Weblog de Joël Riou

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Isabelle Anna et Anuj Mishra au Musée Guimet

2012-04-28 11:45+0200 (Orsay) — Culture — Musique — Danse — Danses indiennes — Culture indienne

Auditorium du Musée Guimet — 2012-04-27

Isabelle Anna, Anuj Mishra, danse kathak

Vikash Mishra, tabla

Juber Alam, chant, harmonium

Navin Mishra, sitar

Pandit Arjun Mishra, chorégraphie

Il y a quatre ans, j'avais assisté à un programme de danse kathak à la Cité de la Musique au cours des Vingt-quatre heures du Raga. Cette institution que j'apprécie n'a malheureusement pas toujours la main heureuse (cf. la partie indienne de la nuit soufie). Le caractère lamentable de cette prestation avait de quoi dissuader de façon définitive de revoir du kathak... En choisissant d'aller voir le duo d'Isabelle Anna et Anuj Mishra au musée Guimet, j'accordais une seconde et dernière chance à ce style de danse de me convaincre. Si je n'accrochais pas cette fois-ci, j'arrêtais les frais. Le moins que l'on puisse dire est que, de façon tout à fait inattendue, j'ai adoré ce spectacle !

Cette danse est très différente du bharatanatyam ! En gros, deux types de pièces se sont succédé. La forme qui a ma préférence est celle des pièces qui mettent le plus en valeur l'expression et la narration, comme la première qui était un duo entre les deux danseurs. La musique est chantée en ourdou, une langue qui se confond pour mes oreilles avec le hindi (je ne suis pas assez connaisseur pour reconnaître le vocabulaire d'origine plus arabo-persane que sanskrite). C'est dans ces pièces expressives (et tout particulièrement la première) que j'ai le plus apprécié la partie mélodique de la musique (voix et sitar). Comme ce type de musique (et de danse...) a beaucoup été imité dans les films indiens, cela a un léger air de Bollywood, mais de très haut de gamme, avec un certain raffinement et des improvisations en plus. En effet, le chanteur ne se prive pas d'insérer quelques ornementations et de solfier certaines suites de notes.

La première pièce, très sensuelle, représentait l'amour des deux personnages incarnés par les deux danseurs. Formant une sorte de douce pantomime continue, les mouvements sont fluides et majestueux. Si quelques mouvements des mains sont communs avec le bharatanatyam (comme la représentation de l'éclosion du lotus), c'est semble-t-il davantage à leur caractère universel qu'à une codification commune qu'il faut l'attribuer. On est plus dans la pure et simple expression des sentiments que dans un discours obéissant à une stricte grammaire. Quelques uns des mots du texte que je peux comprendre soulignent certains mouvements expressifs de la danseuse. C'est elle qui m'a le plus ému ! Qu'il est beau de voir sa robe tournoyer en faisant des ondulations pendant ses pirouettes, une robe qui se met à flotter onctueusement quand la rotation s'arrête et qui tombe majestueusement sur ses jambes en formant des plis réguliers !

L'exaltation est poussée à son paroxysme dans les frénétiques épisodes rythmiques qui s'insèrent dans ces pièces expressives (c'est un point commun avec le bharatanatyam d'insérer des numéros rythmiques de danse pure dans les pièces narratives). Je pense qu'il est impossible d'apprécier ces moments sans clapper le tal (c'est-à-dire battre la mesure) d'une façon ou d'une autre et de ressentir ainsi dans son corps la pulsation des danseurs et du tabla. Les danseurs effectuent souvent une pirouette complète sur un temps rythmique. Les mouvements de pieds se font sur des divisions de ces temps, tout comme les mouvements du cou (qui sont assez communicatifs avec le spectateur que je suis, je n'y peux rien...). Je suis en transe quand je sens que mon clappage du tal est parfaitement synchronisé avec le tabla et les mouvements de pieds de danseurs (sur des doubles croches, au moins !)...

L'autre forme privilégiée de pièces est la danse pure exécutée sur une musique essentiellement rythmique (j'ai une certaine empathie pour le joueur de sitar dont le rôle se réduit à répéter ad lib. la même petite mélodie sur un rythme immuable ; cela présente au moins l'intérêt de donner un repère dans le cycle rythmique ; cela dit, certaines courtes pièces ont mélangé des tals différents, il existe donc des guirlandes de tals comme il existe des guirlandes de ragas, Ragamalika !). Très extravertis, ces passages sont de véritables morceaux de bravoure pour les danseurs. La forme est différente de ce qu'on peut voir dans le bharatanatyam ou le kuchipudi. Le rôle du nattuvanar est primordial dans ces deux danses du Sud : celui qui joue des cymbales est en quelque sorte le chef d'orchestre. Dans certains passages rythmiques du kuchipudi, on trouve un jeu de questions et réponses entre la danseuse et celui qui est souvent son guru : il joue une phrase rythmique que la danseuse doit reproduire immédiatement en actionnant ses grelots de pieds (dont les orteils pincent un plateau en laiton !) tout en réalisant des mouvements de danse pure avec le haut du corps. Dans le bharatanatyam, la part d'improvisation est très certainement moindre puisqu'il n'y a pas de questions et réponses, la danseuse exécutant les mouvements en même temps que le nattuvanar joue des cymbales. J'ignore s'il en est toujours ainsi, mais dans le programme de kathak de ce soir, un des deux danseurs (ou les deux en même temps) venaient au micro annoncer une longue séquence rythmique : tout en clappant le tal avec une main, ils prononçaient les syllabes rythmiques indiennes standards ou bien les numéros des temps (en hindi ou en anglais). Cette séquence était ensuite reproduite par le tabliste et suivait un fou numéro de danse pure exécuté sur ce rythme par un des danseurs (ou dans au moins un cas, crois-je me souvenir, par son partenaire). Pour moi, cela a été un plaisir enivrant de les voir. Je pense qu'il faudrait passer à un autre niveau de compréhension de cette danse pour véritablement apprécier à sa juste valeur le subtil raffinement qui doit certainement se cacher derrière cette virtuosité. Pour le moment, c'est un plaisir plus immédiat, moins intellectuel que cela peut l'être avec le bharatanatyam, et c'est déjà pas mal !

Le travail sur l'expressivité (y compris dans les numéros rythmiques) et la narration est beaucoup plus saisissant et émouvant chez Isabelle Anna. Ses solos ont mis l'accent sur ces pièces lyriques, dont faisait partie l'adorable évocation des jeux (d'eau, rien à voir avec Bruno Mantovani) de Krishna qui charme les bergères grâce au son de sa flûte. J'ai aimé aussi son évocation de l'amour d'une courtisane.

Les solos du danseur étaient tournés principalement vers la danse pure. Il a ainsi exécuté des numéros de claquettes indiennes avec ses grelots de chevilles et de vertigineuses suites de pirouettes. Le comble a été une triple série de pirouettes enchaînées : 34+34+34=103 (ce n'est pas moi qui ai fait l'addition !). Les deux ou trois dernières pirouettes étaient un peu moins rapides que les précédentes, mais c'était le délire dans la salle, le tal étant clappé sonorement par le public ! Anuj Mishra a toutefois cherché à ajouter une part expressive dans une petite suite de courtes pièces rythmiques. Celles-ci évoquaient la nature : l'antilope, la vache, le lion, le cheval. Sa pièce la plus développée et la plus convaincante dans cet aspect de la danse évoquait le paon. Cela reste moins subtil et raffiné que la danse d'Isabelle Anna (qui a aussi fait de fort belles pirouettes !), mais j'apprécie que ce danseur n'ait pas été que virtuose !

Parmi les moments dont je me souviendrai sans doute longtemps, il y a eu ce duo dans lequel les danseurs et les musiciens m'ont donné l'impression qu'un cycle rythmique à onze temps pouvait comme aller de soi. Je n'en reviens pas ! J'aimais notamment la façon dont les temps étaient accentués et divisés lorsque l'on s'approchait de la fin d'un cycle, l'entrée dans le cycle suivant étant annoncée par les mêmes paroles du chanteur.

Un autre moment de transe à été le jeu de questions et réponses (rythmiques) auquel se sont livré les danseurs. Ce type d'improvisations fait partie des pièces que je trouve les plus délectables dans la musique et la danse indienne, quelle que soit la configuration. Un des plus mémorables avait été celui de deux percussionnistes accompagnant Sri Mohan Santhanam à Chennai en août dernier. Un autre plus récent associait Jayanthi Kumaresh et son percussionniste. Les deux danseurs ayant chacun des grelots de chevilles, ils peuvent très bien jouer à un tel jeu de questions et réponses. Les phrases rythmiques sont d'abord assez longues (je ne sais plus combien de temps comportait le cycle rythmique). Puis tout semble s'accélérer parce que la question et la réponse qui suit immédiatement se font de plus en plus courtes au point de ne plus comporter qu'une ou deux frappes de pied.

Exceptionnellement en mode ninja (contraint et forcé puisque le placement était libre), une place se libérant opportunément par le lapin posé à une spectatrice par une de ses amies, j'ai de façon inattendue été extrêmement bien placé au quatrième rang. Mes jumelles n'ont donc pas été nécessaires. Je me délecte par avance des très probables opportunités prochaines de revoir Isabelle Anna dans l'intime salle du Centre Mandapa (qui était fort bien représenté au premier rang de l'auditorium !). À la fin du spectacle, très émue par l'accueil du public (standing ovation), elle a remercié le père de son partenaire, Pandit Arjun Mishra (gharana de Lucknow) qui a chorégraphié et conçu ce programme.

Deux représentations de ce spectacle étant prévues, à l'heure où j'écris ces lignes, peut-être est-il encore possible d'acheter des billets pour assister à la représentation de ce samedi à 20h30 ?

Je n'avais été que moyennement convaincu par les premiers spectacles que j'avais vu à l'Auditorium du Musée Guimet (Urmila Sathyanarayanan et Priyadarshini Govind), mais après la superbe Meenakshi Srinivasan, c'est la deuxième fois de suite que je ressors très enthousiaste de cette salle.

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