Weblog de Joël Riou

« Orfeo, par-delà le Gange à la Cité de la musique | Planning de novembre 2013 »

Vaibhav Arekar et Anuya Rane au Musée Guimet

2013-11-01 06:30+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Auditorium du Musée Guimet — 2013-10-19

Vaibhav Arekar, Anuya Rane, bharatanatyam, nattuvangam

Arun Gopinath, chant

Kiran Gopinath, mridangam

Smt. Kamala, violon

Shankara Shiva Shankara

Danse de Shiva

Bhakti

Shakti

Narmade Hara Hara

Ce spectacle de bharatanatyam a commencé par une intervention du chanteur qui a interprété une composition sur le Tala Adi (8 temps) précédée du Ragam (une brève introduction au mode musical). La première pièce de danse (introduite cette fois-ci par un Ragam du violon) était intitulée Shankara Shiva Shankara et mettait en scène les deux danseurs qui ont évoqué certaines aspects de Shiva. On observe des éléments très classique (le croissant de Lune, la déesse Ganga jaillissant de son chignon) et des épithètes un peu plus rares sont aussi illustrés : Nilakantha (la gorge bleue), Pashupati (le gardien du troupeau). Cette évocation est suivie d'un moment de danse pure assez élaboré, dont la vitesse s'est progressivement accélérée et qui a comporté une offrande de fleurs d'autant plus symbolique que la divinité n'était pas représentée sur scène par une sculpture. J'ai beaucoup apprécié cette pièce qui associait de façon intelligente les deux danseurs. Dans les passages de danse pure, s'il est essentiellement agi de danse synchronisée, il m'a semblé déceler une certaine originalité dans le placement des deux danseurs.

Cette première pièce m'a mis dans de très bonnes dispositions pour la suite, je pensais même que j'étais sur le point de faire l'expérience d'une conception du bharatanatyam qui réponde à mes envies, mais mes espoirs de voir ces deux danseurs interpréter ensemble des pièces narratives élaborées ont été vains puisque la danse n'a plus comporté que des solos...

Vaibhav Arekar s'installe à sa place avec les musiciens pour diriger la suite du récital avec les cymbales (nattuvangam) tandis qu'Anuya Rane, s'exprimant dans un délicieux français, présente les pièces qu'elle va interpréter. Sa première pièce est une Danse de Shiva. C'est un type de pièce que j'affectionne tout particulièrement. Elle met en valeur l'aspect viril de la danse, la danseuse étant comme possédée par le Seigneur de la danse Nataraja. De tout le récital, c'est la pièce qui m'a le plus marqué. La danseuse a évoqué le serpent enroulé autour du cou de Shiva, son croissant de Lune, son tambour Damaru, la déesse Ganga. La danseuse a bien sûr utilisé la pose caractéristique du Seigneur de danse Nataraja. Vers la fin de la pièce, elle a également évoqué les arts en suggérant une vînâ et un tambour, ainsi que Vishnu et Brahma qui sont associés dans la représentation classique de Vishnu-Padmanabha, magnifiquement mise en valeur par la danseuse.

La pièce suivante est aussi dédiée à Shiva. Elle est résolument narrative. Dans ce type de pièce appelé Nindastuti, la dévôte n'est pas représentée comme étant amoureuse de la divinité, mais elle apparaît comme une amie de la divinité et elle en fait l'éloge d'une façon ironique. Placée devant une image du dieu pour lequel elle accomplit quelques rites (aarti), elle raille son indifférence, se moque du fait que sa monture soit un taureau (Nandi) plutôt qu'un char tiré par des chevaux. Il ne possède pas la Lune toute entière, mais seulement un croissant. Dans sa pose Nataraja, il ne trouve même pas d'endroit pour poser son deuxième pied ! J'ai apprécié cette délicieuse pièce qui a mis en valeur les qualités d'expression de la danseuse.

La dernière pièce interprétée par Anuya Rane était consacrée à Shakti, le principe féminin qui peut prendre plusieurs formes, dont Uma/Parvati, Sarasvati, Lakshmi, Durga/Kali. Je retiens notamment la forme terrifiante de Kali et l'évocation de la victoire de Durga sur Mahishasur qui lui vaut le nom de Mahishasuramardini, une scène qui est représentée dans les grottes sculptées de Mahabalipuram :

Photo 064

Le moment le plus intense de la narration de cet exploit de Durga est celui où elle utilise son trident pour venir à bout du démon. Ce fut d'autant plus impressionnant pour moi que j'étais assis au premier rang et qu'elle a maintenu les yeux grand ouverts pendant de longues secondes en regardant précisément dans ma direction.

Après ces trois solos dansés par Anuya Rane, le chanteur et le percussionniste se sont livrés à un délicieux jeu de questions et réponses sur un cycle rythmique à 8 temps (Adi Tala). Les deux danseurs ont ensuite échangé leurs rôles et Vaibhav Arekar a interprété la pièce principale de ce récital : Narmade Hara Hara. Elle évoque la longue circumambulation des pèlerins autour de la rivière Narmada : ils commencent du côté de Bharuch au Gujarat sur la rive Nord, puis remontent jusqu'aux sources de la rivière, et progressant en laissant toujours la rivière sur leur droite, ils peuvent redescendre jusqu'à son embouchure, revenant ainsi à leur point de départ (mais sur l'autre rive). Les différentes séquences de cette pièce racontent diverses histoires liées à la rivière et au parcours des pèlerins. Cela commence tout naturellement par le mythe de la naissance de la rivière, fruit des gouttes de sueur du danseur cosmique Shiva-Nataraja (qui est donc évoqué pour la troisième fois au cours de ce programme !). Cette évocation fut un véritable régal ! Vaibhav Arekar ne fait pas ses frappes de pieds à moitié ! On voit ensuite les pèlerins effectuer des rites en l'honneur de la rivière au début de leur pèlerinage. En remontant aux sources de la Narmada, ils seront plus tard témoins d'un miracle : les chutes d'eau font prendre aux rochers la forme de lingams. J'ai oublié le lien de la légende suivante avec la Narmada, mais le danseur a évoqué le démon Bhasmasura qui avait obtenu par ses austérités le privilège de transformer en cendres quiconque il toucherait. Les dieux utilisèrent une ruse pour l'éliminer. Ainsi, l'enchanteresse Mohini intervint et lui demanda de reproduire les mouvements de danse qu'elle ferait, ce qu'il accepta sans se méfier, mais il mourut quand, reproduisant la chorégraphie de Mohini, il dut toucher son propre front. Quand les pèlerins passent près de l'hermitage d'Anasuya, la légende de cette femme est évoquée : les trois dieux de la Trinité hindoue vinrent lui demander de leur servir un repas toute nue, ce qu'elle ne put qu'accepter, mais elle les transforma préalablement en de très jeunes enfants. La fin de la pièce comportait un message politique déplorant la construction du grand barrage venant troubler le cours naturel de la Narmada. J'ai trouvé très intéressante cette pièce au sujet tout à fait original. Cependant, si le danseur a été exceptionnel dans certains passages narratifs ou évocateurs, d'autres m'ont moins convaincu (parfois, il n'était même pas évident pour moi de savoir s'il représentait un personnage féminin ou masculin). J'ai aussi été troublé par une certaine perplexité à propos de la structure de la pièce. Celle-ci était constituée d'une alternance entre récitatifs et passages dansés. Pendant ces récitatifs, le danseur exécutait des mouvements plus proches du théâtre que de la danse tandis qu'Anuya Rane racontait l'histoire correspondant à ce que nous montrait le danseur. La fonction de ces récitatifs n'était pas très claire. Parfois, il s'agissait d'une explication de ce qui allait être développé dans la danse, et parfois, et à vrai dire le plus souvent, la narration était concentrée dans ces récitatifs et la danse perdait son caractère narratif et se transformait en surplace émotionnel à la manière des airs d'opéra baroque... Néanmoins, ce fut une très belle pièce de bharatanatyam !

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