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2008-11-01 16:47+0100 (Orsay) — Culture — Lectures — Culture indienne
Je viens de terminer La légende immémoriale du dieu Shiva : le Shiva-purâna, traduit du sanskrit, présenté et annoté par Tara Michaël, Connaissance de l'Orient, Gallimard/Unesco. J'ai déjà évoqué la Vidyeshvara-samhitâ qui raconte un mythe qui vise sans doute à montrer la supériorité de Shiva sur Brahmâ et Vishnu. C'est d'ailleurs suite au mensonge de Brahmâ que j'évoquais que Shiva, sous sa forme terrible Bhairava, tranche la cinquième tête de Brahmâ et le condamne à ne pas recevoir de culte (la seule exception que je connaisse étant le temple de Brahmâ à Pushkar). D'autres légendes attribuent ces punitions au fait que Brahmâ avait incestueusement désiré sa propre fille.
Le texte de la Rudra-samhitâ se présente sous la forme d'un dialogue entre le sage Nârada et le dieu Brahmâ qui répond à ses questions. Le mythe qui est raconté est celui du mariage de Shiva et de la Déesse. Je ne peux donc m'empêcher de comparer ces passages avec ceux que j'ai lus dans La naissance de Kumara, Kalidasa, traduit du sanskrit par Bernadette Tubini, Connaissance de l'Orient, Gallimard/Unesco. Dans ceux-là, Shiva épouse la fille du seigneur des montagnes après que les Dieux ont estimé que Shiva devait engendrer un fils pour débarasser la Terre du démon Târaka. Pour cela, Kâma, le dieu Amour, et le Printemps sont chargés de détourner Shiva de son ascèse. Par leurs charmes et les flèches de Kâma, Shiva s'éprend de Parvati, mais foudroie Kâma du feu de son regard. Dans ceux-ci, il n'est pas question du démon Târaka, mais d'une volonté de vengeance de Brahmâ pour l'humiliation que Shiva lui a fait subir.
Le dieu Kâma est créé : Avec cette forme et grâce à ton carquois à
flèches de fleurs, tu pourras rendre épris et captiver hommes et femmes et
leur faire continuer l'œuvre éternelle de la création.
. Brahmâ lui-même
éprouve les effets de ces flèches en désirant sa propre fille Sandhyâ (mais
personne ne vient lui couper sa cinquième tête à ce moment). Brahmâ lance
une malédiction sur Kâma : il sera foudroyé pour avoir lancé une flèche sur
Shiva. Kâma proteste, pourquoi le punir ? il n'aura fait que sa mission de
répandre l'Amour. Brahmâ lui promet la vie éternelle après qu'il aura été
réduit en cendres. Kâma, son épouse Rati (la Volupté) et le Printemps
tentent de faire sortir Shiva de son ascèse. Les multiples tentatives échouent
et on n'entend presque plus parler de Kâma, qui ne sera pas réduit en
cendres, contrairement à ce que le texte promettait (une malédiction de
Brahmâ ou de brâhmane est faite pour se réaliser, sinon, à quoi eût-il
servi qu'elle eût été formulée ?). Les Dieux se réunissent. Ils vont
favoriser la manifestation de Satî, qui d'après des promesses anciennes,
est censée devenir l'épouse de Shiva, de même que Sarasvatî et Lakshmî sont
respectivement les épouses de Brahmâ et de Vishnu.
Brahmâ loue la Déesse (Durgâ) qui accepte de s'incarner comme Satî. Après quelques péripéties, Satî naît fille de Daksha (qui est lui-même issu de Brahmâ) sous le nom d'Umâ. Satî-Umâ utilise l'ascèse et l'adoration pour s'attirer les faveurs de Shiva. Émerveillés par cette ascèse, les Dieux et Brahmâ en particulier viennent demander à Shiva de prendre épouse. En tant que yogin, il refuse d'abord puis accepte, pourvu que son épouse soit une yoginî. Brahmâ lui révèle le nom de Satî (que l'Omniscient connaissait déjà bien sûr).
La mariage est célébré. C'est Brahmâ qui officie aux cérémonies. Shiva
et Shivâ (Satî) accomplissent la circumambulation du feu sacré. Chants et
danses. Un incident se produit : lui-aussi épris d'amour pour Satî, Brahmâ
regarde un peu trop fixement les pieds, puis le visage de la Déesse dont il
a écarté le voile. Il va jusques à laisser échapper quatre gouttes de sa
semence. Shiva en est furieux et brandit son trident pour le tuer, d'autant
plus qu'il avait promis à Vishnu qu'il tuerait qui regarderait son épouse
de façon concupiscente. L'incident semble imaginé pour que Vishnu puisse
dire : Ô Éternel Shiva, Brahmâ n'est pas autre que toi, et tu n'es pas
autre que lui. Je ne suis pas autre que toi, Seigneur, et tu n'es pas autre
que moi.
. Bref, Shiva accepte de ne pas se tuer Lui-même. Une pluie de
fleurs se répand, Shiva et Satî montent sur le taureau (leur monture) pour
rejoindre le mont Kailâsa.
Favorisés par Kâma et le Printemps, les ébats amoureux de Shiva et de
Satî durent vingt-et-un ans. Elle lui demande comment les créatures
peuvent surmonter les épreuves de l'existence
. Shiva répond que
c'est par la prise de conscience Je suis Brahman
(la fusion en
l'Être suprème, Brahman, est le but ultime de la philosophie de la
non-dualité). Il affirme que le moyen d'y parvenir est la bhakti,
la dévotion et en décrit les neuf formes.
⁂
Je n'ai pas pu lire sans un certain effroi la phrase suivante dans cet
ouvrage : Bien que le désir de saisir Sandhyâ aux traits attirants
subsistasse (sic) encore dans mon esprit, je comptai mes sens bouleversés
dans ma crainte respectueuse de Shiva.
. Combien de fois craignis-je
qu'une telle erreur subsistât dans mes écrits !
⁂
Comme il ne me restait qu'une quinzaine de pages à lire pour ce dernier round de lecture à la Bibliothèque François Mitterrand, je réservai aussi un autre livre. Il s'agissait du premier volume de la traduction du Bhâgavata-Purâṇa ou histoire poétique de Krĭchṇa d'Eugène Burnouf, professeur de sanscrit au Collège royal de France (1840). Je n'ai pour le moment lu que la préface nouvelle de Jean Filliozat pour la réédition de 1981 et le début de la préface de l'auteur. J'hésite beaucoup à me lancer dans cette lecture. L'ouvrage semble excellent, les explications de l'auteur visant un public non expert en indianisme (vu l'époque où cela a paru) sont très intéressantes. Il est aussi amusant de découvrir quelques particularités orthographiques et typographiques de ce siècle. Ce qui me fait un peu peur est l'extrême longueur de l'œuvre, les cinq tomes répartis en quatre volumes font environ 2250 pages. Le lire en bibliothèque serait une tâche assez démesurée, d'autant plus que je ne peux bien sûr y consacrer que d'occasionnels samedis ou dimanches (ces volumes étant par chance disponibles aussi dans la partie Haut-de-Jardin de la BnF et non seulement au Rez-de-Jardin qui ferme le dimanche). Acheter les quatre volumes auprès de l'éditeur est exclu, vu les prix prohibitifs que celui-ci oppose. Quoiqu'il fût louable de sa part de rééditer cette traduction, un prix de 340€ pour les pages, fussent-elles deux mille deux cent cinquante, d'un auteur mort en 1852, me paraît bien excessif. Lors de mes prochains voyages en Inde, j'essaierai d'acheter la traduction anglaise publiée par Gita Press pour un prix modique de 250 roupies.
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