Weblog de Joël Riou

« Parzival à Garnier | Isabelle Druet aux Trois Baudets »

Mathis der Maler à Bastille

2010-11-17 22:44+0100 (Orsay) — Culture — Musique — Opéra

Opéra Bastille — 2010-11-16

Scott Macallister, Albrecht von Brandenburg

Matthias Goerne, Mathis

Thorsten Grümbel, Lorenz von Pommersfelden

Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, Wolfgang Capito

Gregory Reinhart, Riedinger

Michael Weinius, Hans Schwalb

Antoine Garcin, Truchsess von Waldburg

Eric Huchet, Sylvester von Schaumberg

Melanie Diener, Ursula

Martina Welschenbach, Regina

Nadine Weissmann, Die Gräfin von Helfenstein

Vincent Delhoume, Der Pfeifer des Grafen

Orchestre et chœur de l'Opéra national de Paris

Christophe Eschenbach, direction musicale

Olivier Py, mise en scène

Pierre-André Weitz, décors et costumes

Bertrand Killy, lumières

Joseph Hanimann, dramaturgie

Wissam Arbache, collaborateur à la mise en scène

Jochen Rieder, maestro suggeritore

Patrick Marie Aubert, chef du chœur

Mathis der Maler, Hindemith

J'ai assisté hier soir à la première de Mathis der Maler de Hindemith à Bastille. Cet opéra, dont Hindemith a rédigé lui-même le livret, est inspiré par la vie du peintre du Retable d'Issenheim exposé à Colmar (je cite la Wikipédia germanophone puisque c'est la seule que j'aie vue qui montre les trois vues possibles sur le retable). Pendant les trois heures que dure cet opéra, je me suis parfois désintéressé des surtitres. J'ai donc dû manquer quelques subtilités. D'après ce que j'en ai compris sur le moment et des extraits que j'ai eu le temps de lire depuis, cela m'a semblé un texte beau et riche.

Les décors étant de Pierre-André Weitz comme pour L'Orestie que j'avais vu à l'Odéon, je m'attendais certes à un décor tout en transformations, mais pas à quelque chose d'aussi impressionnant ! Pourtant, cela avait commencé assez sobrement. En effet, pendant tout le spectacle, on voit à l'avant-scène un simple lit à gauche, un tas de gros livres au milieu et un chevalet à droite. Mathis (Matthias Goerne) entre sur le plateau de scène qui est essentiellement vide en portant une lumière qu'il pose au centre. (Il y a eu un cafouillage au tout début de la représentation, peut-être un problème d'éclairage dans la fosse d'orchestre qui a fait que la représentation s'est interrompue au bout de quelques dizaines de secondes. Mathis a reculé vers l'arrière de la scène et la représentation a recommencé depuis le début ; c'est la première fois que je vois un tel bug dans un spectacle.) Il s'installe sur son lit et commence à avoir des visions : une structure de décor ayant la forme du retable apparaît (un grand panneau central, deux sur les côtés et une partie basse) et des comédiens prennent une pose figurant une des vues possibles sur le retable que l'on aperçoit en ombres chinoises. Cette vue évoque principalement la Crucifixion (dans la partie basse, le corps du Christ en slip est amené au tombeau). Il est dommage que dans le programme (12€) qui fait plus de 200 pages, s'il est vrai que l'on trouve quelques reproductions de bonne qualité de quelques parties du retable, pour certaines d'entre elles, seuls certains détails sont montrés (parfois trop agrandis au point de paraître pixelisés), alors même que des textes du programme font référence à d'autres détails...

L'histoire que raconte cet opéra mêle des éléments très différents. Une des directions est celle de la révolte des paysans contre le pouvoir de leurs maîtres et du clergé. Mathis accepte que Schwalb, le chef des paysans, et sa fille Regina se réfugient chez lui avant de repartir. Dans un autre tableau (le quatrième), il s'opposera au contraire aux excès de ces batailles en sauvant la comtesse Helfenstein qui était un peu plus que violentée par les combattants. Il n'est pas étonnant de voir des drapeaux rouges brandis par les paysans dans cette révolte. Ce qui ne paraît pas choquant non plus dans cette mise en scène, vu la période où Mathis le Peintre a été composé et les problèmes qu'eut Hindemith avec le régime national-socialiste, c'est que le pouvoir qui réprime la révolte soit en uniformes nazis (on voit même un tank ! et dans le fond, on aperçoit parfois l'image d'une ville en ruines, s'agirait-il de photographies ayant suivi les bombardements de Mayence lors de la deuxième guerre mondiale ?). Ce sont les mêmes qui organisent des autodafés de livres luthériens. En effet, la ville de Mayence est alors divisées entre papistes et luthériens. Le riche bourgeois Riedinger, luthérien convaincu, voudrait voir le luthérianisme se développer. Il tente de convaincre Capito, le conseiller du cardinal Albrecht, de l'intérêt qu'il y aurait à faire en sorte que celui-ci se convertisse et se marie avec sa fille Ursula. Il n'est alors question que de politique et d'argent, puisque le cardinal manquant de liquidités, un riche mariage le sauverait financièrement parlant. Celui-ci ne voit d'abord que l'intérêt du gain éventuel, mais si ce personnage semble un catholique plutôt progressiste (il aime sincèrement l'art par dessus tout : quand il commande un tableau, il veut que le peuple soit ému et que celui-ci ne se demande pas si c'est par la scène religieuse qu'il représente ou par le talent de l'artiste), un mariage, ce serait aller trop loin. Dans le grand moment vocal de cet opéra, Ursula (Melanie Dieter) va néanmoins convertir Albrecht à sa foi et celui-ci va décider d'abandonner les richesses pour vivre austèrement (on voit une très intelligente transformation du décor au moment de cette conversion : l'imposant décor doré symbolisant le catholicisme se retourne pour devenir noirâtre). La duplicité de Riedinger apparaît explicitement dans le texte puisqu'il n'était pas tant intéressé par le fait de convertir le cardinal que par celui de lui faire accepter sa fille et son argent de sorte que les luthériens eussent un symbole qui pût faire progresser la Réforme.

Les décors de ce spectacle sont spectaculaires. Dans le deuxième tableau, on voit apparaître de grands éléments de décors. Ils sont très mobiles, y compris verticalement, puisqu'à certains moments, le décor a jusques à trois étages ! Dans le troisième tableau (celui de l'autodafé), on voit ainsi apparaître les caves de Riedinger (à qui on a promis qu'on ne fouillerait pas sa bibliothèque trop en profondeur), alors que les nazis sont à l'extérieur, à l'étage du dessus. Certains décors ne sont pas faits pour être réalistes, comme celui qui voit le cardinal déposer une relique dans un reliquaire doré dans un mur concave tout aurant doré. Ils ne sont pas tous très pratiques, puisque dans les scènes où apparaît le décor du premier tableau, les personnages ayant à se déplacer de l'avant par l'arrière ou réciproquement doivent pas mal se baisser pour traverser ce qui correspond à la partie basse du retable.

Au cours de la soirée, de nombreuses images du retable sont évoquées. Outre celles déjà mentionnées, on trouve le Concert des Anges qui est représenté, entre autres, par une comédienne prenant une pose semblable à celle que l'on peut voir sur le tableau. La fenêtre que l'on aperçoit au fond de l'Annonciation est utilisé comme motif dans la façade des décors dorés. Depuis le deuxième balcon, je ne voyais pas toujours toute la partie supérieure de la scène, mais dans le décor conceptuel doré (où a été déposé le reliquaire), il m'a semblé apercevoir une moyenne boule dorée installée en haut comme une lumière : cela fait beaucoup penser à celle que l'on voit dans la Résurrection. À un moment, un des gardiens romains (détail de cette Résurrection) est représenté par un homme en armure, de façon assez peu convaincante par rapport à d'autres images vues dans ce spectacle (mais cependant très au-dessus du niveau de ce qui était fait dans La donna del lago !).

L'image la plus frappante de cet opéra (qui est celle utilisée en couverture du programme et sur le site de l'Opéra) représente La Tentation de Saint Antoine. Mathis est identifié à ce personnage. Diverses créatures monstrueuses viennent le hanter. D'autres douées de parole viennent le tenter en utilisant divers arguments (dont trois jeunes comédiennes en petite tenue). Elles sont identifiées à certains personnages rencontrés au cours de l'opéra. La plus présente est Ursula (dont je n'ai pas dit qu'elle était amoureuse de Mathis, qui s'en est détourné pour Regina). Dans la foulée, le livret évoque la visite de Saint Antoine à Saint Paul (identifié au cardinal, qui a abandonné la vie sociale).

Le dernier tableau commence par une très belle scène entre Ursula et Regina. Il y est entre autres question d'un ruban. Au début de l'opéra, Ursula avait donné un ruban à Mathis. Quand Regina avait débarqué chez lui avec son père, elle avait chanté pour Mathis une chanson Un chevalier s'en vint à cheval à la fontaine, auprès de la jeune fille.... Le chevalier lui offrit un ruban de soie.... Pas insensible, Mathis avait rendu son geste conforme au texte de la chanson. À l'approche de la mort des personnages, Regina souhaite pouvoir reconnaître Mathis au royaume des morts. Elle donne le ruban à Ursula (qui reste silencieuse à la nouvelle de cette trahison) pour qu'elle le lui donne comme un signe qui le distinguera des autres.

Ensuite, cela traîne un peu en longueur. À la fin, Mathis range sa chambre, emporte quelques symboles (un livre, le ruban, un drapeau rouge, etc.) et s'approche d'une ouverture au centre de la scène. Le texte dit En route donc pour ce dernier bout de chemin, je veux franchir le seuil avec légèreté. Tout comme mes fruits se sont détachés de moi, je veux donner à la terre cette dernière feuille de l'automne mûr.. Je me dis alors irrésistiblement qu'il va les lancer à travers l'ouverture avant d'y sauter lui-même. La suite me donnera raison sur le premier point, mais l'extinction des lumières aura lieu sans qu'eût lieu le saut qui eût constitué le climax de cet opéra. Curieusement, quand Matthias Goerne est venu saluer, il boitait. Je me demande ce qui a bien pu se passer.

Au premier visionnage, il est difficile de se concentrer sur tous les aspects de l'opéra en même temps. Vocalement, le chanteur qui m'a le plus enthousiasmé est Melanie Diener (Ursula), notamment dans la scène de la conversion d'Albrecht. C'était la première fois que je voyais Matthias Goerne. Ma première impression dégagée dans le premier tableau où j'avais du mal à simplement l'entendre est plus mitigée ; dans les passages où l'orchestre était silencieux ou presque, il a cependant eu indéniablement de très beaux passages. Lors d'un de ses airs, Scott Macallister (Albrecht) m'a semblé laisser un peu trop éclater les émotions de son personnage au détriment de son chant. Pour le reste, je ne sais pas trop que dire sur les voix en général puisqu'entre la lecture des surtitres, l'éclairage un peu sombre et le grand nombre de personnages sur scène, à pas mal de moments, je ne voyais pas qui chantait (même avec les jumelles...).

Si cet opéra date du XXe, il n'y a vraiment aucune raison d'avoir peur en se disant que ce sera bizarre... Cette œuvre de Hindemith n'est pas plus difficile à entendre que d'autres œuvres de styles plus classiques (certes, ce n'est pas du Rossini !). Certains passages empruntent d'ailleurs à d'autres styles, comme la chanson populaire (cf. la chanson du ruban) ou le chant grégorien.

Ce que j'ai le plus aimé dans ce spectacle, c'est la manière de mettre en scène des images du retable d'Issenheim. Le tour de force de machinerie autour des décors fait aussi fort impression. Parmi les points négatifs, je noterais l'éclairage de la scène de l'attaque du chateau de Königshofen par les paysans. Certes, là encore, les éléments de décors mobiles représentant le château bien amoché sont spectaculaires, mais les paysans sont éclairés comme des fugitifs le seraient par des projecteurs. Le problème, c'est qu'il y a une multitude de tels projecteurs, que les zones éclairées n'arrêtent pas de bouger ad nauseam et surtout qu'il en est ainsi pendant toute la scène. La mise en scène, si elle est toujours cohérente avec le livret, n'est pas non plus parfaite de mon point de vue puisque j'ai parfois eu du mal à voir qui chantait. C'est que pendant leurs passages chantés, les chanteurs sont souvent assez statiques. Le positionnement du chœur dans certaines scènes m'a aussi semblé étrange aussi, comme dans la scène de l'autodafé. Cela dit, globalement, j'ai trouvé cette production vraiment très intéressante (ce n'est sans doute pas étranger au fait que ce soit mon plus long billet de blog sur une représentation d'opéra).

Ailleurs : David, Zvezdo, Palpatine, Gilda.

Lien permanent


Commentaires

1. 2010-11-18 08:35+0100 (Geneviève)

Merci Joël pour ce beau commentaire avec lequel je suis d'accord. J'ai été également très impressionnée par cette oeuvre, tant musicalement que théâtralement. Un ami m'a dit qu'il t'avait vu dans la salle, mais je t'ai raté. Dommage,mais on pourra en reparler un matin. Merci pour le Wikipédia allemand qui est plus complet que le français. Je vais retourner le voir pour la 3e fois !


Vous pouvez poster un commentaire grâce au formulaire ci-dessous.

Nom ou surnom (obligatoire) :
Adresse email (facultative, n'apparaîtra pas publiquement sur ce site) :
Site Web (facultatif) :
Faire conserver ces coordonnées par mon navigateur ?
Pour montrer que vous n'êtes pas un robot stupide, veuillez recopier les chiffres 41676, dans l'ordre inverse :
Le commentaire (de grâce, évitez le SMS-speak) :

Ne mettez que du texte dans les commentaires ; vous pouvez néanmoins insérer des liens en saisissant par exemple <URL: http://www.google.fr/ > (à savoir « <URL: », une espace, l'URL proprement dite, une espace, et enfin « > ».

Date de génération : 2023-07-27 14:18+0530 ― Mentions légales.