Weblog de Joël Riou

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Le théorème des deux métros

2006-03-09 05:30+0100 (Grigny) — Mathématiques

N'avez vous jamais remarqué qu'en période d'affluence, il n'est pas rare de voir deux bus (appartenant à la même ligne) se suivre de très près, le premier étant plein à craquer et le deuxième presque vide.

C'est une conséquence du théorème des deux bus. Pour une raison ou une autre, un bus a pris un peu de retard, par suite les gens qui attendent ce bus aux arrêts suivants doivent attendre plus longtemps, par conséquent il y a plus de gens qui vont entrer dans ce bus-là qu'en temps normal, le bus prend encore plus de retard... jusqu'à ce que le bus suivant le rattrape. Il en résulte que si deux bus se suivent de très près, on a intérêt à monter dans le deuxième. Il y a là plusieurs subtilités : il est bien évident que si deux personnes mènent l'expérience consistant à monter l'une dans le premier bus et l'autre dans le second, c'est la personne qui sera monté dans le premier bus qui arrivera à l'arrêt-destination en premier ! En effet, les bus répugnent à se doubler entre eux. En pratique, tout le monde ou presque monte égoïstement dans le premier bus sans se poser de questions, alors que le confort est bien meilleur dans un bus presque vide que dans un bus plein. De plus, si les gens se répartissent équitablement entre les deux bus, les montées-descentes aux arrêts seront plus fluides et la bonne marche des deux bus n'en sera que meilleure. L'action collective consistant à monter dans le deuxième bus plutôt que dans le premier permet donc de diminuer le temps de trajet pour les deux bus. Si vous aimez lire dans les transports en commun, vous me direz que cinq minutes de plus ou de moins, cela ne change pas grand chose, mais encore faut-il avoir suffisamment de place pour tenir son livre devant soi.

Église des Billettes — 2006-03-07

Benjamin Alard, clavecin

Variations Goldberg, BWV 988, Johann Sebastian Bach.

Ceci s'applique aussi, dans une moindre mesure au métro. Avant-hier soir, en arrivant à la station Châtelet pour prendre la ligne nº1 (pour aller écouter Benjamin Alard interpréter les Variations Goldberg), le premier métro qui apparaît est plein à craquer ; je me dis que je vais attendre le métro suivant en vertu du théorème des deux métros, mais le conducteur annonce qu'il y a un autre métro vide juste derrière celui-ci. Manque de chance, celui-là est à peine moins plein que le précédent ; soit les gens ont appliqué d'eux-mêmes le théorème des deux métros et ont attendu sagement le métro suivant, soit ils n'ont tout simplement pas pu rentrer dans le premier... Cette mesure n'est pas très probante ; cependant, il y a quelques années, quand j'habitais non loin de la Porte d'Orléans, j'ai régulièrement constaté la configuration métro plein suivi d'un métro vide sur la ligne nº4.

Il y a encore une autre manière d'optimiser ses déplacements en métro. S'il est évident que l'on peut gagner du temps en montant à l'avant ou à l'arrière du métro pour être du bon côté à la sortie, on est parfois face au dilemme suivant : on entre sur le quai par le mauvais côté et on voudrait aller à l'autre bout pour attendre le métro, mais il y a déjà un métro qui est sur le point de partir. Contrairement à ce qui pourrait sembler trivial, il n'est pas évident qu'on ait forcément intérêt à monter dans le premier métro. S'il y a peu de monde dans la station de départ, on peut marcher tranquillement jusqu'à l'autre bout du quai pour attendre le métro suivant, le temps pour marcher le long d'une station est du même ordre que le temps séparant deux métros, on ne devrait donc pas attendre le prochain métro très longtemps, on monte dedans et à l'arrivée, on est du bon côté. Si on était monté dans le premier métro, on aurait dû marcher sur le quai de la station d'arrivée, ce qui en présence d'une foule est plus long et moins agréable, parfois on aura même pas encore fini notre traversée que le métro suivant sera déjà passé pour déverser un nouveau flot de passagers parmi lesquels le passager sus-évoqué qui aura marché tranquillement dans la station de départ et sortira finalement du métro avant nous...

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Commentaires

1. 2006-03-09 11:50+0100 (DH)

Comme tu l'as formulé, ça me rappelle un dilemme du prisonnier entre deux personnes au même arrêt de bus : chacune a individuellement intérêt à prendre le premier bus pour arriver avant l'autre, mais si elles prenaient des bus différents, elle mettraient toutes deux moins de temps (mais l'une se "sacrifie" pour arriver deuxième). Y'a une subtilité que je n'ai pas saisie ou ça se tient ?

2. 2006-03-09 14:42+0100 (Joël)

Oui, je me suis fait à peu près la même remarque.

3. 2006-03-09 17:52+0100 (Ruxor)

Tiens, je m'étais aussi fait toutes ces réflexions-là il n'y a pas longtemps. J'avais essayé d'imaginer des modélisations à étudier au moins expérimentalement, du genre les voyageurs arrivent selon des lois de Poisson aux arrêts et montent toujours dans le premier bus qui passe, et le temps d'arrêt est proportionnel au nombre de voyageurs... Mais je n'ai pas réussi à trouver un modèle complet qui me satisfasse et dont on puisse se poser des questions mathématiquement intéressantes.

4. 2006-03-16 17:53+0100 (KURBAN)

Je lis avec beaucoup de plaisir tes traveaux mathématiques, et aussi ton article de Dualité de Spanier-Whitehead (c'est comme ça que je suis allé voir ta page web. Je trouve que c'est bien -même si je comprends pas très bien ton sujet- Je reproche un peu tes démonstrations courtes en générale et peu de vision globale.

Bonne chance, tu as l'air très doué!

5. 2006-03-16 19:44+0100 (Joël)

Kurban: Dans une note aux Comptes Rendus de l'Académie des Sciences, on ne peut pas faire autrement que d'aller à l'essentiel puisqu'il faut que cela tienne en moins de six pages.

Pour ce qui est du manque de vision globale, c'est difficile à dire : l'intuition que l'on a de certains résultats est quelque chose de vraiment très délicat à rendre à l'écrit ; à l'oral, il est plus facile de faire passer certaines idées puisque, faute de télécran, on a un peu moins de répugnance à dire des choses fausses !

Il y a plein d'énoncés qui me semblent « globalement » très naturels et presqu'évidents, mais dans une rédaction sérieuse, il faut bien les démontrer, aussi en détail que les usages l'exigent, quitte à ce que les détails techniques obscurcissent parfois les idées naturelles sous-jacentes.

6. 2006-03-21 18:17+0100 (Kurban)

Au fait, est ce que la catégorie des motives mixtes est construite ou pour l'instant on connait juste une catégorie qui "ressemble" à la catégorie dérivée des motives mixtes ???

7. 2006-03-22 00:34+0100 (Joël)

Kurban: pour ce genre de questions, il vaut mieux me contacter par mail directement, je ne veux pas faire fuir mes quelques lecteurs en parlant trop de mathématiques.

Pour le moment, de façon inconditionnelle, on a que des catégories triangulées (la catégorie des motifs géométriques de Voevodsky, il y a d'autres constructions, mais elles sont équivalentes à la première, au moins en caractéristique zéro) ; on espère que (au moins à coefficients rationnels) ce soit la catégorie dérivée d'une catégorie de motifs mixtes, mais pour le moment, on ne sait pas faire ; si on savait faire, on aurait démontré la conjecture d'annulation de Beilinson-Soulé...

8. 2006-03-31 14:47+0200 (cavalier sans tête)

>le conducteur annonce qu'il y a un autre métro vide juste derrière celui-ci. Manque de chance, celui-là est à peine moins plein que le précédent ; soit les gens ont appliqué d'eux-mêmes le théorème des deux métros et ont attendu sagement le métro suivant, soit ils n'ont tout simplement pas pu rentrer dans le premier...

...soit ils ont tous suivi le conseil du conducteur facétieux!


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