Weblog de Joël Riou

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Meenakshi Srinivasan au Musée Guimet

2014-10-30 13:00+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes

Auditorium du Musée Guimet — 2014-10-24

Meenakshi Srinivasan, bharatanatyam

Jayashree Ramanathan, nattuvangam

K. Hariprasad, chant

V. Vedakrishnaram, mridangam

Kodampalli Gopakumar, violon

Invocation “Mahedeva Suta” (Adi Tala)

Composition de Muthuswami Dikshitar (Mishra Chapu Tala)

Varnam (Raga Mallika, Adi Tala, composé par K. Hariprasad)

Padam “Kodi Koose” (Raga Saurashtram, Adi Tala, composé par Kshetrayya)

Padam (Rupaka Tala, composé par Swati Tirunal, chorégraphie de Bragha Bessell)

Tillana (Raga Sindhu Bhairavi)

Le programme présenté par Meenakshi Srinivasan au Musée Guimet le week-end dernier a été largement renouvelé par rapport au programme centré sur Krishna qu'elle y avait présenté en février 2012. Ce programme a cependant été essentiellement le même que celui qu'elle avait dansé à Bharat Kalachar (YGP Auditorium) à Chennai en décembre 2013. Je l'ai néanmoins revu avec un grand plaisir. Elle est accompagnée par la même nattuvanar (la formidable Jayashree Ramanathan) et le même chanteur K. Hariprasad qui a fait preuve de son grand talent, et ce tout particulièrement dans les Alap très élaborés qu'il a chantés entre les différentes pièces du programme. L'orchestre comprenait aussi un violoniste et un percussionniste qui recevaient souvent des instructions de la nattuvanar, qui semblait se délecter de la danse tout autant que le public tout en étant très concentrée quand il fallait l'être.

Meenakshi Srinivasan est sans doute la danseuse de bharatanatyam la plus gracieuse parmi toutes celles que j'ai vues ! Sa danse est extrêmement féminine, elle met davantage en avant la douceur que la force. Je ne saurais dire si elle dansait déjà comme cela en 2012 ou en 2013 ou s'il s'agit d'un apport récent à son style personnel, mais dans sa danse pure, elle prolonge souvent certains mouvements latéraux par une courbure du torse sur le côté qui est d'une suprême élégance ! À vrai dire, dans les enchaînements (adavus), les courbures ne sont pas seulement des ornementations : elles paraissent faire partie intégrante de l'ensemble, comme si elles constituaient une étape à part entière dans l'adavu. Ainsi, le dernier temps de tel ou tel adavu n'est pas vide : il est rempli par une courbure du torse. Il est à noter que sa danse comporte un nombre inhabituellement élevé de sauts, mais les réceptions en sont d'une grande légèreté.

Avant de revenir sur le détail de ce superbe programme, je voudrais toutefois signaler un petit grief contre le style de la danseuse. Quand j'ai appris la série des Marditha Adavus cet été à Delhi avec Arupa Lahiry, elle m'expliquait que pour un certain adavu dans lequel les mains alternent rapidement entre les mudras Katakamukha et Alapadma quand on exécute l'adavu aux deux premières vitesses, il convenait de garder les mains en Alapadma pour la troisième vitesse : la rapidité du tempo empêche de montrer une alternance de mudras bien nets et il est préférable de mettre en valeur le caractère gracieux du mouvement global de la main. Il m'a semblé que lors du récital de Meenakshi Srinivasan, on dépassait parfois le seuil de vitesse au-delà duquel quand bien même les mudras seraient proprement exécutés, ils défileraint trop vite pour ne pas paraître un peu flous au spectateur. Je trouve cela particulièrement perturbant dans les moments où la danseuse est face au public et exécute des mouvements synchronisés des deux bras tendus vers les côtés. Plutôt que de regarder alternativement à droite puis à gauche, la danseuse regarde droit devant, ce qui amoindrit sensiblement à mon goût l'exceptionnelle impression de grâce qu'elle inspire.

Venons-en au programme proprement dit. La première représentation (vendredi) a commencé par un Alap suivi d'une invocation de Ganesh (Mahadeva Suta) ; le texte sera différent le lendemain (Pariparime Padane ?).

La première pièce dansée est une composition de Muthuswami Dikshitar évoquant Shiva et plus spécifiquement le Seigneur de la danse qui réside à Chidambaram (je le précise parce que Chidambaram apparaît dans le texte de la composition). La danse est très gracieuse. Comme je l'avais remarqué à Chennai, la danseuse s'écarte de la pratique la plus courante consistant à souligner la virilité de Shiva : elle montre Shiva sous un jour extrêmement bienveillant. Il n'inspire aucun effroi quand la danseuse représente sa chevelure, son troisième œil ou sa peau de tigre. Dans sa danse pure, je me délecte des courbures du torse et du cou que j'ai signalées plus haut ; rien que pour cela, je retournerai voir cette danseuse avec un grand plaisir ! J'apprécie de nombreux détails de son évocation de Shiva : le flot de Ganga, la marque qu'il porte à son cou et qui lui vaut le nom de Nilakantha, l'évocation de la danse associée à la connaissance, au chant et au rythme. Le passage le plus délicieux de cette pièce a sans doute été celui dans lequel la danseuse mime le jeu d'un percussionniste en actionnant un mridangam invisible.

Vient ensuite la pièce principale du programme, le Varnam consacré à Sita que la danseuse a créé en 2013 et que j'avais déjà vu à Chennai (où je n'avais pas véritablement pu l'apprécier en raison d'une grande fatigue...). La musique en Raga Mallika est du chanteur K. Hariprasad sur un texte inspiré par le Rāmāyaṇa. Les épisodes ne sont pas tous tirés du Rāmāyaṇa de Vālmīki : certains d'entre eux sont issus de l'imagination d'un poète dont je n'ai pas retenu le nom, mais vu le message féministe de ce Varnam, il s'agit probablement d'un texte contemporain.

Le Varnam s'ouvre par un magnifique lever de Soleil en forêt. Après avoir été rejetée une première fois par Rama à la fin de la guerre contre Ravana, Sita s'était infligée l'épreuve du feu pour prouver sa chasteté, mais après leur retour à Ayodhya, Rama avait davantage fait confiance à la rumeur publique qu'à son propre jugement et l'avait très lâchement abandonnée en forêt alors qu'elle était enceinte de deux jumeaux. La critique féministe que fait ce Varnam porte non seulement sur l'attitude de Rama qui abandonne Sita comme un vieux chiffon, mais en mettant en valeur les exceptionnelles qualités de Sita, le Varnam ridiculise aussi l'héroïsme viril et la divinité de Rama. La chorégraphie a semble-t-il représenté furtivement la rencontre entre le singe Hanuman venu en éclaireur et Sita qui se lamentait dans le bois d'aśoka. Celui-ci aurait pu ramener directement Sita en la portant sur son dos, mais elle avait refusé pour que Rama puisse faire preuve de ses qualités de guerrier en venant la récupérer lui-même. Le poème et la chorégraphie du Varnam vont bien plus loin puisqu'ils suggèrent que Sita (la déesse née de la Terre) aurait pu tuer elle-même le démon Ravana, mais qu'elle ne l'avait pas fait par égard pour son mari. Parmi ces épisodes dont Sita se souvient, le plus marquant se passe pendant son enfance. Elle n'était pas encore mariée à Rama qui obtiendra sa main en cassant l'arc de Shiva qu'aucun autre homme ne pouvait soulever. L'épisode se passe alors que Sita joue à la balle avec ses amies. La balle s'en va au loin et semble se coincer entre l'arc de Shiva et son support. La seule façon de récupérer la balle est de soulever l'arc... Alors qu'elle n'est qu'une toute jeune fille, elle y parvient sans difficulté avant de repartir de plus belle avec sa balle. Cette espiègle scène a été pour moi le plus irrésistible moment de ce Varnam. Parmi les autres épisodes narratifs, je crois avoir aussi reconnu, sans certitude, la scène où Sita demande à Rama de lui rapporter l'antilope dorée (qui fait partie de la ruse de Ravana pour enlever Sita). Le Varnam comporte aussi des séquences plus poétiques, comme quand Sita compare son amour pour Rama au fait qu'une fleur est inséparable de son parfum, qu'une rivière est indissociable de ses rives et que les rayons du Soleil ne peuvent exister sans l'étoile. Les passages narratifs ou évocateurs alternaient avec des passages rythmiques. Ceux-ci m'ont semblés très variés, notamment en termes de vitesse, et ne pouvaient susciter que l'admiration quand la nattuvanar prononçait rapidement trois fois de suite les syllabes Tadim-Ginatom !

Comme la forme le veut (à ce qu'il me semble), le Varnam se concluait dans la joie, ce qui s'expliquait ici par le fait que Sita, qui en tant que fille de la Terre et ayant pour cette raison un rapport particulier à la nature, avait trouvé dans la forêt un refuge qui lui plût.

(Il est à noter que la pièce avait été introduite par Meenakshi Srinivasan elle-même en français, en utilisant un vocabulaire très raffiné. Lors de la représentation de vendredi, un incident s'est produit pendant ce Varnam : la fixation des grelots de chevilles attachés à sa cheville gauche s'est rompue alors qu'elle était en fond de scène. Il est courant qu'un ou deux grelots ou boucles d'oreilles tombent, mais je n'avais jamais vu ce cas-là. De même qu'il serait impensable d'interrompre un acte d'opéra de Wagner, plutôt que d'insérer une pause pour rattacher ses grelots, la danseuse a décidé de continuer en ne portant des grelots qu'à la cheville droite jusqu'à la fin du Varnam.)

La pièce suivante, la seule que je n'avais pas déjà vue, est un Padam de Kshetrayya. En termes d'expression, il s'agit sans doute de la pièce la plus convaincante du récital. Une jeune femme se plaint à son amie : alors qu'elle se préparait à accueillir au mieux son amant, un satané coq prétentieux s'est mis à chanter au plus mauvais moment, un vrai tue-l'amour. Cela a été un vrai plaisir de voir la danseuse alterner ses expressions entre la joie de l'attente et la déception, voire la colère d'entendre le coq intervenir. Elle aura tout tenté pour l'amadouer, mais il sera un casse-pieds jusqu'au bout, la danseuse suggérant ses apparitions délicieusement avec le mudra Tamracuda.

L'avant-dernière pièce du récital ne m'a pas complètement convaincu. J'en ai cependant apprécié davantage de détails que la dernière fois. Il s'agit d'une chorégraphie de Bragha Bessell sur un poème de Swati Tirunal. Deux femmes préparent des guirlandes de fleurs, mais elles sont perturbées par le bruit d'une procession. Elles se demandent de quel dieu il peut bien s'agir. Ce n'est pas Indra puisqu'il n'a pas le corps recouvert de mille yeux, ni la Lune (Chandra) parce qu'aucune imperfection ne gâche son visage. N'ayant pas de troisième œil, ce n'est pas non plus Shiva. Le sentiment de paix qu'il inspire exclut que ce soit le Soleil (Surya). Il ne s'agit pas non plus de Kubera, le difforme dieu des richesses (c'est le seul des cinq que je n'aie pas reconnu cette fois-ci dans la chorégraphie). Quand la divinité apparaît enfin, il est vraiment dommage que le dieu (Padmanabha-Vishnu) ne soit pas plus facilement identifiable. La première fois que j'avais vu cette pièce dansée par Meenakshi Srinivasan, j'avais pensé que c'était Ganesh : les tout premiers mouvements de la danseuse au début de la pièce suggèrent les oreilles d'un éléphant et sa démarche de pachyderme. Peut-être fallait-il simplement comprendre que le cortège comportait quelques éléphants ? Un peu plus loin, le chanteur semble dire très distinctement Ganapati. Vers la fin de la pièce, quand la divinité associée à la fleur de lotus Kamala et ornée de bijoux apparaît, debout et tranquille, deux de ses attributs sont suggérés, mais les mouvements de mains sont trop rapides pour que je sois certain qu'il s'agisse bien de la conque et du disque de Vishnu. Pour ne pas laisser un sentiment de frustration chez les spectateurs, peut-être faudrait faire comme Uma B. Ramesh que j'ai aussi vue interpréter cette pièce et qui la concluait par une pose caractéristique de Padmanabha. Parmi les détails que j'ai appréciés dans cette pièce décidément très riche, je me souviens de l'évocation joyeuse des hautbois indiens (nadaswaram) qui accompagnent la procession.

Lors du récital de samedi, ce Padam a été remplacé un Meera Bhajan que la danseuse avait déjà interprété au Musée Guimet en 2012. La pose initiale et finale représente Mirabaï jouant du tampura (mais elle n'en actionne pas les cordes, c'est dommage). Elle cherche l'union avec la divinité (Krishna). Elle imagine comment elle pourrait lui être agréable si elle était un poisson, un coucou ou une perle. Elle souhaiterait par exemple n'être qu'une des perles de son collier. (Je rappelle ici que l'histoire de Mirabaï est liée à la citadelle de Chittorgarh au Rajasthan, un des lieux que j'ai préférés en Inde.)

Le récital s'est conclu par le merveilleux Tillana en Raga Sindhu Bhairavi évoquant de façon élaborée l'amour entre une héroïne et Krishna. La fin en a toutefois été légèrement différente qu'à Chennai. Il s'était alors conclu par une extraordinairissime transformation continue du personnage masculin en le personnage féminin (à moins que ce ne soit le contraire). En n'ayant pas revu de transformation d'une telle intensité émotionnelle, je mesure le privilège que j'avais eu de la voir en Inde...

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Lingaraj Pradhan et Sanjukta Dutta Pradhan au Centre Mandapa

2014-10-26 19:47+0100 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Centre Mandapa — 2014-10-23

Lingaraj Pradhan, danse odissi

Sanjukta Dutta Pradhan, danse odissi

Shiva Panchak

Pallavi (chorégraphie de Kelucharan Mohapatra)

Abhinaya (chorégraphie de Kelucharan Mohapatra)

Mahakalistuti (chorégraphie de Bichitrananda)

Je me suis rendu au Centre Mandapa pour assister à un récital de Lingaraj Pradhan et de son épouse Sanjukta Dutta Pradhan. Ils représentent tous les deux le style odissi transmis par leur guru Bichitrananda. Ce style étant moins courant à Paris et à Chennai que ne l'est le bharatanatyam, mes expériences de spectateur avec la danse odissi sont plutôt rares. Je n'ai pour le moment été véritablement convaincu que par la jeune danseuse Arushi Mudgal (cf. son récital au Musée Guimet et Orfeo, par-delà le Gange), mais ce style odissi ne m'a pour ainsi dire jamais procuré les mêmes émotions que m'apportent presque toutes les représentations de bharatanatyam auxquelles j'assiste. Si la narration et l'expression des émotions me semblent en général plus élaborées que dans le style kathak, on n'atteint pas à mon avis les mêmes sommets que dans le bharatanatyam. Le style est sorti des temples depuis moins longtemps aussi et, vu de loin, il semble moins vivant d'un point de vue chorégraphique, la plupart des programmes comportant des pièces chorégraphiées par les figures tutélaires (notamment Kelucharan Mohapatra) plutôt que par les danseurs des générations suivantes. Je garde néanmoins un a priori positif sur le style odissi et ne demande qu'à être détrompé à l'avenir.

Le récital de Lingaraj Pradhan et Sanjukta Dutta Pradhan m'a semblé très spectaculaire. Alors que le style odissi est réputé plus lasya que tandava, ce récital m'a semblé au contraire beaucoup plus viril que gracieux. Les interprètes ont davantage fait preuve de leur capacité à éblouir par leur virtuosité (quelque peu brutale) que par leur faculté à émouvoir par la narration et l'expression. La virtuosité n'étant pas ce que je cherche dans la danse, ce récital m'a plutôt déplu.

La première pièce Shiva Panchak est un duo (semble-t-il sur le cycle rythmique Tivratal à sept temps). Les passages lents permettent d'apprécier les courbures de la position typique de la danse odissi. Les deux danseurs interprètent de façon synchronisée les sections de danse pure, mais leurs rôles se dissocient quand ils racontent la rencontre entre Shiva et Parvati, laquelle est aidée par l'archer Kama (qui est interprété par Sanjukta). Kama est foudroyé par le feu du troisième œil de Shiva. Cette scène a été extrêmement impressionnante, mais je ne peux m'empêcher de penser qu'elle a été quelque peu surjouée, le spectaculaire primant sur l'émotion.

La pièce suivante Pallavi a été interprétée par Sanjukta. Il s'agissait de danse pure en accelerando utilisant beaucoup les mudras Mayura et Hamsasya.

La pièce la plus élaborée a été interprétée ensuite par Lingaraj. Il s'agissait d'un Abhinaya en trois parties utilisant semble-t-il le cycle à sept temps Tivratal. Le thème était donné par un prière adressée à Jagannath par le poète Salabeg (né musulman). Le poème évoquait trois épisodes liés à la divinité que l'on peut identifier à Krishna ou Vishnu. Le premier épisode était celui du l'attaque d'un éléphant attaqué par un crocodile et qui est sauvé par l'intervention de Vishnu qui tue le crocodile avec son disque. Le deuxième racontait la première partie de dés du Mahabharata, Yudishthira perdant tout, y compris lui-même et son épouse Draupadi, laquelle est traînée par les cheveux par Dushasana. Elle est la cible de gestes obscènes de la part Duryodhana et Dushasana tente de la dévêtir, mais il n'y parvient pas du fait de l'intervention de Krishna qui parvient à rallonger le sari de Draupadi au fur et à mesure que Dushasana tire dessus. Le dernier épisode évoque Prahlada, dévôt de Vishnu et fils du démonique Hiranya qui sera tué par le quatrième avatar de Vishnu, Narasimha, l'homme-lion surgi d'un pilier de son palais. Je n'ai pas été ému par l'épisode de la scène du jeu de dés qui m'arrache habituellement un abondant flot de larmes (cf. le récital de Gayatri Sriram au Musée Guimet). L'épisode lié à Hiranya était brutal, notamment parce que son éventrement par Narasimha n'était pas occulté. Le premier épisode représentait de façon intéressante l'éléphant allant s'abreuver au lac, mais la danse s'est fait très violente à partir de l'apparition du crocodile. C'était très impressionnant, mais globalement, je n'ai pas été plus convaincu par cette pièce que par les autres, les moments devant être interprétés de façon plus subtile n'étant pas aussi convaincants que les moments les plus violents.

Le récital (d'à peine plus d'une heure, ce qui est court, surtout pour un duo) s'est terminé par un duo Mahakalistuti évoquant Mahakali. Qu'il s'agisse de Mahakali plutôt que de Kali permet aux danseurs d'évoquer divers aspects de la Déesse : Kali, Durga, Narayani, Kalaratri. Je pense que cela a été la pièce la plus intéressante du récital. Représentant la déesse, Sanjukta y avait le premier rôle et était secondée par Lingaraj qui apportait des détails intéressants aux poses évoquant chacun des aspects de la Déesse. J'ignore si cette pièce a été conçue initialement pour un duo ou s'il s'agit d'un enrichissement pour duo d'une pièce antérieure pour danseur solo, mais c'est un des rares exemples de duo ou d'ensembles qui m'aient convaincu en danses indiennes.

Bref, beaucoup de technique, une volonté d'impressionner, mais un manque d'émotions à mon goût.

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Janaki Rangarajan au Centre Mandapa

2014-10-01 16:10+0200 (Orsay) — Culture — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Centre Mandapa — 2014-09-26

Janaki Rangarajan, danse bharatanatyam, chorégraphies

Kriti (composé par Muthuswami Dikshitar, Rupaka Tala)

Varnam (composé par Ponnayya Pillai, Adi Tala)

Ashtapadi

Tillana (composé par Padma Subramanyam, Adi Tala)

Après avoir assisté à plus d'une centaine de récitals de danses indiennes (presque tous de bharatanatyam), je suis encore loin d'être blasé, mais je pensais avoir une idée assez précise des types de pièces les plus à même de m'émouvoir. Je pensais n'être véritablement sensible qu'aux pièces résolument narratives, et encore faudrait-il pour cela que la narration soit suffisamment claire pour que je puisse la comprendre ! Le récital qu'a donné Janaki Rangarajan vendredi dernier au Centre Mandapa m'a démontré le contraire. Janaki Rangarajan est une artiste que j'admire (cf. mes billets sur ses récitals au Musée Guimet et au Bharatiya Vidya Bhavan) et, full disclosure, avec qui j'ai eu le plaisir de déjeuner le jour de son récital. J'ai donc été plus que ravi d'être très agréablement surpris par un récital de bharatanatyam laissant peu de place à la narration.

Les chaises en gradins de la petite salle du Centre Mandapa sont pour ainsi dire toutes occupées. Quelques uns, dont moi, se sont assis sur des coussins.

La première pièce du récital est un Kriti de Muthuswami Dikshitar dédié à Shiva dans sa forme Ardhanari : mi-homme mi-femme. La chorégraphie comporte passages de danse pure et passages évoquant la divinité. La danseuse montre alternativement ses côtés masculin et féminin. La chevelure de Shiva et son regard suscitent un peu moins l'effroi qu'ils ne le font souvent dans ce type de pièces ; les attitudes féminines de Parvati sont moins marquées aussi. L'interprète semble avoir fait le choix de ne pas exacerber à l'excès le contraste entre les deux moitiés. Les deux moitiés fusionnent harmonieusement plutôt qu'elles ne s'opposent. Parmi les détails mis en valeur, on retrouve les parures de Parvati et les cendres dont s'enduit Shiva. Je me suis cette fois-ci délecté de détails nouveaux, comme la représentation dans la gestuelle codifiée de l'épithète de Gardien des troupeaux (Pashupati) que porte Shiva. La chorégraphie renvoie aussi à plusieurs reprises à sa sagesse ascétique. Ce Kriti met aussi en scène de façon délicieuse une dévôte qui exécute des rites d'adoration du lingam.

La pièce principale est un Varnam de Ponnayya Pillai, un des membres du Tanjore Quartet (début du XIXe siècle). Comme le veut la forme, on assiste à une alternance entre passages de danse pure (jatis) et passages expressifs. Les enchaînements de mouvements constituant les Jatis semblent s'appuyer assez fermement sur les temps forts du cycle à 8 temps (Adi Tala), ce qui n'était pas le cas du Jati que j'ai noté en notation Benesh dans le billet précédent ! S'il est intéressant d'être parfois bousculé ou dérouté par des rythmes tordus, il est aussi agréable de se sentir en confiance en assistant à une pièce dans laquelle le rythme ne contribue pas à créer une tension. Les Jatis de ce Varnam ont comporté des passages exécutés à grande vitesse, mais j'ai apprécié le fait qu'il ne s'agisse pas d'une démonstration de virtuosité.

Si les Jatis étaient remarquables, c'est surtout en raison du style personnel de la danseuse. Ils comportent parfois un ou deux éléments liés au thème du Varnam, comme une référence à l'archer Kama dans le tout premier Jati ; comme j'ai toujours eu mal à ne pas trouver incongru que les Varnam commencent par un Jati, que le tout premier de ces Jatis comporte des éléments expressifs a tout pour me plaire ! Cependant, ce qui distingue véritablement Janaki Rangarajan de toutes les autres danseuses de bharatanatyam que j'ai vues réside dans sa manière de faire cohabiter dans ses enchaînements des lignes droites et des lignes courbes. Les mouvements qu'elle utilise pour cela doivent sans doute beaucoup à Padma Subramanyam, mais elle les incorpore à sa danse d'une façon très différente de son guru. J'ai particulièrement aimé sa manière de passer d'une position droite à une position courbe en utilisant un mouvement de hanches, et de revenir parfois, comme tirée par un ressort, à sa position droite initiale, créant chez moi une surprise ou un suspense du meilleur effet.

Pour l'avoir déjà vu danser, Le style de Janaki Rangarajan ne m'était toutefois pas inconnu ; ce qui a constitué ma plus grande surprise et mon plus grand émerveillement, cela a été son approche dans ce Varnam. Évitant d'introduire des digressions narratives renvoyant aux mythes liés à la divinité, elle s'est concentrée sur ce qui constitue traditionnellement le cœur d'un Varnam : le parcours émotionnel et spirituel d'une héroïne amoureuse d'une divinité. Je suis a priori plus friand des Varnam comportant des passages narratifs élaborés. Ceux qui se concentrent sur les sentiments de l'héroïne (nayika) ont tendance à m'ennuyer. Dans ce type de Varnam, très peu d'interprètes parviennent à maintenir mon attention tout du long. Cela a été le cas de Janaki Rangarajan qui a merveilleusement bien exprimé les sentiments de l'héroïne ! Ces sentiments étaient souvent soulignés par de très beaux mouvements d'yeux et de sourcils. Dans les moments les plus intenses, notamment pendant un solo de violon, la bande son exaltait encore davantage les sentiments de l'héroïne. J'y ai reconnu le style inimitable, tout en doubles cordes, du violoniste Kalaiarasan que j'ai eu le plaisir d'entendre à de nombreuses reprises lors de mon séjour à Chennai en décembre 2013/janvier 2014. Ce musicien est un accompagnateur de génie ! (Les Parisiens ont eu le privilège de l'entendre lors des récitals de Lavanya Ananth au Musée Guimet en 2012.)

Photo 013
Porte du temple Brihadeshvara, Tanjore

Mon frissonomètre est montré très haut pendant ce Varnam. Le point culminant émotionnel a été pour moi la séquence pendant laquelle l'héroïne entre dans le temple de Brihadeshvara (Tanjore). La danseuse a magnifiquement figuré les portes que l'héroïne doit franchir. Avant de s'approcher de la divinité, comme dans tout temple de Shiva (ou presque), elle doit passer devant le buffle Nandi qui veille sur le temple. Le Nandi du temple Brihadeshvara est tellement grand qu'il aurait été dommage d'écarter ce détail :

Photo 026
Nandi, Temple Brihadeshvara, Tanjore

Je me suis délecté de nombreux autres détails de la chorégraphie. Vers la fin, il m'a semblé que l'archer Kama faisait une apparition. S'il lançait bien quelques flèches florales avec son arc, la danseuse s'est permis semble-t-il quelque fantaisie en lui faisant lancer une fleur avec la main, comme s'il lançait une balle !

La pièce suivante a été un Ashtapadi extrait du Gîta-Govinda de Jayadeva. Sauf erreur de ma part, il s'agissait du 17e Ashtapadi. Dans le texte chanté, je ne parviens à reconnaître que des noms de Vishnu aussi attribués à Krishna : Keshava, Madhava. Je n'ai donc pas pu apprécier tous les détails des plaintes que Radha adresse à Krishna qu'elle soupçonne d'avoir passé la nuit avec une autre. Si le sens de certains vers était transparent en suivant la chorégraphie, comme Une trace de morsure, à ta lèvre restée, fait éclore en mon cœur la souffrance. Elle me dit, — n'est-ce pas ? — que maintenant même, uni à moi, ton corps ne se laisse pas partager. Fi, fi, va-t-en, Mādhava ; ne me dis plus, Keçava, de paroles friponnes ; poursuis celle-ci, Œil-de-Nymphéa, qui dissipe ton abattement. (traduction de Gaston Courtillier), un vers que le public a manifesté beaucoup apprécié ! d'autres plus poétiques n'ont pris sens pour moi que lorsque j'ai relu le texte, comme Du lotus de ses pieds suinte la laque qui baigne ton noble cœur ; le voici, il se montre au dehors comme enveloppé des bourgeons de l'arbre de volupté. Fi, fi, va-t-en, Mādhava.... Si j'ai beaucoup aimé le travail d'expression de la danseuse dans cette pièce, ma méconnaissance du texte a été un frein pour l'apprécier pleinement. Peut-être eût-il été judicieux de faire précéder cette pièce d'une lecture d'une traduction du poème ?

Le récital s'est conclu par un Tillana composé par Padma Subramanyam. La pose finale étant apparemment identique, peut-être s'agit-il du même que celui qu'elle avait déjà dansé au Bharatiya Vidya Bhavan ? Utilisant le cycle rythmique Adi Tala, ce Tillana utilise dans sa deuxième partie un mantra évoquant le sentiment de Paix. Il m'a semblé voir plusieurs références à Shiva dans la chorégraphie. L'attitude qu'il adoptait inspirait tranquillité et bienveillance. Dans cette pièce, comme dans les précédentes, la souplesse de la danseuse était mise à contribution. Ses pliés sont très ouverts et très stables. En grand plié, sans perdre de stabilité, elle peut se pencher vers l'avant : elle pourrait presque toucher le sol avec son front ! Le Tillana s'est conclu sur une pose extrêmement géométrique évoquant la Paix.

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