sont très convaincantes,
puisque même quand elle semble leur donner des ordres (en indiquant le
tempo qu'elle souhaite), on a vraiment l'impression qu'elle est aux
commandes. (J'ignore quelle part de liberté la danseuse s'est gardée pour
improviser dans certains passages, en particulier, les <em>Arudis</em> étaient
absolument délicieuses en termes d'interactions entre la danseuse et les
musiciens, comme si ces derniers découvraient en direct son intention.)
Dans le <em>Pallavi</em>, Meera/Mannargudi essaye de convaincre le roi de
rejoindre l'autre femme, qui cherche à s'unir à lui ; on retrouve
l'imagerie habituelle avec des fleurs et des abeilles, mais c'est beaucoup
plus intense ici. Dans l'<em>Anupallavi</em>, le roi est décrit comme dévot
de Shiva. Un certain nombre de rituel shivaïtes sont exécutés et on
reconnaît l'apparition du roi, qui en bon guerrier, vient semble-t-il faire
bénir son épée. Et au cours de cette cérémonie, son regard semble attiré
par une femme... Il est suggéré que le roi est aussi une adorateur des
arts, qui récompense les artistes qui lui plaisent : à un moment donné de
la chorégraphie, c'est tout comme si le public avait offert une bague très
précieuse à Meera Sreenarayanan. Le sentiment amoureux se développe encore
davantage dans la deuxième partie du <em>Varnam</em>.</p>
<p>Cette pièce était un véritable délice en matière d'<em>Abhinaya</em>. La
danse pure m'a moins convaincu. Une des raisons est que c'est la danseuse
elle-même qui a composé et chorégraphié les jatis. J'ai beaucoup aimé le
premier, mais les autres ne m'ont pas semblé très musicaux (beaucoup
d'allers-retours en Tishra-nadai et de longs intervalles de silences) ;
suivre le tala me semblait quasiment impossible. La danseuse a une très
grande netteté dans ses marches rapides debout qui m'ont semblé de nature à
impressionner le roi. En <em>araimandi</em>, il y a moins de contraste
entre les frappes de pieds : on n'entend pas vraiment la musique de ses
pas. Je n'ai pas non plus aimé le style de récitation d'Indira Kadambi dont
la voix n'était de toute façon pas suffisamment amplifiée.</p>
<p>L'impression générale est d'avoir assisté à une grande matinée. La
<em>standing ovation</em> qu'a reçu la danseuse à la fin du spectacle
suggère que le public est peut-être prêt à accepter ce type de danse qui
met l'accent sur la séduction et le sentiment amoureux. Espérons que cette
danseuse continuera et donnera à d'autres l'idée d'explorer cette
magnifique tradition des danseuses de cour (qui connaissaient la musique,
la poésie, les langues, la danse...). Si j'avais déjà eu l'occasion d'avoir
un aperçu sur cette tradition lors de la journée <a href="http://ceias.ehess.fr/docannexe/file/3913/ng_paris_conference_brochure_1_v2.pdf" class="external-link"><em>Temple,
Court, Salon, Stage. Crafting Dance Repertoire in South India</em></a> à
Paris en 2015, je suis très heureux d'avoir vu ce <em>Varnam</em>. Pour
monter cette pièce, la danseuse a été aidée par Jitendra Hirschfeld avec
qui j'ai souvent eu l'occasion de discuter de la danse et de son histoire.
Je suis très content du succès de cette performance. Pour en savoir plus
sur <em>“Dānikē...”</em>, lisez son blog, et en particulier <a href="https://sathirdance.blogspot.com/2018/08/a-love-affair-with-danike.html" class="external-link">
<em>A Love Affair with Dānikē</em></a>.</p>
<p>Le récital s'est poursuivi avec un magnifique <em>Padam</em> de
Kshetrayya. La danseuse n'a souvent eu besoin que de ses yeux pour exprimer
les paroles déplaisantes qu'un groupe de femmes échangent au détriment
d'une autre femme qui aurait perdu tout sens de la respectabilité en
tombant amoureuse de Krishna.</p>
<p>J'ai joyeusement détesté l'interprétation de la danseuse dans
l'<em>Ashtapadi “Yahi Madhava”</em>. Tout m'a semblé terriblement
surjoué...</p>
<p>Si la chorégraphie des séquences de danse pure m'a semblé manquer de
musicalité dans le <em>Varnam</em>, je me suis réconcilié sur ce point avec
la danseuse dans le Thillana qui a été chorégraphié par Smt. Narmada, guru
d'Indira Kadambi.</p>
<p style="text-align: center">⁂</p>
<div class="spectacle" id="kutcheri-2019-01-04-11-30"><p class="concert-venue">Music Academy, T.T.K. Auditorium, Chennai — 2019-01-04 à 11:30</p>
<p class="concert-performer">Bilva Raman, <em>danse bharatanatyam</em></p>
<p class="concert-performer">KP Rakesh, <em>nattuvangam</em></p>
<p class="concert-performer">Vedakrishnaram, <em>mridangam</em></p>
<p class="concert-performer">G. Srikanth, <em>chant</em></p>
<p class="concert-performer">Easwar Ramakrishnan, <em>violon</em></p>
<p class="concert-performer">J. B. Sruthi Sagar, <em>flûte</em></p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Alarippu</em> (Tishra Ekam Tala)</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Swarajati</em> (Rupaka Tala, Raga Huseini), composition de Merattur Venkatarama Shastri</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Viruttam</em> (Ragamalika), chorégraphie de Bragha Bessell</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Javali “Marubari” (Raga Kamas, Adi Talam)</em>, chorégraphie de Bragha Bessell</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Tillana</em> (Raga Dhanashri, Adi Tala,
composition de Swati Tirunal et Lalgudi Jayaraman), chorégraphie de Leela Samson</p>
</div>
<p>Après un petit café à la cantine de la Music Academy, le spectacle
suivant était donné par une disciple de Leela Samson, Bilwa Raman, dont la
silhouette longiligne portait un costume rose et vert fluo de très
kalakshetrienne facture. Elle a commencé son récital par
l'<em>Alarippu</em> traditionnel en trois temps, très bien exécuté. Dans la
pièce principale (<em>Swarajati</em> en Huseini), j'ai pris beaucoup de
plaisir à écouter les musiciens, en particulier le chanteur G. Srikanth que
je n'avais pas entendu depuis longtemps. Pour le reste, c'est de la danse
typiquement Kalakshetra, complètement fossilisée, mais néanmoins très bien
exécutée. (Le thème du Trikala-jati était <q>Ta - jam - - - ta ka jam - - -
ta ka di mi ta kun da ri ki ta ta ka</q>.)</p>
<p>La pièce suivante dans laquelle une mère montrait semble-t-il sa
dévotion à la Déesse m'a semblé d'un ennui total. Dans le <em>Javali
“Marubari”</em>, la danseuse a montré plus d'émotions que ne le font
d'habitude les danseurs Kalakshetra, mais le sentiment amoureux n'était pas
assez présent à mon goût. La danseuse a conclu son récital avec le
classiquissime Thillana en Dhanashri. La danse pure en était assez
agréable, mais les gestes manquaient de finition dans le <em>Caranam</em>,
en particulier quand la danseuse représentait Padmanabha.</p>
<p style="text-align: center">⁂</p>
<div class="spectacle" id="kutcheri-2019-01-04-18-00"><p class="concert-venue">Music Academy, T.T.K. Auditorium, Chennai — 2019-01-04 à 18:00</p>
<p class="concert-performer">A. Lakshmanaswamy, <em>danse bharatanatyam</em></p>
<p class="concert-performer">Sudharma Vaithiyanathan, <em>nattuvangam</em></p>
<p class="concert-performer">K. Hariprasad, <em>chant</em></p>
<p class="concert-performer">Nellai D. Kannan, <em>mridangam</em></p>
<p class="concert-performer">Easwar Ramakrishnan, <em>violon</em></p>
<p class="concert-performer">T. Sashidhar, <em>flûte</em></p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Jatiswaram</em> (Ragamalika, Mishra Chapu Tala), composition du Thanjavur Quartette</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Varnam “Intha Chala Melane”</em> (Adi Tala, Raga Nalinakanthi), composition de Meera Seshadri</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Yaro Ivar Yaro</em> (Raga Bhairavi, Adi Tala), composition d'Arunachala Kavi Iyer</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Ashtapadi “Kuru Yadu Nandana” (Raga Behag, Mishra Chapu Tala, poème de Jayadeva mis en musique par K. Hariprasad)</em></p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Thillana</em> (Raga Mandari, Adi Tala), composition du Thanjavur Quartette</p>
</div>
<p>J'ai adoré ce récital de A. Lakshmanaswamy. Il a magnifiquement bien
interprété une chorégraphie très traditionnelle du <em>Jatiswaram</em> en
Mishra Chapu et Ragamalika du Thanjavur Quartette. Dans cette chorégraphie
très musicale, sa danse pure semble magnifique. Les adavus très classiques
sont magnifiquement ornementés. Il y à la fois une netteté dans les
mouvements de mains et une délicate douceur dans le regard et les petits
mouvements latéraux de la tête. (Au mridangam, Nellai D. Kannan a eu un jeu
beaucoup plus extraverti que lors du récital de <a title="Chennai, Jour 8/16 : Kalyani Ganesan, Aruna Sairam, Sudharma Vaithiyanathan, TM Krishna" href="http://jriou.org/blog/01019.html">Sudharma</a>
dans lequel il avait été sublimement introspectif. L'accompagnement qu'il a
fait ce soir me semble moins correspondre à l'esthétique de la danse.)</p>
<p>La pièce principale du récital a été un <em>Varnam</em> dans lequel ce
n'est pas une héroïne qui cherche à s'unir à un homme (que ce soit un dieu
ou un roi...), mais c'est un homme (Shiva lui-même) qui cherche à
reconquérir Parvati qui s'est détournée de lui. C'est donc le
<em>sakha</em> (ami de Shiva) qui va servir d'intermédiaire avec Parvati.
Mais celle-ci reste indifférente. Il avait été annoncé que Shiva serait
représenté dans sa forme résidant au temple de Mylapore (Kapalishvarar). La
légende locale est connue de tous les spectateurs (y compris moi), donc je
me suis délecté du magnifique Sanchari de l'<em>Anupallavi</em> dans lequel
pour justement s'être détournée de Shiva en regardant des paons, Parvati
reçoit une malédiction : elle est transformée en paonne. J'ai aussi
beaucoup aimé le dernier Ettugada Sahitya qui raconte l'épisode dans lequel
Ravana tente de casser l'arc de Shiva pour pouvoir épouser Sita. Comme elle
est effrayée à l'idée de l'épouser s'il réussit l'épreuve, Shiva semble la
rassurer en lui faisant comprendre que Ravana ne peut pas réussir. Plutôt
que de la jouer en mode comique en tournant le moustachu Ravana en
ridicule, le danseur a mis l'accent sur l'interaction en pensée entre Sita
et Shiva. (Cette épisode qui est souvent représenté dans la danse n'est en
fait pas dans le <em>Ramayana</em>, mais cette épisode a été intégré dans
la tradition ultérieure.)</p>
<p>Il est à noter que dans le <em>Varnam</em>, les jatis étaient de
Muthuswamy Pillai. J'ai particulièrement aimé le Trikala avec quatre
vitesses (y compris une vitesse en Tishra-nadai), sur le thème <q>Ta - dit
- ta ka na ka jum - dit - ta ka na ka jum - ta ka na ka jum - ta kun da ri
ki ta ta ka </q>.</p>
<p>Les deux pièces de pur <em>Abhinaya</em> qui ont suivi ont été d'une
beauté rare. Sans utiliser le moindre artifice, en toute simplicité, il a
donné vie à ses personnages. Dans <em>Yaro Ivar Yaro</em>, le poète imagine
le premier regard échangé entre Rama et Sita, dans un épisode qui n'est au
passage ni dans le <em>Ramayana</em> ni dans le <em>Ramcaritmanas</em>. La
balle lancée par Sita ou une de ses amies tombe d'une plate-forme et
s'arrête près de Rama, qui relève la tête et tombe immédiatement amoureux
de Sita. Le danseur a véritablement su créer une atmosphère dans laquelle
plus rien ne semble exister si ce n'est ses personnages, et plus
particulièrement Rama.</p>
<p>Le vrai point culminant du récital a en fait été <em>Ashtapadi “Kuru
Yadu Nandana”</em> (déjà magnifiquement interprété <a title="Chennai, Jour 10/16 : Neena Prasad" href="http://jriou.org/blog/01021.html">par Neena
Prasad il y a quelques jours de cela</a>). Il l'a dansé en étant assis
(ou avec au moins un genou à terre) pendant toute la pièce. Magnifique
interprétation !</p>
<p>Le récital s'est conclu par un délicieux Thillana en Raga Mandari du
Thanjavur Quartette.</p>
<p style="text-align: center">⁂</p>
<div class="spectacle" id="kutcheri-2019-01-04-19-45"><p class="concert-venue">Music Academy, T.T.K. Auditorium, Chennai — 2019-01-04 à 19:45</p>
<p class="concert-performer">Methil Devika, <em>mohiniattam</em></p>
<p class="concert-performer">Gayatri, <em>nattuvangam</em></p>
<p class="concert-performer">Jamaneesh Bhagavatar Kottayam, <em>chant</em></p>
<p class="concert-performer">Kallekulangara Unnikrishnan, <em>mridangam</em></p>
<p class="concert-performer">Surya Narayanan, <em>flûte</em></p>
<p class="concert-performer">Baiju Rajeeth, <em>vina</em></p>
<p class="concert-performer">Sajith Pappan, <em>edakka</em></p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Cholkettu “Tam Tam Tat Tomga”</em> (Raga Anandabhairavi, Adi Tala), composition de Surya Narayanan</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Desi Padam “Ullili Unnikkoru”</em> (Ragamalika, Talamalika), composition de Kavalam Shrikumar</p>
</div>
<p>Après un aussi magnifique récital de bharatanatyam, j'ai hésité à rester
pour le récital de mohiniattam de Methil Devika. Par rapport aux
merveilleux <a title="Chennai, Jour 9/16 : Thomas Vo Van Tao" href="http://jriou.org/blog/01020.html">Thomas Vo Van Tao</a> et <a title="Chennai, Jour 10/16 : Neena Prasad" href="http://jriou.org/blog/01021.html">Neena
Prasad</a> vus précédemment dans ce style, toute la danse de Dr. Methil
Devika m'a paru anecdotique. Sa danse pure n'a pas la suprême élégance
habituelle du style mohiniattam et sa technique d'<em>Abhinaya</em> m'a
semblée manquer de subtilité. Je m'en sentais presque mal physiquement, et
je me suis enfui le plus discrètement que j'ai pu entre deux pièces.</p>
Joël Riou
http://jriou.org/
joel.riou@normalesup.org
http://jriou.org/blog/01025.html
Chennai, Jour 13/16 : Padma Srirangan, Samyuktha R., Shweta Prachande
2019-01-04T07:56:00+05:30
<div class="spectacle" id="kutcheri-2019-01-03-09-00"><p class="concert-venue">The indian fine arts society, Ethiraja Kalyana Nilayam, Chennai — 2019-01-03 à 09:00</p>
<p class="concert-performer">Smt. Padma Srirangan, <em>danse bharatanatyam</em></p>
<p class="concert-performer">R. Vijay Madhavan, <em>nattuvangam</em></p>
<p class="concert-performer">Murali Parthasarathy, <em>chant</em></p>
<p class="concert-performer">N. Sriram, <em>mridangam</em></p>
<p class="concert-performer">Ganesan, <em>violon</em></p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Mallari</em> (Raga Gambhira Nattai, Rupaka Tala)</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Varnam “Manavi...”</em> (Raga Shankarabharanam, Adi Tala)</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Padam</em> (Rupaka Tala)</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Tillana</em> (Adi Tala)</p>
</div>
<p>La <em>indian fine arts society</em> présente de jeunes interprètes en
matinée. Il s'agit aussi d'un concours, le jury de trois personnes étant
placé sur trois chaises séparées des autres au premier rang. Je suis venu
ce jour-ci puisque je connais un tout petit peu le guru, Vijay Madhavan,
qui développe sa propre méthode de notation de la danse bharatanatyam
(Natyagraphy). Dans la danse de sa disciple, je reconnais certains aspects
caractéristiques du style de Chitra Visweswaran et je reconnais même
certains phrases chorégraphiques que j'ai apprises avec Arupa Lahiry lors
de mon dernier séjour à Delhi. Parmi les adavus typiques, je reconnais le
<em>Salute adavu</em> (dans la série des Ta-tai-ta-ha).La danseuse est
extrêmement souriante (peut-être un peu trop), mais il y a un certain
manque de netteté, en particulier dans les mouvements du haut du corps. (Il
est possible qu'avec le temps le style de Chitra Visweswaran ait évolué
vers une géométrie plus stricte du corps : comme il est un de ses plus
anciens disciples, le style qu'il enseigne ne correspond peut-être plus
avec le style de Chitra-akka telle qu'il est représenté par les membres
actuels de la Chidambaram Dance Company.) J'apprécie néanmoins le style de
récitation de Vijay Madhavan (qui cependant ne regarde pas la danseuse
pendant les jatis...). Le premier jati du <em>Varnam</em> était très
étonnant parce qu'il y avait très très peu de syllabes et donc de longs
silences entre chacune d'entre d'elles. L'<em>Abhinaya</em> de Padma
Srirangan m'a paru relativement bien habité dans le <em>Varnam</em> dédié à
Shiva. Elle m'a semblé très convaincante dans son premier Sanchari dans
lequel en bougeant l'index de la main en <em>Tāmracūḍa</em>, l'héroïne
nourissait un oiseau qui pourrait lui servir de messager.</p>
<p style="text-align: center">⁂</p>
<div class="spectacle" id="kutcheri-2019-01-03-10-10"><p class="concert-venue">The indian fine arts society, Ethiraja Kalyana Nilayam, Chennai — 2019-01-03 à 10:10</p>
<p class="concert-performer">Samyuktha R., <em>danse bharatanatyam</em></p>
<p class="concert-performer">Priya Karthikeyan, <em>nattuvangam</em></p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Pushpanjali</em> (Adi Tala, Raga Arabhi), composition de Dr. M. Balamuralikrishna</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Varnam “Innam en manam”</em> (Raga Charukeshi, Adi Tala, composition de Lalgudi Jayaraman)</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Padam</em> (Raga Bihag, Adi Tala)</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Thillana</em> (Raga Khamas, Adi Tala), composition de Patnam Subramanya Iyer</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Mangalam</em></p>
</div>
<p>Juste après, j'ai assisté au récital d'une danseuse encore plus jeune et
très athlétique. Elle est capable d'une très grande vitesse, mais sa
technique de pieds est vraiment défectueuse : beaucoup de pas sont à peine
esquissés, elle fléchit beaucoup trop les genoux quand elle fait des
marches ; c'est un véritable massacre technique quand elle exécute les
marches à reculons en préparation des passages techniques du
<em>Varnam</em>. Dans les <em>jatis</em>, elle semble retenir sa
respiration. Je n'aime ni les chorégraphies techniques ni le style de
récitation de Priya Karthikeyan. L'<em>Abhinaya</em> est très scolaire :
c'est particulièrement flagrant quand la danseuse prend des poses. C'était
néanmoins un vrai plaisir pour moi d'entendre le <em>Varnam</em> en Raga
Charukeshi composé par Lalgudi Jayaraman. (Du coup, comme le
<em>Pallavi</em> et l'<em>Anupallavi</em> sont présentés chacun en entier
plutôt que découpés en deux comme dans la plupart des autres
<em>Padavarnams</em>, la chorégraphie contenait une double ration de
Jatis : à peine le premier était terminé qu'elle enchaînait le deuxième
après un ou deux cycles d'une transition quelque peu incongrue.)</p>
<p style="text-align: center">⁂</p>
<div class="spectacle" id="kutcheri-2019-01-03-16-30"><p class="concert-venue">Kartik fine arts, Bharatiya Vidya Bhavan, Chennai — 2019-01-03 à 16:30</p>
<p class="concert-performer">Shweta Prachande, <em>danse bharatanatyam</em></p>
<p class="concert-performer">KP Rakesh, <em>nattuvangam</em></p>
<p class="concert-performer">Sakthivel Murugananthan Subramaniam, <em>mridangam</em></p>
<p class="concert-performer">Preeti Mahesh, <em>chant</em></p>
<p class="concert-performer">M. Srikamani, <em>violon</em></p>
<p class="concert-oeuvre"><em>“Om Sharavanabhava”</em> (Raga Shanmukhapriya, Adi Tala), composition de Ghatam Dr. S. Karthick</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Varnam “Sakiye Inda Velaiyil...”</em> (Raga Anandabhairavi, Adi Tala), composition du Thanjavur Quartette</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Ashtapadi #19 “Priye Cāruśīle” (Raga Mukhari, Khanda Chapu Tala)</em></p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Thillana</em> (Adi Tala, Raga Behag), composition de Dr. M. Balamuralikrishna</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Kirtana “Ksheerabdi Kanyakaku Sree Maha Lakshmikini”</em> (Raga Kurinji, Khanda Chapu Tala), composition d'Annamacharya (?)</p>
</div>
<p>Dans l'après-midi, j'ai assisté à un très beau récital de Shweta
Prachande, que j'avais déjà vue <a title="Chennai, Jour 10/12 : Lalgudi G. J. R. Krishnan & Lalgudi Vijayalakshmi, M. S. Ananthashree, Sweta Prachande, Zakir Hussain" href="http://jriou.org/blog/00937.html">il y a cinq ans</a> (et <a title="Chennai, Jour 6/16 : Natya Kala Conference (Day #2), Disciples de Swamimalai K. Suresh" href="http://jriou.org/blog/01017.html">il y a quelques jours</a> pour une lec-dem).</p>
<p>La première pièce est une composition du percussionniste Ghatam Dr. S.
Karthick qui était présent pendant la performance de cette pièce. Dédiée à
Muruga, elle alterne chant et passages poétiques récités. La pièce est
extrêmement complexe d'un point de vue rythmique (on entend et on voit en
particulier beaucoup de pas basés sur le nombre 5). Le texte fait entendre
un certain nombre de noms de Muruga, comme Guha ou Kartikeya.</p>
<p>La pièce principale, qui est aussi celle qui m'a procuré le plus grand
plaisir a été le <em>Varnam</em> traditionnel <em>“Sakiye Inda
Velaiyil...”</em> en Raga Anandabhairavi composé par le Thanjavur
Quartette. La chorégraphie est aussi très traditionnelle, puisqu'elle est
due à A. Lakshmanaswamy (avec qui travaillait autrefois Priyadarshini
Govind, guru de Shweta Prachande). Dans sa danse technique, la danseuse a
appliqué les principes dont elle avait fait la démonstration avec Apoova
Jayaramana lors de <a title="Chennai, Jour 6/16 : Natya Kala Conference (Day #2), Disciples de Swamimalai K. Suresh" href="http://jriou.org/blog/01017.html">leur lec-dem</a> à la Natya Kala
Conference. La chorégraphie de A. Lakshmanaswamy étant fixée, il est
néanmoins possible de l'interpréter d'une façon personnelle : un même adavu
peut être exécuté avec différentes intentions. Il est possible d'utiliser
plus ou moins l'espace, de faire des mouvements <em>staccato</em> ou au
contraire avec un phrasé très étendu (comme dans le troisième Jati). Le
premier Jati (Trikala) est une variation sur un Tirmanam traditionnel de la
Vazhuvoor bani dont le thème est <q>Kun - ta ri ta - - - ku kun ta ri tai
- - - ku kun ta ta kun ta ta ka ta kun ta ri ki ta ta ka</q>. La première
vitesse a été magnifiquement bien exécutée, avec un sens esthétique certain
combinant force et douceur. Dans la composition rythmique de ce
<em>Tirmanam</em>, la fin a été légèrement modifiée pour que le Tirmanam se
conclue avant que le texte de la première ligne du <em>Pallavi</em> ne
démarre. (Dans cette version, le texte reprend sur le <strong>et</strong>
entre le deuxième et le troisième temps.) Dans le deuxième Jati, j'ai aimé
une séquence de Khudita Metti Adavus dans lesquels la danseuse explorait
les différentes directions de l'espace. Dans les <em>Tattu Muttu</em>, je
reconnais les motifs rythmiques qu'utilisent Chitra Visweswaran et
A. Lakshmanaswamy (une série de takadimi, puis une série de takadimi
off-beat).</p>
<p>Dans ce <em>Varnam</em> chorégraphié par A. Lakshmanaswamy, j'ai
retrouvé la même qualité dans la construction du discours chorégraphique
que dans le récital de <a title="Chennai, Jour 8/16 : Kalyani Ganesan, Aruna Sairam, Sudharma Vaithiyanathan, TM Krishna" href="http://jriou.org/blog/01019.html">Sudharma Vaidyanathan</a> qui est sa
disciple. Il serait vain de chercher à résumer ce discours. Je retiens
particulièrement les Sancharis des deux lignes de l'Anupallavi. Dans la
première ligne, la danseuse décrit une magnifique ville (qui n'est
semble-t-il pas nommée explicitement) où se trouve un temple et où la
divinité est portée en procession. La danseuse a montré de façon assez
spectaculaire les roues du chariot et s'est montré très convaincante en
montrant les hommes qui tirent sur les cordes pour le mettre ne mouvement.
Dans la deuxième de l'<em>Anupallavi</em>, le texte évoque la conque et le
disque de Rajagopalan (Vishnu) devant lequel l'héroïne s'émerveille. De
façon très pertinente, la danseuse développe un Sanchari relatant un
épisode dans lequel Vishnu utilise ce disque. Il s'agit de l'histoire de de
l'éléphant Gajendra attaqué pendant son bain par un crocodile. J'ai déjà vu
des danseurs développer le bain de l'éléphant et l'attaque du crocodile
dans des productions déraisonnables, le rôle protecteur de Vishnu devenant
anecdotique. L'interprétation de Shweta Prachande m'a semblé très
pertinente, efficace et émouvante puisque l'élément important en a été
l'intervention de Vishnu. Après avoir montré de façon relativement brève
l'attaque du crocodile, elle a représenté Vishnu qui entend l'appel à
l'aide de Gajendra, et qui intervient pour le sauver. Grâce à son
expression faciale, j'ai beaucoup apprécié la sérénité intérieure qui se
dégageait dans sa représentation de Vishnu. La danseuse a représenté de
façon intéressante le nom <em>Rajagopalan</em> en montrant un gardien de
troupeau de la main gauche et en représentant une couronne avec la main
droite. (Ceci me rappelle que lors d'une conférence à Paris, Tiziana Leucci
avait expliqué que le nom de Rajagopalan était à double sens, puisqu'à
l'époque de la composition de ce <em>Varnam</em>, ce nom pouvait désigner
soit Krishna (Vishnu) soit le roi de Mysore ?). Dans la deuxième moitié du
<em>Varnam</em>, la ligne de <em>Caranam</em> est représenté à la fois sous
forme de Swaram et sous forme de texte “Pangana mayile...” (ce qui n'est
pas le cas dans toutes les versions). L'héroïne est touchée par les flèches
de Kama...</p>
<p>La danseuse a magnifiquement interprété le dix-neuvième Ashtapadi
<em>“Priye Charu”</em>. Radha s'est montrée indifférente, voire hostile
envers Krishna, et le poème nous fait entendre les paroles de Krishna pour
reconquérir Radha. La danseuse avait indiqué dans sa présentation de la
pièce que le poème (et aussi la chorégraphie) se plaçait du point de
Krishna. La seule critique que je pourrais faire est que la danseuse n'a
pas à mon avis assez caractérisé le personnage de Krishna. Sans forcément
le représenter avec ses attributs habituels (flûte, plume de paon, etc.),
je pense qu'il aurait été souhaitable d'adopter des postures un peu plus
masculines pour bien faire comprendre que c'est un homme qui s'exprime, et
qu'ainsi c'est bien Krishna qui souhaite que le doux pied de Radha se pose
sur sa tête.</p>
<p>Après avoir interprété un Thillana composé par Dr. M. Balamuralikrishna
et dont la chorégraphie était très exigeante, plutôt qu'un traditionnel
Mangalam, la danseuse a choisi me semble-t-il une très apaisante
composition d'Annamacharya consacrée à la Déesse sous le nom de
Mahalakshmi. Un des détails remarquables de la chorégraphie réside dans la
façon dont la danseuse a représenté sans la montrer la poitrine de la
Déesse évoquée par le texte : elle s'est tout simplement mise de dos, sans
doute pour éviter toute référence érotique qui ne siérait point à la
représentation de ce <em>Kirtana</em>.</p>
<p>J'espère de pas avoir à attendre cinq ans supplémentaires pour assister
à nouveau à un récital de cette danseuse dont le travail me semble
admirable.</p>
Joël Riou
http://jriou.org/
joel.riou@normalesup.org
http://jriou.org/blog/01024.html
Chennai, Jour 12/16 (deuxième partie) : Sruthi Natanakumar & K. Kalyanasundaram
2019-01-03T13:53:00+05:30
<div class="spectacle" id="kutcheri-2019-01-02-16-30"><p class="concert-venue">The indian fine arts society, Ethiraja Kalyana Nilayam, Chennai — 2019-01-02 à 16:30</p>
<p class="concert-performer">Kum. Sruthi Natanakumar, <em>danse bharatanatyam</em></p>
<p class="concert-performer">K. Kalyanasundaram, <em>nattuvangam</em></p>
<p class="concert-performer">Smt Vidya Harikrishna, <em>chant</em></p>
<p class="concert-performer">Vedakrishnaram, <em>mridangam</em></p>
<p class="concert-performer">Kannan, <em>violon</em></p>
<p class="concert-performer">?, <em>flûte</em></p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Thorayamangalam “Jaya janaki ramana...”</em></p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Padavarnam</em> (Raga Shankarabharanam, Adi Tala)</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>“Sabaapathikku”</em> (Rupaka Tala, Raga Abogi ?), composition de Gopalakrishna Bharati</p>
<p class="concert-oeuvre"><em>Thillana</em> (Raga Atana, Adi Tala), composition de Ponniah Pillai</p>
</div>
<p>
<em>Click <a href="#e.1024.en">here</a> to read an English translation
of this review.</em>
</p>
<p id="e.1024.fr">Le frissonomètre a atteint d'irrésistibles sommets aujourd'hui lors du
récital de Kum. Sruthi Natanakumar, disciple et petite-fille du Nattuvanar
Guru K. Kalyanasundaram dont la famille est installée à Mumbai depuis les
années 1940. (Sa famille et celle de K. P. Kittappa Pillai sont les
représentants les plus éminents du style dit de Thanjavur, mais je ne sais
pas très bien ce que cela veut dire puisque les styles de Kittappa et de
Kalyanasundaram sont me semble-t-il aussi différents l'un de l'autre qu'ils
ne le sont des autres styles..)</p>
<p>Le maître est un personnage très attachant. Juste avant que le récital
commence, un (autre) homme très âgé est entré. Je n'ai pas entendu son nom,
mais il fait semble-t-il comme lui partie d'une famille traditionnelle.
Guruji (Kalyanasundaram) s'est approché de lui, avec ses jambes de 86 ans.
Guruji s'était exprimé jusque là en tamoul, et quand il m'a vu au deuxième
rang, il m'a demandé sans formalité en anglais “Does my tamil bother you?”
et dans quelle mesure je comprenais le tamoul, j'ai répondu en hindi “Thora
thora”, dont il a délicieusement donné une traduction tamoule.</p>
<p>La première pièce est <em>Thodayamangalam</em>, un ensemble de cinq
compositions dédiées à Vishnu (sous la forme de Rama ou de Krishna) qui
sont dans différents talas (Khanda Chapu, Mishra Chapu, Rupaka, Adi,
m'a-t-il semblé) et qui sont séparées par des Tirmanams. C'est un plaisir
immense pour moi d'entendre la voix de Kalyanasundaram récitant les
onomatopées des passages rythmiques. La danseuse est précise rythmiquement
et j'apprécie la douceur qu'il y a chez elle dans le haut du corps : ses
positions de bras et de mains sont très précises, mais elle les exécute de
façon gracieuse, pas du tout militaire.</p>
<p>La pièce principale a été un <em>Padavarnam</em> en Raga
Shankarabharanam et Adi Tala. Guruji a pas mal parlé (en tamoul et un tout
petit peu en anglais par égard pour moi !) pour présenter les pièces. Pour
celle-ci, il a dit dans le langage de la musique plus qu'en tamoul que le
texte commençait après “Ta ki ta”, autrement dit que dans la première
moitié du Varnam les paroles commencent sur le <strong>et</strong> après le
deuxième des huit temps d'Adi Tala. Il a aussi expliqué qu'il utilisait des
combinaisons de syllabes traditionnelles, comme “ta-dit-dit-ta”. En
entendant et en voyant ses <em>Tirmanams</em>, il apparaît évident que cet
homme est un génie, tout simplement... Bien d'autres mridangistes et
chorégraphes utilisent le même type d'ingrédients pour construire leur
tirmanams, mais K. Kalyanasundaram est un des très rares à savoir faire de
la bonne cuisine... Le troisième Tirmanam a été entièrement en usi (à
contretemps). Assez souvent, certaines courtes formules conclusives ont été
jouées en tishra-nadai (à l'échelle d'un temps du cycle ou de la moitié
d'un temps). La plupart des Nattuvangam artists ralentissent quand ils
basculent en tishra-nadai, mais Guruji a une maîtrise absolue de la
régularité de la pulsation (Kalapramanam). Bien que la danse soit
rythmiquement très complexe, je n'ai eu aucune difficulté à suivre le tala
pendant l'ensemble du récital.</p>
<p>L'étroitesse du créneau horaire ne permettait pas de très longs
développements dans l'Abhinaya : les lignes d'Ettugada Sahitya n'ont été
interprétées qu'une seule fois (en Tattu Muttu). Il y a néanmoins eu un
délicieux Sanchari pour la deuxième ligne du Pallavi dans lequel l'amour de
l'héroïne pour la divinité lui fait perdre le goût pour la musique, etc.
Les chorégraphies ne montrent le plus souvent que l'héroïne. Ici, c'était
comme un dialogue entre l'héroïne et son amie (sakhi), qui tente tout pour
lui faire retrouver le goût des choses. Celle-ci prépare un verre de lait,
mais l'héroïne le refuse. Dans le lit de fleurs, elle tombe sur une épine.
Plus loin, dans son sommeil, elle voudrait rêver, mais c'est un cauchemar
qu'elle fait.</p>
<p>Pendant l'ensemble du récital, la sonorisation de la chanteuse n'était
sans doute pas bien réglée, contrairement à celle du Nattuvanar : je
n'arrivais pas à distinguer les consonnes dans le chant de Vidya
Harikrishna, ce qui m'a rendu quasiment impossible d'entendre les mots
chantés. En particulier, je n'ai pas réussi à bien rentrer dans la pièce
suivante sur Shiva, dans sa forme résidant à Chidambaram. Bref, je n'ai pas
toujours réussi à bien distinguer l'intention dans certains passages
expressifs. La danseuse semblait très convaincante dans son interprétation,
mais je n'arrivais pas à distinguer le sens. Cela dit, je préfère me perdre
parfois et me sentir subjugué par le spectacle comme cela a été le cas lors
de ce récital, plutôt que d'assister un spectacle en ayant le sentiment de
voir toutes les ficelles...</p>
<p>(Guruji a fait à un moment une remarque sur sa façon de chorégraphier
les Tattu Muttu, ces passages dans lequels la danseuse interprète le texte
tout en effectuant des motifs rythmiques précis avec les pieds. Pendant
tout le récital, les motifs rythmiques des <em>Tattu Muttu</em> ont été
beaucoup plus complexes que ce que l'on voit d'habitude (beaucoup de
takadimi, parfois un peu de takita à la fin des phrases, ces motifs étant
construits en général indépendamment de la prosodie du texte). Dans le
style de Kittappa Pillai (qui était aussi de la Thanjavur bani), la prosodie
du texte prime sur le tala : les contours rythmiques des Tattu Muttu
épousent les contours des mots, et comme les mots ont des durées musicales
différentes, les motifs rythmiques peuvent sembler très complexes, mais
comme ils sont extrêmement musicaux, ils sont d'autant plus agréables à
danser. Dans la mesure où la sonorisation imparfaite m'empêchait de bien
distinguer les consonnes dans le chant, je ne saurais dire si Guruji suit
le même principe associant de façon harmonieuse poésie, musique et
danse.)</p>
<p>Le récital s'est poursuivi avec un sublime Thillana. Je me suis
particulièrement délecté lors des Mai adavus dans lesquels la danseuse a
montré une maîtrise complète des contretemps, la plupart des séquences
commençant usi (off-beat). Un véritable festin rythmique !</p>
<p>Je me perds un peu dans mes notes, mais la danseuse a dû conclure son
récital par une courte pièce dédiée à Muruga.</p>
<p>Pendant ce récital d'après-midi, plusieurs fois j'ai cru mourir de
plaisir ! Avec la programmation folle à Chennai, j'aurais bien pu aller à
un ou deux autres récitals dans la foulée, mais j'ai préféré rester sur le
sentiment de plénitude apporté par Sruthi & K. Kalyanasundaram.</p>
<p style="text-align: center">⁂</p>
<p id="e.1024.en">
<em>This is a translation of the <a href="#e.1024.fr">above review in French</a>.</em>
</p>
<p>Today, my goosebumps-meter has reached irresistible heights during the
recital by Kum. Sruthi Natanakumar, disciple and grand-daughter of
Nattuvanar Guru K. Kalyanasundaram, the family of whom settled in Mumbai
in the 1940s. (His family and the family of K. P. Kittappa Pillai
are the most eminent representatives of the Thanjavur style (or bani), but
I am not sure what it means exactly as I feel that Kittappa's and
Kalyanasundaram's styles are as different from each other than they are
from the other styles.)</p>
<p>The maestro is a very engaging and charming person. Just before the
recital started, another older man entered. I did not understand his name,
but it seems he also belongs to a traditional family of artists. Guruji
(Kalyanasundaram) approached him, with his 86-year old legs. Guruji
had spoken only in tamil until then, but when he saw me sitting in the
second row, he casually asked me in English “Does my tamil bother you?” and
to what extent I would understand tamil, I answered in hindi “Thora
thora”, which he deliciously translated into tamil.</p>
<p>The first item was <em>Thodayamangalam</em>, which is a set of five
compositions dedicated to Vishnu (under the form of Rama or Krishna). They
are in differents talas (Khanda Chapu, Mishra Chapu, Rupaka, Adi, as it
seemed to me) and they are interspersed with Tirmanams. It has been an
immense delight for me to listen to Kalyasundaram when he was reciting the
shollukattus. The dancer is rhythmically very precise and I like very much
the softness in her upper body movements: her positions of arms and hands
are very precise, but she performs them in a very gracious manner, not at
all in a military style.</p>
<p>The main item was a <em>Padavarnam</em> in Raga Shankarabharanam and Adi
Tala. In order to introduce the items, Guruji spoke a lot (in tamil and a
little bit in English out of regard for me!). For this item, he said not
exactly in tamil but in the language of music that the sahitya would start
after “Ta ki ta”, which means that in the first half of the Varnam, the
lyrics would start on the "and" after the second of the eight beats of Adi
Tala. He also explained that he would use combinations of traditional
syllabes like “ta-dit-dit-ta”. By watching and listening to his
<em>Tirmanams</em>, it seems obvious to me that this man is a genius. Many
other mridangists or choreographers are using the same sort of ingredients
in order to construct their tirmanams, but K. Kalyanasundaram is one of the
very few who know how to cook good cuisine... The third Tirmanam was
entirely in usi (i.e. offbeat). Quite often, it seemed to me that some
concluding rhythmic formulas were done in Tishra-nadai (at the small scale
of only one beat, or even half a beat!). Many nattuvangam artists slow down
a little bit the tempo when they switch to Tishna-nadai, but Guruji has an
absolute mastery over the regularity of the pulse (Kalapramanam). Although
the dance was rhythmically very complex, I did not feel any difficulty to
follow the tala during all the recital.</p>
<p>Unfortunately, the shortness of the dance slot did not allow long
elaboration in the Abhinaya: the Ettugada Sahitya lines have been performed
only once (in Tattu Muttu). However, the dancer exquisitely performed a
Sanchari for the second line of the Pallavi. Because of her love for the
God, the Nayika loses her taste for music, etc. Most choreographies would
show only the Nayika. Here, it was interestingly staged as a dialogue
between the Nayika and the Sakhi who is trying all her best to make the
Nayika recover her taste for all the beauty in life. The sakhi would
prepare a glass of milk, but the heroin would refuse it. In a bed of
flowers, she would find only a thorn. Later, in her sleep, she would like
to dream, but she is only doing a nightmare.</p>
<p>During the recital, the tuning of the microphone was good for the
Nattuvanar, but not for the singer; then, I was not able to distinguish the
consonants in the beautiful singing of Vidya Harikrishna. This prevented me
from understanding some words in the sahitya. In particular, I could not
enter properly into the following item on Shiva, in his form residing in
Chidambaram. In short, I could not fully get the intention in the
expressive sections. The dancers seemed very convincing in her
interpretation, but I could not follow the meaning. However, I prefer being
sometimes lost and overwhelmed by the dance as it has been the case in
this item, rather than attending programmes where I would feel I
understand everything and that I could pull all the narrative strings
myself.</p>
<p>(At some point, Guruji made a remark about his way of choreographying
the Tattu Muttu, these segments where the dancer interprets the sahitya
while executing specific precise rhythmic footwork.) During all the
programme, I have felt that the <em>Tattu Muttu</em> patterns have been
much more complex than what we usually see (which is lots of takadimi,
sometimes some takita in second half of sahitya lines, i.e. patterns that
are usually constructed independently of the prosody of the text). As I
have been taught by Sucheta Chapekar (guru of my teacher in Paris), in the
style of Kittappa Pillai (also from the Thanjavur bani), the prosody of the
text is more important than the tala: the rhythmic contours of the Tattu
Muttu follows the contours of the words, and as the words have longer or
shorter musical lenghts, the rhythmic patterns of the Tattu Muttu may seem
very comlpex, but as they are extremely musical, they are a real pleasure
to perform. Because the microphone of the vocalist was not properly tuned,
I could not properly distinguish the consonants in the singing. Then, I am
not able to say whether the principles following by Guruji are the same as
Kittappa's in their way of bringing together in a harmonious manner the
poetry, the music and the dance.)</p>
<p>The recital continued with a sublime Thillana. I have particularly
enjoyed the Mai adavus during which the dancer proved a full mastery over
off-beats: most of these sequences started usi. An authentic rhythmic
delight!</p>
<p>I am a little bit lost in my notes, but it seems the dancer ended her
recital with a short item on Muruga.</p>
<p>During this afternoon recital, several times it was as if I was
about to faint or die from the intense aesthetic pleasure I was feeling!
Due the crazy schedule of performances in Chennai, I could have attended
one or two other recitals just after this one, but I preferred staying with
this sentiment of fullness brought by Sruthi & K. Kalyanasundaram.</p>