Weblog de Joël Riou

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Le MP3 rend-il sourd ?

2008-09-20 01:13+0200 (Orsay)

Après en avoir déjà un peu discuté in real life avec Gamacé, éminente prosélyte lyrique, maintenant qu'elle revient plus en détail sur ce sujet sur son blog, je voudrais bien lui répondre, mais ma réponse faisant plus de 2000 signes, je la fais plutôt ici.

Si vous êtes abonné au Monde en ligne, vous pouvez accéder à l'article du Monde 2 auquel elle fait référence, intitulé Le MP3 mutile le son et l'audition.

Dans cet article, au moins trois attaques sont portées :

  1. Contre le MP3, en tant que format de compression informatique de la musique ;
  2. Contre les baladeurs, pour les risques auditifs liés à un volume sonore trop élevé ;
  3. Contre la compression dynamique, un procédé technique complexe de traitement du son.

Faire du MP3 la source de tous les maux comme semble le faire l'article du Monde 2 en la fin de son premier paragraphe me semble exagéré, je dirais même mensonger.

Concernant 1., le format MP3, j'espère que personne n'avance sérieusement l'idée qu'il serait en soi dangereux pour la santé. De même, j'espère que l'on n'affirmera pas que l'on s'esquinte davantage les yeux à regarder une version compressée au format JPEG d'une photographie numérique qu'à regarder l'original (d'après ma visite médicale d'avant-hier dans le cadre de la médecine du travail, j'ai toujours dix dixièmes à chaque œil :-)). Pourtant, si on regarde de trop près certaines images JPEG ou si elles sont un peu trop grossièrement compressées, on distingue des artefacts de compression. Certains formats de compression d'images sont plus fidèles que d'autres, certains sont sans pertes (mais réduisent moins la place occupée). Avec le son, c'est la même chose. D'autres formats que MP3 existent : WMA, Real Audio, Ogg Vorbis, Flac (ce dernier est sans pertes). Pour ma collection de disques, j'utilise Ogg Vorbis parce qu'il est libre et vraisemblablement un poil meilleur que MP3 du point de vue technique. Si l'auteur de l'article n'est pas satisfait de ses fichiers MP3 et les considère comme l'indigne fruit d'une mutilation, il peut toujours changer les paramètres de qualité de compression ou bien utiliser un format de compression sans pertes. L'auteur semble nostalgique de l'audiophilie de papa pour laquelle des équipements divers de qualité (enceintes, ampli, etc) sont nécessaires. En comparaison, le coût d'un disque dur d'un bon millier de G est dérisoire et cela permet certainement de faire face au besoin supplémentaire en place disque.

À propos de 2., s'il faut effectivement mettre en garde les utilisateurs de baladeurs contre les risques de troubles auditifs, le problème était déjà connu du temps où les baladeurs lisaient des cassettes audio ou des CD. La situation de quasi-monopole du format MP3 fait que certains appellent baladeur MP3 ou simplement MP3 ce qu'un souci de neutralité devrait nous faire appeler baladeur numérique. Viser le MP3 là où il faudrait viser l'utilisation des baladeurs en général me paraît donc risible.

Le point 3. est plus original. Je ne suis pas expert en ce domaine. Il me rappelle un trajet en voiture en Angleterre (peut-être du côté de Canterbury ou d'Oxford). Nous écoutions Le songe d'une nuit d'été de Mendelssohn. Pendant l'Ouverture, le volume sonore émis par l'orchestre passe d'un extrême à l'autre. Le co-pilote devait en permanence monter le bouton ou le baisser pour que nous entendissions quelque chose mais n'en devinssions pas sourds pour autant. Si l'enregistrement original avait subi ce procédé de compression dynamique de façon appropriée, nous n'eussions pas eu à tourner le bouton de volume. Ce qui est parfaitement supportable dans une salle de concert (sinon, l'orchestre jouerait différemment) ne l'est pas forcément dans toutes les conditions d'écoute.

Il est avancé dans l'article que la compression dynamique, apparemment très utilisée dans les musiques actuelles, tendrait à altérer le jugement des auditeurs et à les faire monter le son plus facilement. C'est peut-être vrai, mais je ne vois vraiment toujours pas le rapport avec le MP3, si ce n'est qu'on peut facilement faire l'amalgame puisque dans les deux cas, il est question de compression.

Bref, j'ai l'impression que l'auteur de l'article a voulu faire plus vendeur en ajoutant le mot-clef MP3 à une discussion (qui aurait pu être plus développée) sur la compression dynamique, quitte à s'attaquer injustement à ce premier.

Cet article ne dit pas qu'il soit dangereux d'écouter de la musique d'autres siècles interprétée par des orchestres et des chanteurs d'opéra. Ouf ! Je suis rassuré.

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Commentaires

1. 2008-09-20 10:47+0200 (Fork)

Je suis impressionné par le fait qu'un tel article ait pu exister !

Je ne suis pas en mesure de le lire, mais le résumé et le titre visible dans l'url en disent déjà beaucoup.

2. 2008-09-21 12:32+0200 (Gamacé)

Ah ben merci pour le décorticage ! Ca fait déjà plus sérieux que mon article,lol, qui était un peu à chaud les arguments qu'il m'aurait fallu pour une vieille discussion. Mais je crois comprendre où est mon biais.

3. 2008-09-23 18:07+0200 (céleste)

bon, je ne comprends pas tout...

ce que j'ai oublié de te dire dans le com que j'ai laissé il y a 30 secondes sur le biryani d'agneau (un argument que par contre je connais bien), c'est que sur mon blog je t'invite à participer à une chaîne littéraire (un peu).

namaste :-)

4. 2008-09-23 19:50+0200 (Dom)

Venant de chez Céleste :) Je lis tout ton article. Je veux juste dire une chose qui est peut-être vérifiable:

Donc de la compression en général (le cd est un forme de compression aussi) Compresser c'est enlever des informations que nous ne sommes pas sensé entendre.Ce qui est la plus simple des explications. Il semblerait que le cerveau reconstitue "le manquant" ce qui induirait une fatigue.Ceci rejoint un autre fait que les musiciens pro ne sont pas ceux qui achetent la HiFI haut de gamme...car leur cerveau "entend l'original"...et surtout n'en attendent rien de plus qu'un enregistrement.

Voilà...mais il est certain que l'on ne va pas vers le mieux...Il n'y à même plus aucun équipement audio informatique qui puisse prétendre à la norme hifi qui elle doit bien avoir 40ans.

5. 2008-09-23 20:29+0200 (Joël)

Je ne sais pas si on peut vraiment dire que le CD soit une forme de compression. Pour comparer ce qui est comparable, il y a une alternative entre l'analogique et le numérique (son échantillonné), de même qu'en photographie, il y a l'argentique et le numérique.

Je serais vraiment étonné que l'on démontre expérimentalement qu'un son échantillonné provoque une plus grande fatigue que le son analogique « pur » correspondant ; il y aurait plutôt des raisons mathématiques de penser qu'il n'en est rien (mais je ne suis pas un expert en traitement du signal). Bref, je ne pense pas qu'il y ait quelque chose « qui manque » dans le son de qualité CD.

Après, en ce qui concerne les techniques de compression appliquées aux sons échantillonnés, suivant le codec utilisé et ses réglages, on peut il est vrai obtenir des sons de qualité différentes et le seuil à partir duquel on est capable de faire la différence et éventuellement d'en être fatigué dépend des personnes. Comme je le dis dans mon entrée de blog, si on y est particulièrement sensible, on est libre de changer les réglages pour avoir une meilleure compression, voire d'utiliser un codec sans pertes : avec la taille des disques durs d'aujourd'hui, c'est parfaitement réalisable.

6. 2008-09-24 17:00+0200 (Izys)

J'ai été choquée par la malhonnêteté de cet article quand je l'avais lu il y a quelques semaines. Ça sent la propagande anti-P2P à plein nez.

Dom et Joël : en ce qui concerne la numérisation de signaux analogiques, il existe un théorème dit de Nyquist-Shannon qui montre que si la fréquence d'échantillonnage est supérieure au double de la fréquence la plus élevée du signal d'entrée, on ne perdra pas d'information.

<URL: http://fr.wikipedia.org/wiki/Théorème_d'échantillonnage_de_Nyquist-Shannon >

7. 2008-09-24 18:17+0200 (Joël)

Merci Izys, effectivement, c'était bien à ce théorème que je pensais, mais j'en avais oublié le nom.

Je pense avoir saisi l'énoncé mathématique : on peut reconstituer le signal exactement à partir de ses valeurs en des points régulièrement répartis à une fréquence au moins double à celle de la plus grande fréquence du signal. Pour les sons audibles, la fréquence de 44.1kHz utilisée pour le CD est donc très bien choisie.

Après, on pourra toujours arguer qu'un beau nombre réel contient plus d'information qu'un entier à 16 bits...

8. 2008-09-25 16:13+0200 (Koko90)

Pour ce qui est de la compression je trouve le débat dépassé. FLAC est ouvert, gratuit et sans pertes (au sens mathématique du terme). Quand le moindre disque dur neuf fait 500 go (et permet donc de numériser plus de 1500 CD, même pleins à ras-bord de musique classique) je ne vois pas de raison de se lamenter de la faible qualité du MP3 (technologie vieillissante et utilisé seulement sur les réseaux p2p).

Pour le vieux débat analogique contre numérique il a toujours été biaisé. Les défenseurs de l’analogique peuvent certes entendre des défauts sur un CD échantillonnés à 44 Khz en 16 bits (même si il faut un sacrément bon matériel, un casque et un silence absolu). Mais quand ils prétendent que les procédés analogiques sont toujours supérieurs aux procédés numériques ils oublient que les SACD existent.

En fait, généralement, ils différencient le numérique de l’analogique en reconnaissant les défaut des sources analogiques et non la « simplification » induite par la source numérique. Donc ce qu’ils n’aiment, ce n’est pas la soi-disant fidélité du signal induite par l’analogique, mais les déformations qu’il entraînait (déformations évidentes sur les microsillons, qui « enrichissaient » le son en ajoutant une multitude d’harmoniques absolument absentes du signal d’origine).

Il est très facile de faire la différence entre un SACD et une source analogique de mauvaise qualité, comme un microsillon, mais en revanche, si vous prenez de bandes magnétiques de qualité professionnelles, la différence devient absolument imperceptible.

9. 2008-09-25 16:40+0200 (Koko90)

Je précise que mon commentaire ci-dessus s’applique au débat général numérique contre analogique. Pas au débat particulier CD contre 33t, qui sont deux procédés « grand publics » ayant tout deux leurs défauts, ce qui rend impossible toute réelle argumentation.


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