« Anusha Cherer à la Maison de l'Inde
2023-07-27 14:18+0530 (சென்னை) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne — Voyage en Inde XXII
Je ressuscite ce blog après une très longue interruption. Bien sûr, il y a eu le COVID, qui a pour un temps réduit significativement les opportunités d'assister à des spectacles. Toutefois, la raison principale de cette interruption est liée à ma prise de conscience de plus en plus affirmée du caractère extrêmement problématique du style de danse bharatanatyam qui est actuellement le résultat d'un processus d'appropriation culturelle qui s'est fait au cours du dernier siècle au détriment de la caste des praticiens et praticiennes originels de cette forme de danse. Une de mes lectures les plus instructives sur ce processus est le livre Celluloid Classicism de Hari Krishnan à propos duquel j'ai écrit ce compte-rendu mis en ligne sur Narthaki, qui est le portait Internet de référence sur le bharatanatyam (et plus généralement les danses “classiques” indiennes) ; cependant, les articles qui y sont publiés sont généralement complètement vides d'un point de vue esthétique et ne font qu'appuyer le discours dominant.
J'ai acquis la conviction que mes aspirations esthétiques en tant que spectateur étaient parfaitement alignées avec la volonté politique que les artistes héréditaires de bharatanatyam soient mieux représentés. En effet, j'ai souvent observé des récitals de grandes interprètes qui, plutôt que de s'associer à des artistes héréditaires compétents pour composer des séquences techniques de danse, ou ne serait-ce que de puiser dans le répertoire traditionnel de jatis qu'elles ont appris auprès de leurs maîtres héréditaires (nattuvanars), préfèrent commander des compositions rythmiques à des percussionnistes. J'ai plusieurs fois été horrifié par le caractère anti-musical de certaines de ces créations. J'ai eu le sentiment que cela participait d'une entreprise de destruction de la musique et de la danse.
Mes seules satisfactions avec ce style viennent de mon apprentissage avec le maître héréditaire Kuttalam M. Selvam, et des très rares occasions d'assister à des récitals, où, sans que les artistes héréditaires soient forcément physiquement présents, leur apport esthétique est un minimum audible ou visible.
Music Academy, Kasturi Srinivasan Hall, Chennai — 2023-07-26 à 18:00
Bhavya Kumaran
Sowmya Kumaran, nattuvangam
Murali Parthasarathy, chant
Vedakrishnaram, mridangam
B. Muthukumar, flûte
?, violon
Alarippu (Mishra Chapu Tala)
Jatiswaram (Raga Saveri, Rupaka Tala)
Varnam “Nadani azhaithtuva...” (Raga Kambhoji, Adi Tala)
Ashtapadi “Yahi Madhava” (Adi Tala, Raga Sindhu Bhairavi)
Javali (Raga Khamas, Rupaka Tala), composition de Patnam Subramaniam Iyer
Tillana (Raga Hindolam, Adi Tala), composition de Dandayudhapani Pillai
J'avais déjà eu l'occasion de voir danser Bhavya Kumaran en août 2022 lors de sa participation au festival Spirit of Youth de la Music Academy auquel j'assiste très régulièrement depuis 2015. Elle avait alors obtenu le deuxième prix (derrière le très méritant Shabin Bright) et a été réinvitée pour un récital de la HCL Series. J'avais beaucoup apprécié ce récital qui m'avait semblé être comme une capsule temporelle donnant une certaine indication de ce que pouvait être la danse bharatanatyam il y a 30 ou 40 ans. En effet, la mère de la danseuse, Sowmya Kumaran, a appris la danse initiallement auprès de l'artiste héréditaire Jayalakshmi Arunachalam, puis a émigré aux États-Unis, y a enseigné à sa fille Bhavya, en maintenant manifestement un grand soin dans la préservation de la forme traditionnelle du récital Margam, du vocabulaire des adavus et des particularités du style de Thanjavur. Cela reste bien sûr problématique, mais il s'agit manifestement de personnes qui comprennent la valeur de la contribution esthétique des artistes héréditaires.
Le récital de ce soir a été de très grande qualité. J'ai été agréablement surpris que le programme commence par deux types de pièces qui tendent à disparaître des programmes : Alarippu et Jatiswaram. Comme dans tout le reste du récital, la complète maîtrise technique de la danseuse est évidente. Les comptes de la danse restent modérément complexes et plutôt en vitesse moyenne, ce qui permet de bien apprécier les moindres mouvements ornementaux de la danseuse. Une des particularités de certains maîtres originaires de Thanjavur (comme Guru Herambanathan Pillai) apparaît dans le Jatiswaram et sera aussi visible dans le Varnam : chaque korvai est précédé d'une ligne complète de mouvements de tête (attami) qui procurent une respiration bienvenue dans les chorégraphies.
Toutefois, ce récital n'est pas exactement ancré dans la même tradition que celui auquel j'avais pu assister en 2022. En effet, la pièce principale du récital, le Varnam “Nadani azhaithtuva...”, ainsi que les deux pièces de pur abhinaya suivantes ont été enseignées par la danseuse Lavanya Ananth, qui fait partie des rares artistes qui respectent très fidèlement la forme du Margam. Tout en gardant certaines spécificités du style originel de la danseuse, la chorégraphie comporte des jatis très jubilatoires de la tradition Vazhuvoor, dont le magnifique jati off-beat “ta ri tatana ta ri tajono...” composé par Vazhuvoor Ramiah Pillai : le décalage volontaire entre les ononatopées récitées et les pas de danse sont très bien mis en valeur par la danseuse. Les motifs de Tattu Muttu sont relativement complexes, notamment par l'utilisation de triolets (tishra-nadai), mais restent très musicaux. Les sections d'abhinaya de la première partie du Varnam développent selon le schéma traditionnel l'évolution du sentiment amoureux de l'héroïne pour le dieu Muruga. Le Pallavi évoque une jeune héroïne qui s'émerveille de la vue de Muruga, et qui souhaite l'épouser. Elle croit sentir sa présence, mais ce n'est qu'une illusion. L'Anupallavi met en scène le sentiment de séparation amoureuse de l'héroïne, qui entretemps a grandi. Il est très appréciable que la chorégraphie se focalise résolument sur les sentiments de l'héroïne, allant ainsi à contre courant de la tendance actuelle qui consiste à narrer de multiples exploits du dieu concerné sans rapport évident avec le texte chanté.
Les deux pièces d'Abhinaya qui ont suivi ont été enseignées par Lavanya Ananth, et s'inscrivent dans le style de Kalanidhi Narayanan. Chacune des deux pièces commence ainsi par un prélude accompagné par le percussionniste et les instruments mélodiques avant que le texte de la composition musicale ne se fasse entendre. J'ai particulièrement apprécié le caractère espiègle du Javali dans lequel l'héroïne, touchée par les flèches de Kama, ne peut retenir son sentiment amoureux pour Venkateshwar.
Le récital s'est conclu par un très beau Tillana dédié à Shiva (composé par le nattuvanar K. N. Dandayudhapani Pillai).
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