Weblog de Joël Riou

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Rāmāyaṇa, suite

2006-07-08 19:36+0200 (Grigny) — Culture — Lectures — Culture indienne

Cela fait bientôt trois mois que je lis le Rāmāyaṇa (Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard). J'en suis arrivé au chant VI La guerre (le résumé du chant V Les merveilles apparaîtra bientôt dans le résumé que je rédige au fur et à mesure). Comme certaines subtilités ne sont pas du tout rendues dans ce résumé, je voudrais faire une petite note pour tenter d'expliquer quelques difficultés du texte, qui est cependant traduit dans un français très agréable à lire.

J'ai déjà mentionné plusieurs fois que les personnages (ou dieux) importants des épopées indiennes ont des noms multiples. Pour essayer d'illustrer d'autres aspects qu'un résumé ne peut pas rendre, je vais me hasarder à un petit commentaire d'un extrait.

Nous sommes au chant VI, chapitre L. La guerre entre le camp du dharma conduit par Rāma et celui de l'adharma du rākṣasa Rāvaṇa a commencé. Les frères Rāma et Lakṣmaṇa sont presque laissés pour morts ; Indrajit, le fils de Rāvaṇa, a utilisé la magie pour les atteindre, les a criblés de flèches venimeuses (les flèches sont en fait d'authentiques serpents). Les deux héros sont paralysés, Rāvaṇa triomphe, la princesse Sītā est désespérée, les singes (qui constituent l'armée de Rāma) sont affolés ; des remèdes sont envisagés, mais une divinité fait une apparition indiscutablement spectaculaire :

Sur ces entrefaites, un vent accompagné de nuages et d'éclairs agita l'eau de l'océan et sembla faire trembler les montagnes. Sous le grand souffle d'aile du vent, les grands arbres de toutes les îles perdirent leurs jeunes branches et s'abattirent dans ses ondes salées. Les serpents qui les habitaient furent pris de terreur, et soudain tous les monstres marins plongèrent dans les eaux.

Alors, tout à coup, Garuḍa, le fils de Vinatā, apparut à tous les singes comme le feu étincelant. À sa vue, ces serpents qui, sous forme de traits puissants, paralysaient les deux hommes prirent la fuite. Suparṇa toucha les deux Kākutstha et les salua, puis il posa ses mains sur leur visage à l'éclat lunaire. Au contact du fils de Vinatā, leurs blessures se cicatrisèrent et leurs corps reprirent rapidement couleur et éclat. Leur rayonnement, leur héroïsme, leur puissance, leur vigueur et leur endurance — ces vertus fondamentales —, leur subtilité, leur intelligence et leur mémoire s'en trouvèrent doublés.

Garuḍa est le roi des oiseaux, c'est aussi l'ennemi mortel des serpents ; la terreur des serpents dans le premier paragraphe est annonciatrice de l'intervention de Garuḍa, aussi appelé Suparṇa, ou Vainateya (fils de Vinatā) ; son action est conforme à son profil, puisqu'il fait fuir les serpents qui paralysaient les deux frères.

Le conflit entre Garuḍa et les serpents fait partie d'un ensembles de mythes très importants dans la mythologie indienne. Dans le mythe-cadre du Mahābhārata est racontée la rivalité entre les deux sœurs Kadrū et Vinatā, épouses de Kaśyapa. Kadrū est la mère de mille serpents tandis que Vinatā a deux fils, qui sont des oiseaux : son premier fils la maudit puisqu'elle l'a rendu difforme en brisant son œuf trop tôt, son deuxième fils Garuḍa promet de défaire cette malédiction. Vinatā devient l'esclave de Kadrū, et Garuḍa dérobe l'ambroisie (amṛta) aux dieux pour la donner aux serpents en échange de la liberté de sa mère. Mais il conclut un pacte avec Indra pour empêcher par la ruse les serpents de s'emparer de l'ambroisie. Sa mère est libérée, l'ambroisie revient aux dieux et il mange des serpents.

Une autre fonction de Garuḍa est d'être l'emblème ou la monture de Viṣṇu. Un peu plus loin dans ce chapitre, il dit à Rāma :

Quelque désir que tu en aies, tu ne dois pas chercher à connaître le motif de mon amitié. Tu le sauras quand tu auras rempli ta mission par cette guerre.

À ce stade, Rāma ignore qu'il est la descente du dieu Viṣṇu sur terre (il est l'avatāra). L'apparition de Garuḍa est un des nombreux indices de cette mission divine.

Si le texte présente des difficultés, il y a des passages qui sont beaucoup plus aisés à lire. Il y a par exemple une figure de style qui intervient très souvent dans l'épopée : le rūpaka. Au chapitre LII du chant VI, on lit par exemple :

Ce fut un combat effroyable, colossal par le nombre des combattants, par celui des armes, rochers, arbres utilisés, une symphonie où la corde des arcs remplaçait celle des luths mélodieux, où la mesure était battue par les hoquets des chevaux, dont les chœurs étaient les barris des éléphants blessés.

Il s'agit d'une comparaison entre le combat et une symphonie, certains éléments de l'un étant identifiés à des éléments homologues de l'autre.

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