Weblog de Joël Riou

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La Chidambaram Dance Company à Paris

2013-12-12 10:30+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

La compagnie de danse “Chidambaram”, basée à Chennai, a passé quelques jours à Paris au mois de novembre. Cela m'a donné l'occasion de voir un programme pour un ensemble de six danseurs au musée Guimet et deux récitals au Centre Mandapa par une des danseuses de la compagnie (Arupa Lahiry) et sa directrice (Chitra Visweswaram).

Auditorium du Musée Guimet — 2013-11-16

Chidambaram Dance Company

Arupa Lahiry, Sai Santosh Radhakrishnan, Sharma Viswanath, Jai Quehaeni Reddy, Gayathri Rajaji, Divya Shruti, bharatanatyam

Chitra Visweswaram, chorégraphies

R. Visweswaram, G. N. Balasubramaniam, musique

Sukanya Ravindhar, nattuvangam

B. Srikanth, chant

Venkatasubramaniam, mridangam

R. Thiagarajan, flûte

Anubhuti

Trimurti — anjali

Keertanam — Saama Gaana Lole

Navarasa varnam

Abhinaya — Dasar Kreeti

Thillana

Ce programme intitulé Anubhuti était pour moi une première, parce que je n'avais jamais vu de pièces de bharatanatyam véritablement conçues pour un ensemble de danseurs. Après une introduction musicale mettant en valeur le flûtiste et le chanteur, la première pièce Anjali a commencé par un Ragam interprété par le flûtiste. Les danseurs (cinq danseuses et un danseur) sont ensuite entrés en scène. Ils ont commencé par un passage de danse pure synchronisée. L'originalité de la chorégraphie m'a semblé plus flagrante dans les passages évoquant les divinités de la Trimurti. Je n'ai pas reconnu celui consacré à Brahma, mais j'ai bien reconnu Vishnu couché sur le serpent Shesha et ai particulièrement apprécié le passage consacré à Shiva. Il apparaissait sous sa forme de Seigneur de la danse (Nataraja). Le danseur de la compagnie jouait son rôle tandis que les autres danseuses s'organisaient autour de lui de façon à créer une image saisissante. Une des danseuses était ainsi au sol et jouait le rôle du démon de l'ignorance Apasmara qui est écrasé par le pied droit de Nataraja. Une autre danseuse était située à la gauche de Shiva et représentait vraisemblablement Parvati.

La deuxième pièce était consacrée à la forme androgyne Ardhanarishwara (mi-Shiva mi-Parvati). Elle était conçue de façon cyclique, s'ouvrant et se refermant sur l'image de Sarasvati jouant de sa vînâ. La chorégraphie rend hommage à la musique en louant la beauté du son et en évoquant plusieurs instruments de musique comme la vînâ, la flûte et aussi semble-t-il le violon. Le cœur de la pièce évoque les aspects féminins et masculins d'Ardhanarishwara, évoqués respectivement par une danseuse et un danseur. Les attributs usuels de Shiva sont évoqués comme le serpent, le tambour Damaru et surtout la chevelure que la chorégraphe Chitra Visweswaram a une façon bien particulière de représenter par de vifs mouvements dyssymétriques.

La pièce principale du programme est un Navarasa varnam dont le thème principal est celui de la Déesse. Le titre Navarasa renvoie aux neuf saveurs ou sentiments mis en valeur dans les différents épisodes constituant ce Varnam : courage, amour, émerveillement, rire, dégoût, colère, peur, compassion, paix. Je suis particulièrement saisi pendant le premier passage de danse pure par la vigueur des frappes de pieds synchronisées des cinq danseurs présents sur scène à ce moment. La première partie narrative représente la courageuse déesse Meenakshi sous la forme d'une guerrière qui sait monter à cheval et décocher des flèches avec son arc. La deuxième évoque une femme (Parvati) brûlant d'amour pour Shiva dont la chorégraphie évoque son chignon tressé, les cendres dont il est couvert, ses marques horizontales sur le front ainsi que son tambour Damaru. Plus loin, alors que Parvati se comporte comme une servante auprès de lui, l'ascèse de Shiva est perturbée par une flèche d'amour lancée par Kama et il le réduit en cendres. Plus loin, le dieu de la mort tente d'étouffer le jeune Markandeya, lequel est sauvé par Shiva en récompense de sa dévotion (un épisode que j'avais déjà vu dans le récital de Janaki Rangarajan). Ces passages étaient particulièrement saisissants et l'utilisation de plusieurs danseurs pour représenter chacun des rôles était très convaincante. Je n'ai pas identifié tous les épisodes narratifs suivants, mais dans la suite j'ai particulièrement aimé l'évocation de Shiva sous le nom de Nilakantha (qui boit du poison pendant le barattage de la mer de lait), la représentation de l'adoration de la déesse et la fin apaisée de cette pièce.

La pièce principale de ce récital Navarasa varnam m'a semblé particulièrement réussie dans la mesure où l'impression produite par l'ensemble des danseurs était sans doute supérieure à celle qu'aurait pu produire chaque danseur individuellement. La pièce suivante mettait davantage en valeur les qualités individuelles de quatre danseuses. Des danseuses qui pouvaient paraître assez discrètes dans les ensembles précédents m'ont paru étonnamment à l'aise dans les solos narratifs constituant cette pièce. Le thème de cette pièce est Krishna. La musique de Purandara Dasa est connue, je suis certain d'avoir déjà entendu le refrain qui se transcrit plus ou moins en Shikavane Ivanu. Chacune des danseuses incarnait une femme confrontée à la nature divine de Krishna rendue malicieusement innocente dans la personne d'un enfant espiègle. La première le grondait parce qu'il lui demandait comment naissent les enfants. La deuxième se fait enlacer par lui alors qu'elle portait des jarres pleines d'eau. Une troisième se fait chiper du beurre qu'elle vient de baratter. La quatrième (interprétée par Arupa Lahiry) couche l'enfant, s'endort, rêve qu'elle passe la nuit avec lui et comprend à son réveil que son rêve a été influencé par Krishna dont elle tenait la main. À la fin de son solo, chaque danseuse venait se joindre aux précédentes sur la droite de la scène dans des postures suggérant la dévotion et l'émerveillement devant les qualités du jeune enfant Krishna.

Le récital s'est conclu par un Thillana interprété par les six danseurs de la compagnie. La délicieuse musique de cette pièce a été composée par le chanteur R. Visweswaram dont Chitra Visweswaram est la veuve. La présentation de la pièce évoque une fusion de la musique et de la danse. J'ai particulièrement apprécié le moment où il est fait hommage aux notes (Swaras) de la gamme, qui m'ont semblé comme incarnées par les différents danseurs.

Lors des saluts, Chitra Visweswaram qui avait assisté au spectacle depuis le premier rang est montée sur scène. Il fallait vraiment la voir lancer des fleurs à ses danseurs pour les féliciter. Les fleurs n'étaient pas réelles, elle utilisait le mudra Alapadma, mais d'une façon tellement énergique que l'illusion était parfaite.

Centre Mandapa — 2013-11-18

Arupa Lahiry, bharatanatyam

Chitra Visweswaram, chorégraphies

Descente de Ganga

Varnam (Raga Charukesi) (composé par Lalgudi Jayaraman)

Padam

Tillana (Raga Rasikapriya) (composé par R. Visweswaram)

Une des danseuses qui m'avaient particulièrement impressionné lors du programme de la Chidambaram Dance Company dansait deux jours plus tard au Centre Mandapa. J'avais bien envie d'y aller, mais j'avais déjà prévu d'aller écouter Written on Skin à l'Opéra Comique. Quand je suis arrivé dans la salle, à une place aveugle sans l'opportunité de replacement qui s'était fait habituelle dans cette salle, j'ai passé un coup de fil au Centre Mandapa pour me réserver une place et j'ai filé.

Après une introduction musicale, la danseuse est venue interpréter une première pièce. C'est celle qui m'a le plus marqué. Je l'avais d'ailleurs déjà vue sur cette vidéo :

Grâce au texte chanté et à la chorégraphie, j'avais reconnu qu'il était question des trois dieux de la Trimurti (à partir de 4') : Brahma (Pitamaha : l'Aïeul, dont la chorégraphie dit qu'il a quatre têtes), Vishnu (sur le serpent Shesha) et Shiva. La chorégraphie évoque ensuite la rivière Ganga, mais j'ignorais la raison pour laquelle ces trois dieux lui étaient associés ici. C'est devenu plus clair quand la danseuse a introduit la pièce avant de l'interpréter. Brahma est celui qui verse l'eau de la Ganga, laquelle tombe sur le pied de Vishnu avant de se perdre dans la chevelure de Shiva. Elle paraît alors sous la forme d'une jeune femme qui prend le nom de Bhagirathi suite à l'ascèse de Bhagiratha (qui réclamait que les cendres des 60000 fils de Sagara soient purifiées). J'ignorais que parmi les légendes liées à la descente de Ganga sur terre, ils s'en trouvaient qui fissent intervenir non seulement Shiva, mais aussi Brahma et Vishnu. Cela fut pour moi une belle découverte.

La pièce principale du récital était un Varnam évoquant une jeune femme se languissant de Krishna aux yeux de lotus. Elle lui est dévouée, exécutant des rites d'adoration d'une statue le représentant qu'elle orne d'une guirlande de fleurs. Cependant, elle lui reproche de ne pas venir la voir. Elle brûle d'amour pour lui. Elle aime le son de sa flûte. La pièce semble se terminer par une évocation de la danse Rasalila dans laquelle les bouvières (gopis) dansent avec Krishna.

La pièce suivante a été un magnifique Padam, un des types de pièces de bharatanatyam que j'affectionne le plus. Comme le sentiment d'amour (Shringara rasa) a été magnifiquement mis en valeur dans cette pièce par la danseuse ! La jeune femme se souvient du moment où, autrefois, le jeune Muruga (Kartikeya) l'avait enlacée. Ayant épousé Valli et Deivayani, l'aurait-il oubliée ? La pièce de forme cyclique se termine comme elle avait commencée par l'image de la jeune femme rêvassant.

Ce très beau récital s'est terminé par le même Tillana que deux jours plus tôt, interprété par la seule Arupa Lahiry. La musique étant enregistrée, je soupçonne que la voix était celle du défunt R. Visweswaram, ce qui n'était pas pour me déplaire.

Centre Mandapa — 2013-11-19

Chitra Visweswaram, bharatanatyam

Sukanya Ravindhar, nattuvangam

B. Srikanth, chant

Venkatasubramaniam, mridangam

R. Thiagarajan, flûte

Prière chantée

Ardhanarishwara

Theruvil Varanu

Ashtapati

(Scène de jalousie)

Jagadotarana

Le lendemain, un colis suspect bloque la station de RER B Orsay-Ville. Je me dirige à pieds vers la station suivante (Le Guichet) où j'entends que le trafic est coupé jusqu'à Lozère. Je continue jusqu'à cette station où je dois encore attendre assez longtemps avant de pouvoir monter dans un RER. Un collègue arrivera juste à temps pour le coup d'envoi du match France-Ukraine au Stade de France et de mon côté, grâce à la bonne heure de marge que j'avais prévu, je suis arrivé tout juste à 20h30 au Centre Mandapa après avoir couru depuis le métro, et le temps de saluer une de mes danseuses préférées dans le hall, puis Arupa Lahiry (qui avait dansé la veille), j'entrai dans la salle bien pleine. Je choisis donc de me déchausser et de m'asseoir sur le dernier coussin disponible tout devant.

Le spectacle commence par une prière chantée (à Ganesh ?). Malgré l'exiguïté de la scène, les musiciens de la Chidambaram Dance Company ont pris place sur la gauche de la scène. Je n'ai pas vu de micro, cela devait donc être une des premières fois que j'aie entendu de la musique carnatique non amplifiée.

Le programme de danse est entièrement constitué de pièces de pur Abhinaya : les pièces sont narratives et ne laissent aucune place à la danse pure ou à la virtuosité. Le costume de Chitra Visweswaram est un peu négligé (pas très bien repassé). Peu importe, ce qui compte, ce sont les émotions qu'elle va exprimer dans son programme.

La première pièce est centrée sur Ardhanarishwara, la forme androgyne mi-Shiva mi-Parvati. La danseuse évoque le tambour Damaru, le serpent, etc, pour la moitié Shiva et pour l'autre moitié, elle met surtout en valeur la féminité en utilisant l'attitude typique correspondante. La pièce met aussi en scène la déesse Sarasvati et des rites d'adoration des divinités.

Dans la deuxième pièce Theruvil varanu, une jeune femme est amoureuse de Shiva. Elle attend, elle pense qu'il va venir...

Pour moi, le moment le plus intense du récital est intervenu avec la troisième pièce intitulée Ashtapadi. Elle mettait en scène différentes phases que peut prendre l'amour d'une jeune femme (pour Krishna). La chorégraphie évoque le printemps, les abeilles qui butinent, des offrances de fleurs, l'ivresse procurée par le sentiment amoureux, mais aussi le désespoir de la séparation, le dégoût qu'elle engendre, et enfin d'heureuses retrouvailles avec Krishna, représenté en flûtiste. Cela a été une des pièces de bharatanatyam les plus émouvantes que j'aie eu l'occasion de voir.

La pièce suivante évoquait le sentiment de jalousie d'une femme qui observe avec mépris sa rivale qui aurait reçu de beaux vêtements de son amant.

Le récital s'est conclu avec Jagadotarana que Chitra Visweswaram a dansé assise sur un tabouret. Il m'est difficile de résumer cette pièce exaltant les sentiments maternels de Yashoda pour l'espiègle Krishna. Elle commençait par le sommeil de Krishna bercé par Yashoda. Divers épisodes de la vie du jeune garçon étaient ensuite évoqués, mais j'y ai été globalement moins réceptif, la narration n'étant pas assez lisible pour que je puisse la bien comprendre.

Le public n'a pas réussi à obtenir un bis de la danseuse, celle-ci expliquant qu'on ne pouvait plus rien danser après Jagadotarana...

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